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Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule 43 - Témoignages pour la séance du soir


OTTAWA, le mercredi 25 novembre 1998

Le comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel a été renvoyé le projet de loi C-3, Loi concernant l'identification par les empreintes génétiques et modifiant le Code criminel et d'autres lois en conséquence, se réunit aujourd'hui à 19 h 04.

Le sénateur Lorna Milne (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente: Il s'agit de la deuxième réunion du comité sur le projet de loi C-3, qui prévoit la création d'une banque nationale de données génétiques que le commissaire de la GRC se chargera de tenir et qui permettra aux organismes policiers d'élucider les crimes.

Le projet de loi a été adopté par la Chambre des communes le 29 septembre 1998, puis a fait l'objet d'une lecture au Sénat le lendemain. La lecture en a été faite le 22 octobre. Autrement dit, le Sénat a d'ores et déjà donné son approbation de principe au projet de loi C-3. Ensuite, celui-ci a été renvoyé à notre comité, qui doit en faire une étude détaillée. C'est ce que nous avons commencé à faire ce matin avec la comparution de M. Jacques Saada, secrétaire parlementaire du solliciteur général du Canada, ministre responsable du projet de loi C-3.

Le comité accueille maintenant deux témoins du Laboratoire judiciaire central de la GRC. Il s'agit de M. Barry Gaudette, expert scientifique et de M. Ron Fourney, chercheur responsable de la banque de données génétiques et des méthodes d'identification par les empreintes génétiques.

À la suite de quelques remarques préliminaires de la part de M. Gaudette, M. Fourney présentera un diaporama. Ensuite, il y aura une période de questions.

Bienvenue à vous deux. Vous avez la parole.

M. Barry Gaudette, expert scientifique, Laboratoire judiciaire central de la GRC: Madame la présidente, nous sommes très heureux d'être ici ce soir. Nous avons eu le privilège d'assister à certaines des discussions qui ont eu lieu cet après-midi. Nous espérons que notre exposé ce soir vous permettra de mieux comprendre ce projet de loi et vous aidera à mieux l'examiner.

Commençons d'abord par les présentations. Je vous présente en premier lieu mon collègue, M. Fourney. M. Ron Fourney s'est joint aux laboratoires judiciaires de la GRC, à la suite d'une carrière remarquable dans le domaine de la recherche sur le cancer. À son arrivée à la GRC, il faisait partie d'un groupe de personnes dont les activités se sont révélées indispensables à la mise en application de notre «programme génétique» dans les laboratoires judiciaires de la GRC. Si ce n'était de M. Fourney et de sa contribution à notre programme, nous n'en serions certainement pas rendus là aujourd'hui.

Il y a trois ans environ, on lui a confié la direction de notre nouveau service de banque nationale de données génétiques à la GRC. Or, il peut mettre à profit beaucoup de qualités à ce titre. Je suis sûr qu'il saura bien vous expliquer les choses ce soir.

Quant à moi, je travaille à la GRC depuis 1969. Comme on l'a déjà souligné, j'ai pour titre «expert scientifique», Biologie. Parmi les fonctions que je dois accomplir à cet égard, il y a notamment la surveillance d'un groupe responsable du soutien opérationnel destiné à toutes les personnes qui, dans nos six laboratoires judiciaires, prennent en charge l'identification par les empreintes génétiques et les autres facettes du travail de nos divisions de biologie. Nous avons quelque 80 personnes qui accomplissent ce travail au pays. Notre groupe offre un soutien du point de vue de l'assurance de la qualité, de la formation, de la logistique et de l'administration.

J'ai aussi pour responsabilité de conseiller la haute direction de la GRC et divers organismes gouvernementaux à propos d'affaires scientifiques et de questions relevant des politiques gouvernementales. C'est dans ce contexte que j'ai d'abord commencé à travailler au dossier de la banque nationale de données génétiques et du projet de loi à cet égard en 1992. J'ai coprésidé les travaux d'un comité interne de la GRC chargé de la question de la banque nationale de données génétiques.

En 1994, le ministère de la Justice m'a invité à faire partie d'un groupe de travail étudiant les mesures législatives dans le domaine. Les travaux en question ont fini par aboutir au projet de loi C-104 sur le régime de contrôle des empreintes génétiques. En 1995, le ministère du Solliciteur général a créé un groupe de travail. On m'a invité à en faire partie. En 1996, je faisais partie de l'équipe d'experts-conseils de la banque de données génétiques qui a parcouru le pays. Je travaille dans ce domaine depuis.

M. Ron Fourney, chercheur, banque de données génétiques et méthodes d'identification par les empreintes génétiques: Madame la présidente, honorables sénateurs, c'est bel et bien un privilège pour moi de me retrouver ici ce soir. Comme je suis biologiste des molécules, je ne suis pas ici dans mon élément. Je n'ai jamais même visité le Sénat; encore moins ai-je servi de témoin dans un tel endroit. Les gens ont posé toutes sortes de questions intéressantes cet après-midi, dont bon nombre étaient d'ordre technique.

J'ai pris la liberté de refaire en entier mon exposé pendant que vous soupiez, et j'ai inclus un grand nombre de diapositives qui, j'espère, éclaireront certains points techniques et serviront peut-être à répondre à certaines des questions que vous avez posées cet après-midi. Je répondrai avec plaisir à toutes les questions que vous voudrez bien me poser par la suite. J'ai remis certains documents au greffier. Il y en a un en français et en anglais sur la banque nationale de données génétiques. L'autre est un article de fond que j'ai écrit pour une revue américaine il y a quelques années à propos des notions de base de la génétique. Un grand nombre des questions que vous avez posées découlaient d'un intérêt porté à la technologie et à la façon dont elle sera appliquée. Il importe de reconnaître la façon dont nous harnachons cette technologie.

Contrairement à M. Gaudette, j'ai un travail qui est relativement simple. Je suis censé mettre la science au service de la justice au Canada. Vous avez une tâche difficile: régler certaines de ces questions et mettre la science au service du législateur.

Comme M. Gaudette vous l'a dit, je fais partie d'une division unique à la GRC. Nous avons pour responsabilité de harnacher la science, et en particulier les techniques d'identification par l'ADN, et de regarder comment elle peut s'appliquer au système canadien.

La science de l'ADN figure parmi les toutes premières techniques du domaine de l'expertise médico-légale. Les techniques d'identification par les empreintes génétiques sont pour ainsi dire nées en 1983, le 21 novembre, lorsque le corps d'une jeune fille de 15 ans, Linda Mann, a été retrouvé à 15 pieds du point de départ d'un sentier situé à quelques milles de Leicester, en Angleterre. À ce moment-là, après avoir effectué tous les tests connus -- et l'ADN ne servait pas à ce moment-là --, les autorités ont pu ramener le nombre possible de suspects à environ 10 p. 100 de la population masculine de l'Angleterre. Ce n'était pas très discriminant. Trois ans plus tard, une autre jeune victime, Dawn Ashworth, était retrouvée assassinée à environ cinq milles de là. La même situation s'appliquait. Les tests effectués à l'époque consistaient en une analyse de protéines; essentiellement, cela représentait 10 p. 100 de la population masculine.

Un généticien de Leicester du nom d'Alec Jeffries -- il s'appelle maintenant sir Alec Jeffries, car ses travaux sur l'identification par les empreintes génétiques lui ont valu le titre de chevalier -- travaillait à une étude sur l'évolution. Il souhaitait savoir comment les gènes, les éléments constitutifs de l'édifice génétique qui codifie les fonctions de base de l'organisme, évoluaient. De fait, il a trouvé un morceau d'ADN qui semblait varier d'une personne à l'autre, et il s'est concentré là-dessus. Voilà le récit et en même temps l'histoire de l'identification par les empreintes génétiques; c'était la toute première fois que cela était utilisé. Peu de temps après le deuxième meurtre, un jeune garçon de cuisine a été arrêté. Je crois qu'il a signé une confession. Il connaissait la deuxième victime. On a réussi à établir qu'il se trouvait près du lieu du crime. La police croyait avoir mis la main sur le coupable. Lorsqu'il a appliqué sa technique d'analyse, M. Jeffries a permis de répondre à deux questions très importantes. D'abord, les deux adolescentes avaient été agressées et assassinées par la même personne. Ensuite, les autorités avaient arrêté la mauvaise personne. Le 21 novembre 1986, le garçon de cuisine a été au centre d'une première dans les annales judiciaires: c'était la première fois que des éléments de preuve génétiques servaient à exonérer quelqu'un.

Pendant que je vous parle de cette technique, vous devez vous rappeler qu'il s'agit d'une arme à deux tranchants. Elle révèle des renseignements qui permettent d'intenter des poursuites, mais c'est en même temps le tout premier instrument d'exonération qui s'utilise dans le domaine de l'expertise médico-légale de nos jours.

Voici à quoi ressemble l'ADN. ADN veut dire acide désoxyribonucléique. C'est une molécule tout à fait unique de votre organisme qui a seulement trois constituants, une base organique de sucre et un fond de phosphate. L'important ici, c'est que l'ADN nous permet d'accomplir certaines tâches extrêmement importantes en expertise médico-légale.

Essentiellement, la molécule d'ADN ressemble à une double hélice. On en hérite la moitié de sa mère, et la moitié de son père. En définitive, c'est une molécule très compliquée. Du point de vue de l'identification aux fins de l'expertise médico-légale, la technique est très discriminante. Il n'y a pas deux personnes sur terre qui possèdent les mêmes empreintes génétiques, sauf les jumeaux identiques, qui sont en fait des clones.

La continuité génétique est extrêmement importante du point de vue de la continuité médico-légale. L'ADN que vous avez à la naissance, c'est l'ADN que vous aurez à votre mort. Chacune des cellules de votre corps possède la même molécule d'ADN.

La technique est précise. Nous n'avons pas besoin de beaucoup de matériel. La technique évolue en partie du fait que nous pouvons en faire beaucoup plus avec les traces d'ADN laissés sur les lieux d'un crime, et c'est en partie en raison de sa stabilité. C'est un élément clé de l'expertise médico-légale. Nous nous penchons sur des affaires qui remontent maintenant jusqu'à 17 ou 20 ans, et encore plus, à l'aide de vieilles taches trouvées sur les lieux du crime. Nous sommes en mesure de faire une analyse et d'établir des éléments de preuve génétiques, et, dans certains cas, de faire exonérer certaines personnes.

Notre travail consiste à identifier des êtres humains. Les deux jeunes agents du FBI que vous voyez ici à l'entraînement à Quantico se composent de molécules d'ADN. Nous connaissons un certain nombre de choses sur eux. Ce sont probablement des frères et, de fait, ils ont hérité de leur mère et de leur père une partie de leur ADN de base, c'est-à-dire la carte de leurs gènes. Ils en ont obtenu une bande du père et une bande de la mère.

Je suis heureux du résultat particulier que nous voyons ici. D'abord, ce sont mes enfants. Je ne me souciais pas vraiment d'une question de paternité, mais nous avons ici une situation qui montre clairement, du point de vue génétique, l'importance de l'ADN. Votre mère et votre père vous en laissent un ADN différent. Ces individus sont vraiment uniques, mais leur patrimoine biologique permet de les distinguer. Cela témoigne d'une certaine continuité des gènes. C'est une technique très sensible, très unique et très discriminante.

Depuis 10 ans, nous avons mis au point plusieurs techniques à cet égard. La rapidité constatée dans l'évolution des techniques est l'une des raisons pour lesquelles nous souhaitons établir une banque de données et conserver certains des échantillons. Il n'y a probablement pas d'autres domaines, outre l'informatique, qui ait évolué à un rythme aussi rapide que la biotechnologie. Je suis biologiste des molécules. Il y a dix ou 12 ans, au moment où mon travail concernait le diagnostic des cas de cancer et l'évolution des molécules, il y avait toutes sortes de tâches que je faisais manuellement et qui sont maintenant faites par des machines.

La deuxième grande génération ou révolution technologique, c'est ce que nous avons appelé la réaction en chaîne préliminaire. En 1993, Kary Mullis a obtenu le Prix Nobel pour son travail là-dessus. Je vais essayer de simplifier les choses pour vous montrer en quoi il importe que la technologie appliquée à la banque de données soit la même que celle que nous appliquons aux affaires criminelles.

La réaction en chaîne préliminaire est beaucoup plus rapide comme technique que ce que nous utilisions auparavant. Lorsque nous avons commencé cela il y a dix ans, il nous fallait un échantillon de sang de la taille d'une pièce de vingt-cinq cents. Maintenant, une très petite quantité suffit. La quantité qui reste sur la tête d'une épingle suffirait. Cela fonctionne extrêmement bien lorsque le matériel s'est dégradé. C'est une technique nouvelle qui fonctionne bien même lorsque l'affaire en cause n'est pas récente. C'est excellent du point de vue d'une banque de données, car il ne faut qu'une petite quantité, et c'est très rapide. Cela se prête à l'automatisation, et l'automatisation permet de mettre en place certaines mesures d'assurance de la qualité.

Je vais faire un survol du projet de banque nationale de données génétiques pour vous expliquer certains de nos objectifs et pour montrer comment nous entendons harnacher cette technologie. C'est la technologie qui a servi aux opérations Tempête du désert et Bouclier du désert, pour identifier les pertes subies durant les guerres en question. Lorsqu'un véhicule blindé de transport des troupes a été frappé par un missile, par exemple, cinq personnes ont péri, et le plus gros «morceau» qui restait était probablement de la taille de votre main. Grâce à cette technique, même après l'incinération et la dévastation totale d'êtres humains, on a pu savoir de qui il s'agissait. C'est un outil très puissant.

La technologie possède des applications en anthropologie moléculaire. À notre avis, l'homme que nous voyons ici n'a pas été assassiné, mais nous savons tout de même qu'il a environ 4 500 ans. Il s'agit de «l'homme des glaces» retrouvé au point de convergence de l'Italie, de l'Allemagne et de l'Autriche. À l'heure actuelle, les scientifiques d'Autriche, d'Italie et d'Allemagne étudient les profils d'identification génétique établis en rapport avec l'homme des glaces pour déterminer en quoi nous avons évolué depuis quatre ou cinq mille ans.

La technologie a aussi servi à identifier les dernières traces de la famille royale de Russie, le tsar Nicolas et sa famille. Ce travail s'est fait au Forensic Science Service, au Royaume-Uni. Après 70 ans ou plus, en travaillant sur des échantillons qui avaient été brûlés, enterrés par deux fois et sur lesquels on avait versé de l'acide, les scientifiques ont pu trouver un échantillon d'ADN qui leur a permis d'identifier les personnes en question.

Nous avons recouru à cette technologie pour identifier 222 personnes mortes à bord du vol 111 de la Swissair le 2 septembre. Mon groupe à moi et le personnel entier du laboratoire judiciaire de la GRC, aussi bien que celui du Centre des sciences judiciaires de Toronto, ont eu pour tâche de créer un groupe de travail national dont le mandat consistait à identifier les victimes. Nous avons étudié 1 206 échantillons prélevés sur les lieux de l'écrasement, 298 échantillons familiaux -- c'est-à-dire des échantillons provenant de personnes ayant un lien de parenté avec celles qui ont péri -- et 89 effets personnels comme des brosses à cheveux, des sucettes pour bébé, des couvertures et des jouets préférés des enfants. À l'aide des techniques d'identification par les empreintes génétiques et d'autres méthodes actuelles, par exemple l'étude des fiches dentaires, des radiographies et des empreintes digitales, nous avons réussi jusqu'à maintenant à identifier les 222 passagers, sauf six. Il y avait des jumeaux identiques à bord du vol. Le mieux qu'on a pu faire, c'est de déterminer qu'il s'agissait de jumeaux identiques, et nous savions qui étaient leurs parents. Ces gens sont en voie d'être avisés.

Dans ce cas, la technique d'identification a été appliquée avec succès. C'était une méthode uniforme, utilisée sur une échelle sans précédent pour ce qui est des grandes catastrophes à ce jour. La même servira dans le cas de la banque nationale de données génétiques.

Cette technologie nous permettra aussi d'obtenir des éléments de preuve génétiques à partir de «supports» comme une tache de sang. Les vieux os, les mégots de cigarette, les timbres-poste et la gomme à mâcher fournissent tous des renseignements clés lorsqu'ils sont laissés sur les lieux d'un crime.

Je vais essayer d'expliquer plus simplement la technologie. Nous examinons les pièces déposées en preuve et nous effectuons un test de présomption qui nous permet de voir s'il y avait du sang, de la salive ou du sperme. Nous isolons l'ADN et la débarrassons des protéines et des constituants moléculaires et cellulaires. Nous la mettons alors dans un thermocycleur, qui est une sorte de photocopieur moléculaire. En ajoutant des enzymes et des colorants distincts, nous sommes en mesure d'amplifier les morceaux uniques d'ADN qui distinguent la personne de son frère et de son voisin, et qui en font un être humain unique. Le matériel est passé dans un séquenceur.

Nous allons approfondir cela, parce que certaines des questions posées cet après-midi visaient à cerner les limites techniques de la technologie et à déterminer pourquoi nous ne pouvons dissocier un élément de l'ADN de l'ensemble du puzzle. Cela donne un joli motif comme celui-ci, et toute l'information est intégrée à une banque de données numérisée grâce à l'informatique.

Je ne vais pas m'étendre là-dessus, mais disons que nous opérons une scission des morceaux d'ADN. Les zones jaunes et oranges sont les morceaux qui diffèrent d'une personne à l'autre. Nous les amplifions alors à l'aide d'enzymes, pour en faire d'autres copies. Cela nous permettra d'obtenir d'autres renseignements à partir d'une plus petite quantité de matériel.

Le sénateur Beaudoin: Comment appelez-vous cela?

M. Fourney: Cela s'appelle une réaction en chaîne préliminaire, ou PCR. C'est probablement la technique la plus importante qui ait été mise au point au cours de notre siècle. Cela permettra à des gens de faire des milliards de dollars, et ce sera l'outil de diagnostic de l'avenir. C'est certainement l'élément clé parmi les applications de la criminalistique de nos jours.

Voici à quoi ressemble un photocopieur moléculaire. Nous mettons tous les ingrédients dans une éprouvette, y compris l'amorce cible -- par exemple, le morceau d'ADN que nous avons prélevé sur les lieux du crime, et nous l'amplifions.

Ceci est un véritable séquenceur. Voici le genre d'équipement que nous utilisons pour pouvoir nous en servir. Je vais vous montrer comment cela est raccordé à un ordinateur. Il y a une grande plaque ici. Nous séparons les éléments de l'ADN en fragments de tailles différentes par électrophorèse. C'est comme une course moléculaire. Nous découpons l'ADN en petits morceaux, mais ce sont des morceaux de diverses tailles. Nous les mettons sur un gel d'acrylamide entre deux plaques de verre. C'est comme couler du ciment, sauf qu'il s'agit d'une solution claire. Nous appliquons alors un courant, et il y alors cette course moléculaire. Les petits morceaux se dirigent vers le bas plus rapidement que les gros. Cela permet de récupérer l'ADN en différents fragments.

C'est la technique que nous utilisons de nos jours. Il y a neuf tests distincts ici. Sur l'image que vous voyez en ce moment, il est probable que vous puissiez à peine voir qu'il y a deux bandes, par opposition à une seule. Cette personne est un homme et les autres sont toutes des femmes. Cela permet de distinguer entre les chromosomes X et les chromosomes Y. Si vous avez un chromosome en Y, nous présumons que vous êtes un homme, et il y aura deux bandes; si vous êtes une femme, il n'y aura qu'une seule bande. Tous les autres tests et les diverses couleurs s'alignent de sorte que les plus gros sont en haut, et les plus petits, en bas. Les rouges que l'on voit ici sont comme des règles qui nous permettent de mesurer la taille du fragment. Chacun de ces tests est lié de façon unique à un individu. Deux personnes peuvent avoir le même motif. Toutefois, si on assemble neuf de ces motifs, le pouvoir discriminant est de l'ordre de 1 sur 93 milliards. Le motif le plus répandu auquel nous pouvons nous attendre dans le cas de la population blanche du Canada est de l'ordre de 180 millions. C'est une technologie puissante.

Quand je m'adresse aux camarades de classe de mes fils, qui sont en sixième et en huitième année, je compare l'ADN à des blocs de construction. Essentiellement, c'est cela de l'ADN. C'est la carte de votre territoire génétique. Vous avez trois milliards de morceaux d'ADN pris ensemble dans vos chromosomes, dans chacune de vos cellules. Si nous disons que des blocs Lego de trois centimètres représentent l'ADN qui se trouve dans vos cellules, vous auriez suffisamment d'ADN, ou de blocs Lego, pour couvrir 90 000 kilomètres de côte -- c'est-à-dire l'intégralité de la côte du Canada. De cet assemblage de blocs Lego génétiques qui fait 90 000 kilomètres, il n'y a que 90 kilomètres qui font la différence entre deux personnes. Environ 0,1 p. 100 de l'ADN diffère d'une personne à l'autre. À titre d'expert en criminalistique, je m'intéresse aux différences entre les gens.

En diagnostic moléculaire et en médecine, on cherche souvent d'autres composants. Toutefois, les gens qui s'intéressent à l'application ou à l'évolution de l'ADN recherchent des morceaux d'ADN qui ne codent pour rien, qui sont essentiellement anonymes. Or, ils peuvent différer d'une personne à l'autre. Quelque chose d'important ne sera pas différent. Si c'est suffisamment important pour qu'il y ait l'hémoglobine voulue dans le bassin génétique, cela ne changera pas, sinon il y aurait un effet dramatique.

Aujourd'hui, nous en savons beaucoup au sujet de l'ADN. Les scientifiques du monde entier essaient d'établir la séquence du code génétique entier de l'être humain. C'est le plus grand projet scientifique de l'heure. En fait, c'est probablement plus vaste que le programme aérospatial des États-Unis. On veut aligner les trois milliards de blocs Lego et essayer de déterminer lesquels codent pour une prédisposition au cancer du sein et ainsi de suite. C'est à cela que je m'intéressais avant d'arriver en criminalistique.

Comme je l'ai dit, à titre d'experts en criminalistique, nous nous intéressons à tout ce qui code pour rien. Autrement dit, nous étudions des morceaux anonymes d'ADN. De par une convention internationale adoptée à Venise en 1993, les experts en criminalistique du monde entier conviennent d'utiliser des marqueurs de STR -- c'est-à-dire séquence courte répétée en tandem -- ou des morceaux d'ADN. Par convention, les seuls cas permis en criminalistique sont ceux qui ne permettent pas de prédire des caractéristiques médicales, physiques ou mentales.

Nous avons créé des groupes de travail et des associations professionnelles non seulement de concert avec nos homologues de la criminalistique, mais aussi avec des spécialistes de grand renom dans le domaine de la génétique des populations, des spécialistes du cancer et des applications médicales, même des spécialistes du domaine agricole et de la médecine vétérinaire. Nous souhaitons travailler de concert avec des gens pour élaborer des normes.

Nous sommes membres du Groupe de travail technique sur les méthodes d'analyse de l'ADN. Il s'agit d'un groupe parrainé en Amérique du Nord dont se charge le FBI. Les gens de quelque 40 laboratoires se réunissent. Nous étudions des problèmes, nous essayons de régler des préoccupations et des questions semblables à celles que vous avez évoquées cet après-midi.

Nous le faisons du point de vue d'une application scientifique, technique et criminalistique. Nos groupes de travail nous permettent d'avoir des conventions pour ce qui est de nommer les morceaux d'ADN, d'uniformiser et d'établir des procédures précises. Nous voulons partager des banques de données à l'avenir, dans la mesure où il existe des mesures de protection. Si nous n'élaborons pas les données selon la même approche, nous ne pourrons jamais les mettre en commun. Il importe pour nous qu'il y ait certaines normes. Certaines mesures d'assurance de la qualité nous permettent de faire cela.

La GRC compte six laboratoires judiciaires. Nous en avons un ici à Ottawa, et il y en a deux dans les provinces, un à Montréal et un à Toronto. En tant que groupe, nous échangeons aussi des renseignements. Nous venons d'avoir une réunion en octobre pour étudier certains aspects de l'identification par les empreintes génétiques.

De même, nous collaborons avec 26 autres laboratoires judiciaires en Amérique du Nord, notamment au FBI, et nous étudions un grand nombre de morceaux d'ADN anonymes. Nous avons adopté 13 séries de normes qui sont appliquées et utilisées en Amérique du Nord. Nombre d'entre elles sont aussi appliquées et utilisées en Europe.

S'il est judicieux d'accepter ces normes, c'est en partie parce que nous pouvons préciser certaines mesures scientifiques et d'assurance de la qualité qui constituent des mesures de protection. La question de la protection des renseignements génétiques est soulevée ici. Lorsque les spécialistes de la génétique moléculaire ou de la génétique des populations humaines parlent, par exemple, même à votre groupe, ils se préoccupent de certaines parties de l'ADN, mais nous avons déjà étudié des normes avec les experts du monde. Ce sont tout à fait les morceaux d'ADN qu'il nous faut regarder, particulièrement parce qu'ils ne codent pour aucune fonction connue.

Dans le contexte, nous avons conçu deux mécanismes et 13 systèmes. Voilà à quoi ça ressemble dans un gel, séparé en fragments, et c'est exactement la technologie que nous avons appliquée pour identifier les victimes de l'écrasement de l'avion de la Swissair.

Quand je travaillais en diagnostic du cancer, les échantillons que j'obtenais étaient congelés dans de l'azote liquide et m'étaient remis par une infirmière venue de la salle de l'opération. Je me rendais dans mon labo, je procédais à l'extraction de l'ADN et je recherchais des prédispositions pour un facteur susceptible de déclencher le cancer du sein. À titre d'experts en criminalistique, nous étudions des échantillons qui ont été enterrés, puis déterrés vingt ans plus tard, exposés aux agressions de l'homme, du feu, de produits chimiques. Ils sont aussi exposés aux agressions de l'environnement, comme c'était le cas pour les échantillons du vol 111 de la Swissair, qui sont demeurés sous la surface de l'Atlantique à 190 pieds pendant deux mois.

Les procédés que nous appliquons supposent d'innombrables vérifications, validations et tests. Lorsque nous nous entendons sur une série de locus STR, ou encore sur une série de tests d'ADN, ce n'est pas parce que nous avons procédé à la légère. Nous travaillons à cela depuis 1990, et nous commençons à peine à trouver des procédés suffisamment robustes pour servir dans une banque de données.

Du point de vue d'un chercheur qui provient du milieu universitaire, je crois qu'il faut demander aux scientifiques combien de fois ils ont mis à l'épreuve leurs procédés sous l'eau, combien de fois ils ont exposé cela à des produits chimiques, aux rayons solaires, et tout le reste, sur une période donnée -- trois, quatre, six ou dix ans. Les procédés doivent fonctionner et produire les bons résultats.

Quant à la banque nationale de données génétiques et au progrès de la technologie, une des questions qui a été posées concerne la raison pour laquelle nous voudrions conserver des échantillons. Étant donné la rapidité avec laquelle la technologie évolue, nous voulons être en mesure d'utiliser les meilleurs procédés possibles, non seulement sur le plan scientifique, mais aussi sur le plan légal, et peut-être même du point de vue de la sécurité. Par exemple, si pour une raison ou une autre quelqu'un découvre que vous avez une prédisposition à la schizophrénie, c'est un test que nous ne pouvons plus utiliser. Il nous faut en trouver un nouveau. Nous devons revenir sur nos pas et réétudier la question. Par conséquent, il devient très important pour nous d'être en mesure de procéder à un rééchantillonnage.

Je vais vous donner une idée de la vitesse à laquelle cela a évolué. Lorsque je travaillais pour l'Alberta Cancer Board, nous avons étudié ce genre de profil d'identification génétique. Imaginez que vous devez aller devant un tribunal pour établir qu'il y a telle ou telle concordance. Nous avions de la difficulté. On en a été réduit à quelque chose comme cela en quelques années.

Voici un exemple de RFLP -- ou polymorphisme de taille des fragments de restriction -- qui remonte à 1989. Il s'agit de taches de sang retrouvées dans le coffre d'une voiture. Elles concordaient avec une dent que nous avons retirée d'une benne à ordures où le corps d'une jeune femme avait été incinéré avec plusieurs gallons d'essence et réduit à quelques livres d'ossements. Nous avons trouvé quelques dents. Nous avons pu en soutirer la moelle osseuse et établir un profil d'identification génétique qui nous a permis de faire le lien avec la voiture de la victime, dans laquelle le corps a été transporté. C'est une excellente technologie qui permet d'arriver à un résultat lorsque l'échantillon est très difficile.

Il y a moins de dix ans, il nous fallait huit ou neuf semaines pour réaliser un test. Aujourd'hui, nous appliquons un procédé qui nous permet de traiter 1 204 échantillons en moins de deux mois à l'aide de neuf tests simultanés, grâce à un marqueur fluorescent, la qualité de tout cela étant assurée du point de vue du séquençage. Pour montrer encore à quel point cette technologie a évolué rapidement, le premier thermocycleur que j'ai utilisé durant mes études postdoctorales est maintenant exposé au musée des sciences de la Grande-Bretagne. Essentiellement, ce qu'il faut savoir, c'est que cette technologie est extrêmement puissante.

Nous nous rendions sur les lieux d'un crime, nous choisissions les échantillons les plus importants et nous classions les autres. Les échantillons discriminants qui se révèlent importants à une affaire seront traités au laboratoire judiciaire, étiquetés comme il se doit et passés dans le séquenceur, ce qui donne ce genre de format de gel, ce profil chromatique. Nous pouvons faire mieux. Nous pouvons reproduire cette séquence très compliquée. Par exemple, dans ce cas, une affaire d'agression sexuelle, la personne 9 correspond à la personne 11. La victime, de fait, est la personne 10. Nous avons pu isoler l'ADN dans le sperme de l'homme et le prélèvement vaginal effectué sur la femme. L'ADN prélevé dans la tache de sperme contenait des spermatozoïdes concordant avec ceux de l'accusé, ici. La personne arrêtée a été exonérée. Il y a des normes de contrôle.

Nous pouvons faire en sorte que les procédés et les résultats ressemblent à cela. Nous n'avons pas besoin d'un cliché de gel. Nous utilisons les profils eux-mêmes. On n'a pas besoin de s'y exercer longtemps pour déceler le fait que ces deux profils sont très semblables et que celui-ci est exclu d'office. Encore une fois, c'est une technologie très importante pour exonérer les personnes accusées.

Revenons à ce que nous faisons de la technologie elle-même. Il existe différentes façons d'exploiter l'information génétique. Outre le fait qu'il s'agit de morceaux anonymes d'ADN, nous pouvons prendre ces données brutes, appliquer le processus et en arriver à une séquence qui représente essentiellement une série de chiffres. La séquence génétique dans son intégralité apparaît maintenant sous la forme d'une série de chiffres. C'est ce qui nous servira dans la banque nationale de données génétiques. Nous ne portons un intérêt qu'à l'ADN discriminant spécifique à un individu. Le stockage des profils servant à la concordance sera vraiment cette série de chiffres, qui ressemble à un code à barres.

Je tiens aussi à souligner que la technologie utilisée pour décrypter l'ADN a aussi fait beaucoup de chemin. Nous pouvons nous servir d'un buvard taché de sang ou d'un écouvillon ayant servi à un prélèvement à l'intérieur de la bouche ou même d'un cheveu pour la banque de données. J'ai des trousses d'échantillons si vous voulez voir. Ces trousses ont servi dans l'enquête sur la catastrophe de la Swissair. Il nous a fallu envoyer plusieurs centaines de cartes d'échantillons dans 12 pays différents pour essayer d'obtenir des normes de référence des parents. Les frères, les soeurs, les mères, les pères, les grands-parents ont utilisé ces cartes pour faire des prélèvements.

À l'aide d'un poinçon, nous avons découpé un morceau de un millimètre de cette tache de sang. C'est tout ce qu'il nous fallait pour produire un profil. Encore là, nous n'avons utilisé qu'un trois centième du volume total. Nous utilisons une très faible partie de l'échantillon, et c'est contrôlé d'une façon qui ne permettra de produire qu'un genre précis de renseignements.

La banque de données génétiques est ce que j'appellerais la prochaine révolution de l'identification en criminalistique. Avant, nous avions les enquêtes opérationnelles. Maintenant, nous avons une banque de données pour les enquêtes criminalistiques. Voilà tout à fait de quoi il s'agit: un instrument d'enquête. Nous en ferons une ressource pour comparer les lieux de crimes commis partout au pays et aussi pour comparer les motifs antérieurs des profils d'identification génétique de condamnés. N'oubliez pas, ces gens ont été condamnés pour avoir commis une infraction criminelle désignée.

La banque de données elle-même peut servir à faire le lien entre des actes criminels ou à aiguiller l'enquêteur vers un contrevenant particulier. Tout autre traitement devant un tribunal, du point de vue opérationnel en criminalistique, obligera à retourner auprès de l'individu pour obtenir un échantillon d'ADN. C'est cet échantillon qui est traité à nouveau pour l'enquête criminalistique.

La banque de données est comme une bibliothèque. C'est pour orienter les gens dans la bonne direction. On n'y trouve pas de renseignements personnels ni de renseignements sur les lieux d'un crime donné. On n'y trouve pas de renseignements sur une maladie connue, sur des caractéristiques physiques ou mentales. C'est vraiment de l'ADN anonyme.

Le fichier des contrevenants est un instrument qui est utilisé par d'autres pays. Comme un de mes collègues l'a dit aujourd'hui, à l'inverse du Forensic Science Service, qui peut obtenir des renseignements sur un suspect, au Canada, nous pouvons seulement élaborer un fichier de condamnés lorsqu'une personne est accusée formellement d'un crime. Le fichier de criminalistique renferme des morceaux d'ADN anonyme retrouvés sur les lieux d'un crime.

Nous prédisons qu'il y aura environ 18 700 infractions primaires par année et jusqu'à 94 000 infractions secondaires. Cela représente un grand nombre d'infractions secondaires, mais c'est à la discrétion du juge. Si nous présumons que cela représente 10 p. 100 de ce que nous allons peut-être voir, on peut calculer une moyenne de 28 000 échantillons traités par année.

La prochaine diapo est si chargée que je ne vais pas entrer dans le détail. Cela illustre les chiffres donnés dans la documentation remise. On y expose ce qui se passe sur les lieux du crime et on y expose le traitement. Enfin, on arrive à la façon dont la recherche se fera vraiment. Parlons maintenant de cela.

En ce qui concerne les lieux du crime, le laboratoire élaborera un profil. Essentiellement, il n'y a pas d'idée préconçue quant à la concordance. C'est un profil d'identification génétique établi sur les lieux d'un crime. Ce sera soumis seulement sous forme de caractères alphanumériques, de numéros de codes à barres. Il y aura un identificateur unique qui nommera l'organisme faisant la demande. Cela pourrait être le Centre des sciences judiciaires de Toronto. Par exemple, voici l'identificateur de l'échantillon, le Centre des sciences judiciaires, et le dossier de référence en question. Tous les renseignements pertinents relatifs à l'échantillon prélevé sur les lieux du crime n'existent pas dans la banque nationale de données. Cela se trouve dans le dossier de référence de l'organisme. On y trouvera la date de soumission et ce profil génétique. C'est ce qui sera recherché dans la banque de données.

Tout ce que je peux vous dire, du point de vue criminalistique, c'est d'où cela est venu et qui l'a soumis. Je peux aussi vous donner le code à barres numérisé, qui ne code pour aucune caractéristique médicale, physique ou mentale connue. Je ne saurais vous dire s'il s'agit de sang ou de sperme, ni vous dire de qui il s'agit. Je ne peux pas vous dire si c'est très ancien. Toute cette information se trouve au laboratoire opérationnel, car c'est à lui qu'appartient le dossier de référence.

Un chiffre semblable pourrait provenir du Centre des sciences judiciaires. Plus tôt, notre laboratoire judiciaire à Vancouver a peut-être soumis un autre échantillon en rapport avec les lieux d'un crime. Et bien, voilà qu'il y a concordance. Nous établissons la concordance, puis nous avisons les laboratoires ayant soumis la demande. Il leur appartient alors de poursuivre l'affaire, de préparer un renvoi et d'obtenir d'autres échantillons pour poursuivre l'enquête. Essentiellement, nous avons ici un centre d'information.

La diapo devrait se lire «convicted criminel offender index». Si la comparaison avec la personne ayant déjà fait l'objet d'un traitement dans le fichier des condamnés est concluante, nous allons seulement pouvoir identifier cette personne en recourant au dossier judiciaire, tenu dans une autre division. Là, les gens pourront aviser le laboratoire.

À ce moment-là, les responsables de la banque nationale de données génétiques ne savent pas de qui proviennent les échantillons dans le fichier des condamnés. Nous évitons les conflits d'intérêts: nous ne voulons pas connaître le nom de la personne qui a contribué au profil génétique. Il est seulement possible de le décrypter si le même numéro d'empreinte digitale peut être décrypté. Il faut que cela passe par un autre organisme, dans le cas qui nous occupe, les responsables du fichier des condamnés.

Parlons des considérations touchant la protection des renseignements génétiques personnels. J'ai été intéressé par les préoccupations que vous avez soulevées, qui me paraissent justifiées. En tant que scientifique, j'ai une perspective un peu différente. Je crois qu'il y a quatre aspects à la protection des renseignements personnels -- l'aspect scientifique, l'aspect juridique, l'aspect logistique et l'aspect matériel.

Quant à l'aspect scientifique, il n'y a que 0,1 p. 100 de l'ADN total des êtres humains qui varie d'une personne à l'autre. On ne cherche pas à savoir si vous souffrez de schizophrénie, ou encore si vous avez une prédisposition au cancer du sein, ou tout autre attribut physique ou mental. Nous recherchons les variations du profil personnel qui sont vraiment uniques. Celles qui ne codent pas pour quoi que ce soit. Il existe très peu d'aires de l'ADN humain qui sont suffisamment discriminantes et que nous avons validées à cette fin. Aucune des aires ne code pour une autre affection. C'est une question tout à fait différente d'un point de vue médical.

Lorsque le Dr Robert Korneluk a décelé le gène de la dystrophie myotonique au CHEO, à Ottawa, il a étudié les antécédents familiaux à la recherche de concordances, de similitudes et de différences entre les porteurs du gène. Cela ne nous intéresse pas: ce n'est pas suffisamment discriminant. Les anomalies mentales, physiques ou médicales ne nous concernent pas.

Du fait d'une entente internationale, les normes pour les STR et les empreintes génétiques sont rigoureusement établies. En application d'une entente internationale et en collaboration avec des scientifiques de premier plan dans les domaines de la biologie de la génétique humaine, de l'étude biologique des populations et de la biologie moléculaire appliquée à la médecine, on a adopté une série de lignes directrices rigoureuses concernant l'utilisation faite de l'ADN aux fins des analyses judiciaires. Nous avons participé à la rédaction de ces documents dans le contexte des travaux du Groupe de travail technique sur les méthodes d'analyse de l'ADN aussi bien qu'au sein d'autres organismes internationaux.

Du point de vue juridique, tout usage non autorisé du profil d'identification génétique et (ou) des échantillons constituera une infraction pénale.

D'un point de vue logistique, la seule façon d'identifier un quelconque échantillon parmi ceux qui sont versés dans la banque nationale de données consiste à utiliser un numéro de référence d'empreintes digitales dans la mesure où les substances sont prélevées sur un condamné. Les prélèvements faits sur les lieux d'un crime ne renferment que des renseignements précis, dont aucun ne permettrait d'identifier l'individu, la nature de l'échantillon ou l'âge. Cette information n'est pas là.

La seule façon d'établir la correspondance consiste à utiliser un numéro d'identification dactyloscopique, dont se charge la Canadian Criminal Services Unit, qui tient les dossiers judiciaires au Canada.

D'un point de vue logistique, la banque nationale de données génétiques ne renferme aucun élément d'identification personnelle. Même si je voulais vous dire de qui il pourrait s'agir, je ne le pourrais pas.

Le sénateur Beaudoin: Pourquoi pas?

M. Fourney: La codification de tous les échantillons comprend l'établissement d'un numéro unique qui est contrôlé au laboratoire opérationnel chargé de l'étude des lieux du crime. Le prélèvement fait sur un condamné est traité au moyen d'un numéro d'identification dactyloscopique, auquel je n'ai pas accès, de sorte que je ne pourrais identifier la personne.

D'un point de vue matériel, l'accès à la banque de données et aux échantillons sera strictement limité. Pour des raisons de sécurité, nous sommes en train de construire un nouveau laboratoire, qui abritera la banque nationale de données génétiques. Une fois que cela sera fini, je vous inviterai tous à nous rendre visite.

Nous aurons des terminaux spéciaux protégés grâce à des mots de passe et à des restrictions d'entrée pour la transmission des données, et la transmission sera intégralement encodée. Même si les données passant par un terminal protégé étaient décryptées par quelqu'un qui réussit à s'infiltrer dans un laboratoire opérationnel, cela ne donnerait rien. Nous avons affaire à une série de morceaux anonymes d'ADN qui ne codent pour aucun attribut particulier.

Le décryptage des données interprétables exigerait l'accès au dossier judiciaire ou encore au dossier de référence initial. Ce serait encore plus difficile que d'essayer d'y accéder en passant par un laboratoire comme celui qui se charge de la banque nationale de données génétiques. En bref, l'accès est limité. Les données en elles-mêmes équivalent presque à de la non-information. Pour faire un lien avec une personne en particulier, il faut absolument disposer du dossier judiciaire ou du dossier de référence. Au bout du compte, il n'y a pas là de renseignements personnels.

En ce moment même, on se penche sur la question du pardon et de la banque nationale de données génétiques. Je peux vous dire comment cela pourrait fonctionner à mon avis.

Le CPIC -- le Centre d'information de la police canadienne -- recevra un «marqueur» indiquant qu'un individu figure désormais dans le fichier des condamnés. Le service chargé des cas de réhabilitation, au Centre d'information de la police canadienne, sera avisé du fait que le contrevenant a reçu son pardon. Le service en question avisera les responsables de la banque nationale de données de supprimer le lien avec la banque de données, et il ne restera ni nom ni accès pour ce qui touche les données génétiques. On consignera en bonne et due forme le fait que toute l'information et toutes les voies d'accès ont été supprimées.

Lorsqu'un individu est condamné, un agent dûment formé des services d'application de la loi -- ou encore du personnel médical dans le cas du Québec -- entrera en jeu muni d'une formule autorisant le prélèvement d'échantillons et une fiche de prélèvement de taches de sang. La formule servira à consigner tous les antécédents personnels de l'individu. On prendra ses empreintes digitales, auxquelles sera assigné un numéro d'identification unique. Pour référence, cela s'appelle le numéro de référence des banques de données. Le numéro de référence en question sera inscrit sur la fiche de prélèvement qui permet de recueillir l'échantillon.

Les renseignements personnels, accompagnés du numéro d'identification unique, sont transmis au service de l'information criminelle. Aux fins du traitement de l'ADN, les responsables de la banque nationale de données génétiques recevront cette fiche avec ce numéro particulier.

Le numéro d'identification dactyloscopique, validé par les services d'information dactyloscopique automatisés, confirmera le fait que l'échantillon provient bel et bien de l'individu en question, par référence à ses empreintes digitales, qu'il ne s'agit pas d'un pseudonyme, que ce n'est pas quelqu'un d'autre qui est venu offrir l'échantillon. Il y a eu des cas où les gens ont essayé d'échanger les échantillons au moment de les donner. Il y aura une correspondance établie avec notre numéro de référence. L'échantillon biologique est traité au moyen de l'identification génétique une fois que les responsables ont vérifié le numéro d'identification dactyloscopique.

Ce n'est que par référence à ce numéro unique particulier qu'on aura accès aux renseignements génétiques, ou encore par l'utilisation du numéro d'identification dactyloscopique.

De cette façon, nous contrôlons l'accès à l'information. La banque nationale de données génétiques ne donne pas l'identité de l'individu. Tout ce que nous avons, c'est le numéro de l'échantillon, et non pas un élément d'identification personnelle.

Parlons maintenant de la suppression de l'information. Au cours des cinq prochaines minutes, je vais essayer de faire de vous des experts.

Vous avez ici l'image d'un séquenceur d'ADN, valant autour de 180 000 $. Nous en avons 12 dans le réseau de la GRC. Il y a la même technologie dans les laboratoires de Toronto et de Montréal.

Au bas, il y a un petit laser. À mesure que passent les fragments d'ADN, ce laser excite la molécule fluorescente, et cela donne une image que capte la caméra. En fait, c'est un dispositif à couplage de charge.

L'image est balayée 40 fois à la minute, c'est-à-dire une fois toutes les 1,5 secondes. Le laser va et vient. On voit ici la caméra, le laser et les fragments de gel. Je vous ai parlé déjà de la course des molécules. Elles sont là en haut. Un courant électrique est appliqué. À mesure que le laser excite les différentes couleurs devant cette «lucarne», l'appareil prend une photo et saisit l'information génétique.

C'est une cible mouvante. Les petits fragments se poussent d'abord, et les plus gros demeurent en haut. C'est une façon commode de séparer l'ADN en morceaux représentés sous forme de données numériques. Imaginez un fragment qui passe. Vous voyez le laser et le gel. À la 20e minute, le rouge n'a pas encore bougé. À la 26e minute, le rouge commence à peine à bouger. À la 30e minute, le rouge est presque au bord du gel, et le bleu passe. À la 45e minute, nous avons presque entièrement retiré l'ADN du gel, passé ce laser. L'ADN passe et est capté par le laser.

La personne qui a conçu cette technique s'est rendu compte du fait que, plutôt que de balayer une bande, nous pouvions charger chacune d'entre elles comme s'il s'agissait d'une personne. Nous pouvons en charger 36. Or, la seule façon de saisir les 36 éléments d'information en mouvement, c'est de faire en sorte que le laser se déplace lui aussi.

Par conséquent, au bout de 0,3 seconde, il est à un point donné; au bout de 0,5 seconde, il est ailleurs, au bout de 0,75 seconde, il s'est encore déplacé; et ainsi de suite. Au bout de 1,5 seconde, il a commencé à revenir. Nous avons l'ADN qui se déplace dans un sens et le laser qui va et qui vient.

L'équipement organise le morceau d'ADN à mesure que celui-ci sort du cadre de la lucarne à la manière de perles colorées sur un fil. Vous voyez le dixième qui est sorti; le vingt-troisième, et ainsi de suite, jusqu'au cent quatre-vingt-treizième.

Imaginez les perles reliées sur un fil de façon à former un gel. Si on supprime le lien, en essayant de retirer une bande, tout se défait. On ne peut supprimer une bande, car on perd alors les 36 éléments d'information qui restent. C'est la limite technique dont je parlais.

Ce serait comme si on vous disait qu'il faut se débarrasser d'un dossier particulier qui se trouve dans un classeur, mais qu'il faut brûler le classeur en entier pour se débarrasser du seul et unique dossier. C'est tout à fait la même situation.

Nous proposons que ce numéro génétique unique soit associé à l'échantillon. Ce numéro nous donne la signification du motif. Si nous supprimons le lien au début et à la fin, l'information sera stockée. Je n'ai aucune idée du destinataire ni de la façon dont les choses sont liées. En outre, l'accès a été éliminé pour l'essentiel.

Même s'il y a un échantillon, je ne peux rien en tirer. La technique protège toutes les autres informations sur le gel, les 26 autres échantillons.

Non seulement il y a éventuellement d'autres personnes sur ce gel, mais chaque fois que nous faisons un test, il y a des contrôles positifs et négatifs. Nous appliquons de nombreux procédés d'assurance de la qualité à un seul gel, où il y a 26 échantillons. Si j'éliminais certains des échantillons en question, aucune des informations ne serait vérifiée ou n'aurait une quelconque valeur.

Nous proposons de supprimer le lien dans le fichier des contrevenants. Par exemple, si nous voulons éliminer l'échantillon numéro 9, nous supprimons simplement le code d'identification qui s'y rapporte. Autrement dit, nous éliminons le code à barre identificateur. Il y demeure, mais il n'y a aucune façon de déterminer à qui cela correspond, pour quoi et pour qui. Du point de vue de la criminalistique, ce n'est qu'une série de chiffres qu'on peut enlever.

Par exemple, si l'échantillon d'une personne innocente se retrouvait par accident dans le fichier de criminalistique, ça ne demeure qu'un code numérique que l'on peut supprimer. Ce qui pose une plus grande difficulté, c'est l'échantillon du fichier des condamnés qui a été traité dans notre laboratoire à la banque nationale de données et qui est maintenant lié à tous ces autres éléments d'information.

Je tiens à reconnaître le travail effectué par mon personnel depuis dix ans pour que cette technologie fonctionne. Si vous avez des questions, je serai heureux d'y répondre.

La présidente: J'espère que cela a été clair à la télévision -- nous venons de suivre un cours intensif de microbiologie et de technique d'identification génétique. Merci, monsieur Fourney, c'était très intéressant.

Le sénateur Beaudoin: Au moins, je connais maintenant la différence entre un échantillon et un profil. Je n'arrive toujours pas à comprendre pourquoi il y a, à la toute fin, quelque chose qui n'a aucune utilité, mais dont on ne peut se défaire. C'est curieux, mais parfois la science est curieuse.

M. Fourney: Revenons à mon analogie concernant les perles alignées sur un fil. Songez à une courtepointe que vous feriez, où le fil passe partout, et où tout est serré. Si je retirais le fil au milieu, ou à mi-chemin, toute la courtepointe se déferait.

C'est essentiellement ce dont il est question ici. Il s'agit de données numériques qui sont très importantes, parce que le facteur temps y joue un rôle au moment du traitement de l'échantillon. Il y a un élément d'information numérisé qui est recueilli tous les quarts de seconde environ. Si je commençais à éliminer cet échantillon, il faudrait que je détermine comment il s'insère exactement dans cette zone. Tout comme c'est le cas pour un collier de perles, nous ne pourrions éliminer cet échantillon unique, en raison de la façon dont les choses sont réunies. Ce n'est pas seulement un balayage du haut vers le bas. C'est un balayage latéral, un mouvement aller-retour. Tout cela se déferait.

Le sénateur Beaudoin: Vous dites que, exception faite du cas de jumeaux, il n'est pas possible qu'une personne puisse avoir le même profil génétique qu'une autre.

M. Fourney: À ma connaissance, cela ne s'est jamais produit.

Le sénateur Beaudoin: Comment le savez-vous?

M. Fourney: Le fait repose sur la génétique des populations et sur les principes qui ont été établis dans le domaine de la génétique des populations humaines. Nous connaissons très exactement le nombre d'éléments d'ADN que le corps est capable de générer. En fait, c'est bien au-delà de ce qui a déjà existé sur la Terre. Il n'y a ici que 5,6 milliards d'habitants.

Le sénateur Beaudoin: Vous avez parlé d'un sur 93 milliards.

M. Fourney: Oui.

Le sénateur Beaudoin: Mais s'il y a 94 milliards de personnes, il peut y en avoir deux.

M. Fourney: Peut-être.

Le sénateur Beaudoin: Il y a certainement la possibilité qu'il y en ait deux s'il s'agit de jumeaux identiques, n'est-ce pas?

M. Fourney: Oui, s'il s'agit de jumeaux identiques et non pas de faux jumeaux. Les faux jumeaux sont essentiellement comme frères et soeurs. Dans le cas de jumeaux identiques, l'oeuf a été fécondé, puis il s'est scindé, de sorte que c'est de la même information génétique dont il s'agit. En fait, dans l'enquête sur le vol de la Swissair, nous avons décelé des jumeaux identiques. Au moment de traiter les échantillons, il nous a fallu revenir et demander au pathologiste de l'équipe de vérifier ce que nous avions trouvé. Lorsqu'il a étudié les restes humains, il était évident qu'il s'agissait de deux êtres humains.

Le sénateur Beaudoin: Si un animal est reproduit à partir d'un autre, grâce au clonage, est-ce que les deux auront le même ADN?

M. Fourney: Probablement.

Le sénateur Beaudoin: Vous allez donc peut-être détruire tout cela par le clonage.

M. Fourney: Quand on aura cloné un être humain, ce sera le temps de tirer notre révérence.

Le sénateur Beaudoin: Il est possible de cloner un animal, sans aucun doute, mais l'être humain est plus qu'un animal.

M. Fourney: Les primates sont difficiles à cloner. Il y a aussi un moratoire sur ce genre de recherche. Mais qui connaît les recherches qui se font sur la Terre? Un grand nombre de comités internationaux, de conseillers en éthique et d'experts en génétique médicale se sont prononcés contre une telle activité.

Par ailleurs, ce qui est possible et ce qui s'est d'ailleurs fait, par contre, c'est la fabrication de substitut de peau pour les grands brûlés et la reproduction des couches de l'épiderme. Songez aux greffes de moelle osseuse. La personne qui a subi avec succès une greffe de moelle osseuse aura l'ADN du donneur dans sa moelle osseuse, mais les autres éléments qui en font un être humain, par exemple les cheveux et la salive, présenteront le profil original.

Le sénateur Beaudoin: Même si le clonage est illégal ou criminel, cela ne veut pas dire qu'il n'y en aura jamais. À un moment donné, quelqu'un essaiera. Ne croyez-vous pas que ce sera le cas?

M. Fourney: Je ne peux vraiment pas répondre à cette question. Je ne peux savoir quelles recherches se font si elles ne sont pas révélées dans des revues scientifiques.

La présidente: Pour faire suite à la question du sénateur Beaudoin, je vous demanderais: si le destinataire d'une greffe de moelle osseuse a le même ADN dans sa moelle osseuse que le donneur, qu'en est-il de son sang?

M. Fourney: Si la greffe de moelle osseuse a pris, ils auront le même profil. Toutefois, les cheveux, la salive et la peau seront ceux du patient. Nous avons travaillé de concert avec la Croix-Rouge du Canada pour utiliser les empreintes génétiques dans notre collaboration avec les organismes extérieurs, car les transferts de technologie sont très importants. Une des choses que nous voulions savoir, c'est s'il était possible d'utiliser l'identification génétique et la capacité de distinguer le donneur du destinataire pour déterminer si une greffe de moelle osseuse a été un succès.

Ils voulaient savoir si, dans le cas des personnes qui ont connu une rechute peu après, ou même quelques années plus tard, cela pourrait être les vieilles cellules cancéreuses qui reviennent. Ils voulaient utiliser notre technologie pour répondre à cette question, et ils ont constaté quelque chose de très intéressant. Chez les personnes qui n'ont pas connu de rechute et dont la greffe de moelle osseuse était un succès, il n'y avait aucune trace de l'ADN original dans la moelle osseuse ou le sang. Toutefois, si on prélevait un échantillon de cheveux sur le destinataire de la greffe, on pouvait établir son profil original. Ces gens sont qualifiés de «mosaïques» -- car ils ont deux profils génétiques.

Le sénateur Bryden: Cela évoque pour moi l'identité établie prima facie dans des circonstances ordinaires. C'est le cas où quelqu'un présente les traits physiques de la personne qui a commis un crime. C'est un élément de preuve admis, prima facie, mais c'est réfutable. Si une personne a dans sa moelle osseuse et son sang un profil génétique qui correspond à ce que l'on a décelé sur les lieux d'un crime, mais qu'elle peut établir qu'elle a reçu une greffe, et, de fait, que son propre profil génétique se dégage de l'analyse des cheveux et de la peau et ainsi de suite, je ne vois pas qu'il y ait là un grand risque.

Le sénateur Grafstein: Vous soulevez de nombreuses questions. Vous avez dit que le seuil différentiel correspondait à un millième de 1 p. 100.

M. Fourney: Un millième de 1 p. 100, c'est la part qui diffère d'une personne à l'autre. Pour ce qui est du reste, nous sommes très semblables.

Le sénateur Grafstein: Vous avez peut-être donc repéré l'âme chez l'humain.

Je veux revenir aux questions que j'ai posées plus tôt, pour suivre le cheminement des échantillons tout au long de la démarche. Je crois comprendre maintenant la difficulté qui se pose d'un point de vue numérique --la fragmentation numérique qui permettrait de disloquer un gel de l'ensemble hélicoïdal.

Comment pouvez-vous être convaincu du fait que les incapacités médicales décelées dans un test d'ADN n'ont aucune valeur prédictive?

M. Fourney: Nous étudions sans cesse la documentation dans le domaine. Nous passons en revue les analyses et nous lisons les communiqués scientifiques. Je suis un chercheur scientifique. Ma responsabilité, c'est de savoir comment la science s'appliquera. Dès qu'une chose est encodée, par exemple la schizophrénie, il va nous falloir cesser de nous en servir car, d'abord, ce n'est pas à cela que sert la banque de données et, ensuite, la question de la protection des renseignements génétiques personnels devient alors une préoccupation.

Certains pays sont en train de mettre au point des techniques pour exploiter cela. Ils s'intéressent à des traits distinctifs, du point de vue physique plus qu'autre chose, par exemple la couleur des cheveux et des yeux, aussi bien que la taille.

Ce n'est pas ce qui se passe au Canada. En tant que biologiste des molécules, je puis vous dire que ces traits sont très difficiles à distinguer. Les gènes qui interviennent sont nombreux, et cela ne nous intéresse pas de poursuivre dans cette voie.

Le sénateur Grafstein: Essentiellement, si nous disons que cela ne nous intéresse pas, c'est en raison d'une convention scientifique interne et non pas d'une loi. C'est une convention qui fait partie de votre protocole?

M. Fourney: Oui, dans le monde scientifique en général, aussi bien que chez les experts en criminalistique dont il est question. C'est semblable aux cas des comités d'éthique mis sur pied dans les hôpitaux et chargés d'étudier les cas délicats qui se présentent.

Je ne crois pas qu'il y ait une loi qui prescrive leur action, mais les hôpitaux ont des conseils, des commissions d'éthique et des examens déontologiques. La plupart des gens s'engagent maintenant là-dedans sans chercher à obtenir la permission.

Le sénateur Grafstein: Est-ce que cela se trouve dans un code de déontologie, ou est-ce un code interne dont il s'agit?

M. Fourney: Cela se trouve dans les lignes directrices du Groupe de travail technique sur les méthodes d'analyse de l'ADN. Cela se trouve dans les lignes directrices du DNA Advisory Board, qui rend des comptes au Congrès américain. Nous sommes très proches de la situation américaine, ne serait-ce que parce que nous partageons une bonne part de la technologie.

Le sénateur Grafstein: Si je voulais le faire, où est-ce que je pourrais trouver cela?

M. Fourney: Vous pourriez le trouver dans nos documents de travail ou dans des publications parues au cours des quelques dernières années.

Le sénateur Grafstein: Est-ce un guide qui est remis à toutes les personnes appelées à prendre en charge des activités judiciaires pour le compte de la GRC?

M. Fourney: Les gens en question seraient tout à fait conscients des lignes directrices, et c'est une chose qu'il nous faut regarder devant les tribunaux quotidiennement.

M. Gaudette: Cela fait partie de notre programme de formation de scientifiques.

Le sénateur Grafstein: Vous avez entendu les questions que j'ai posées cet après-midi à propos des laboratoires. Les labos judiciaires ont les mêmes éléments essentiels. Ils prennent l'échantillon pour élucider le lien qui existe entre l'échantillon et l'individu. Vous nous avez dit que la banque de données ne comprend pas les liens; qu'on y trouve les données, mais pas les liens pour identifier.

M. Fourney: Elle permet d'accéder à de l'information identificatrice, oui, mais il reste que nous ne connaissons pas l'identité de la personne.

Le sénateur Grafstein: L'identité de la personne n'est connue que des laboratoires. Or, quelle surveillance est exercée sur les labos en question? Je remarque que certains d'entre eux relèvent de la GRC. Existe-t-il d'autres laboratoires dont ce n'est pas le cas?

M. Fourney: Il y a deux labos provinciaux, un à Toronto et un à Montréal, et il y a les six labos de la GRC. Il y a environ 250 labos américains.

Le sénateur Grafstein: Parlons d'abord du Canada, puis nous irons voir ailleurs. Tout ce matériel serait-il traité par les labos de la GRC ou par les deux labos provinciaux?

M. Fourney: Oui.

Le sénateur Grafstein: Comment pouvons-nous être convaincus que les mesures de protection appliquées dans les laboratoires autres que ceux de la GRC sont adéquates?

M. Gaudette: De par le monde, nombre de laboratoires judiciaires cherchent à obtenir l'accréditation nécessaire pour répondre aux normes internationalement reconnues. Vous avez sans doute entendu parler de la norme ISO 9000 de l'Organisation internationale de normalisation. Des normes du genre qui s'appliquent aux produits que vous êtes susceptibles d'acheter pourraient s'appliquer aussi à des laboratoires. Le Centre des sciences judiciaires de Toronto est déjà accrédité auprès de l'American Society of Crime Laboratory Directors.

Le sénateur Grafstein: C'est donc un organisme autoréglementé.

M. Gaudette: Il répond aux normes internationales. Les normes que nous cherchons à mettre en place au Canada relèveront du Conseil canadien des normes.

Le sénateur Grafstein: Je présume que nous allons échanger la plupart de nos informations génétiques avec les États-Unis.

M. Gaudette: Ils sont accrédités, et les organismes d'accréditation s'alignent directement sur les normes ISO ou sont très près de cela. L'idée, c'est d'en arriver à des normes universelles.

Le sénateur Grafstein: Vous avez signalé l'existence d'une convention internationale. Avons-nous ratifié cette convention?

M. Fourney: C'est une convention scientifique établie par nos pairs et dont l'administration est autonome.

Le sénateur Grafstein: Pourquoi n'avons-nous pas fait dans ce projet de loi ce que nous avons fait ailleurs? Autrement dit, pourquoi n'avons-nous pas désigné des laboratoires qui relèveraient de la réglementation fédérale?

Je vous prie de me corriger si je fais erreur, mais dans certains champs du secteur de la santé, je crois que les laboratoires doivent avoir une certaine désignation, c'est-à-dire qu'ils sont approuvés, désignés, réglementés ou accrédités sous le régime de réglementation fédérale. Pourquoi n'avons-nous pas procédé ainsi dans le cas qui nous occupe?

Comme je l'ai déjà mentionné, le projet de loi confère au commissaire la capacité de juger si le laboratoire est compétent pour faire le travail en question. Toutefois, le législateur n'y a pas précisé les critères que le commissaire doit appliquer, ni resserré vraiment les mailles du filet de la confidentialité que nous cherchons à avoir dans le cas des laboratoires judiciaires de la GRC.

Je vais poser une question juridique qui est peut-être technique. C'est peut-être le conseiller juridique qui y répondra. Visiblement, on se préoccupe ici de la protection des renseignements personnels. Il s'agit d'un pouvoir extraordinaire, si bien qu'il faut mettre un soin extraordinaire à créer un régime réglementaire au moins égal à celui que l'on applique à certaines questions relevant de la santé.

M. Michael E. Zigayer, avocat-conseil, Section de la politique en matière de droit pénal, ministère de la Justice: Tous nos amis et collègues en Ontario et au Québec, et dans les laboratoires satellites de la GRC travaillent à une sorte d'accréditation uniforme, pour que chacun ait confiance aux travaux de l'autre. C'est un élément essentiel du succès de la banque nationale de données génétiques.

Il existe tout de même un autre facteur qui entre en ligne de compte: l'administration de la justice, dans les provinces, est une responsabilité provinciale. Les labos au Québec et en Ontario relèvent de la responsabilité des ministres provinciaux chargés de l'administration de la justice. Par conséquent, il est nécessaire d'en arriver à un consensus sur ces questions.

La chose ne serait pas bien reçue au Québec s'il était décidé que le commissaire de la GRC était responsable de l'établissement des normes et des approbations. En dernière analyse, je crois que nous en arriverons à un régime qui est acceptable pour toutes les parties. Tout de même, c'est une question assez délicate au Québec et probablement aussi en Ontario -- les champs de compétences doivent être respectés.

Le sénateur Nolin: Vous avez parlé du «contrôle de la qualité» à quelques reprises durant votre exposé. Lorsque vous contrôlez la qualité, quelles sont les choses que vous regardez et pourquoi le faites-vous?

M. Fourney: Nous essayons de concevoir un système de freins et contrepoids qui pourra s'appliquer systématiquement, de manière à en arriver à ce que nous appelons une norme de qualité ou un résultat de qualité. Autrement dit, la concordance serait une véritable concordance, et la non-concordance, une non-concordance.

Le sénateur Nolin: C'est ce que vous appelez une correspondance?

M. Fourney: Une correspondance ou une concordance, quel que soit le terme que vous voulez utiliser.

Ce n'est pas seulement pour des raisons scientifiques que nous faisons cela. Toute épreuve médicale comporterait aussi une série de freins et contrepoids et des mesures d'assurance de la qualité, pour que les résultats nous inspirent confiance.

Autrement dit, si vous faites faire une épreuve diagnostique dans un hôpital local, vous voulez vous assurer que ce soit une personne qualifiée et dûment formée qui s'en charge. De cette façon, les résultats peuvent être interprétés correctement, et il est possible de s'assurer que les contrôles particuliers qui s'appliquent, les résultats négatifs et positifs, sont là pour que les résultats et l'interprétation se tiennent.

L'assurance de la qualité et la formation représentent une question extrêmement importante dans le monde de la criminalistique. M. Gaudette peut parler de la formation que nous subissons. Toutefois, étant le scientifique chargé d'élaborer et de mettre en application un grand nombre des techniques en question, je puis vous dire qu'il nous faut, en dernière analyse, avoir la conviction que les données que nous stockons seront utilisées à bon escient.

L'assurance de la qualité est une mesure complète qui nous permet de croire aux résultats produits. C'est un peu comme la confiance que nous avons quant à la façon dont une voiture a été fabriquée. On monte dans la voiture, et on sait qu'on ne perdra pas une roue en cours de route.

Le sénateur Nolin: Je suis convaincu qu'il y a toujours une faute possible. Tout de même, il a été démontré que le système est infaillible. Il demeure que l'être humain, lui, ne l'est pas.

M. Fourney: Vous avez raison.

Le sénateur Nolin: Voilà ce qui me préoccupe.

M. Fourney: Nous avons un programme de formation de stagiaires qui comporte des séries d'examen de qualifications, et nous contrôlons constamment le produit. Les résultats sont vérifiés par deux personnes.

Par exemple, au cours de l'enquête sur le vol 111 de la Swissair, deux personnes ont passé en revue les résultats de l'analyse génétique. Elles devaient en arriver à un consensus. C'est comme le médecin qui subit sa formation médicale. Avant qu'il ne puisse pratiquer sur vous une intervention chirurgicale, il doit convaincre tout le monde du fait qu'il possède la bonne formation, qu'il comprend la science et la technique, et qu'il est en mesure d'appliquer comme il se doit ce qu'il a appris.

En même temps, il nous faut maintenir dans le contexte opérationnel ce que nous appelons des épreuves de compétence, tous les ans. Les gens subissent ainsi une série d'épreuves, dont nous connaissons les résultats, ce qui n'est pas le cas pour eux. Ils doivent subir l'épreuve et donner la bonne réponse aux questions posées. Cela fait partie d'un programme d'assurance de la qualité appliqué dans un laboratoire ayant la certification ISO.

M. Gaudette: D'un point de vue législatif, il y a un autre mécanisme de protection en cas de défaut qui s'applique à la banque de données. M. Saada en a parlé cet après-midi. Même si l'analyse de l'échantillon permet d'établir une concordance avec quelqu'un qui figure dans le fichier des condamnés, cette information particulière n'est pas utilisée devant les tribunaux. C'est qu'il faut alors obtenir un mandat, puis faire procéder à une autre analyse. Voilà un contrôle de la qualité.

Le sénateur Joyal: Monsieur Fourney, j'aimerais revenir à ce que vous avez dit à propos de la protection des renseignements génétiques personnels. Est-ce que quelqu'un du ministère de la Justice a examiné les lignes directrices applicables dans le contexte?

M. Fourney: Les lignes directrices dont je parlais sont les lignes directrices internationales auxquelles nous nous conformons pour les cas concrets qui nous sont confiés. Elles sont le fruit des travaux d'un groupe de travail technique sur les méthodes d'analyse de l'ADN et elles ont été ratifiées par un groupe international de scientifiques, nous-mêmes y compris.

Ce que nous devons faire, c'est rédiger une série de lignes directrices propres à la banque nationale de données génétiques à partir des leçons déjà apprises, mais en tenant compte aussi des aspects particuliers de la banque de données qui se rapportent à nos enquêtes particulières.

À l'heure actuelle, un groupe de représentants provenant de divers laboratoires au Canada se réunit pour mettre sur papier une série de lignes directrices. Il y a aussi des fonctionnaires du ministère de la Justice et de nos propres services juridiques qui examineront les lignes directrices avant qu'elles ne soient mises en oeuvre.

Le sénateur Joyal: Quel est l'apport du Parlement que vous prévoyez en ce qui concerne l'examen des lignes directrices, pour que nous soyons convaincus que les renseignements personnels des gens en question sont bien protégés?

La présidente: Vous allez peut-être préférer nous revenir là-dessus plus tard, ou encore c'est le ministère qui pourrait nous donner une réponse.

Le sénateur Joyal: Nous nous soucions beaucoup de l'éventualité que, une fois la banque de données en place, il y aura un accès «international» aux données sans qu'il n'y ait de protection des renseignements personnels qui se limite au Canada. Il y a de bonnes raisons de sécurité qui expliquent cela. Vous avez certainement exposé les bonnes raisons pour lesquelles on recourt à ce système.

Le système sera suffisamment accessible pour qu'on se demande si on devrait accorder une protection supplémentaire aux citoyens. Cela est particulièrement préoccupant lorsqu'on s'attend à ce que les échantillons de la banque de données soient supprimés du système. Nous avons besoin d'arguments probants pour réduire la protection à laquelle une personne a droit dans un monde où tout est accessible.

Que signifie la protection des renseignements personnels dans le monde d'aujourd'hui et dans celui de demain? Lorsque vous dites que vous voulez conserver les échantillons -- s'il existe une bonne raison d'aller en cour pour obtenir un mandat, pour convaincre un juge de prélever un échantillon -- cela entre en conflit avec mes convictions personnelles, avec le principe fondamental de la réhabilitation et du pardon, et du remboursement de la dette d'une personne à la société. Ce sont les racines de notre système judiciaire. Nous conservons une partie de cette personne quelque part, parce que, un jour, nous pourrions vouloir l'examiner de nouveau. Cela me préoccupe.

Vous êtes un scientifique, un savant, et je respecte vos conclusions. Cependant, en ce qui concerne cette question, j'ai tendance à avoir une opinion différente parce qu'il s'agit d'une interprétation, et non de données scientifiques. Vous me demandez de croire que, à l'avenir, les scientifiques élaboreront d'autres moyens d'analyse, et que, à ce moment-là, nous pourrions bien entendu en avoir besoin à d'autres fins.

La personne a remboursé sa dette. C'est terminé. Nous fermons le dossier. Elle a alors l'occasion de refaire sa vie.

Le sénateur Nolin: Il est question non seulement de contrôle des renseignements personnels, mais également de contrôle de la qualité.

Le sénateur Joyal: Ma prochaine question est liée à la famille Romanov. Tous les articles que j'ai lus révèlent qu'il n'est pas aussi certain que vous l'avez mentionné que leurs restes soient enterrés à Saint-Pétersbourg. Vous vous souviendrez également qu'une robe célèbre a fait l'objet de certains échantillons. Les conclusions relatives à cette robe n'étaient pas si limpides non plus.

À l'heure actuelle, quel est votre degré de certitude?

M. Fourney: Je vais d'abord répondre à la question concernant les Romanov puisqu'elle m'intéresse personnellement, non seulement en tant que mordu d'histoire, mais également à titre de scientifique.

Je suis absolument convaincu que ces restes sont ceux des Romanov. En plus des renseignements génétiques et des échantillons d'ADN, nous disposons de nombreuses autres pièces d'information. Comme dans le cas d'un dossier criminel, l'ADN est ici un outil qu'on doit utiliser adéquatement en tenant compte de toute autre pièce d'information.

Nous disposons d'un grand nombre de renseignements concernant le moment où les Romanov ont été tués et la façon dont ils ont été transportés. En fait, la découverte de la tombe résulte d'un tuyau obtenu de quelqu'un qui, probablement, se trouvait à cet endroit à l'époque ou qui connaissait quelqu'un qui s'y trouvait. On n'a pas simplement commencé à creuser un peu partout. On a trouvé l'endroit exact de la tombe, qui était protégée depuis un certain nombre d'année simplement parce qu'on ne voulait pas remuer les restes et pour éviter toute identification. On connaissait l'existence de cette tombe, et il a fallu un changement de gouvernement pour qu'elle fasse l'objet de fouilles.

On a effectué deux types de tests sur les restes des Romanov. On a d'abord effectué une analyse de séquences courtes répétées en tandem (STR), dont je vous ai parlé plus tôt, qui a établi le patrimoine biologique de père en fils. On a trouvé dans la tombe d'autres personnes qui ont été clairement identifiées comme un serviteur et un médecin. Ils n'ont aucun lien familial. Le test a également clairement identifié les enfants et déterminé les liens biologiques qui les unissaient.

Laissez-moi parler du test qui a réellement été utilisé. Il s'agit de l'identification de l'ADN mitochondrial. Il s'agit d'une autre méthode qui n'a pas encore été appliquée au Canada. Ce qui est intéressant à propos de l'ADN mitochondrial, c'est qu'il est héréditaire. Le motif de l'ADN de la mère est transmis à toute sa progéniture. C'est exactement l'inverse de la démarche de la médecine légale.

On a utilisé un deuxième test encore plus probant pour identifier ce groupe de personnes. Le problème que présente l'identification de l'ADN mitochondrial, c'est qu'il ne permet pas de faire une discrimination. En d'autres mots, quiconque a hérité de ce motif génétique maternel aura le même motif.

On a donc prélevé un échantillon du sang du duc d'Édimbourg, qui est un membre direct de cette lignée. Son motif révélait une petite mutation qui correspondait à une mutation de la séquence. On a en fait séquencé l'ADN.

Mais il y avait toujours des sceptiques. Par conséquent, on a prélevé un échantillon d'ADN sur le corps du frère du tsar Nicolas. Après l'avoir séquencé, on a constaté qu'il correspondait exactement à celui du duc, notamment en ce qui concerne la mutation dont la famille entière du tsar Nicolas avait hérité.

D'un point de vue scientifique, je suis convaincu qu'il s'agit de la famille Romanov.

Le sénateur Grafstein: Y compris le fils du tsar, Alexis?

M. Fourney: Un certain nombre de personnes ont prétendu être des descendants directs du tsar. Sans donner plus de détails, je peux vous dire que nombre de ces personnes ont subi un test d'ADN. Et elles ne crient probablement pas les résultats sur tous les toits.

Le sénateur Joyal: Cet après-midi, on nous a affirmé qu'on pouvait tout détruire en un an. On nous a également conseillé de demander à l'expert scientifique la raison pour laquelle cela prendra un an. Pouvez-vous répondre à cette question?

M. Fourney: Je ne crois pas qu'on vous a dit que c'était du point de vue scientifique.

M. Gaudette: Je crois que ce délai est lié à la Loi sur le casier judiciaire.

M. Zigayer: En ce qui concerne la conservation des données, je peux vous fournir une réponse, sénateur, qui mêle la science et le droit.

Plus tôt ce soir, M. Fourney a parlé de la récente évolution de la science de l'ADN et du RFLP. En fait, lorsque la GRC a commencé à traiter les premiers dossiers, y compris le dossier Bourguignon à Ottawa, elle utilisait la technologie RFLP. En même temps, elle élaborait, testait et utilisait la nouvelle technologie PCR. La plupart de ses travaux sont maintenant effectués à l'aide de la PCR.

M. Fourney prévoit qu'on disposera à l'avenir d'une méthode plus rapide, plus précise et plus rentable d'effectuer les analyses génétiques. Si le FBI adopte cette nouvelle technologie, ainsi que certains de nos partenaires dans le monde qui utilisent la technologie génétique aux fins d'enquêtes criminelles, le Canada pourrait subir des pressions considérables qui le forceraient à adopter cette nouvelle technologie. Dans un tel cas, nous devrons envisager ce que nous devons faire avec la banque de données dont nous disposons déjà.

Si les échantillons corporels des personnes dont le profil se trouve dans la banque de données ne sont pas conservés, et que nous adoptons cette nouvelle technologie, nous disposerons de deux banques de données qui ne peuvent communiquer entre elles. Cela reviendrait à comparer des pommes avec des oranges.

Le sénateur Joyal: Les Américains feront de même. S'ils améliorent leur système, leur banque de données ne sera pas plus utile.

M. Fourney: C'est ce qui arrive présentement. Ils ont commencé par une banque de données RFLP. Au cours des deux dernières années, ils ont consacré beaucoup de temps à l'élaboration de la technologie PCR. Nous nous sommes rencontrés en groupe pour mettre en place une série de normes relatives non seulement à l'assurance de la qualité, mais également à l'assurance scientifique, exactement pour cette raison. Ce que nous voulons élaborer, ce sont des banques de données qui seront en mesure de communiquer entre elles et d'évoluer dans le même champ d'application.

Ce qu'a dit M. Zigayer est très vrai. Je prévois que, d'ici quelques années, l'ensemble de la technologie sera fondée sur les micropuces, et que le processus sera plus rapide et plus rentable. Si tous les autres pays du monde se dirigent vers la technologie axée sur les micropuces parce que la façon dont les données sont traitées permet de respecter la protection des renseignements personnels, nos banques de données ne seront pas en mesure de communiquer avec les leurs. Fait encore plus important: nous serions incapables d'exploiter toute l'utilité de cette technologie.

Comme je vous l'ai mentionné, la technologie RFLP, bien qu'efficace et robuste, exige un volume beaucoup plus élevé d'ADN.

Au cours des dernières années, nous avons pu résoudre des affaires remontant à 25 ou 30 ans, grâce à l'évolution de cette nouvelle technologie. Nous nous montrerions négligents si nous n'utilisions pas la technologie la plus perfectionnée, la plus efficace et la plus robuste pour appliquer la justice.

En Colombie-Britannique seulement, on compte plus de 200 meurtres non résolus qu'on pourra élucider grâce à l'utilisation d'une partie de cette nouvelle technologie génétique. Si on conserve dans la base de données l'échantillon d'une personne défunte, cela aidera grandement le policier qui enquête sur une série de meurtres. Quelle que soit la technologie de l'avenir, nous pouvons l'appliquer de façon adéquate. Il est fort probable qu'elle sera plus efficace et discrète dans l'avenir.

M. Gaudette: La plupart des administrations qui ont adopté une loi sur les banques de données génétiques ont prévu de conserver les échantillons exactement pour ces raisons. Certains pays ont déjà dû effectuer des changements, parce qu'ils avaient élaboré leur banque de données à l'époque du RFLP.

M. Zigayer: Une des options serait de demander à la GRC d'assumer les frais de l'entretien de l'ancienne banque de données dotée de l'ancienne technologie, et du fonctionnement d'une nouvelle banque de données dotée de la nouvelle technologie. Selon cette hypothèse, les nouveaux cas devraient être échantillonnés et analysés deux fois: une fois à l'aide de la première banque de données, et une autre fois à l'aide de la deuxième.

L'autre option est d'oublier l'ancienne banque de données et d'en élaborer une nouvelle. Certains États américains ont dû avoir recours à cette solution. Cependant, si on élabore une nouvelle banque de données, on perdra essentiellement un grand nombre des outils d'enquête dans lesquels on avait investi tant d'argent.

Une autre option consisterait à obtenir de nouveaux échantillons de quiconque a été reconnu coupable. Cependant, comme le sénateur Joyal l'a mentionné, une fois qu'une personne a purgé sa peine, elle a remboursé sa dette à la société. Par conséquent, comment la couronne ou la police pourrait-elle exiger de ces personnes qu'elles fournissent d'autres données à la banque? Je ne crois pas que cela serait possible.

La meilleure approche à l'égard de ce grave problème de l'évolution de la science consiste à prévoir la conservation des substances corporelles, ce qui nous évitera d'embêter les personnes qui ont purgé leur peine. On va de l'avant et on maintient une banque de données efficace pour l'État.

M. Fourney: Une personne pourrait demander que son échantillon soit conservé dans la banque de données. Même si cela semble peu probable, la science légale nous offre quelques exemples à ce titre. Il est déjà arrivé qu'une personne, qui avait remboursé sa dette à la société et qui avait été relâchée, manifeste la volonté de donner un échantillon génétique, parce que lorsqu'un crime semblable était commis dans sa région, elle était habituellement soupçonnée et interrogée.

Dans certains cas, des personnes ont demandé que leur échantillon soit entré dans la banque de données et vérifié, afin qu'elles soient exonérées. Il s'agit du moyen le plus rapide d'exonérer une personne lorsqu'on prétend qu'elle se trouvait sur les lieux d'un crime et qu'on dispose d'un échantillon biologique.

La présidente: Il est intéressant de noter qu'on a utilisé pour la première fois un échantillon d'ADN pour exonérer quelqu'un d'un crime particulier.

Le sénateur Joyal: Vous avez parlé d'autres pays qui ont adopté une loi à cet égard. Pourriez-vous les énumérer?

Savez-vous avec quels pays le Canada pourrait conclure une entente? Dans quelle mesure le Canada repoussera-t-il ses frontières en matière de banques de données?

M. Gaudette: La toute première loi sur la génétique a été adoptée aux États-Unis au début des années 1900. Chaque État a maintenant adopté une loi sur les banques de données génétiques. Il s'agit d'un système propre à chaque État, mais il existe également une loi nationale.

Le Royaume-Uni dispose de la banque de données génétiques la plus importante et la plus fructueuse du monde. Les Pays-Bas et la Nouvelle-Zélande ont également adopté une loi sur les banques de données génétiques, et je crois comprendre que l'Autriche et l'Allemagne ont récemment fait de même. Comme le Canada, de nombreux autres pays sont sur le point d'adopter leur loi, notamment l'Australie, la Norvège, la Suède et divers autres pays européens.

À l'heure actuelle, je ne connais aucun pays asiatique ou du Moyen-Orient qui envisage d'adopter une loi sur les banques de données génétiques.

Le sénateur Fraser: Je crois comprendre que des travaux sont effectués pour élaborer des accords et des procédures efficaces dans les systèmes internationaux. Cependant, la nature des accords scientifiques et les protocoles ont tendance à aveugler les scientifiques.

Du point de vue juridique, la seule façon dont le commissaire pourra contrôler ce qui est véritablement testé, c'est en entreposant de façon sécuritaire les parties d'échantillons des substances corporelles qu'il considère appropriées, et en détruisant le reste. D'autres lois prévoient-elles des dispositions qui nous permettraient de nous assurer que le commissaire se limite vraiment aux 13 éléments magiques non codés actuels que nous pouvons examiner?

M. Gaudette: On trouve d'autres dispositions législatives dans la loi même.

M. Zigayer: Ni le Code criminel, ni le projet de loi ne prévoient le type de protocole d'essai que la GRC élaborera pour sa banque de données -- la façon d'examiner le chromosome de l'ADN.

Cependant, on trouve une disposition dans la loi sur l'identification génétique proposée concernant l'élaboration de règlements. Il serait peut-être approprié d'envisager que le protocole d'essai fasse l'objet de tels règlements, pour des raisons de gestion et de fonctionnement de la banque de données, et pour aucune autre fin.

En ce qui concerne les échanges d'information avec d'autres États, il est important de noter qu'on devrait formuler une demande directe, semblable à la demande d'entraide juridique. On ne devrait pas simplement donner au FBI l'accès à un terminal et à toutes ses données. C'est ce que nous avons prévu à l'étape du développement.

Par exemple, si un agresseur sexuel en série exerce ses ravages dans la région de Détroit, et que, de l'autre côté du pont, à Windsor, on fait face au même problème, les polices des deux villes pourraient collaborer afin de confirmer s'il s'agit du même suspect. Cela pourrait s'effectuer par l'entremise du FBI et de la GRC. Les deux pays auraient l'occasion de collaborer pour résoudre cette affaire.

La loi prévoit cette possibilité. Aucun contrat n'a été rédigé et aucune entente n'a été signée avec quelque pays que ce soit. Mais il s'agit d'un outil possible qui peut être utilisé si les bonnes conditions sont réunies. Vous constaterez qu'on doit respecter les dispositions des paragraphes 6(3) et (4) de la Loi sur la protection des renseignements personnels; le paragraphe 6 (5) renvoie aux paragraphes (3) et (4). Il s'agit d'une mesure de protection provisoire.

Le sénateur Fraser: Je tiens à souligner que nous ne tentons pas de freiner l'évolution importante de la science. Cependant, certains jours, on exercera des pressions considérables sur le commissaire ou son agent délégué afin qu'il produise des résultats pouvant être obtenus grâce à un plus grand nombre de tests. Voilà comment le monde fonctionne. Je ne prétends pas qu'on ne devrait pas exercer de pressions sur la police pour qu'elle résolve une affaire, mais la tentation de chercher toutes les preuves possibles deviendra très forte. C'est pourquoi je désire savoir quelles mesures de protection existent pour limiter les recherches que nous effectuons, afin d'assurer la protection des renseignements personnels.

Je présume que les équipements utilisés peuvent tester à peu près tout ce qu'on leur demande. Ils ne sont pas fabriqués simplement pour tester les 13 éléments, n'est-ce pas?

M. Fourney: Non.

Le sénateur Fraser: Ils peuvent examiner tout ce dont on dispose. On pourrait, je suppose, y intégrer un programme informatique qui limiterait leurs fonctions.

M. Fourney: La technologie proprement dite est élaborée principalement dans le cadre du projet de cartographie des génomes humains -- les séquençages de l'ensemble d'un génome humain ou d'une empreinte génétique.

Du point de vue de la science légale, ou à tout le moins du point de vue pratique, chaque test que nous effectuons doit être rigoureusement validé dans un environnement judiciaire, afin de fournir non seulement des réponses scientifiques, mais également des réponses juridiques devant un tribunal. Nous ne tenterions même pas d'utiliser un test qui n'a pas été complètement validé dans le cadre d'une affaire judiciaire.

Comme je l'ai mentionné plus tôt, ce n'est parce qu'on se concentre sur d'autres composantes de l'ADN qu'elles peuvent servir à nos fins. Par conséquent, elles ne nous intéressent pas, et nous n'avons pas l'expertise voulue. Je ne possède pas ces compétences. Je suppose que j'ai suffisamment de connaissances pour tenter de le faire.

Dans le passé, lorsque j'ai participé aux recherches sur le cancer du sein, c'est exactement ce que nous faisions. Cependant, dans la situation qui nous occupe, nous établissons une certaine procédure. Elle est respectée, et les règlements et techniques sont bien établis dans notre manuel de protocole, à titre de procédures de fonctionnement normalisées. Nous n'avons aucune raison de tester quoi que ce soit d'autre ni le désir de le faire.

Le sénateur Fraser: En ce qui concerne l'utilité des profils sans leurs codes d'identification, si j'ai bien compris votre explication, vous le faites présentement parce que, sur une microplaquette (est-ce le terme exact?), vous utilisez 36 échantillons différents. Pourquoi devez-vous en utiliser 36? Pourquoi pas un seul?

M. Fourney: C'est simplement une question de coût et de temps. On doit également assurer une certaine qualité. Lorsque nous faisons des essais sur un gel particulier, nous n'utilisons pas seulement des échantillons expérimentaux, mais nous avons recours simultanément à des échantillons témoins, selon des normes reconnues. Cela nous permet d'obtenir des résultats que nous pouvons utiliser pour valider les résultats que nous possédons déjà. Nous avons également une série de groupes témoins négatifs. Nous vérifions en fait s'il y a des problèmes de contamination ou quelque chose qui aurait pu se produire accidentellement. L'absence de certains éléments et la présence d'autres nous révèle que les tests sont validés. Je crois que tout est affaire de coûts réels.

Je n'ai pas apporté de microplaquettes ce soir, mais la prochaine étape consiste à élaborer des tests de validation qui permettront d'utiliser 96 échantillons à la fois. Je crois que cela réduira les coûts pour un certain nombre de raisons. La première est la suivante: si nous prévoyons entrer un plus grand nombre d'échantillons dans la banque de données, nous n'aurons pas besoin d'acheter plus d'équipements pour traiter les échantillons supplémentaires. En ce qui concerne les questions de personnel, nous croyons que nous pouvons automatiser la procédure qui consiste à préparer 96 échantillons, alors qu'on procédait manuellement pour préparer de 26 à 36 échantillons. C'est surtout une question de coûts.

Il existe un instrument qui permettra de faire des essais sur un seul échantillon à la fois. Il coûte environ 80 000 $ et permet de faire un essai toutes les 30 minutes. Nous pouvons mettre à l'essai environ 30 échantillons en deux heures et demie. Nous pouvons faire valider tous ces échantillons à l'aide de tous les contrôles de la qualité et des normes relatives aux groupes témoins négatifs et positifs.

Le sénateur Fraser: Vous les entreposez jusqu'à ce que vous ayez obtenu 36 demandes, puis vous procédez à des essais par lots?

M. Fourney: Absolument. Le traitement par lots est un outil très important qui permet de réduire les coûts et d'augmenter l'assurance de la qualité.

Le sénateur Moore: J'ai écouté avec intérêt ce que vous avez dit à propos de vos travaux relatifs à la tragédie de Swissair, qui est survenue près de chez moi. Vous avez mentionné que des jumeaux avaient le même ADN. Cette découverte résulte-t-elle des travaux d'analyse qui ont été effectués après la tragédie, ou étiez-vous au courant de ce phénomène avant d'avoir commencé à effectuer l'analyse des échantillons?

M. Fourney: Nous savions que des jumeaux identiques ont les mêmes motifs génétiques, et on nous a informé qu'il y avait des jumeaux identiques à bord.

Le sénateur Moore: Pour faire suite à la question de le sénateur Fraser, est-ce que chaque microplaquette contient 36 profils génétiques?

M. Fourney: La norme actuelle est de 26 échantillons sur un gel particulier.

Le sénateur Moore: Cela correspond-il à 26 personnes différentes?

M. Morrison: Je parlerais plutôt de 26 bandes qui peuvent contenir une personne différente. Nous utilisons normalement environ 26 échantillons, et nous respectons un certain nombre de normes de contrôle.

Le sénateur Moore: Les 26 bandes s'appliquent-elles à une personne?

M. Fourney: Non, chacune correspond à une personne différente.

Le sénateur Moore: Du point de vue physique, quelle en est la taille? Est-elle équivalente à celle d'un timbre ou d'une cartouche de cigarettes?

M. Fourney: Cela correspond à peu près à la taille d'une tablette de papier.

Le sénateur Moore: La taille d'une feuille de papier grand format? S'agit-il de papier?

M. Fourney: Non. Nous utilisons en fait ce que nous appelons un gel. Il s'agit d'un matériau robuste semblable au jello, un polymer sous forme liquide. Lorsqu'on ajoute le catalyseur, on obtient un support très clair. Les petits trous qui composent ce tableau nous permettent de trier les échantillons d'ADN selon leur taille. Cela pourrait ressembler à un contenant de sable composé de particules de tailles différentes de haut en bas. On pourrait y verser différents types d'huile, ce qui nous permettrait de distinguer les différents niveaux.

Le sénateur Moore: Ce support demeure-t-il sous forme de gel, ou durcit-il?

M. Fourney: Le gel proprement dit est durci. Nous appliquons l'échantillon sur la partie supérieure du gel, puis nous l'enfonçons à l'aide d'un courant électrique. L'ADN a une charge négative. Un courant de 3 000 volts fait descendre l'ADN dans le gel. Durant cette opération, on lui donne une couleur fluorescente, puis on le balaie au laser.

Le sénateur Moore: Les échantillons sont-ils entreposés verticalement?

M. Fourney: Oui, ils sont placés à la verticale.

Le sénateur Moore: Quelle est la capacité de ce nouvel édifice? Vous parliez tout à l'heure d'infractions primaires et secondaires, et d'un chiffre de 113 000. S'agit-il d'une prévision annuelle?

M. Fourney: Nous prévoyons que nous pourrons mettre à l'essai environ 28 000 échantillons par année.

Le sénateur Moore: C'est juste une question que je me posais.

M. Fourney: Le service de science légale dispose d'environ 350 000 profils dans sa base de données, et je crois que les États-Unis en ont environ 400 000. Lorsque je voyage et que je reviens au Canada, il est rassurant de pouvoir annoncer que nous n'avons que quelques profils éventuels. J'ai l'impression de vivre dans un pays plus sécuritaire.

Le sénateur Moore: Avez-vous dit que les États-Unis disposent de 400 000 profils?

M. Fourney: Je ne connais pas les chiffres exacts.

Le sénateur Moore: Cela représente combien de personnes par profil?

M. Fourney: Le service de science légale procède à environ 300 comparaisons d'empreintes par semaine. Il effectue également toutes sortes d'autres types d'analyse sur les lieux du crime. Nous nous limitons aux infractions primaires et secondaires, alors qu'au Royaume-Uni les cambriolages et toutes sortes d'autres infractions sont répertoriées dans la base de données nationale.

Le sénateur Moore: Quelle est la capacité prévue de cet édifice?

M. Fourney: Cela ne pose pas de problème.

M. Gaudette: S'il y a lieu, nous pouvons utiliser un entrepôt extérieur.

Si la banque de données des Britanniques contient un nombre aussi élevé d'échantillons, c'est parce que la loi du Royaume-Uni leur permet de prélever un échantillon de quiconque est inculpé d'une infraction criminelle.

Le sénateur Pépin: Après avoir écouté les témoignages de cet après-midi et de ce soir, je crois que la technologie est fabuleuse. Vous nous mentionnez ce que vous pouvez faire et ce que vous prévoyez faire à l'avenir. Nous savons à quel point il est difficile, de nos jours, d'assurer la confidentialité des dossiers médicaux à l'aide de la technologie que vous utilisez. Il est difficile de croire que vos travaux respecteront certaines limites spécifiques et qu'ils demeureront confidentiels. Vous nous dites que, au Royaume-Uni, on prélève des échantillons d'ADN des cambrioleurs. Nous nous demandons si ce n'est pas la prochaine étape qui nous attend ici.

Lorsque nous examinons le profil de quelqu'un, est-il possible de savoir si les données de cette personne font partie d'une banque de données quelque part? Par exemple, pourrait-on insérer un indice qui permettrait de savoir que, quelque part, une banque de données contient des renseignements sur cette personne?

M. Fourney: Le CIPC, le Centre d'information de la police canadienne, disposera d'un indicateur. Si un membre du centre soumet une demande et qu'il voit un indicateur relatif à l'échantillon d'ADN d'une personne qui se trouve dans le répertoire des «condamnés», il saura qu'il existe un échantillon de cette personne. Cependant, il ne pourra savoir la raison de l'existence de cet indicateur.

Le sénateur Joyal: Que croyez-vous que l'agent fera lorsqu'il verra cet indicateur?

Le sénateur Pépin: Tentera-t-il de l'examiner dans le système?

M. Fourney: Non; il ne peut accéder à l'information.

Le sénateur Joyal: Je suis d'accord avec vous.

M. Gaudette: La principale utilité de cet indicateur est de laisser savoir à la police qu'elle a déjà obtenu un échantillon de cette personne, et qu'il n'y a pas lieu de la déranger pour lui en demander un deuxième.

Prenons l'exemple soulevé tout à l'heure par M. Fourney: si on enquête sur un crime non résolu, et que l'échantillon prélevé sur la scène du crime ne correspond à aucun échantillon de la banque de données sur l'ADN, on envisagera un suspect en particulier. Si le terminal du CIPC montre que l'échantillon du suspect est déjà dans la banque de données, on le laissera partir, car son échantillon ne correspond pas à celui qu'on a prélevé sur la scène du crime. C'est pourquoi on utilise l'indicateur.

Le sénateur Pépin: Si, par exemple, je me rends aux États-Unis, qu'on consulte le CIPC et qu'on découvre qu'il y a un indicateur à côté de mon nom, cela signifie qu'un échantillon de mon ADN a été versé dans une banque de données quelque part. Si une personne est recherchée, est-ce que je ne deviens pas un suspect, parce qu'on a un échantillon de mon ADN quelque part?

M. Gaudette: Lorsque vous allez aux États-Unis, de toute façon, on peut consulter ce type de banque de données afin de découvrir l'existence de casiers judiciaires. Vous ne pouvez figurer dans la banque de données que si vous avez été reconnu coupable d'une infraction criminelle. Cette information est déjà disponible, même sans banque de données sur l'ADN.

Le sénateur Pépin: Oui, mais on n'efface pas le dossier aux États-Unis, il est toujours là. J'ai déjà travaillé dans ce domaine, c'est pourquoi je suis au courant. Si on constate qu'une personne est inscrite dans une banque de données, elle devient suspecte. Ça m'inquiète.

M. Gaudette: Les policiers américains n'ont pas accès au terminal du CIPC, à l'exception d'un lien qui relie le FBI à Ottawa.

Le sénateur Pépin: Lorsque vous vous présentez aux douanes, on vérifie votre nom dans la banque de données. Si votre nom s'assortit d'un indicateur, on sait que vous avez un casier judiciaire.

Il y a deux ans, des agents douaniers américains ont accusé un homme d'avoir un casier judiciaire. Il a exprimé son désaccord et, après maintes discussions, il a dû reprendre l'avion vers le Canada. Un mois plus tard, il a consulté un avocat, et ce dernier lui a révélé qu'il y avait un indicateur à côté de son nom dans la banque de données, en raison de quelque chose qu'il avait fait lorsqu'il avait 18 ans. Cependant, l'information figurait toujours dans la banque de données en 1998, et la personne concernée n'était même pas au courant.

La présidente: Cette question n'est probablement pas du ressort des experts qui témoignent ce soir. C'est une question qui va au-delà de la façon dont la banque de données sera établie. C'est une question qui est liée à l'administration de la justice.

Le sénateur Andreychuk: Il y a une banque de données, un fichier historique, un dossier, le CIPC, et peut-être d'autres étapes. Les données sont soit encryptées, soit protégées au moyen de mots de passe pour l'accès aux ordinateurs, n'est-ce pas?

M. Fourney: Toute information relative à l'ADN que nous comptons verser dans la banque de données nationale ne pourra être consultée qu'au moyen d'un type de terminal particulier, et le logiciel de consultation s'assortira d'un mot de passe. L'accès par les dossiers judiciaires est aussi rigoureusement contrôlé, mais je ne sais pas comment on assure ces contrôles.

Le sénateur Andreychuk: Je ne m'adresse peut-être pas à la bonne personne. Si je comprends bien ce que j'ai lu dans le projet de loi, la GRC aura le contrôle de l'encryptage et des mots de passe. Autrement dit, ce sera dans leurs systèmes. Qui pourra accéder à cette information? En général, ce sont les dirigeants. Autrement dit, c'est votre mot de passe, mais un de vos supérieurs a accès à votre mot de passe. Il sera donc possible qu'une personne -- peut-être le commissaire -- jouisse d'un accès à toutes les données consignées dans tous les systèmes, par exemple, le dossier, le CIPC, le fichier historique et la banque de données. Est-ce que je me trompe?

M. Fourney: Je ne suis pas certain qu'une personne aurait accès à tout cela.

Le sénateur Andreychuk: Est-ce qu'un groupe de personnes au sein de la GRC y aurait accès?

M. Fourney: Certaines personnes y auraient accès dans le cadre de leurs activités professionnelles régulières. Avec les données encryptées et les logiciels d'aujourd'hui, vous devez non seulement entrer le bon mot de passe, mais aussi suivre une procédure d'entrée dans le système qui est acceptable pour l'ensemble des personnes ayant accès au système. Votre supérieur est plus susceptible d'examiner ce matériel. De plus, on tiendra un dossier des personnes qui consultent un registre en particulier et du moment, du lieu et du bien-fondé de la consultation. On examinera régulièrement ce registre. Cela ressemble à ce que l'on fait dans les hôpitaux.

Le sénateur Andreychuk: Je comprends qu'une personne devra entrer dans le système au moyen d'un mot de passe. Cependant, je sais aussi que cette personne relèvera d'un superviseur qui, comme c'est le cas dans le milieu médical, jouira aussi d'un accès au système.

M. Fourney: En ce qui concerne la banque de données nationale, des personnes de plusieurs niveaux hiérarchiques pourront probablement accéder à nos données, mais nous ne pourrons pas accéder directement aux casiers judiciaires. Il faudrait que je confirme cela auprès d'un autre groupe qui, à l'heure actuelle, est plus ou moins autonome. C'est l'une des raisons pour lesquelles nous ne voulions pas conserver l'information relative à l'identité d'une personne, ainsi que l'information génétique. C'est pourquoi on traite l'information de cette façon.

Le sénateur Andreychuk: Je devrais peut-être poser ma prochaine question, qui concerne la hiérarchie des données, à une autre personne. Certaines personnes ont accès aux mots de passe permettant d'accéder à la banque de données. Quels sont les liens entre tous ces mots de passe? Quelqu'un doit, pour la reddition de comptes, avoir accès à la banque de données, mais cela crée un problème au chapitre de la protection des renseignements personnels et de l'accès à l'ensemble du système.

J'aimerais retourner au point que vous avez soulevé concernant la greffe de moelle osseuse et le clonage. Vous dites que, dans le cas des greffes de moelle osseuse, on obtient le même sang de la personne qui a reçu la greffe et de celle qui a donné de la moelle osseuse. Ces deux personnes pourraient avoir le même ADN.

M. Fourney: Si une personne donne de la moelle osseuse à un membre de sa famille, cela suppose généralement qu'il y a compatibilité. S'il y a transmission complète, c'est que le donneur et le receveur ont la même structure d'ADN dans leur moelle osseuse. Autrement dit, il faut qu'il y ait acceptation complète de la moelle par le receveur. Sinon, des vestiges de l'ADN original demeureraient. Les receveurs auraient deux structures d'ADN, soit une dans leur sang et une autre dans leur moelle osseuse. En réalité, toutes les autres composantes de leur corps -- la peau, les cheveux et ainsi de suite -- indiqueraient le matériel génétique original du receveur.

Le sénateur Andreychuk: Si on n'a accès qu'à un échantillon de sang, on ne serait pas en mesure de déterminer à quelle personne on a affaire. Auriez-vous à mener une enquête approfondie afin de déterminer qui est la personne A ou la personne B?

M. Fourney: Oui. Cela s'assimilerait à une situation où quelqu'un ne révélerait pas l'existence d'un jumeau identique. À moins que la personne nous dise qu'elle a un jumeau identique, nous ne pouvons le savoir.

Le sénateur Andreychuk: Supposons que vous trouviez quelque chose sur la scène d'un crime et que vous ne pouvez faire que des échantillons pour une personne A ou B mais pas pour les deux: est-ce que vous ne placez pas une personne dans une position où elle doit dire qu'elle n'était pas sur la scène du crime? Vous dépendez fortement du fait que vous obtiendrez plus d'information que ce que vous savez déjà.

M. Fourney: À la lumière de mon expérience à l'égard des lieux de crime et du travail touchant les dossiers opérationnels, je peux vous dire qu'on arrive parfois à dresser une liste de personnes ayant accès à la scène du crime, comme c'est le cas lorsqu'un meurtre est commis dans une maison. Par exemple, lorsque seulement trois ou quatre personnes ont accès à la scène du crime et qu'on est en mesure de déterminer qu'elles étaient sur place, la personne accusée accuse souvent son frère du crime. Nous devons examiner son ADN afin de l'exclure, et c'est généralement ce qui se produit. C'est le moyen le plus rapide d'éliminer un suspect.

Le sénateur Andreychuk: Mais vous n'avez peut-être pas d'autres suspects à éliminer.

Supposons que je tente d'établir la preuve, et que je me retrouve dans la situation inhabituelle où j'ai un échantillon, mais je ne sais pas s'il s'agit de la personne A ou de la personne B. Je n'ai accès qu'à la personne A. Il n'y a aucun moyen de m'assurer que l'échantillon correspond uniquement à la personne A.

M. Fourney: Vous devez fonder l'ensemble de votre argumentation sur l'ADN dans une telle situation, n'est-ce pas?

Le sénateur Andreychuk: Oui.

M. Zigayer: Comme avocat, ce n'est peut-être pas la chose à faire.

Le sénateur Andreychuk: Comme avocate, je dirais que cela s'est déjà fait.

M. Zigayer: L'ADN ne permet pas de déterminer la culpabilité: il permet uniquement de montrer qu'une personne était présente sur les lieux du crime. Il est possible qu'on trouve du matériel génétique sur la scène du crime, et que la personne à laquelle vous l'avez relié ait un alibi et se soit trouvée ailleurs. C'est une question que la défense soulèvera.

Le sénateur Andreychuk: Ce que vous dites est possible, mais très improbable.

M. Zigayer: Supposons que le donneur de moelle soit un enfant. Le donneur et le receveur sont probablement de la même famille et partagent des liens génétiques. Supposons que le receveur, de nombreuses années plus tard, commet un crime et se blesse en fuyant les lieux.

Il est possible que le donneur ait, depuis la greffe, été reconnu coupable d'une infraction désignée, et que son nom figure dans la banque de données. Lorsqu'il y a correspondance des échantillons, la police conclura automatiquement qu'elle a un suspect. Elle tentera de trouver M. Untel, dont l'échantillon figure dans la banque de données. Elle découvrira que M. Untel purgeait une peine d'emprisonnement au moment où le crime a été commis.

Ce n'est qu'une hypothèse, mais c'est vraisemblable. M. Untel pourra faire valoir qu'il a donné de la moelle osseuse à son cousin Robert. Si l'affaire devait être soumise à un jury, il y aurait un doute raisonnable.

Le sénateur Andreychuk: ... Et nous revenons à cette question.

En ce qui concerne les échantillons initiaux d'ADN et le RFLP, les études de cas américaines que j'ai lues montrent que les méthodes étaient très peu fiables, en raison du manque de formation et de compréhension. Il s'agissait d'une nouvelle technologie. Pourtant, cette information est conservée dans les banques de données, et vous proposez de garder la vôtre. À quel point l'ancienne technologie est-elle fiable? Accordez-vous autant de crédibilité à l'information obtenue avec l'ancienne méthode qu'à celle qu'on obtient avec la nouvelle?

M. Fourney: L'un de mes rôles à la GRC consiste à élaborer et à mettre sur pied la technologie, et à la remplacer lorsqu'une nouvelle technologie se présente. Je suis tout à fait convaincu de la fiabilité des méthodes que nous avons utilisées dans le passé. Nous avons un programme de formation efficace.

Nous n'avons pas changé de technologie parce que la précédente ne fonctionnait pas, n'était pas valide ou n'était plus utile: ces nouvelles technologies nous permettent d'examiner des échantillons plus vieux ou endommagés, et ce, en quantité réduite. C'est une question de limite scientifique. Le temps et le coût sont aussi des facteurs à envisager. La nouvelle méthode est beaucoup moins coûteuse. Nous pouvons effectuer neuf examens simultanément, alors qu'on devait mettre huit à neuf semaines de travail avec la méthode du RFLP.

Je vous ai montré la diapositive de la pulpe dentaire et de l'ADN parce que je l'utilise souvent à l'occasion de conférences juridiques. Nous avons donc laissé tomber l'ancienne technologie non pas parce qu'elle ne fonctionnait pas, mais bien parce que la nouvelle technologie permet d'en faire beaucoup plus en moins de temps.

La situation aux États-Unis est peu commode, car de nombreux États, en particulier la Floride, se sont emparés de cette technologie, sachant qu'elle faciliterait le travail d'enquête des divers services de police. Ils se retrouvent maintenant dans une situation troublante, où ils ont accès à une technologie très efficace, mais qui n'est pas rentable. Elle n'est pas assez rapide, et elle n'est pas assez précise. Ils n'ont d'autre choix que d'aviser les milieux policiers que les démarches iront de l'avant, car il existe une nouvelle technologie qui permet d'en faire beaucoup plus. Je tiens à la répéter, ils ne remplacent pas l'ancienne technologie parce qu'elle ne fonctionne pas.

Vous faites probablement référence à certaines des études qui ont été menées à l'époque où la fiabilité de l'ADN était remise en question. L'une des raisons pour lesquelles les professionnels de la médecine légale ont formé des groupes de travail dès le début, c'est qu'à l'époque, l'examen de l'ADN à des fins médico-légales ne pouvait être confié qu'à une entreprise commerciale. Pour une raison quelconque, ils semblaient avoir d'autres motifs, ou ils se sont peut-être emparés de la technologie un peu trop tôt. Nous ne savons pas. Cependant, quand les utilisateurs ont formé une alliance et se sont entendus sur des lignes directrices et des normes relatives à l'assurance de la qualité, nous avons constaté un changement dans le progrès de la technologie à l'échelle internationale. Nombre des dispositifs d'assurance de la qualité étaient intégrés à la technologie.

M. Gaudette: Le manque de fiabilité dont vous parlez est lié non pas à la fiabilité de la technologie, mais à celle du laboratoire et des personnes qui utilisent la technologie. Vous avez consulté une documentation américaine. En raison des efforts déployés par notre personnel de laboratoire, vous ne trouverez aucun cas où la fiabilité des laboratoires de la GRC a été remise en question. Nous avons essayé de maintenir ces normes de qualité élevée dès le début.

Vous avez aussi parlé de la comparaison entre l'ancienne technologie fondée sur le RFLP et la banque de données d'aujourd'hui. Tenter d'utiliser des données RFLP tirées de la banque de données de quelqu'un d'autre, ce serait comme tenter de faire jouer un 45 tours sur un lecteur de disque compact.

Cela ne fonctionnerait tout simplement pas.

Le sénateur Grafstein: Il n'y a qu'une question que j'aimerais approfondir. Nous reviendrons aux questions constitutionnelles et autres à une date ultérieure.

Supposons que je suis soupçonné d'un crime, et qu'on prélève un échantillon d'ADN en vertu d'un mandat. Puisque je veux que cette situation se règle le plus tôt possible, je fais vérifier mon ADN par un laboratoire indépendant, qui ne relève pas de la police. Comment puis-je faire de telles démarches au Canada?

M. Gaudette: On peut s'adresser à un certain nombre de laboratoires médico-légaux privés, au Canada et aux États-Unis.

Le sénateur Grafstein: Est-ce que ces laboratoires se plient à des normes universelles afin que leurs échantillons soient reconnus par la GRC?

M. Gaudette: Le secteur privé comptait parmi les éléments qui ont favorisé l'établissement de ces normes d'accréditation. Tout comme les entreprises de partout dans le monde, qui veulent apposer le sceau de l'Organisation internationale de normalisation sur leurs produits, ces laboratoires privés cherchent une forme de normalisation. On ne pourrait pas, dès aujourd'hui, accréditer tous les laboratoires privés qui existent, mais il y en a de bons.

Le sénateur Grafstein: Y a-t-il des laboratoires privés qui offrent leurs services aux suspects ou aux accusés afin qu'ils puissent comparer leur propre échantillon à celui de la police?

M. Gaudette: Oui, on a déjà recouru aux services de laboratoires privés dans le cadre de causes criminelles, ainsi que dans plusieurs autres types de causes.

Le sénateur Grafstein: J'ai une autre question concernant le mécanisme d'indicateurs. Nous n'avons pas parlé des dispositifs de protection liés au mécanisme d'identification.

Pouvez-vous nous expliquer brièvement comment on protège ce mécanisme? Autrement dit, comment protège-t-on les renseignements personnels dans le cadre du processus d'indicateur afin de veiller à ce qu'il n'y ait pas de violation? Nous comprenons maintenant que le premier laboratoire possède toute l'information relative à l'identification, et une part de cette information est versée dans la banque de données. Comment une personne peut-elle être convaincue que le mécanisme d'indicateur n'entraînera pas une violation à l'égard de son échantillon?

M. Fourney: Vous parlez de l'indicateur unique?

Le sénateur Grafstein: Oui.

M. Fourney: Essentiellement, vous faites référence à un point de vue qui se fonderait sur le fichier de criminalistique. On s'attendrait à ce qu'une personne qui souhaite consulter la base de données nationale d'ADN veuille examiner un certain nombre d'échantillons. Une ou deux personnes du laboratoire opérationnel, formées à cette fin, auraient accès au réseau protégé. On utiliserait un type particulier de logiciel pour chiffrer toute l'information et indiquer l'identité de l'utilisateur. Il faudrait créer un code d'identification. Le code d'identification de l'utilisateur serait donc lié à l'information consignée dans le système, et il serait très difficile de changer le code d'identification dans le logiciel.

J'envisage une deuxième mesure de protection, qui consisterait à recevoir des résultats d'analyse en double exemplaire, de façon qu'on puisse en retourner un et confirmer l'information transmise. Lorsque l'information arriverait à Ottawa, nous pourrions renvoyer une note pour confirmer que nous l'avons reçue, et on préciserait de quelle information il s'agit et le code d'identification. Ils confirmeraient ensuite le code d'identification et nous pourrions lancer la recherche.

C'est comme si on vérifiait les deux côtés de la pièce pour veiller à ce que la demande de données soit juste, pour confirmer que nous l'avons reçue, que nous les en avons avisés et que nous commençons la recherche.

Je le répète, si les résultats obtenus correspondent à de l'information contenue dans le fichier de criminalistique, c'est au laboratoire qu'il incombe de décider d'aller plus loin. On peut supposer que le laboratoire demanderait un mandat en vue d'obtenir l'échantillon d'une personne qui, en vertu d'une norme prévue par le projet de loi C-104, deviendrait le premier suspect, et ainsi de suite. On tenterait d'établir le plus grand nombre possible de mécanismes de protection grâce à la communication directe.

Le sénateur Grafstein: L'échange d'information serait assuré par une technologie par fil, sans fil ou par fibre optique?

M. Fourney: Nous espérons créer une ligne réservée de type T-1, comme celle que nous utilisons à l'heure actuelle dans nos communications avec nos laboratoires de médecine légale. Toutefois, il faudrait aussi créer une procédure de communication pour Toronto et pour Montréal.

Dans ce cas en particulier, le seul point d'accès, à ma connaissance, est la GRC. Toutefois, je le répète, les données transmises à partir de la base de données nationale seraient encryptées, et le seul moyen de la décoder serait de posséder exactement le même logiciel, qui ne se trouve que sur un seul terminal. L'accès ne sera pas généralisé.

J'envisage un laboratoire muni d'un terminal que seulement quelques personnes, dûment formées et accréditées, pourraient utiliser. On doit dispenser une formation très particulière avant de laisser quelqu'un consulter la base de données. C'est la méthode que les Américains ont adoptée, et nous tentons de tirer des leçons de leur expérience. Ils ont utilisé un système qui combine l'ADN et le fichier de criminalistique, et il est accessible en direct depuis novembre seulement. Nous les surveillons de très près afin de voir comment cela fonctionne. Ils utilisent un modem réservé qui transmet de l'information encryptée et qui correspond à leurs normes de sécurité. Il faudrait que nous fassions la même chose, afin de respecter les mesures de sécurité établies pour la GRC.

Le sénateur Grafstein: Nous reverrons cette question grâce à la transcription. On m'a transmis beaucoup d'information en très peu de temps, et il se fait tard. Cela me semble rationnel, mais je n'ai pas tout à fait tout compris. Nous reprendrons cette question un autre jour.

Le sénateur Joyal: J'aimerais qu'on revienne à la question de la banque de données. Puisque M. Zigayer, conseiller juridique principal au ministère de la Justice, est avec nous, j'aimerais soulever cette question afin qu'on puisse l'aborder à l'occasion d'une de nos prochaines réunions.

En mai 1998, le Solliciteur général publiait l'avis juridique de trois savants juges: le juge Dubin, le juge Bisson, anciennement de la Cour d'appel du Québec, et le juge Taylor, anciennement de la Cour d'appel de la Colombie-Britannique. Dans l'avis juridique qu'il a déposé, le juge Dubin, anciennement de la Cour d'appel de l'Ontario, déclare qu'en ce qui concerne le volet de la proposition qui porte sur l'établissement d'une banque d'ADN, l'intérêt de la société à résoudre des crimes en incluant dans la banque d'ADN toute personne arrêtée ou accusée d'une infraction désignée ne l'emporte pas sur le caractère intrusif de la saisie d'échantillons corporels.

Même si je n'ai pas lu l'ensemble de l'avis des juges Bisson et Taylor, ils semblent abonder dans le même sens.

Nous pourrions peut-être, au cours des réunions à venir, aborder la question de la constitutionnalité de la banque de données. Il semble que des opinions ont été émises ici qui confirment mes préoccupations en ce qui concerne la protection des renseignements personnels et des droits de la personne, prévue par la Charte. C'est là ma première question pour M. Zigayer.

Cela dit, ma deuxième question est la suivante: même si le Canada a conclu une entente avec les États-Unis concernant le partage d'information, quel type de protection avons-nous si les États-Unis signent avec un autre pays une telle entente qui leur permette d'accéder aux banques de données canadiennes?

C'est un enjeu important. Même si nous concluons de très bonnes ententes avec les États-Unis ou avec le Royaume-Uni, comment peut-on s'assurer que la conclusion d'ententes diverses n'ouvrira pas notre banque de données au reste du monde?

Je vous cède la parole.

La présidente: Sénateur Joyal, ce sont là des questions justes, et je crois que les agents seront de nouveau parmi nous à une date ultérieure.

M. Zigayer: Nous avons présenté ce point de vue au comité de la Justice de la Chambre des communes. La demande d'avis juridique a été déposée après l'examen du projet de loi par le comité, ce qui a confirmé la validité de notre démarche.

Je serais heureux de rencontrer de nouveau les membres du comité. Un de mes collègues, expert du droit applicable aux droits de la personne, vous présentera un exposé sur notre point de vue à l'égard de cette question.

La présidente: Merci beaucoup, messieurs. Votre témoignage nous a été très utile.

La séance est levée.


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