Délibérations du comité sénatorial permanent
des
Affaires juridiques et constitutionnelles
Fascicule 45 - Témoignages pour la séance de l'après-midi
OTTAWA, le mercredi 2 décembre 1998
Le comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel a été renvoyé le projet de loi C-3, Loi concernant l'identification par les empreintes génétiques et modifiant le Code criminel et d'autres lois en conséquences, se réunit aujourd'hui à 15 h 48 pour étudier le projet de loi.
Le sénateur Lorna Milne (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente: Honorables sénateurs, la séance du comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles est ouverte. Je vous souhaite la bienvenue à tous, y compris à nos téléspectateurs, à la pièce 257 de l'édifice de l'Est du Parlement.
C'est la quatrième fois que le comité se réunit pour étudier le projet de loi C-3, Loi concernant l'identification par les empreintes génétiques et modifiant le Code criminel et d'autres lois en conséquence. Le projet de loi prévoit l'établissement d'une banque de données génétiques nationale qui sera administrée par le commissaire de la GRC et qui aidera les services policiers à résoudre des crimes.
Le projet de loi a été adopté par la Chambre des communes le 29 septembre 1998 et a fait l'objet de la première lecture au Sénat le lendemain. Il a été lu pour la deuxième fois le 22 octobre 1998, ce qui veut dire que le Sénat avait approuvé le projet de loi en principe. Il a ensuite été renvoyé à notre comité pour une étude détaillée.
Cette étude a commencé la semaine dernière quand nous avons accueilli comme témoin M. Jacques Saada, secrétaire parlementaire du solliciteur général, qui parraine le projet de loi C-3. Le comité a ensuite entendu deux témoins du Laboratoire judiciaire central de la GRC et ensuite des témoins de l'Association canadienne des policiers et de l'Association canadienne des chefs de police.
Cet après-midi, nous entendrons des représentants du Centre canadien de ressources pour les victimes de crimes, du Barreau du Québec et du ministère de la Justice. Nous entendrons d'autres témoins au cours des jours à venir.
Une fois l'audition des témoins terminée, nous ferons l'étude article par article du projet de loi et le comité décidera à ce moment-là s'il recommandera l'adoption du projet de loi tel quel, s'il y recommandera des amendements ou s'il recommandera que le projet de loi n'aille pas plus loin. Ensuite, le comité fera rapport de sa décision au Sénat.
Allez-y, monsieur Sullivan.
M. Steve Sullivan, directeur exécutif, Centre canadien de ressources pour les victimes de crimes: Sénateurs, je vous remercie de m'avoir permis de vous adresser la parole au sujet de ce projet de loi important. Je représente un groupe national de défense des victimes du crime. Le nom de deux autres défenseurs des droits des victimes figure aussi sur notre avis, Priscilla de Villiers de CAVEAT et Gary Rosenfeldt des Victimes de violence. Je leur avais demandé à tous deux d'être ici aujourd'hui, mais ils n'ont pas pu venir. Ils m'ont demandé de vous dire qu'ils appuient la position que je vais vous exposer.
Je serai relativement bref. Je ne suis pas un expert dans le travail de la police, la technologie sur les empreintes génétiques ou la Constitution. Je vous présente aujourd'hui un point de vue très simple, celle de personnes dont la vie a été touchée par la violence et de parents d'enfants assassinés. Certains de ces meurtres auraient pu être prévenus et certains autres n'ont pas encore été résolus.
C'est ce point de vue que je vais vous dépeindre aujourd'hui, et je vous remercie de me permettre de le faire parce que je pense qu'il s'agit d'une perspective importante.
Je suis toujours heureux de venir témoigner devant votre comité. La dernière fois que je l'ai fait c'était au sujet du projet de loi de M. Wappel visant à empêcher les criminels de profiter de leurs crimes. Je vous quitte chaque fois avec bien plus de matière à réflexion qu'à mon arrivée et je suis donc heureux de pouvoir participer à la discussion d'aujourd'hui.
Je pense que nous sommes tous d'accord pour dire qu'une banque de données génétiques est un outil nécessaire. Il s'agit de savoir comment cet outil doit être conçu. Je sais que vous avez reçu des avis juridiques contradictoires à propos de certaines parties du projet de loi. C'est tout à fait normal parce que c'est ce que font les avocats. Ils donnent leur avis et exposent des points de vue divergents.
Les opinions que vous avez sous les yeux ont sans doute leur utilité, mais le fait est qu'il n'y a que neuf avis qui comptent au Canada lorsqu'il s'agit de questions juridiques ou constitutionnelles, en l'occurrence l'avis des juges de la Cour suprême du Canada. Ce sont eux qui décideront si, une fois adopté, le projet de loi est conforme ou non à la Constitution. C'est pourquoi je pense qu'il aurait été utile au gouvernement de renvoyer cette question à la Cour suprême avant aujourd'hui pour que nous sachions ce qu'elle en pense. Malheureusement, le gouvernement ne l'a pas fait.
J'ai lu les témoignages des représentants de l'Association canadienne des policiers et du ministère de la Justice, et le témoignage d'autres experts. J'ai constaté que bon nombre des questions que vous avez posées portaient sur les droits à la protection des renseignements personnels des personnes accusées ou déclarées coupables d'une infraction. Ce sont des préoccupations importantes et tout à fait valables. J'ai moi aussi des inquiétudes au sujet de la protection des renseignements personnels, mais surtout pour les victimes futures qui ne sont pas visées par le projet de loi. Le détective Neil Tweedy a été très éloquent à ce sujet. Il a parlé du travail qu'il a fait pour essayer de résoudre le meurtre de Christine Jessop, qui reste encore sans solution.
La première chose qui me préoccupe au sujet du projet de loi a trait au moment où l'on prélèvera les échantillons. Il y a une erreur dans mon exposé qui laisse entendre que nous recommandons qu'on prélève des échantillons au moment de l'arrestation, ce qui n'est pas exact. On devrait lire plutôt au moment de la mise en accusation. J'ai compris qu'il y avait une distinction à faire après avoir lu le témoignage de l'Association canadienne des policiers. Nous voulons recommander que l'on prélève les échantillons au moment où le suspect est accusé du crime.
J'ai aussi lu les avis juridiques de M. Danson et les trois avis obtenus du ministère de la Justice. Je ne suis pas moi-même avocat, mais j'espère avoir un peu de bon sens. Je ne pense pas qu'il y ait le moindre doute que la position prise par M. Danson est la plus utile si elle conforme à la Constitution. Elle préviendrait le crime et pourrait sauver des vies. Il ne s'agit cependant pas de savoir si c'est la meilleure position à prendre, mais plutôt si elle est ou non conforme à Constitution.
Je suppose que l'avis du ministère de la Justice sera contraire à celui de M. Danson. Je pense que la plupart des gens vous diront comme moi que l'on devrait traiter les empreintes génétiques de la même façon que les empreintes digitales. Il est vrai que les empreintes génétiques sont plus révélatrices que les empreintes digitales, mais il faut aussi tenir compte de l'objet du projet de loi. La mesure ne vise pas à faire une étude génétique des criminels, mais plutôt à les identifier. Mieux nous pourrons le faire, plus nous pourrons sauver de vies, plus nous pourrons prévenir d'agressions sexuelles et moins il y aura de victimes. C'est l'objet du projet de loi.
L'autre question importante relative à ce projet de loi est la question de la rétroactivité dans le cas des contrevenants qui purgent une peine d'emprisonnement et dont nous pourrions prélever des échantillons. Le projet de loi stipule maintenant que l'on ne pourra prélever d'échantillons que dans le cas de contrevenants qui ont commis deux infractions sexuelles ou davantage, aux contrevenants dangereux et aux personnes qui ont tué plus d'une personne à des moments différents. Je ne comprends pas pourquoi le projet de loi limite les faits rétroactifs à de tels contrevenants. Quelqu'un a dit à ce sujet qu'un viol, ce n'était pas assez. Si vous êtes déclaré coupable d'une agression sexuelle une fois que le projet de loi sera entré en vigueur, vos empreintes génétiques seront versées dans la banque de données. Si vous avez été déclaré coupable d'une agression sexuelle avant l'entrée en vigueur de la mesure, elles ne le seront pas.
Prenons l'exemple de la personne qui enlève deux adolescentes, les agresse sexuellement et les abat d'un coup de feu à quelques secondes d'intervalle. Cette personne a-t-elle commis deux meurtres à des moments différents ou un assassinat collectif? Ce contrevenant sera-t-il visé par le projet de loi? C'est une question qu'il faudrait préciser. Il serait ridicule et choquant de penser qu'un meurtre n'est pas suffisant pour justifier qu'on verse les empreintes génétiques du contrevenant dans la banque de données.
La dernière grande question qui nous préoccupe est la disposition qui exempte certaines personnes de fournir des échantillons. Aux termes de ce projet de loi, celui qui a été condamné pour meurtre au premier degré devra fournir un échantillon pour la banque de données génétiques. Cependant, pour une raison quelconque, le gouvernement a jugé bon d'inclure une exemption. Il y a donc une réserve s'il peut être prouvé que le prélèvement aurait, sur la vie privée et la sécurité de la personne, un effet nettement démesuré par rapport à l'intérêt public en ce qui touche la protection de la société et la bonne administration de la justice. On trouve cette exemption au sous-alinéa 487.051(1)a).
Je ne comprends pas pourquoi on permet une telle réserve. L'objet de la banque de données génétiques est de résoudre des affaires criminelles: plus il y aura d'échantillons d'empreintes génétiques dans la banque, plus nous pourrons en résoudre. La banque est inutile sans échantillons.
Ce sont là les trois principales préoccupations que nous cause le projet de loi. Nous décrivons en outre certaines préoccupations mineures dans notre mémoire.
Lorsque j'ai comparu au sujet du projet de loi de M. Wappel sur les profits que les criminels peuvent tirer de leurs crimes, nous avons discuté longuement du drame de l'affaire Guy Paul Morin, qui a été injustement condamné pour le meurtre d'une fillette de neuf ans. Cette affaire comptait plusieurs drames et l'un d'eux était le meurtre même. Le fait que le meurtrier est encore en liberté en est un autre. Il nous incombe de faire tout en notre possible pour identifier le meurtrier.
Vous avez parlé à l'enquêteur principal du groupe de travail formé pour résoudre cette affaire de meurtre. Il vous a dit qu'il ne pouvait pas y parvenir sans disposer d'une véritable banque de données génétiques. C'est son seul espoir. Il y pense toutes les nuits. J'ai rencontré M. Tweedy et j'ai énormément de respect pour lui. Je sais qu'il pense régulièrement à cette affaire, et je suis persuadé qu'il en est ainsi de la famille de Christine Jessop. Je crois que nous y pensons tous. Cette banque de données est peut-être la seule solution possible. Elle doit cependant être structurée convenablement.
Je suis persuadé que les autres témoins qui me suivront vous parleront beaucoup de la Charte et de la constitutionnalité de la banque de données. Je tiens à vous rappeler que la Charte n'appartient pas seulement à ceux qui sont accusés de crimes ou qui sont condamnés. Elle nous appartient à tous. Elle appartenait à Christine Jessop et elle appartient à sa famille. Elle appartenait à Darren Rosenfeldt et à Nina de Villiers. Ces personnes ne sont pas ici, cependant, c'est pourquoi nous sommes venus parler en leur nom.
C'est ma Charte à moi, c'est la vôtre et c'est celle de nos enfants. Elle ne concerne pas seulement l'impact que certaines mesures peuvent avoir sur la vie de personnes accusées ou condamnées; elle concerne ce qui peut nous arriver à tous dans notre vie.
La Charte est là pour nous protéger. Elle établit un juste équilibre entre les intérêts des particuliers, c'est-à-dire la protection contre toutes atteintes à leurs droits, et le bien public. Si le projet de loi sur la banque de données génétiques était modifié de manière à inclure les dispositions que nous avons proposées, la loi pourrait résister à des contestations aux termes de la Charte. Je pense franchement que c'est la chose à faire pour assurer l'administration de la justice. Je vais m'arrêter ici et je suis prêt à répondre à vos questions.
Le sénateur Beaudoin: Je crois que pour ce qui est de la Charte canadienne des droits et libertés, vous vous fiez au témoignage de M. Danson.
M. Sullivan: En effet.
Le sénateur Beaudoin: Au début, M. Danson parlait des tests d'empreintes génétiques au moment de l'arrestation. Après quelques instants de discussion au sujet de la Charte canadienne, il a dit que ce serait au moment du dépôt des accusations. Je crois que vous êtes du même avis.
M. Sullivan: C'est exact.
Le sénateur Beaudoin: Le critère de la Charte est un peu difficile à appliquer, parce que nous n'avons pas de jugement direct de la Cour suprême à ce sujet. Nous avons cependant un obiter dictum de M. le juge Cory selon qui, à première vue, semble être rigoureusement conforme à la Charte. Personnellement, je ne vois pas vraiment de problème à ce que les tests aient lieu au moment du dépôt des accusations.
Vous avez soulevé une autre question, à savoir la destruction des échantillons. Que voulez-vous exactement? Nous avons eu des cas de destruction d'échantillons, de profils, ou d'autres choses. J'aimerais entendre exactement ce que vous voulez au sujet de cette question de la destruction -- voulez-vous qu'on ne procède à aucune destruction ou dans quelques cas seulement?
M. Sullivan: Je suppose que vous parlez de la destruction des échantillons lorsqu'il y a eu acquittement, ou si les accusations sont retirées?
Le sénateur Beaudoin: Je comprends pourquoi l'on pourrait vouloir garder l'échantillon lorsque les accusations sont retirées. En cas d'acquittement, que faut-il faire, à votre avis?
M. Sullivan: Je pars du principe que le projet de loi sera modifié comme nous l'avons recommandé. Si l'échantillon est pris au moment où les accusations sont portées, qu'il est envoyé à la banque de données, où l'on ne trouve aucun profil identique, et quand ensuite la personne est acquittée, je recommanderais que l'échantillon soit détruit.
Je ne sais pas comment il pourrait être détruit dans la banque de données. J'ai entendu des témoignages. Je n'ai pas tout compris, mais je crois savoir que l'échantillon ne peut pas nécessairement être retiré de la banque de données. Les particularités des échantillons sont telles qu'ils deviennent essentiellement inutiles.
S'il y a un moyen de retirer l'échantillon de la banque de données et de le détruire complètement, c'est ainsi qu'il faudrait procéder. Nous sommes d'avis que l'échantillon de celui qui a été acquitté devrait être détruit.
Le sénateur Beaudoin: Je vois. Quelle est votre position en ce qui concerne les crimes qui nous préoccupent?
M. Sullivan: Si une personne est accusée, et qu'un échantillon est prélevé aux fins de la banque de données -- supposons que pendant que la personne attend son procès, la police compare son échantillon à ceux de la banque de données et trouve un profil identique. Les policiers commenceraient à enquêter sur cette personne en rapport avec l'infraction dont vous parlez, et obtiendrait d'un juge un mandat pour prélever un échantillon aux fins de l'enquête sur l'infraction en question.
L'échantillon prélevé au moment de la mise en accusation pour l'infraction initiale serait évidemment détruit. Si l'on trouve un profil identique, cependant, la personne ferait alors certainement l'objet d'une autre vérification. Le fait est qu'on aura trouvé un profil identique fondé sur le prélèvement fait au moment de la mise en accusation même si le pauvre homme est acquitté, et la police pourrait quand même utiliser ce renseignement.
Le sénateur Beaudoin: Voyez-vous une différence entre un test d'empreintes digitales et un test d'empreintes génétiques?
M. Sullivan: Personnellement, non. Je me souviens d'avoir participé à un débat télévisé avec un représentant du Bureau du commissaire à la protection de la vie privée. Je serai honnête avec vous. Je ne vois pas de différence entre un échantillon d'empreintes digitales et un échantillon d'empreintes génétiques.
Il est vrai, comme on vous l'a dit, qu'on peut obtenir beaucoup plus d'informations des empreintes génétiques que des empreintes digitales. Ce n'est cependant pas l'objet de la banque de données. Ce n'est pas la raison pour laquelle la police veut l'information. De fait, le projet de loi stipule que celui qui utilise l'information ou l'échantillon à des fins non autorisées commet une infraction criminelle.
Le sénateur Beaudoin: D'une manière générale, personne ne s'oppose à une vérification des empreintes digitales. Les gens n'y sont pas réticents. Ils disent qu'ils ne voient pas d'objection à ce qu'on prenne les empreintes digitales. Mais lorsqu'il s'agit d'empreintes génétiques, les gens hésitent davantage, à cause des possibilités prévues à l'article 8. L'échantillon est beaucoup plus révélateur que les empreintes digitales.
Certains témoins nous ont dit que même un échantillon d'empreinte digitale peut contenir une certaine sorte d'empreinte génétique. Dans ce cas, il serait beaucoup plus facile de résoudre le problème. Je ne sais pas. Je ne suis pas un spécialiste en la matière.
Je suppose qu'en général vous êtes du même avis que maître Dawson au sujet de la Charte.
Le sénateur Rompkey: Ma question est très simple. Je suis en très grande partie d'accord avec le témoin. Mais j'aimerais en savoir plus au sujet du Centre canadien de ressources pour les victimes de crimes. Pourriez-vous m'en dire un peu plus? D'autres membres du comité le connaissent peut-être déjà, mais j'aimerais en savoir davantage -- qui en fait partie, par exemple; comment il est financé.
M. Sullivan: Nous sommes un groupe national de pression et de défense des victimes du crime. Nous travaillons avec à peu près tous les groupes de victimes du pays. Notre organisation est un organisme à but non lucratif et, pour cette raison, parce que nous ne sommes pas un organisme de charité, on nous permet de faire du lobbying directement auprès des pouvoirs publics.
L'Association canadienne de police nous finance, mais nous sommes indépendants d'elle. Manifestement, nos préoccupations ne sont pas exactement les mêmes. Néanmoins, le gros de notre financement provient de cette association.
Nous témoignons au sujet de mesures législatives qui touchent les victimes, que ce soit directement ou indirectement par le biais de la prévention du crime. Nous dirigeons le Réseau national de justice, une coalition de groupes de victimes d'un peu partout au pays. Nous constituons pour ces groupes un centre d'information à Ottawa afin qu'ils disposent des renseignements dont ils ont besoin pour sensibiliser les politiciens.
Le sénateur Rompkey: Est-ce que vos fonds proviennent entièrement de l'Association canadienne de police?
M. Sullivan: Nous sommes financés par l'Association canadienne de police, ainsi que par une organisation qui s'appelle Canadian Badges in Uniform, un groupe qui entretient des liens étroits avec l'APC. Il s'occupe notamment du magazine de l'APC et fait du télémarketing au nom de l'association.
Bien sûr, l'APC représente les agents de police, et c'est souvent avec eux que les victimes traitent en premier lieu. Nous estimions que l'APC ne pouvait défendre les droits des victimes, mais les policiers voulaient quand même faire quelque chose. Ils ont donc créé ce groupe indépendant de pression et de défense des victimes. L'autre organisation approuvait les principes, et on a décidé de la financer aussi.
Le sénateur Grafstein: J'ai remarqué que vous voulez qu'on élargisse la portée du projet de loi. D'autres témoins nous ont dit qu'il est urgent d'aller de l'avant; or, pour accroître la portée du projet de loi, il faudrait le renvoyer à la Chambre des communes, ce qui retarderait d'autant son adoption. Qu'en pensez-vous? Quel conseil pouvez-vous nous donner à ce sujet? Si nous avons des préoccupations -- qui rejoignent certaines des vôtres -- comment devrions-nous procéder?
M. Sullivan: Je reconnais que, si ce projet de loi était adopté sous sa forme actuelle, la situation s'améliorerait. Nous aurions alors une banque de données, ce qui n'est pas le cas actuellement. Une disposition du projet de loi prévoit l'examen de la loi dans cinq ans. La Loi sur le service correctionnel et la mise en liberté sous condition comporte aussi une telle disposition. Cette loi a été adoptée il y a six ans, et le comité de la justice de la Chambre des communes l'examinera l'an prochain. Tout projet de loi la modifiant ne sera toutefois déposé au Parlement que l'année suivante. Par conséquent, cinq signifie huit ou dix ans pour le Parlement.
J'estime que le temps est venu d'agir. Sauf le respect que je vous dois, si vous avez des préoccupations au sujet de ce projet de loi, vous avez le devoir et la responsabilité de recommander, au nom des Canadiens, qu'il soit modifié ou renvoyé à la Chambre pour une étude plus approfondie. Les Canadiens n'attendent pas de vous que vous adoptiez un projet de loi que vous jugez vicié.
Le sénateur Grafstein: Ce n'est pas nous qui fixons le programme de l'autre Chambre. Vous semblez disposé à risquer que l'adoption du projet de loi soit reportée. Dois-je en conclure que vous préféreriez que soit adopté un projet de loi qui réponde à toutes vos préoccupations, plutôt qu'un projet de loi dont la portée serait limitée d'après vous?
M. Sullivan: Même si je sais que cela pourrait retarder l'adoption du projet de loi, je préfère qu'on adopte la meilleure loi possible.
Le sénateur Grafstein: Vous abondez dans le même sens que l'Association canadienne de police.
Parlons maintenant des questions constitutionnelles. Vous ne faites pas de distinction entre les empreintes digitales et les empreintes génétiques des accusés. N'avez-vous pas de craintes à propos de ce test, qui a une plus grande portée et est plus envahissant que les empreintes digitales? On obtient un profil personnel beaucoup plus précis avec les empreintes génétiques. Cela vous inquiète-t-il et vous amènerait-il à réclamer une protection ou l'imposition de limites quant aux usages qu'on pourrait faire des empreintes génétiques par opposition aux empreintes digitales?
M. Sullivan: Il est certain qu'on doit être prudents dans ce qu'on permettra de faire avec les échantillons. Voilà pourquoi le gouvernement a prévu que l'utilisation à mauvais escient de ces échantillons constitue une infraction criminelle. Les empreintes génétiques nous en disent bien davantage sur une personne que les empreintes digitales. Toutefois, ce n'est pas de cela dont il s'agit dans ce projet de loi.
Le projet de loi ne permet pas ce genre de test. Je ne prétends pas en comprendre tous les aspects techniques, mais je sais que, une fois l'échantillon prélevé, il est encodé selon un système numérique, ce code ne pouvant être un code à barre, puis entré dans un ordinateur. Le projet de loi ne stipule pas que ces échantillons peuvent servir à établir le patrimoine génétique d'un délinquant ou d'un accusé. C'est une distinction importante. Le projet de loi prévoit déjà des mesures de protection. Par conséquent, j'estime que ces mesures de protection répondent aux préoccupations que vous et d'autres avez soulevées.
Le sénateur Grafstein: Je tiens à insister sur la présomption d'innocence. On nous a dit que les empreintes digitales seront conservées même une fois que l'accusé aura été acquitté ou que les accusations auront été retirées. Qu'en pensez-vous? Ces gens représentent un groupe important de notre société.
M. Sullivan: Je crois savoir, après avoir lu le témoignage des agents de police -- qui n'en savaient rien -- que les échantillons peuvent être retirés des dossiers sur demande. Bien sûr, dès qu'une personne est acquittée, ses empreintes digitales ou ses échantillons d'ADN devraient être retirés du CIPC ou de la banque de données. Je ne vois pas comment, logiquement, on pourrait justifier la rétention des échantillons de ceux qui ont été jugés non coupables d'un crime.
Le sénateur Kinsella: D'après vous, quelle taille devrait avoir cette banque? Le fichier des criminalistiques sera-t-il beaucoup plus grand que celui des condamnés?
M. Sullivan: Je vais essayer de répondre à votre question, même si je n'en sais pas vraiment assez pour le faire. Je crois savoir que la taille de la banque dépendra du nombre de gens dont on prélèvera l'ADN. Ainsi, si vous élargissez la portée rétroactive de certains articles de façon à inclure ceux qui ont tué plus d'une personne, la taille du fichier des condamnés augmentera. Cela dépendra aussi du nombre de crimes non élucidés qu'il y aura au pays. Lors de son témoignage devant le comité de la justice de la Chambre des communes, l'inspecteur Gary Bass de la GRC a indiqué que 600 meurtres n'avaient toujours pas encore été élucidés en Colombie-Britannique seulement. Quel fichier sera le plus grand? Je n'en sais rien.
Le sénateur Kinsella: Pour ma part, j'ai l'impression que le fichier des criminalistiques pourrait devenir beaucoup plus grand que celui des condamnés.
M. Sullivan: Une fois que la banque sera sur pied, le nombre de dossiers concernant des crimes non résolus au fichier des criminalistiques devrait baisser.
Le sénateur Kinsella: Parlons maintenant du moment où l'échantillon peut être prélevé. On doit tenir compte de plusieurs facteurs pour déterminer le moment opportun. Que pensez-vous de l'idée de n'enregistrer les naissances qu'à condition qu'un profil génétique soit entré dans la banque nationale?
M. Sullivan: Cela va bien au-delà de ce dont nous parlons aujourd'hui. J'ai entendu cette idée pendant le débat, et j'estime que c'est une question dont doivent discuter les Canadiens en général. C'est à eux de décider si leur profil génétique devrait se trouver dans une banque à laquelle l'État a accès, qu'ils aient été accusés ou condamnés ou non. Ici, nous parlons de ceux qui ont été reconnus coupables ou à l'égard desquels il existe des motifs raisonnables de porter des accusations. Je ne suis pas prêt à préconiser la création d'une banque de données dans laquelle tous les nouveau-nés seraient enregistrés. Cela ne m'apparaît pas souhaitable.
Le sénateur Kinsella: On se sert des empreintes digitales pas seulement pour mener des enquêtes sur des crimes, mais aussi pour trouver des enfants disparus et aux fins de l'habilitation sécuritaire. En outre, les empreintes digitales servent à toutes sortes de choses. Puisqu'on compare les deux, un profil génétique pourrait nous permettre d'éviter bien des problèmes tels que la confusion entre des bébés à l'hôpital. J'ai entendu récemment des histoires de ce genre.
M. Sullivan: Lorsqu'on veut trouver des enfants disparus ou faire une enquête de sécurité, les empreintes digitales sont fournies volontairement, avec le consentement des parents des enfants en question ou par ceux qui postulent un emploi. Exiger que le profil génétique de tous les nouveaux-nés soit inscrit à la banque nationale de données génétiques, ce n'est pas la même chose que de dire aux parents qu'ils peuvent faire enregistrer les empreintes génétiques ou digitales de leurs enfants s'ils le souhaitent. Ce n'est pas comme si le gouvernement l'exigeait pour tous les nouveaux-nés.
Le sénateur Kinsella: En effet. Votre objectif est de voir les crimes résolus de façon plus efficiente et efficace, tout en vous assurant qu'il n'y a pas d'erreur judiciaire. Ne pourrait-on pas résoudre les crimes plus rapidement si, outre le fichier de criminalistique, on disposait du profil génétique de tous les habitants du pays?
M. Sullivan: Peut-être. Je ne prétends pas qu'il n'y a pas d'avantages à ce que tous soient inscrits à la banque de données.
Mais cela soulève d'autres questions. Nous avons déjà parlé de limites. Le ministère a établi ses limites au moment de la condamnation, nous en avons établi au moment du dépôt des accusations. L'idée d'appliquer cette mesure à tous, même s'ils n'ont jamais été suspects ou condamnés, mérite un débat plus approfondi.
Le sénateur Kinsella: Seriez-vous d'accord pour dire que le choix du moment où on prélèvera l'échantillon est en fait une décision arbitraire?
M. Sullivan: Toute mesure législative est, dans une certaine mesure, une décision arbitraire, mais une décision serait rendue par la Cour suprême du Canada. Par exemple, les dispositions législatives concernant les délinquants dangereux ont fait l'objet d'une telle décision.
Le sénateur Joyal: J'aimerais revenir aux droits des victimes. Vous représentez le Centre canadien de ressources pour les victimes de crimes. Comme vous le savez, lorsque nous sommes saisis de questions comme celle-ci, nous devons tenir compte des droits et libertés conférés aux Canadiens par la Charte.
Dans le passé, votre organisation s'est-elle penchée sur les droits des victimes par opposition aux droits des accusés en vertu de la Charte canadienne des droits et libertés? Vous savez sans doute que l'article 1er de la Charte limite les droits des Canadiens à ce qui est acceptable dans une société libre et démocratique. En examinant un projet de loi tel que celui-ci, nous devons déterminer à quel moment les droits des victimes que nous voulons protéger ont préséance sur les droits individuels.
Si votre organisation s'est penchée sur l'équilibre à atteindre entre les droits des accusés et les droits des victimes aux termes de la Charte canadienne des droits et libertés, pourriez-vous nous faire part de ses conclusions?
M. Sullivan: Nous n'avons pas fait d'études officielles à ce sujet. Toutefois, régulièrement, nous examinons régulièrement l'équilibre au sein du système de justice entre les droits des accusés et des condamnés et ceux des victimes. La Charte ne prévoit rien de particulier pour les victimes. Les droits des victimes de crimes sont semblables à ceux de la majorité des Canadiens. Par conséquent, l'équilibre dont vous parlez ne doit pas se faire entre les droits des accusés et les droits des victimes, mais plutôt entre les droits des accusés et les droits de la population en général. Lorsque nous parlons de victimes, nous parlons aussi des victimes en puissance.
Nous avons rendu public un rapport sur la situation des droits des victimes au Canada. Dans ce rapport, nous parlons de l'équilibre entre les divers rôles et les divers droits. Je pourrai vous en faire parvenir un exemplaire. Toutefois, il ne traite pas précisément des banques de données génétiques. Il s'agit plutôt d'une étude générale sur le rôle des victimes dans le système de justice et le poids qu'on doit accorder aux droits des victimes par rapport aux droits des accusés.
Le sénateur Joyal: Avez-vous sollicité des avis par écrit à ce sujet auprès d'avocats, d'auteurs ou de professeurs de droit, des opinions que vous pourriez nous remettre afin d'éclairer notre lanterne?
M. Sullivan: Notre rapport traite surtout des préoccupations des victimes de crimes, de leur expérience du système de justice et de l'équilibre que nous recherchons. Nous n'avons pas consulté d'avocats ou de professeurs. Vous savez sans doute que le comité de la justice de la Chambre des communes a récemment rendu public un rapport sur les droits des victimes.
Le sénateur Joyal: Je vous pose la question, car je crois que nous pourrions profiter de votre expérience quotidienne auprès des victimes, que vous pourriez nous dire si elles jugent que leurs droits sont protégés au sein du système en comparaison avec ceux des accusés.
Certains ont l'impression que les accusés sont mieux protégés que les victimes. Voilà pourquoi nous voulons connaître votre point de vue, notamment concernant ce projet de loi. D'après les témoignages de ceux qui s'intéressent à l'application de nos lois, ce texte contribuerait grandement à rendre notre système plus juste à cet égard.
M. Sullivan: Nous ferons parvenir le rapport au comité.
Au Canada, les victimes n'ont pas de droits comme tels. Au sein du système, on permet aux victimes de faire certaines choses, mais on ne pourrait dire qu'elles ont des droits. Par exemple, au moment de la détermination de la peine, les victimes ont le droit de faire une déclaration sur l'incidence du crime. Si la victime ne fait pas cette déclaration -- si, pour quelque raison que ce soit, le ministère public ne le lui demande pas ou que le juge estime qu'il n'y a pas lieu de le faire en l'espèce -- cela ne porte pas à conséquence. En revanche, si on viole les droits de l'accusé, l'accusation contre lui sera peut-être retirée ou il aura peut-être droit à un nouveau procès, et à juste titre.
Les concepts de droits de la victime et de droits de l'accusé ne sont pas sur un pied d'égalité. Les droits des victimes sont encore vus comme des privilèges qu'on leur accorde lorsque ça ne fait pas obstacle au bon fonctionnement du système.
Le sénateur Fraser: Vous avez dit préférer que le projet de loi soit modifié et amélioré même si cela devait retarder son adoption. Que préférez-vous: que le projet de loi soit adopté sous sa forme actuelle ou qu'il soit d'abord modifié, ce qui, selon les avis juridiques que nous avons obtenus, signifierait probablement qu'il serait jugé anticonstitutionnel par la Cour suprême?
M. Sullivan: Il ne fait aucun doute que, quelle que soit la forme que prendra ce projet de loi, une fois adopté, il fera l'objet d'une contestation devant la Cour suprême; c'est le cas de la plupart des mesures législatives.
Le sénateur Fraser: Je vous propose de truquer les dés à votre avantage. Quel risque seriez-vous prêt à prendre?
M. Sullivan: Il est difficile pour moi de vous répondre. J'estime que le projet de loi, s'il était modifié selon nos recommandations, serait jugé conforme à la Charte. La question est intéressante, car il serait bon de savoir déjà ce que la Cour suprême en pense.
Si vous me demandez si je suis prêt à risquer que certaines dispositions soient jugées anticonstitutionnelles, je vous répondrai que je suis convaincu que le projet de loi, s'il était modifié selon nos recommandations, survivrait à une telle contestation et que nous sommes prêts à prendre le risque.
La présidente: Merci d'être venu témoigner aujourd'hui, monsieur Sullivan.
Notre prochain témoin, cet après-midi, est Mme Brosseau, du Barreau du Québec.
[Français]
Mme Carole Brosseau, avocate, Service de recherche et de législation, Barreau du Québec: J'aimerais d'abord et avant tout vous remercier au nom du bâtonnier du Québec, Me Fournier, d'avoir pensé à nous pour venir vous présenter notre mémoire. Je suis avocate au Service de recherche et de législation du Barreau du Québec. À ce titre, nous travaillons en comités de travail -- comité d'experts -- sur lesquels ont siégé, particulièrement pour ce mémoire, des experts en droit criminel, en droit d'éthique et en droit de la santé.
Comme je l'ai déjà mentionné auparavant, les personnes qui siègent sur le comité ne présentent pas qu'une seule position puisque nous avons des représentants tant de la Couronne que de la défense, de même que des professeurs d'université. Nous tentons quand même de répondre aux objectifs pour lesquels le Barreau du Québec existe, c'est-à-dire la protection du public.
Cela dit, je dois vous avouer que le mémoire que vous avez devant vous doit comporter de petites réserves parce que le projet de loi qui a été adopté par la Chambre des communes, en septembre dernier, a porté des modifications qui modifient également notre mémoire.
Le sénateur Kinsella: Vous avez mentionné un mémoire. Quel est ce mémoire?
Mme Brosseau: Le mémoire du Barreau du Québec. Vous ne l'avez pas? J'avais demandé qu'on le distribue.
[Traduction]
La présidente: Je croyais que les membres du comité l'avaient reçu. Je suis désolé que vous n'en ayez pas d'exemplaire, sénateur Kinsella. C'est un mémoire qui date de décembre 1997, il y a environ un an.
Mme Brosseau: C'est exact.
[Français]
Mme Brosseau: Je peux vous résumer l'essentiel du mémoire qui avait été présenté. Nous avions soulevé deux points fort importants sur ce projet de loi.
D'une part, on retrouve, dans le fichier criminalistique, des informations, des données sur les victimes mais aussi tout l'aspect temporel, c'est-à-dire la conservation indéfinie des données génétiques, qui nous apparaissait un peu trop exorbitante. C'est essentiellement les deux points que nous avions soulevés devant le comité permanent de la justice de la Chambre des communes.
Comme nous étions le dernier organisme à témoigner devant le comité permanent et que la question des victimes n'avait pas été soulevée par d'autres organismes, nous étions été très heureux de constater que le nouveau projet de loi prévoyait, dans le cas des victimes dont les données génétiques se retrouveraient dans le fichier criminalistique, une réserve quant à l'utilisation ou à l'accessibilité de ces données. Nous aurons la même restriction que pour les autres fichiers criminalistiques.
Cependant, la nouvelle disposition 8.1 du projet de loi C-3 adopté le 29 septembre dit, essentiellement, que tout renseignement contenu dans le fichier criminalistique doit, en conformité avec d'éventuels règlements, être rendu inaccessible une fois pour toutes s'il concerne un profil d'identification génétique établi à partir d'une substance corporelle.
On y mentionne la victime, donc ceci la protège, mais le principe de l'inaccessibilité nous paraît insuffisant. Le principe devrait être la destruction de ces données, et dans le cas de l'impossibilité de détruire l'information sur les données génétiques, ces dernières devraient devenir inaccessibles.
Lorsque nous avons proposé cela, on nous a expliqué que c'était principalement la technologie actuelle qui ne permettait pas d'assurer que la destruction des données soit réalisée.
Bien que l'on reconnaisse que la technologie ne soit pas adaptée, il faudrait quand même, après un certain temps, que le principe de la destruction des données génétiques soit le principe reconnu, ainsi que leur inaccessibilité, subsidiairement.
Dans le projet de loi C-3, tel qu'adopté le 29 septembre, il y a aussi une disposition de l'article 10 où on prévoit justement, dans le cas où il y aurait des progrès techniques, la possibilité d'effectuer de nouvelles analyses. Je ne vois pas pourquoi le même principe ne pourrait pas être reconnu dans le cas de la destruction des données génétiques.
Le deuxième point, c'est le temps. Le projet de loi prévoit la conservation indéfinie des données génétiques. Nous avions proposé, lors du document de consultation en 1994, un principe de conservation temporelle, à savoir dix ans après l'utilisation de ces données, l'expiration des délais d'appel, et cetera. C'est le principe de la destruction automatique des données génétiques. Et si le procureur général considère que ces données sont encore nécessaires, que le procureur général a le fardeau de la preuve, il se doit d'indiquer ou de prouver que ces données devraient être conservées.
Essentiellement, ce sont les points que nous désirions soulever aujourd'hui au sujet des modifications au projet de loi C-3.
Par ailleurs, j'aimerais indiquer que ce projet de loi, dans son essence, est bien structuré. Je ne veux pas le défendre ici, mais il est à maturité. Nous avons prévu des modalités quant aux prélèvements, des mandats d'ADN sont prévus. Ce qui est intéressant, c'est que nous avons également prévu une clause crépusculaire, mais c'est en fait une disposition législative qui permet de réviser l'application de cette loi après cinq ans.
Compte tenu du développement de la technologie, je pense que cette disposition et cette révision de l'application de la loi sont judicieuses. Peut-être qu'à ce moment-là, on pourra revenir sur le principe de la destruction des données si on nous oppose toujours les problèmes technologiques. Malgré tout, nous demeurons fermes sur la position de détruire les données et les renseignements que nous avons.
Le problème tient surtout à l'utilisation abusive des données. C'est le problème qui risque de ressortir de ce genre de projet de loi. Cela complète ce que avions à dire.
La présidente: Merci, madame Brosseau.
Le sénateur Beaudoin: Je désire vous remercier pour le résumé de votre mémoire. En ce qui a trait à la destruction et à l'inaccessibilité des données, à quoi sert un test, un profil ou un spécimen s'il est totalement inaccessible? Pourquoi le garde-t-on?
Mme Brosseau: C'est pour cela que nous recommandions une limite temporelle de 10 ans.
Le sénateur Beaudoin: Pour la conservation indéfinie, vous suggérez 10 ans?
Mme Brosseau: Au maximum.
Le sénateur Beaudoin: Prenez par exemple un criminel de haut vol. Est-ce que c'est nécessairement mauvais de garder ses empreintes pendant 10, 15 ans?
Mme Brosseau: Ce que nous disons à ce sujet, c'est que le principe devrait être la destruction des données après 10 ans.
Cependant, le procureur général peut toujours faire la preuve que la conservation des données est nécessaire dans le cas de la personne concernée. Donc, il y aurait une possibilité de conserver les données. Ce serait simplement un renversement du fardeau de la preuve.
Le sénateur Beaudoin: C'est le fardeau de la preuve qui serait renversé dans ce cas. La jurisprudence admet le renversement du fardeau de la preuve d'après la Charte, dans certains cas. Après un certain temps, disons 10 ans, on devrait procéder à la destruction des données, à moins que le procureur général ne prouve que c'est dans l'intérêt de l'État de garder ces empreintes plus longtemps. Vous renversez le fardeau de la preuve, mais cela demeure possible.
Mme Brosseau: Exactement, cela demeure possible.
[Traduction]
Le sénateur Grafstein: En anglais, on emploie l'expression «sunset clause», ce qui sous-entend que la loi disparaîtra comme le soleil qui se couche à l'horizon. Il y a renouvellement si le soleil se lève.
Le sénateur Beaudoin: C'est exact.
[Français]
Le sénateur Beaudoin: Le soleil se couche tous les jours! Le crépuscule arrive toujours alors que selon votre interprétation, il n'arrive pas toujours.
Mme Brosseau: Ce qu'on prévoit dans la loi, c'est une révision de l'application.
Le sénateur Beaudoin: Depuis trois ou quatre semaines, on voit ce genre de clause où l'on prévoit une révision tous les cinq ans, et cetera. Vous ne vous opposez pas à cela?
Mme Brosseau: Non, au contraire. Il faut réviser cette loi en raison de la nature de la technologie. On nous propose, pour la conservation des données génétiques, les méthodes d'ADN parce qu'on dit toujours que la meilleure méthode est de prendre l'échantillon le plus sûr, et on parle ici du sang et de la salive. Depuis le début de la consultation sur ce projet de loi, les méthodes ont profondément évolué. Je pense qu'il est nécessaire d'étudier l'application de cette loi. Cette approche est nouvelle même si, au niveau des empreintes digitales, on a quand même une certaine expérience.
Le sénateur Beaudoin: Je voudrais revenir sur la conservation indéfinie des données. Le procureur général de la province concernée pourrait toujours dire après dix ans: «Je veux qu'on le conserve pour telle et telle raison.» Mais on conserverait ces données pour combien de temps? Indéfiniment?
Mme Brosseau: À ce moment-là, cela pourrait être une discrétion judiciaire. Nous avons toujours tendance à favoriser la discrétion judiciaire de tradition. Cela pourrait être une discrétion judiciaire où le juge, dépendamment de la preuve qui lui est fournie, pourrait dire qu'il l'accorde pour un certain temps. Il n'y a rien de prévu actuellement. Dans le cas de silence, on préfère toujours la discrétion judiciaire.
Le sénateur Beaudoin: Ma dernière question concerne le concept d'utilisation abusive. J'aimerais savoir ce que vous voulez dire par cela, parce que le mot «abusive», c'est dans l'ordinateur, c'est dans les documents.
Mme Brosseau: Je vais vous donner un exemple. Ces données vont être utiles pour faire la preuve qu'une infraction qui a été commise. Rien n'interdit actuellement la technologie d'aller très loin dans le domaine génétique. Une personne peut avoir tel déficit, et vous avez un tas de profils qui peuvent même identifier votre façon de vivre, et cetera. Cela pourrait être délicat, là réside le danger. Ces données serviraient davantage à l'utilisation qu'à la cueillette de ces données.
Le sénateur Beaudoin: Je pense que vous soulevez un bon point en ce sens que si les tests sont tellement extraordinaires sur le plan scientifique, que vous savez plus que ce que la sécurité publique demande ou exige, cela devient abusif, exagéré. Par exemple, si on a toute l'histoire médicale de la personne, ce n'est peut-être pas nécessaire pour la sécurité de l'État d'en savoir autant.
Mme Brosseau: Je vais vous donner un exemple. Une personne qui souffrirait d'un déficit d'attention -- maladie qui touche à peu près 20 p. 100 de la population -- est-ce que cela, cette incapacité de se concentrer, aura une influence? En quoi cela aidera-t-il la cause? Est-ce que cela peut aider les choses? Je ne crois pas.
Le sénateur Beaudoin: Comment appelez-vous cela, un déficit d'attention? C'est très fréquent.
Mme Brosseau: Oui, 20 p. 100 de la population en est atteint. Il y a des renseignements qu'on peut découvrir à partir de ces technologies qui ne sont peut-être pas pertinents pour les fins d'une enquête policière.
Le sénateur Beaudoin: Suggéreriez-vous un amendement?
Mme Brosseau: Non, nous n'avons pas suggéré d'amendement à la lumière de ce que nous savions. Ce n'est pas, non plus, la teneur de notre mémoire. Nous y voyons un danger. L'appréciation que nous avions de la disposition était qu'après quelques années, on pourrait réviser cet article de la loi. Mais il ne faut pas oublier que la Charte est toujours là et que, dans certains cas, on pourrait y avoir recours. Peut-être, s'il y avait une utilisation abusive, l'article 8 pourrait-il être appliqué?
Le sénateur Kinsella: À la page 6, à l'article 10.(2), on dit que le commissaire de la GRC a un pouvoir discrétionnaire. Peut-être voulez-vous faire un commentaire à ce sujet? J'aurais deux questions à vous poser. Si on pense à la nouvelle technologie, peut-être peut-elle donner une analyse fantastique si le spéciment est nouveau? Peut-être serait-ce un argument pour appuyer le point de vue que vous avez présenté ce soir?
Mme Brosseau: La façon dont je perçois cette disposition se situe à l'étape de la discrétion du choix des échantillions recueillis et confiés au commissaire «qu'il juge utiles et détruire sans délai les autres». Je pense que cela est simplement une question de faire un choix, de sélectionner les échantillons qu'il garde et ceux qu'il ne conserve pas. On parle de substances corporelles et non de données génétiques. Ce sont juste des exhibits ou des échantillons. Si on a un échantillon de cheveux, un échantillon de sang ou un échantillon de salive, le commissaire va probablement choisir l'échantillon le plus sûr. Donc, il va automatiquement détruire les autres. C'est davantage la garantie de ne pas conserver d'échantillons qu'ils vont trop largement utiliser.
Le sénateur Kinsella: Vous ne voyez donc pas de difficultés à laisser cette responsabilité au commissaire?
Mme Brosseau: Non, je pense que c'est beaucoup plus de nature administrative qu'un principe fondamental d'utilisation. C'est vraiment une question de sélection de données, par exemple.
[Traduction]
Le sénateur Grafstein: J'ai quelques questions d'ordre général à vous poser sur le Barreau du Québec. Le barreau a-t-il fait récemment, ou il y a plus longtemps, des études sur la protection de la vie privée et la Charte? Y a-t-il des études récentes sur ce sujet, les limites à la vie privée telles qu'elles sont prévues par la Charte? Sans que cela s'applique précisément à ce projet de loi, en général, le barreau a-t-il étudié le droit à la vie privée et les limites de ce droit?
[Français]
Mme Brosseau: Oui, naturellement, quand on a étudié cela d'un point de vue éthique, nous avons bien sûr considéré tout l'aspect de la vie privée. Ce qui est important et ce qui est intéressant dans ce projet de loi, c'est qu'on reconnaît des principes. Donc, dans l'interprétation éventuelle advenant un litige, il est sûr que, les principes de la vie privée étant reconnus dans le projet de loi, le juge concerné devra, dans l'interprétation qu'il fera de la loi, les prendre en considération. Comme le disait la Commission de réforme du droit, il faut y avoir un équilibre entre la vie privée et les intérêts d'une recherche. Ce n'est pas nécessairement néfaste. Je vous rappellerai deux cas récents sur l'identification, pour ne pas les oublier. Ce sont les cas de Guy Paul Morin et de David Milgard.
Ce sont les deux cas qui me reviennent à l'esprit où les preuves d'ADN ont permis de libérer ces gens.
Dans ces cas, c'est volontairement qu'ils ont soumis des échantillons d'ADN. Dans le cas de la vie privée, votre question est très justifiée. Si le principe n'avait pas été reconnu dans le projet de loi comme il est rédigé actuellement, on aurait pu craindre un abus. La reconnaissance de la vie privée est une garantie, à mon avis.
[Traduction]
Le sénateur Grafstein: Les représentants du gouvernement et d'autres témoins nous ont dit que, selon les preuves scientifiques dont ils disposaient, dans les procédures judiciaires criminelles, on n'utiliserait que les marques d'identification et non pas le profil médical ou quoi que ce soit d'autre.
Le barreau s'est-il penché sur la question? La population peut-elle être convaincue qu'on ne franchira pas cette démarcation entre l'identification physique stricte et les analyses à d'autres fins?
[Français]
Mme Brosseau: Vous avez raison. Il faut que ce soit assimilé à une identification plus sûre de la personne que les empreintes digitales. C'est un peu dans ce sens. C'est ainsi que nous percevons le projet de loi. C'est l'identification, ce n'est pas une utilisation exponentielle de ce que peut fournir comme information les données génétiques. Encore là, je comprends votre crainte légitime d'un abus de la vie privée des gens. Cela rejoint un peu la question que vous m'aviez posée précédemment. Effectivement, l'utilisation des données doit être limitée.
Si justement elle devient exponentielle, à ce moment-là, comme le disait le sénateur Beaudoin, les dispositions de la Charte pourront limiter ou arrêter l'abus.
[Traduction]
Le sénateur Grafstein: J'essaie de comprendre votre position. Ce n'est pas encore clair dans mon esprit et je vous demanderais donc un éclaircissement.
Si on empiète sur la vie privée de quelqu'un dans le cadre d'une enquête criminelle ou après le dépôt des accusations, si l'analyse génétique sert à des fins autres que d'identification, le seul recours de l'intéressé est d'invoquer la Charte. Est-ce là votre position?
[Français]
Mme Brosseau: Ma position est plus nuancée. Ce projet de loi doit servir à des fins exclusives de rechercher la vérité ou d'obtenir des informations. On ne doit pas aller au-delà. Naturellement, s'il y a abus, que doit-on faire? Je suis avocate de formation, le Barreau du Québec a des avocats, nous les formons bien, nous avons un code de déontologie, nous croyons à notre système judiciaire. La justice devra avoir un droit de regard sur le projet de loi et sur la loi qui sera éventuellement adoptée.
Les tribunaux devront vérifier si l'application de la loi est conforme à l'esprit dans lequel elle a été adoptée. Je ne peux pas vous répondre au-delà.
[Traduction]
Le sénateur Grafstein: J'ai une courte question sur un autre aspect. Le projet de loi ne s'applique qu'aux infractions désignées. On nous a dit que, en Angleterre, le projet de loi a une portée beaucoup plus vaste et s'applique à des infractions telles que les vols ou les cambriolages. Autrement dit, il s'applique à des infractions allant du délit jusqu'aux infractions punissables par procédure sommaire. Que pensez-vous de la portée du projet de loi? Croyez-vous que le projet de loi représente le juste milieu?
[Français]
Mme Brosseau: Oui et non, le fait qu'on désigne des infractions va être utile non seulement pour notre droit interne, mais, comme on l'a vu, il y a des dispositions d'échange, d'information avec d'autres pays, et cela va être aussi utile à cet effet.
Notre problème est que, pour certaines infractions désignées, les voies de fait entre autres, ce crime est punissable par cinq ans et moins. Nous trouvons cela un peu abusif. Par voies de fait, j'entends par exemple que l'on peut frapper quelqu'un au visage. Nous trouvons cela un peu abusif. Bien sûr que le fait que ce soit des informations désignées, c'est déjà un point. C'est quand même une nouvelle technologie, mais il faut l'éprouver. Il faudrait peut-être réviser certaines infractions qui sont punissables de cinq ans et moins. J'en ai identifié quelques-unes. Il faudrait les réduire un peu. C'est quand même une procédure particulière.
Le sénateur Joyal: Madame Brosseau, je voudrais revenir aux propos que vous avez tenus au moment où vous avez fait votre présentation. Il y a 17 noms d'avocats qui figurent comme ayant participé à la préparation de votre mémoire. Onze ont participé à l'élaboration écrite du mémoire. Comment se répartissent ces personnes entre les avocats de la défense et les avocat de la poursuite?
Mme Brosseau: Je vous dirais moitié-moitié.
Le sénateur Joyal: Cela me permet de voir comment l'approche s'est répartie. Si j'ai compris votre deuxième préoccupation, soit la durée de la conservation des échantillons, vous êtes préoccupésessentiellement par la période indéfinie de la conservation des données dans la banque. Est-ce que je vous paraphrase correctement en affirmant ceci?
Mme Brosseau: Très bien.
Le sénateur Joyal: Au moment où votre exprimez ce souhait, avez-vous tenu compte de l'opinion rendue publique par le ministre de la Justice et le solliciteur général au mois de mai dernier, opinion qui a été exprimée par les juges Dubin, Bisson et Taylor, des Cours d'appels respectives de l'Ontario, du Québec et de la Colombie-Britannique, dont en particulier l'opinion du juge Dubin qui remet en cause, d'une certaine façon, la constitutionnalité de la banque de données précisément sur la base de la conservation indéfinie des échantillons conservés?
Mme Brosseau: C'est un risque. Techniquement, si j'étais un plaideur, c'est une chose que je plaiderais. Comme je l'ai mentionné plus tôt, on nous a opposé la technologie pour la conservation, et je ne pense pas que tout cela soit justifié.
Le sénateur Joyal: Si j'ai compris votre témoignage, en réponse aux questions du sénateur Beaudoin, la clause dite crépusculaire, qui est en fait une clause de révision de la loi...
Mme Brosseau: Je dirais une révision, pas essentiellement de la teneur de la loi, mais aussi de l'application de la loi.
Le sénateur Joyal: L'article 13 dit que le Parlement désigne ou constitue un comité, soit de la Chambre des communes, soit mixte, chargé spécialement de l'examen de la présente loi dans les cinq ans suivant son entrée en vigueur. En anglais, on dit, et je cite:
[Traduction]
13.(1) Le Parlement désigne ou constitue un comité, soit de la Chambre des communes, soit mixte, chargé spécialement de l'examen de la présente loi dans les cinq suivant son entrée en vigueur.
[Français]
Donc, c'est une révision de l'application de la loi.
Mme Brosseau: Essentiellement, ce n'est pas une révision de la teneur de la loi. C'est pour cela que nous avons décidé de comparaître aujourd'hui. Nous voulions justement insister sur le fait que nous avons dit et répété maintes une fois que le temps, l'application temporelle, étaient importants. C'était l'un des objectifs de notre comparution d'aujourd'hui.
Le sénateur Joyal: Est-ce que j'ai bien compris votre propos à l'effet que la présence de cette clause dans la loi vous suffit, à cette étape-ci, pour répondre à la préoccupation que vous avez quant à la conservation en temps des échantillons détenus dans la banque de données?
Mme Brosseau: Non, elle serait suffisante non pas pour la conservation en temps, mais pour la destruction. C'est ce que je vous expliquais plus tôt. L'article 8.1 parle non pas de destruction, mais de non-accessibilité.
Pour la destruction, on pourrait y revenir. J'imagine que, d'ici cinq ans, les systèmes informatiques vont avoir évolué de façon telle qu'on va peut-être pouvoir dire, dans un cas donné, qu'on ne désire pas la destruction d'un bloc de données mais simplement la destruction d'une seule donnée. Pour la destruction, cette clause pourrait convenir, mais pour l'aspect temporel, absolument pas. Le problème demeure entier.
Si je comparais devant vous cet après-midi, c'est justement parce qu'on ne l'a pas du tout corrigé. Nous pouvons comprendre que la technologie ne puisse pas permettre la destruction des données, mais par contre, nous ne pouvons pas expliquer que la conservation indéfinie soit acceptable.
Le sénateur Joyal: Si j'ai bien compris votre témoignage, dans un premier temps, vous êtes satisfaite de la présence de l'article 13 qui permettrait, sur le plan technique, après cinq ans, de voir comment le système informatique a évolué pour permettre la destruction des données?
Mme Brosseau: Pas juste la destruction, mais pour les analyses elles-mêmes et pour les méthodes d'analyse. Il faut réviser cela régulièrement.
Le sénateur Joyal: Il n'y a aucun doute que l'ensemble de la technologie aura évolué d'ici cinq ans. En ce qui concerne votre deuxième point, ce que vous demandez aujourd'hui est d'établir un principe selon lequel, après dix ans, les éléments de conservation indéfinie soient limités, quitte à ce que le procureur général, s'il a une raison suffisante de justifier la conservation, en fasse la demande selon la procédure habituelle?
Mme Brosseau: C'est suffisant, parce que dans le cas où il y aurait une autre commission sur un autre acte criminel, qui va empêcher, s'il n'y a plus de données génétiques sur une personne, un autre prélèvement d'échantillon? Qui va empêcher qu'il y ait un autre mandat requérant une prise d'échantillon? Personne. Je crois que dix ans est nettement suffisant.
Le sénateur Joyal: Très bien.
[Traduction]
Le sénateur Moore: Me Brosseau, dans votre déclaration, vous avez fait allusion à l'article 8.1 qui dit notamment ceci:
8.1 Tout renseignement contenu dans le fichier de criminalistique doit, en conformité avec d'éventuels règlements, être rendu inaccessible une fois pour toutes...
Les représentants de la police nous ont dit que les empreintes digitales qui ne sont plus nécessaires sont conservées jusqu'à ce qu'on demande par écrit qu'elles soient détruites. Que pensez-vous de cette suppression permanente? Quand et comment devrait-elle se faire? Devrait-on exiger une demande par écrit? Devrait-elle se faire automatiquement? Si cela se fait automatiquement, comment pourrons-nous nous assurer que tel est bien le cas?
[Français]
Mme Brosseau: C'est une information que j'ignorais. Nous ne nous sommes pas penchés du tout sur cet aspect de la question. J'aurais peut-être une opinion personnelle que je tairai pour la raison suivante: je représente le Barreau du Québec et, normalement, quand j'ai une position officielle à donner, il faut que je me réfère à mon organisation. Nous n'avions pas cette information que vous détenez en ce moment.
Même si un de nos membres (Me Asselin) fait partie d'un corps de police, possiblement qu'à travers le Canada, l'application n'est pas la même actuellement. Je n'ai pas de réponse à vous donner, malheureusement, puisque nous n'avons pas été informés à ce sujet.
[Traduction]
Le sénateur Moore: À titre d'éminent membre du barreau, que pensez-vous personnellement de la suppression permanente et de la façon dont elle devrait se faire? J'ignore si le règlement a déjà été rédigé. Ici on dit qu'elles peuvent l'être, mais nous pourrions peut-être donner des directives à ce chapitre.
[Français]
Mme Brosseau: Je me sens très mal à l'aise de donner mon opinion personnelle sur ce sujet en ce moment. Cela me fera plaisir de vous la donner plus tard.
Le sénateur Beaudoin: Votre comité me semble très intéressant. J'y vois le nom d'Anne-Marie Boisvert; est-elle professeure à l'Université de Montréal?
Mme Brosseau: Oui. Elle est actuellement présidente de notre comité. Elle devait m'accompagner mais, à cause d'un voyage récent en Chine, elle n'a pas pu venir.
Le sénateur Beaudoin: Mais elle a siégé sur le comité?
Mme Brosseau: Oui. Elle est toujours présente.
Le sénateur Beaudoin: Il y a également des avocats de la défense et des avocats de la Couronne?
Mme Brosseau: Exactement.
Le sénateur Beaudoin: Est-ce trop de vous demander si le verdict est unanime ou s'il y a un certain consensus?
Mme Brosseau: Pour certains projets de loi, je dois vous avouer que quand il n'y a pas consensus, on n'en parle pas. C'est simple. Il y a toujours le consensus parce que nous travaillons vraiment, depuis quelques années, -- le sénateur Beaudoin est plus au courant que moi --, nous abondons tous dans le sens de la protection du public. Nous nous plaçons du point de vue des citoyens. Nous regardons aussi les dispositions de la Charte, puis nos règles de droit et nous essayons de voir cela à la lumière de ces dispositions.
Dans certains cas, je ne vous le cacherai pas, les débats sont houleux et pas nécessairement consensuels. Dans l'ensemble, sur les points sur lesquels tout le monde s'entend, des propositions seront faites au comité administratif, qui seront retenues ou non, dépendamment des situations. Là aussi, nous plaidons nos dossiers.
Le sénateur Beaudoin: Si je suis bien votre raisonnement, il y aura un certain consensus.
Mme Brosseau: C'est consensuel. Tous sont d'accord.
Le sénateur Beaudoin: Il y a beaucoup d'experts?
Mme Brosseau: Ce ne sont que des experts.
Le sénateur Beaudoin: Personne n'a suggéré d'amendements?
Mme Brosseau: Oui, nous avons suggéré les amendements introduits par l'article 8.1. Nous avons suggéré différentes choses, mais je suis allée à l'essentiel, dont les délais temporels, c'est-à-dire la période de dix ans.
Nous avons suggéré aussi que certaines infractions désignées, particulièrement les infractions secondaires, les infractions des catégories où il y avait cinq ans et moins comme peine possible, soient toutes retirées de la liste des infractions désignées.
Nous avons suggéré notamment que les mandats d'ADN aient une procédure comparable à ce qu'on retrouve actuellement dans les dispositions de l'article 185 sur les mandats d'écoute électronique. Nous avons plein de suggestions. Ce ne sont pas des suggestions que nous n'avons pas faites, mais les deux principales, et c'est ce dont je suis venue vous parler aujourd'hui, concernaient essentiellement les dispositions à l'égard des victimes. Vous allez les retrouver dans le mémoire. Elles ont été introduites par l'article 8.1 suite à notre comparution devant le comité permanent de la justice sur la destruction, et non seulement la non-accessibilité des informations. Nous l'avons demandé, et je suis venue ici aujourd'hui pour le réitérer. Oui, nous avons fait des demandes de modifications.
Le sénateur Beaudoin: Votre argument contre la conservation indéfinie est très fort. Je dois avouer qu'il est rare qu'une cour accepte quelque chose d'indéfini en droit criminel.
Le sénateur Beaudoin: Vous suggérez dix ans. Le procureur général a le fardeau de la preuve qu'il est nécessaire d'aller au-delà de dix ans. Tout serait réduit à dix ans en règle générale.
Mme Brosseau: Oui.
Le sénateur Beaudoin: Pour l'utilisation abusive, quelle est votre suggestion?
Mme Brosseau: Il faut faire attention, l'utilisation ne doit être faite qu'aux fins d'enquête policière, sans plus. Il ne faut pas qu'il y ait une utilisation exponentielle des possibilités que peuvent offrir les données génétiques comme source d'informations personnelles.
Le sénateur Beaudoin: Cela m'apparaît très fort.
[Traduction]
La présidente: Merci, Me Brosseau, d'être venue.
La séance est levée.