Délibérations du comité sénatorial permanent
des
Affaires juridiques et constitutionnelles
Fascicule 45 - Témoignages pour la séance du soir
OTTAWA, le mercredi 2 décembre 1998
Le comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel a été renvoyé le projet de loi C-3, Loi concernant l'identification par les empreintes génétiques et modifiant le Code criminel et d'autres lois en conséquences, se réunit aujourd'hui à 17 h 35 pour étudier le projet de loi.
Le sénateur Lorna Milne (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente: Chers collègues, je souhaite la bienvenue à tous, y compris à nos téléspectateurs, à la pièce 257 de l'édifice de l'Est. Nous tenons la cinquième séance du comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles sur le projet de loi C-3, Loi concernant l'identification par les empreintes génétiques et modifiant le Code criminel et d'autres lois en conséquence. Le projet de loi prévoit la création d'une banque nationale de données génétiques tenue par le commissaire de la GRC et qui aidera les corps policiers à élucider des crimes.
Le projet de loi a été adopté par la Chambre des communes le 29 septembre dernier et a fait l'objet de la première lecture au Sénat le lendemain. Il y a eu deuxième lecture du projet de loi le 22 octobre 1998; cela signifie que le Sénat a approuvé en principe le projet de loi.
Nous avons ensuite été saisis du projet de loi C-3 pour en faire un examen détaillé. Cet examen s'est amorcé la semaine dernière avec le témoignage de M. Jacques Saada, secrétaire parlementaire du solliciteur général, le ministre qui parraine ce projet de loi.
Le comité a ensuite entendu deux témoins du Laboratoire judiciaire central de la GRC, puis des représentants de l'Association canadienne des policiers et de l'Association canadienne des chefs de police.
Plus tôt aujourd'hui, nous avons accueilli des représentants du Centre canadien des ressources pour les victimes de crimes et du Barreau du Québec. Nous accueillons maintenant M. Michael Zigayer et M. Stanley Cohen, du ministère de la Justice.
Avant d'entendre nos témoins de ce soir, j'aimerais lire aux fins du compte rendu une lettre que j'ai reçue hier de l'honorable Lawrence MacAulay, solliciteur général du Canada. Il est dit ceci:
Merci de m'avoir invité à témoigner devant le comité sénatorial des affaires juridiques et constitutionnelles le 7 décembre 1998 au sujet du projet de loi C-3 (Loi sur l'identification par les empreintes génétiques). Avant ma comparution, j'aimerais répondre à deux questions qui ont été soulevées par des membres du comité le 25 novembre 1998, lors du témoignage de M. Jacques Saada.
La première est la question du défaut du projet de loi de conférer aux autorités le pouvoir de prélever des échantillons d'ADN des contrevenants reconnus coupables d'infraction désignée par le système de justice militaire. Bien que le projet de loi C-3 vise surtout ceux qui ont été condamnés par le système de justice pénal civil, je partage la préoccupation du comité selon laquelle le profil génétique des contrevenants militaires ayant commis une infraction devrait être inclus dans la banque nationale de données génétiques. Pour régler cette question, j'ai l'intention de déposer dans les plus brefs délais un projet de loi qui conférera aux tribunaux militaires le pouvoir d'imposer le prélèvement d'ADN aux fins d'inclusion dans la banque de données génétiques d'ici à ce que cette banque soit mise sur pied. Comme vous le savez, le projet de loi C-3 ne peut entrer en vigueur que 18 mois après avoir reçu la sanction royale. Ces 18 mois permettront à la GRC d'établir et de mettre à l'essai l'infrastructure technologique nécessaire pour la banque de données génétiques.
La deuxième question qu'a soulevée le comité concerne l'absence dans le projet de loi de toute disposition autorisant un comité sénatorial indépendant à mener l'examen prévu cinq ans après l'entrée en vigueur de la loi. Je suis d'accord avec le comité pour dire qu'un comité sénatorial devrait avoir le même pouvoir qu'un comité de la Chambre de la commune de mener cette étude très importante. Par conséquent, je compte prévoir une modification à l'article en question dans le projet de loi dont je viens de parler.
Les provinces et territoires ainsi que tous les Canadiens souhaitent que la Banque nationale de données génétiques soit mise sur pied le plus rapidement possible afin que la sécurité de la population s'en trouve améliorée et qu'on puisse prévenir des crimes avec violence dans toutes les régions du pays. Le dépôt d'un projet de loi distinct nous permettra à la fois d'atteindre cet objectif et de résoudre les questions importantes qui ont été soulevées par votre comité.
Je vous remercie encore une fois de m'avoir invité à témoigner devant votre comité la semaine prochaine, et je suis impatient de discuter alors du projet de loi C-3 avec les membres du comité.
Veuillez agréer mes sincères salutations.
Lawrence MacAulay, c.p., député
Nous accueillons maintenant deux des fonctionnaires qui travaillent avec M. MacAulay. M. Michael Zigayer et M. Stanley Cohen.
Vous avez la parole, monsieur Zigayer.
M. Michael Zigayer, avocat-conseil, Section de la politique en matière de droit pénal, ministère de la Justice: Honorables sénateurs, avant de commencer, j'aimerais vous présenter mon collègue M. Stanley Cohen, avocat-conseil à la Section des droits de la personne du ministère de la Justice.
Il est aussi ancien professeur de droit à l'Université McGill et directeur de la recherche de la Commission du droit du Canada. Il a donné de nombreuses conférences et est l'auteur de nombreux articles sur la Charte et le système de justice pénal. Il a aussi écrit deux manuels, le premier portant sur l'application régulière de la loi et l'autre sur les atteintes à la vie privée.
Je suis avocat-conseil à la section de politiques en matière de droit pénal du ministère de la Justice. Je suis entré au ministère en janvier 1981, à Yellowknife. Pendant cinq ans, j'ai parcouru le Grand Nord à titre de procureur chargé des appels en matière pénale autant pour le Yukon que pour les Territoires du Nord-Ouest.
Depuis novembre 1985, je m'occupe surtout de l'élaboration de politiques en matière de droit pénal et d'initiatives législatives. J'ai travaillé à divers dossiers relatifs aux jurys, au terrorisme, au contrôle des armes à feu et à divers autres sujets tout aussi intéressants. J'ai commencé à travailler à ce projet de loi en 1994. Ce soir, j'aimerais faire quelques courtes observations liminaires pour ensuite répondre à vos nombreuses questions.
M. Cohen et moi-même sommes heureux de témoigner devant votre comité et nous espérons vous aider dans votre examen du projet de loi C-3.
Le 15 mai 1998, le comité permanent de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes a déposé son neuvième rapport à la Chambre des communes. Dans ce rapport, il demandait au ministère de la Justice et au ministère du Solliciteur général d'évaluer l'application du régime des mandats pour le prélèvement d'ADN, le projet de loi C-104 qui a été adopté en 1995, et de remettre au Parlement un rapport sur cette évaluation. Le 5 octobre de cette année, le gouvernement a déposé sa réponse au neuvième rapport.
Ce rapport commence par un bref historique de l'utilisation de la technique des empreintes digitales au Canada, de l'évolution de la technologie et de nos lois depuis que cette technique a été utilisée pour la première fois au Canada. On y présente aussi un aperçu des plus importants jugements en matière de preuve génétique et des constatations sur l'application des dispositions permettant l'obtention d'ADN avec un mandat depuis 1995.
Le rapport indique que, depuis 1995, plus de 500 mandats pour l'obtention d'ADN ont été délivrés à l'échelle du pays. Dans l'ensemble, la majorité des mandats ont été délivrés dans le cadre d'enquêtes sur des infractions à l'article 271 du Code criminel sur les agressions sexuelles. En deuxième lieu viennent les mandats délivrés relativement à des infractions à l'article 231 du Code criminel, le crime de meurtre.
Cet état de chose est probablement attribuable à deux facteurs. Premièrement, ce sont là deux des actes criminels les plus graves qui constituent par conséquent une priorité pour la police. Deuxièmement, c'est lors de la perpétration de ces deux crimes qu'il est le plus probable que le contrevenant laisse des échantillons d'ADN sur la scène du crime et qu'on puisse donc recourir à la technologie des empreintes génétiques.
Les dispositions législatives sur le mandat pour l'obtention d'ADN se sont avérées un outil d'enquête puissant qui peut aider la police à exclure des suspects aux premières étapes de l'enquête. Cet outil permet aussi à la police d'identifier ceux qui ont commis des crimes graves et de porter des accusations contre eux; l'efficacité des enquêtes de police et la protection du public s'en trouvent donc améliorées.
Il ne fait aucun doute que le projet de loi C-104 a contribué à la hausse d'un plaidoyer de culpabilité dans certains cas de crimes avec violence; la poursuite de ces criminels a ainsi été moins coûteuse.
Le projet de loi C-104 a été élaboré avec soin de façon à reconnaître l'importance que revêt pour les tribunaux la protection de la vie privée et le respect des exigences constitutionnelles relatives aux fouilles et saisies policières recensées dans des causes telles Hunter c. Southam, Poharetsky, Dyment, Borden et d'autres. Le projet de loi C-104 prévoyait l'obligation d'obtenir une autorisation judiciaire avant l'obtention du mandat. Il a aussi créé un régime dans le cadre duquel les agents de police qui font enquête sur une infraction désignée au Code criminel peuvent demander à un juge d'une cour provinciale un mandat les autorisant à prélever des substances corporelles d'un suspect dans certaines conditions précises. Le profil génétique obtenu grâce à ces substances devait servir à déterminer s'il existait un lien entre le suspect et l'infraction.
Ce projet de loi traitait de procédures de prélèvement et du genre de substances corporelles pouvant être prélevées aux termes d'un mandat, ainsi que des personnes qui pouvaient faire ces prélèvements. Il prévoyait aussi quelques dispositions spéciales visant à assurer la vie privée des suspects, surtout des jeunes contrevenants.
Le projet de loi C-3, qui propose la création d'une banque nationale de données génétiques, a été conçu en guise de complément au régime de mandat pour l'obtention d'ADN. Sa structure est relativement simple. On y prévoit les mêmes procédures de prélèvement que celles du projet de loi C-104. Une autorisation judiciaire à l'égard des infractions primaires et secondaires est requise dans toutes les circonstances, qu'il s'agisse de l'application prospective, rétrospective ou rétroactive de la loi.
Les infractions désignées sont les mêmes dans le régime des mandats que dans celui de la banque de données. À notre avis, la banque de données devrait améliorer la sécurité publique et permettre de disculper ou d'inculper les suspects. Elle sera très utile pour résoudre les crimes dont on ignore l'auteur. Comme celui qui est à l'origine des arrêts Borden et Stillman de la Cour suprême du Canada.
Ce qu'il importe de faire remarquer, c'est que le projet de loi C-3, comme le projet de loi C-104 avant lui, comporte d'importantes garanties de procédure en matière de prélèvement de substances corporelles. Il respecte l'équilibre entre, d'une part le respect de l'intégrité corporelle et le contrôle des substances corporelles, et d'autre part, la protection de la vie privée de l'accusé et le caractère envahissant des procédures de prélèvement.
Honorables sénateurs, on vous a demandé d'amender ce projet de loi pour permettre à la police de prélever automatiquement des substances corporelles au moment où des accusations sont portées dans le but de procéder à une analyse d'ADN et de verser les résultats dans la banque nationale de données d'ADN. Les partisans de cette formule assimilent le prélèvement d'échantillons d'ADN à la prise d'empreintes digitales. On peut cependant leur reprocher de ne pas tenir compte du fait que les tribunaux ont reconnu une différence importante entre les deux procédures. Contrairement au prélèvement de substances corporelles, la prise des empreintes digitales ne constitue pas une fouille.
Le point de vue du gouvernement sur cette question a été clairement exprimé le 11 mars dernier lorsque des fonctionnaires du ministère de la Justice ont comparu devant le comité permanent de la justice et des droits de la personne alors qu'il étudiait ce projet de loi. Le prélèvement systématique d'échantillons d'ADN au moment où des accusations sont portées et en l'absence de toute autorisation judiciaire risque fort de contrevenir aux articles 7 et 8 de la Charte canadienne des droits et libertés.
Sur cette question, le gouvernement s'est dit en accord avec le ministère du procureur général de l'Ontario et le ministère de la Justice du Nouveau-Brunswick, qui ont comparu tous deux devant le comité. Par la suite, le point de vue du gouvernement a été corroboré par les opinions de trois anciens juges d'appel, à savoir l'ancien juge en chef de la Cour d'appel du Québec, l'honorable Claude Bisson, l'ancien juge en chef de l'Ontario, l'honorable Charles Dubin et un ancien juge de la Cour d'appel de Colombie-Britannique, l'honorable Martin Taylor. Ces trois éminents juristes ont conclu, en termes explicites, que le prélèvement d'échantillons de substances corporelles sans consentement était manifestement assimilable à une fouille ou à une saisie. De surcroît, comme l'a écrit monsieur le juge Dubin, la police n'a jamais été autorisée à effectuer systématiquement une fouille ou une saisie. Les fouilles sans mandat sont présumées abusives.
On vous a soumis également une autre question: se pourrait-il que dans un proche avenir, la police ait la possibilité d'obtenir des échantillons d'ADN à partir des empreintes digitales prélevées au moment où des accusations sont portées? On peut présumer que si aucun caractère intrusif n'est reconnu à la prise des empreintes digitales, l'évaluation du risque constitutionnel pourrait varier.
J'ai remis au greffier copie d'une lettre que m'a adressée le Dr Ron Fourney, de la GRC, qui a comparu devant le comité il y a une semaine. D'après cette lettre, une telle percée technologique est loin d'être imminent.
Cette lettre mentionne l'affaire Feeney, où il est question d'un nouveau procès dans une affaire de meurtre, et dont est actuellement saisie la Cour suprême de Colombie-Britannique. Je crois que nous avons comparu devant vous il y a un an, madame la présidente, pour parler du projet de loi C-16 qui est à l'origine de l'arrêt Feeney de la Cour suprême. Celle-ci a ordonné un nouveau procès et a exclu certains éléments de preuve qui avaient été obtenus en contravention des droits de M. Feeney. Au cours du nouveau procès, M. Feeney conteste à la fois le régime des mandats de prélèvement d'ADN, le projet de loi C-104 et la Loi sur l'identification des criminels qui permet la prise des empreintes digitales.
Je terminerai par la question de la rétention qui, je le sais, a été évoquée tout à l'heure par mon collègue du Barreau du Québec. Elle présente manifestement un intérêt pour le comité.
D'après ce qui est envisagé dans le projet de loi, la banque de données conservera les profils d'ADN et les échantillons de substances corporelles des délinquants condamnés. Selon la jurisprudence récente de la Cour suprême du Canada, il n'y aurait rien de fondamentalement injuste ou illégal à ce que la police conserve des éléments de preuve et les utilise dans des enquêtes ultérieures si ces éléments ont été obtenus légalement au départ.
En effet, le justiciable ne peut plus s'attendre au respect de la vie privée concernant quelque preuve que ce soit s'il a consenti à la fournir ou si, de mon point de vue, son obtention faisait l'objet d'un mandat en règle. Cet arrêt du 26 novembre 1998 est cité sous la référence R. c. Arp.
Voilà, madame la présidente, qui conclut nos observations liminaires. Je suis prêt à répondre à vos questions sur ce sujet ou sur tout autre.
Le sénateur Beaudoin: Tout d'abord, j'aimerais savoir dans quelle mesure la jurisprudence que vous citez contredit le témoignage d'un avocat qui a comparu devant nous il y a environ une heure. Jusqu'à maintenant, nous n'avions qu'une opinion judiciaire incidente du juge Cory dans l'arrêt Stillman. Si je comprends bien, il y a désormais un jugement sur l'ADA à proprement parler. À votre avis, est-ce bien le cas?
M. Stanley Cohen, avocat-conseil, Section des droits de la personne, ministère de la Justice: En toute justice, sénateur, cet arrêt ne concerne pas la question de la banque de données sur l'ADN. Cependant, il invoque la question de la rétention et de l'utilisation des preuves acquises légalement. Évidemment, la banque de données pose avant tout la question de la rétention et de l'utilisation. Par conséquent, les motifs de l'arrêt concernant la rétention et l'utilisation sont tout à fait pertinents aux travaux du comité.
Dans cette mesure, les commentaires mentionnés par M. Zigayer vont tout à fait dans le sens de la possibilité de créer une banque de données et de conserver l'information recueillie aux fins de la banque pour l'utiliser plus tard.
Le sénateur Beaudoin: Peut-on en déduire, dans ce cas, qu'une fois qu'un échantillon a été prélevé légalement, il peut être conservé indéfiniment?
M. Stanley Cohen: En l'occurrence, aucune limite n'est prévue. La question de l'information de la banque des données ne figurait pas dans l'arrêt Beare de la Cour suprême, où il était question d'empreintes digitales. Cet arrêt a pour contexte sous-jacent l'usage bien établi en droit canadien qui consiste à verser l'information des empreintes digitales dans des banques de données et à la conserver indéfiniment.
Voilà tout ce que je peux dire en ce qui concerne la comparaison entre les empreintes digitales et l'ADN, car d'après la jurisprudence, ces deux éléments reposent sur des bases juridiques différentes. Néanmoins, en ce qui concerne la constitution d'une banque de données et la conservation indéfinie de l'information, le véritable problème porte sur la nature des garanties et des conditions que comporte le régime mis en place.
Le sénateur Beaudoin: Vous répondez là à la question de la conservation pour une durée indéfinie.
Le deuxième élément concerne l'utilisation abusive. L'arrêt de la semaine dernière aborde-t-il cette question?
M. Stanley Cohen: Oui, dans une certaine mesure. L'affaire Arp a été portée devant la Cour suprême du Canada à cause de ce que la Cour avait décidé antérieurement dans l'arrêt Borden.
Dans cette dernière affaire, il y avait eu abus dans la mesure où la police avait eu recours à un stratagème pour obtenir un échantillon d'ADN afin de prouver une infraction. Les policiers avaient sollicité le consentement du suspect en prétextant qu'ils s'intéressaient à une toute autre affaire. C'est pourquoi on avait invoqué un abus.
En matière de conservation, la Cour affirme, dans l'arrêt Arp, que dans la mesure où l'acquisition des preuves n'est pas entachée d'invalidité, on peut sans problème les conserver et les utiliser par la suite. Évidemment, dès qu'il est question d'abus et d'imputabilité, c'est toute la notion de contrôle qui entre en jeu. M. Zigayer est bien placé pour en parler.
M. Zigayer: L'arrêt Arp n'aborde pas la question de l'abus. En fait, toute cette question relève de la législation. Lorsque j'ai comparu récemment en tant que témoin devant ce comité, la question a été abordée à plusieurs reprises.
Un certain nombre d'organismes vont exercer un rôle de surveillance sur la gestion de la banque nationale de données d'ADN. Le commissaire à la protection de la vie privée et le vérificateur général auront la possibilité d'intervenir à tout moment. Par ailleurs, on peut également évoquer les mécanismes et la discipline internes de la GRC. La loi prévoit une infraction criminelle assortie d'une lourde peine. La Commission des plaintes du public contre la GRC pourrait également intervenir sur cette question. Lorsque le solliciteur général comparaîtra devant vous la semaine prochaine, il aura sans doute d'autres éléments à vous soumettre à ce sujet.
En préparant ce projet de loi, nous étions bien conscients de la nécessité de protéger le justiciable contre toute utilisation abusive des échantillons et des profils d'ADN. En réalité, ce sont les échantillons d'ADN qui sont le plus sujets aux utilisations abusives. C'est ce qu'a dit le commissaire à la protection de la vie privée et c'est pour cela qu'il conteste la rétention des substances corporelles une fois que le profil d'ADN a été établi.
En revanche, la GRC vous a présenté ses arguments scientifiques en faveur de la nécessité de conserver les substances corporelles. Lorsque le commissaire de la GRC comparaîtra devant vous, il pourrait peut-être vous fournir davantage de détails.
Il faut une installation de sécurité pour entreposer les substances corporelles et pour que personne ne puisse y accéder de l'extérieur.
En 1996, lorsque des consultations ont été menées à l'initiative du solliciteur général de l'époque, M. Gray, on a distribué un document de travail et consulté les Canadiens dans l'ensemble du pays sur la création d'une banque nationale de données d'ADN.
On demandait notamment aux participants à quel type d'organisme il faudrait confier la garde de cette banque nationale de données. L'organisme auquel les Canadiens font très nettement le plus confiance est la GRC.
Le sénateur Beaudoin: La formulation du projet de loi dont nous sommes saisis est-elle suffisamment vigoureuse pour éliminer tout risque d'utilisation erronée ou abusive des échantillons d'ADN?
M. Zigayer: Je crois que c'est un très bon début. On pourrait sans doute le compléter par la réglementation, par des lignes directrices internes de la GRC concernant la gestion de la banque de données et l'analyse des échantillons de substances corporelles qui lui seront adressées des diverses régions du pays.
Pour autant que je sache, la GRC a l'intention de procéder à des analyses sur tous les délinquants condamnés dans son laboratoire central d'Ottawa, indépendamment de ce qui pourrait être fait dans les autres laboratoires médico-légaux.
Grâce à la réglementation et aux lignes directrices internes, on peut s'attendre à ce que les substances corporelles soient en sécurité et ne fassent l'objet d'aucun abus.
Il convient également de signaler que la GRC travaille sur ce genre de substances depuis une dizaine d'années et qu'on n'a relevé aucun problème jusqu'à maintenant. Des difficultés sont toujours possibles, mais il n'y en a pas eu parce que les contrôles sont très sévères.
M. Gaudette, M. Fourney et d'autres officiers de la GRC ont veillé à mettre en place des systèmes qui empêchent toute erreur et toute utilisation abusive des substances qui leur sont confiées.
Le sénateur Andreychuk: J'aimerais avoir une précision. Vous dites que la loi devrait être concrétisée dans un règlement ou dans une procédure interne. Quelle formule va-t-on retenir?
M. Zigayer: Je ne sais pas. Je ne suis pas intervenu dans ce travail. Je sais que les opérations sont en cours et que le Québec et l'Ontario doivent être consultés. Il doit aussi y avoir des consultations au sein de la GRC entre le quartier général d'Ottawa et les autres laboratoires satellites. On m'a annoncé que j'allais participer à l'élaboration de ces règlements. Mais pour l'instant, je n'ai rien à vous soumettre.
Il y a déjà eu des discussions. Il y a à peine un mois, le Collège canadien de police a été consulté. On a fait venir des spécialistes de partout pour travailler sur ce dossier.
Entre-temps, il importe aussi de considérer que la banque de données ne sera pas opérationnelle avant 18 mois. Nous avons le temps de bien faire les choses, de nous renseigner sur ce que font les Américains ou les Anglais en matière de protection de l'information, de traitement des éléments versés dans la banque de données ou d'échanges entre les laboratoires satellites et le laboratoire central.
Mais je ne veux pas vous raconter d'histoire. Je n'ai rien à vous soumettre. Le commissaire sera peut-être mieux renseigné que moi. Vous pouvez l'interroger.
M. Cohen: Je voudrais faire une autre remarque concernant la prévention des abus et les mesures de précaution. On voit ici apparaître toute une nouvelle strate du droit pénal, aussi bien dans la loi proprement dite, par les peines qu'elle comporte, qu'en ce qui concerne l'éventuel recours à certaines infractions du Code criminel, comme l'abus de confiance. Ce sont des leviers supplémentaires auxquels on pourra recourir.
Le sénateur Grafstein: Monsieur Cohen, je ne connais pas très bien les articles récents sur la protection de la vie privée. J'ai cru comprendre, d'après votre introduction, que vous en avez écrit un récemment, n'est-ce pas? Dans ce cas, j'aimerais en obtenir copie. J'aime meubler mes insomnies par la lecture d'articles sur la protection de la vie privée.
M. Cohen: J'aimerais pouvoir vous aider. Le texte que j'ai consacré à la protection de la vie privée est intitulé Invasion of Privacy. Il concerne l'état de la législation canadienne en matière d'écoute électronique en 1983.
Le sénateur Grafstein: Était-ce avant ou après la Charte?
M. Cohen: C'était après la Charte. Immédiatement après son entrée en vigueur, la Cour suprême a scruté de près diverses dispositions du Code criminel et elle a abrogé celles qui concernaient l'écoute électronique. Le gouvernement a présenté une nouvelle loi sur l'écoute électronique, mais je n'y suis pour rien.
Le sénateur Grafstein: Est-ce que l'article est toujours pertinent, ou le régime qu'il décrit a-t-il été remplacé par d'autres lois?
M. Cohen: Mon article ne concerne pas l'ADN. Il porte sur la surveillance électronique. Il aborde le domaine de la protection de la vie privée aux niveaux théorique et conceptuel.
Le sénateur Grafstein: J'aimerais en prendre connaissance. S'il est possible d'en obtenir copie, ou si vous pouvez me donner les références, je serais heureux de le lire.
M. Cohen: Je me ferai un plaisir de vous en faire parvenir une copie.
Le sénateur Grafstein: Nous venons de recevoir l'arrêt R. c. Arp de la Cour suprême. Malheureusement, madame la présidente, nous n'avons pas eu l'occasion d'en prendre connaissance. Nous l'avons lu en écoutant les témoignages et si certains de mes commentaires sont hors sujet, vous n'hésiterez pas à intervenir.
M. le juge Cory affirme, semble-t-il -- et je suppose que c'est un principe consacré en droit pénal -- que l'établissement de la preuve en droit pénal s'applique à la détermination de l'ultime question de la culpabilité ou de l'innocence, et non pas à chaque élément de preuve.
L'éminent juge ne semble pas se préoccuper du fait qu'un échantillon d'ADN obtenu après consentement à des fins précises puisse être utilisé à propos d'une infraction criminelle ultérieure. Est-ce bien cela?
M. Cohen: D'après mon interprétation de l'arrêt, la façon dont on résout la question de l'établissement de la preuve est sans incidence sur la question de son utilisation à propos d'une infraction ultérieure.
Le sénateur Grafstein: J'entends bien. Le juge énonce ici un principe général. Autrement dit, c'est ce qu'il affirme en tant que principe général, et l'ultime question est celle de la culpabilité ou de l'innocence. Il semble considérer chaque élément de preuve comme une question secondaire. Son analyse porte sur la question ultime.
Je vais poser ma question différemment. Il semble que dans cette affaire, l'échantillon d'ADN ait été prélevé après consentement dans le cadre d'une enquête criminelle, puis qu'il ait été utilisé ultérieurement sans consentement dans le cadre d'une autre enquête.
M. Cohen: De ce point de vue, les faits sont différents de l'arrêt Borden.
Le sénateur Grafstein: J'entends bien, mais je parle de l'arrêt Arp.
M. Cohen: Dans cette affaire, M. Arp a donné son consentement à l'utilisation future des éléments de preuve dans des procédures criminelles. Son consentement n'était pas limitatif. C'est pourquoi M. le juge Cory était prêt à reconnaître le recevabilité de cet élément de preuve. Il s'est préoccupé de savoir s'il y avait pu y avoir manipulation. Si le consentement accordé avait été limité ou si la police avait eu recours à un stratagème quelconque, la situation aurait été semblable à celle de l'affaire Borden et la preuve aurait été jugée irrecevable. Il y aurait atteinte aux garanties constitutionnelles.
Le sénateur Grafstein: Je veux m'assurer de bien comprendre le projet de loi. En fait, le consentement s'obtient actuellement de façon indirecte, par le mandat. On peut obtenir un échantillon au moyen d'un mandat et une procédure rigoureuse permet d'établir si l'on est fondé, à première vue, de croire à une action criminelle. C'est ainsi qu'on peut obtenir un échantillon dans le cadre d'une enquête spécifique.
On nous a également dit qu'à cause des mécanismes dont nous avons parlé tout à l'heure, il n'est pas possible de récupérer un échantillon une fois qu'il a été versé dans la banque de données. C'est l'un de nos points de préoccupation. Reprenons les différentes étapes.
Dans l'hypothèse ou le justiciable est impliqué ultérieurement dans une autre enquête criminelle, comme dans l'affaire Arp, est-ce que le mandat obtenu lors d'une première enquête implique également le consentement du suspect à une enquête ultérieure, ou le consentement est-il limitatif?
M. Zigayer: Aux termes du projet de loi C-104, le consentement est limitatif, à moins qu'il ne s'agisse de la même transaction, autrement dit, du même incident. Dans un tel cas, une disposition du projet de loi C-104 permet d'utiliser l'échantillon.
Par exemple, un individu qui commet une infraction grave est accusé de voies de fait graves ou de tentative de meurtre. Si la victime décède, les enquêteurs sont en présence d'un meurtre, c'est-à-dire d'une autre infraction désignée. Le mandat permet l'utilisation de la preuve lors d'une nouvelle accusation, car on considère qu'il s'agit de la même transaction.
Le sénateur Grafstein: Parce qu'à l'origine, ce sont les mêmes faits.
M. Zigayer: Néanmoins, les éléments de preuve obtenus en vertu du mandat ne sont pas versés à la banque de données, à moins qu'il y ait une condamnation.
Le sénateur Grafstein: C'est une garantie.
M. Zigayer: C'est une garantie très importante. Même en cas de condamnation, les données ne peuvent être utilisées qu'à la discrétion du tribunal.
Dans le cas d'une infraction désignée primaire, on présume que les données seront utilisées, mais le délinquant condamné a la possibilité de convaincre la cour qu'elles ne doivent pas être utilisées. En ce qui concerne les infractions désignées secondaires, qui préoccupent mon collègue du barreau, leur gravité peut varier considérablement. Néanmoins, les cas de ce genre sont soumis au pouvoir discrétionnaire de la Couronne.
Le sénateur Grafstein: Quelqu'un a parlé de dispositions du projet de loi qui prévoyaient une sanction en cas d'utilisation abusive des échantillons.
Il semble que l'utilisation et l'abus des échantillons, non seulement par la police, mais également par les laboratoires, soient assujettis à des garanties fiables. Tout est contrôlé par le commissaire. Néanmoins, en ce qui concerne l'utilisation internationale de l'ADN, ces garanties intérieures ne s'appliquent plus, puisque le droit d'un pays ne peut intervenir dans la souveraineté d'un autre État. C'est bien le cas en ce qui concerne le droit contractuel, n'est-ce pas? Je veux parler du droit applicable à un contrat assujetti à un traité qui comporte une entente sur l'utilisation des éléments de preuve, mais qui ne garantit pas aux Canadiens la protection contre les agents d'une puissance étrangère qui pourrait utiliser un échantillon ou en abuser.
M. Zigayer: Avant tout échange d'échantillon ou de profil d'ADN avec un pays étranger, il incombera au commissaire de la GRC ou aux autorités chargées de négocier de veiller à ce que certaines dispositions figurent dans le contrat. On pourrait stipuler dans un tel traité qu'une fois que les substances en question ont été analysées et comparées au contenu de la banque de données, toute substance résiduelle devrait être restituée. Ce qui est important, pour nous comme pour eux, est de pouvoir comparer les profils.
Le sénateur Grafstein: Les services de police aiment bien conserver tout ce qu'ils peuvent. Ils seront très réticents à abandonner un élément de preuve, quel qu'il soit, qui pourrait être versé dans une banque de données. Pour nous, le problème consiste à limiter adéquatement les possibilités d'intervention dans ce domaine en fonction des dispositions de la Charte. Nous en avons la responsabilité. Comment faire pour convaincre nos citoyens qu'ils sont adéquatement protégés par la Charte?
M. Zigayer: Il faut être très prudent dans la négociation des accords de ce genre. Il n'y en a pas eu beaucoup jusqu'à maintenant et je ne crois pas que la législation américaine comporte une disposition réciproque semblable qui permette un tel échange. Cependant, nous avons prévu des possibilités de partage pour le cas où les États-Unis ou la Grande-Bretagne souhaiterait un jour conclure une telle entente avec nous. C'est important, non seulement dans le domaine du droit criminel, mais aussi en ce qui concerne les agressions sexuelles, les homicides et le terrorisme. Ainsi, l'ADN a permis d'identifier les auteurs d'un attentat à l'explosif qui s'est soldé par le décès d'un juge en Italie.
Si je me souviens bien, les agresseurs ont attendu le passage de la voiture du juge sur une colline. Pendant qu'ils attendaient, ils ont fumé des cigarettes et ont jeté les mégots par terre autour d'eux. Lorsque la voiture du juge est passée, ils ont fait exploser une bombe qu'ils avaient placée sur la route. Les enquêteurs ont utilisé l'ADN des mégots pour retrouver celui qui avait fait exploser la bombe et ont ainsi obtenu les noms des chefs du groupe.
En l'occurrence, on avait affaire au crime organisé, mais ces techniques pourraient s'avérer très utiles pour lutter contre le terrorisme.
Le sénateur Grafstein: D'après votre réponse, ces questions devraient être confiées aux négociateurs et la loi n'a pas été conçue dans une perspective intérieure.
M. Zigayer: À la page 4 du projet de loi, on trouve le paragraphe 6(5) que voici:
Les paragraphes 3 et 4 s'appliquent dans les cas où le gouvernement du Canada ou un de ses organismes, en conformité avec l'alinéa 8(2)f) de la Loi sur la protection des renseignements personnels, a conclu, avec le gouvernement, l'organisation ou l'organisme étranger en question, un accord ou une entente autorisant la communication d'une information aux seules fins d'une enquête ou d'une poursuite relative à une infraction criminelle.
Je n'ai pas ici l'alinéa 8(2)f) de la Loi sur la protection des renseignements personnels, mais mon collègue M. DuBrule, qui accompagnera le solliciteur général lundi prochain, pourra vous fournir plus de renseignements.
Le sénateur Grafstein: J'ai appris, au contact de mes collègues américains du Congrès, qu'ils veulent soigneusement éviter qu'un accord étranger porte le moindrement atteinte à leur souveraineté en matière de poursuites contre leurs ressortissants.
M. Zigayer: Je ne pense pas qu'on puisse les obliger à poursuivre leurs ressortissants, mais de toute évidence, il va y avoir des situations uniques.
On aura un accord général et semblable, si je comprends bien, au régime d'assistance juridique mutuelle qui permet de régler les problèmes au cas par cas. Si nous constatons des abus, nous aurons certainement la possibilité de suspendre la coopération dans ce domaine.
M. Cohen: De surcroît, nous n'avons aucun contrôle sur les mesures prises par un autre État souverain, mais la Charte s'applique à toutes les mesures prises par les autorités canadiennes. Nous contrôlons la nature de l'accord et la façon dont il est appliqué par la police canadienne lorsqu'elle fournit des échantillons. Si, comme vous semblez le craindre, on découvre des situations abusives dans le cadre de l'application d'un accord, elles devraient être, à mon avis, assujetties à la Charte. En effet, il y a quelques semaines, la Cour suprême du Canada a rendu l'arrêt Cook, qui a étendu la portée de la Charte à l'extérieur du territoire. Cela nous donne une certaine latitude. Je ne veux pas faire de promesses extravagantes, mais je pense que nous avons une certaine latitude.
La présidente: Disons, pour poursuivre les propos du sénateur Grafstein, que le Canada en vienne à une entente avec les États-Unis et qu'il partage avec eux certains renseignements obtenus par l'ADN, en conformité de toute la législation canadienne, y compris de la Loi sur la protection des renseignements personnels.
Quel contrôle avons-nous sur ce qui va se passer aux États-Unis ou dans quelqu'autre pays, si cette information est partagée avec un troisième pays, avec lequel nous n'aurions pas signé d'accord?
M. Zigayer: Vous voulez savoir ce qui empêcherait les États-Unis, au cas où nous aurions signé un accord avec eux concernant l'échange de ce type de renseignements aux fins de l'application de la loi, de transmettre ensuite ces renseignements à un troisième pays. Tout cela doit être prévu dans l'accord. C'est une entente entre le Canada et l'autre État signataire. À mon avis, il faut absolument stipuler l'interdiction de toute transmission secondaire.
La présidente: Pensez-vous que cela devrait être précisé dans un règlement?
M. Zigayer: Il appartient au commissaire et au solliciteur général de produire les règlements qu'ils jugeront pertinents aux fins de l'administration de la Loi sur l'identification par les empreintes génétiques.
De façon générale, je pense qu'il s'agit là d'une disposition logique, qu'elle figure dans les règlements ou que l'on demande aux avocats qui vont négocier le traité de la faire stipuler à titre de condition.
La présidente: On pourra la réviser au bout de cinq ans conformément aux dispositions de révision de la loi.
Le sénateur Joyal: Madame la présidente, vos commentaires devraient figurer dans notre rapport au Sénat. Nous partageons tous la même préoccupation, car il est trop facile d'obtenir de l'information par des voies détournées lorsque l'on ne peut pas l'obtenir légalement.
J'en profite pour soumettre aux représentants du ministère de la Justice des questions que nous ont posées certains témoins. Je veux parler en particulier du sort réservé aux personnes qui ont commis plus d'un crime. Il faut se reporter à l'article du projet de loi qui modifie l'article 487.055(1) du code. Vous vous souvenez sans doute que les représentants de l'Association des chefs de police et d'autres témoins nous ont dit qu'ils ne comprenaient pas pourquoi il fallait qu'un individu commette plusieurs crimes à différentes périodes pour être assujetti aux dispositions de l'article 487.055.
Pouvez-vous nous dire pourquoi cette disposition figure dans le projet de loi?
M. Cohen: Il faut commencer par dire que tout élément de rétroactivité dans une mesure comme celle-là met l'ensemble de la loi en péril, si je peux m'exprimer ainsi, à cause de la réprobation générale envers la rétroactivité dans les lois pénales. On part du principe qu'il ne peut y avoir ni crime ni peine pour une action qui n'était pas considérée comme un crime au moment où elle s'est produite. On ne peut imposer aucune peine qui n'ait pas été prévue dans la loi au moment où l'action est jugée.
Ces principes sont consacrés par les alinéas 11g) et 11i) de la Loi. Par conséquent, on peut considérer qu'il s'agit d'une loi qui est tout à fait à l'abri des contestations fondées sur la Charte; c'est une mesure législative strictement prospective qui ne permet la prise d'échantillon qu'au moment de la condamnation. Il est tout à fait justifié de vouloir étendre ce principe. En fait, la loi englobe dans sa portée trois groupes de délinquants qui purgent déjà une peine, à savoir les délinquants dangereux, les auteurs de plusieurs infractions sexuelles et les auteurs de plusieurs meurtres.
On a choisi d'inscrire ces trois groupes dans la portée de la loi pour bien indiquer le souci de protéger le public et d'assurer sa sécurité. Compte tenu de la procédure qui permet de qualifier un délinquant de dangereux, celui-ci est par nature réputé constituer un risque permanent pour la société. Les auteurs d'infractions sexuelles multiples ont généralement un taux élevé de récidive. Bien que le taux de récidive soit bas chez les meurtriers, lorsque l'on rencontre un individu qui a commis un deuxième meurtre indépendant du premier, on est fondé à considérer que cet individu représente une menace sérieuse pour la société. Tout cela justifie la prise d'échantillons auprès des individus de ce groupe.
Si l'on étend davantage la portée de la loi, on augmente le risque de contestation. La jurisprudence fondée sur la Charte évoluera peut-être si l'on constate, d'après les contestations juridiciaires, que les tribunaux sont disposés à tolérer un certain degré de latitude. Il pourrait aussi y avoir évolution en sens inverse. Les tribunaux pourraient considérer qu'on a pris un trop grand risque. Nous en venons à la conclusion que cette mesure est valide au plan constitutionnel ou du moins, que l'on peut formuler un certain nombre d'arguments crédibles en faveur de la loi telle qu'elle se présente actuellement.
À l'issue de la période de gestion du projet de loi, quand il sera mis à l'épreuve, on verra si la retenue et les nuances dont il est empreint peuvent garantir son succès. Une portée trop vaste risque de faire échouer tout le projet.
M. Zigayer: Le prélèvement des empreintes génétiques est une conséquence de la condamnation. Ce n'est pas un aspect de la sentence, c'est une conséquence de la condamnation. On peut avoir l'impression que je joue sur les mots, mais c'est là une notion très importante.
Pour parler plus précisément des délinquants dangereux, disons que lorsqu'ils sont trouvés coupables à l'issue d'un procès, la Couronne, au lieu de recourir à la procédure ordinaire de détermination de la peine, va chercher une autorisation directe auprès du procureur général de la province. Elle doit avoir l'appui du procureur général de la province pour demander au juge de désigner l'individu comme un délinquant dangereux. Il faut des preuves psychiatriques. Le juge peut ainsi déterminer l'étendue du risque que représente cet individu pour la société.
Je suis convaincu qu'il s'agit là de l'élément déterminant du régime rétroactif. Un délinquant dangereux restera toujours un délinquant dangereux.
En ce qui concerne les auteurs de plusieurs infractions sexuelles, on sait d'après les statistiques qu'ils présentent un taux de récidive élevé, ce qui justifie leur inclusion dans ce groupe, ou, du moins, de le soutenir devant les tribunaux.
En ce qui concerne les meurtres, il faut penser au cas de M. Latimer. Il n'a commis qu'un seul meurtre. Il a été condamné avant l'entrée en vigueur de cette loi. Est-ce qu'un juge verrait en lui le genre d'individu qui serait visé par la loi si celle-ci était rétroactive et si nous avions accueilli les arguments de la police et étendu la portée de la loi à tous les meurtriers? N'est-il pas préférable de ménager la loi en disant que les personnes qui ont déjà prouvé à deux reprises qu'elles sont prêtes à commettre un homicide présentent un risque plus élevé pour la société? C'est ainsi que nous espérons pouvoir défendre la loi. Je suis certain que nous aurons tôt ou tard à la défendre. À notre époque, nous sommes amenés à défendre toutes les lois.
Le sénateur Joyal: Autrement dit, c'est votre propre interprétation des issues possibles du contrôle judiciaire qui vous a amené à inclure la notion de récidive dans cette disposition. En ce qui concerne les infractions sexuelles, vous faites la distinction entre l'auteur de plusieurs infractions sexuelles et quelqu'un qui, comme vous le dites à l'alinéa b) du projet de loi, a été condamné pour plus d'un meurtre. Autrement dit, vos conclusions sont fondées sur la nature et la répétition du crime plutôt que sur l'existence d'un seul crime. Est-ce j'ai bien compris vos propos?
M. Zigayer: Je pense que vous en avez une bonne idée. Ce n'est pas mon point de vue qui compte. Le ministère considère que lorsque le risque est plus élevé, la solution rétroactive est plus justifiée.
Comme l'a dit mon collègue M. Cohen, il est très difficile, en principe, d'adopter une loi rétroactive. En fait, lorsque les représentants de l'Association des avocats criminalistes ont comparu devant le comité permanent de la justice et des droits de la personne qui étudiait ce même projet de loi, ils ont affirmé que cette disposition serait abrogée parce qu'elle s'applique postfacto à un délinquant qui a déjà été condamné. Le tribunal est déjà dessaisi.
Le sénateur Joyal: Voulez-vous dire que même dans ce cas, vous vous attendez à ce que l'on conteste cette disposition devant les tribunaux pour la faire déclarer nulle et non avenue aux termes de la Charte?
M. Zigayer: Avec M. Cohen, je peux vous dire que l'on peut valablement soutenir la constitutionnalité de cette loi.
Le sénateur Joyal: Dans l'histoire de notre droit criminel, y a-t-il d'autres exemples de loi dont la rétroactivité a été soumise au contrôle des tribunaux?
M. Cohen: Il y a de nombreux exemples de lois rétroactives soumises au contrôle des tribunaux. Avant la Charte, c'était une question d'interprétation de la loi. On considérait que le principe d'interdiction de la rétroactivité se limitait essentiellement au droit matériel et qu'il ne devait pas constituer un obstacle à l'application rétroactive de la loi aux questions de procédure ou de preuve. Le débat sur la rétroactivité fait appel à toutes sortes de nuances et de notions complexes.
Dans le procès pour crimes de guerre impliquant M. Finta, on a prétendu qu'il y avait une loi rétroactive et qu'elle était inconstitutionnelle. La Cour suprême a considéré que la loi n'était pas rétroactive. Cependant, l'un des juges a déclaré qu'on pouvait y voir une loi rétroactive, mais qu'elle était néanmoins justifiée au terme de la Charte. Cette opinion montre au moins l'étendue du pouvoir judiciaire qui peut considérer que même si une loi porte atteinte à un principe constitutionnel, elle peut être maintenue pour des motifs de commodité.
Le sénateur Joyal: Puis-je vous demander de vous reporter aux deux dernières pages de l'arrêt R. c. Arp, où l'on trouve un élément important dont j'aimerais donner lecture pour le compte-rendu. Je crois qu'il porte exactement sur ce dont je parlais tout à l'heure:
À mon avis, il est illogique et inacceptable de prétendre que la personne qui donne volontairement aux policiers un échantillon d'une substance corporelle -- qu'il s'agisse de cheveux, de poils ou de sang, en sachant parfaitement que cet échantillon sera utilisé dans le cadre d'une enquête -- continue d'avoir des attentes en matière de respect de sa vie privée en ce qui a trait au «contenu informationnel» de cet échantillon. Selon moi, il n'existait aucune attente de la sorte, réelle ou implicite.
Évidemment, c'est à condition que le consentement donné soit valable, comme l'affirme la Cour suprême dans le paragraphe précédent. Pour que le consentement soit valable, il faut que la personne qui fait l'objet de l'enquête soit informée du fait que l'échantillon qu'elle donne va être utilisé dans l'enquête ou à propos d'autres crimes liés à cette enquête.
Comment concilier la situation où un échantillon de substance corporelle est donné volontairement et le cas, comme celui que signale le juge Dubin dans son avis, où l'échantillon a été prélevé par une saisie de nature intrusive?
Lorsqu'un individu se soumet volontairement au prélèvement d'un échantillon, sa situation est différente de celle d'un individu qui fait l'objet d'une saisie. Où se trouve la limite en ce qui concerne le «contenu informationnel» selon la formule utilisée par la cour?
Les données scientifiques actuelles nous apprennent que le «contenu informationnel» des empreintes génétiques est pratiquement illimité. Une fois qu'il est versé dans la banque, il va rester éternellement disponible et donner accès à toutes sortes de renseignements. Dans le projet de loi, où faut-il tracer la limite entre ces deux situations? À mon avis, les personnes qui font l'objet d'une saisie ne bénéficient pas des mêmes garanties que celles qui se prêtent volontairement à un prélèvement, qui ne posent aucune objection et qui donnent à la police carte blanche pour l'utilisation des échantillons.
Le jugement auquel vous faites référence définit un principe. Cependant, je ne pense pas qu'on puisse étendre ce principe au point de pouvoir utiliser éternellement le contenu informationnel à n'importe quelle fin. Et c'est ce qu'on pourra faire une fois que les empreintes génétiques auront été versées dans la banque de données.
M. Zigayer: Il est important de considérer ce qu'examinait M. le juge Dubin dans sa décision. Il analysait la proposition de la police qui demandait de pouvoir effectuer systématiquement une saisie sans avoir à obtenir préalablement une autorisation judiciaire. Il a dit que cette demande n'était pas recevable.
Dans l'arrêt Arp, la police a obtenu légalement une substance. Elle a plusieurs possibilités pour obtenir légalement des substances ou des objets. Tout d'abord, elle peut obtenir le consentement du suspect. C'est ce qui s'est passé dans l'affaire Arp. C'était aussi le cas dans l'affaire Borden, mais comme l'a dit tout à l'heure M. Cohen, il faut faire une distinction selon que le consentement est éclairé ou non. Le consentement constitue une possibilité pour obtenir légalement de l'information ou des éléments de preuve.
L'autre possibilité consiste à obtenir un mandat ou une autorisation judiciaire. Il convient alors de prendre du recul pour considérer l'ensemble de la situation et se demander s'il s'agit d'une saisie légale. Dans l'affirmative, la personne auprès de laquelle la substance a été prélevée ne peut plus s'attendre à la protection de sa vie privée.
Le sénateur Joyal: Est-ce que cette perte de protection de la vie privée est liée à l'accusation?
M. Zigayer: Oui, selon la façon dont on l'interprète. Tout dépend de l'autorité accordée par le mandat ou l'autorisation. Dans le régime du mandat d'ADN, la situation est très claire. Nous obligeons même le policier à informer l'individu de l'objet du mandat et de l'utilisation des prélèvements avant de procéder aux prélèvements, avant d'appliquer la procédure d'enquête.
De la même façon, la Loi sur la banque de données d'ADN énonce un objectif. Dans la Loi sur l'identification par les empreintes génétiques, puisque c'est le titre du projet de loi, on voit de quoi il est question. La loi énonce un objectif et un principe.
Les modifications corrélatives du Code criminel qui permettent aux tribunaux de délivrer ces mandats sont formulées dans le projet de loi. Le droit public -- pourvu que le Parlement adopte ce projet de loi, comme je l'espère -- énonce très clairement cet objectif, qui est de permettre à la police de faire enquête sur les crimes, de protéger la société et de justifier le prélèvement et la conservation d'échantillons. L'arrêt Arp précise que cette conservation n'est pas soumise à une limite de temps.
Le sénateur Moore: Y a-t-il une limite de temps lorsque l'échantillon est donné volontairement?
M. Zigayer: Si la police obtient légalement un échantillon, que ce soit par consentement ou par mandat, elle peut le conserver indéfiniment. C'est ainsi que j'interprète l'arrêt Arp. M. Cohen a peut-être une opinion différente.
M. Cohen: Vous m'avez demandé comment concilier l'opinion du juge Dubin avec l'arrêt Arp. Vous voulez savoir où il faut tracer la limite. Pour commencer, l'opinion de M. le juge Dubin est conforme à l'arrêt Arp. Ce dernier concerne un cas d'acquisition d'empreintes génétiques avec le consentement de l'intéressé. C'est là qu'il faut fixer la limite. Le consentement doit être véritable et parfaitement informé. Aucune restriction n'est admissible à cet égard.
M. le juge Dubin s'est demandé s'il était possible de prélever des échantillons d'ADN sans mandat lorsque la police procède à une arrestation ou porte des accusations. Il a fixé la limite en disant qu'il fallait un mandat et qu'il ne pouvait y avoir de prélèvement d'échantillon sans mandat.
Comment rattacher tout cela au projet de loi C-3 et à la banque de données? Le projet de loi C-3 fait appel à une autre entité, mais qui est très semblable au mandat. Essentiellement, il s'agit de l'ordonnance judiciaire. Cette ordonnance est conforme aux normes définies dans l'arrêt Hunter c. Southam. L'ordonnance judiciaire est essentiellement une autorisation judiciaire qu'on ne peut obtenir qu'après avoir prouvé au-delà de tout doute raisonnable qu'une personne a commis une infraction désignée. Le juge peut accorder ou refuser discrétionnairement cette ordonnance. Pour l'essentiel, il ne s'agit que d'une atteinte minimale au droit de l'individu à la protection de sa vie privée, puisque l'ordonnance vise une personne qui a été condamnée pour une infraction désignée.
Une fois qu'elle est condamnée, ses attentes en matière de protection de la vie privée diminuent, comme en témoigne la jurisprudence de la Cour suprême. Ce sont trois situations distinctes, mais qui ne sont pas en contradiction les unes par rapport aux autres.
Le sénateur Joyal: Je suis d'accord avec vous en ce qui concerne la procédure prévue dans le projet de loi C-3. Elle doit être observée strictement. Le juge doit accorder l'autorisation de prélever un échantillon dans le cadre d'une enquête concernant une infraction donnée s'il s'estime fondé de croire que le suspect peut être coupable. Je ne conteste pas cela. La cour estime qu'une fois l'échantillon dûment prélevé, l'individu perd dans une certaine mesure le droit à la protection de sa vie privée. Néanmoins, il ne le perd pas définitivement ni indépendamment des circonstances. Il y a des limites à cette perte de droit à la protection de la vie privée.
Ce qui m'inquiète, c'est la permanence de la banque de données. Vous avez entendu les témoins précédents. Des juristes tout à fait dignes de foi considèrent qu'une banque de données qui n'est assujettie à aucune limite risque d'aller au-delà de ce qui est acceptable dans une société libre et démocratique.
Selon le juge Dubin, il faut mettre dans la balance le contenu de la banque de données et la nécessité de protéger le public; or il ne semble pas y avoir équilibre en l'occurrence.
Une fois que l'accusé est déclaré coupable, sa vie privée est atteinte à tout jamais. Le fait est qu'un échantillon de sang ou de tissu corporel lui appartenant demeurera dans la banque de données à tout jamais. La Charte ne confère aucune protection quant à la limite de temps.
Vous avez été extrêmement prudent dans votre explication concernant le processus de rétention. Je ne sais pas toutefois si vous pourriez obtenir gain de cause devant un tribunal.
M. Cohen: On trouve, dans la jurisprudence, un élément qui offre au moins une réponse partielle à ce que vous dites -- je dois dire que vous êtes convaincant, sénateur. Dans l'affaire O'Connor, qui n'a rien à voir avec les banques de données, mais qui porte essentiellement sur les renseignements personnels et la vie privée, Mme le juge L'Heureux-Dubé affirme que la protection de la vie privée n'est jamais absolue car elle doit tenir compte des besoins légitimes de la société. La Cour Suprême a reconnu qu'à cette fin il fallait essentiellement évaluer ce qui peut être considéré comme une protection raisonnable de la vie privée au regard des empiétements nécessaires de l'État.
Il est vrai que cela repose sur le maintien d'un équilibre délicat. Les tribunaux qui se sont penchés sur l'identification des empreintes génétiques que l'on proposait dans le projet de loi C-104, ont examiné les objectifs de cette législation, qui sont identiques aux objectifs de cette loi-ci. Ils ont déterminé que ces objectifs et ces buts étaient contraignants. L'argument, du moins, vient consolider cette position. Quand les tribunaux étudieront ce qui est proposé ici, ils trouveront cela contraignant également.
M. Zigayer: J'ai écouté ce qu'a dit la représentante du Barreau du Québec. Chaque échantillon sera conservé dans la banque de données pour un maximum de 10 ans. En d'autres termes, après 10 ans, pour pouvoir continuer de conserver un échantillon dans la banque, le procureur devra s'adresser au tribunal pour obtenir la reconduction de l'ordonnance. Je ne peux pas m'imaginer ce qu'il en coûtera au procureur provincial car cela pourrait nécessiter une équipe à plein temps pour s'occuper de cela. En fait, il pourrait régner une grande confusion aussi car il faudra suivre les choses de près au fur et à mesure que les 10 ans se seront écoulés.
Je pense que l'affaire Arp peut nous aider ici de même que notre expérience avec la banque d'empreintes digitales. Dans le projet de loi C-3, la différence entre la banque proposée et la banque d'empreintes digitales réside dans le fait que nous n'autorisons pas que soient conservées les données du profil génétique des personnes acquittées. C'est la distinction importante entre cette banque et la banque d'empreintes digitales.
En principe, les informations contenues dans la banque d'empreintes digitales peuvent être conservées indéfiniment. Cette banque existe depuis le début du siècle. Elle peut donc servir de modèle. Quand on compare les objectifs de l'une et l'autre, on constate qu'elles sont assez semblables.
Le sénateur Joyal: Tout comme nous l'ont dit des témoins qui sont praticiens, je pense quant à moi que cet article pourrait être contesté devant les tribunaux. Je pense que c'est un des points faibles du projet de loi. Quant à la rétroactivité, il faut bien reconnaître qu'un tueur en série est certainement quelqu'un qui constitue un danger pour la société. Cela tombe sous le sens.
La liste des infractions est assez longue. Comme Mme Brosseau l'a dit, il n'est pas sûr que le maintien de ces renseignements garantisse totalement que le public sera protégé et je ne suis pas sûr non plus de ce qui pourra être accessible dans les années à venir.
L'objectif du projet de loi est d'autoriser le stockage de renseignements dans une banque de données mais nous ne savons pas quelles seront nos possibilités technologiques dans cinq ans. Les scientifiques nous ont dit que l'on pouvait identifier les penchants de quelqu'un. J'ai du mal à accepter que l'on puisse envahir à tel point la vie de quelqu'un. Notre régime repose sur le principe fondamental voulant qu'une fois déclaré coupable, on purge sa peine et on se réinsère dans la société. En gardant leurs dossiers à tout jamais, ou stigmatise les contrevenants.
M. Zigayer: Quand nous avons conçu les dispositions nécessaires à la délivrance d'un mandat, et à la constitution de la banque, nous n'avons pas pensé que cela viserait toutes les infractions prévues au Code criminel. Nous nous en sommes tenus essentiellement aux crimes violents, y compris les agressions sexuelles, et non aux infractions contre les biens. C'est ainsi qu'a été constituée la liste des infractions désignées, primaires et secondaires. Sénateur, c'est une des mesures que nous avons prises pour essayer de trouver le juste milieu dont vous parliez.
Et ce n'est pas tout. Les jeunes contrevenants sont traités différemment. Nous avons incorporé aux dispositions de ce projet de loi ce que la Loi sur les jeunes contrevenants prévoit du point de vue des casiers judiciaires et c'est ainsi que la conservation des profils génétiques et des substances corporelles des jeunes contrevenants sera traitée. Par exemple, prenez le cas d'un jeune qui aurait commis une infraction désignée -- vol avec effraction -- et que le tribunal ordonne un prélèvement d'échantillon corporel, versé donc à la banque de données. Une fois que se sera écoulée une certaine période de temps, le casier judiciaire de ce jeune peut être effacé en vertu des dispositions de la Loi sur les jeunes contrevenants. Il en va de même pour ce qui est de la conservation des échantillons et le retrait éventuel du profil génétique.
Quant aux conséquences permanentes ou à long terme d'une inculpation -- et je tiens à soulever cette question -- songeons aux ordonnances d'interdiction des armes à feu. Elles peuvent être maintenues la vie durant. C'est long. Mon collègue, M. Cohen, pourra peut-être vous donner quelques exemples encore des conséquences à long terme d'une inculpation, qui se prolongent même une fois la peine purgée.
Par exemple, quelqu'un commet un cambriolage. Disons que cette personne est emprisonnée un an pour ce crime. L'interdiction de posséder une arme à feu se maintiendra au-delà de cette année-là. Si le contrevenant a commis plus d'un crime, le tribunal peut imposer une interdiction à vie. Autrement dit, l'effet perdure à long terme.
Le sénateur Moore: Le droit de posséder une arme à feu est bien différent du fait que les caractéristiques génétiques de quelqu'un sont conservées.
M. Zigayer: Je comprends ce que vous dites. Toutefois, il est important de se rappeler ce que les experts de la GRC ont expliqué quant à ce qui est véritablement conservé. Il s'agit des marqueurs du chromosome qui sont «non codants» et très polymorphiques. Actuellement, sur toute la planète, tout le monde s'entend pour reconnaître qu'on ne sait pas à quoi servent ces marqueurs «non codants» dans la molécule d'ADN, et on se demande même s'ils codent quelque chose. Ils servent peut-être uniquement de remplissage. Je n'en sais rien, les scientifiques non plus. Ils n'ont pas été identifiés.
On a donc choisi ces marqueurs non codants précisément pour éviter que le profil génétique que l'on entend conserver offre des renseignements sur la prédisposition au cancer ou autre chose. On nous a dit qu'on avait cherché ces marqueurs afin de pouvoir constituer un profil qui permet tout simplement de dire comment une personne se distingue d'une autre. Voilà le côté hautement polymorphe -- c'est-à-dire qui permet une différenciation pointue entre les individus.
Le sénateur Moore: Cela permet-t-il de distinguer la race?
M. Zigayer: Nos amis de la GRC viendront témoigner ce soir. Je ne sais pas ce qu'ils cherchent à déterminer mais je suis sûr qu'ils trouvent toujours ce qu'ils cherchent. Je crois savoir qu'ils cherchent ce qui différencie les individus les uns des autres. Puisqu'ils sont ici, demandons-leur.
La présidente: On nous a dit qu'on avait choisi ces marqueurs en particulier parce qu'ils ne permettent pas de coder quoi que ce soit, du moins d'après les connaissances actuelles.
M. Zigayer: C'est une autre mesure qui vise à réduire au minimum les possibilités de contestations en vertu de la Charte et les inquiétudes concernant la protection de la vie privée.
Le sénateur Fraser: Cela prolonge directement la discussion précédente. On a fait valoir qu'une des grandes garanties offertes est le fait que l'on allait s'en tenir à ces 13 locus, qui ne codent rien et qui selon toute probabilité ne coderont jamais rien. Ce serait une garantie formidable mais je ne trouve rien dans le projet de loi qui le garantisse expressément.
Ai-je raté quelque chose? Tout ce que je vois, c'est l'article 4, fort admirable, qui prévoit la protection des renseignements personnels. Je ne vois rien qui garantit que seulement ces éléments uniques vont faire l'objet des analyses. Dans certains cas, la tentation sera très grande, dans le cas d'un crime odieux, de vouloir aller plus loin. Si pour l'heure, nous nous en tenons à ces marqueurs là, si c'est tout ce que le matériel permet de tester actuellement, mon inquiétude n'a peut être pas raison d'être immédiate. Néanmoins, dites-moi si quelque chose m'a échappé dans le projet de loi?
M. Zigayer: Vous avez tout à fait raison. Il n'y a rien dans les dispositions de ce projet de loi qui exige que les laboratoires judiciaires s'en tiennent à ces marqueurs très polymorphes non codants de la molécule d'ADN.
Cependant, les représentants de la GRC nous ont dit l'autre soir que rien d'autre ne les intéressait. Seuls les marqueurs non codants hautement polymorphes les intéressent. C'est ce qu'ils recherchent, et c'est ce qui leur rend le plus grand service. Je suppose que leurs collègues dans d'autres pays pourraient très bien être à la fine pointe de la technologie d'identification génétique.
Je vous conseille de soulever la question quand le commissaire de la GRC viendra témoigner. Il conviendra peut-être que le peaufinage de la loi devra se faire grâce au règlement. Par exemple, si la loi avait été étudiée il y a deux ou trois ans, la GRC vous aurait peut-être proposé l'identification de neuf marqueurs. Toutefois, il existe maintenant de nouveaux tests dont on souhaite se servir pour plus d'exactitude dans l'identification.
Ainsi, on veut écarter plus de suspects, que l'ordinateur propose un seul suspect plutôt que vingt -- et cela grâce à l'utilisation des treize marqueurs. Il sera beaucoup plus facile de modifier les règlements que de déposer un projet de loi de modifications au Parlement. Il convient donc mieux en l'occurrence de répondre à cette préoccupation par les règlements ou par des lignes directrices internes de la GRC. Les uns comme les autres me conviendraient.
Le sénateur Grafstein: Je trouve ici quelque chose d'intéressant du point de vue de la politique publique. Nous avons choisi, dans le cas des jeunes, de restreindre et de contenir les renseignements obtenus aux fins de la banque nationale de données génétiques. Cela nous semble être une bonne politique publique.
Quelle est la limite d'âge pour l'application de la loi sur les jeunes contrevenants?
M. Zigayer: Dix-huit ans.
Le sénateur Grafstein: Supposez que quelqu'un ait dix-huit ans et un mois et soit accusé d'agression. Son nom est donc entré dans la bande de données à perpétuité, n'est-ce pas?
Il semble qu'on reconnaisse quelque chose dans cette politique. Je ne songe pas à la Charte ici. Nous avons deux niveaux de préoccupations. D'une part, les contraintes que nous impose la Charte, mais voilà que nous passons dans le registre des politiques. Il semble qu'il y ait incohérence entre les opinions des trois juges, le juge Dubin, et les deux autres, le juge Bison et le juge Taylor, étant donné la décision qu'a prise la Cour suprême dans l'affaire Arp. Cela va bien au-delà de ce que je pensais.
J'ai réfléchi à ce disait un de mes collègues, à savoir qu'une fois les échantillons prélevés pour un crime donné, ils peuvent être utilisés de façon générale sans limite, sans restriction.
Une fois que l'échantillon a été légitimement prélevé, il semble qu'aucun principe n'en restreigne l'utilisation. Nous ne devrions peut-être pas nous préoccuper tant de la Charte que de la question de politique. Je m'inquiète vivement, tout comme l'ont exprimé des collègues, du cas d'une personne qui se rendrait coupable d'agression dans un bar à l'âge de 19 ans. Rappelons-nous notre jeunesse fougueuse. Prenez le sénateur Buchanan, et c'est un exemple parmi d'autres, et on peut imaginer qu'il aurait pu, dans sa jeunesse, donner un coup de poing à quelqu'un. À ce moment là, un échantillon de son ADN aurait été prélevé et cet échantillon -- y compris son bilan médical -- aurait été stocké à tout jamais dans la banque nationale de données.
Je fais cette observation générale car je pense qu'il nous faut un peu plus de temps pour réfléchir à la question et obtenir des renseignements. Un peu plus tard, grâce à de nouveaux témoignages, nous serons un peu plus éclairés et je tiens à remercier nos témoins de leur aide et des conseils qu'ils nous ont prodigués sur cette question plutôt complexe.
M. Zigayer: Si le sénateur Buchanan avait commis une agression grave dans sa jeunesse, on pourrait espérer que son avocat, invoquant la disposition de cette nouvelle loi, aurait dit: «C'est sa première infraction; un grand avenir s'ouvre devant lui». Son avocat, en disant cela, aurait obtenu une absolution inconditionnelle ou sous conditions, mais il n'y aurait sans doute pas eu d'ordonnance de prélèvement d'échantillon. En fait, l'avocat se serait adressé au ministère et aurait demandé que la demande de prélèvement ne soit pas faite dans ce cas-ci, parce que c'est vraiment un très bon garçon.
Le sénateur Grafstein: Cela est laissé à la discrétion du ministère et le tribunal aussi a cette discrétion. Ainsi, si l'on n'obtient pas ce que l'on veut auprès du procureur, on peut toujours tenter sa chance auprès du juge, qui dira: «Je connais le prévenu, il n'a jamais été condamné, cela me semble exceptionnel et c'est peut-être parce qu'il avait un peu bu qu'il a fait cela.»
Pour ma part, les juges de la Nouvelle-Ecosse m'inspirent peut-être une plus grande confiance que la décision la plus récente de la Cour suprême du Canada, mais c'est une autre question.
Le sénateur Joyal: Je voudrais revenir sur la question de la banque de données. Vous allez croire que c'est une obsession mais j'ai l'impression que c'est un enjeu extrêmement important pour l'avenir. Ce que nous faisons ce soir comporte des conséquences qui se feront sentir pendant des années et des années et qui seront très graves.
Je pense ici à ce qui se passera si un jour la recherche scientifique nous permet de tirer plus de renseignements de l'analyse de l'ADN d'un individu. Quelles procédures la GRC devrait-elle suivre pour obtenir les autorisations nécessaires lui permettant d'aller au-delà de ce qui est strictement défini dans les dispositions du projet de loi?
Je crains que si nous ouvrons la porte à toutes les possibilités à l'avenir, qu'il nous faille être très conscients de ce que nous faisons, de ce sur quoi nous légiférons. En principe, je ne vois pas d'inconvénient à ce que la recherche scientifique progresse, devienne plus efficace, et il se peut qu'un jour le stockage de ces renseignements n'exigent pas le recours à un gel et à tout le matériel qu'on nous a décrit.
Au moment où vous nous décriviez cela, j'avais l'impression qu'on était en train de décrire l'équivalent des anciens postes de radio de la taille d'un meuble. Et aujourd'hui voilà que les radios sont réduits à de petits boutons, qui ne sont mêmes pas visibles.
Au fur et à mesure que la technologie progressera, cela continuera de constituer une atteinte majeure à la vie privée des individus et il se peut que ces derniers souhaitent ne pas révéler certains renseignements. Ainsi, avec les progrès de la science, grâce à un cheveu, on pourra tout dire d'un individu. On pourra connaître ses penchants pour telle ou telle chose, pour l'acquisition du savoir, ses éventuels talents en musique. Tous les talents innés que nous croyons avoir pourront être détectés grâce à un échantillon d'ADN. Nous ne pouvons même pas imaginer ce que nous pourrons lire dans ces échantillons à l'avenir.
Mais si cela doit se produire, je serais plus réconforté si on prévoyait un processus suivant lequel on demanderait au Parlement d'accorder cette autorisation. Autrement dit, quand la science aura produit des outils permettant de mieux comprendre la criminalité, nous pourrons contrebalancer cette atteinte à la vie privée grâce à un processus d'autorisation.
Encore une fois, je n'ai rien contre de meilleurs outils, au contraire. Je pense que cela fait partie de la recherche scientifique. Toutefois, ce serait ouvrir la porte à toutes les possibilités à l'avenir.
Je tiens à ce que les principes qui figurent dans le projet de loi soient interprétés comme il se doit par le tribunal. Je tiens à une procédure judiciaire qui garantisse l'application de ces principes. Quand la recherche scientifique permettra une meilleure compréhension de l'ADN, nous devrons être en mesure de pouvoir garantir le droit à la protection de la vie privée.
C'est un élément central du projet de loi. On a l'impression que nous sommes en train de prendre une mesure sans savoir quel en sera le résultat dans cinq ou dix ans, voire dans trois ans. Nous ne savons pas à quel rythme la science va progresser et je fais pleine confiance aux talents de MM. Fourney et Gaudette, qui sont venus témoigner récemment. Il nous incombe de préserver un équilibre dans le système pour garantir que nous ne laissons pas la science nous dépasser et que nous maintenons le pouvoir de la contrôler.
À défaut de cela, notre rôle dans cette démarche ne rime à rien. Une fois que le système sera lancé, il suivra son cours, et nous n'avons pas les moyens de le réévaluer ou de déterminer jusqu'où il peut aller de sorte que nous puissions protéger la vie privée des particuliers.
M. Cohen: Certaines de ces questions me laissent un peu frustré. Il n'en demeure pas moins que vous êtes saisis d'un projet de loi qui comporte des garanties et des limites et qui en fait est circonscrit. Vous avez signalé les parties de ce projet de loi qui vous causent de graves inquiétudes à cause d'éventuelles manipulations ou abus. C'est une préoccupation qui se comprend quand on s'engage sur un terrain en grande partie inconnue.
Par ailleurs, il faut que les législateurs se demandent si cela cadre avec la vie dans une société libre et démocratique. La Charte comporte le même enjeu. Cinquante États américains ont adopté des lois sur une banque de données. Le Royaume-Uni, les Pays-Bas, le Danemark et d'autres pays l'ont fait également. Ce n'est pas nécessairement un réconfort mais il faut dire que nous nous acheminons tous ensemble vers la même chose.
Cette réponse n'est peut-être pas totalement satisfaisante mais ce sont les législateurs qui vont donner le feu vert, compte tenu des inquiétudes que cela comporte.
Il appartient au Parlement de surveiller, rajuster et examiner la mise en oeuvre de toute disposition législative. Le Parlement pourra compter sur la jurisprudence. Les tribunaux ne vont assurément pas tolérer les abus. Quand il y a litige, et s'il y a manipulation ou abus, on peut s'attendre à ce que la vie privée soit protégée. Il existe quantité de commentaires et de nombreux cas de jurisprudence qui soulignent l'importance de la vie privée.
C'est sous-estimer le projet de loi que d'y chercher un angle qui pourrait permettre l'exploitation de quantités massives de renseignements personnels. Le projet de loi énonce ses objectifs et répartit les responsabilités. Le Parlement a quant à lui la responsabilité d'examiner la loi dans cinq ans.
M. Zigayer: M. Cohen s'est référé aux principes. En l'occurrence, à la page 2 du projet de loi, à l'alinéa 4b)ii), les dispositions reconnaissent et déclarent que:
b) afin de protéger les renseignements personnels, doivent faire l'objet de protection:
ii) l'utilisation de substances corporelles qui sont transmises au commissaire pour l'application de la présente loi de même que leur accessibilité.
Nous sommes tous acquis à cela. Il s'agit de faire confiance aux démarches qui sont prévues pour protéger et garantir un usage et un accès appropriés.
Je vais en outre vous demander de vous référer à l'article 12 du projet de loi, qui concerne la prise de règlements.
12. Le gouverneur en conseil peut prendre des règlements pour l'application de la présente loi.
Bien sûr, le gouverneur en conseil peut très bien prendre des règlements afin peut-être de donner aux Canadiens une plus grande assurance quant au traitement éventuel des substances corporelles et des profils.
Le dernier point serait l'article 13. L'examen du projet de loi nous donne l'occasion de voir comment les choses se sont passées depuis cinq ans. Il nous permet de voir comment on a administré la banque de données, si la technologie a changé et s'il est nécessaire d'ajouter des mesures de contrôle avant que la banque de données devienne opérationnelle.
J'ai cru comprendre que le solliciteur général allait proposer une autre mesure législative dans moins de 18 mois; est-ce vrai? C'est peut-être une autre question que nous pourrions examiner, si nous estimons qu'il convient de l'inclure dans cette mesure.
La présidente: C'est un sujet qui reviendra au Sénat d'ici 18 mois, peut-être pour qu'on puisse déterminer quand les règlements seront au moins partiellement formulés.
J'aimerais également rappeler aux sénateurs que nous avons le comité mixte permanent du Sénat et de la Chambre des communes sur l'examen de la réglementation, qui examine les règlements.
Le sénateur Joyal: Je recommande donc que nous mentionnions dans notre rapport ce que vous venez de dire au sujet de l'examen des règlements d'ici 18 mois. Nous aimerions certainement qu'on en tienne compte.
Plusieurs des questions dont vous avez parlé feraient justement l'objet de règlements, comme les accords que le Canada pourrait conclure avec d'autres pays.
Il y a un certain nombre d'autres éléments que nous aimerions examiner, comme par exemple les lignes directrices décrites par d'autres témoins. Il y a plusieurs éléments que nous aimerions examiner plus en détail, et je recommanderais que nous l'indiquions dans notre rapport, comme vous l'avez si bien dit.
Le sénateur Grafstein: Je suis d'accord. Le problème avec le comité mixte permanent du Sénat et de la Chambre des communes sur l'examen de la réglementation, dont j'ai eu le privilège de faire partie pendant un certain temps, vient de ce qu'il reçoit une quantité énorme d'informations. On n'y donne pas la possibilité de se concentrer sur les aspects substantiels des règlements.
Nous parlons ici de profondes questions de politiques ainsi que de la Charte. Je suis convaincu que ce serait utile également aux témoins, afin qu'ils n'aient pas à enseigner à un autre groupe les subtilités de cette mesure législative. Il serait peut-être utile de faire cela, et je suggère donc au président d'en tenir compte au moment de la rédaction du projet de rapport.
La présidente: Il en sera tenu compte.
Le sénateur Grafstein: Pensons également aux accords. Les lignes directrices concernant ces accords internationaux seraient aussi utiles.
Le sénateur Moore: Pendant que vous rédigiez ce projet de loi, aviez-vous en main les lois de différents pays et États qui ont déjà une loi concernant les empreintes génétiques? Les avez-vous examinées en pensant particulièrement à la question de la protection à long terme des renseignements personnels, soulevée par le sénateur Joyal?
M. Zigayer: Lorsque nous avons entrepris notre travail, il n'y avait pas vraiment beaucoup de lois qui existaient déjà. Les choses ont évolué à peu près au même rythme qu'ici. Il y a actuellement des projets de lois à l'étude dans différents pays, certains sont un peu en retard sur nous, tandis que d'autres étudient la banque de données comme telle.
Si j'ai bien compris le sénateur Joyal, et n'hésitez pas à me corriger si je suis dans l'erreur, ses préoccupations concernent le fait qu'on puisse garder ces renseignements et qu'avec le temps, il est possible qu'on en vienne à en faire une utilisation abusive. Il se demande comment on peut prévenir une telle chose.
Nous avons fait de notre mieux pour atténuer cette crainte en incluant des sanctions pénales dans le projet de loi. Nous nous rendons compte que cela fait partie de l'ensemble. Il y a également d'autres organismes qui auront des pouvoirs de surveillance sur la banque de données génétique. J'ai parlé notamment du commissaire à la protection de la vie privée et du vérificateur général.
Le Sénat pourrait décider de s'informer de la gestion de la banque de données et de l'examiner de plus près. Si quelqu'un veut superviser le fonctionnement de la banque de données, il existe divers mécanismes pour le faire.
Nous avons essayé de faire en sorte que le public ait un certain degré de confiance, en ayant recours aux méthodes que nous employons normalement, c'est-à-dire en prévoyant des sanctions pour les cas d'inconduite.
Le sénateur Moore: Le comité est au courant de l'évolution de l'utilisation des empreintes génétiques et de la création de banques de données, et la question est peut-être à l'étude dans les parlements d'autres pays. Je me demande quelles lois vous avez examinées au moment de rédiger cette mesure. Avez-vous étudié des textes législatifs d'autres pays ou États?
M. Zigayer: Nous en avons examiné un bon nombre, pas à l'étape de la rédaction, mais au moment d'élaborer la politique. Nous avons étudié ce qui se faisait en Australie, en Nouvelle-Zélande, en Grande-Bretagne, et dans différents États américains.
Peu de temps avant la publication du jugement Borden de la Cour suprême du Canada, le premier de plusieurs documents de travail portant sur les empreintes génétiques a été publié par un de nos collègues du Bureau du procureur général du Nouveau-Brunswick détaché chez nous. Jack Walsh, l'un des plus grands spécialistes d'empreintes génétiques du pays, a été détaché auprès du ministère de la Justice. Il a effectué beaucoup de recherche et il nous a aidés à élaborer la politique. Il a fait ses recherches en examinant les banques de données américaines, par exemple, et la façon dont elles fonctionnent. Je pense que nous avons encore quelques exemplaires de ces documents de travail. Je les laisserai au comité, si vous voulez.
Le sénateur Grafstein: Est-ce un compendium de ces documents, ou est-ce son rapport?
M. Zigayer: Il s'agit de notre document de travail, mais en annexe, nous avons inclus un sommaire des lois américaines sur les banques de données génétiques. Je ne sais pas pourquoi je ne l'ai pas sorti plus tôt. On y voit par exemple où en étaient alors l'Arizona, la Californie, le Colorado, Hawaï et les divers autres États. Le document date un peu, mais vous aurez tout de même une idée de la situation. De plus, il contient une page ou deux où l'on mentionne des cas où des banques de données génétiques américaines ont fourni des preuves qui ont mené à l'identification d'un suspect. C'est un document utile et je le remets immédiatement au greffier.
Le sénateur Moore: Au moment d'élaborer la politique, avez-vous examiné la situation dans les États qui ont de tels systèmes depuis déjà assez de temps, pour voir quelle est leur expérience en ce qui concerne la protection des renseignements personnels? Ces États ou ces pays ont-ils une jurisprudence?
M. Zigayer: Un journal -- je ne me souviens pas duquel -- a publié dernièrement un article intitulé: «Les bases de données génétiques sur les détenus sont déclarées illégales». Un juge de la Cour supérieure du Massachusetts a interdit à la police d'État d'exiger des détenus, des libérés conditionnels et des probationnaires des échantillons aux fins de l'identification génétique. C'est l'un des premiers jugements d'un tribunal américain qui a confirmé le droit à la protection des renseignements personnels en mettant fin à l'utilisation d'une banque de données génétiques. Cela s'est produit il y a à peine quelques mois. Je vais remettre aussi ce document au greffier, au lieu de le lire au complet.
La présidente: Je signale qu'il y a à la Bibliothèque du Parlement un exemplaire d'un document intitulé: Obtaining and Banking DND Forensic Evidence. J'en ai un exemplaire ici.
Le sénateur Joyal: Il serait intéressant d'avoir l'article auquel le témoin vient de faire allusion.
M. Zigayer: Mon collègue M. Cohen me rappelle qu'on a confirmé la légitimité de la loi dans les cas d'autres contestations de cette nature. Si j'ai bien compris, cette affaire au Massachusetts fait l'objet d'un appel. Vous verrez dans un instant, quand vous aurez une copie de l'article.
Le sénateur Joyal: Même si l'on en appelle de ce jugement, il est bon de voir comment on a discuté des principes en cause et de lire le texte du jugement, parce qu'on y trouvera les éléments essentiels de droit.
M. Zigayer: J'ai essayé d'obtenir une copie du jugement, mais je n'ai pas réussi. Il est assez récent.
Le sénateur Joyal: Le jugement a été rendu au Massachusetts, à Boston, ou ailleurs?
M. Zigayer: Il a été rendu au Massachusetts, et l'article qui en parle est de San Francisco.
La présidente: Je suppose que vous en obtiendrez un exemplaire pour nous, si vous le pouvez.
Le sénateur Joyal: M. Cohen a mentionné qu'il est au courant d'autres cas semblables. Je ne veux pas discuter longuement de tous ces cas, mais en avez-vous une liste? Vous avez mentionné que presque tous les États américains ont des banques de données génétiques. Comme vous le savez, lorsqu'un jugement est rendu dans un État, il se répercute ailleurs et peut même finir par toucher tous les autres États. Vous serait-il possible de nous fournir une liste de ces cas?
M. Zigayer: Nous nous fions seulement au contenu de ce seul article. Je pense que M. Cohen l'a lu cet après-midi. On y dit que contrairement à cette affaire du Massachusetts, dans les autres cas on a maintenu la légitimité de la loi, mais on n'identifie pas les États où cela s'est produit ni quand.
Il y a une autre chose qui est importante et je sais qu'elle est mentionnée dans un certain nombre d'avis que nous avons obtenus de divers juges de cour d'appel ou d'anciens juges de cour d'appel. Le fait est que les empreintes génétiques ont beaucoup aidé à exonérer des personnes innocentes ou à faire acquitter des gens qui avaient été condamnés injustement.
Les conséquences d'une condamnation injustifiée aux États-Unis peuvent-être beaucoup plus graves qu'ici. Deux personnes qui étaient dans le couloir de la mort ont été exonérées grâce à des empreintes génétiques. Dans deux des avis que nous avons reçus, on se référait à l'étude du ministère américain de la Justice intitulé Convicted by Juries, Acquitted by Science. Il s'agit d'une étude de 28 cas où des personnes ont été exonérées grâce aux empreintes génétiques. Nous avons eu des cas semblables au Canada. De fait, on en a signalé un dernièrement à Terre-Neuve.
Le sénateur Buchanan: C'est vraiment intéressant. Quand le document a-t-il paru?
M. Zigayer: Il est arrivé dernièrement sur mon bureau.
Le sénateur Buchanan: Je m'intéresse particulièrement à cette lettre au sujet du nouveau projet de loi qui sera présenté d'ici 18 mois. J'ai bien écouté et il me semble qu'on veut voir adopter le projet de loi le plus rapidement possible. Il y a plusieurs raisons à cela -- probablement de très bonnes raisons -- et l'on veut organiser la banque de données et la faire démarrer.
Nous avons entendu parler de plusieurs préoccupations ici. On est préoccupé notamment par la banque de données génétiques même, par le fait qu'on pourra garder les échantillons, par la possibilité qu'on puisse en faire une utilisation abusive ou les oublier, ainsi que par la question de la destruction des profils d'identification génétique des accusés et des personnes pour lesquelles on a retiré les accusations, ou encore des victimes. Est-il possible que le nouveau projet de loi nous donne la possibilité d'y jeter un second regard? Si j'ai bien compris, les cas de condamnation par tribunal militaire seront inclus dans la banque nationale de données génétiques.
À titre de comité sénatorial, nous aurons la possibilité, tout comme le comité de la Chambre des communes, d'examiner cette mesure dans un délai de cinq ans. Une telle disposition figurera dans le nouveau projet de loi. Lors de la présentation de ce nouveau projet de loi, n'aurons-nous pas la possibilité d'examiner à nouveau toutes les préoccupations exprimées par nos savants témoins?
La présidente: Je dirais que tout dépendra de ce que contiendra le nouveau projet de loi. S'il ne porte pas sur la teneur complète du projet de loi dont nous sommes saisis actuellement, nous ne pourrons put-être pas réexaminer toute la question. Est-ce votre impression, monsieur Zigayer?
M. Zigayer: Je le crains. Cependant, il y a une autre façon d'attirer l'attention du gouvernement. Lorsque vous approuverez cette mesure, vous voudrez peut-être y joindre des recommandations quant à ce que vous voulez voir dans le nouveau projet de loi, en plus des questions déjà identifiées.
La présidente: Je suis certain que nous allons tenir compte de cette suggestion.
Le sénateur Grafstein: Je veux faire inscrire une déclaration au compte rendu. Je ne demande pas aux témoins d'y répondre. C'est cependant une chose à laquelle le ministre ou son adjoint pourrait répondre, car cela découle du document de consultation préparé pour le ministère de la Justice. Je lis un extrait de la page 11:
D'autre part, le commissaire à la protection de la vie privée a souligné qu'il faut imposer une limite de temps stricte en ce qui concerne la conservation de renseignements personnels génétique (y compris les échantillons)... Si dans des circonstances exceptionnelles on permet la conservation de renseignements pendant des périodes prolongées, il faut prendre des précautions extraordinaires pour s'assurer qu'ils seront utilisés seulement aux fins pour lesquelles ils ont été recueillis ou pour une fin logique.
J'espère, je le répète, que lorsque le ministre comparaîtra, il répondra à cette déclaration précise dans ses observations.
La présidente: Merci, messieurs, d'avoir comparu ce soir. Vous avez fait de l'excellent travail.
La séance est levée.