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Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule 46 - Témoignages


OTTAWA, le jeudi 3 décembre 1998

Le comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel a été renvoyé le projet de loi C-3, concernant l'identification par les empreintes génétiques et modifiant le Code criminel et d'autres lois en conséquence, se réunit aujourd'hui à 10 h 55 pour l'étude du projet de loi.

Le sénateur Lorna Milne (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente: Honorables sénateurs, je vous souhaite à tous la bienvenue, ainsi qu'à nos téléspectateurs, dans cette pièce 257 de l'édifice de l'Est.

Il s'agit de la sixième réunion du comité pour l'étude du projet de loi C-3, concernant l'identification par les empreintes génétiques et modifiant le Code criminel et d'autres lois en conséquence. Le projet de loi prévoit l'établissement d'une banque nationale de données génétiques qui sera tenue par le commissaire de la Gendarmerie royale du Canada et destinée à aider les organismes chargés du contrôle d'application de la loi à résoudre des crimes.

Le projet de loi a été adopté par la Chambre des communes le 29 septembre 1998 et adopté en première lecture par le Sénat le lendemain. Le projet de loi a été adopté en deuxième lecture le 22 octobre 1998, ce qui signifie que le Sénat en a approuvé le principe. Le projet de loi C-3 a ensuite été renvoyé à notre comité pour une étude approfondie.

Cette étude a débuté la semaine dernière, avec la comparution de M. Jacques Saada, secrétaire parlementaire du solliciteur général, dont relève le projet de loi C-3. Le comité a ensuite entendu deux témoins du Laboratoire judiciaire central de la GRC, suivis par des témoins de l'Association canadienne des policiers et de l'Association canadienne des chefs de police. Hier, le comité a entendu le témoignage de représentants du Centre canadien de ressources pour les victimes de crime, du Barreau du Québec et du ministère de la Justice.

Nos témoins de ce matin sont M. Peter Bridge, du Collège canadien des généticiens médicaux, et Mme Marie-Hélène Parizeau, de la Faculté de philosophie de l'Université Laval.

Au début de la semaine prochaine, nous entendrons d'autres témoignages sur le projet de loi C-3. Lorsque le comité aura terminé l'audition des témoins, il passera à l'étude article par article du projet de loi, et décidera à ce moment-là s'il y a lieu d'adopter le projet de loi tel quel, de recommander des amendements ou son rejet pur et simple. Le comité soumettra alors sa décision au Sénat.

Je tiens maintenant à inviter les témoins à faire leur déclaration liminaire, après quoi nous passerons à la période de questions et réponses.

Professeure Parizeau, nous vous écoutons.

[Français]

Mme Marie-Hélène Parizeau, professeure, Université Laval: J'enseigne l'éthique médicale et la bioéthique à l'Université Laval. Mon propos portera sur les choix de valeur sous-jacents au projet de loi C-3, concernant l'identification des empreintes génétiques. Il y a différentes façons de faire une analyse éthique des différentes perspectives morales que l'on peut adopter. J'ai choisi une approche utilitariste pour nous obliger à penser aux conséquences à court terme et à long terme de ce projet de loi. C'est un calcul des intérêts, chose que nous faisons dans notre vie quotidienne et que je vais essayer d'appliquer. Je vais donc tester, au plan moral, ce projet de loi.

Ma présentation se fera en deux parties. Je vais d'abord faire un calcul des avantages de la loi et dans un deuxième temps, je parlerai des inconvénients de ce projet de loi. Enfin, je ferai une analyse critique qui essaiera de résumer la plupart des éléments que je voudrais porter à votre attention.

D'une façon générale, dans la vie de tous les jours, dans la vie aussi publique, nous nous demandons quels sont les gains et les pertes que nous avons à mesurer en regard de l'utilité pour le plus grand nombre. En d'autres termes, une bonne loi pour être efficace, doit répondre à un but précis et s'appliquer de façon simple. Au plan moral, une bonne loi doit être juste, s'appliquer à tous les citoyens de la même façon, sans créer de discrimination qui ne soit justifiée. On peut vouloir protéger les populations vulnérables. C'est le cadre dans lequel je vais évaluer les avantages du projet de loi C-3.

D'une façon générale, ce projet de loi nous propose d'utiliser de façon sélective une technologie fiable, un test génétique permettant seulement l'identification d'une personne, grâce à son empreinte génétique dans le contexte précis de crimes violents.

Le but premier recherché par l'État est l'identification rapide et sûre d'une personne ayant commis un crime et permettant d'éliminer le doute qui pourrait reposer sur les personnes non coupables du crime. Il y a un avantage évident pour la protection des personnes innocentes.

Le projet de loi dit spécifiquement qu'il s'agit de meurtres ou de viols, donc des infractions primaires, et le but recherché est la sécurité du public et de la population.

Le deuxième but recherché par l'État est l'identification de criminels qui pourraient porter atteinte à la sécurité -- la sûreté -- de l'État. Comme en témoigne la référence à certaines infractions secondaires, acte de piraterie, usage d'explosifs, et cetera, ce sont des motifs d'ordre politiques qui sont sous-jacents. En résumé, les avantages du test de l'empreinte génétique à partir de ce projet de loi portent sur la maximisation de la sécurité de la population et de l'État.

Maintenant, essayons de voir les inconvénients. J'ai parlé des buts et des avantages qui sont assez clairs au niveau des valeurs. En fait, quand on regarde les inconvénients, c'est beaucoup plus l'évaluation de la proportionnalité des moyens par rapport à la fin recherchée, c'est-à-dire les valeurs qu'on a essayé de protéger à l'intérieur de ce projet de loi. Au plan moral, ce qu'on peut opposer à la maximisation de la sécurité de la population et de l'État, ce que permettrait le test de l'empreinte génétique, c'est la protection de la vie privée et des droits et libertés de la personne. Donc ici, on a un conflit de valeurs entre la protection de la sécurité de la population et la sûreté de l'État versus la protection de la vie privée et des droits et libertés de la personne.

Quelles sont donc ces atteintes à la vie privée et aux droits et libertés de la personne que l'on peut identifier à l'intérieur de ce projet de loi? Une première remarque: l'empreinte génétique est un outil de contrôle social extrêmement efficace puisqu'il permet d'identifier un criminel et de monter des fichiers informatisés centralisés nationaux ou internationaux. Je fais référence à un article qui vient tout juste d'être publié dans Nature Biotechnology: The FBI's National DNA Databank, qui montre bien qu'aux États-Unis, après un bilan de sept années d'utilisation de l'empreinte génétique, on a suivi l'exemple des Britanniques qui étaient aux prises avec la crise irlandaise et des formes de terrorisme. Il y a un bilan fait par le FBI et on constate l'utilisation efficace de cette loi.

On s'aperçoit que la loi américaine est beaucoup plus restrictive que le projet de loi C-3, et que ce dernier laisse une très grande latitude à l'État canadien au nom de la sûreté de l'État. Donc la loi américaine est plus restrictive et plus prudente en matière de protection de la vie privée et des libertés individuelles. Elle s'applique uniquement dans le cas de personnes condamnées pour crime, et je cite:

[Traduction]

Le fichier du FBI ne peut que renfermer des données génétiques sur des criminels condamnés, les lieux des crimes et les restes humains non identifiés. En théorie, du moins, cela signifie que le FBI ne peut pas conserver l'échantillon ou le profil d'identification génétique de moi-même, ni de vous ni du président Clinton, à moins que nous ne soyons reconnus coupables d'un acte criminel. Cela signifie également que la police ou les agents fédéraux ne peuvent pas prélever d'échantillons d'empreintes génétiques auprès de suspects qui ne sont même pas inculpés, de criminels pas encore condamnés, y compris les terroristes -- aux fins de l'enquête.

[Français]

Première remarque: il est quand même étrange que le Canada, toujours soucieux des droits et libertés de la personne, se garde un rayon d'intervention beaucoup plus large que les États-Unis. C'est une façon peut-être utile pour les Américains d'avoir accès à des données internationales des autres pays concernant les criminels et autres terroristes, tout en gardant intacts, dans son propre pays, les droits de la personne.

Est-ce là pour le Canada une façon de contribuer à la sécurité internationale? Est-ce une façon de payer le prix de cette sécurité en réduisant la protection de la vie privée des citoyens canadiens? Ce sont les questions que je me suis posées à la lecture de cet article.

Deuxième remarque dans les inconvénients: l'empreinte génétique n'est pas une technique neutre. Elle comporte des bénéfices et des risques et suppose le prélèvement de tissu. Selon le projet de loi, ce tissu sera conservé. Il y a un très grand pouvoir discrétionnaire du commissionnaire quant à l'utilisation des substances corporelles. Les risques d'utilisation ultérieure de ces tissus sont présents et le projet de loi laisse la porte ouverte, quant à moi, sur des utilisations ultérieures.

On peut dire que d'une façon générale, si le test a une validité scientifique très fiable et très performante, on peut s'interroger cependant sur la remise en question de ce test devant les tribunaux. La littérature américaine, à ce propos, est assez impressionnante. Quand on voit les querelles d'experts depuis 1989, on peut s'attendre à voir ce même phénomène devant nos tribunaux.

Troisième remarque: on peut s'interroger sur l'évaluation des coûts de cette nouvelle technologie. Un fin pragmatisme et une visée de justice obligent à questionner la proportionnalité des coûts. En matière de justice distributive et sociale, il faut aussi s'interroger sur l'usage de la technique de l'empreinte génétique.

J'aurais tendance à dire que le fardeau de la preuve pèse du côté de ceux qui proposent la nouvelle technique. A-t-on étudié le coût financier de l'entreposage des prélèvements, le nombre de techniciens et leur formation, la gestion des fichiers, la contestation des tests devant les tribunaux avec l'allongement des procès et les honoraires des avocats et des spécialistes? Est-ce que ce coût global a été comparé par rapport au nombre de cas où le test d'empreinte génétique, à lui seul, résout le mystère de l'identification des criminels? A-t-on évalué la priorité de ces coûts liés à l'empreinte génétique en matière de justice sociale par rapport à d'autres priorités sociales? C'est un souci de justice sociale que je voudrais évoquer.

Il faut voir que le problème de la conservation est quand même quelque chose d'impressionnant parce qu'aux États-Unis, il y a eu, depuis sept ans, 400 cas où on a permis une identification de criminels. Entre temps, tous les états aux États-Unis adhérents à cette loi ont ramassé 600 000 échantillons et en ont évalué et analysé 250 000, toujours selon l'article que j'ai mentionné tout à l'heure.

Je voudrais faire une brève analyse pour montrer que j'ai de sérieuses réserves par rapport à ce projet de loi.

Mon premier point: c'est la première fois qu'une technique de génétique humaine est utilisée explicitement dans un cadre légal par l'État à des fins non thérapeutiques. J'attire ici votre attention sur le fait que ce sont des techniques médicales qui sont utilisées parcimonieusement, par exemple, pour la vérification de paternité. C'est la première fois qu'on utilise une technique en génétique humaine autre que pour une finalité thérapeutique. Le but visé dans ce projet de loi est donc la sécurité publique.

Deuxième point: l'intérêt direct de l'État pour la sécurité de l'État. Je m'interroge pour le syndrome sécuritaire qui agite un peu notre pays. Est-ce que nous avons une mentalité qui pousse de plus en plus l'État à des mesures de contrôle contre les contrevenants à défaut de pouvoir trouver des solutions variées aux différentes façettes du problème de la criminalité sous toutes ses formes?

La façon dont le projet de loi est rédigé me fait craindre des dérapages sur le plan éthique. D'une part, dans la protection de la vie privée des personnes, d'autre part, dans l'utilisation éventuellement frauduleuse des prélèvements tissulaires pour diverses fins. Vous savez qu'actuellement, il y a des recherches qui se font pour les profils génétiques des criminels, l'identification génétique plus poussée, la sûreté nationale, donc des risques de dérive d'utilisation frauduleuse.

Troisième point: je m'interroge sur la répartition sociale des richesses. Cela est tout à fait pertinent sur le plan de la justice. A-t-on évalué tous les coûts financiers de l'introduction de cette technologie?

Quatrième point: dans la proportionnalité des moyens utilisés par rapport au but poursuivi, on peut s'interroger non pas sur le but qui est fort louable, mais sur la proportionnalité des moyens.

Bref, l'utilisation de la technique de l'empreinte génétique à des fins de sécurité publique et de sécurité nationale semble ici renouer avec une histoire que la génétique a toujours connue, où il y a toujours eu des risques de discrimination et d'eugénisme. Je vous rappelle l'histoire autour de la deuxième guerre mondiale.

Enfin, il me semble qu'un fin pragmatisme milite en faveur de la prudence dans l'utilisation des technologies génétiques à des fins non thérapeutiques. Je ne puis que regretter la forme actuelle, beaucoup trop étendue du projet de loi C-3. Si, pour des raisons politiques internes et externes, cette technique d'empreinte génétique s'avère être incontournable, n'allons pas au-delà des limites d'utilisation que les Américains eux-mêmes se sont imposées. De quoi avons-nous peur en fait? Que l'État veuille punir ceux qui tuent ou volent? Il en a le devoir. Chaque citoyen attend de l'État la garantie d'une certaine sécurité, mais la finalité de la justice n'autorise pas au plan moral tous les moyens.

[Traduction]

M. Peter Bridge, membre, conseil d'administration (directeur, Laboratoire de diagnostics moléculaires, et président, Groupe de recherche en génétique médicale, Université de Calgary), Collège canadien des généticiens médicaux: Je viens du Département de génétique médicale de l'Université de Calgary, et je suis le directeur du Laboratoire de diagnostics moléculaires de l'Hôpital pour enfants de l'Alberta. Je comparais ce matin en ma qualité de directeur du Collège canadien des généticiens médicaux, soit le CCGM.

Le CCGM a déjà participé à l'élaboration de ce projet de loi. Le 28 mars 1996, nous avons fait parvenir une lettre aux analystes de politique au sujet de la première ébauche, ou l'une des premières, de ce projet de loi. Le 25 février dernier, j'ai témoigné devant le comité des Communes.

Je tiens tout d'abord à rappeler que le Collège canadien des généticiens médicaux appuie ce projet de loi, et surtout les principes sur lesquels il repose. En février, j'ai fait état de certaines préoccupations relatives à l'application du projet de loi, par opposition à son adoption par le Parlement.

Je suis un peu gêné de voir que mes remarques ont été citées hors contexte. J'ai vu un article de journal en fait où l'on disait que l'adoption du projet de loi avait été retardée en raison de certains problèmes que nous avions soulevés. Dans cet article se trouvait une citation tirée de mon témoignage précédent, même si j'avais déclaré que nous appuyons sans réserve le projet de loi.

Je veux donc faire preuve de la plus grande prudence avant de répéter ces choses-là. J'espère que vous interpréterez mes propos en tenant compte du fait que nous appuyons en général le projet de loi et sans oublier qu'il s'agit en fait de problèmes liés à l'application de la loi. J'espère que les gens pourront l'utiliser aux fins auxquelles ce projet de loi a été conçu, c'est-à-dire aux fins d'identification des criminels. C'est la seule raison pour laquelle on devrait utiliser de telles dispositions, et nous devons nous assurer que les renseignements recueillis ne serviront pas à d'autres fins que celles prévues au départ.

Permettez-moi de vous donner un exemple. Certains éléments du profil d'identification génétique sont actuellement considérés comme totalement aléatoires et non liés à une caractéristique physique ou à un état pathologique quelconque. Disons que, dans cinq ans, ces éléments soient associés, grâce à la recherche, à un état pathologique. Nous risquons donc de nous trouver dans une situation où les renseignements contenus dans le profil d'identification génétique révèlent certaines choses au sujet de la personne, actuellement ou peut-être à l'avenir.

Le profil établi sera une sorte de profil numérique, l'équivalent numérique d'un code à barres. Cela constitue sans nul doute un outil extrêmement puissant pour identifier les personnes ou comparer les substances prélevées sur les lieux d'un crime au profil d'un individu. Sur ce plan, c'est un instrument merveilleux L'empreinte génétique est le meilleur ami des innocents, qu'il s'agisse d'une personne innocente accusée à tort ou que l'on veuille parler du grand public. C'est un instrument extrêmement puissant pour la poursuite, lorsqu'il est utilisé à bon escient.

Il existe des précédents où des gènes ont fait l'objet d'analyses et, grâce à des recherches poussées, on leur a attribué une fonction secondaire. Nous nous demandons s'il existe un mécanisme qui permet d'entreposer ce profil de façon à préserver son intégrité.

Je dois dire que le profil fait l'unanimité à l'échelle internationale, puisque bon nombre de personnes extrêmement compétentes ont étudié la génétique démographique d'un grand nombre de gènes différents, non seulement dans notre pays mais également aux États-Unis et dans toute l'Europe. Ils ont établi une liste de marqueurs génétiques qui, selon eux, sera utile aux fins d'identification, et je suis parfaitement de leur avis.

Il ne s'agit pas dans tous les cas de ce que l'on appelle les marqueurs génétiques anonymes. Certains proviennent des régions entourant les gènes connus et ce sont surtout les gènes connus qui sont source de préoccupation. Si l'on établit par la suite une fonction supplémentaire à ces gènes connus, alors il est possible -- j'insiste sur le fait que la possibilité est mince, mais il faut toutefois en discuter -- que cette information présente également de façon fortuite une certaine valeur prédictive du point de vue médical.

Si le profil se compose de ce que nous appelons les empreintes génétiques anonymes -- c'est-à-dire l'ADN qui n'a aucune fonction connue, qui est simplement variable mais dont nous ne connaissons pas la fonction -- le risque est un peu moindre.

Le deuxième problème vient de ce que, contrairement aux empreintes digitales, les empreintes génétiques sont tout à fait héréditaires. On hérite de la moitié des empreintes de sa mère et l'autre moitié de son père. Même si ces empreintes sont complexes et uniques à chacun d'entre nous, elles sont sans aucun doute héréditaires. Si l'on possède un profil dans la base de données et que l'on veut établir une concordance, et si l'on trouve une concordance parfaite, alors il y a de bonnes chances que l'on ait apparié l'échantillon prélevé sur les lieux du crime et le coupable. Le problème se pose si l'on en arrive à un quasi-appariement.

Disons qu'il y a 10 marqueurs génétiques dans le profil. Les empreintes génétiques du vrai coupable doivent être exactement les mêmes dans les 10 cas. Tous ces marqueurs sont variables dans la population et chacun d'entre nous aura une correspondance, par pur hasard, dans un ou deux cas mais pas dans les 10 cas. Le problème se pose lorsqu'on obtient un appariement de 9 marqueurs sur 10, ou 8 sur 10. Le résultat est sans doute trop élevé pour être le fruit du hasard et cela veut dire sans doute que la personne dont on a établi le profil génétique est un parent proche de celle dont le profil se trouve dans la banque de données.

Ainsi, du fait que ce sont des empreintes génétiques qui sont héritées, cela risque de fournir certains renseignements au sujet d'autres parents. Ce n'est peut-être pas mauvais en soi, du moins je ne le pense pas. Toutefois, le problème se pose du fait que s'il existe dans la base de données un échantillon prélevé en bonne et due forme auprès d'un coupable, cela fournit en même temps un profil d'identification génétique partiel de son frère, sa mère, ses enfants et d'autres parents proches.

C'est très bien s'il y a une concordance partielle et que l'on dise: «Bien, ce n'est pas lui le coupable mais nous pourrions peut-être faire porter une recherche sur son frère». Ce n'est pas une question scientifique peut-être. Mais encore, je ne vois rien à y redire, mais il y aura manifestement des gens qui ne seront pas du même avis.

La technologie des empreintes génétiques n'est pas nouvelle et elle est utilisée depuis plus d'une vingtaine d'années pour le diagnostic médical. On l'utilise également depuis 10 ans ou plus dans le domaine médico-légal. Comme je l'ai déjà dit, c'est un instrument extrêmement puissant. Dans mon cas personnel, je l'utilise pour le diagnostic des maladies génétiques. La révolution provoquée par les analyses génétiques dans ce domaine est tout à fait sidérante, pour son niveau de précision, par rapport aux techniques qui ne reposent pas sur l'analyse génétique.

Même si je ne suis absolument pas avocat, je crois interpréter comme il se doit le paragraphe 6(6) du projet de loi, où il est question de l'utilisation interdite. Cette disposition signifie, à mon avis, que les empreintes génétiques entreposées à la banque ne peuvent pas servir à des fins de recherche, par exemple pour faire enquête sur des caractéristiques criminelles. Si mon interprétation est la bonne, alors cela ne pose aucun problème. Si cette disposition n'est pas libellée dans des termes assez clairs -- là encore nous souhaitons qu'elle soit modifiée pour stipuler que le profil ne peut servir qu'aux fins d'identification prévues au départ.

La présidente: Avant de débuter la période de questions, je tiens à vous dire, monsieur Bridge, que vous devrez peut-être prélever un échantillon d'empreintes génétiques sur moi parce que ma petite-fille a été soignée pour un trouble cardiaque génétique dans votre hôpital et on lui a sauvé la vie.

[Français]

Le sénateur Beaudoin: Vous avez des réserves assez grandes, assez évidentes pour les empreintes génétiques. Je ne dis pas que vous avez tort ou raison. Aux États-Unis, ils vont moins loin que chez nous. J'en suis surpris. Vous dites que les empreintes génétiques comportent des risques. Vous avez parlé de fraude. Qu'est-ce que vous entendez quant au rôle de gardien de l'État dans la sécurité publique? L'usage qu'on semble vouloir en faire m'apparaît un peu grand, un peu vaste. L'empreinte génétique est quasiment une encyclopédie de la science moderne. On va peut-être trop loin. On doit peut-être prendre l'empreinte, non pas au moment de l'accusation mais à celui de la condamnation d'un crime.

Ceux qui sont venus devant nous ont dit oui, mais on veut avoir la possibilité de prélever des empreintes génétiques pour trouver les criminels, pour aider la police à trouver les criminels, à solutionner un crime.

J'aimerais que vous reveniez sur le point des risques et sur l'usage excessif que l'on semble faire de l'empreinte. Je n'aurais aucune objection à restreindre le prélèvement d'empreintes génétiques aux nécessités de solution d'un crime. Je n'aurais aucune difficulté avec cela. Mais une fois que l'empreinte est prise, elle est là et pour longtemps. Est-ce que vous vous objectez à cela?

Mme Parizeau: J'ai voulu mettre en évidence les risques de dérive. Quand vous utilisez une technologie nouvelle, il y a beaucoup d'appétit pour cela. Si vous allez voir un chirurgien, il va vous proposer de vous opérer, il est là pour cela. Ce que je suis en train de dire d'une façon imagée, quand vous regardez l'histoire des développements technologiques, une technologie va se répandre, se développer dans le cadre que vous lui laissez. Le cadre de la loi étant extrêmement grand au niveau de la sécurité publique et au niveau de la sécurité de l'État, ma compréhension laisse énormément de pouvoir discrétionnaire à ceux qui doivent juger, c'est-à-dire le juge qui doit décider ou à la GRC, qui a un rôle aussi dans la sécurité de l'État. Il y a un pouvoir discrétionnaire très grand. L'utilisation beaucoup plus élargie, on la constate dans le développement du champ de la génétique et dans son efficacité très poussée, de plus en plus grande de ces tests. Je suis impressionnée par le fait que les États-Unis aient jugé bon de limiter l'usage de ces technologies aux seuls criminels avérés, en prenant l'hypothèse suivante: dans le fond, les crimes de sang les plus graves sont le fait de récidivistes.

Je dis simplement qu'ils ont été prudents en essayant de conserver le droit de la personne, le droit à la vie, le plus intact. Je suis surprise qu'au Canada, on se donne un cadre extrêmement étendu, sachant que c'est une technologie en plein développement. Un témoignage fait démontre bien la puissance de cet outil et le fait que ce n'est pas une personne, c'est son entourage familial, la fratrie, les ascendants, les descendants. Cela devient des histoires de famille.

Ma réticence est, dans le fond, qu'avec ce cadre législatif tellement large, les risques de dérive sont non négligeables dans une technologie en pleine expansion. Je trouve qu'il faut avoir une attitude plus prudente. Si les États-Unis ont jugé bon, après sept ans, de ne pas modifier leur loi pour protéger les droits et les libertés individuelles, nous avons intérêt à faire comme eux.

Le sénateur Beaudoin: J'ai bel et bien entendu le mot frauduleuse. Qu'est-ce que c'était?

Mme Parizeau: J'ai voulu dire dérive en fait. C'est cette notion.

Le sénateur Beaudoin: On va tellement loin, on est tellement généreux qu'on est un peu à la dérive?

Mme Parizeau: Ceci a été évoqué sur le plan technique; comme on a accès à des tissus, à des gênes qui sont même voisins, la tentation d'aller plus loin qu'une identification génétique limitée rend possible l'utilisation, finalement, de l'information à d'autres fins, pour la santé de la personne, et cetera. Cette information n'est pas neutre et elle peut être utilisée à d'autres fins. C'est ce que j'essayais de montrer.

Le sénateur Beaudoin: On peut la restreindre dans la loi aux questions purement criminelles, par exemple, la sécurité de l'État, et cetera.

Mme Parizeau: Je suis d'accord avec vous, regardez le projet de loi et la liste des crimes est impressionnante. Bien sûr, on peut limiter dans les textes. Ce que je crains, c'est que dans les usages, on risque de se retrouver avec des pratiques que l'on ne pourra pas nécessairement contrôler.

Entre une technique faite en laboratoire dans des conditions optimales et la façon dont cela se passe dans la vrai vie, il y a une marge. J'enseigne l'éthique médicale. J'enseigne à mes étudiants en médecine ce qu'ils devraient faire. Je siège aux comités d'éthique dans les hôpitaux et je fais du travail de consultation éthique, et quand je vois la vraie vie, je vois des problèmes, des usages malencontreux, des règles qui n'ont pas été respectées qui font plus d'injustice que de justice. C'est ma crainte, sachant la puissance de l'outil.

Le sénateur Beaudoin: Si on ne fait pas cela, qu'est-ce qu'on fait? On ne se sert pas de ce moyen extraordinaire parce qu'il est trop dangereux?

Mme Parizeau: Si on n'avait pas un peu de sagesse dans ce monde, je crois que par exemple... prenez l'usage de l'énergie nucléaire. On s'en sert à la fois sur le plan civil et militaire. On a appris à nos dépens comment se servir de cette énergie. On continue d'avoir des problèmes néanmoins. Quand on développe une nouvelle technologie, le principe de prudence doit s'appliquer. Je suis impressionnée par le fait que les Américains ont appliqué ce principe de prudence. S'il faut utiliser cet outil, essayons de le restreindre pour le tester, pour voir si éventuellement on pourra l'étendre. Je plaide pour le principe de prudence.

Le sénateur Beaudoin: C'est oui, mais avec prudence.

Mme Parizeau: Si vous me demandez mon opinion personnelle, ce serait non. Mais le contexte politique au Canada est tel que l'appétit pour ce type de test qui donne une certitude scientifique -- ce qui n'est pas toujours évident -- est fascinant. Avec la certitude scientifique, on a l'impression qu'on est dans le vrai. On se dit: bon voilà, on a une preuve sûr et certaine. Cela donne confiance et on a l'impression d'avancer. C'est vrai d'une certaine façon. Mais il faut toujours mesurer qu'une technologie a des avantages et des inconvénients. Puisque le contexte est dans le sens du développement technologique, il faut limiter.

Le sénateur Nolin: Votre témoignage m'intéresse beaucoup. Je n'ai pas du tout l'intention de contredire vos préoccupations quant à la nécessité d'avoir recours à une prudence extrême lorsque nous avançons dans les nouvelles technologies qui peuvent receler des conséquences même non prévisibles par les plus grands futurologues.

Je voudrais vous rappeler que l'usage des codes génétiques est permis en droit criminel. Dans votre témoignage, vous avez fait référence au fait qu'aux États-Unis, la force probante de la preuve par empreintes génétiques avait soulevé des débats. Je vous l'accorde. Ce débat parlementaire a déjà eu cours au Canada. On parle de la constitution d'une banque, donc d'accumuler toutes ces informations. La loi le reconnaît et elle l'établit comme principe de base pour aider l'application de la justice criminelle au Canada, donc la protection de la société.

Suite à votre témoignage, je me demande si on a lu le même projet de loi. Il prévoit des mesures de protection pour s'assurer que l'usage de ces profils et de ces échantillons sera restreint à ce que la loi prévoit. Est-ce que vous ne pensez pas plutôt que les mesures de protection ne sont pas suffisantes dans le projet de loi? On prévoit en ce moment des peines d'emprisonnement de deux ans maximum pour quelqu'un trouvé coupable d'avoir outrepassé les prescriptions de la loi, donc d'avoir utilisé les renseignements d'une des banques à des fins autres que celles prévues par la loi. Est-ce que deux ans est une peine suffisante? Pour moi, ce n'est pas assez, mais j'aimerais avoir votre opinion.

À ce que je sache, on suit le même processus que les Américains. Je ne vois pas de différence importante entre notre projet de loi et celui des Américains. Les Américains vont faire des prélèvements sur des condamnés et nous aussi. Les prélèvements se feront sur des condamnés seulement, à moins que le Parlement décide de changer le projet de loi. Il est évident qu'il y aura des prélèvements sur la scène du crime, mais cela est l'autre bout de l'équation. Il s'agit maintenant de recouper des individus et des empreintes anonymes. La comparaison que vous avez faite avec le système américain m'a étonné.

Mme Parizeau: Par rapport au système américain, ce que j'essaie de mettre en évidence, c'est que de façon générale, il y a eu un principe de prudence dans l'utilisation des prélèvements et que pour la sécurité publique, à ma connaissance, il n'y a pas le volet concernant le terrorisme international.

Le sénateur Nolin: Vous parlez au niveau d'une infraction particulière ou d'un objectif avoué du projet de loi? Vous voudriez que le projet de loi ait comme objectif la protection du terrorisme international?

Mme Parizeau: Non, je dis simplement que la loi américaine n'autorise pas ce type de prélèvements dans ce cas de crime. C'est là où il y a une différence en termes de sécurité. Ce que j'essaie de montrer, c'est qu'il y a d'une part la sécurité du public dans les cas de crimes de sang et d'autre part, la sécurité de l'État dans le cas de crimes de type piraterie, attentat, et cetera. On utilise ces deux objectifs dans la loi. La loi, sur le plan criminel, fait la liste de ces deux types de crime qui sont de nature différente. C'est ce que j'essaie de mettre en évidence. Est-ce qu'on est conscient que ce sont tous ces crimes qu'on inclut? Dans ce sens, la loi américaine est beaucoup plus restrictive pour des crimes de sang. Vous avez raison, c'est cette partie qu'il faut bien comprendre. De ce côté, notre projet de loi colle avec la loi américaine, mais l'extension sur la sécurité de l'État n'est pas permise actuellement pour les empreintes génétiques.

En ce qui concerne la force probante de la preuve, j'ai voulu montrer que l'attrait de cette technologie est qu'elle nous donne la preuve scientifique hors de tout doute. Le seul moyen de s'en sortir sera de montrer qu'il y a eu des problèmes lors des procédures de prélèvement ou lors de l'analyse en laboratoire. La contestation du test ne sera pas pour le test lui-même puisqu'on sait qu'il est efficace, mais pour les conditions dans lesquelles le test s'est déroulé. J'ai simplement essayé d'évoquer que même si sur le plan scientifique on peut avoir une preuve, on aura toujours des moyens de remettre en cause cette technologie sur le plan juridique. C'est un point mineur dans mon argumentation, mais il ne faut pas se leurrer sur le fait que ce n'est pas parce qu'on a une certitude scientifique que les règles juridiques ne vont pas remettre en cause le contexte dans lequel le test s'est effectué. Cela fait partie du jeu juridique. Les mécanismes juridiques sont tels qu'il y aura certainement des contestations. Il ne faut pas croire que le test va nous donner une certitude absolue.

Le sénateur Nolin: Au niveau de la force probante de cette preuve, on a un principe fondamental au Canada qui nous dit qu'un accusé n'est pas coupable tant qu'il n'a pas été déclaré coupable hors de tout doute raisonnable. Si on a recours à des preuves dont la force probante est telle qu'elle n'ouvre pas la porte à un doute raisonnable, est-ce qu'il n'y a pas une contradiction avec le principe que j'ai énoncé avant au niveau éthique? Est-ce qu'on devrait permettre le recours à ce type de preuves? Autrement dit, si la personne voit le rapport entre la scène du crime et son empreinte génétique, et que le recoupement se fait parfaitement, cette personne n'a-t-elle pas accès à un procès juste et équitable simplement par le fait que le recoupage se fait?

Mme Parizeau: Je ne me prononcerai pas là-dessus.

Le sénateur Nolin: C'était un piège.

[Traduction]

La présidente: J'espère que les tribunaux en tiendront compte, tout comme ils le font lorsque des gens se trouvent sur le lieu d'un crime même s'ils n'en sont pas l'auteur.

Le sénateur Grafstein: Je crois comprendre que nos deux témoins n'ont aucune objection aux analyses génétiques dans le cadre d'un procès au pénal visant à établir la culpabilité ou l'innocence d'un accusé. Je parle d'un à la fois. Autrement dit, ai-je raison de dire que l'utilisation des empreintes génétiques dans un cas précis, à supposer qu'elles répondent aux critères du 10 contre 10 des tests tels que nous les connaissons, n'est pas répréhensible?

M. Bridge: Non, pas à mon avis.

Le sénateur Grafstein: Êtes-vous du même avis, madame Parizeau, quant à l'application restreinte des analyses?

[Français]

Mme Parizeau: Si je comprends bien, vous êtes en train de dire que le test d'empreintes génétiques est moralement acceptable pour poursuivre un criminel. C'est pour cela que je faisais appel à la prudence. C'est la première fois sur le plan législatif de l'État, que la loi donne l'autorisation qu'un test génétique soit utilisé à des fins non thérapeutiques. La finalité des tests génétiques a toujours été dans la médecine, dans le traitement, pour le bien des gens.

Maintenant, la finalité de ce test est dérivée sur autre chose, qui est louable au plan de la justice, mais je dis simplement que nous devrions être conscients de ce phénomène qu'est l'utilisation de la génétique à des fins de sécurité publique et non plus de la médecine.

Je fais donc une objection de principe en disant que si nous le faisons, soyons conscients que c'est une première. Il faut aussi être conscient de l'histoire de l'utilisation de la génétique depuis le début, c'est-à-dire depuis le 19e siècle, dans le cas du nazisme, des problèmes de discrimination, et caetera.

C'est un outil très puissant et utilisé à des fins non thérapeutiques. Il peut avoir des dérives qui n'étaient pas pensées au départ. C'est sur ce point que je voudrais insister.

[Traduction]

Le sénateur Grafstein: Je comprends que vous vous inquiétiez des conséquences. J'essaie de partager votre témoignage en deux catégories. L'une d'entre elles est l'application restreinte des empreintes génétiques dans une affaire précise et à un moment donné, et uniquement à ces fins-là.

On peut dire que nous avons utilisé la science et la technologie -- et encouragé leur utilisation -- pour établir la culpabilité ou l'innocence d'un accusé grâce à l'utilisation des empreintes digitales, les prélèvements de sang et de cheveux. Les empreintes génétiques sont une prolongation de cette technique. On peut dire que ce n'est pas la première fois que l'État utilise ainsi cette technologie.

Je partage vos craintes au sujet d'une utilisation non contrôlée. Toutefois, quand il s'agit uniquement d'établir l'innocence ou la culpabilité d'un accusé, je crois comprendre que vous n'y avez aucune objection. Vous vous inquiétez des conséquences d'une utilisation plus vaste, ou à des fins non prévues, des profils qui se trouvent dans les banques de données. Dites-vous que même l'utilisation restreinte vous inquiète? Je n'ai pas totalement compris votre argument à ce sujet.

[Français]

Mme Parizeau: Vous avez raison d'insister. Ce que j'essaie de dire, c'est que la nature des tests génétiques est différente de la nature des prises d'empreintes digitales. D'abord, on a accès au génome d'une personne et éventuellement, on peut faire de l'identification de gènes. À ce moment, ce n'est pas seulement la personne, c'est la personne telle qu'elle est, dans son futur, avec les tests de prédisposition de maladies génétiques.

Il y a un potentiel par rapport à la génétique qu'on n'a jamais vu jusqu'ici dans l'utilisation de ces informations. Effectivement, je crains l'extension de ces technologies dans les secteurs de la vie publique, où finalement on va réduire l'individu à son génome. Donc d'une façon claire, il faut l'utiliser et d'ailleurs, il y a un consensus pour utiliser ce type de technologie.

[Traduction]

Le sénateur Grafstein: Nous savons quelles sont les conséquences, si on utilise ces données à d'autres fins, et ce que permettent de faire les analyses. La véritable question est la suivante: quelles sont les limites de l'application acceptable?

La présidente: Le projet de loi répond-il à ces préoccupations?

Le sénateur Grafstein: Oui. Je vais permettre aux autres d'examiner la question plus à fond.

M. Bridge: Le scénario dont vous avez parlé, c'est-à-dire l'utilisation de ces données dans un cas unique, existe déjà. Il en a été question dans les journaux d'hier au sujet d'une personne condamnée pour un meurtre commis il y a 20 ans en Colombie-Britannique. De toute évidence, ce genre de chose est tout à fait acceptable aux termes des lois en vigueur. Vous parlez d'une application plus vaste, par exemple pour une base de données d'empreintes génétiques.

Le sénateur Grafstein: Il faut dire que dans ce projet de loi nous essayons de faire la part des choses. Il est prévu une nouvelle procédure, au moyen d'un mandat et d'une autorisation, qui est plus judiciaire que l'utilisation épisodique des empreintes génétiques.

Pour en revenir à votre témoignage, je vais essayer d'établir un lien avec le principe du projet de loi dans un instant. Vous n'avez toutefois rien à redire à la partie du projet de loi prévoyant la délivrance d'un mandat par un juge, et cetera, pour obtenir l'autorisation de faire une analyse génétique dans un cas précis. Est-ce exact?

M. Bridge: Aucun problème.

Le sénateur Grafstein: Je voudrais revenir un peu en arrière et vous demander à tous deux de répondre à cette question si possible.

Quelle est la teneur des discussions qui se déroulent à ce sujet au sein de la Faculté de philosophie ou de l'Association des généticiens?

En d'autres termes, nous avons entendu l'opinion de l'État qui affirme qu'il est nécessaire de mettre sur pied ce système duplex. C'est-à-dire d'une part un processus d'obtention d'échantillons qui soit équitable et acceptable aux termes de la Charte et, d'autre part, la constitution d'une banque de données et l'utilisation à d'autres fins de ces données.

J'aimerais savoir quelle est la teneur des discussions portant sur cette question qui se déroulent au sein du monde scientifique ou philosophique. J'ai une bonne raison. Après avoir suivi ces délibérations, nous avons appris que les normes, les limites et les critères de l'utilisation de la banque de données ont été strictement définis de façon à se limiter au contexte des analyses aux fins d'identification. Ces analyses doivent servir uniquement aux fins d'identification et ne pas aller plus loin dans le domaine de la santé ou autre. Nous avons reçu des témoignages très précis à ce sujet.

Toutefois, lorsque nous avons voulu savoir qui établit ces critères, on nous a répondu que, tant dans le pays qu'à l'échelle internationale, rien n'est décidé au niveau des pouvoirs publics. La question est laissée aux protocoles et aux décisions des scientifiques. On nous a dit que ces derniers étaient responsables.

J'aimerais connaître la teneur des discussions qui ont lieu dans les milieux scientifiques à ce sujet, et savoir quels sont les principes de retenue. En a-t-on discuté?

Malheureusement, certains d'entre nous chargés d'étudier ce projet de loi sont très occupés, malgré ce qu'en pense la population, et pour ma part je n'ai pas suivi ce débat. Si je ne l'ai pas suivi, c'est parce qu'il n'y a pas eu de débat public général sur cette question, ce dernier s'étant limité aux milieux scientifiques ou philosophiques. J'ai entendu le témoignage de théologiens à ce sujet. Leurs convictions ou leurs croyances importent peu; les opinions divergent énormément sur ce point.

Comme l'a dit Mme Parizeau, on nous demande de faire un bond énorme en adoptant ce projet de loi et je l'accepte. En conséquence, nous faisons preuve de la plus grande prudence pour nous assurer de ne pas faire un saut dans l'inconnu, car nous risquerions de le regretter d'ici une dizaine d'années. C'est notre rôle, en tant que chambre de réflexion et de pondération.

Donnez-nous une idée de la teneur des discussions qui se déroulent entre les généticiens ou les professeurs de philosophie, le cas échéant. Si des articles ont été publiés dernièrement à ce sujet, j'aimerais beaucoup les lire.

M. Bridge: Le débat oppose deux parties. L'une d'entre elles affirme qu'il faut procéder aux analyses les plus puissantes possible, et le faire avec autant de précision que possible en vue d'appliquer la loi. L'autre partie estime que, lorsqu'on prélève ces échantillons sur les personnes, on empiète sur leurs droits fondamentaux. D'après ces gens-là, on ne devrait pas soumettre des criminels condamnés à ce genre de chose.

Les arguments pour et contre ont été mis de l'avant en 1996 lorsque nous avons présenté une réponse par écrit à l'étape de l'analyse de la politique. À l'époque, le Collège comptait sans doute près de 150 membres et il en compte aujourd'hui près de 180 d'un bout à l'autre du pays.

L'opinion majoritaire penchait pour l'adoption de la loi et l'application de la technologie. Il ne faut pas pour autant déduire que personne n'avait la moindre réserve quant à d'éventuelles violations des droits fondamentaux que ce genre de chose pouvait représenter.

Il a donc été décidé à la majorité de procéder aux analyses. Une fois la décision prise, la discussion a porté sur les renseignements contenus dans le profil d'identification génétique. Risque-t-il d'y avoir plus de renseignements que ne l'ont prévu ses concepteurs?

Le profil est établi au moyen de marqueurs génétiques polymorphiques ou hautement variables. En l'occurrence, les scientifiques décideront d'utiliser des marqueurs qui sont variables et qui ont des populations extrêmement diverses -- des marqueurs qui permettent de faire nettement la distinction entre les individus de populations différentes.

Si on veut établir un profil, il n'est pas particulièrement utile d'utiliser un marqueur qui donne des résultats pour une population caucasienne mais pas une population orientale. Le marqueur idéal est uniformément variable parmi toutes les populations, de sorte que le test soit tout aussi puissant lorsqu'il s'applique à différents groupes.

Si j'avais été appelé à choisir les marqueurs utilisés pour l'analyse, j'en aurais peut-être choisi quelques-uns de façon différente. Nul doute qu'un grand nombre de personnes extrêmement compétentes ont pris la décision quant au choix des marqueurs.

Il y a une expression selon laquelle un ancien braconnier fait un excellent garde-chasse. Étant donné mon expérience professionnelle puisque j'ai été appelé à extraire des renseignements des empreintes génétiques dans le but de les retrouver au sein d'une même famille, je suis peut-être plus conscient que les autres du risque de recueillir en cours de route des renseignements de façon fortuite.

La première ébauche du projet de loi nous avait portés à faire de nombreuses observations sur les mesures de protection. Comme vous l'avez dit, le projet de loi renferme actuellement de nombreuses garanties contre toute utilisation à mauvais escient de propos délibéré. La seule préoccupation qui reste n'a rien à voir avec l'utilisation à mauvais escient de propos délibéré, toutefois. Que fera-t-on si on découvre d'autres renseignements, grâce à des recherches plus poussées, qui révèlent que cela a des conséquences ou un résultat donné dans le profil? Est-il possible de garantir que ces renseignements ne seront pas utilisés à mauvais escient ou supprimés du profil? Un conseil consultatif attaché à la banque de données génétiques comptera-t-il des experts en la matière, et pas simplement des spécialistes de la génétique démographique? Ce sont les personnes les plus qualifiées pour examiner les statistiques que renferment ces profils. Le groupe consultatif devrait se composer de généticiens médicaux, qui comprennent les répercussions de cette technique.

Le sénateur Grafstein: Ma question suivante ne doit pas vous donner l'impression que je critique la GRC. En toute franchise, je suis l'un de ses plus fervents partisans. Toutefois, même si nous avons entièrement confiance en la GRC, il vaut mieux prévoir, dans l'intérêt public, des mesures de contrôle avant d'accorder un pouvoir aussi extraordinaire. En vertu de ce projet de loi, nous accordons un pouvoir excessif au commissaire de la Gendarmerie royale du Canada.

À votre avis, faut-il qu'un groupe consultatif indépendant conseille les responsables à ce sujet du point de vue légal, ou avez-vous parlé d'un groupe consultatif officieux qui veillera simplement à ce que l'utilisation des marqueurs ne fasse l'objet d'aucun abus?

M. Bridge: Comme vous le dites, vous accordez des pouvoirs particuliers au commissaire. Une fois ces pouvoirs accordés, il sera difficile de les modifier.

Il serait utile de prévoir un mécanisme permettant aux gens qui comprennent les répercussions d'ordre médical de certaines de ces analyses d'avoir voix au chapitre. Ces personnes pourraient dire, par exemple: «Nous pensions qu'il s'agissait d'une analyse génétique tout à fait bénigne; toutefois, nous venons de constater que ce résultat est un prédicteur de la maladie d'Alzheimer». Il y aura alors un mécanisme qui permettrait d'éviter la divulgation de ce renseignement, afin de limiter les abus.

On pourrait également trouver un prédicteur d'un gène psychopathique. Advenant le cas, on pourrait évidemment être tenté de croire que si l'on accorde une libération conditionnelle à ce prisonnier, il pourra récidiver. Cela dépasserait évidemment les limites de ce qui est prévu dans l'identification. Mais une fois des pouvoirs aussi vastes accordés, comment peut-on les peaufiner? Je ne dis pas qu'il faille les abolir complètement. Mais comment assurer un certain suivi et les peaufiner? J'imagine qu'il doit être possible de le faire en prévoyant l'intervention d'experts.

[Français]

Le sénateur Joyal: Mme Parizeau, j'essaie de vous suivre dans la réserve que vous apportez à l'égard de l'étendue du projet de loi. Si j'ai compris votre intervention, deux éléments du projet de loi vous préoccupent: l'étendue du projet de loi et les mécanismes de contrôle.

Sur l'étendue du projet de loi, si j'ai compris vos interventions en réponse aux questions de mes collègues sénateurs, vous semblez avoir des réserves non pas sur l'identification des criminels d'habitude violents, mais plutôt sur les crimes reliés à la sécurité de l'État, et je reprends vos propos : piraterie, attentat, enlèvement. Je vous fais un scénario pour m'aider à comprendre les raisons de la réserve de la deuxième série des crimes qui sont couverts par le projet de loi, ceux étant liés à la sécurité de l'État.

Un criminel engagé dans un réseau de terroristes est pour moi une personne qui est engagée intellectuellement à servir des objectifs qui ne sont pas limités dans le temps par un seul acte violent.

Par exemple, vous avez parlé de piraterie. Un terroriste détourne un avion, abat un des passagers au vu et au su des autres passagers, est arrêté et condamné. J'ai beaucoup de difficultés à voir pourquoi le motif d'un crime, d'un attentat, d'un viol avec violence sur une personne, répété deux fois, vis-à-vis un individu pur et simple, gratuit sur le plan politique, est moins répréhensible que le crime d'un membre d'un réseau international qui va enlever deux ou trois personnes. Prenons le roman Le chacal. Il s'agit d'un criminel d'habitude. Il a enlevé plusieurs personnes. Il est prêt à tuer plusieurs personnes. Pourquoi le motif de ce crime, puisqu'on est en éthique, est-il moins répréhensible que l'autre? Pourquoi la société comme telle devrait moins se protéger du membre du réseau international de terroristes que le criminel isolé qui fantasme dans son imaginaire sur un type d'individu qu'il abat? J'ai de la difficulté à évaluer le degré d'acceptabilité d'un crime versus l'autre.

L'histoire politique démontre très bien que les personnes prêtes à utiliser la violence pour atteindre leurs objectifs politiques sont prêtes à l'utiliser à répétition. Elles ne sont pas limitées dans le temps à un seul acte criminel. Elles sont motivées par des objectifs politiques extrêmement puissants. Pourquoi ces criminels, dans votre esprit, ne devraient-ils pas être assujettis dans l'identification de leur criminalité sur la même base que ceux qui commettent des crimes individuels, des viols d'enfants, ce type de violence physique? Pouvez-vous faire la distinction entre les deux?

Mme Parizeau: C'est une question difficile. Je crois que c'est moins la nature du crime que la question dans un cas, on recherche la sécurité publique et dans l'autre, la sécurité de l'État. Ce qui m'inquiétait dans l'extension donnée en matière de sécurité de l'État, c'est que l'on crée des banques de données informatisées. Il peut y avoir une circulation de ces banques de données. Il y a moyen de les utiliser pour les faire partager.

Ce qui m'a étonnée, c'est que les Américains n'ont pas étendu l'utilisation de l'empreinte génétique à ce type de crime. Je me suis demandé pourquoi. La question que je me pose encore, c'est pourquoi nous, on jugerait que ce type de crime doit entrer dans le cadre de la loi, étant donné que ce que l'on crée à travers cela, c'est une banque de données. Est-ce que la sécurité de l'État, encore une fois, doit prévaloir par rapport aux libertés des individus et à la vie privée? C'est beaucoup plus en termes de balance, du rapport de la proportionnalité des moyens par rapport à la fin recherchée que je me pose la question.

Dans le fond, en laissant la porte ouverte très large pour la sécurité de l'État, est-ce qu'on va être capable de tout contrôler? Avec les mécanismes de contrôle que vous évoquiez tout à l'heure, sera-t-on capable d'avoir une transparence par rapport à cela?

C'est pour cela que je fais une différence de fond entre les objectifs de sécurité de l'État, les termes de la loi et la liste des offenses qui est très impressionnante. C'est tout ce qui couvre les formes de terrorisme national et international. J'ai essayé de montrer que l'Angleterre a utilisé l'empreinte génétique parce qu'elle était aux prises avec des problèmes de terrorisme interne dans le cas de l'Irlande.

Le sénateur Joyal: L'étendue de la loi est beaucoup plus large que celle que nous avons. Ce n'est réservé qu'aux personnes condamnées. En Angleterre, la personne qui est arrêtée peut faire l'objet d'une empreinte génétique, ce qui ouvre la porte à une multitude de personnes.

J'essaie encore une fois de comprendre comment le motif d'un crime perpétré au nom d'une idéologie politique est plus acceptable qu'un autre commis selon des motifs purement personnels.

Mme Parizeau: Je n'ai pas dit qu'il était plus acceptable, mais que la finalité est différente. Je m'interroge sur la proportionnalité des témoins. Je veux être claire, je ne veux pas comparer la nature des crimes. Pour moi, ce sont des crimes. Ce sont les moyens qu'on va utiliser, les contrôles qu'on va mettre en oeuvre.

Le sénateur Joyal: Dans le même sens, l'accessibilité à la banque de données ou le contrôle de l'accessibilité à la banque de données est aussi important pour l'individu condamné pour un crime de lucre personnel que celui qui est condamné pour un crime de terrorisme international. Le contrôle de l'accessibilité à la banque de données doit être aussi étanche dans l'un que dans l'autre.

Pourquoi l'État canadien tout à coup est-il si préoccupé de sa sécurité? Est-ce que l'État canadien n'est pas plus vulnérable que l'État américain? Est-ce que cela peut être une des raisons? Je ne dis pas que cela en est une. Vous savez que nous avons un type de société différente que la société américaine. Ne sommes-nous pas une société plus vulnérable? Quand on pense à la façon dont on peut immigrer au Canada et qu'on peut devenir citoyen, nos lois sont plus souples que les lois américaines.

On peut penser à la sécurité à la frontière du Canada. Si on faisait une analyse comparative des deux sociétés, ne pourrait-on pas arriver à la conclusion que l'État canadien est plus vulnérable que l'État américain? Qu'est-ce qui pourrait justifier que l'on étende aux crimes dits politiques l'application de la loi?

Mme Parizeau: L'hypothèse de la vulnérabilité ne m'était pas vraiment passée par l'esprit. Pour moi, la question ne se pose pas de cette façon. Ce sont plus des interrogations qui me préoccupent. C'est à la politique de répondre quant à la finalité recherchée à travers l'extension aussi large de la sécurité de l'État. C'est beaucoup plus une question que j'ai posée qu'une affirmation. Je me suis posé cette question de la sécurité des frontières, de cette espèce d'idéologie dominante concernant le syndrome sécuritaire, c'est-à-dire qu'à la frontière, on veut resserrer la sécurité intérieure. Ce que je comprends tout à fait.

En même temps, je suis étonnée de voir que la criminalité aux États-Unis est plus élevée qu'au Canada. Comment se fait-il que l'on aurait une loi plus étendue en termes de pouvoir que celle des Américains? J'évoque ces questions. Elles sont d'ordre politique. Je ne suis pas en mesure de répondre.

[Traduction]

La présidente: Puis-je intervenir et demander que l'on se penche sur les parties a) et b) de l'article 17? Dans le cas des infractions secondaires, le tribunal peut autoriser par ordonnance le prélèvement des échantillons s'il est convaincu que cela servirait au mieux l'administration de la justice.

Ce n'est obligatoire que pour les infractions primaires. Le mot clé, dans le cas des infractions secondaires, c'est «peut», si le tribunal est convaincu.

Certaines des infractions énumérées dans la liste des infractions secondaires sont couvertes par des traités et des accords internationaux. Je ne sais pas si les États-Unis ont signé l'un ou l'autre de ces traités ou accords.

Le sénateur Joyal: Merci de ce commentaire, madame la présidente.

[Français]

Je voudrais revenir sur l'étendue du projet de loi et en particulier à l'article 6.1 et 6.2 ainsi qu'à l'article 6.6 de la loi qui dit qu'il est interdit, sauf pour l'application de la présente, d'utiliser ou de laisser utiliser un profil d'identification génétique reçu pour dépôt à la banque de données. Est-ce que dans votre esprit, cette limite à l'utilisation est suffisante pour circonscrire la possibilité d'utilisation à d'autres fins que celles visées par la loi?

En d'autres mots, comme vous avez parlé de dérive, est-ce que dans votre esprit -- je vous pose une question juridique qui n'est peut-être pas l'approche que vous voulez privilégier -- cette limite ne nous apparaît-elle pas suffisante pour circonscrire ce que nous cherchons tous à réaliser, c'est-à-dire un équilibre entre les droits des individus, la protection à la vie privée et le besoin pour l'État d'intervenir, de protéger les individus et le public?

Mme Parizeau: Le choix des marqueurs reste dans les mains des scientifiques. Prenons l'hypothèse qu'on arrive à identifier du côté médical des marqueurs qu'on peut mettre en relation avec certains types de comportements agressifs. Est-ce qu'on va prendre cela comme quelque chose qui sera inclus dans l'empreinte génétique ou pas? Ce que j'essaie de mettre en évidence, c'est que sur le plan scientifique, c'est très facile de trouver une justification à utiliser ces éléments.

Le sénateur Nolin: C'est pour cela que la question du sénateur Joyal est fondamentale. Nous voulons savoir si ce qui est écrit dans le projet de loi va nous protéger de cela, parce que nous ne voulons pas que cela se produise.

Mme Parizeau: Je ne suis pas une juriste, donc je suis incapable de répondre à votre question. Tout ce que je sais, c'est que si nous ne sommes pas plus précis dans le texte de loi par rapport à la recherche, à l'usage, aux indicateurs, nous ne sommes pas précis du tout. S'il faut préciser, pourquoi est-ce qu'on ne va pas le faire en matière de recherche, en matière de marqueurs pour la santé? J'aimerais insister sur l'article 9, sur le fait que le temps est indéterminé.

Lorsque nous travaillons dans les comités d'éthique de la recherche et que nous avons des protocoles de recherche en génétique, comme membres de comité d'éthique de la recherche, nous demandons toujours aux scientifiques combien de temps ils vont garder les échantillons, ce qu'ils vont en faire et quelles sont les mesures de sécurité qu'ils ont utilisées. Nous sommes extrêmement précis pour réglementer l'usage et le temps. Si vous laissez la porte ouverte de façon indéterminée quant à la temporalité, il est certain que quelqu'un qui a pris soin de collecter des données va vouloir les garder le plus longtemps possible. Vous ne mettez pas un mécanisme qui permettrait de limiter dans le temps ou qui permettrait de vérifier. Concernant le commissaire, je trouve qu'on lui donne énormément de latitude. Il est à la fois juge et partie et il a tout intérêt à garder les données.

Il manque donc, à mon avis, un mécanisme extérieur qui puisse contrôler à la fois la gestion de la banque de données et l'utilisation qu'on va en faire. Pour moi, il y a un problème de mécanisme et de contrôle qui pourrait être beaucoup plus précis. Ce n'est pas là-dessus que j'ai fait ma présentation, mais je crois que s'il fallait aller davantage dans la précision, c'est vers cela que, personnellement, je m'orienterais.

[Traduction]

Le sénateur Bryden: J'ai une réponse à la préoccupation de M. Bridge concernant la compatibilité et le quasi-appariement. Je crois que le projet de loi tente d'exclure la possibilité que l'on communique l'existence d'un quasi-appariement.

Si je comprends bien les alinéas 6a) et b), on peut communiquer de l'information spécifique après avoir reçu le profil génétique et après l'avoir comparé. C'est possible que le profil soit déjà dans la banque ou non, et cela inclut tous les renseignements y afférents -- à l'exception du profil lui-même contenu dans la banque. La dernière partie du paragraphe s'applique, je crois, au facteur d'identification.

Si je comprends bien le paragraphe 6(1), le projet de loi ne prévoit pas la possibilité de communiquer d'autres renseignements. Ainsi, le commissaire ne peut pas communiquer l'absence de concordance, mais la présence d'une quasi-concordance. La seule chose qu'il puisse dire c'est: «Oui, il y a concordance» ou «Non, il n'y a pas concordance».

Regardons maintenant les paragraphes 6(6) et 6(6):

(6) Il est interdit, sauf pour l'application de la présente loi, d'utiliser ou de laisser utiliser un profil d'identification génétique reçu pour dépôt à la banque de données.

(7) Il est interdit, sauf en conformité avec le présent article, de communiquer ou de laisser communiquer les profils d'identification génétique enregistrés dans la banque ou l'information visée au paragraphe (1).

Je crois que le paragraphe (7) empêcherait quiconque de déclarer qu'il n'y a pas compatibilité, mais que l'on a trouvé un profil qui s'en rapproche. Maintenant, cela reste à vérifier.

Ensuite, si les milieux scientifiques déterminaient que certains marqueurs du profil sont identifiables -- on dit codables, je crois -- les résultats de cette recherche ne feraient-ils pas l'objet immédiatement de discussions scientifiques? Est-ce que quelqu'un ne voudrait pas écrire un article là-dessus? N'y aurait-il pas de conférence organisée qui servirait à rendre public le fait que le code à barres, qui était naguère limité à des fins d'identification, peut également servir à fournir de l'information médicale?

M. Bridge: Pour répondre à votre première question, vous avez parlé d'abord des restrictions qu'impose le projet de loi. Si le libellé est suffisamment strict pour que la seule réponse possible soit oui ou non, alors je n'y vois aucun problème.

Par contre, si celui qui examine les chiffres de la banque de données est autorisé à déclarer qu'il y a une quasi-concordance et qu'il faudrait peut-être chercher une autre possibilité, alors cela me semble inacceptable. Il faut trouver un moyen d'obliger la personne à répondre par oui ou par non. Si on trouve ce moyen, alors cela ne me pose plus problème.

Pour ce qui est de la nature du profil, une fois les divers marqueurs génétiques testés, ils sont ensuite codés en chiffres. Pour chacun de ces marqueurs, on a deux copies de chaque chromosome assorties à une combinaison de deux chiffres pouvant être différents. Prenons les chiffres de 1 à 10: vous, vous pourriez être un 2-8, je pourrais être pour ma part un 3-7, et la présidente pourrait avoir une autre combinaison. C'est lorsque l'on a la permutation de toutes ces différentes combinaisons de deux chiffres sur 10, 6, ou 15 chiffres différents que l'on peut obtenir un profil plus ou moins unique.

Ensuite, vous vouliez savoir si quelqu'un aurait publié un article là-dessus. Comme personne ne sait encore si ces chiffres sont codés ou pas, rien n'a encore été publié là-dessus.

Il y a tout de même un précédent: le gène que l'on appelle Apo E. Au début, ce gène servait à identifier les personnes qui étaient sujettes à des maladies cardio-vasculaires, mais on a maintenant découvert notamment que ce gène peut servir à prédire la maladie d'Alzheimer. Voilà pourquoi je préférerais que l'on n'utilise pas les gènes identifiés qui sont des unités fonctionnelles et que l'on se serve plutôt de ce que l'on appelle les gènes anonymes, c'est-à-dire ceux qui n'ont pas de fonctions connues.

Cela ne pose pas un risque énorme, mais le risque est toujours présent. Pour éviter ce scénario, on devrait peut-être inclure une garantie au projet de loi.

Le sénateur Bryden: J'imagine que la seule personne qui pourrait découvrir qu'un gène est identifié à une prédisposition quelconque, c'est un homme de science, n'est-ce pas?

M. Bridge: Oui, et il y aurait aussi publication d'un article.

Le sénateur Bryden: Voilà ce à quoi je voulais en venir. J'imagine que ce scientifique voudrait communiquer sa découverte au monde entier plutôt que de cacher ce qu'il a trouvé, n'est-ce pas? Dans ce cas, sa découverte n'alimenterait-elle pas les débats publics?

M. Bridge: J'imagine, oui.

Le sénateur Bryden: Si je pose la question, c'est que dès qu'il y aura une découverte de ce genre, tous les tribunaux seront saisis de cet argument chaque fois que l'on mettra en cause le profil génétique. Le fait que l'on en parlerait publiquement attirerait alors l'attention des tribunaux, des procureurs de la défense et du Parlement à qui l'on demanderait de corriger la situation.

La présidente: Monsieur Bridge, cela veut-il dire qu'on ne pourrait pas faire le lien entre l'ADN numérotée -- par exemple, le numéro 3 sur le code à barres d'identification -- et celui qui contiendrait un gène particulier prédisposant à la maladie d'Alzheimer, par exemple? Autrement dit, la numérotation serait différente?

M. Bridge: La numérotation est déterminée à partir des études démographiques. Les recherches menant à des liens d'ordre médical sont faites dans la population en général. Mais s'il se trouve que ceux dont le profil est inscrit à la banque de données présentent cette caractéristique, alors ce qui est vrai pour la population en général s'applique aussi à eux.

La présidente: Mais peut-on faire le lien entre les deux?

M. Bridge: Voilà la difficulté. Si le profil ne sert qu'à répondre: «Oui, il y a concordance» ou «Non, il n'y en a pas», et si le profil n'est plus jamais utilisé à d'autres fins, le problème ne se pose pas. Toutefois, le détenteur du profil a en main des données que d'autres n'ont pas. Autrement dit, il sait qu'un tel aura telle maladie et qu'une telle en aura une autre. Toutefois, celui qui a ces renseignements ne pourra peut-être pas obtenir le nom du sujet ciblé.

Si j'en parle, c'est qu'il faut inclure des mécanismes qui garantissent que, peu importe le système de codage de ces chiffres, il soit impossible de faire le lien entre les chiffres et un individu en l'absence d'une demande légitime autorisée par le tribunal demandant si tel profil se trouve dans la banque de données.

Ainsi, supposons que le profil no 3 se trouve dans la banque de données: vous pouvez toujours trouver quelqu'un qui corresponde à ce profil, et vous pouvez donc établir que la personne ciblée présente les caractéristiques. Vous en savez donc plus que les autres sur cet individu. Il pourrait devenir éventuellement parfaitement légitime -- en supposant que vous ayez testé 10 de ces variants -- de supprimer l'un d'eux et de demander si votre banque de données contient le profil correspondant à neuf des variants. Une fois le variant supprimé, vous cesseriez de faire des comparaisons en regard de celui-là. Voilà le type de peaufinement dont je parlais plus tôt.

Je ne dis pas qu'il faut refuser carrément de faire le test, mais il faudrait savoir s'il est possible de retirer éventuellement l'un des variants.

Le sénateur Bryden: Madame Parizeau, est-il légitime de comparer de façon isolée la façon dont le Canada protège ses droits et libertés par rapport aux États-Unis? Je parle ici d'un point de vue philosophique plutôt que juridique. Nous opposons cette façon particulière dont on parle ici de faire enquête dans les cas de crime à un empiétement sur les droits des individus au Canada.

Le Canada peut bien protéger plus farouchement le droit de ses citoyens à cet égard-là, mais il reste que certains États américains imposent toujours la peine de mort, ce qui va complètement à l'encontre des libertés, et certains États encouragent leurs citoyens à s'armer pour protéger leur vie, alors que le Canada a aboli la peine de mort et contrôle strictement les armes à feu.

Si on ne tient pas compte de la myriade de détails qui séparent nos deux pays du point de vue de la protection des droits et libertés civiles, peut-on néanmoins les comparer d'une façon générale, et pourrait-on en conclure que les Américains protègent beaucoup mieux les droits et libertés que le Canada?

[Français]

Mme Parizeau: J'ai seulement utilisé la législation américaine comme point de comparaison entre deux choses semblables. Je n'ai pas porté un jugement général sur les libertés, les droits et la protection de la vie privée des personnes globalement, j'ai simplement fait un rapprochement entre des éléments comparables en tenant compte de ce que je connaissais de la loi américaine.

Je ne porte pas de jugement global, mais les Américains ont été plus prudents que nous. C'est vrai qu'ils ont fait cela il y a sept ans, mais en même temps la prudence est justifiée aussi pour nous. C'est plus une question de limiter l'utilisation d'un outil qui sera appelé à des développements extraordinaires dans les prochaines années. Allons-y par étape, car ce n'est pas coulé dans le béton.

[Traduction]

Le sénateur Bryden: Si on faisait la même chose avec le Royaume-Uni, pourrait-on dire que le Canada se place à quelque part entre le Royaume-Uni et les États-Unis?

[Français]

Mme Parizeau: Je ne connais pas la loi précisement en ce qui concerne la Grande-Bretagne, mais il est évident que le contexte politique de la Grande-Bretagne a déterminé la nature de la loi.

Donc à nouveau, on pourrait difficilement comparer le comparable, pour des raisons politiques. Le terrorisme en Irlande qu'a connu l'Angleterre, quant à moi, a été déterminant dans l'extension de cette loi. Donc la comparaison ne tiendrait pas.

[Traduction]

Le sénateur Bryden: Je ne sais pas si c'est la raison qui explique la différence.

J'en arrive à mes dernières questions. Vous avez parlé de terrorisme. Les États-Unis n'ont pas de banque de données consacrées aux activités des terroristes. Vous avez dit vous-même que le Canada allait plus loin et que c'est ce qui était prévu ici. Dans quels articles voyez-vous des dispositions s'appliquant au terrorisme au Canada? Aviez-vous en tête la liste des infractions secondaires qui incluent les actes de piraterie?

Mme Parizeau: Oui.

La présidente: Ce sont les cinq premières.

Le sénateur Bryden: On ne parle nulle part d'actes de terrorisme. Mais le terme se trouve à la page 12 du projet de loi. On parle d'actes de piraterie, de détournement et d'atteinte à la sécurité des aéronefs ou des aéroports. Est-ce ce dont vous vouliez parler?

Mme Parizeau: Oui.

Le sénateur Bryden: Mais on peut faire tout cela pour d'autres raisons que pour faire du terrorisme.

[Français]

Mme Parizeau: Cela dépend de ce que l'on met dans la définition de terrorisme.

[Traduction]

Le sénateur Bryden: Croyez-moi, j'ai passé beaucoup de temps à essayer de le déterminer. Nous publierons notre rapport sous peu.

On définit cela d'habitude comme étant des actes de violence destinés à renverser le gouvernement ou perpétrés pour des fins politiques. Mais les mêmes actes peuvent servir au terrorisme tout comme ils peuvent servir à de l'extorsion ou au crime organisé. Ils ne servent pas exclusivement au terrorisme.

Vous avez dit que la Loi américaine sur les empreintes génétiques avait environ sept ans. La position américaine sur le terrorisme ne cesse d'évoluer. Les États-Unis ont adopté des lois définissant le terrorisme comme un crime spécial. Savez-vous si on a inclus dans cette loi les empreintes génétiques?

[Français]

Mme Parizeau: Non, je ne peux pas être aussi précise que cela.

[Traduction]

Le sénateur Bryden: Mais c'est souvent fait par directives du président, ce qui n'existe pas ici.

Vous faites la distinction entre l'empiétement sur les droits de la personne pour protéger l'État, d'une part, ou le même empiétement pour protéger le citoyen, d'autre part. Il est très difficile de faire la distinction entre la sécurité de l'État et la sécurité du public dans des cas comme l'émission de gaz sarin dans le métro de Tokyo. Si l'attentat avait réussi, il aurait tué des milliers de gens, même si c'est une attaque de la part de terroristes contre la sûreté de l'État. C'est la même chose pour l'attentat à la bombe d'Oklahoma. Comment fait-on la différence?

[Français]

Mme Parizeau: Je ne voudrais pas rentrer dans une polémique sur la notion de terrorisme. J'ai simplement essayé de montrer qu'il y avait deux objectifs dans la loi et deux façons de justifier l'utilisation du test génétique.

Les deux finalités se justifient en soi. Dans ma présentation, j'ai été claire, je crois que la sécurité du public, comme la sécurité de l'État, se justifie en soi. C'est encore une fois la proportionnalité de l'outil qu'on utilise par rapport aux finalités que je questionne et ce, en regard de la sécurité de l'État par rapport à ce qui se passe aux États-Unis et en Angleterre.

Ce qui m'a étonnée, c'est que lorsqu'on utilise cet outil, c'est pour lutter contre un terroriste externe ou interne. Il y a actuellement, sur le plan international, des accords qui se font entre les pays occidentaux pour une sécurité des frontières. Je crois qu'il faut être conscient que ce projet de loi ouvre largement la possibilité, pour la sécurité de l'État, à l'utilisation de ce test génétique. C'était le point que je voulais simplement soulever, je n'ai pas fait d'affirmation.

[Traduction]

Le sénateur Bryden: Dites-vous cela parce que les actes de piraterie, le détournement et l'atteinte à la sécurité des aéronefs ou des aéroports sont inclus dans le projet de loi?

[Français]

Mme Parizeau: Quand je vois la liste des infractions secondaires, je suis impressionnée de voir que lorsqu'on les regarde les unes après les autres, on peut faire un lien assez évident avec les formes de terrorisme international. C'est tout.

[Traduction]

Le sénateur Bryden: J'ai du mal à faire le même lien que vous, étant donné que la liste comprend aussi la pornographie juvénile et les actions indécentes.

[Français]

Le sénateur Pépin: Je ne suis pas d'accord lorsque vous dites que si quelqu'un faisait mauvais usage de ces informations, que ce soit l'avocat de la Couronne ou l'avocat de la défense, quelqu'un dirait qu'il n'a pas le droit d'utiliser ces informations. Je crois que la police, lorsqu'elle recueille de l'information, est toujours correcte, mais que la collecte est souvent plus large que la loi ne le permet. J'ai des inquiétudes quant aux possibilités de recueillir ces informations et quant à la façon dont les gens peuvent les garder et les utiliser.

Monsieur Bridge, avez-vous des exemples de cas semblables à nous donner? Est-ce qu'actuellement, on voit souvent ce genre de «near miss cases»? Y a-t-il un pourcentage de cas assez élevé?

[Traduction]

M. Bridge: Je ne crois pas qu'il y en ait tant que cela. Je tire ma propre expérience non pas de travail judiciaire, mais de tests de recherche de paternité. Si j'étudie les profils génétiques, c'est pour pouvoir établir sans erreur que tel homme est ou n'est pas le père de tel enfant.

S'il y avait quasi-concordance dans ces circonstances, cela signifierait que l'homme ciblé n'est pas le père biologique de l'enfant, mais que le père est sans doute un de ses proches parents. Cela ne se produit pas souvent, mais si l'on revient au crime, il faudrait qu'il y ait eu sur les lieux du crime un parent au profil approprié, pour qu'une personne soit accusée alors que c'est l'autre qui a commis le crime. Ce pourrait être deux frères, par exemple. Le profil génétique permettrait de déterminer lequel des deux a commis le crime. Mais c'est fait dans une optique un peu différente. Je pense plutôt à la banque de données établie à partir des échantillons criminalistiques entreposés depuis déjà quelque temps.

Supposons qu'au cours d'une enquête, on soupçonne un individu d'avoir perpétré le crime. Supposons que toutes les preuves incriminent cet individu mais qu'il ne corresponde pas à la perfection au profil génétique. S'il y a quasi-concordance, on se trouve tout d'un coup devant des preuves qui pourraient incriminer quelqu'un d'autre, sans doute un parent anonyme. Or, avant que l'on ne constate la quasi-concordance, c'était le suspect et personne d'autre qui était visé.

Comme il importe de résoudre les crimes et que justice soit faite, l'objectif du projet de loi ne me pose aucune difficulté, dans la mesure où il correspond bien à ce qui est prévu. Or, je ne crois pas que cela soit le cas. Je crois que l'on espère avoir une réponse franche, soit oui, soit non.

Le sénateur Buchanan: Le sénateur Joyal a mentionné un aspect dont nous avions parlé au cours des derniers jours avec l'Association canadienne des policiers et l'Association canadienne des chefs de police, à savoir la différence qui existe entre les lois du Royaume-Uni et celles de nombre d'États américains où il est possible d'autoriser par ordonnance le prélèvement d'échantillons d'ADN.

L'article 17 du projet de loi porte que l'ordonnance de prélèvement de ces échantillons ne peut être rendue qu'une fois la personne déclarée coupable. L'Association canadienne des chefs de police a clairement fait savoir qu'elle préférerait que l'échantillon puisse être prélevé après que l'accusation a été portée. Toutefois, comme les chefs de police ne souhaitent pas retarder l'adoption du projet de loi, ils se contenteront d'un amendement qui pourrait être apporté plus tard. Quant à l'Association canadienne des policiers, elle souhaite également que l'échantillon soit prélevé après la mise en accusation, mais elle refuse pour sa part d'attendre à plus tard que l'on dépose un amendement.

Qu'en pensez-vous?

M. Bridge: J'avais l'impression qu'il était possible de prélever les échantillons pour faciliter l'enquête.

Le sénateur Buchanan: Oui, mais seulement si un juge de la cour provinciale en a délivré le mandat au titre du paragraphe 487.05 du Code criminel. Les chefs de police, l'Association canadienne de la police et d'autres ont demandé de pouvoir prélever des échantillons d'ADN dès qu'une accusation est portée, sans même attendre l'ordonnance dont je viens de parler, et sans attendre qu'il y ait déclaration de culpabilité.

Je répète que c'est ce que souhaite l'Association canadienne des chefs de police, mais qu'elle ne souhaite pas toutefois empêcher l'adoption immédiate du projet de loi. L'Association canadienne des policiers souhaite pour sa part que le projet de loi soit amendé dès maintenant.

Le sénateur Nolin: L'autre option que ces témoins ont suggérée, c'est de demander un renvoi à la Cour suprême.

Le sénateur Buchanan: C'est exact.

Hier soir, nous avons entendu parler d'un cas intéressant. Un juge d'une cour supérieure du Massachusetts aurait empêché la police de l'État de prélever des échantillons d'ADN sur des prisonniers. C'est la première fois qu'un tribunal américain donne préséance à la protection de la vie privée et empêche que des données génétiques soient inscrites à une banque de données. Ce juge maintient que cette demande empiète sur la protection de la vie privée que garantit le Quatrième amendement.

On a beaucoup entendu dire que ce projet de loi-ci ferait l'objet de contestations devant la Cour suprême au titre de la Charte des droits et libertés. Peu importe, je suppose, que les échantillons soient prélevés après la mise en accusation ou après la déclaration de culpabilité. Tous les témoins nous ont signalé que la Cour suprême serait sans aucun doute saisie d'une contestation de ce genre en vertu de la Charte.

Le sénateur Grafstein: Pourrions-nous savoir de quelle cause il s'agit? Ce serait utile.

Le sénateur Buchanan: Je l'ai ici.

Le sénateur Grafstein: Nous avons ici un compte rendu journalistique de l'affaire. Mais il serait utile pour nous de connaître tout le dossier, car nous devrons l'étudier en détail pour voir comment la disposition s'applique de façon générale.

Le sénateur Buchanan: J'ai pensé que cela pourrait intéresser M. Bridge.

J'ai demandé qu'on me donne une opinion là-dessus.

La présidente: Vous l'aurez.

Le sénateur Joyal: Je voudrais informer mes collègues que mon cabinet a communiqué ce matin avec le cabinet du sénateur américain dont le nom paraît dans l'article et que l'on a accepté de me faire tenir dans les prochaines heures copie du jugement en question. Comme c'est un long jugement, on n'a pas pu me l'envoyer immédiatement par télécopie, mais dès que je l'aurai reçu, je vous ferai part de son contenu.

La présidente: Je ferai en sorte que tous en aient un exemplaire.

Le sénateur Buchanan: Puis-je avoir votre opinion là-dessus maintenant?

Mme Parizeau: Pourriez-vous poser votre question à nouveau, sénateur?

Le sénateur Buchanan: Le projet de loi prévoit que sur demande ex parte, un juge de la cour provinciale peut délivrer un mandat autorisant le prélèvement pour analyse génétique; faute d'une demande ex parte, la seule façon de le faire qui soit prévue au projet de loi, c'est de demander de prélever l'échantillon génétique par ordonnance dès la première déclaration de culpabilité. Au Royaume-Uni, que je sache, l'échantillon peut être prélevé dès l'arrestation ou la mise en accusation.

Le sénateur Grafstein: Dès l'arrestation.

Le sénateur Buchanan: Ni l'Association des chefs de police ni l'Association canadienne des policiers ne demandent que le prélèvement soit fait au moment de l'arrestation. Ils sont prêts à attendre la mise en accusation. Or, le projet de loi stipule que cela ne peut se faire qu'après la première condamnation.

Croyez-vous que l'on devrait pouvoir, par ordonnance, prélever un échantillon dès la mise en accusation, ou devrait-on attendre la déclaration de culpabilité?

[Français]

Mme Parizeau: Je crois avoir été assez claire en disant que le plus tard possible est le mieux. Il faut donner le maximum de garanties ici. La question que vous posez est très technique et je ne me sens pas du tout habilitée à y répondre. Il est évident que c'est seulement quand il y a une condamnation qu'on pourrait avoir accès à ce genre de technique. C'est une opinion très personnelle. C'est cohérent avec ce que j'ai dit. Il est évident que le corps policier va vouloir intervenir le plus tôt possible dans la procédure, il fait son travail, c'est normal.

La question de la protection de la vie privée des gens est fondamentale. Il faut la protéger en étant extrêmement stricte quant à l'accès à cette technologie.

[Traduction]

Le sénateur Buchanan: Cela va certainement dans le même sens que ce que vous avez dit plus tôt ce matin.

Qu'en pensez-vous, monsieur Bridge?

M. Bridge: Je tiens d'abord à préciser qu'il s'agit là de mon opinion personnelle et non pas de la position du Collège.

L'article 4 sur les principes parle de découverte, d'arrestation et de condamnation rapides des contrevenants. Je crois que l'identification par les empreintes génétiques est un excellent outil de détection et d'inculpation. C'est également le plus grand des amis pour toute personne accusée à tort. C'est une garantie d'exonération.

Le sénateur Buchanan: Madame la présidente, nous sommes d'un avis partagé.

La présidente: Vous pouvez terminer, monsieur Bridge.

M. Bridge: Personnellement -- je répète «personnellement» -- je serais plus favorable à ce que ces empreintes génétiques soient prises avant plutôt qu'après.

Le sénateur Moore: Monsieur Bridge, hier on nous a donné une copie de l'affaire Arp. Est-ce de cette affaire dont vous parliez tout à l'heure?

M. Bridge: Non, sénateur.

Le sénateur Moore: Dans cette affaire, un crime avait été commis en 1989, des échantillons avaient été fournis spontanément et ont été utilisés presque 10 ans plus tard pour prouver qu'il était bel et bien le coupable.

J'ai été fort intéressé par le témoignage d'une biologiste travaillant au laboratoire d'analyse de la Gendarmerie royale. En examinant les spécimens de l'accusé Arp, cette biologiste a constaté l'appariement visuel de cinq marqueurs et a ajouté que ce genre d'appariement entre individus non apparentés était extrêmement rare. Elle a également dit que dans la population canadienne les chances d'un tel appariement étaient de moins de une sur 31 milliards.

L'analyse de l'ADN vous permet-elle de déterminer la race d'une personne?

M. Bridge: Généralement non. Il est peut-être possible de légèrement modifier les probabilités, mais ces tests n'ont pas généralement pour objet de déterminer la race.

Le sénateur Moore: Ce n'est peut-être pas leur objet, mais peuvent-ils le déterminer?

M. Bridge: Le rapport est de 1 sur 31 milliards.

Le sénateur Moore: Je vous pose la question à propos de ces petites barres; est-ce qu'il y en a une qui correspond à la race?

M. Bridge: Pas précisément, non. On peut peut-être dire qu'il y a deux fois plus de chances que cela corresponde à une séquence de Caucasien plutôt qu'à une séquence d'Oriental, voire peut-être même 100 fois plus de chances. C'est un ordre de grandeur totalement différent par rapport à l'objectif principal. Ce test n'est pas satisfaisant pour déterminer la race.

Le sénateur Moore: Non?

M. Bridge: Non.

Le sénateur Moore: Cette spécialiste avait avancé le chiffre de 1 pour 31 milliards. Y a-t-il des chiffres de ce genre pour les autres races?

M. Bridge: Oui.

Le sénateur Moore: Oui?

M. Bridge: Sans connaître le profil particulier. Permettez-moi pour commencer d'être plus explicite. J'ai dit: «Ce test n'est pas satisfaisant pour déterminer la race» et non pas «Ce n'est pas satisfaisant». Il est possible que d'autres systèmes permettent de mieux faire la distinction entre les races, mais ceux utilisés aux fins d'identification, comme je l'ai dit tout à l'heure, ont tendance généralement à être variables pour toutes les races si bien qu'il y a toujours des différences mineures.

Cela ne veut pas dire pour autant qu'il serait impossible d'imaginer un test totalement différent et qui donnerait des résultats beaucoup plus satisfaisants pour déterminer si cet échantillon est celui d'un Caucasien ou d'un Oriental, par exemple.

Le sénateur Moore: Est-ce qu'un tel test pourrait également déterminer l'ethnicité?

M. Bridge: Des tests pourraient être conçus pour répondre à des caractéristiques particulières de certaines populations. Ils pourraient augmenter la probabilité qu'un échantillon vient d'une race particulière ou d'un groupe ethnique particulier, et cetera, cependant, il ne s'agit pas du genre de tests utilisés pour les analyses d'identification.

Le sénateur Moore: Si j'ai bien compris, quand vous faites un profil d'identification, l'idée est d'utiliser des marqueurs qui ne sont pas codés afin d'obtenir des renseignements autres que ceux nécessaires pour une simple identification. C'est une sorte de codage stérile qui ne donne pas de renseignements individuels. N'est-ce pas?

M. Bridge: Il y a deux termes différents pour le codage. Les gènes codeurs fabriquent une protéine pour un but précis. Je parlais tout à l'heure de la différence entre utiliser des gènes de fonctions connues -- des gènes codeurs -- et des morceaux d'ADN qui n'ont pas de fonctions connues -- ce que nous appelons l'ADN anonyme.

Le sénateur Moore: Ce sont ces derniers qui nous intéressent?

M. Bridge: Le profil d'identification contient un mélange des deux.

Le sénateur Moore: Quand vous faites une analyse vous obtenez plus de renseignements que vous en avez besoin? Je veux dire aux fins de comparaison pour faire le tri entre les divers suspects?

M. Bridge: Quand vous faites le profil, il est évident que vous essayez de rendre le test le plus précis possible. Généralement, on peut obtenir des chances satisfaisantes d'appariement sur la base de trois, quatre ou cinq marqueurs mais plutôt que de s'en tenir au strict minimum on peut monter jusqu'à 10.

Le sénateur Moore: Est-ce que le résultat de ces tests vous donne plus de renseignements que vous n'en avez besoin pour faire la comparaison?

M. Bridge: Je ne suis pas certain de comprendre votre question. Cela permet simplement d'augmenter l'exactitude de l'appariement ou de limiter les possibilités d'erreurs. Quand il y a une chance sur 30 milliards de retrouver ce même profil dans la population caucasienne, il est évident que c'est préférable à un test qui réduit cette chance à une sur 30 millions ou une sur 30 000.

Ce test ne donne pas des renseignements inutiles puisqu'une fois que vous avez été au-delà d'une certaine limite, tout ce que vous pouvez obtenir ce sont des suppléments d'information gratuits.

Le sénateur Moore: Je vais essayer de me faire mieux comprendre.

Vous avez parlé tout à l'heure de l'exemple d'un résultat de test montrant qu'une personne pour des raisons génétiques risque d'être frappée par la maladie d'Alzheimer. Est-ce que ce genre de renseignements peut être donné par n'importe quel test ou faut-il un test précis pour l'obtenir?

M. Bridge: Il faut un test précis. Le problème c'est qu'au départ ce test servait simplement à déterminer la présence de lipides dans le sang indiquant d'éventuels problèmes cardio-vasculaires. C'était une analyse cardio-vasculaire visant à évaluer le risque de problèmes cardiaques.

Le sénateur Moore: Et cette analyse a fait ressortir cette éventualité supplémentaire.

M. Bridge: Oui, cette autre caractéristique a été découverte plus tard. Le problème c'est qu'ils savent maintenant quel est leur code particulier -- ou tout au moins leur médecin, ou cela figure dans le dossier. C'est un prédicteur. Chaque test ne le donne pas.

Le sénateur Moore: Je croyais que quand une analyse était faite, toute une série de renseignements étaient donnés, mais que nous n'utilisions que certains morceaux particuliers de ces renseignements pour les applications d'analyse d'identification. Je me demandais ce qui arrivait à tous ces renseignements supplémentaires et qui en avait la garde. Vous dites que ça ne se passe pas comme ça.

M. Bridge: Non, tout le profil est utilisé. Il n'y a rien en plus.

Le sénateur Moore: Il n'y a pas de renseignements inutilisés sur lesquels quelqu'un pourrait mettre la main de manière inappropriée?

M. Bridge: Non, tous les renseignements figurent dans le profil.

Le sénateur Grafstein: J'aimerais revenir à un sujet que j'ai abordé pendant le premier tour et le tester sur nos témoins.

Nos deux témoins nous ont fait voir que les problèmes ne concernent pas seulement le sort futur réservé à l'échantillon, mais également l'interdiction d'utilisation des données elles-mêmes.

Nous avons également appris que pour l'essentiel c'était au commissaire de la Gendarmerie royale que revenait la décision d'accès ou de refus d'accès à la banque de données. Le commissaire à la protection de la vie privée serait l'organisme superviseur. Il est curieux que dans le projet de loi il soit fait référence à la Loi sur la protection de la vie privée quand des accords internationaux sont en jeu, mais qu'il n'y fasse pas référence pour ce qui est de son utilisation au niveau national.

Pourriez-vous me dire comment nous pouvons répondre à la nécessité pour l'État d'utiliser cette technologie moderne d'ADN tout en nous garantissant qu'un groupe indépendant veillera à ce que l'utilisation de ces échantillons ne serve pas à autre chose qu'à l'identification, intention avouée de cette mesure législative?

Avez-vous réfléchi à la manière dont un groupe consultatif indépendant pourrait être structuré, au mandat qui pourrait être le sien et à la façon d'en nommer les membres? M. Bridge a mentionné cette idée dans son témoignage.

Si vous ne pouvez pas le faire maintenant et si vous préférez y réfléchir pendant quelques jours, nous apprécierions que l'un ou l'autre des témoins nous fasse part de son opinion à ce sujet. Nous sommes préoccupés comme vous de la possibilité qu'on abuse de la banque des données, qu'on aille au-delà de l'utilisation restreinte qui en est permise. Cette question semble préoccuper tout le monde. Il faut reconnaître que les rédacteurs du projet de loi ont tenté de restreindre l'utilisation possible de la banque de données en se servant d'un modèle particulier. Cela préoccupe particulièrement la GRC et nous également.

Nous aimerions connaître vos idées sur la structure que pourrait prendre un tel groupe consultatif, afin qu'il soit vraiment indépendant et que son mandat lui permette de prévenir, si vous voulez, toute utilisation abusive des données génétiques.

[Français]

Mme Parizeau: Ma réflexion n'est pas allée aussi loin. Je ne peux pas donner des éléments pratiques. Cela me paraît une voie de solution tout à fait intéressante. Au niveau des mécanismes, je suis incapable de répondre précisément à votre question. Je crois que l'objectif est tout à fait nécessaire.

[Traduction]

M. Bridge: J'ai examiné cette question, mais pas en profondeur. Mes réflexions se sont limitées principalement à l'élément scientifique d'un groupe comme celui que j'ai mentionné tout à l'heure. Il faudrait certainement un spécialiste de la génétique des populations, ou plusieurs spécialistes qui comprennent les profils d'identification génétique et les mathématiques nécessaires pour les utiliser.

Je recommanderais un généticien médical pour les raisons que j'ai déjà mentionnées, parce qu'une telle personne pourrait prévenir le commissaire qu'une fonction additionnelle pourrait être attribuée à l'un de ces chiffres.

Je recommanderais également qu'il y ait des avocats et des éthiciens pour servir de chiens de garde -- des gens qui ne sont certainement pas du côté de la police.

Le sénateur Grafstein: Je vous remercie de nous avoir apporté ce témoignage. Je vais remercier les deux témoins de leurs exposés si intéressants qui nous ont donné matière à réflexion. Ils m'ont certainement aidé à préciser certaines questions.

La présidente: Merci beaucoup d'avoir comparu aujourd'hui. Nous avons eu une séance intéressante et instructive.

La séance est levée.


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