Délibérations du comité sénatorial permanent
des
Affaires juridiques et constitutionnelles
Fascicule 47 - Témoignages pour la séance du matin
OTTAWA, le lundi 7 décembre 1998
Le comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel a été renvoyé le projet de loi C-3, Loi concernant l'identification par les empreintes génétiques et modifiant le Code criminel et d'autres lois en conséquence, se réunit aujourd'hui à 10 h 38 pour étudier ledit projet de loi.
Le sénateur Lorna Milne (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente: Je vous souhaite la bienvenue à tous, ainsi qu'à notre public téléspectateur, à la pièce 257 de l'édifice de l'Est. Notre comité en est à sa septième séance sur le projet de loi C-3, Loi concernant l'identification par les empreintes génétiques et modifiant le Code criminel et d'autres lois en conséquence. Ce projet de loi prévoit l'établissement d'une banque nationale de données génétiques qui sera tenue par le commissaire de la Gendarmerie royale du Canada et destinée à aider les organismes chargés du contrôle d'application de la loi à résoudre des crimes.
La Chambre des communes a adopté le projet de loi le 29 septembre 1998 et celui-ci a été lu pour la première fois au Sénat le lendemain. Le projet de loi a été lu pour la deuxième fois le 22 octobre 1998, ce qui signifie que le Sénat lui a donné son accord de principe. Le projet de loi C-3 a ensuite été renvoyé à notre comité pour examen détaillé.
L'étude du projet de loi a débuté le 25 novembre 1998, avec la comparution de M. Jacques Saada, secrétaire parlementaire du solliciteur général, le ministre responsable du projet de loi C-3. Le comité a ensuite entendu deux témoins du Laboratoire judiciaire central de la GRC, puis deux témoins de l'Association canadienne des policiers et de l'Association canadienne des chefs de police. La semaine dernière, le comité a entendu des représentants du Centre canadien de ressources pour les victimes de crimes, du Barreau du Québec, du ministère de la Justice et du Collège canadien des généticiens médicaux, ainsi que la professeure Marie-Hélène Parizeau, de l'Université Laval.
Nous reprenons ce matin l'étude du projet de loi C-3. Nous entendrons Bruce Phillips, Commissaire à la protection de la vie privée du Canada, et ensuite Phillip Murray, commissaire de la GRC. Cet après-midi, le comité entendra le solliciteur général du Canada, l'honorable Lawrence MacAulay, qui est le parrain du projet de loi.
Demain, nous passerons à l'étude article par article du projet de loi et c'est à ce moment-là que le comité décidera s'il adopte le projet de loi dans sa forme actuelle, s'il y recommande des amendements ou s'il en recommande le rejet. Le comité fera ensuite rapport de sa décision au Sénat.
Avant d'inviter M. Phillips à prendre la parole, je voudrais, pour le bénéfice de nos téléspectateurs, présenter les gens qui sont assis à mes côtés. À ma gauche, il y a Mme Heather Lang, greffière du comité, et à ma droite, Mme Marilyn Pilon, recherchiste qui nous est déléguée par la Bibliothèque du Parlement.
Le sénateur Joyal: Madame la présidente, je voudrais faire savoir au public que, depuis notre dernière réunion, nous avons reçu la décision de la Cour supérieure du Massachusetts et le texte de la loi de l'État du Massachusetts. Je voudrais que notre public sache que nous avons ces documents entre les mains et que nous les étudierons en vue d'une discussion plus approfondie ici, devant le comité.
La présidente: C'est exact. Notre comité avait demandé ces documents lors d'une séance précédente.
Monsieur Phillips, vous avez maintenant la parole.
M. Bruce Phillips, commissaire à la protection de la vie privée: Peut-être, madame la présidente, pourrais-je à mon tour présenter quelques collaborateurs qui m'accompagnent à la séance de ce matin. Tout d'abord, il y a Eugene Oscapella, consultant spécial auprès de mon bureau. Comme quelques membres de votre comité, il est très versé en droit. De plus, il est très familier des questions liées à la protection de la vie privée et a à son crédit quelques écrits que l'on pourrait prudemment qualifier d'ouvrages pionniers sur des sujets tels la biométrie appliquée à la protection de la vie privée -- notamment le dépistage des drogues. M'accompagne également Melanie Miller, membre éminente du personnel du commissariat, spécialisée en recherche sur le sujet.
Puisque mon mémoire vous a été distribué, je n'ai pas l'intention de vous le lire en entier. Grâce à la chaîne CPAC, j'ai pu suivre les séances précédentes du comité sur le sujet. Je sais que votre comité est très bien informé du sujet central du projet de loi et en connaît bien les détails. Il est clair que vous savez parfaitement bien de quoi il retourne.
Ayant déjà comparu devant votre comité, je sais que les membres comprennent très bien les aspects sociétaux de la protection des renseignements personnels, aussi je vous épargnerai mon laïus habituel sur le sujet. Il m'est apparu clairement au cours de mes témoignages précédents que vous savez que la protection de la vie privée, particulièrement à l'ère de l'information, est un droit humain et civil très important, même si ce droit subit de fortes pressions dans bien des domaines, en grande partie en raison des progrès rapides de la technologie. Beaucoup de groupes différents, y compris les gouvernements et les institutions de toutes sortes, s'efforcent maintenant de profiter des avantages que la technologie moderne peut apporter à notre société tout en assurant aux particuliers, ainsi qu'à la société dans son ensemble, un niveau raisonnable de protection de la vie privée.
Lorsque l'on parle de protection de la vie privée, l'idée d'un affrontement entre les droits individuels et le bien collectif s'impose presque inévitablement à l'esprit. Je crois que c'est là une perception faussée de la situation, car la protection de la vie privée touche d'innombrables facettes de notre vie de tous les jours. Pratiquement tout ce que nous faisons renvoie à un degré ou à un autre à notre vie privée. La notion de protection de la vie privée pourrait, à vrai dire, se résumer à la mesure dans laquelle les citoyens tiennent à continuer de se respecter mutuellement. Il y a là une question sociétale fondamentale majeure qui va bien au-delà du simple respect de la conception que chaque personne se fait de ce qu'elle peut -- ou aimerait -- éviter de divulguer publiquement.
Comme le juge La Forest l'a déjà dit, la protection de la vie privée est au coeur de la liberté dans un État moderne. Par conséquent, c'est à notre péril que nous rognons sur ce droit ou que nous le restreignons. Il s'ensuit logiquement que la moindre réduction du niveau de protection de la vie privée dont nous jouissons actuellement doit être justifiée au moyen d'arguments puissants, voire infaillibles.
Nous avons comparu à plusieurs reprises devant les deux chambres du Parlement pour aborder la question des éléments de preuve fondés sur les profils génétiques dans le contexte de l'exécution de la loi. Ceux d'entre vous qui ont eu l'occasion de prendre connaissance de nos témoignages antérieurs savent que le Commissariat à la protection de la vie privé est conscient de la grande valeur de ces éléments de preuve lorsqu'il s'agit d'exécuter la loi ou de faire enquête sur des actes criminels. Nous ne sommes pas opposés à l'utilisation de ces empreintes génétiques. En fait, en tant que citoyens, nous ne pouvons que nous réjouir de la possibilité d'utiliser les empreintes génétiques pour identifier des criminels. Plus les outils d'enquête des corps policiers sont précis, mieux c'est. À terme, l'identification par les empreintes génétiques devrait être aussi utile pour établir l'innocence de certaines personnes que pour démontrer la culpabilité de certains individus. Il existe déjà quelques cas bien connus de personnes qui ont pu prouver leur innocence grâce à des analyses génétiques. Nous ne sommes donc pas ici pour contester l'utilisation des empreintes génétiques.
Cependant, nous avons des observations à formuler concernant quelques détails du projet de loi. Nous croyons que les empreintes génétiques constituent un outil extrêmement utile lors d'enquêtes criminelles. La proposition contenue dans le projet de loi va cependant trop loin, car la banque qui sera créée ne contiendra pas seulement les analyses des échantillons de substances corporelles, mais contiendra les échantillons eux-mêmes.
Nous avons écouté les autres témoins et nous croyons qu'ils n'ont pas présenté l'ombre d'un argument pouvant justifier l'entreposage des échantillons. Cette banque d'échantillons nous préoccupe en raison d'un phénomène bien connu à notre ère de l'information et que nous, à l'instar d'autres acteurs de notre domaine, appelons les «utilisations secondaires», c'est-à-dire que si des renseignements existent quelque part, il y aura certainement quelqu'un pour les obtenir et les utiliser à des fins non prévues à l'origine. Nous avons vu de nombreux exemples de ce phénomène dans la fonction publique, donc certains nous ont amenés devant les tribunaux. Pour paraphraser une maxime populaire dans le monde du base-ball: si vous construisez, ils viendront. Si vous avez les échantillons, quelqu'un pensera immanquablement à les utiliser à des fins qui étaient complètement étrangères aux objectifs de départ. Si nous avons ces échantillons, quelqu'un viendra les chercher.
Il est vrai que le projet de loi prévoit certaines restrictions sur l'utilisation qui peut être faite des échantillons, mais nous ne pensons pas qu'elles constituent un obstacle. Les gouvernements changent constamment, des règlements peuvent être adoptés, les bureaucrates ont beaucoup d'imagination et je crains que, tant que ces échantillons seront disponibles, tôt ou tard, quelqu'un réussira à vaincre toutes les défenses pour les utiliser à d'autres fins que les fins initiales. Ces «autres fins» pourraient être des recherches sur le type de comportement criminel associé à certains gènes et n'ayant absolument rien à voir avec l'établissement de la culpabilité ou de l'innocence de quelqu'un dans une affaire criminelle.
Donc, en l'absence d'arguments convaincants en faveur de l'entreposage des échantillons, je demande que le projet de loi soit amendé pour que seules les analyses des empreintes génétiques faites à partir des échantillons soient conservées.
Je suis également préoccupé -- ce qui se rattache à ce que je viens de dire -- par le texte relâché ou imprécis des dispositions qui restreignent les usages qui peuvent être faits des échantillons. On dit dans le projet de loi que les échantillons ne serviront qu'à faire des «forensic DNA analysis» («analyses génétiques» en français). J'ai recherché en vain dans le projet de loi une définition précise de cette expression. Je crois que le projet de loi serait amélioré si les restrictions étaient formulées en termes beaucoup plus précis afin qu'il soit bien clair que ces analyses ne peuvent être faites que pour identifier des suspects dans le cadre d'enquêtes criminelles.
J'aimerais avoir apporté avec moi une proposition précise d'amendement à vous soumettre. Je ne l'ai pas fait, mais j'ai vérifié dans le dictionnaire anglais ce que le mot «forensic» pouvait vouloir dire dans le contexte du projet de loi. Même le dictionnaire Oxford ne m'a pas été très utile, parce que la définition de «forensic» est si large qu'elle peut inclure pratiquement tout ce qu'un policier ou un chercheur quelconque pourrait décider de faire. Je cite:
forensic [...] 1 of or used in connection with courts of law, esp. in relation to crime detection (forensic evidence). 2 of or employing forensic science.
forensic medicine [...] the application of medical knowledge to legal problems.
Si c'est ce que signifie «forensic analysis», cela peut nous amener bien loin de l'identification de suspects d'actes criminels et, à mon avis, c'est là une sérieuse faiblesse du projet de loi.
Une ou deux autres questions se posent ici. Si le comité et le Parlement estiment que l'argument en faveur de la conservation des échantillons est convaincant -- et j'espère qu'il ne l'est pas --, il pourrait alors être utile d'envisager de modifier le système pour ne conserver que les échantillons se rattachant aux crimes les plus graves.
Tel qu'il est actuellement rédigé, le projet de loi permettra l'entreposage des échantillons de substances corporelles prélevés autant dans les affaires d'infractions primaires que secondaires, ce qui risque de créer d'intéressantes situations. Prenons l'exemple d'une personne condamnée pour voies de fait après avoir simplement poussé un agent de police. Cette personne pourrait être tenue de donner un échantillon de substance corporelle qui serait conservé pendant un an. Après ce délai, selon le projet de loi, l'échantillon serait détruit à moins que la personne ait commis une autre infraction. Cette autre infraction n'est définie nulle part dans le projet de loi et, d'après ce que j'ai pu déterminer, il pourrait tout simplement s'agir de traverser une rue hors des passages réservés. Le projet de loi ne me paraît pas assez précis compte tenu du caractère très intrusif de l'outil d'enquête policière dont il est question. Je vous invite à réfléchir à cela.
M. Eugene Oscapella, conseiller juridique, Oscapella & Associates Consulting Ltd.: Les empreintes génétiques constituent un outil très utile dans les enquêtes criminelles, mais je ne pense pas que nous voulions exagérer la contribution de ce genre d'instrument d'enquête à la réduction de la criminalité dans notre société. Hier, j'examinais les statistiques sur la criminalité au Royaume-Uni. Dans ce pays, la base de données est en opération depuis 1995. Les crimes avec violence contre les personnes ont augmenté et en 1996, et en 1997, tout comme les agressions sexuelles, c'est-à-dire deux types de crimes contre lesquels on pourrait croire les analyses génétiques très efficaces.
On ne saurait raisonnablement utiliser ces statistiques pour démontrer que les analyses génétiques ne servent à rien, car elles ont indéniablement leur utilité. Cependant, elles ne constituent pas la seule arme de notre arsenal de lutte contre la criminalité. Il nous faut encore étudier des mesures préventives ou autres. Nous ne saurions nous contenter de nous doter de bons instruments pour capturer les criminels après le fait.
Je ne nie pas que de nombreux facteurs expliquent cette recrudescence de l'activité criminelle en Grande-Bretagne. D'ailleurs, il se peut que les analyses génétiques aient empêché que la criminalité augmente davantage qu'elle ne l'a fait. Toutefois, je ne pense pas que nous puissions voir les analyses génétiques comme étant la seule solution contre la criminalité.
En écoutant d'autres témoins qui ont comparu devant votre comité, on a l'impression que, pour eux, les analyses génétiques représentent un tel pas en avant qu'elles sont une panacée. Je ne voudrais pas être injuste envers ces témoins, mais je pense qu'il convient de remettre les choses dans leur juste perspective. La lutte contre la criminalité ne saurait se limiter à cette technique très intrusive, mais parfois nécessaire.
M. Phillips: J'ai remarqué que, l'autre jour, vous avez entendu des témoins de divers organismes policiers et qu'ils ont plaidé en faveur de ce que j'estime être un élargissement inacceptable du pouvoir de prélever des échantillons de substances corporelles. Ils voulaient que ces prélèvements soient effectués dès que des accusations étaient portées. D'après les questions que les membres du comité ont posées, j'ai cru percevoir beaucoup de réticence devant cette approche et j'espère avoir bien interprété les sentiments du comité.
Ce genre d'outil d'enquête policière, soit le prélèvement de substances corporelles, est le plus intrusif que l'on puisse imaginer. Je crois que, à cet égard, le gouvernement et le Parlement ont agi avec une grande prudence, ce qui est tout à leur honneur, et veulent progresser par petites étapes, en s'appuyant sur l'expérience. Jusqu'à maintenant, je ne crois pas que qui que ce soit ait démontré de façon très probante que toute personne arrêtée doit être forcée de donner des échantillons de substances corporelles et je ne pense pas que le comité devrait envisager de s'orienter dans cette direction. Attendons de voir comment les choses se passent avant d'aller plus loin.
Il y a quelques années, lorsque le premier projet de loi sur les empreintes génétiques a été présenté au Parlement, j'ai été très heureux de constater l'approche prudente du gouvernement, qui restreignait le pouvoir de prélever des échantillons de substances corporelles à une liste précise d'infractions. On pouvait se demander si cette liste était trop longue, mais, en gros, je crois qu'un équilibre raisonnable avait été atteint. On a vu presque le même scénario dans quelques autres pays, comme la Nouvelle-Zélande, qui ont un système constitutionnel et parlementaire semblable au nôtre.
Il est dans l'intérêt des forces policières d'obtenir autant de pouvoirs que possible et de détenir des pouvoirs aussi vastes que possible. Cependant, il nous incombe à tous de veiller à ce que les forces policières occupent leur juste place au sein de notre société et n'en viennent pas à exercer des pouvoirs dont ils n'ont pas besoin.
Le sénateur Kinsella: Lorsque l'on parle d'invasion de la vie privée et de la limitation de nos droits, la question de responsabilisation, ou d'imputabilité, doit être adaptée aux circonstances.
En tant que commissaire à la protection de la vie privée, vous êtes un agent du Parlement. Par conséquent, le Parlement peut, par l'intermédiaire d'un agent comme vous, jouer un rôle très direct à l'égard de l'imputabilité dans un domaine qui relève de la responsabilité des deux Chambres du Parlement. Est-ce que la vie privée serait mieux protégée, comme beaucoup d'entre nous le souhaitent, si on ajoutait au projet de loi une disposition permettant au commissaire à la protection de la vie privée d'effectuer une vérification spéciale de la banque de données génétiques? Les fonctionnaires qui géreront cette banque en vertu de la loi ne font pas directement rapport au Parlement. Auriez-vous quelque chose à dire à ce sujet?
M. Phillips: La GRC, qui sera responsable de la gestion de la banque, fait partie des organismes visés par la Loi sur la protection des renseignements personnels. Cela nous donne le pouvoir d'y effectuer des vérifications aux termes de l'article 37 de cette même loi.
Cependant, mon personnel est très restreint. Nous sommes déjà submergés par notre charge de travail. Étant donné la nature délicate du sujet et de son importance, qui ira indubitablement en augmentant dans les fonctions d'exécution de la loi, votre suggestion n'est pas inintéressante. Cela démontrerait l'intérêt particulier du Parlement pour la question. Dès le départ, les gestionnaires de la banque sauraient qu'ils doivent nécessairement conserver une piste de vérification acceptable. Il me serait également possible de m'adresser aux gestionnaires des budgets en faisant valoir ma responsabilité spéciale dans ce domaine, ce qui me mettrait en position d'aller chercher l'expertise nécessaire pour effectuer les vérifications voulues.
C'est là une bonne suggestion et, si le Parlement nous présentait une demande en ce sens, nous accepterions avec beaucoup d'enthousiasme.
Le sénateur Kinsella: De là, j'arrive au paragraphe 10(2) du projet de loi, à la page 6. En dépit de vos mises en garde sur l'entreposage des substances corporelles prélevées, ce paragraphe prévoit que des analyses génétiques des échantillons entreposés pourraient être effectuées lorsque des progrès techniques importants les justifient.
Dans la terminologie législative, on appelle cela un projet de loi de type Henri VIII. Nous avons un squelette, mais nous ne savons pas ce qu'il en adviendra. C'est futuriste, et c'est fondé sur l'opinion du commissaire et non sur une réglementation qui serait sujette à examen par le Parlement. Il n'y a absolument aucun contrôle.
Est-ce un exemple de disposition dont le commissaire à la protection de la vie privée pourrait au moins vérifier les décisions lorsqu'un nouveau type d'analyse est exécuté, parce que «important» est un autre mot qui peut vouloir dire bien des choses? Qu'en pensez-vous?
M. Phillips: Cette disposition est la principale justification à la création d'une banque contenant les échantillons de substances corporelles. Le seul argument de poids qu'on nous ait jamais donné pour justifier la conservation des échantillons, c'est que la technique d'analyse peut changer, ou qu'elle est déjà en voie de changement. En conséquence, l'analyse génétique des empreintes digitales effectuée avec les techniques actuelles pourrait être désuète ou inutilisable en raison des changements technologiques. Il y a beaucoup de si et de peut-être dans cette argumentation, et je ne crois pas que la législation devrait être appliquée sur la base de si et de peut-être.
Pour ce qui est du contrôle de l'opinion du commissaire, c'est justifié. Je crois que le pouvoir d'effectuer une vérification doit, pour être acceptable, préciser la longueur de corde qu'il faut laisser au commissaire dans les évaluations qu'il fait de la manière dont les choses ont été faites. Je ne veux pas me trouver en train d'essayer de deviner ce que penserait le commissaire chaque fois que je prendrai une décision en appliquant quotidiennement la loi. Je ne crois pas que, avec des pouvoirs de vérification convenables, j'aurais besoin d'accorder une attention spéciale à des aspects particuliers du fonctionnement de la banque de données génétiques.
Le sénateur Kinsella: Quand on pense aux écrits scientifiques qui sont à la fine pointe des progrès dans ce domaine, quelles sont les nouvelles technologies possibles qui révéleraient et peut-être créeraient toute une nouvelle facette de la criminologie? Je pense aux analyses psychosomatiques associées aux analyses génétiques, qui risquent de devenir une violation de la vie privée. Dans quelques années, croyez-vous que ce type d'analyse pourrait comporter un aspect d'évaluation psychologique?
M. Phillips: Dans quelques années, je ne le sais pas. On peut regarder ce qui s'est déjà produit. On a déjà un exemple frappant du genre de problème que peut créer ce genre de confiance excessive dans la méthode scientifique. Je ne sais pas combien d'entre vous sont au courant de l'affaire du syndrome XYY en Europe. Je crois que cela s'est passé en Hollande.
M. Oscapella: En Écosse.
M. Phillips: En Écosse. Quoi qu'il en soit, des généticiens ont jugé que l'établissement d'un facteur XYY, dans une analyse génétique, indiquait une prédisposition au comportement criminel. Cela avait fait couler beaucoup d'encre à l'époque, et on avait cru qu'il s'agissait là d'un extraordinaire progrès scientifique. Cela allait permettre de dire qui pourrait ou ne pourrait pas devenir criminel.
Je ne sais pas si des décisions judiciaires ou des applications de la loi ont déjà été basées sur cette conclusion, mais cela a certainement suscité beaucoup d'intérêt à l'époque. Des recherches ultérieures en génétique ont prouvé que cette théorie était pure foutaise. On peut transposer cette histoire et imaginer ce qui peut arriver si l'on tire des conclusions sur les comportements possibles à partir d'une analyse génétique.
M. Oscapella a fait beaucoup plus de recherches que moi dans ce domaine. Je ne suis que l'un de ses nombreux fidèles lecteurs. Je crois cependant que je suis fidèle à sa pensée si je dis qu'il faut prendre en compte un grand nombre de facteurs, dans le domaine des sciences du comportement, si l'on veut évaluer la possibilité de faire des prédictions à partir de d'analyses génétiques, et qu'il faut être très prudent à cet égard.
C'est un peu différent quand on parle de maladies physiques. Il est maintenant établi qu'une analyse génétique peut déterminer, avec une certitude presque totale, si une personne sera victime de certaines maladies, par exemple la drépanocytose. Toutefois, pour ce qui est de prédire le comportement, il faut rester extrêmement prudent.
M. Oscapella: Plus récemment, aux Pays-Bas, on croyait avoir trouvé une famille d'hommes ayant cette prédisposition à de brusques accès de violence. On a donc cru avoir localisé un lien génétique avec ce comportement. Des recherches ultérieures ont remis en cause les premiers travaux, et les scientifiques qui les avaient faits n'ont jamais prétendu que c'était une étude définitive révélant un trait génétique responsable de ce type de comportement.
Si l'on s'appuie sur des caractéristiques comportementales, on risque que de nouvelles découvertes soient considérées comme des faits alors que ce ne sont encore que des balbutiements scientifiques. Ce n'est évidemment pas l'intention du projet de loi, bien sûr, mais c'est ce qui nous inquiète dans le fait de conserver les échantillons. Cela risque de mener à des recherches générant des théories non prouvées. Il y aura des pressions politiques pour qu'on se fie à ces théories, et la collectivité sautera sur certaines de ces théories comme si elles avaient été prouvées. Nous devons être très prudents à cet égard.
Le sénateur Joyal: Monsieur Phillips, je vous remercie de vos observations, qui nous sont très utiles. Si vous aviez suivi nos délibérations sur la chaîne parlementaire, vous comprendriez à quel point nous tenions à faire en sorte que cette mesure législative assure la protection des droits et libertés des Canadiens.
La préoccupation première au sujet de ce projet de loi a trait à l'article 8 de la Charte, qui garantit le droit des Canadiens d'être protégés contre les fouilles, perquisitions et saisies abusives. Ce projet de loi obligerait quiconque est trouvé coupable de certaines infractions à fournir un échantillon.
L'objet de ce projet de loi est énoncé à l'article 3. Il vise l'établissement d'une banque nationale de données génétiques destinée à aider les organismes chargés du contrôle d'application de la loi à identifier les auteurs présumés d'infractions. Ce projet de loi est d'intérêt très général. Nous devons faire la part des choses entre les droits des individus et les droits de la société canadienne d'être protégée des criminels.
Pouvez-vous citer des affaires jugées par la Cour suprême du Canada qui nous aideraient à conclure que ce projet de loi est constitutionnel en vertu de la Charte? L'article 1 de la Charte dit qu'il y a des limites raisonnables aux droits et libertés dans une société libre et démocratique.
Ce projet de loi a des conséquences majeures sur l'intégrité personnelle des individus. Ces conséquences sont-elles raisonnables dans le contexte de l'application de la loi? C'est la première question à laquelle il faut répondre. Tout le reste dépend de la réponse.
M. Oscapella a probablement examiné cette question à fond pour vous. J'aimerais avoir votre opinion là-dessus, parce que c'est le critère qu'il faut appliquer à l'objet fondamental du projet de loi, du point de vue légal. Nous devons déterminer si la banque de données, c'est-à-dire un entrepôt permanent d'échantillons de substances génétiques conservées en prévision de découvertes scientifiques futures dans le domaine médico-légal, n'outrepasse pas les limites d'une société libre et démocratique.
M. Phillips: Je ne peux pas répondre à cette question telle qu'elle est posée. La question de savoir qu'est-ce qui est raisonnable dans une société libre et démocratique est, en fin de compte, une décision qui doit être prise ailleurs. Je ne peux pas essayer d'anticiper sur le jugement de la Cour suprême du Canada. Je dois examiner la question sous un angle différent.
Il y a un certain nombre de décisions de la Cour suprême qui traitent des questions de fouilles, perquisitions et saisies, en général. Certaines d'entre elles ont peut-être déjà été fournies au comité. Je peux vous donner une liste de celles que nous croyons pertinentes.
Personnellement, je pars du principe que l'ensemble de la société a, et avec raison je crois, accepté que les autorités responsables de l'application de la loi aient le pouvoir de faire certaines fouilles. Certains de ces éléments réduiraient l'ensemble des droits considérés comme normalement accordés aux citoyens.
Je crois qu'on a déjà répondu à cette question. Pour le comité, pour moi et pour tout le monde, la question qui se pose et qui restera toujours sujette à discussion, c'est de savoir dans quelle mesure il serait justifié de réduire ou de modifier les droits dans le contexte de l'application de la loi. Je suis d'accord avec vous pour dire que c'est la tâche de ce comité.
À mon avis, comme je l'ai déjà dit, c'est raisonnable d'utiliser les empreintes génétiques comme moyen de faire appliquer la loi. Je crois que ce serait dans l'intérêt public. La question n'est pas de savoir si l'utilisation des empreintes génétiques est un exercice policier qui se justifie, mais plutôt de savoir dans quelles conditions on aurait le droit de les utiliser. L'argument est moins une question de principe qu'une question de préciser à quel point à la protection des renseignements personnels qui serait permis dans le cas des personnes soupçonnées d'activités criminelles.
D'après moi, le projet de loi est trop vague à cet égard. Il ne définit pas suffisamment ce qu'est une analyse génétique à des fins médico-légales. Il n'y a rien dans ce projet de loi qui limite précisément l'utilisation de cette information à des fins d'identification. Cela permet d'utiliser l'information à d'autres fins.
Si le Parlement a déjà accepté, d'une façon générale, l'utilisation des empreintes génétique comme moyen de faire appliquer la loi -- ce qui est le cas -- et si cela est généralement accepté par la population -- ce qui est le cas --, il faut s'assurer que la mesure qui régit cette utilisation est précise et exacte et qu'elle ne laisse pas trop de marge de manoeuvre. Avec tout le respect que je dois aux policiers, je sais qu'ils sont toujours désireux d'élargir leurs possibilités dans la conduite d'une enquête. Il est de notre devoir de nous assurer qu'ils sont limités à ce qui est absolument nécessaire pour arriver à leurs fins.
Il n'est pas nécessaire de garder des échantillons de substances humaines pour identifier les suspects. Aucun argument ne m'a persuadé qu'il fallait conserver ces échantillons.
Le sénateur Joyal: J'aimerais savoir ce qu'en pense M. Oscapella. Selon moi, et comme vous l'avez dit avec raison, on ne conteste pas le fait que les agents de la paix doivent avoir accès aux échantillons de substances humaines. Si la police, après l'arrestation et la mise en accusation d'une personne, trouve des empreintes génétiques sur la scène du crime et veut les comparer à un échantillon obtenu du suspect, elle peut s'adresser à un tribunal et demander l'autorisation d'obtenir des échantillons de l'accusé. Ce n'est pas de cela que nous discutons. Comme vous l'avez dit, cette question s'est réglée au Parlement. Je voulais le préciser, parce que des gens nous écoutent. Je veux qu'ils comprennent clairement ce que nous faisons.
Une fois qu'une personne a été accusée, elle est automatiquement tenue de fournir un échantillon de substance humaine, même si elle n'est encore soupçonnée d'aucun autre crime. Pourtant, nous faisons plus que simplement établir un lien entre certaines circonstances et cette personne. C'est là que nous devons trancher. L'équilibre est-il maintenu entre le droit de la société d'être protégée et celui de chacun d'être à l'abri des fouilles, perquisitions et saisies abusives, comme l'établit l'article 8 de la Charte?
Nous disons aux gens qui ont été reconnus coupables pour les deux types d'infractions: «À partir de maintenant, vous devrez fournir des échantillons de substances humaines.»
M. Phillips: Merci d'avoir fait cet éclaircissement. La première fois, je n'avais pas bien compris votre question.
Je dois dire que je ne suis pas très à l'aise sur cet aspect du projet de loi. Ce projet de loi prévoit un facteur de culpabilité lié à une infraction d'un autre genre, si l'on peut dire, et cela dérangerait les gens. L'argument qu'on avance pour défendre cette mesure, c'est bien sûr que ce n'est pas différent de l'utilisation qu'on fait actuellement des empreintes digitales.
Là-dessus, je répondrais que, si l'utilisation des empreintes digitales était proposée au Parlement pour la première fois aujourd'hui, il examinerait beaucoup plus sévèrement les pouvoirs qui ont été conférés pour l'utilisation de ces empreintes à titre de preuves qu'il ne l'a fait il y a 70 ou 80 ans. Il n'y a rien d'admirable à répéter de vieilles erreurs faites dans un autre contexte.
Par ailleurs, il me semble que vous avez soulevé un aspect important. Je n'essaierai certainement pas de présenter une argumentation fondée sur la jurisprudence.
M. Oscapella pourrait avoir quelque chose à ajouter à ce sujet. En tant que personne dont la fonction dans la vie est de prendre la défense d'un droit civil particulièrement important, je dirais que je partage votre malaise. C'est tout ce que je peux dire.
M. Oscapella: Pour l'analyse des questions constitutionnelles, je vous réfère au ministère de la Justice. M. Zigayer et M. Cohen du ministère étaient ici la semaine dernière. Ils sont plus compétents que moi sur les questions constitutionnelles.
Nous avons examiné la question du point de vue de la protection des renseignements personnels et sans faire aucun parallèle avec ce que la Cour suprême en a dit. C'est moins une analyse de l'idéologie juridique actuelle sur une certaine question qu'un avis sur la manière dont notre société devrait fonctionner d'après nous. C'est la perspective que nous avons adoptée. Ce n'est pas une perspective strictement juridique. Nous nous fondons davantage sur une position idéologique. Autrement dit, nous nous sommes demandé comment nous décider des questions propres aux êtres humains dans la société, comment assurer un degré d'autonomie maximum sans nuire aux autres valeurs d'une société démocratique.
C'est dans cette perspective que nous avons examiné les choses. Je sais que le ministère a examiné la question de l'application rétroactive de la loi pour les personnes reconnues coupables et emprisonnées, après l'entrée en vigueur de la loi. Les responsables du ministère ont expliqué aux sénateurs que l'apparente absurdité de ces positions est, en fait, fondée sur des principes constitutionnels solides. Nous ne remettons pas cela en question. Ce que nous avons dit, c'est que, si la loi doit être appliquée rétroactivement, cela devient vraiment une question constitutionnelle.
Cela étant dit, l'expansion de beaucoup de pouvoirs de l'État -- et ce n'est qu'un exemple d'expansion des pouvoirs de l'État, chose courante de nos jours dans notre société -- suscite une préoccupation, c'est qu'il n'y a pas de droit à la protection des renseignements personnels reconnu en vertu de la Constitution et établi explicitement dans la Charte. On a réussi à faire valoir un droit en vertu des articles 7 et 8 de la Charte, mais il n'existe aucun droit à la protection des renseignements personnels reconnu explicitement en vertu de la Constitution. C'est un point que M. Phillips a fait valoir à plusieurs reprises. S'il existait un tel droit, cela nous procurerait peut-être un certain réconfort face aux intrusions que préconisent certains sous prétexte que l'État doit réglementer les activités des citoyens.
Le sénateur Grafstein: J'aimerais examiner la mesure législative proposée en tant que paradigme en relation avec votre mandat. Quand j'examine la mesure proposée, telle qu'elle a été adoptée à l'autre endroit, je constate que la Loi sur la protection des renseignements personnels est citée uniquement au paragraphe 6(5). On n'y fait aucune mention de la protection des renseignements personnels, sauf dans un sens large, mis à part ce qui concerne les contrats ou les ententes qui pourraient être conclus avec des puissances ou des États étrangers.
Je veux parler d'abord des aspects intérieurs pour passer ensuite aux question internationales. Dans votre mémoire de l'an dernier, vous avez parlé du problème que pose l'application de la Loi sur la protection des renseignements personnels au Canada, parce que c'est une loi fédérale et qu'elle n'est pas du ressort des provinces. C'est vrai que les provinces ont maintenant des lois sur la protection des renseignements personnels. Dans certains cas, leurs normes sont même un soupçon plus sévères. Toutefois, dans bien des cas, elles le sont beaucoup moins.
Maintenant, êtes-vous inquiet des conséquences du projet de loi en ce qui concerne votre mandat, quand il s'agit d'assurer aux Canadiens que les normes de protection des renseignements personnels seront appliquées de façon constante dans ce domaine, tant au fédéral que dans les provinces? Le droit criminel est de compétence fédérale. L'administration de la justice est de compétence provinciale.
Y a-t-il des lacunes dans ce projet de loi, en ce qui concerne l'usage que pourraient en faire des représentants provinciaux ou municipaux, sans les garanties fédérales?
Que se passe-t-il en cas de conflit entre la Loi sur la protection des renseignements personnels et la mesure proposée? Laquelle aurait préséance? Ce n'est pas clair pour moi laquelle serait prioritaire en cas de conflit direct -- je suis en train d'essayer de résumer votre point de vue -- entre les normes de protection des renseignements personnels très strictes et bien conçues de votre loi et le droit criminel. Le droit criminel a-t-il préséance? Je n'ai pas la réponse à cette question.
Vu la teneur du projet de loi, comment pouvons-nous être sûrs que l'alinéa 8.(2)f) de la Loi sur la protection des renseignements personnels est suffisant pour qu'on puisse conserver un échantillon qui, aux termes d'un accord international, pourra être communiqué à un État américain habilité à rendre justice en vertu de ses lois? Comme nous ne disposons pas de beaucoup de temps, peut-être pourriez-vous nous donner une réponse succincte.
M. Phillips: Je vous félicite pour perspicacité. En fait, j'avais l'intention d'aborder une ou deux de ces questions, mais je ne l'ai pas fait pour aller plus vite.
En ce qui concerne la primauté des lois, la Loi sur la protection des renseignements personnels est assujettie aux autres lois du Parlement. Elle n'est pas prépondérante, il est donc possible que ce projet de loi renferme des dispositions qui l'emportent sur la Loi sur la protection des renseignements personnels.
Je ne crains pas, en ce qui concerne ce projet de loi, que ce soit un problème. Les pratiques en matière d'information dont il est question ici seront régies par la Loi sur la protection des renseignements personnels. Toutefois, comme le suggère le sénateur Kinsella, un pouvoir de vérification plus fort et mieux défini serait utile. Il est arrivé que certaines lois aient primauté sur d'excellentes pratiques en matière de protection des renseignements personnels. Cela ne fait aucun doute, nous sommes d'ailleurs en conflit avec un autre ministère qui a invoqué l'autorité du ministre pour gérer son ministère comme justification suffisante pour passer outre au droit à la protection des renseignements personnels. Nous n'acceptons pas cette position. L'affaire est maintenant devant les tribunaux, qui devront trancher.
En ce qui concerne le droit criminel, je ne pense pas que la question fédérale-provinciale soit un gros problème car les autorités provinciales sont assujetties au Code criminel même si elles l'administrent. Jusqu'à maintenant, nous n'avons guère eu de difficultés à cet égard.
Par contre, en ce qui concerne les échanges de renseignements faits en vertu d'ententes entre le gouvernement canadien et des autorités non seulement provinciales mais également internationales, oui, il y a là un grave problème. Cette loi, ainsi que de nombreuses autres, autorise les échanges de renseignements. Dans un grand nombre de cas, notre bureau n'a aucun droit ou rôle dans leur constitution afin de s'assurer que le destinataire de ces renseignements protégera le caractère confidentiel de ces derniers.
Le sénateur Grafstein: Vous n'avez pas le pouvoir de vérifier?
M. Phillips: Oui, nous avons le pouvoir de vérifier. Toutefois, je serai franc. Notre bureau compte 38 personnes dont 20 enquêtent sur les plaintes; quelques autres dont M. Oscapella et Mme Miller s'occupent d'autres choses. Nous n'avons pas le personnel nécessaire pour vérifier en détail les centaines et centaines d'accords d'échange de renseignements qui existent à l'heure actuelle et auxquels s'ajoutent continuellement de nouvelles ententes.
Nous essayons de maîtriser la situation et je suis parvenu, d'une manière assez générale, à obtenir un certain degré de coopération des ministères. Par exemple, dans le cadre de la rationalisation de certains organismes gouvernementaux et du transfert de leurs fonctions au secteur privé, nous avons persuadé le gouvernement de mettre en place une politique selon laquelle ces nouvelles entités du secteur privé doivent assurer la même protection des renseignements personnels que celle dont jouissaient les employés en vertu de la loi. Je puis cependant vous dire, sans avoir à lire ces centaines d'accords, qu'il n'y en a pas beaucoup qui renferment des dispositions précises sur la protection des renseignements personnels.
Vous avez absolument raison de dire que, au moins dans le contexte international, le problème est encore plus prononcé. C'est-à-dire que, une fois que les renseignements ont quitté le pays, le Canada n'a plus aucun contrôle sur ce qui leur arrivent, à moins que ce ne soit précisé dans l'accord d'échange.
Nous pourrions probablement obtenir certaines améliorations. En effet, la GRC échange constamment des renseignements avec Interpol, le FBI et autres autorités policières dans le monde.
Dans le cas de l'ADN, si elles veulent obtenir un échantillon pour le comparer à d'autres, il n'est pas nécessaire qu'il soit accompagné d'un nom. L'accord d'échange pourrait être rédigé en ce sens. Il faudrait toutefois que ce soit précisé dans le projet de loi. Autrement, elles rédigeront un accord d'échange de renseignements qui leur convient et qui risque fort de ne pas contenir ce genre de protection.
Sénateur, vous avez mis le doigt sur un problème grave.
Le sénateur Grafstein: Vous avez peut-être eu vent d'un témoignage très intéressant venant d'un généticien qui nous a donné un aperçu du débat qui a lieu dans le monde scientifique sur les limites de l'utilisation de l'ADN à cette fin.
Je pense qu'il serait juste de résumer son témoignage en disant que le monde scientifique est divisé sur la question de savoir jusqu'où on devrait aller avec l'utilisation de l'ADN. Je pense que nous convenons tous qu'il ne fait aucun doute que l'ADN devrait être utilisé dans le cadre du processus judiciaire. Tout le monde est d'accord là-dessus. Le problème, certes fort délicat, est de savoir où s'arrêter, quelles limites imposer et quel genre de mécanismes de protection mettre en place.
Il a suggéré qu'il serait bon de mettre en place un conseil scientifique consultatif chargé de la question. Il ferait office, en somme, de contrepoids et forcerait les gens à se préoccuper des limites à ne pas dépasser et des fins auxquelles l'échantillon serait utilisé. Pensez-vous que ce soit une bonne idée?
M. Phillips: Oui, c'est une excellente idée. Je crois que le commissaire de la GRC a l'intention de mettre sur pied un genre de groupe consultatif.
Le sénateur Grafstein: Ce n'est pas dans le projet de loi.
M. Phillips: C'est exact, mais ça devrait y être. Ce serait une amélioration si une disposition en ce sens était ajoutée au projet de loi, précisant en outre dans une certaine mesure la composition d'un tel comité. Je pense que c'est une excellente idée. La question de l'éthique dans ce dossier est très épineuse. À mon avis, toute nouvelle utilisation des empreintes génétiques devrait faire l'objet d'un débat très approfondi car nous nous engageons de plus en plus loin sur un territoire inconnu en matière de relations humaines.
M. Oscapella a sans doute un mot à dire là-dessus. Je sais que c'est un sujet qui le préoccupe lui aussi.
M. Oscapella: Certainement, c'est une question qui soulève de nombreux problèmes. Je crois que, la semaine dernière, certains témoins on dit qu'ils n'utiliseraient que l'ADN dit non codant -- c'est-à-dire dont on ne peut déduire aucune caractéristique identifiée. Il ne sert strictement qu'à l'identification. Il serait certainement utile qu'une telle chose soit précisée dans le projet de loi ou qu'un comité scientifique consultatif puisse recommander d'aller dans ce sens. Car, même si les scientifiques aiment fonctionner à l'intérieur de paramètres très précis, il n'y a aucune garantie qu'ils ne seront pas l'objet de pressions ou qu'on essaye de ne pas tenir compte de leur avis. Par conséquent, j'appuie moi aussi l'idée d'un comité scientifique consultatif.
M. Phillips: Pour ce qui est des relations entre la GRC et mon bureau, le sénateur Kinsella a suggéré de mentionner le pouvoir de vérification. Je me demande si ça ne vaudrait pas la peine d'envisager d'inclure dans le projet de loi des dispositions qui donnerait au Bureau du commissaire à la protection de la vie privée au moins un rôle consultatif à l'égard de ces questions. Je ne suggère pas que mon bureau devrait avoir prépondérance sur le commissaire de la GRC en ce qui concerne les questions de ce genre. Je pense toutefois qu'il serait utile que le commissaire soit obligé de consulter mon bureau au sujet, entre autres, des échanges de renseignements. Ainsi, nous serions au moins en mesure, au moment où les accords sont rédigés, de faire des suggestions sur la protection des renseignements personnels qui ne viendraient pas à l'esprit de personnes dont la fonction principale n'a rien à voir avec la protection des renseignements personnels.
Le sénateur Moore: Est-ce que cela ferait partie des fonctions de l'organisme consultatif dont il est question, ou est-ce que ça se ferait indépendamment de ce dernier?
M. Phillips: L'organisme consultatif est une idée à laquelle réfléchit le commissaire de la GRC. J'ignore le genre de mandat qui lui serait confié. La GRC procède régulièrement à l'échange de renseignements avec d'autres organismes policiers et ça ne changera pas quoi que dise un conseil consultatif.
Je ne pense pas que ce soit une manière efficace de résoudre le problème, car un conseil consultatif serait composé de personnes représentant une grande variété de professions, d'intérêts et de régions et il ne se réunirait que de temps en temps.
Les accords d'échange d'information doivent généralement être élaborés très rapidement et tout conseil à leur sujet doit être donné tout aussi rapidement. Ce n'est pas sans précédent. Par exemple, en vertu de la politique actuelle du Conseil du Trésor, les ministères doivent nous consulter au sujet du couplage des données. Dans un ou deux cas -- la divulgation de renseignements dans l'intérêt du public, par exemple --les ministères qui s'apprêtent à divulguer de tels renseignements doivent nous en informer. Nous avons une grande expérience à cet égard.
Nous pourrions étudier l'échange qui est proposé et, si nous y trouvions des manques relatifs à la protection des renseignements personnels ou que nous pensions que l'accord pourrait être amélioré, nous pourrions faire des suggestions en ce sens. Nous serions en mesure de le faire. Si cette exigence était imposée au commissaire, une protection supplémentaire serait ainsi ajoutée.
Le sénateur Bryden: Monsieur Phillips, je trouve très agréable de vous écouter donner vos opinions en personne. Depuis des années, j'écoute ce que vous avez à dire par l'intermédiaire des informations nationales. J'ai le plaisir de constater que, en dépit des années qui ont passé, vous avez toujours la même vigueur.
Si je parle de vos opinions, c'est que le sénateur Grafstein vous a demandé laquelle des deux lois, la Loi sur la protection des renseignements personnels et le projet de loi, l'emporterait en cas de conflit? Je pense que vous avez clairement dit que la Loi sur la protection des renseignements personnels était assujettie aux autres lois du Parlement.
En votre qualité de commissaire à la protection de la vie privée, vous avez le pouvoir d'enquêter. La charge de commissaire à la protection de la vie privée a, comme bien d'autres, été créée par la loi. Il n'existe pas dans la common law de tradition à cet égard. Les pouvoirs dont vous disposez vous sont accordés en vertu de la loi qui a donné naissance à votre bureau. Vous détenez le pouvoir d'examen aux termes de l'article 37, qui porte sur la protection des renseignements personnels.
J'aimerais maintenant lire l'article 7 de la Loi sur la protection des renseignements personnels, qui dit:
À défaut du consentement de l'individu concerné, les renseignements personnels relevant d'une institution fédérale ne peuvent servir à celle-ci:
a) qu'aux fins auxquelles ils ont été recueillis ou préparés par l'institution de même que pour les usages qui sont compatibles avec ces fins;
b) qu'aux fins auxquelles ils peuvent lui être communiqués en vertu du paragraphe 8(2).
Sans citer les articles du projet de loi C-3, il est évident que ce dernier contient des dispositions conçues pour aller au-delà de l'objet du projet de loi. Est-ce exact?
M. Phillips: C'est précisément le problème. C'est d'ailleurs pourquoi nous réclamons que l'objet du projet de loi soit mieux décrit. L'expression «analyse génétique» est beaucoup trop vague et sujette à trop d'interprétations. Je suis d'accord avec vous.
Le sénateur Bryden: Vous avez sans doute vu ou lu au moins certains des témoignages que nous avons entendus. Il a été dit -- et vous avec fait référence à certains de ces propos -- que, dans l'intérêt de l'ordre public, un échantillon de substances corporelles devrait être conservé de telle façon qu'on n'ait pas besoin d'en prélever un autre, quand la technologie nous permettra d'aller plus loin. C'est l'une des propositions qui nous ont été faites.
Il est important de conserver les échantillons de substances corporelles, sans doute par raison d'efficacité et d'efficience et pour assurer l'utilité continue de la banque de données. C'est ce que j'ai cru comprendre. La loi interdit l'utilisation de ces substances à des fins autres que celles prévues par la loi et prévoit des sanctions contre quiconque, y compris le commissaire, se rendrait coupable d'une telle infraction. Est-ce exact?
M. Phillips: Oui.
Le sénateur Bryden: Je ne veux pas être méchant ou difficile, mais je me rends compte que vous et votre personnel envisagez les questions et les préoccupations relatives à la protection des renseignements personnels du point de vue du droit des individus à la protection de leur vie privée contre la politique et les initiatives du gouvernement. Cela se comprend puisque c'est votre mandat aux termes de la loi actuelle.
Vous avez affirmé plusieurs choses. Tout d'abord vous avez approuvé le recours à l'ADN dans le cadre d'enquêtes criminelles. Vous l'avez dit sans ambages. Vous avez répété vos préoccupations et votre point de vue concernant la conservation des échantillons de substances corporelles ainsi que la nécessité de ne pas simplifier les profiles. Ces observations sont justes et ce sont des préoccupations que je partage en partie.
Vous avez également dit que vous appuyiez une approche progressive fondée sur l'expérience en ce qui concerne les décisions prises par le gouvernement dans ce dossier. Je suppose que cela signifie que l'on remonte à 1994, quand on a commencé à utiliser l'ADN pour identifier les criminels. Une autre étape consiste à verser ces données dans la banque. Je pense refléter fidèlement vos propos.
M. Phillips: Oui, c'est ce que je voulais dire.
Le sénateur Bryden: Vous avez ajouté qu'il faudrait roder le système avant d'aller plus loin.
On nous dit qu'il faudra 18 mois pour passer de la proclamation du projet de loi, sous sa forme actuelle qui a demandé près de quatre ans d'élaboration et de consultations, et la mise en oeuvre du système prévu par ce dernier. Par ailleurs, le projet de loi stipule que cinq ans après son entrée en vigueur, il fera l'objet d'un examen complet. Par conséquent, il serait raisonnable de dire que les effets de cette mesure législative sur les Canadiens ne seront mesurés que pour la période de trois ans pendant laquelle le système prévu dans le projet de loi aura été en place.
Je sais qu'il ne faut jamais poser une question si on ne connaît pas la réponse. J'ai appris ça il y a très longtemps. Selon vous, il faut procéder par étapes et je crois comprendre que vous préféreriez que les substances corporelles ne soient ajoutées au système qu'à la fin de la période de cinq ans. Ceci dit, quels seraient les risques pour la vie privée des citoyens pendant ces trois années avant que le projet de loi tout entier soit réexaminé?
M. Phillips: Je pense que vous connaissez au moins une partie de ma réponse car vous l'avez déjà exprimée. C'est une question de différence d'approches. Je suis d'avis de voir comment se passent les choses avec les pouvoirs prévus et, si ça ne marche pas, d'étudier la question à nouveau plutôt que d'accorder tous les pouvoirs maintenant et voir comment ça se passe.
Je pense que cette approche est plus prudente.
Le sénateur Bryden: Heureusement, madame la présidente, j'ai obtenu la réponse que je cherchais. Nous avons en effet une approche différente.
M. Phillips: Oui. Je ne pense cependant pas que cette différence soit sans importance.
Le sénateur Bryden: Ce n'est pas ce que j'ai dit.
M. Phillips: Je le sais, sénateur. J'essaye seulement de défendre ma position. Les abus éventuels auxquels le projet de loi risque de donner lieu ne se produiront peut-être pas pendant une si courte période, quoique ce soit bien possible. Il se pourrait très bien que la période de 18 mois ne suffise pas pour que nous puissions acquérir l'expérience nécessaire afin de déterminer si ce pouvoir doit être accordé. Il se peut également que cinq ans ne suffisent pas non plus.
Voici comment je vois les choses. Vous voulez avoir le pouvoir d'utiliser les empreintes génétiques. C'est une amélioration sensée. Très bien. Voyons comment se passent les choses sous ce régime avant de demander de conserver les substances corporelles.
M. Oscapella vous parlera de l'usage compatible, car nous ne sommes pas satisfaits des mesures de protection que le projet de loi prévoit à cet égard.
Le sénateur Bryden: Vous n'êtes pas satisfait des mesures de protection concernant l'usage compatible. La loi vous confère-t-elle un pouvoir qui vous permettrait d'enquêter pour tirer au clair cette question?
Vous agissez à titre de commissaire à la protection de la vie privée, fonction instituée en vertu de la loi qui vous confère tous vos pouvoirs. Vous êtes ici à titre de spécialiste parce que vous êtes associé à la protection de la vie privée. Nous abordons tous deux des domaines nouveaux.
M. Phillips: Je ne vois rien dans le projet de loi -- et je m'en remets au comité au cas où quelque chose m'aurait échappé -- qui limite expressément l'utilisation des profils d'identification génétique individuels aux fins de l'application de la loi. J'aimerais voir des dispositions à cet égard dans le projet de loi. C'est là, je crois, sa principale lacune. Nous aurions peut-être moins de réserves à propos de la conservation des échantillons de substances corporelles si pareille restriction était expressément incluse dans le projet de loi. Cela garantirait que l'article 7 de la Loi sur la protection des renseignements personnels est respecté.
Le sénateur Bryden: Un comité sénatorial étudie actuellement le renseignement de sécurité, et j'espère qu'il déposera bientôt son rapport à ce sujet. Au sein de ce comité, nous nous penchons constamment sur les fonctions de surveillance et d'examen. Les organismes qui ont des pouvoirs intrusifs doivent être prêts à accepter ce genre de surveillance dans une société transparente et démocratique comme la nôtre.
Certains membres du comité ont des réserves par rapport au très nombreuses fonctions de vérification qui visent les activités gouvernementales. Le vérificateur général exerce une surveillance. Le commissaire à la protection de la vie privée a son travail à faire. Certains comités particuliers, comme le CSARS, surveillent les services fédéraux responsables du renseignement. Il y a ensuite le système de justice auquel tous ont accès s'ils estiment que leurs droits ont été enfreints.
Ma question concerne l'idée d'ajouter à ces fonctions votre rôle de vérification ou de vous conférer des pouvoirs de vérification supplémentaires. Pensez-vous que nos organismes sont parfois tellement préoccupés par le fait de devoir se préparer à la prochaine vérification qu'ils n'ont pas le temps de faire leur travail?
M. Phillips: Je ne peux évidemment pas parler au nom des organismes. Je peux dire qu'aucun ministère n'a jamais soulevé pareille objection à l'égard de mon service. Cela ne m'étonne pas, puisque nous faisons très peu de vérifications.
Dans d'autres secteurs, j'ai entendu certains dire que le gouvernement fait exagérément l'objet de vérifications. Je peux seulement vous parler, de manière générale, de la façon dont je conçois ce travail. Cela peut peut-être être utile.
Dans l'exercice de mes fonctions, je ne suis pas habilité à prendre des décrets. Je ne suis qu'un ombudsman. Je dis cela avec fierté et enthousiasme, parce que je pense que le travail d'ombudsman dans ce secteur est plus utile que la capacité de rédiger des décrets. Il m'a permis de traiter avec les ministères dans un climat non antagoniste.
Mon service s'emploie essentiellement à faire de l'éducation et à résoudre les problèmes au lieu de critiquer. Nous utilisons le processus d'enquête sur les plaintes -- la première et la plus importante fonction que la loi nous impose -- comme une sorte de fenêtre sur les pratiques gouvernementales de gestion de l'information.
Lorsque nous enquêtons sur les plaintes, nous découvrons de nombreux problèmes systémiques. Nous en informons les ministères et nous leur disons que nous avons découvert un problème qui peut, à notre avis, être réglé. Cela n'a rien à voir avec le fait de débarquer dans un ministère en s'appuyant sur le pouvoir conféré par l'article 37 de la loi et d'exiger que tous interrompent leurs activités pendant que nous examinons leurs ordinateurs.
La fonction de vérification est pour nous un important pouvoir de réserve, mais nous ne nous en prévalons pas souvent. Je dois dire, en toute sincérité, que c'est en partie à cause de considérations liées aux ressources. C'est aussi parce que je suis convaincu que nous avons déjà une bonne idée de la façon dont le gouvernement mène ses activités. Certains ministères font beaucoup mieux que d'autres. Lorsque nous constatons un véritable problème, ce que je considère être un manquement ou une indifférence délibéré par rapport à la loi et aux obligations qu'elle impose aux services gouvernementaux, nous nous prévalons alors de la fonction de vérification.
Je l'ai fait dans le passé, et je le ferai de nouveau dans l'avenir. En général, c'est toutefois plus facile si les ministères sont persuadés que notre véritable objectif, c'est de faire en sorte que le système fonctionne mieux. Je ne veux pas paraître présomptueux, mais je pense que nous pouvons nous attribuer une certaine part de réussite. De nombreux sous-ministres m'ont remercié parce que nous avons découvert et réglé des problèmes qui, souvent, résultent essentiellement d'une méconnaissance de la loi de la part du personnel. Cela ne me surprend pas, sénateur. Les ministères sont assujettis à tellement de lois qu'il n'est pas étonnant que le personnel connaisse souvent mal toutes les obligations qui en découlent, à moins d'assister à des séminaires trois fois par semaine.
En général, l'éducation est, de loin, la chose la plus importante que nous puissions faire au chapitre de la protection des renseignements personnels. Je suis très heureux de constater qu'un autre projet de loi dont la Chambre des communes est actuellement saisie ajoutera expressément la fonction d'éducation aux responsabilités du commissaire à la protection de la vie privée. Nous n'avons jamais eu de mandat en ce sens. Nous l'avons toutefois demandé à maintes occasions. Dans les années passées, d'autres comités parlementaires ont aussi formulé des recommandations en ce sens.
J'attends effectivement avec impatience qu'on améliore ainsi notre mandat.
La présidente: Avant de céder la parole à le sénateur Andreychuk, je vous signale, monsieur Phillips, que vous avez dit à deux occasions que l'objet de la loi est de permettre la réalisation d'une analyse génétique. L'article 3 de la loi est toutefois libellé en ces termes:
La présente loi a pour objet l'établissement d'une banque nationale de données génétiques destinée à aider les organismes chargés du contrôle d'application de la loi à identifier les auteurs présumés d'infractions désignées, y compris de celles commises avant l'entrée en vigueur de la présente loi.
Il n'est nulle part question d'analyse génétique.
Le sénateur Nolin: Si je comprends bien la réserve du témoin, il n'y a aucun problème si on se limite à l'objet énoncé à l'article 3. Le problème vient d'ailleurs -- de l'article 10, par exemple.
La présidente: C'est en effet le premier endroit dans le projet de loi où il est question d'analyse génétique.
Le sénateur Andreychuk: Monsieur Phillips, je pense que vous avez couvert sérieusement bon nombre des préoccupations que certains d'entre nous avions.
Les dispositions qui concernent les peines dans les lois pénales sont souvent utilisées comme moyens de prévention. L'examen que vous faites pourrait être une façon de veiller à ce que les gens respectent les dispositions législatives proposées, mais de l'autre côté, on peut toujours mettre en accusation et condamner quelqu'un qui utilise l'information à mauvais escient.
Vu l'importance des empreintes génétiques et de la nouvelle technologie, croyez-vous que les peines sont assez sévères pour constituer une mesure préventive ou pensez-vous qu'elles sont trop clémentes?
M. Phillips: Sénateur, que je les trouve assez sévères ou trop clémentes n'a pas d'importance. Le problème, c'est d'éviter d'avoir à invoquer cette disposition.
Je pense qu'on réduirait grandement le risque d'avoir à recourir à cette disposition si l'objet du projet de loi était beaucoup plus précis. Je ne suis pas chaud à l'idée de punir ceux qui portent atteinte à la vie privée. Les avocats diront peut-être qu'il faut prévoir de meilleurs recours civils dans les cas de divulgation injustifiée de renseignements personnels, mais il reste que, une fois que les renseignements personnels ont été utilisés à mauvais escient, il est vraiment difficile de réparer le préjudice causé. Lorsque des renseignements personnels sont divulgués, ils sont divulgués, et même si on inflige au coupable une peine pour les avoir divulgués et s'il doit verser une certaine forme de redressement financier, cela ne règle pas vraiment le problème.
Nous pensons qu'il est nettement préférable d'essayer d'éviter cette situation.
Le sénateur Andreychuk: Vous préférez la prévention aux mesures punitives?
M. Phillips: Oui.
Le sénateur Andreychuk: Vous avez parlé de la destruction des échantillons de substances corporelles. Pourriez-vous nous dire ce que vous pensez du fait que la banque de données et les profils d'identification génétique ne seront pas détruits et seront conservés indéfiniment? Ne craignez-vous pas que la banque de données et les profils puissent, eux aussi, être employés à mauvais escient ou être utilisés conformément à une définition de l'analyse génétique plus vaste que celle que vous souhaiteriez?
M. Phillips: Non, je ne crains pas cela. La technique d'analyse actuellement utilisée ne vise qu'à identifier la personne qui a fourni l'échantillon. Je n'ai pas de graves inquiétudes à ce sujet.
M. Oscapella: Ce qui nous préoccupe, c'est que la définition de l'analyse génétique n'est pas suffisamment précise. Elle devrait se limiter à l'identification d'un individu ou être libellée de manière à préciser cela. C'est, bien sûr, extrêmement important.
M. Phillips: Permettez-moi d'ajouter quelque chose. Je veux vous relater une situation qui s'est déjà produite. Il y a quelques années, une infraction sexuelle a été commise dans une ville du nord de l'Alberta, Vermilion, si ma mémoire est exacte. La police était d'avis que l'auteur de l'infraction se trouvait encore dans la localité. Des preuves liées aux empreintes génétiques avaient été prélevées sur les lieux du crime.
La police a invité tous les hommes adultes de la localité à fournir volontairement un échantillon de substances corporelles. En bons citoyens, ils ont acquiescé à la demande. En l'absence de dispositions législatives exigeant expressément la destruction des échantillons, il a fallu presque deux ans avant que ceux-ci ne soient détruits. La GRC les conservait; nous avons eu de nombreuses conversations avec ses représentants, mais il a fallu près de deux ans avant qu'elle détruise les échantillons. J'ai eu l'impression qu'elle était très réticente à le faire.
Ce genre de situation me persuade que nous devons être très prudents à cet égard. Pourquoi la GRC voulait-elle conserver ces échantillons? Parce que tous ces gens animés d'un sens civique risquaient d'être impliqués dans un crime? Dans une société comme la nôtre, où nous mène ce genre de raisonnement? Il y a quelques années, en Grande-Bretagne, j'ai été consterné d'entendre le chef de la police métropolitaine proposer, à un comité parlementaire britannique devant lequel il comparaissait, qu'on prélève obligatoirement, à la naissance, un échantillon de substances corporelles sur tout enfant mâle né en Grande-Bretagne. J'ai oublié la formulation exacte de sa proposition, mais elle était terriblement choquante. Le chef de police a dit que cela coûterait extrêmement cher, mais que cela aiderait grandement les policiers. J'étais consterné. Le comité en question a d'ailleurs commencé à étudier sérieusement cette proposition, accréditant ainsi l'idée selon laquelle toute personne doit, dès sa naissance, être considérée comme un éventuel suspect criminel.
Je pense que lorsqu'on reconnaît, dans la loi, une valeur à cette idée, on s'approche dangereusement de la situation cauchemardesque imaginée par M. Orwell.
Nous devons nous montrer très prudents à cet égard. J'ai donné l'exemple de Vermilion pour expliquer la mentalité de certains policiers. Étant donné les pouvoirs énormes conférés aux policiers, le recours à ces dispositions ne doit pas être laissé au hasard. Il ne doit y avoir aucune ambiguïté. Si on laisse une certaine latitude, je pense que certains vont probablement s'en prévaloir.
Je comprends que les policiers jouent un rôle important et nécessaire dans notre société et je respecte un grand nombre d'entre eux. J'ai été chroniqueur judiciaire à un moment donné et ce fut très instructif. Dans une situation comme celle-là, il faut se montrer prudent et s'assurer que tout est écrit. Le projet de loi n'est pas assez précis en ce qui concerne l'analyse génétique.
La présidente: Je vous remercie infiniment, monsieur Phillips, d'avoir comparu devant notre comité.
Je voudrais poser une question à M. Oscapella. Au début, vous avez dit que les banques de données génétiques existent depuis 1995 en Grande-Bretagne et que les crimes violents y sont encore en hausse. Le pourcentage de crimes élucidés a-t-il augmenté?
M. Oscapella: Je ne sais pas. En fait, M. Gaudette, qui est à l'arrière de la pièce, a des données plus à jour. Le nombre global d'infractions dont l'auteur n'est pas identifiable est à la baisse. Depuis cette année-là, on a constaté une baisse importante des crimes contre les biens. Évidemment, de nombreux facteurs influent sur différents secteurs de l'activité criminelle pendant une période donnée, et il est difficile d'affirmer que l'instauration de ce système a entraîné une baisse ou une hausse de la criminalité.
Ce que je voulais dire, c'est qu'il ne s'agit pas nécessairement d'une panacée. Ce peut être un outil utile, mais des crimes continueront d'être commis. Ce n'est pas comme si tous les criminels violents ou les violeurs en puissance décidaient de se tenir tranquilles parce qu'on a le dessus sur eux.
Cela a probablement aidé dans certains cas et, comme M. Gaudette peut vous le dire, il y a eu un certain nombre de succès. La banque de données génétiques de la Grande-Bretagne a permis d'établir plus de 21 000 liens entre des individus et les données recueillies sur les lieux du crime.
Il y a de nombreux autres facteurs que nous devons prendre en considération si nous voulons réduire les crimes violents et préjudiciables dans notre société. C'est un outil pour y parvenir, mais ce n'est pas une panacée. C'est un outil utile, mais il ne constitue pas la solution ultime.
Une fois qu'on accorde un pouvoir, il est très difficile de le retirer. Étant donné que les pouvoirs conférés aux autorités publiques ont augmenté constamment au cours des dernières décennies, il faut se montrer prudent lorsqu'on octroie ces pouvoirs, notamment dans le climat social et politique actuel. Je pense qu'il ne faut pas agir trop précipitamment à ce chapitre.
La présidente: Je vous remercie infiniment. Ce fut un plaisir de vous accueillir tous deux comme témoins. Ce fut, pour nous, une matinée très instructive.
Sénateurs, nos prochains témoins sont des représentants de la GRC.
Allez-y, je vous en prie.
M. Phillip Murray, commissaire de la GRC: Honorables sénateurs, je suis heureux de témoigner devant vous aujourd'hui, afin de vous présenter une nouvelle perspective concernant le projet de loi C-3, qui propose l'établissement d'une base de données génétiques nationale dont le maintien serait assuré par la GRC.
[Français]
Vous avez pris connaissance du point de vue du commissaire à la protection de la vie privée. Vous avez également entendu les juristes, les scientifiques, les décisionnaires et autres responsables. Vous avez fait preuve de minutie dans l'examen de ce projet de loi ambitieux. Il vous incombe de déterminer qu'il satisfait aux objectifs visés et résiste au passage du temps. J'espère pouvoir soutenir dans cette voie. Aujourd'hui, j'aimerais partager avec vous ma perspective en tant que policier, chef de police et responsable des bases actuelles de données nationales en matière d'identité judiciaire.
Comme vous, je me suis penché sur les questions entourant l'établissement de bases de données génétiques et je partage la préoccupation du comité de voir l'atteinte d'un juste équilibre entre la protection de la vie privée et la sécurité personnelle. Comme vous, je souhaite que la base de données génétiques proposée soit exploitée dans le meilleur intérêt du grand public. Je suis persuadé que les dispositions législatives proposées nous permettront d'atteindre cet objectif.
[Traduction]
Je ne suis pas un scientifique. Ce que je connais de l'identification par l'ADN, c'est son utilité aux fins de l'application de la loi. Il y a un instrument d'identification si efficace dans sa capacité de différenciation des individus qu'il est pratiquement infaillible. Il s'agit du moyen d'identification personnelle le plus reconnu, le plus immuable et le plus sûr que l'homme connaisse. C'est une science complexe reposant sur une méthode d'analyse normalisée et dont l'histoire est fascinante. Elle a de multiples applications, dont l'identification des troubles médicaux et des prédispositions aux maladies. Toutefois, cette capacité de révéler ce genre de renseignements personnels peut faire l'objet d'abus; l'utilisation ou la divulgation non autorisée peut constituer une atteinte à la vie privée.
Quel est cet outil d'identification incroyable? C'est la dactyloscopie. Mis sur pied au Canada en 1911, le dépôt central des empreintes digitales est aujourd'hui tenu pour acquis. Le fait que des chercheurs médicaux ont établi un lien entre des empreintes digitales ou palmaires et différents troubles mentaux, dont de nombreuses anomalies chromosomiques comme la trisomie 21, n'a pas ralenti nos efforts en vue de tirer tout le parti possible de la dactyloscopie comme moyen d'identifier les criminels.
Avant que la dactyloscopie ne devienne un outil d'identification courant, la police avait recours à un système appelé bertillonnage, qui repose sur la mensuration des parties du corps. Imaginez un peu les discussions que nous aurions aujourd'hui, si nous envisagions une nouvelle banque de données d'identification judiciaire fondée sur la mensuration des parties du corps. Comment alors garantir que la police n'abuse pas de ce procédé et ne se mette pas à mesurer des parties du corps qui ne sont pas régies par les normes établies et reconnues?
Ce à quoi je veux en venir, c'est que les données que la police utilise dans son travail sont et ont toujours été des renseignements de nature délicate et personnelle, donc susceptibles d'être utilisées de façon abusive. Par conséquent, nous avons établi des politiques, des pratiques, des normes et des conventions visant à prévenir toute utilisation abusive des données policières. Ces dispositifs existent et se sont avérés efficaces depuis de nombreuses années. L'analyse génétique constitue le prolongement des moyens actuels mis en oeuvre pour identifier et appréhender les criminels. Il est entendu, toutefois, que les données contenues dans notre ADN sont autrement plus vastes que toutes celles qui sont utilisées dans les méthodes d'identification actuelles, et les risques d'abus sont particulièrement préoccupants. Entre les mains de personnes mal intentionnées, les données génétiques posent un danger énorme. Entre les mains de personnes averties, par contre, il s'agit d'un instrument utile pour prévenir les crimes et mener des enquêtes criminelles.
De fait, la protection et la confidentialité des échantillons et des données génétiques constituaient les priorités de la GRC lorsqu'elle a élaboré les plans de la banque de données génétiques projetée et de son exploitation. Avant d'aborder les mesures précises que nous avons prises pour assurer la confidentialité et prévenir les abus, j'aimerais vous entretenir brièvement de l'utilité de la banque de données génétiques pour le travail policier.
[Français]
La banque de données sur l'ADN permettra à la police de tirer le meilleur parti des mesures législatives sur les mandats relatifs aux analyses génétiques. À cet égard, le fichier des constatations criminelles revêtira une importance énorme en permettant de relier des crimes commis dans différents territoires de compétence et permettra d'appréhender les contrevenants sériels ou récidivistes. Les statistiques du Federal Bureau of Investigation montrent que les violeurs commettent en moyenne cinq agressions sexuelles avant d'être arrêtés. Le fichier des constatations criminelles, grâce aux liens précoces qu'il permettra d'établir entre les crimes, pourra réduire ce nombre d'infractions.
[Traduction]
La banque de données sur l'ADN aidera la police à identifier et à appréhender les récidivistes, grâce à la comparaison des données génétiques recueillies sur le lieu du crime aux données du fichier des condamnés. L'absence de correspondance entre ces données facilitera l'enquête, du fait qu'on pourra éliminer les suspects dont les données génétiques figurent dans la banque de données.
En réduisant le nombre de suspects, en établissant rapidement des liens entre les crimes et en facilitant l'identification des suspects, la banque de données devrait permettre de réduire la durée et le coût de nombreuses enquêtes. Les enquêtes sur les crimes sexuels graves, par exemple, peuvent coûter des millions. La banque de données génétiques permettra d'établir avec une plus grande certitude l'identité des suspects. En outre, elle pourrait réduire la durée des procès et accroître les probabilités de condamnation. Il y a tout lieu de croire qu'elle favorisera l'efficacité du système de justice pénal. De plus, le fait pour un criminel de savoir qu'un de ses échantillons d'ADN est versé dans la banque devrait le dissuader de récidiver.
Il s'agit d'une technologie captivante tant du point de vue de la prévention que de la répression criminelle. On s'accorde pour dire que l'introduction d'un dépôt central des empreintes criminelles a marqué un point tournant dans l'histoire de la police au Canada. Je crois que l'établissement d'une banque de données génétiques au pays sera également considéré comme le progrès le plus marquant dans l'identification judiciaire depuis la découverte de l'utilité des empreintes digitales.
[Français]
Par ailleurs, le comité a soulevé des préoccupations légitimes concernant les empreintes génétiques, l'intégrité des échantillons biologiques qui seront versés dans la banque et le risque d'une utilisation abusive des données génétiques de nature fort délicate. C'est de ces préoccupations dont je voudrais vous entretenir maintenant.
[Traduction]
En ce qui concerne l'utilisation abusive des données génétiques, j'insisterai sur le fait que personne à l'extérieur du personnel de la banque de données de la GRC ne recevra le profil génétique d'un condamné. En ce qui a trait aux demandes de consultation du fichier des constatations criminelles et du fichier des condamnés, les seuls renseignements communiqués au demandeur seront le lieu du crime dans le cas d'une recherche positive dans le premier fichier, et le nom d'un condamné dans le cas d'une recherche positive dans le second. Aucune donnée génétique ne sera transmise, que la demande provienne du Canada ou d'un autre pays.
Les échantillons biologiques seront conservés à l'écart des opérations relatives à la banque de données génétiques, dans un module protégé. Ces échantillons ne feront l'objet d'aucun accès à moins qu'un changement technologique important ne nécessite une mise à jour de la banque de données.
La GRC a consulté le Commissaire à la protection de la vie privée tout au long de l'élaboration du projet, et invite celui-ci à maintenir sa collaboration en élaborant les politiques voulues pour garantir la confidentialité et l'intégrité des échantillons et des données biologiques.
Outre un groupe de travail technique formé d'experts judiciaires, nous entendons établir un comité consultatif sur la banque de données génétiques constitué des différentes parties intéressées. Nous serions heureux de compter parmi ses membres un représentant du cabinet du commissaire à la protection de la vie privée.
Depuis longtemps, la GRC protège des renseignements de nature délicate tels que ceux contenus dans les dépôts centraux des empreintes digitales et des dossiers judiciaires, le Centre d'information de la police canadienne et le registre des armes à feu.
En 1996, le commissaire à la protection de la vie privée a examiné minutieusement les dépôts des empreintes digitales et des dossiers judiciaires de la GRC. Dans son rapport, il a confirmé que la GRC se conformait aux dispositions de la Loi sur la protection des renseignements personnels, ainsi que de la Loi sur les casiers judiciaires et de la Loi sur les jeunes contrevenants. À ma connaissance, il n'y a jamais eu divulgation illégale de renseignements par les services chargés d'administrer ces dépôts. Leur fonctionnement est conforme à la Loi sur la protection des renseignements personnels et aux directives ministérielles concernant la divulgation des renseignements. Le commissaire à la protection de la vie privée peut vérifier le fonctionnement de ces dépôts en tout temps et je suis persuadé que nos services satisferaient encore à ces normes.
[Français]
La protection des renseignements personnels au sein de la banque de données génétiques sera assujettie à l'observation stricte des mêmes politiques qui régissent le fonctionnement des autres dépôts de renseignements à la GRC. Les mêmes modalités visant le respect de la Loi sur la protection des renseignements personnels, la Loi sur les casiers judiciaires et la Loi sur les jeunes contrevenants s'appliqueront, ainsi que les mêmes mécanismes de vérification.
[Traduction]
Nos dépôts centraux forcent l'admiration de nombreux autres pays, et la GRC s'efforce de maintenir sa réputation dans l'administration de ses banques de données. Les consultations sur le projet de banque de données génétiques et sur les services nationaux de police en général confirment que nos partenaires policiers jugent que l'assujettissement de ces dépôts à la compétence de la GRC, sous l'autorité du commissaire, est approprié. Ce soutien découle de la saine administration des répertoires existants par la GRC qui les tient à jour au nom des Canadiens, de la police et des ministères.
Honorables sénateurs, je serai heureux de discuter plus en détail toute question que vous avez soulevée concernant la protection de la vie privée ou tout autre aspect du projet de banque de données génétiques. La GRC souhaite être aussi ouverte et transparente que possible en ce qui concerne l'application envisagée de la banque de données, son administration ainsi que les mesures actuelles et prévues pour garantir la protection de la vie privée des Canadiens. Je suis ouvert à vos questions.
Le sénateur Kinsella: À la page 5 de votre exposé, vous mentionnez le Centre d'information de la police canadienne. Est-ce bien ce que vous appelez le CIPC?
M. Murray: Oui.
Le sénateur Kinsella: Le CIPC fonctionne-t-il bien? Quels genres de problèmes vous a-t-il posés? Si ce centre doit servir de modèle, quelles leçons en avez-vous tirées qui pourraient s'appliquer à vos responsabilités à l'égard de la nouvelle banque? Avez-vous eu des problèmes avec le CIPC?
M. Murray: Ces tout derniers temps, le CIPC a connu des ennuis techniques, simplement à cause de l'âge du système et du volume de renseignements qu'il contient. J'imagine que votre question a trait davantage à la façon dont le système a été accueilli.
Le système du CIPC remonte au début des années 70. Le groupe consultatif créé à l'époque pour s'occuper de ce dossier est encore actif. Ce comité consultatif, formé d'intervenants, veille au maintien des politiques, des procédures et des contrôles établis dans le but de protéger les renseignements personnels.
Malgré son âge, le système jouit encore d'une réputation mondiale. De toute évidence, il a besoin d'être réinventé et repensé et nous avons un plan d'action à cet égard. Il nous suffit de trouver le financement nécessaire pour nous attaquer à cette tâche.
Nous avons un projet que nous appelons CIPC 2001, et nous espérons que le travail sera fait effectivement d'ici l'an 2001. Le système a connu un succès incroyable auprès des policiers qui patrouillent nos rues et qui sont en mesure d'obtenir immédiatement des données sur les dossiers criminels ainsi que sur les personnes recherchées, les véhicules volés, ainsi de suite.
Le sénateur Kinsella: En parcourant le budget de dépenses de la GRC pour cette année, j'ai remarqué qu'environ 5 millions de dollars avaient été réservés pour la banque de données génétiques. Pensez-vous que cela est suffisant pour vous permettre de tenir à jour la banque de données, comme le prévoit le projet de loi? Serez-vous en mesure d'acquérir à cette fin la technologie informatique la plus perfectionnée? Serez-vous prêt pour l'an 2000?
M. Murray: Le bogue de l'an 2000 pose, à lui seul, un problème important. Nous croyons que les mesures proposées nous permettront de régler le problème.
Nous avons analysé assez en profondeur ce qu'on attend de la banque de données au Canada, en nous fondant sur l'expérience vécue aux États-Unis, au Royaume-Uni et ailleurs dans le monde. Notre équipe est convaincue que nous aurons les moyens de satisfaire à nos besoins.
Le sénateur Kinsella: On estime désormais que l'enregistrement des armes à feu coûtera plus de 141 millions de dollars.
Croyez-vous que la somme de 5 millions de dollars, dont 3 millions pour les frais initiaux et 2 millions pour les dépenses d'exploitation, sera suffisante?
Aux termes de cette mesure législative, vous héritez de lourdes responsabilités. Vous devez être sûr d'avoir les moyens d'assumer ces responsabilités.
M. Murray: M. Gaudette pourrait peut-être vous donner une réponse plus précise. Toutefois, je le répète, nous avons analysé attentivement l'expérience vécue ailleurs dans le monde et nous croyons que ces sommes devraient suffire.
M. Barry Gaudette, scientifique en chef, Laboratoire judiciaire central, Gendarmerie royale du Canada: Selon nos plus récentes estimations, les frais initiaux pour la création de la banque de données s'élèveront à quelque 3,6 millions de dollars, tandis que les coûts d'exploitation devraient atteindre environ 5 millions de dollars par année.
Nous ne nous attendons pas à ce que la GRC couvre tous les frais associés à cette banque de données. Nous examinons d'autres possibilités notamment dans le cadre des négociations que nous menons actuellement avec les provinces.
M. Murray: Vous abordez maintenant la question de l'analyse des cas. Nos estimations couvrent l'exploitation de la banque de données elle-même. Les consultations fédérales-provinciales sur l'analyse des cas à l'échelle locale représentent une tout autre question.
Le sénateur Kinsella: Parlons de l'exploitation de la banque. La mise à jour de la banque de données s'ajoutera aux responsabilités que vous devez assumer en tant que commissaire et, si j'en juge d'après certains témoignages précédents, auxquels vous avez vous-même fait allusion, il me semble que l'indépendance du commissaire revêtira une importance cruciale.
Je voudrais vous poser quelques questions sur l'indépendance du commissaire de la GRC et particulièrement sur la possibilité de le protéger de toute influence que pourraient vouloir exercer les ministres. C'est une question très importante.
Le projet de loi C-44 pourrait-il miner l'indépendance du commissaire de la GRC, puisqu'il est prévu de le nommer à titre inamovible?
Le président: Nous sommes à discuter du projet de loi C-3. Je préférerais que nos questions portent sur ce projet de loi.
Le sénateur Kinsella: C'est peut-être ce que vous préférez, mais ce projet de loi touche à l'indépendance du commissaire de la GRC, car il lui confie de nouvelles responsabilités fort exigeantes.
Cela m'intéresse. Si je ne peux obtenir de réponse, j'essaierai d'aborder la question avec le ministre plus tard au cours de la journée, mais cela fait-il une grande différence, à votre avis?
M. Murray: Le projet de loi C-44 n'a rien à voir avec la GRC. Le commissaire de la GRC est nommé à titre amovible et l'a toujours été. Le projet de loi C-44 ne vise pas le commissaire de la GRC.
Je ne peux parler que de notre rendement et de notre expérience au niveau de la tenue à jour de toutes les banques de données nationales, que ce soit au CIPC, au Bureau national des empreintes digitales, au Collège canadien de police ou au Service canadien de renseignements criminels.
Nous avons toujours été indépendants du gouvernement. Dans ce cas-ci, la loi précise bien les responsabilités du commissaire. Il est également bien précisé que toute utilisation abusive entraîne des sanctions criminelles. À la lumière des garanties législatives offertes et de notre rendement antérieur, on peut conclure qu'il est raisonnable de confier l'application de cette mesure législative à la GRC.
Cela est conforme à la pratique en vigueur, selon laquelle les services nationaux de police sont gérés, au nom du gouvernement du Canada, par la GRC. Par le passé, tous les systèmes ont été appliqués de façon indépendante du gouvernement. On renouvelle ici la confiance qui existe depuis de nombreuses années.
Le sénateur Kinsella: À ce sujet, commissaire, si l'indépendance de la gestion de cette banque de données par les employés aux termes de la loi sur la GRC pose problème, outre les mesures prévues dans le projet de loi, les citoyens qui veulent se plaindre pourront-ils s'adresser à la Commission des plaintes du public?
M. Murray: Oui, ils le pourront. Si le comportement de n'importe quel membre de la GRC, y compris du commissaire, est remis en question par un citoyen, la plainte sera examinée par la Commission des plaintes du public.
De plus, les comités parlementaires peuvent se pencher sur les opérations permanentes de la GRC. Tout ce qui a trait à ces opérations et à toute autre responsabilité du commissaire peut certainement fait l'objet d'un tel examen.
Il ne faut pas omettre l'examen des tribunaux. C'est un aspect très important. En bout de ligne, les renseignements puisés dans cette banque de données font parties des causes criminelles portées devant les tribunaux. Par conséquent, lorsqu'ils surveillent le fonctionnement du système et déterminent s'il est juste et équitable, les tribunaux examinent également toutes les répercussions sur les droits consacrés dans la Charte.
Le sénateur Kinsella: Si jamais un ministre de la Couronne tentait d'influer sur le fonctionnement de la banque de données génétiques ou d'obtenir des renseignements de la banque, y a-t-il encore une section comme la section des enquêtes fédérales spéciales pour s'occuper de tels cas? Y a-t-il un autre service?
M. Murray: Nous n'avons pas de service comme tel qui s'occupe de ces cas. Les enquêtes de ce genre sont menées par les services des infractions criminelles de la GRC, qui ne forment plus une section distincte.
Je peux vous assurer qu'aucun ministre n'a accès à des renseignements sur les enquêtes criminelles en cours. Il ne saurait en être autrement pour les données génétiques. Il y va évidemment de notre intégrité. Nous fonctionnons de façon indépendante du gouvernement lorsque nous menons des enquêtes criminelles.
Il existe déjà tant de contrôles dans le système que l'accès est surveillé étroitement par le laboratoire et que les simples agents de police n'auraient pas directement accès à la banque de données. Ils auraient à respecter toute une série de procédures pour y avoir accès.
De plus, je le répète, un comité consultatif sera créé et chargé d'établir les contrôles appropriés afin de décourager les activités de ce genre, si jamais elles se produisaient.
Le sénateur Nolin: Merci beaucoup, commissaire Murray, de vous être déplacé ce matin.
L'article 11 du projet de loi vise les membres de votre personnel qui se rendraient coupables d'une infraction. Quels régimes avez-vous l'intention de créer ou avez-vous déjà créés pour veiller à ce que ces infractions ne soient jamais commises par des membres de votre personnel?
M. Murray: Au cours des 18 prochains mois environ, pendant la phase initiale, nous avons l'intention de mettre sur pied le comité consultatif, d'établir une série de procédures et des contrôles pour veiller à ce que l'accès à la banque de données soit conforme à l'esprit de la mesure législative.
Si quelqu'un porte plainte ou suggère simplement qu'il y a eu utilisation abusive, une enquête criminelle -- une enquête législative, sera amorcée aux termes du projet de loi, qui crée d'ailleurs une infraction criminelle.
Par ailleurs, la Loi sur la GRC renferme le code de déontologie qui régit la conduite des employés et prévoit des sanctions pour ceux qui enfreindraient le code. Nous avons également mentionné un peu plus tôt que le projet de loi prévoit la participation de la Commission des plaintes du public si la conduite d'un membre particulier de la GRC est contestée.
Nous avons bien des outils à notre disposition. Il y a tout d'abord la loi, deuxièmement, le code de déontologie et, troisièmement, la surveillance effectuée par la Commission des plaintes du public. La loi offre de bonnes garanties. Ensuite, il est évident qu'au cours de la prochaine année et demie, il faudra élaborer les contrôles pour éviter qu'une personne ait entièrement accès à la banque de données. Les experts se pencheront sur cette question, de concert avec des conseillers de l'extérieur de la GRC qui participent à cette initiative, y compris le commissaire à la protection de la vie privée.
Le sénateur Nolin: Lorsque vous parlez de plaintes, je suis persuadé que vous ne voulez pas simplement parler des plaintes du public, mais également des plaintes de membres de la GRC.
M. Murray: Oui, bien sûr, ou de tout autre service de police.
Le sénateur Nolin: Le paragraphe 10(2) vous confère de grands pouvoirs. Il vous autorise à effectuer une analyse si vous estimez qu'elle est justifiée en raison des progrès techniques qui ont été réalisés. Le commissaire à la protection de la vie privée vient de nous dire que la formulation de cette disposition le préoccupe.
Premièrement, que pensez-vous des réserves exprimées à ce sujet et, deuxièmement, comment avez-vous l'intention d'appliquer cette disposition du projet de loi?
M. Murray: Nous n'invoquerons cette disposition que si les techniques ont progressé au point où notre banque de données deviendrait désuète non seulement au niveau national mais également au niveau international, notamment si la technique que nous utilisons actuellement, la PCR, devenait désuète. Après tout, il s'agit d'une technologie qui s'améliore presque constamment. D'ici 10 ans ou même 5 ans, il se pourrait fort bien que cette technique particulière soit remplacée par une autre découverte scientifique.
Notre comité consultatif nous conseillera sur l'utilisation éventuelle d'une technologie différente. Il y a un équilibre des pouvoirs suffisant au comité consultatif pour faire en sorte que l'on ne procède pas de notre propre initiative sans s'assurer que toutes les considérations ont été prises en compte.
Cet article est certainement assez souple, mais en même temps il y a un équilibre des pouvoirs qui fait que les intérêts de tous seront protégés.
Le sénateur Nolin: Vous parlez d'équilibre des pouvoirs. Je suis sûr que vous n'auriez pas d'objection à ce que nous amendions le projet de loi pour que cet équilibre des pouvoirs soit partie intégrante de la loi?
M. Murray: Je n'aurais aucune hésitation si c'était dans la loi mais, à un moment donné, quelqu'un doit décider quand aller de l'avant. Ce que je veux dire, c'est que la décision devrait être prise par la personne responsable de la banque de données et cette personne devrait recevoir les meilleurs conseils possibles. Il faut également faire en sorte que la technologie soit acceptée par les tribunaux et conforme à la tendance générale dans le monde tout autant qu'au pays.
De toute évidence, nous voulons nous maintenir à la pointe du progrès et donner le meilleur service possible à nos clients, les agents de police sur le terrain, afin de répondre aux besoins aussi efficacement que possible. Comme vous le savez sans doute, la nouvelle technologie est considérablement plus rapide que la précédente. Peut-être que le doceteur Fourney pourra parler de cela, car il semble bien que la technologie va continuer de s'améliorer et sera beaucoup plus efficace qu'elle ne l'est maintenant.
La présidente: Nous avons déjà entendu le docteur Fourney, mais peut-être pourriez-vous mettre rapidement au courant les membres du comité qui n'étaient pas ici lorsque vous avez parlé.
Le sénateur Nolin: Ma question ne visait pas vraiment l'aspect scientifique. Il s'agissait plutôt de savoir comment, en tant que commissaire, vous alliez réagir quand vous recevrez ces conseils. Nous avons déjà été informés des aspects scientifiques et nous ne les mettons pas en doute. Nous vous interrogeons parce que vous serez en charge. Vous serez le seul à décider, vous aurez donc des pouvoirs considérables. Ma question était de savoir ce que vous ferez lorsque vous aurez ce pouvoir, et vous m'avez répondu.
M. Murray: Je répète brièvement que je m'en remettrais au meilleur conseil que me donnera le comité consultatif lorsqu'il estimera, sur la foi des données disponibles, que le moment est venu de changer.
Le sénateur Nolin: Beaucoup de témoins ont parlé d'une période de 18 mois entre le moment où le projet de loi sera sanctionné et le début du fonctionnement. Que se passera-t-il pendant ces 18 mois?
M. Murray: Il n'y a pas de pouvoir de dépenser tant que le projet de loi n'est pas adopté. En fait, nous ne pouvons rien faire avant que la loi ne soit proclamée. Ensuite, il faut embaucher 31 personnes, pratiquement sur-le-champ, et commencer le processus de formation, afin qu'elles puissent acquérir les compétences nécessaires. Cela devrait prendre 12 mois. On prévoit que les six mois suivants seront nécessaires pour tester le système et s'assurer qu'il fonctionne comme le veut la loi et que, en fin de compte, il tiendra à l'examen par les tribunaux. Donc, cette période de 18 mois est constituée de 12 mois d'embauche et de formation et six mois d'essais. Après cela, nous serons opérationnels.
Le sénateur Nolin: Je suppose que vous devrez rédiger des règlements.
M. Murray: Pendant cette période, les règles et politiques qui seront établies découleront de l'expérience. Les décideurs garderont à l'esprit les exigences de la loi et toutes les questions relevées par le comité pour s'assurer, comme je l'ai dit plus tôt, qu'il y ait un équilibre convenable des pouvoirs.
Le sénateur Nolin: Ces règlements seront soumis à l'examen du Parlement.
M. Murray: Oui, absolument.
Le sénateur Andreychuk: Le sénateur Nolin a déjà abordé des questions que je voulais poser. Je vais toutefois y revenir un peu plus en détail.
Vous disiez que vous alliez instituer des règles, des pratiques et des procédures similaires à celles que vous utilisez au CIPC. Je me souviens de ces merveilleuses années où le CIPC s'organisait et où les problèmes étaient d'informer les policiers, de mettre les systèmes en place, de les scruter, de les vérifier. Est-ce que vous pensez que cette technologie exigera plus de travail que le CIPC n'en a exigé? Si oui, prévoyez-vous plus de règles et de vérifications que dans le cas précédent? Vous semblez dire que nous avons des normes et que nous allons les appliquer.
M. Murray: Je pense que l'on peut dire sans risque que nous sommes très au courant de toutes les questions et de toutes les inquiétudes associées à cette puissante mesure législative. Il est absolument essentiel que tout fonctionne correctement dès le début. Deux des 31 personnes seront chargées justement de cela, s'assurer que l'on répond à toutes les questions.
L'éducation de la collectivité au sens large est aussi très importante. Nous avons l'exemple d'autres banques de données récemment mises sur pied dans d'autres pays occidentaux démocratiques et nous profiterons de leur expérience.
Ce n'est pas comme s'il fallait réinventer la roue. Il y a déjà une expérience acquise. La communauté scientifique a travaillé et continuera de travailler en étroite collaboration avec la banque afin de s'assurer que nous utilisions les meilleures pratiques et que nous envisagions tous les problèmes possibles.
Je suis convaincu que nous aurons suffisamment de temps pour tout mettre en place. Naturellement, l'évolution sera suivie de près.
Le sénateur Andreychuk: Certains témoignages ont indiqué que les protocoles et les codes utilisés par la communauté scientifiques étaient en cours d'élaboration et qu'ils n'étaient que des évaluations par des pairs. Allez-vous dépendre de ce que vous dit la communauté scientifique?
M. Murray: Dans une certaine mesure seulement, car nous aurons aussi le comité consultatif qui, en plus des scientifiques, aura d'autres intéressés comme membres. Nous voulons être sûrs que tous les intéressés ont leur mot à dire et que l'équilibre des pouvoirs est suffisant pour répondre aux préoccupations de tous.
Le sénateur Andreychuk: Il semble que certains des laboratoires avec lesquels vous travaillerez soient sous votre contrôle direct, mais que deux ne le seront pas.
M. Murray: Les laboratoires de l'Ontario et du Québec travaillent déjà en étroite collaboration. Nous avons une norme nationale qu'ils utilisent. Donc, les laboratoires de la GRC et ceux de l'Ontario et du Québec utilisent tous les mêmes normes et les mêmes protocoles.
En plus de cela, il y a divers laboratoires en Colombie-Britannique, je pense. Une force policière donnée peut avoir recours à un laboratoire privé pour faire faire une analyse si elle le veut. Toutefois, pour que les données soient entrées dans la banque nationale, il faudra que les analyses soient faites par un des laboratoires désignés, soit les six de la GRC et les deux laboratoires provinciaux de l'Ontario et du Québec.
Actuellement, il n'y a que deux laboratoires privés. Toutefois, il n'est pas impossible que, un jour, il y en ait d'autres. Nous voulons cependant être sûrs qu'il existe une norme nationale et qu'un laboratoire privé soit en mesure de la respecter avant que l'on accepte d'entrer ses résultats dans la banque nationale de données.
Le sénateur Andreychuk: Je crois que l'on nous a dit que lorsque les profils sont retirés de la banque de données, l'identification est retirée également. Si je me souviens bien de ce témoignage, le profil reste dans la banque. On nous a dit qu'il y restait parce qu'il serait inefficace et trop coûteux d'essayer de faire les tests sur un profil individuel. Il existe un système qui en fait 36, si je me souviens bien. En raison de cela le profil demeure. Ce projet de loi ne parle pas de destruction, mais de retrait de l'identification. Est-ce exact? Si la technologie permettait la destruction, seriez-vous en faveur?
M. Murray: Nous n'aurions pas d'objection si, à l'avenir, la technologie permettait d'isoler un profil particulier. Malheureusement, ce n'est pas possible pour le moment. Il y a un système qui, dans les faits, permet d'arriver au même résultat. Même si le profil est toujours là, il est impossible d'y avoir accès. À un moment donné, si la technologie nous permet d'éliminer physiquement un profil, nous n'aurions pas d'objection à le détruire au lieu de le rendre simplement inaccessible, comme nous le faisons actuellement.
Le sénateur Andreychuk: La seule raison pour laquelle vous ne pouvez pas le détruire maintenant, c'est le coût, est-ce exact?
M. Murray: Il y a plus que cela. La technologie n'est pas suffisamment avancée. Si l'on veut en détruire un, on détruit tout le groupe.
Le sénateur Andreychuk: Si vous faisiez un profil à la fois, ce que la technologie permettrait, je pense, ce ne serait pas financièrement rentable. C'est ce que l'on nous a dit.
M. Ron Fourney, chercheur scientifique, responsable des méthodes et de la banque de données génétiques, Laboratoire judiciaire central, Gendarmerie royale du Canada: Il y a deux aspects à cela. Le contrôle de la qualité pour le produit porte sur la totalité du gel. Il peut y avoir des échantillons additionnels. Il existe quelques nouvelles technologies qui permettent de ne traiter qu'un échantillon à la fois, mais elles sont assez coûteuses. De plus, nous sommes toujours confrontés à la question des contrôles qui peuvent être nécessaires pour la vérification de ces échantillons.
À la GRC, comme au Royaume-Uni et dans beaucoup de laboratoires à la pointe de cette technologie, nous avons choisi d'utiliser les meilleures procédures validées. Elles sont identiques à celles que nous utiliserions au niveau des opérations. Par conséquent, non seulement elles ont été soumises à l'examen de la communauté scientifique, mais en plus elles ont résisté aux contestations judiciaires et au processus particulier de validation.
À l'avenir, il pourrait apparaître une technologie financièrement rentable qui permettrait de faire un profil à la fois. Alors, nous pourrions éliminer un échantillon particulier. Pour le moment, la procédure validée que nous avons est celle que nous utiliserons pour alimenter la base de données.
Le sénateur Andreychuk: Vous avez dit dans votre présentation que l'existence de la banque de données sera une dissuasion pour les contrevenants.
M. Murray: Voulez-vous dire, s'il y a un acquittement, par exemple?
Le sénateur Andreychuk: Non. Vous disiez que le fait d'avoir une banque de données pourrait empêcher une personne qui se sait fichée de se livrer à de nouvelles activités criminelles.
M. Murray: C'est une autre question qui est reliée à celle de la conservation des échantillons. Je pensais à vos questions précédentes qui traitaient des personnes acquittées en appel, par exemple, pour lesquelles on rendait les empreintes inaccessibles. L'autre question est celle de la dissuasion à long terme. Historiquement, il y a toujours eu des récidivistes. Le fait que les empreintes génétiques soient en banque pourrait être une dissuasion. Même s'il n'y avait qu'un seul cas, cela vaudrait la peine.
Comme je le disais plus tôt, certaines statistiques montrent que les prédateurs sexuels font en moyenne cinq agressions avant d'être pris. Si vous prenez cela en considération, il pourrait y avoir d'anciens cas que l'on serait en mesure d'associer à des cas plus récents grâce aux empreintes génétiques. Si une personne a été condamnée, ses empreintes génétiques restent dans le système, tout comme les empreintes digitales.
Le sénateur Andreychuk: Si les profils restent, et si vous pouvez en disposer à votre guise, comme le prévoit le projet de loi, pourriez-vous imaginer de les mettre à la disposition de chercheurs à des fins médicales, même s'ils ne sont pas identifiés.
M. Murray: Non. Je ne peux pas concevoir de faire cela, car la mesure ne le prévoit pas. Ce serait une infraction criminelle.
J'ai dit plus tôt qu'il y avait eu toutes sortes de recherches sur les empreintes digitales, mais qu'aucune n'avait été faite à partir d'empreintes détenues dans une banque nationale. Il s'agissait de recherches indépendantes. On fait déjà beaucoup de recherches sur les empreintes génétiques. Le but de la présente mesure est uniquement la prévention de la criminalité et l'application de la loi. Nous ne saurions, en aucun cas, mettre les données à la disposition de quiconque. La loi ne nous donne pas le pouvoir de le faire.
Le sénateur Grafstein: Ce fut une exploration très intéressante. Nous savons, comme vous, que nous ne sommes pas des scientifiques. Nous essayons de voir de quoi il s'agit, car pour nous c'est un changement radical. Nous ne voyons pas très bien les limites de la chose. Vous nous excuserez si nous insistons sur certains points particuliers, mais c'est que nous essayons de voir les limites et l'étendue de la mesure législative, plutôt que parce que nous contestons l'objectif qui est de prévenir le crime d'une manière juste et économique.
Je voudrais revenir sur ce que vous avez dit à propos de l'article 10 du projet de loi. Votre déclaration était sans équivoque et nous ne pouvons qu'être d'accord. Vous disiez à la page 5:
Aucune donnée génétique ne sera transmise.
Le but, ici, n'est en aucun cas de communiquer des renseignements sur les empreintes génétiques. Toutefois, si l'on regarde le paragraphe 10(1), il n'est pas aussi clair que cela.
Voici les expressions auxquelles je vais m'intéresser, il s'agit de l'entreposage et l'on parle de «entreposer en lieu sûr, aux fins de l'analyse génétique». En anglais on utilise le mot «forensic» qui, selon le dictionnaire Oxford signifie que cela s'applique aux procédures judiciaires et en particulier à la résolution des crimes. Plus loin, le dictionnaire parle de «forensic medicine» ou médecine légale, qui est l'application de la médecine aux problèmes légaux, ce qui montre clairement le lien avec les tribunaux. Donc cela semble plus large que le simple contexte de la définition du projet de loi. Je ne parle pas de vos intentions, mais il me semble que le projet de loi prévoit une application plus générale.
Avez-vous des observations à faire à ce sujet, en dehors de ce que vous avez déjà dit, c'est-à-dire que les empreintes ne seront utilisées que pour l'identification criminelle? Le pouvoir semble être plus général.
M. Murray: Vous semblez vous accrocher à la définition du mot «forensic». Il faut remonter à l'intention de la mesure législative, donnée plus haut dans le projet de loi. L'article 3 donne l'objet de la mesure ou, si vous voulez, les principes qui lui ont donné naissance. La définition du mot pourrait sans doute s'appliquer de façon plus générale, mais l'objet du projet de loi n'est certainement pas général, il est même très spécifique. Je pense qu'il faut donner à la loi l'application qui représente l'intention du législateur, plutôt que de se limiter à la définition du mot «forensic».
Pour nos besoins, nous n'avons pas le choix, nous devons utiliser le projet de loi dans le but spécifique pour lequel il a été créé. Je pourrais reprendre l'analogie du bureau national des empreintes digitales, créé en application de la Loi sur le casier judiciaire et de la Loi sur l'identification des criminels où il est bien précisé ce que le bureau peut faire. Nous n'avons certainement pas le droit de diffuser l'information d'une manière contraire à l'intention de la loi.
Le sénateur Grafstein: Laissez-moi passer à l'étape suivante en ce qui concerne l'application. Ensuite je reviendrai à un principe antérieur.
Vous dites qu'on ne transmettra aucune donnée génétique, que la demande vienne du Canada ou d'un pays étranger. Je suis sûr que vous avez examiné nos questions antérieures au sujet des réserves de certains d'entre nous concernant l'interdiction d'envoyer des échantillons ou des marqueurs à un autre niveau de compétence pour utilisation à des fins plus générales.
M. Murray: Oui, je les ai examinées.
Le sénateur Grafstein: Alors, quelle est votre intention à cet égard? Comment avez-vous l'intention de vous assurer qu'aucune donnée génétique n'est communiquée à un autre pays? Est-ce que tout est lié à l'accord ou au traité?
M. Murray: L'intention est de traiter cela comme les autres données. Nous ne fournirons nos données qu'à d'autres banques. Nous dirons simplement que nous avons trouvé une correspondance dans le fichier, ou nous donnerons le nom de la personne s'il est dans l'autre fichier. Nous ne fournirons en aucun cas les profils eux-mêmes. Cela ne devrait pas être un problème, car ce n'est pas un problème ici. De toute évidence, ce ne serait pas un problème dans nos relations avec un autre pays.
Le sénateur Grafstein: Permettez-moi de passer à un autre sujet, à savoir le comité consultatif. Nous sommes heureux d'avoir votre témoignage à cet égard. Il est très utile.
Nous avons entendu vos réponses quant au but du comité consultatif de l'ADN et quant à votre intention de veiller que divers intervenants soient représentés. Je suppose que vous entendez par là des organisations de police, autant fédérales que provinciales, de même que des conseillers scientifiques et techniques. Vous avez ajouté que vous souhaitiez la participation de quelqu'un du Bureau du commissaire à la protection de la vie privée.
Encore là, à la question du sénateur Nolin, vous avez répondu que vous n'aviez aucune objection à ce que cela soit prévu dans le projet de loi, si nécessaire, mais que vous aviez l'intention d'établir cela nonobstant le projet de loi.
M. Murray: C'est exact, monsieur.
Le sénateur Grafstein: Je vous demande cela parce que, comme vous en convenez vous-mêmes, on vous a conféré ici beaucoup de pouvoir. Comment est-ce que cela fonctionnerait, d'après vous? Supposons pour le moment qu'il y existe un différend entre les conseillers scientifiques auprès du comité consultatif et les intervenants de police. Ces derniers disent que nous devrions, en fait, élargir les tests. Les scientifiques disent que non, que cela risquerait d'être trop déraisonnable. Que seriez-vous tenté de faire? Que feriez-vous? Il s'agit d'un comité consultatif. Dites-nous comment vous composeriez vous-mêmes avec un tel différend au sein du comité consultatif.
M. Murray: Si cela arrivait, j'irais voir comment ces relations ont évolué à l'extérieur du Canada, dans d'autres pays et comment on y décide, en fait, d'adopter à une technologie naissante. Est-ce le bon moment de le faire? Je crois qu'il faudrait se laisser davantage guider par l'opinion générale de la communauté scientifique plutôt que par des agents de police qui travaillent dans la rue et qui voudraient toujours avoir la dernière souricière, quelle qu'elle soit, sans nécessairement en connaître toutes les répercussions possibles.
À mon sens, il faudrait s'inspirer de ce qui se fait ailleurs si un différend très important survenait au Canada.
Beaucoup de collaboration et de bonne volonté sont associées à la mise au point de cette technologie et on s'entend sur la nécessité de bien l'appliquer. Je tiens à féliciter le présent comité de s'en soucier tellement, car il s'agit d'un changement important. Étant donné que cette technique est très intrusive, nous voulons tous nous assurer que les droits des citoyens ordinaires seront protégés. Toutes les personnes qui participent à cette démarche ont le même objectif. En amenant divers intervenants à la table, nous espérons prévoir des contrôles suffisants pour nous assurer qu'on ne prendra pas une orientation qui ne sera pas dans l'intérêt supérieur de la population en général.
Le sénateur Grafstein: Vous avez peut-être entendu ou anticipé des questions relatives aux compétences fédérale et provinciale en la matière. Encore là, je crois que les membres du comité veulent avoir la garantie absolue que l'utilisation des documents contenus dans la banque de données sera étroitement limitée par le projet de loi. Des sanctions et d'autres mesures sont prévues. Cela vous satisfait-il ou croyez-vous que les relations fédérales-provinciales posent ici un problème compte tenu des différentes compétences et des différents pouvoirs qui existent concernant l'application de ce projet de loi? Êtes-vous à l'aise avec cela? Prévoyez-vous des problèmes?
M. Murray: Je suis à l'aise avec cela. L'administration de la justice relève des provinces, mais il a toujours été entendu que cette banque nationale de données, qui relèverait évidemment des services nationaux de police, serait exploitée par le gouvernement fédéral. Le rôle des provinces serait de l'alimenter. Les provinces fournissent les données, mais le gouvernement fédéral a toujours dirigé les systèmes nationaux.
Depuis toujours, le gouvernement fédéral demande à la GRC de le faire en son nom, de façon indépendante, de telle sorte qu'on n'ait pas l'impression d'une quelconque ingérence gouvernementale dans l'exploitation de tous les systèmes. Ce n'est qu'un autre exemple de cela. Il y a une longue histoire de collaboration très étroite entre le fédéral et les provinces, par l'intermédiaire de la GRC et des corps policiers provinciaux et municipaux de tout le pays. Le système fonctionne extrêmement bien. Je m'attendrais à ce qu'il n'en soit pas autrement dans ce cas-ci. Je n'envisage pas de problème à l'égard de cette initiative particulière.
Le sénateur Nolin: J'ai une question complémentaire à poser au sujet de l'aspect international de ce projet de loi. Qu'avez-vous dit au sénateur Grafstein que vous feriez si l'on sollicitait votre collaboration dans le cas où le Canada aurait un accord avec un autre pays?
M. Murray: Nous ferions exactement la même chose que ce que nous ferions au Canada si un tel protocole était en place. Si l'on trouvait quelque chose dans le fichier de criminalistique, on transmettrait l'information. Si l'on trouvait un nom dans le répertoire nominatif, on le communiquerait.
Le sénateur Nolin: Vous communiqueriez aussi le profil?
M. Murray: Nous ne communiquerions pas le profil.
Le sénateur Nolin: Selon le paragraphe 6(4) du projet de loi, vous aurez l'autorisation de faire cela. Le paragraphe 3 prévoit que lorsqu'on reçoit un profil du gouvernement d'un État étranger, on peut le comparer avec les profils enregistrés dans la banque. Selon le paragraphe 4, on peut, sur demande, communiquer un profil à un gouvernement étranger. Qu'en est-il au juste?
M. Gaudette: On parle ici du cas où des forces policières canadiennes veulent tirer un profil de notre fichier de criminalistique et le comparer avec les données d'une banque américaine ou britannique, par exemple. Nous communiquerions ce profil, mais celui-ci ne porterait aucune identification, car il provient d'un crime non résolu.
La présidente: Dans cet article, «organisme canadien chargé du contrôle d'application de la loi» s'entend d'un organisme canadien, n'est-ce pas?
Le sénateur Nolin: Si vous lisez le paragraphe 4 jusqu'au bout, vous verrez qu'il s'agit de gouvernements étrangers. Vous dites essentiellement que le paragraphe 4 renvoie seulement à des profils à partir desquels on ne peut remonter à un individu en particulier.
M. Murray: Oui, ceux qui ne sont pas identifiés.
Le sénateur Nolin: Ce n'est pas précis si vous voulez restreindre la communication de ces profils. En convenez-vous? Cela revient à dire que nous n'essayons pas d'appliquer la loi, mais de faire qu'elle fonctionne bien.
M. Gaudette: À la fin de ce paragraphe, il est dit précisément ceci: «contenu dans le fichier de criminalistique». La banque de données comprend deux fichiers: le fichier de criminalistique, qui contient seulement des profils sans identification provenant de crimes non résolus, et le fichier des condamnés, qui contient des profils avec identification.
M. Murray: On ne connaît pas le nom d'une personne dont le profil est contenu dans le fichier des crimes non résolus. Le profil en question n'est pas associé à une personne. Encore là, on compare deux fichiers de criminalistique.
Le sénateur Nolin: Dans le paragraphe 3, il est dit que vous recevrez un profil d'un gouvernement étranger et que vous le comparerez avec les profils enregistrés dans le second fichier, soit celui des condamnés. S'il y a concordance, vous communiquerez le nom, un point c'est tout. Dans le paragraphe 4, il est dit que vous pourrez envoyer un profil tiré d'un fichier de criminalistique à un autre gouvernement, qui pourra peut-être y associer un nom et vous le communiquer.
M. Murray: C'est exact.
Le sénateur Joyal: Je voudrais que le commissaire revienne à la portée du projet de loi. Beaucoup de témoins qui ont comparu devant nous ont fait allusion aux délinquants sexuels. Les infractions sexuelles choquent et émeuvent les citoyens plus que toute autre. Toutefois, des témoins nous ont dit que notre projet de loi va plus loin que celui des États-Unis. Aux États-Unis, une personne reconnue coupable d'un délit associé au terrorisme ou de tout autre délit lié à la sécurité de l'État n'est pas couverte par la loi américaine.
En fin de semaine, j'ai lu la liste des délits qui sont couverts par la loi au Massachusetts, par exemple, qui mentionne que ce projet de loi va bien au-delà de la loi existant dans d'autres pays. D'après vous, pourquoi est-il essentiel d'aller au-delà et d'inclure ces délits? La seconde liste énumère des délits associés, par exemple, à la conduite dangereuse de véhicules à moteur et à la conduite avec facultés affaiblies causant des blessures ou la mort. Il ne s'agit pas là du tout d'infractions sexuelles, mais de délits tout autres.
J'estime que nous avons déjà ouvert grand la porte sur la loi touchant à ces délits. Nous tiendrons bientôt des discussions là-dessus dans d'autres pays avec lesquels nous allons signer des accords. Je suppose que vous voulez d'abord signer un accord avec les États-Unis, puisque ce pays est notre plus proche voisin. Toutefois, nous allons nous trouver dans diverses discussions concernant la portée de ce projet de loi. Pourquoi croyez-vous que nous devrions approuver la liste de délits telle qu'elle figure dans ce projet de loi?
M. Murray: On peut sûrement dire que les États-Unis sont un pays où chaque État a sa propre loi en la matière au lieu d'appliquer un seul et même système national. Beaucoup de pays ont adopté une loi du genre et le Canada se situe à peu près au milieu pour ce qui est de ce que couvre cette loi.
À propos de la seconde liste de délits dont vous parlez, je dirai qu'il importe d'obtenir l'autorisation du tribunal avant d'y avoir accès. Le contrôle, c'est qu'on s'attend raisonnablement à ce que ce que ce soit utile dans l'enquête. Dans le cas de ces condamnations, on n'a pas librement accès au groupe secondaire d'empreintes génétiques. Même si les délits ne concernent pas des crimes violents, sexuels ou autres, ce sont tous des délits plutôt graves du point de vue de la société en général. En conséquence, le tribunal peut dire «non» et son autorisation n'est pas automatique en ce qui concerne le groupe secondaire.
Dans toute la recherche qui a été faite en prévision de ce projet de loi, on a essayé d'établir un équilibre entre les droits de l'État et les droits de l'individu. Le point limite était de s'assurer que les doits de la population sont protégés et que le tribunal ordonnerait ce groupe secondaire.
Le sénateur Joyal: Monsieur Gaudette, voulez-vous ajouter quelque chose?
M. Gaudette: Vous avez examiné la loi de divers États. Je ne prétends pas être un spécialiste du droit américain, mais je crois savoir que le terrorisme est un délit fédéral aux États-Unis et ne serait donc pas couvert par la loi d'un État. Je crois savoir aussi qu'est en préparation aux États-Unis un projet de loi portant exclusivement sur le terrorisme qui ouvrira la voie à l'analyse génétique.
Le sénateur Joyal: Nous pourrions peut-être passer à ma seconde série de préoccupations. Tout à l'heure, au cours de votre exorde, vous avez dit que si la population avait des plaintes à formuler, elle pourrait s'adresser à la Commission des plaintes du public qui fonctionne à l'intérieur de la GRC ou au Parlement.
Avez-vous l'intention de rapporter publiquement au Parlement, par la voie hiérarchique, le nombre de cas où des gens ont commis un délit? Cette liste serait-elle rendue publique au Parlement?
M. Murray: Les nombres ne sont pas spécifiquement demandés. Toutefois, le projet de loi prévoit un examen au bout de cinq ans. Certes, une analyse statistique ferait partie de cet examen afin que l'on puisse voir si tout fonctionne conformément aux attentes du début, c'est-à-dire si les nombres s'accroissent, si une modification s'impose, et ainsi de suite. Une analyse statistique constituerait une suite naturelle de tout cela. Nous nous ferions un plaisir de communiquer ces nombres au présent comité ou à un comité de la Chambre des communes devant lequel je comparais chaque année pour montrer comment la banque de données évolue.
Le sénateur Joyal: Le paragraphe 13(1) prévoit un examen de la loi dans les cinq ans suivant son entrée en vigueur, mais pas de la façon dont cela se fera. Il s'agit, si je ne m'abuse, d'un seul rapport au bout de cinq ans:
Le Parlement désigne ou constitue un comité, soit de la Chambre des communes, soit mixte, chargé spécialement de l'examen de la présente loi dans les cinq ans suivant son entrée en vigueur.
Il ne s'agit pas d'un rapport qui reviendra tous les cinq ans. Il s'agit d'un seul rapport quinquennal. Après cela, nous reviendrons au cadre traditionnel de fonctionnement de la GRC. Vous avez dit vous-même très clairement, je crois, qu'il nous faudra examiner cela d'ici cinq ans, mais rien n'est prévu pour que le Parlement puisse s'enquérir de façon régulière de l'application de la loi et se pencher là-dessus. Compte tenu de la somme énorme de renseignements qui vous seront communiqués et du fait que nous ne savons même pas ce que l'avenir nous réserve en matière de changements techniques, le Parlement devrait pouvoir se livrer à un examen régulier.
Nous ne pouvons pas prévoir quels changements surviendront dans six ou sept ans ou même dans dix ans. Ces changements peuvent être tels que le système sera complètement différent de ce dont nous discutons aujourd'hui, surtout de la façon dont MM. Gaudette et Fourney ont expliqué le processus. Rappelez-vous que les récepteurs radios étaient très gros lorsque la radio a été inventée. Aujourd'hui, ils sont minuscules. Peut-être que, dans dix ans, tous ces renseignements tiendront sur une micropuce et que les installations d'entreposage envisagées ne seront peut-être plus nécessaires.
Nous tenons non seulement à favoriser de nouvelles initiatives, mais aussi à examiner le processus de mise en oeuvre. Nous ne doutons pas de vos intentions ni de celles de vos successeurs, mais le Parlement doit toujours demeurer le dispositif de protection, l'examinateur des activités qui se dérouleront conformément aux pouvoirs extraordinaires qui seront conférés.
Nous savons tous que, dans le passé, des abus ont malheureusement été commis en dépit des peines et des mesures disciplinaires prévues. Comme vous, nous participons à la vie publique depuis des années. Nous savons que cela arrive. Nous devons essayer d'empêcher cela. Nous voulons nous assurer que le Parlement fédéral, qui est le dépôt du contrôle des citoyens sur les activités policières, garde le contrôle sur les renseignements qui sont recueillis. Cet examen est pour un temps limité. Après seulement trois ans d'activité, nous examinerons la situation, puis ce sera comme d'habitude.
Personnellement, je crois que ce projet de loi ouvre la voie à beaucoup de problèmes que nous ne pouvons pas prévoir maintenant, surtout pour ce qui est de l'invasion de la vie privée. Je ne veux pas être le père fouettard ici, mais c'est notre rôle de nous interroger.
Quel genre de monde dirigera le système lorsque le gouvernement actuel ne sera plus là? Quel système faut-il mettre en place pour s'assurer qu'il n'y a plus d'échappatoires? Votre annonce d'un comité consultatif est vraiment la bienvenue. C'est un pas opportun dans la bonne direction.
Votre rapport annuel au Parlement sur l'application du projet de loi et de ces aspects spécifiques est un élément essentiel de contrôle. Le projet de loi ne prévoit aucun contrôle de ce genre. Le projet de loi sera probablement mis à l'épreuve un jour au tribunal étant donné l'incertitude qui entoure nombre de ses éléments. Cela aidera si vous pouvez convaincre le tribunal que vous aurez fait preuve d'une diligence raisonnable dans l'établissement d'un processus de contrôle.
M. Murray: Une partie de la réponse annuelle au Parlement réside dans le budget. Une initiative aussi importante que celle-ci est évidemment prévue dans le budget en tant qu'initiative spécifique. Chacune de nos principales fonctions fait l'objet de commentaires. La banque de données génétiques serait une fonction pour laquelle il faudrait justifier la dépense de deniers publics.
Va de pair avec cela l'utilisation de statistiques qui étayent le besoin constant de consacrer des deniers publics à l'une ou l'autre des fonctions. J'estime que cette question entrerait dans cette catégorie. Elle serait couverte dans le budget, donnant ainsi chaque année au comité de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes l'occasion de m'interroger sur le fonctionnement de la banque de données. Voilà pour l'examen parlementaire.
En plus de cela, la présence au comité consultatif du commissaire à la protection de la vie privée offre une autre occasion de s'assurer que l'intérêt public général est protégé pour ce qui est du respect de la vie privée.
Les changements qui surviendront inévitablement à l'avenir auront trait à l'efficience. Nous devrons toujours respecter les objectifs et les exigences de la loi.
Pas un seul d'entre nous ne peut seulement entrevoir de quoi aura l'air le système de l'avenir, mais celui-ci devra quand même fonctionner conformément aux buts et aux objectifs de la loi elle-même. Peu importe ce qui sera en place dans dix ans, je crois que les contrôles prévus dans la loi suffisent à apaiser vos préoccupations.
Le sénateur Joyal: Pour être franc, j'aurais préféré que vous m'assuriez que le Règlement qui sera rédigé dans les mois à venir prévoira la façon de présenter un rapport annuel spécifique.
J'ai été député à l'autre endroit pendant dix ans. Je sais que le budget des dépenses est examiné par le comité parlementaire et qu'il y a une bonne discussion, mais c'est une discussion plutôt générale. Le comité ne se penche pas de façon précise sur la question très fondamentale du droit des Canadiens à la vie privée.
Une fois ce projet de loi adopté, c'est vous qui serez maître de ce projet. L'adoption de ce projet de loi me causerait beaucoup moins d'inquiétude si vous acceptiez en principe que l'obligation de présenter un rapport annuel soit incluse dans les futurs règlements qui seront adoptés.
M. Murray: Je vais même aller plus loin que le principe. Je m'engage à voir à ce qu'on adopte un règlement prévoyant la présentation au ministre d'un rapport annuel faisant état des activités liées à la banque de données.
Le sénateur Bryden: J'aurais été plus à l'aise si le renvoi au comité consultatif avait été inclus dans la loi. Il n'y est pas.
J'aurais été plus à l'aise si l'article 12, qui porte sur la réglementation, avait prévu l'établissement d'un comité consultatif et la présentation d'un rapport annuel.
Il est clair que les membres du comité sont conscients du fait que nous devons chercher un certain équilibre entre, d'une part, la possibilité de parfaire cette mesure législative maintenant et, d'autre part, la possibilité de la mettre en oeuvre et de l'améliorer plus tard au besoin. Je suis plutôt en faveur de la deuxième option.
Je tiens à dire clairement que nous devons agir de façon équilibrée à l'égard de cette mesure et que certains d'entre nous examineront très attentivement les règlements qui seront adoptés. Nous examinerons aussi très attentivement la composition du comité consultatif et le genre de transparence qui existe relativement aux préoccupations que nous avons soulevées.
On prévoit un examen de cette mesure législative après cinq ans, ce qui veut dire après trois ans d'exploitation de la banque. Bien qu'aucun examen continu ne soit prévu -- et je ne veux pas dire qu'il devrait y en avoir un -- il est toujours possible pour une Chambre du Parlement d'entreprendre une enquête et de demander à une agence de rendre des comptes.
Si vous faites ce que vous avez dit -- et rien ne nous porte à croire que vous ne le ferez pas -- et que les freins et contrepoids sont mis en place par voie de règlement, nous serons heureux de voir que cela s'est fait.
Par contre, si vous ne le faites pas, nous nous empresserons de vous demander d'expliquer pourquoi cela ne s'est pas fait.
M. Murray: Je comprends très bien. Un autre facteur que je n'ai pas mentionné plus tôt en ce qui concerne la surveillance, c'est que le comité de la Chambre des communes qui a étudié le projet de loi a dit qu'il avait l'intention d'examiner les progrès réalisés avant la fin de la présente législature. Il y aurait donc une sorte d'examen préliminaire avant la fin de la période de cinq ans. Comme il est concevable qu'on ait commencé à exploiter la banque quelque temps avant la fin de la présente législature, ce serait donc une autre occasion d'examiner la situation à ce moment-là.
Je peux comprendre les préoccupations exprimées par les membres du comité, et je les prends très au sérieux. Nous voulons tous bien faire les choses. Je m'engage personnellement à surveiller le choix des personnes impliquées et à voir à ce qu'il y ait une représentation adéquate des divers intervenants.
La présidente: Avant d'aller plus loin, je veux apporter une correction. Je crois que l'examen aura lieu cinq ans après l'entrée en vigueur de la loi, ce qui veut dire dans cinq ans plus 18 mois, et non dans cinq ans moins 18 mois.
Le sénateur Bryden: On ajoute une période de 18 mois.
La présidente: Je veux aussi revenir sur une remarque que le commissaire a faite. Le Budget des dépenses est un outil qui permet aux sénateurs d'assurer un suivi, ce que nous faisons rarement. Il faut pour cela qu'un sénateur en particulier examine cette question dans le cadre de l'examen du Budget des dépenses et voie ce qui s'est passé.
Le sénateur Moore: Je veux revenir sur un point que le sénateur Bryden a soulevé au sujet des règlements. Monsieur Phillips, à la page 5 de votre rapport, vous dites que vous entendez établir un comité consultatif sur la banque de données génétiques constitué des différentes parties intéressées. Vous avez dit que vous y verriez personnellement.
Je voudrais savoir si vous appuyez l'idée d'inclure dans les règlements des dispositions prévoyant l'établissement d'un tel comité consultatif et sa composition.
M. Murray: En principe, c'est une idée sensée. Je ne voudrais cependant pas que de telles dispositions soient tellement restrictives que, chaque fois qu'on voudrait ajouter une personne, il faudrait modifier le règlement, car c'est un très long processus. Nous voudrions que de telles dispositions soient le moins restrictives possible.
Au fil du temps, le nombre de membres de ce comité consultatif aura tendance à augmenter plutôt qu'à diminuer. Cette approche poserait des inconvénients si, par exemple, on prévoyait cinq catégories seulement et qu'on voulait ensuite élargir la composition du comité.
Le sénateur Moore: Et l'établissement du comité consultatif comme tel? Vous ne voyez pas de problème à ce que cela soit prévu dans le règlement?
M. Murray: Oui.
La présidente: Ce fut une séance des plus utiles. Merci de nous avoir rassurés au sujet de certaines questions qui inquiètent le comité.
La séance est levée.