Délibérations du comité sénatorial permanent
des
Affaires juridiques et constitutionnelles
Fascicule 47 - Témoignages pour la séance de l'après-midi
OTTAWA, le lundi 7 décembre 1998
Le comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel a été renvoyé le projet de loi C-3, Loi concernant l'identification par les empreintes génétiques et modifiant le Code criminel et d'autres lois en conséquence, se réunit aujourd'hui à 15 h 10 pour l'étude du projet de loi.
Le sénateur Lorna Milne (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente: Honorables sénateurs, le comité tient aujourd'hui sa huitième séance d'étude du projet de loi C-3, Loi concernant l'identification par les empreintes génétiques et modifiant le Code criminel et d'autres lois en conséquence. Le projet de loi prévoit l'établissement d'une banque nationale de données génétiques qui sera tenue par le commissaire de la Gendarmerie royale du Canada et destinée à aider les organismes chargés du contrôle d'application de la loi à résoudre des crimes.
Le projet de loi a été adopté par la Chambre des communes le 29 septembre 1998 et lu pour la première fois au Sénat le lendemain. Le projet de loi a été adopté en deuxième lecture le 22 octobre 1998, ce qui signifie que le Sénat l'a approuvé en principe. Le projet de loi a ensuite été renvoyé à ce comité pour qu'il en fasse une étude détaillée.
Cette étude a débuté le 25 novembre 1998, avec la comparution de M. Jacques Saada, secrétaire parlementaire du solliciteur général, qui est le ministre responsable du projet de loi C-3. Le comité a entendu ensuite deux représentants du Laboratoire judiciaire central de la GRC, puis des représentants de l'Association canadienne des policiers et de l'Association canadienne des chefs de police. La semaine dernière, le comité a entendu les représentants du Centre canadien de ressources des victimes d'actes criminels, du Barreau du Québec, du ministère de la Justice, du Collège canadien des généticiens médicaux et Mme Marie-Hélène Parizeau, professeure à l'Université Laval.
Plus tôt aujourd'hui, le comité a entendu la déposition de M. Bruce Phillips, commissaire à la protection de vie privée du Canada, et de M. Phillip Murray, commissaire de la GRC.
Le comité entendra maintenant le solliciteur général du Canada, l'honorable Lawrence MacAulay, qui est le ministre responsable du projet de loi C-3. Demain, le comité procédera à une étude article par article du projet de loi et décidera alors d'adopter le projet de loi, de recommander d'y apporter des amendements ou de recommander de ne pas l'adopter. Le comité fera ensuite rapport de sa décision au Sénat pour qu'il l'examine.
Je souhaite la bienvenue au ministre MacAulay et lui demanderai de bien vouloir faire sa déclaration liminaire. Monsieur le ministre, vous avez la parole.
L'honorable Lawrence MacAulay, solliciteur général du Canada: Honorables sénateurs, je vous remercie de m'avoir invité à vous parler aujourd'hui du projet de loi C-3, qui créera une banque nationale de données génétiques. Ce projet de loi constitue la deuxième étape de la stratégie du gouvernement en matière d'ADN. Votre comité connaît déjà la première, puisqu'il a appuyé en 1995 les dispositions concernant les mandats relatifs aux analyses génétiques.
Comme vous avez pu l'entendre, l'idée de constituer une banque nationale de données génétiques recueille un appui massif. La police nous a dit à maintes reprises qu'une telle banque représente un puissant outil de prévention du crime. Le but du projet de loi C-3 est de créer un instrument pratique d'application de la loi qui ne porte pas atteinte à la vie privée des Canadiens ni à leurs droits constitutionnels.
Le projet de loi a donc été rédigé en conformité avec la Charte afin que la police dispose d'un outil capable de résister à toute contestation judiciaire. Je crois que nous sommes arrivés à l'équilibre souhaité entre la protection du public et la protection de la vie privée des citoyens.
Si nous accordons tant d'importance au respect de la vie privée et des dispositions de la Charte, c'est parce qu'un échantillon d'ADN peut en révéler beaucoup plus sur une personne que de simples empreintes digitales. Aussi avons-nous pris minutieusement en compte les vues du commissaire à la protection de la vie privée et incorporé dans le projet de loi des mesures qui régissent de façon stricte le prélèvement, l'utilisation et la conservation des échantillons d'ADN.
En outre, nous avons de solides assises sur lesquelles nous appuyer: les dispositions portant sur les mandats relatifs aux analyses génétiques. Ces mesures législatives ont permis à la police non seulement de résoudre des centaines de crimes graves, mais aussi d'innocenter des personnes condamnées à tort. La Cour suprême du Canada a parlé en bien de ces dispositions, qui ont résisté jusqu'ici à toutes les contestations fondées sur la Charte.
Leur validité a été confirmée par les tribunaux principalement du fait qu'elles exigent que tout prélèvement d'échantillon d'ADN soit préalablement autorisé par le juge. Le projet de loi C-3 exige également une telle autorisation avant qu'un échantillon d'ADN puisse être prélevé sur un délinquant déclaré coupable, puis versé dans la banque de données.
Le gouvernement a bien pris soin de soumettre les présentes dispositions à une étude détaillée. Ainsi, un large éventail de Canadiens ont été consultés, et le comité permanent de la justice et des droits de la personne, de la Chambre des communes, a examiné le projet de loi avant qu'il franchisse l'étape de la deuxième lecture.
Votre comité a parfaitement raison de procéder avec circonspection, car le projet de loi C-3 soulève de nombreuses questions quant à l'utilisation des échantillons d'ADN et des profils d'identification génétique, ainsi que des préoccupations d'ordre légal et éthique. Vous avez mis le doigt sur des points qui restent à régler.
Vous craignez, semble-t-il, que les données génétiques puissent être utilisées indûment. Le gouvernement partage ces inquiétudes, et c'est pourquoi il a inclus de nombreuses mesures de protection dans le projet de loi. La banque de données génétiques ne pourra donc servir qu'à identifier les criminels. C'est le commissaire de la GRC qui en assurera un contrôle rigoureux. Tous les échantillons d'ADN venant de délinquants reconnus coupables d'une infraction seront conservés dans un seul et même établissement de la GRC, et un nombre restreint de personnes y auront accès. À la GRC, les tests se font suivant des normes très strictes, et l'utilisation des données génétiques à des fins illégitimes est punissable d'une sanction pénale.
Il existe déjà un grand nombre de freins et de contrepoids, dont les pouvoirs d'enquête des comités de la Chambre des communes et du Sénat de même que la possibilité de déposer une plainte devant la Commission des plaintes du public.
Je tiens à rassurer le comité en lui signalant que, jusqu'ici, personne dans le secteur de l'application de la loi au Canada n'a été accusé d'avoir utilisé ou communiqué des données génétiques à des fins injustifiées.
Je sais gré au comité et à certains témoins d'avoir suggéré l'établissement d'un organisme indépendant pour aider à prévenir toute utilisation indue des données génétiques par suite de l'évolution des techniques employées. Je souscris entièrement à la création d'un comité consultatif qui donnera des conseils sur le fonctionnement de la banque de données, et qui surveillera les progrès techniques en matière d'analyse génétique et leur incidence sur la banque de données. En outre, je suis d'accord avec vous qu'un comité du Sénat devrait avoir les mêmes pouvoirs qu'un comité de la Chambre pour ce qui est de l'examen du projet de loi C-3.
Vous avez également noté dans le projet de loi l'absence de pouvoirs qui permettraient le prélèvement d'échantillons d'ADN sur les auteurs d'infractions désignées qui sont condamnés par des tribunaux militaires. J'estime, moi aussi, que ces délinquants devraient être inclus dans la banque de données.
Comme je l'ai mentionné dans ma lettre du 1er décembre adressée à la présidence, je compte déposer très rapidement un autre projet de loi à ce sujet, de sorte que les tribunaux militaires seront habilités à ordonner des prélèvements d'échantillons d'ADN d'ici à ce que la banque de données génétiques soit opérationnelle. Je proposerai également que ce nouveau projet de loi renferme une disposition autorisant un comité du Sénat à effectuer l'examen après cinq ans.
À mon avis, l'adoption d'un projet de loi distinct constitue la meilleure façon de régler ces questions. Les provinces et les territoires, la police, les victimes, le grand public: tous souhaitent que le gouvernement fédéral mette vite en place la banque de données afin d'accroître la sécurité du public et d'aider à prévenir les crimes avec violence d'un bout à l'autre du pays.
Toute modification du projet de loi C-3 retarderait l'entrée en vigueur de cet important instrument législatif. Je vous demande de prendre en considération le fait qu'il faudra à tout le moins 18 mois pour mettre complètement sur pied la banque de données une fois que le projet de loi aura reçu la sanction royale. Cela nous donnerait le temps de faire passer un projet de loi distinct.
Je crois savoir que le comité s'est demandé s'il convenait d'attribuer au seul commissaire de la GRC la responsabilité du fonctionnement et du contrôle de la banque de données génétiques. Au cours des consultations et de l'examen du projet de loi par le comité, la majorité des répondants et des témoins ont dit que cette personne était la mieux placée pour assumer cette tâche.
Comme il vous l'a lui-même mentionné plus tôt, le commissaire de la GRC est déjà responsable d'autres banques de données contenant des renseignements personnels extrêmement délicats. Et son dossier à cet égard est excellent. Partout au Canada, la police estime qu'on peut lui assigner en toute confiance la responsabilité de gérer la banque de données génétiques.
Votre comité a examiné avec soin la question de la protection du caractère confidentiel des données génétiques qui relèveront de la GRC. La Loi sur la protection des renseignements personnels autorise déjà le commissaire à la protection de la vie privée à effectuer une vérification en tout temps, de sorte qu'on pourra surveiller l'usage qui est fait des données génétiques sous la garde du gouvernement. Aux termes de cette loi, les renseignements contenus dans la banque de données ne pourront être communiqués à un autre pays que si un accord a été conclu à ce sujet, et qu'en vue de l'application des lois ou pour la tenue d'une enquête.
Comme tous les accords signés avec des organismes gouvernementaux étrangers, ceux ayant trait à la communication de renseignements personnels renfermeront une clause interdisant la divulgation d'information sans le consentement du Canada. Qui plus est, la GRC conclura un accord seulement si l'autre pays s'engage à ne pas révéler de renseignements personnels sur des Canadiens.
Votre comité a entendu les deux points de vue à propos de la conservation des échantillons. Je ne saurais trop insister sur le fait que la conservation des échantillons est un aspect clé de la banque de données. Les préoccupations relatives à la vie privée sont tout à fait légitimes, mais il importe d'avoir confiance dans le système conçu pour empêcher l'utilisation indue des échantillons d'ADN.
Priver le gouvernement du pouvoir de conserver les échantillons en lieu sûr que lui confère le projet de loi, c'est enlever à la banque de données l'efficacité requise pour vraiment préserver la sécurité du public. S'il était tenu de détruire les échantillons, le gouvernement aurait à en prélever sur des ex-délinquants chaque fois que des techniques changeraient. Dans bien des cas, le prélèvement se ferait longtemps après l'expiration de la peine, ce qui, à mon avis, constituerait une atteinte encore pire à la vie privée.
En résumé, il ne fait aucun doute que la banque nationale de données génétiques sera un précieux outil pour la police. Sa mise sur pied nécessitera au moins 18 mois. J'ai la ferme intention de présenter, dans ce temps, un autre projet de loi qui s'appliquera aux auteurs d'infractions jugées par des tribunaux militaires et qui prévoira un examen indépendant par le Sénat.
De plus, je suis en faveur de la création d'un comité consultatif et de l'inclusion de garanties concernant les accords internationaux. Ces mesures, qui sont le fruit du remarquable travail de réflexion accompli par votre comité, contribueront à améliorer le fonctionnement de la banque de données et à mieux protéger la vie privée de tous les Canadiens.
Je vous remercie de m'avoir donné l'occasion de venir vous parler du projet de loi, et c'est maintenant avec plaisir que je répondrai à vos questions.
La présidente: Merci, monsieur le ministre.
Je rappelle aux sénateurs que le ministre doit nous quitter peu après 16 heures. Il serait donc préférable que nous réduisions nos déclarations liminaires au minimum, afin de pouvoir lui poser le plus de questions possible.
Le sénateur Grafstein: Monsieur le ministre, il est injuste de vous soumettre à cet exercice, puisque vous n'occupez que depuis peu vos nouvelles fonctions. Vous n'êtes pas responsable de ce projet de loi, dans la mesure où vous n'avez pas participé au processus long et ardu qui s'est déroulé au ministère. La rédaction du projet de loi a pris plus de deux ans et demi. Nous sommes bien conscients que vous n'avez pas de comptes à rendre au sujet des travaux effectués au cours de cette période, mais vous êtes maintenant le ministre responsable du dossier et, à ce titre, nous devons vous interroger.
Plus tôt aujourd'hui, le commissaire de la GRC a fait une déclaration sans équivoque, bien que le projet de loi ne contienne pas de clause en ce sens. Il déclarait, à la page 4:
Aucune donnée génétique ne sera communiquée, que la demande provienne du Canada ou d'un pays étranger.
Comment pouvons-nous nous assurer, dans l'intérêt du public, que cet engagement aura force de loi?
Un engagement a été pris. Personne ne le conteste. Vous avez aussi pris un engagement équivalent en déclarant:
Qui plus est, la GRC conclura un accord seulement si l'autre pays s'engage à ne pas révéler de renseignements personnels sur des Canadiens.
Nous comprenons votre désir de conserver les échantillons dans la banque; toutefois, en l'absence de toute exigence législative en ce sens, comment pouvons-nous donner aux Canadiens l'assurance que les échantillons génétiques seront conservés dans la banque en vertu de la loi?
M. MacAulay: J'ai cru comprendre, honorables sénateurs, que cela avait été abordé dans le projet de loi. Je laisserai M. DuBrule répondre.
M. Paul DuBrule, directeur, Services juridiques, ministère du Solliciteur général du Canada: Les paragraphes 6(3) et 6(4) du projet de loi précisent que l'information qui sera divulguée est celle qui est contenue dans les profils d'identification génétique. Il ne s'agit pas d'échantillons. Les échantillons ne traverseront pas les frontières.
Cette question est prévue. Le commissaire peut communiquer le profil d'identification génétique contenu dans le fichier de criminalistique. Le profil peut être communiqué à un État étranger à la discrétion du commissaire lorsque cela peut permettre d'identifier un suspect grâce à des substances corporelles trouvées sur la scène d'un crime. On peut établir une correspondance entre le profil établi au Canada et le profil établi à l'étranger.
Le sénateur Grafstein: J'ai quelques réserves à ce sujet. Peut-être pourrez-vous éclairer ma lanterne. Dans le projet de loi, le profil d'identification génétique est défini ainsi:
«profil d'identification génétique» Résultats de l'analyse génétique.
Je ne voudrais pas commencer une querelle, mais il ne semble y avoir aucune restriction à la divulgation du profil d'identification génétique. Il manque apparemment de précision.
Je ne veux pas contester l'intégrité de la GRC. La question est de nature législative. Beaucoup de Canadiens craignent que leur profil d'identification génétique ne soit pas utilisé uniquement à des fins d'identification de criminels. Je suis heureux que le commissaire ait jugé utile de faire une déclaration aussi claire. Toutefois, le projet de loi ne semble pas confirmer sa déclaration.
J'aimerais que vous nous expliquiez la définition et l'article 6.
M. DuBrule: L'article 6 renvoie au profil d'identification génétique, ce qui n'est pas l'échantillon. C'est, si vous voulez, l'étiquette.
Le sénateur Grafstein: Votre définition est plus large que cela.
Je comprends ce que veulent dire «profil» et «échantillon». Cependant, à mon sens, la définition n'est pas claire. C'est celle-ci:
«profil d'identification génétique» Résultats de l'analyse génétique.
À mon avis, elle est plus large. Corrigez-moi si je me trompe.
Madame la présidente, pour être juste envers le ministre, je dois dire que je ne l'ai pas informé à l'avance parce que je n'ai reçu les renseignements que ce matin. Je n'aurais donc pas d'objection s'il voulait consulter ses fonctionnaires avant de répondre.
J'ai d'autres questions, mais, pour être juste envers les autres, j'aimerais les garder en réserve et revenir lorsqu'il sera question du comité consultatif.
Le sénateur Andreychuk: Je suis préoccupé par la façon dont la banque de données génétiques fonctionnera au Canada. En tant que ministre, vous engagez-vous à demander un rapport annuel sur son fonctionnement et à déposer ce rapport au Parlement?
M. MacAulay: Nous aurons un comité consultatif. De plus, un comité du Sénat et un comité de la Chambre des communes ont aussi le pouvoir d'examiner la loi après cinq ans.
Le sénateur Andreychuk: Le pouvoir exclusif de gérer et de contrôler la banque de données est un mandat très délicat que nous confions à la GRC. Il y aura une période d'implantation de 18 mois, suivie d'un examen cinq ans plus tard. Il me semble que nous avançons sur un terrain si nouveau qu'il faudrait que la GRC ait davantage de comptes à rendre au ministre et le ministre lui-même au Parlement. Il faudrait une forme ou une autre d'examen annuel. Ne le reconnaissez-vous pas?
M. MacAulay: J'ai compris que le commissaire avait indiqué ce matin qu'il serait très heureux de produire un rapport annuel.
Le sénateur Andreychuk: Si je me souviens bien, le commissaire de la GRC s'est dit très désireux de faire en sorte que tout le monde soit rassuré au sujet de la banque de données. Si j'ai bien compris, il présenterait son rapport au ministre.
Le sénateur Grafstein: Ce n'est pas le souvenir que j'en ai, mais ne veux pas contredire mon collègue.
M. MacAulay: En toute équité, je dois reconnaître que le commissaire de la GRC a, pour le moment, la responsabilité des échantillons de substances corporelles. Il assume cette responsabilité depuis quelques années déjà et il n'y a jamais eu de problèmes. Personne n'a été condamné en raison de la communication indue d'information. Le commissaire de la GRC a une excellente fiche à cet égard. J'ai cru comprendre qu'il avait fait savoir qu'il présenterait un rapport annuel.
Le sénateur Andreychuk: Est-ce à vous ou au Parlement qu'il présenterait ce rapport?
M. MacAulay: À moi et je le déposerais évidemment au Parlement.
Le sénateur Andreychuk: Je ne pense pas qu'il a dit cela.
Le sénateur Kinsella: Le commissaire de la GRC n'est pas un mandataire du Parlement. Par conséquent, c'est à vous qu'il doit présenter son rapport, puis c'est à vous de le présenter au Parlement.
M. MacAulay: Il me le soumettrait et je devrais ensuite le soumettre au Parlement. Je crois que cela suffirait à calmer les appréhensions de le sénateur Andreychuk.
Le sénateur Andreychuk: Oui. Nous savons que, lorsque nous communiquons de l'information à d'autres, ils peuvent prendre des engagements. Cependant, nous ne savons pas trop ce qu'ils font de cette information, comme nous l'avons vu dans le cas des passeports. D'autres corps policiers n'ont peut-être pas d'obligations aussi strictes que les nôtres.
Si un autre corps policier faisait une utilisation indue de l'information que nous lui communiquons, à défaut d'annuler les ententes que nous avons avec lui, ce qui irait à l'encontre de nos objectifs, de quel remède disposerait le Canada?
M. MacAulay: Au fil des ans, nous avons souvent traité à un haut niveau avec des corps policiers de pays étrangers, dans d'autres secteurs, et nous n'avons jamais constaté d'abus. Il est vrai qu'il s'agit en l'occurrence d'un sujet très délicat, mais nous n'avons pas vraiment de raisons de nous inquiéter. Nous serons très prudents. Nous devons avoir des ententes avec les corps policiers étrangers avec qui nous échangeons de l'information. Étant donné notre expérience dans d'autres domaines, nous ne doutons pas que les gouvernements étrangers utiliseront l'information de façon très responsable.
Seul le nom sera divulgué.
Le sénateur Andreychuk: Y aura-t-il de nouvelles dispositions, pratiques ou formalités pour surveiller cet échange d'information?
M. MacAulay: Nous créerons un groupe consultatif pour surveiller la situation. Un très petit nombre de personnes auront accès à l'information au Canada même. Cette information sera traitée de façon très responsable, par un petit groupe de personnes, mais il est évident que ce groupe sera beaucoup plus grand lorsque la banque aura été établie. Il convient de préciser que, depuis un certain nombre d'années déjà, le commissaire de la GRC a réussi à protéger et à gérer cette information de façon très professionnelle.
Le sénateur Andreychuk: J'en resterai là. À mon sens, il ne faudrait pas que cette nouvelle banque de données finisse par être vue comme un outil banal comme bien d'autres. Elle contiendra de l'information très délicate. Nous ne devons pas donner carte blanche au comité consultatif, mais vous, en tant que ministre, devez vous assurer que les méthodes voulues sont suivies et vous devez en surveiller l'application. Les problèmes ne surgissent jamais au début, mais plus tard, lorsque, à force d'habitude, un système est devenu un outil ordinaire, banal.
M. MacAulay: Vous avez raison, madame le sénateur. Je prends bonne note de votre mise en garde. Nous aurons ce comité. Le commissaire me fera rapport et je déposerai le rapport au Parlement. Nous prendrons toutes les précautions que nous pouvons. Il ne s'agit pas d'un système ordinaire, anodin. Je suis ici depuis deux semaines, mais les gens travaillent à ce dossier depuis deux ans et demi. Ce n'est pas quelque chose qui a été fait à la légère. On a procédé avec prudence, comme il se doit.
Le sénateur Nolin: Nous vous sommes reconnaissants de tenir compte de nos préoccupations et de vous être engagé à présenter un nouveau projet de loi dans les 18 mois.
Comme je l'ai dit en privé à mes collègues ce matin, nous appuierons votre projet de loi dans sa forme actuelle en raison de votre engagement public informel de présenter un autre projet de loi pour éliminer les sujets de préoccupation que nous avons soulevés pendant les audiences de notre comité.
Comme nous l'ont dit les spécialistes du service des laboratoires judiciaires de la GRC, la technologie progresse rapidement. Une des nos préoccupations -- qui a aussi été exprimée à la Chambre des communes -- c'est la destruction des profils. Les échantillons pourront être détruits, comme il est déjà mentionné dans le projet de loi, mais les profils ne le seront pas en raison des coûts et de certains détails techniques.
Nous espérons que, au cours des 18 prochains mois, et avant que vous présentiez votre projet de loi, de nouvelles techniques auront été mises au point pour que les profils puissent être détruits avec les échantillons. Si votre nouveau projet de loi peut régler ce détail, nous aimerions en être informés.
J'ai une question à poser au sujet d'un problème de protection de la vie privée puisque les profils seront conservés et pourront être consultés. Même s'il est précisé dans le projet de loi que le lien entre un individu et un profil donné sera coupé, le profil continuera d'exister.
Si la seule raison de conserver ce profil est une raison de coûts, j'espère, monsieur le ministre, que vous exigerez que les spécialistes recherchent un moyen de détruire les profils.
M. MacAulay: Tout ce que je peux vous dire, c'est que nous examinerons la question.
Le sénateur Nolin: Ce matin, quelqu'un a soulevé une question au sujet de l'article 11 du projet de loi, qui a trait aux actes criminels passibles d'un emprisonnement maximal de deux ans. Personnellement, je trouve cela trop peu.
Dans la liste des infractions désignées secondaires, on ne trouve qu'un seul crime pour lequel l'emprisonnement est d'une durée inférieure à cinq ans. J'ignore quel est le terme anglais pour «proxénétisme», mais si vous êtes le père d'une jeune âgé entre 14 et 18 ans et que vous en êtes le proxénète, vous êtes passible d'une peine maximale de deux ans. C'est la seule infraction de la liste qui est passible d'une peine inférieure à deux ans.
Je ne vois pas d'un bon oeil que le gouvernement crée une infraction qui n'est passible que d'une peine maximale de deux ans. Selon la description faite de cette infraction, la plupart des personnes qui s'en rendront coupables sont des personnes travaillant pour la GRC. Nous voulons que ces gens comprennent qu'ils ne doivent sous aucun prétexte être tentés d'enfreindre la loi.
Reconnaissez-vous que deux ans, c'est trop court?
M. MacAulay: Sénateur, comme vous le savez, on parlait à l'origine de six mois, mais nous avons fait passer la peine à deux ans. Il n'y a jamais eu une telle infraction.
Selon le Code criminel, les auteurs de cette infraction peuvent aussi être accusés d'abus de confiance, ce qui, si j'ai bien compris, peut être plus grave. Mais ça ne se limite pas à cela.
Le sénateur Nolin: Une autre infraction selon le Code criminel est l'interception non autorisée de communications. Il s'agit d'un crime passible d'une peine de cinq ans, qui n'est pas une peine minimale. C'est donc un crime grave. Nous parlons ici de protection de la vie privée.
J'essaie de comparer l'infraction que vous avez créée dans le projet de loi avec d'autres infractions déjà prévues dans le Code criminel. À mon sens, il y a déséquilibre. L'abus de confiance est grave et est déjà prévu. Il est important que le Parlement fasse bien comprendre aux gens qui pourraient être tentés de faire des choses qui ne sont pas expressément permises dans le projet de loi qu'ils s'exposent à de graves conséquences.
Je soulève cette préoccupation et je suis sûr que vous serez d'accord avec moi.
M. MacAulay: Sénateur, comme vous le savez, un très petit nombre d'agents de la GRC s'occuperont des échantillons. Ils peuvent être poursuivis en vertu du Code criminel pour abus de confiance et risquent vraisemblablement de perdre leur emploi. Les conséquences vont bien plus loin que les deux ans d'emprisonnement et cela est très clair.
Le sénateur Nolin: J'ai une autre observation au sujet de l'examen après cinq ans.
Nous avons récemment été saisis du projet de loi C-25, concernant la Loi sur la défense nationale et les cours martiales. Nous avons amendé la disposition du projet de loi prévoyant un examen cinq après son entrée en vigueur. Le projet de loi C-25 introduisait un nouveau modèle de cours martiales et un nouveau processus judiciaire à la Défense nationale. Nous avons convenu que l'examen serait fait par un organisme indépendant parce qu'il s'agissait d'un nouveau système spécialisé. De plus, nous devons atteindre un équilibre entre différentes conceptions fondamentales. En plus de l'examen, un rapport sera déposé devant les deux Chambres du Parlement.
Accepteriez-vous un processus semblable?
M. MacAulay: Voulez-vous dire à chaque année?
Le sénateur Nolin: Tous les cinq ans.
M. MacAulay: Il y aura un examen au cours de la cinquième année. Craignez-vous qu'il n'y en ait plus par la suite?
Le sénateur Nolin: Ce qui me préoccupe, ce sont les progrès technologiques rapides.
M. MacAulay: Vous savez que le commissaire me présentera un rapport chaque année et pas tous les cinq ans, sur les activités liées à la banque, et que ce rapport sera déposé.
Le sénateur Nolin: Est-ce que le commissaire de la GRC fera spécifiquement rapport sur la Loi sur l'identification par les empreintes génétiques ou sur son administration en général?
M. MacAulay: Nous voulons faire en sorte que tout reste confidentiel et fonctionne le mieux possible. Si on examine toute la question globalement, il n'y a rien de nouveau compte tenu du mandat du commissaire de la GRC, qui est déjà très vaste. Très peu de gens auront accès à la banque. Les peines -- et je sais que vous n'êtes pas d'accord là-dessus -- sont sévères en cas d'infraction. Très peu de personnes auront accès à la banque et, jusqu'à maintenant, nous n'avons jamais eu de problèmes à cet égard. Cela ne signifie pas que nous n'en aurons jamais, mais je crois que nous avons prévu des garde-fous raisonnables. Je sais cependant que vous n'êtes pas entièrement satisfait.
Le sénateur Nolin: Je suis satisfait en ce qui concerne l'examen. Si nous voulons un bon examen, il doit être fait par un organisme indépendant. Il devrait y avoir un rapport sur cet examen et le rapport devrait être étudié au Parlement.
M. MacAulay: Nous avons aussi un comité consultatif.
Le sénateur Nolin: Accepteriez-vous que le comité consultatif soit expressément prévu dans le projet de loi?
M. Jean Fournier, sous-ministre, ministère du Solliciteur général du Canada: Honorables sénateurs, d'après ce que j'ai compris, le commissaire de la GRC, Phillip Murray, s'est engagé devant vous ce matin à inclure l'examen dans le règlement.
Le sénateur Grafstein: C'est ce que nous avons demandé, et il a répliqué en demandant de la souplesse au cas où il voudrait modifier les structures.
Le sénateur Nolin: Je parle d'un concept fondamental qui est l'existence d'un conseil consultatif. Je suis entièrement d'accord avec le commissaire lorsqu'il dit que nous ne devrions pas le forcer à revenir ici pour créer un tel conseil. Cependant, j'estime que la création, l'existence d'un tel organisme est cruciale.
Nous pourrions aborder cette question lorsque vous présenterez votre projet de loi modificatif. Je serai heureux d'examiner la question à ce moment-là.
M. MacAulay: Merci, sénateur.
Le sénateur Joyal: Tout d'abord, je voudrais féliciter le ministre. En dépit du fait que vous veniez tout juste d'être nommé à votre poste, vous n'avez pas tardé à assumer pleinement vos nouvelles responsabilités et vous avez pris d'importantes initiatives à l'égard du projet de loi à l'étude. Si c'est là une indication de la façon dont vous entendez faire les choses, le comité s'en réjouira.
Dans votre allocution d'introduction, vous avez mis le doigt sur la principale préoccupation des membres du comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles. Il s'agit de l'atteinte d'un équilibre entre les droits des Canadiens à la protection de leur vie privée lorsqu'ils sont accusés d'une infraction et lorsqu'ils sont condamnés, et le droit de la société canadienne dans son ensemble à être protégée. Nous nous sommes arrêtés à toutes les étapes de la mise en oeuvre de la future loi et à toutes les définitions qu'elle contient pour que cet équilibre soit atteint et préservé. Après le témoignage du commissaire de la GRC, entendu ce matin, et celui du commissaire à la protection de la vie privée, vous comprendrez que le règlement qui sera adopté en vertu de la loi sera capital pour l'atteinte de cet équilibre.
Le règlement deviendra une partie intégrante du projet de loi. Pour calmer nos appréhensions et adopter un projet de loi pouvant résister à toute contestation devant un tribunal, notamment à la lumière de la Constitution, ne conviendrait-il pas de soumettre le règlement à notre examen afin que nous puissions vous donner un avis avant son adoption? Grâce à nos importants travaux des dernières semaines -- et je ne prétends pas que nous soyons des experts de la question --, on a répondu à nos principales préoccupations.
Pour donner suite aux discussions qui suivront la présentation du projet de loi dont vous avez parlé dans votre introduction, pourriez-vous nous envoyer l'ébauche du règlement d'application?
Nous l'examinerions certainement aussi vite que nous le faisons dans ce cas-ci. Nous voulons nous assurer que le mécanisme en place pour contrôler la loi satisfait à notre objectif de maintenir l'équilibre entre les droits de la personne et ceux de la société. Est-ce quelque chose que vous pourriez envisager?
M. MacAulay: Oui, sénateur, c'est certainement possible. Le règlement fera l'objet d'une publication préliminaire. Je puis vous assurer que vous le recevrez et que vous pourrez le commenter et l'évaluer.
Le sénateur Joyal: Madame la présidente, le Sénat doit charger notre comité d'étudier le règlement si nous voulons en faire un examen en règle. Cette mise en garde étant faite, je félicite le ministre de sa souplesse et de l'intérêt qu'il manifeste à la question.
Une grande partie de nos préoccupations, par exemple l'«information génétique» et les peines imposées à la suite d'une infraction, pourraient être traitées d'une manière ou d'une autre dans le règlement d'application. Si nous pouvons contribuer équitablement et sérieusement à son élaboration, comme nous l'avons fait avec l'aide de vos spécialistes depuis le début de nos discussions, nous pourrons maintenir l'équilibre que nous voulons absolument avoir. Nous ferons certainement l'impossible pour garantir que nous ne retarderons pas la mise en oeuvre du projet de loi.
M. MacAulay: Merci, sénateur. Quand je suis devenu ministre, j'ai eu la chance de témoigner au comité plénier du Sénat concernant une loi sur le retour au travail. On m'avait dit que j'en aurais pour 15 minutes. Deux heures et demie plus tard, je puis vous assurer que je connaissais très bien cette loi.
Je sais bien à quel point le Sénat travaille sérieusement. Inutile d'insister sur vos connaissances dans ces domaines. Je ne me présenterais pas devant vous sans m'être bien préparé.
Le sénateur Grafstein: Pour ce qui est de ma question précédente, si vous aviez une réponse courte, elle pourrait être utile.
Mme Yvette Aloisi, directrice générale, Direction de la police et de l'application de la loi, ministère du Solliciteur général du Canada: Madame la présidente, j'ai consulté mes collègues de la GRC, et ceux-ci m'ont dit que la définition du projet de loi C-3 est conforme à celle qui sert aux fins des mandats. La définition de l'analyse génétique est pertinente dans le contexte de l'application de la loi, et non à des fins médicales. Je crois comprendre que cela vous pose des difficultés. Si vous le voulez, nous sommes disposés, de concert avec la GRC, à préciser ce qu'on entend par «profil d'identification génétique» dans le règlement d'application, à dire que ce qu'on entend par cela n'est pas un profil pour des raisons médicales, mais uniquement pour des fins médicolégales, autrement dit aux fins de l'application de la loi.
Le sénateur Grafstein: Le règlement comporterait donc une interdiction.
Mme Aloisi: Oui.
Le sénateur Grafstein: Passons rapidement à un autre sujet. Celui-ci a été soulevé par le sénateur Nolin. Comme celui-ci l'a dit avec raison, le comité a à coeur de ne pas empêcher la poursuite des travaux sur ce projet de loi, mais d'essayer quand même de le rationaliser et de le moderniser. C'était la principale raison de notre amendement au système de justice pénale réclamant un examen tous les cinq ans.
Étant donné ce qu'en a dit le commissaire, qui a reconnu que la technologie progressait encore plus vite qu'il ne l'avait imaginé, étant donné également qu'il sera, au bout du compte, le haut fonctionnaire responsable, l'idée d'un examen quinquennal est une chose que votre ministère et vous-même pourriez envisager, monsieur.
Je le dis parce que nous ne savons pas, pour le moment, jusqu'où ira cette mesure législative, ni quelles sont ses limites. Le ministère ne le sait pas. Le commissaire responsable ne le sait pas non plus. J'ai écouté attentivement le commissaire, et je pense qu'une telle disposition conviendrait. Si je me trompe, nos collaborateurs pourront me corriger.
Le commissaire a dit qu'il s'engageait à consacrer tous les ans une section de son rapport général aux enquêtes réalisées à l'aide des empreintes génétiques. Toutefois, nous savons d'expérience qu'un rapport ne fournit pas suffisamment d'information pour nous permettre de voir si ce système fonctionne adéquatement et s'il répond à nos préoccupations sur le plan de la protection des renseignements personnels.
M. MacAulay: Je puis vous assurer que nous étudierons la question.
Le sénateur Grafstein: Vous aurez le temps d'y penser d'ici à la prochaine modification de la loi. Nous espérons que vous examinerez cette proposition très favorablement, parce que ce serait bon pour vous, pour le Parlement et pour la population de savoir que la protection des renseignements personnels préoccupe les parlementaires canadiens. La protection des renseignements personnels est un enjeu national. Il ne suffit pas d'en parler. Le Parlement doit avoir l'obligation de réviser régulièrement la situation à cet égard. C'est pourquoi je vous suggère de l'inscrire éventuellement dans la loi. C'est certainement une recommandation que je formulerai dans notre rapport.
M. MacAulay: Je suis heureux que vous ayez soulevé cette question, sénateur.
La présidente: S'il n'y a pas d'autre question, je vous remercie, monsieur le ministre, d'avoir été si attentif aux préoccupations soulevées par le comité. Vous et vos collaborateurs du ministère ont fait du très bon travail. Je vous donne l'assurance que nous ne désirons pas nous attaquer à la loi ou au ministère. Nous essayons de collaborer avec vous de façon non partisane pour faire en sorte de protéger les droits des Canadiens.
La séance est levée.