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Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule 49 - Témoignages pour la séance de l'après-midi


OTTAWA, le mercredi 9 décembre 1998

Le comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel a été renvoyé le projet de loi C-42, Loi modifiant la Loi sur le tabac, se réunit aujourd'hui à 16 heures pour étudier ledit projet de loi.

Le sénateur Lorna Milne (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente: Honorables sénateurs, je constate que le quorum est atteint. Cette séance du Comité des affaires juridiques et constitutionnelles est maintenant ouverte.

Nous sommes saisis du projet de loi C-42, la Loi modifiant la Loi sur le tabac. Nous premiers témoins représentent Santé Canada. Il s'agit de Michael O'Neill, analyste principal des politiques à l'Unité de la politique et de la coordination du tabac, qui relève de la Direction générale des politiques et de la consultation. Il est accompagné de M. Chris McNaught, conseiller juridique principal.

Les sénateurs ne sont pas tous arrivés, car le Sénat siège encore, mais si vous voulez bien vous présenter ou commencer votre exposé, monsieur O'Neill, vous avez la parole.

[Français]

M. Michael A. O'Neill, analyste principal des politiques, Unité de la politique et de la coordination du tabac, Division des politiques et de la santé, Direction générale des politiques et de la consultation, Santé Canada: Madame la présidente, je vous remercie de votre invitation à venir comparaître ici. Je suis accompagné, comme madame la présidente l'a mentionné, de M. Chris McNaught, qui est conseiller juridique principal du ministère de la Justice du Canada, attaché au ministère de la Santé. La présentation sera donnée essentiellement par moi-même. M. McNaught est là toutefois pour m'assister pour les questions qui pourraient survenir.

J'aimerais aussi mentionner, comme plusieurs de vos témoins l'ont fait aujourd'hui, que l'avis concernant ces comparutions m'est venu très tôt ce matin, et que, par conséquent, mes commentaires seront très brefs. Je préfère me concentrer sur mes réponses à vos questions, et M. McNaught aussi.

Nous sommes ici pour étudier le projet de loi C-42, une loi visant à amender la Loi sur le tabac. Comme vous le savez sûrement, la Loi sur le tabac sera modifiée pour que dans cinq ans, c'est-à-dire en l'an 2003, entre en vigueur une interdiction de faire figurer l'élément de marque d'un produit du tabac sur du matériel de promotion de commandite.

Toutefois, la loi a été préparée ou écrite de telle façon qu'elle donne davantage de temps aux groupes qui bénéficient présentement des commandites des compagnies de tabac de se réajuster à ces nouvelles mesures, à cette interdiction. La modification proposée dans la loi entrera en vigueur en trois phases. Au cours de la première phase, qui débutera le 1er octobre, 1998 et se terminera le 30 septembre de l'an 2000, il y aura une période de statu quo, c'est-à-dire que tous les événements qui bénéficient présentement de commandites des compagnies de tabac -- on peut parler par exemple du Grand Prix ou du Festival Juste pour Rire à Montréal pour ne citer que ces derniers -- puissent bénéficier d'un statu quo. Cela signifie que ces événements pourront continuer à bénéficier des commandites des compagnies de tabac, et pourront faire la promotion de ces commandites sans aucune restriction. Je le répète, ils seront libres de faire de la promotion sur le site même de l'événement ainsi qu'à l'extérieur du site, donc dans des publications, et cetera.

Pour ce qui est de la deuxième phase du projet de loi, qui doit débuter le 1er octobre de l'an 2000 et se terminer le 30 septembre 2003, nous aurions un statu quo sur les promotions, qui pourront se poursuivre sur le site des manifestations et activités commanditées, c'est-à-dire que les éléments de marque d'un produit du tabac pourraient encore figurer sur le matériel de promotion de commandite partout sur le site des manifestations qui avaient lieu avant une date prescrite dans la loi.

On parle donc ici de promotions qui pourront se faire sur le site pendant la durée de l'activité ou pendant une durée qui sera prévue par règlement.Les restrictions de la Loi sur le tabac visant la promotion de commandite à l'extérieur du site, toutefois, entreront en vigueur à compter du 1er octobre de l'an 2000. Les promotions de commandite à l'extérieur du site seraient donc autorisées uniquement dans des publications qui sont expédiées par le courrier à un adulte défini par son nom, donc dans des publications dont un pourcentage réglementaire de lecteurs est constitué par des adultes et, enfin, dans les bars et les tavernes ou tout autre endroit dont l'accès est interdit aux jeunes par la loi.

Enfin, nous arrivons à la troisième phase de la modification, qui entrera en vigueur le 1er octobre de l'an 2003. Après cette date, la Loi sur le tabac interdirait les promotions de commandite sur le site et à l'extérieur du site de tout événement. Il serait donc interdit que les éléments de marque de produits du tabac figurent sur le matériel de promotion ou de commandite sur le site, comme en dehors du site.

Dans le projet de loi, il y a des mesures de droits acquis, qui sont communément appelés en anglais le «grandfathering». Ces trois mesures, qui ont d'ailleurs été modifiées lors de l'examen de cette loi devant le comité permanent de la Chambre des Communes, ont eu pour but de restreindre les droits acquis. Nous parlons donc maintenant d'événements qui devront avoir existé au Canada, et pour lesquels la promotion de l'événement ou l'usage de matériel promotionnel avec un élément provenant d'une marque d'une compagnie de tabac ait été visible ou ait été utilisé entre le 25 janvier 1997 et le 25 avril 1998. Cela signifie une période de 15 mois.

Ces deux modifications, ainsi qu'une troisième, qui spécifie les dates d'entrée en vigueur des trois phases que je viens de décrire, ont été ajoutées, comme je le disais précédemment, lors de l'examen du comité permanent, conformément aux recommandations qui avaient été faites par plusieurs ONG, comme par exemple la Société canadienne du cancer. Ce sont des mesures qui rejoignent les droits acquis, qui consolident les visées et les buts de la loi et restreignent encore la rigidité de certains éléments de marque de produits du tabac.

Finalement, pour les événements qui n'auront pas bénéficié d'un droit acquis, tous ces éléments seront sujets aux règlements et prescriptions de la Loi sur le tabac, telle qu'adoptée le 25 octobre 1997, c'est-à-dire que toutes les promotions seront limitées à la formule du 90-10. On parle toujours d'une formule où le nom ou l'élément de marque d'une compagnie de tabac ne devra apparaître que dans le 10 p. 100 inférieur de toute affiche ou publicité pour un événement, et serait en plus limité aux trois critères que j'ai mentionnés plus tôt, et que je vais maintenant répéter: des publications qui sont expédiées à un adulte identifié; des publications dont au moins le pourcentage réglementaire de lecteurs sont des adultes; et enfin, dans des endroits auxquels les jeunes n'ont pas accès.

Finalement, la modification proposée dans le projet de loi C-42 empêcherait l'utilisation de noms ou d'éléments de marque d'une compagnie de tabac dans le nom d'une installation permanente. On pourrait penser ici à des installations telles que le Théâtre du Maurier à Toronto ou tout autre du genre.

Donc, à compter de l'an 2003, suivant aussi l'échéancier prévu dans le projet de loi C-42, il sera interdit d'utiliser des noms de marque ou des éléments de marque dans le nom d'installations sportives ou culturelles permanentes.

Je crois que c'est là l'essentiel de mes commentaires. Je suis maintenant prêt à répondre à vos questions, tout comme mon collègue.

[Traduction]

Le sénateur Kenny: Je vois du bon et du moins bon dans ce projet de loi. Il a ceci de bon qu'il fait disparaître complètement la promotion. Par contre, cela va prendre du temps.

Je me demande si les groupes auxquels ce délai est accordé vont trouver d'autres sources de financement. Dans le cadre de vos consultations, y a-t-il des groupes qui vous ont assuré ou laissé entendre que ce délai de cinq ans sera suffisant?

M. O'Neill: Nous avons eu des discussions avec les membres de plusieurs groupes et des organisateurs d'événements qui sont membres d'une organisation connue sous le nom de Alliance for Sponsorship Freedom, ou Alliance pour la liberté dans le choix des commanditaires. Ils nous ont dit que le délai de cinq ans prévus dans le projet de loi était amplement suffisant pour leur permettre de trouver de nouveaux commanditaires. En fait, si vous vous reportez aux débats entourant le projet de loi initial, c'est-à-dire le projet de loi C-71, la plupart de ces groupes se plaignaient alors de manquer de temps. Le nouveau projet de loi leur donne du temps, mais il impose en même temps des restrictions à l'intérieur de ce délai, pour ne pas que ce soit la pagaille durant ces cinq années.

Le sénateur Kenny: Je m'étais d'abord inquiété, puis intéressé à cette une mesure législative prévoyant l'allocation décroissante de fonds à certains de ces groupes sur une période de cinq ans. Ce n'était pas tant une question d'argent à l'époque. En fait, ils m'avaient donné à penser qu'ils n'avaient pas de problème et n'en prévoyait pas avant des lunes. Ils semblaient penser que, de toute façon, le temps jouerait en leur faveur.

M. O'Neill: Je ne suis pas certain de comprendre votre question.

Le sénateur Kenny: La stratégie, d'après ce que j'en avais compris des groupes intéressés, consistait à se taire et à laisser braire; un gouvernement ou un autre finirait bien par venir à leur rescousse.

M. O'Neill: Je ne saurais commenter là-dessus, sauf pour dire que les groupes que nous avons rencontrés nous ont dit qu'ils collaborent avec le ministère afin de respecter le délai de cinq ans ainsi que les restrictions qui seront imposées pendant la deuxième phase. Nous avons discuté avec eux des aspects pratiques. Des agents du Bureau de contrôle du tabac, le service chargé d'appliquer la Loi sur le tabac, se sont joints à Chris et à moi, à Toronto entre autres, pour rencontrer les groupes locaux. Nous avons visité leurs installations et parlé de ce à quoi ressemblerait la situation quand viendraient ces phases. Dans l'ensemble, cela paraît vivable. C'est ce qu'ils nous ont laissé entendre. C'est tout ce que je peux dire, vraiment.

Le sénateur Kenny: Avez-vous abordé la question des plans d'urgence avec eux? Savez-vous s'ils prévoient des difficultés en ce qui concerne le respect du délai ou des exigences? Est-on venu vous consulter pour savoir comment régler les problèmes au moment où ils surgissent? Personne n'est-il venu vous demander si la loi, dans sa forme actuelle, accorde quelque pouvoir discrétionnaire au ministre ou au ministère? Peut-on, par quelque moyen que ce soit, outrepasser le délai fixé dans la loi à l'étude?

M. O'Neill: Je crois comprendre que, dans sa forme actuelle, la loi ne le permet pas.

Le sénateur Kenny: Est-ce aussi votre avis, comme avocat, monsieur McNaught? Est-il impossible pour quiconque d'outrepasser les délais tels qu'ils sont présentement définis dans la loi?

M. Chris McNaught, conseiller juridique principal (ministère de Justice), Santé Canada: Je n'aurais pas l'âge que trahit la couleur de mes cheveux, sénateur, si je ne concevais pas que toute mesure comporte des zones grises, et il me semble que ce projet de loi est loin d'être prêt à entrer en vigueur. Quoi qu'il en soit, l'esprit des dispositions, lui, tel que proposé au départ par le ministre responsable, est en vigueur. Le ministre l'a annoncé. J'en conclus donc qu'une certaine souplesse est possible dans l'administration des affaires en question. La loi prévoit, comme vous le savez, des dates fixes. La plupart des modifications visent à préciser le moment précis où doivent débuter les diverses phases et à traiter de points de détail plutôt que de marge de manoeuvre administrative ou de prérogative ministérielle. Je pense par exemple que le financement, qui n'est vraiment pas mon rayon, dépasse la portée de la loi proprement dite.

Le sénateur Kenny: Pourriez-vous développer pour nous votre pensée en ce qui concerne les zones grises ainsi que la marge de manoeuvre et les prérogatives ministérielles que vous pouvez voir et qui pourraient permettre un dépassement des délais?

M. McNaught: Il faudrait que je sois un meilleur candidat politique que je ne le suis, ce que je ne suis pas bien sûr, pour m'aventurer à répondre en toute bonne foi à votre question. Je peux seulement n'en tenir au document dont le comité est saisi, lire les clauses et dire qu'elles fixent certaines dates. Je suppose qu'il y a, dans la loi en question, la Loi sur le tabac, des éléments tels que des règlements qui ne sont pas en application. Il arrive que des dispositions administratives soient prises pour aider à faire respecter l'esprit, pas nécessairement la lettre, de la loi. Cela reste toujours possible, mais je ne saurais dire quels éléments de cette mesure-ci risquent d'être faussés ou mal interprétés.

La présidente: Sénateur Kenny, je sais que vous avez d'autres questions à poser, mais cela fait déjà quatre que vous posez. Peut-être pourrais-je revenir à vous après avoir fait un premier tour de table, à moins que souhaitiez poursuivre dans le même ordre d'idées.

Le sénateur Kenny: Je voudrais simplement tirer au clair le pouvoir discrétionnaire ou les zones grises auxquels M. McNaught a fait allusion. La loi laisse-t-elle une marge de manoeuvre ou non? Les témoins en ont-ils discuté? Comme le témoin a parlé de zones grises, j'ai voulu savoir quelles étaient ces zones grises.

Le sénateur Lynch-Staunton: Il est prévu dans la loi que le gouverneur en conseil peut prendre des règlements à ce sujet. Je pense que cette marge de manoeuvre ou ce pouvoir discrétionnaire du ministre font partie intégrante de la loi, pour qu'il puisse se montrer un peu plus généreux que le projet de loi à l'étude. Pourriez-vous expliquer à quoi rime le pouvoir du gouverneur en conseil de prendre des règlements?

M. McNaught: Voulez-vous dire par rapport à ce projet de loi en particulier et à la loi en général? Comme vous l'aurez sans doute remarqué, le pouvoir de réglementation du ministre dans ce domaine s'éteindra en l'an 2003; il sera en fait abrogé.

Ce que je dis là ne concorde peut-être pas avec la vision du projet de loi qu'a le ministre et dont il vous fera part lorsqu'il comparaîtra devant vous, plus tard dans la journée. Je suis certain que, suivant les déclarations publiques qu'il a faites jusqu'ici, le ministre considère qu'il s'agit d'une mesure législative très transparente. Elle énonce la politique qu'il propose ainsi que les dispositions en régissant la mise en oeuvre.

Le sénateur Lynch-Staunton: La loi prévoit-elle que le gouverneur en conseil puisse, pour quelque raison que ce soit, reculer la date limite de 2003?

M. McNaught: Aucune disposition ne le prévoit.

Le sénateur Lynch-Staunton: Je veux savoir si le gouverneur en conseil peut le faire en prenant un règlement. Nous n'avons que les amendements au projet de loi C-71, et je veux savoir ce que le gouverneur en conseil est habilité à faire. Quel règlement pourrait-il prendre qui aurait pour effet de modifier les délais dont nous parlons ici, soit un délai de deux ans et un autre de trois ans, pour aider une partie ou une autre, qui pourrait se sentir injustement pénalisée par ces dispositions.

M. McNaught: Je vais vous expliquer ce que je comprends. Ne prenez pas ce que je vais vous dire pour un avis juridique, car je ne suis pas en mesure de vous en fournir un.

Le sénateur Lynch-Staunton: Sans vouloir vous offenser, n'êtes-vous pas ici pour fournir des précisions au sujet des considérations juridiques?

M. McNaught: Je suis ici pour seconder le représentant de Santé Canada.

Le sénateur Lynch-Staunton: Je pensais que vous étiez ici pour nous seconder. Je veux absolument savoir quelle importance ou incidence a le droit du gouverneur en conseil de prendre des règlements. Celui-ci peut-il prendre un règlement qui aurait pour effet de prolonger ou de modifier autrement le délai de cinq ans?

M. McNaught: Je ne le crois pas.

Le sénateur Lynch-Staunton: Je m'excuse, mais cette réponse ne m'en dit pas assez. Peut-il ou ne peut-il pas modifier les délais?

M. McNaught: Je crois savoir que le comité a un conseiller juridique.

La présidente: Si monsieur ne peut pas répondre, il ne le peut pas.

Le sénateur Kenny: Si d'autres sénateurs partagent cette préoccupation, le Sénat a effectivement accès aux services d'un conseiller juridique. Pourrions-nous demander l'avis du conseiller juridique à ce sujet? Je croyais, moi aussi, que nous ce monsieur allait répondre à nos questions du point de vue juridique. Si cela n'est pas possible, nous pouvons demander à notre propre conseiller juridique de venir nous dire s'il pense que ce projet de loi est étanche ou pas, pour reprendre l'expression du sénateur Joyal; cela s'est déjà vu.

La présidente: La question est légitime. Nous allons voir ce que nous pouvons faire.

Le sénateur Bryden: À la lecture de la modification, il m'apparaît que les délais sont très précis. Les dates sont très précises. J'aimerais faire une observation se fondant sur ce que je connais des pouvoirs de réglementation dont jouit le gouverneur en conseil en vertu d'une mesure législative. Il peut prendre des règlements, mais n'importe lesquels; ceux-ci ne peuvent pas être incompatibles avec les dispositions de la loi. À mon avis, des règlements peuvent être pris, mais les dates et les délais prescrits dans le corps de la loi ne peuvent pas être prolongés ou autrement modifiés.

Le sénateur Kenny: C'était justement ce que j'espérais, sénateur Bryden. J'aurais aimé l'entendre de la bouche des témoins.

M. McNaught: Je suis aussi de cet avis. C'est en tout cas ainsi que, personnellement, je comprends la loi en ce qui concerne les pouvoirs réglementaires. Le gouverneur en conseil ne peut pas changer des dispositions de fond. Un dernier point: il est déjà prévu que le pouvoir de réglementation soit abrogé automatiquement le 1er octobre 2003.

Le sénateur Lynch-Staunton: J'ai une note d'un de nos recherchistes disant qu'il convient de noter que la date limite du 1er octobre 2003, après laquelle il ne sera plus permis de faire de la publicité, pourrait être reportée dans quelques cas précis. Une personne qui s'est penchée sur ce projet de loi en est venue à cette conclusion. Il serait important que les promoteurs de ce projet de loi confirment s'il est possible ou non de prolonger les délais. Si tel est le cas, nous ne parlons plus du projet de loi tel qu'il nous a été présenté.

La présidente: Si je puis me permettre, et corriger-moi si j'ai tort, le rôle du conseiller juridique su Sénat n'est pas de faire des commentaires sur les projets de loi du gouvernement. Il faudrait plutôt demander au ministère. Nous devrions lui demander qu'il comparaisse accompagné de son conseiller juridique.

Le sénateur Kenny: Avec votre permission, puisque le ministre n'arrivera que plus tard, pourrait-on lui envoyer une note pour lui demander d'amener un avocat avec lui?

La présidente: Nous pouvons certainement faire ça.

M. McNaught: Sauf votre respect, madame la présidente, j'ai déjà fourni toutes les réponses. L'honorable sénateur Lynch-Staunton a soulevé pour la première fois, du moins à notre connaissance -- et je parle au nom du client aussi -- la question du prolongement et de l'abrogation, qui semble être coulée dans le béton législatif. Elle n'avait encore jamais été portée à notre attention. Nous allons l'examiner de nouveau.

La présidente: Je suis certaine que vous allez trouver une réponse à nous donner.

Le sénateur Fraser: J'ai une question complémentaire. Je ne vois pas à quelle clause vous faites allusion quand vous dites que le gouverneur en conseil peut prendre des règlements pour prolonger le délai. Tout ce que je peux voir, c'est ce passage du paragraphe 66(1) qui porte que le gouverneur en conseil peut fixer les délais avant le 1er octobre 1998. Y a-t-il une autre disposition pertinente?

La présidente: Je pense que c'est l'article 33 de la Loi sur le tabac.

Le sénateur Kenny: C'est le sénateur Lynch-Staunton qui a parlé d'articles précis. Ma question à moi était de nature générale. Sans vous reporter à un article précis, pourriez-vous me dire quel élément de ce projet de loi pourrait être modifié?

Le sénateur Lynch-Staunton: Je vais changer de sujet alors. Comme nous avons pu le constater au cours du long débat sur le projet de loi C-71, celui-ci a pour but de décourager le tabagisme, surtout chez les jeunes. Avez-vous des statistiques aussi récentes que possible pour nous faire voir l'ampleur du phénomène chez les jeunes Canadiens au cours des cinq dernières années?

Pouvez-vous établir des rapports entre le phénomène du tabagisme, quelle qu'en soit l'ampleur, et le projet de loi C-71 et son prédécesseur, le projet de loi C-51 je crois, que la Cour suprême a annulé?

M. O'Neill: Permettez-moi de parler d'abord de la consommation. Santé Canada dispose de chiffres à l'appui des statistiques courantes que voici.

Quelque 29 p. 100 des jeunes de 15 à 19 ans et 14 p. 100 des jeunes de 10 à 14 ans fument.

D'après une enquête nationale sur la santé de la population, le nombre de fumeurs dans la catégorie des 15 à 19 ans a augmenté de 25 p. 100 depuis 1991. Environ 85 p. 100 des fumeurs ont commencé à fumer avant leur 16e anniversaire.

Le sénateur Lynch-Staunton: Autrement dit, l'usage du tabac chez les jeunes a augmenté ces dernières années, malgré tous les efforts déployés pour limiter la publicité et les commandites et pour interdire la vente de tabac aux enfants dans les magasins de détail.

Le sénateur Kenny: J'avais entendu dire que 85 p. 100 des fumeurs avaient commencé à fumer avant l'âge de 19 ans? Vous avez dit avant 16 ans, n'est-ce pas?

M. O'Neill: C'est bien le chiffre que j'ai devant moi.

Le sénateur Lynch-Staunton: Je ne suis pas encore convaincu qu'il existe un rapport, surtout un rapport direct, entre les commandites et l'usage du tabac chez les jeunes. Au moment du débat sur le projet de loi S-13, on a fait allusion au recours limité fait en Californie à des messages visant spécifiquement à dissuader les jeunes de commencer à fumer. Or, les plus récentes statistiques en provenance de la Californie révèlent que la consommation de tabac chez les jeunes a augmenté. Vos enquêtes tiennent-elles également compte de la situation à l'extérieur du pays?

M. O'Neill: J'ai entendu parler de rapports faisant état de la situation que vous décrivez en ce qui concerne la Californie. Je ne suis cependant pas l'expert de Santé Canada en la matière. Il faudrait vous adresser à la Direction de la promotion et des programmes de la santé. J'ai une connaissance superficielle de ce dont vous parlez et je crois que vos renseignements sont exacts, mais ce n'est pas mon domaine de compétence.

Le sénateur Lynch-Staunton: Pouvez-vous essayer de nous convaincre que le fait d'adopter une mesure législative comme celle-ci, comme le projet de loi C-71 et celui qu'avait proposé Jake Epp, peut contribuer à réduire le tabagisme? Quelles sont les preuves empiriques? Jusqu'à présent, tout semble indiquer que, quoi qu'on fasse, les enfants vont continuer à fumer.

M. O'Neill: Il ne faut pas oublier que ni le projet de loi C-42, ni la Loi sur le tabac, l'ancien projet de loi C-71, ne vont régler le problème du tabagisme chez les jeunes. Il s'agit d'un problème multidimensionnel faisant intervenir plusieurs facteurs, comme l'influence des parents, celle des pairs, le statut socioéconomique, ainsi que la commandite, la publicité et la promotion des produits du tabac. Je crois que personne n'oserait prétendre, pas moi en tout cas, que c'est le seul facteur et qu'il faut l'éliminer. Il y a plusieurs influences qui entrent en jeu, et je suis certain que d'autres témoins seront d'accord avec ça. C'est pour cette raison que Santé Canada a situé le problème du tabagisme dans une perspective globale. Nous nous attaquons au problème par voie législative, grâce à des mesures comme celle dont vous êtes saisis aujourd'hui. Nous nous y attaquons au moyen de programmes d'éducation comme ceux mis au point par mes collègues de la Direction de la promotion et des programmes de la santé. Nous le faisons par des mesures réglementaires et d'application, domaine de compétence du Bureau de contrôle du tabac, touchant la vente aux mineurs, la vérification de l'âge et ainsi de suite. Nous prenons divers moyens pour essayer de lutter contre le tabagisme chez les jeunes sur plusieurs fronts à la fois. Il y a plusieurs fronts à couvrir. Ceci n'est qu'un élément parmi tous ceux faisant partie de la perspective globale.

Le sénateur Lynch-Staunton: Aucun de ces moyens ne semble donner de résultats. On doit sûrement pouvoir faire autre chose.

M. O'Neill: Sénateur, partout dans le monde, on a recours à un très vaste ensemble de politiques. Si le Canada était le seul à le faire, je serais d'accord avec vous, mais tous les pays sur lesquels ont porté mes recherches -- les États-Unis, la Grande-Bretagne, la France, l'Australie et la Nouvelle-Zélande -- ont combiné ces éléments.

Le sénateur Lynch-Staunton: Leur expérience est la même que la nôtre. Aucun de ces pays n'a enregistré une diminution appréciable de l'usage du tabac chez les jeunes; c'est plutôt le contraire. Sauriez-vous convaincre l'un d'entre nous que le fait que Jacques Villeneuve arbore le logo de Rothman sur sa combinaison incitera qui que ce soit à fumer ou à commencer à fumer? On parle ici d'interdire une raison commerciale en prenant pour acquis que cela va dissuader les gens de fumer.

M. O'Neill: Prenez un peu de recul et oubliez Jacques Villeneuve, et Greg Moore, pour que les deux extrémités du pays soient représentées. Il est important de se détacher de cela. Il ne s'agit pas juste d'un tournoi de tennis, d'une course automobile ou de personnes en particulier. Je le répète, il y a d'autres facteurs qui entrent en ligne de compte. Si vos parents fument, vous courez plus de risques de devenir fumeur. Il y a plusieurs autres facteurs aussi. Je suis certain que d'autres témoins corroboreront ce fait. Ce que nous disons, c'est que cette mesure législative s'attaque à un de ces facteurs. Pour répondre à votre question, nous croyons effectivement qu'il existe un rapport entre le fait d'associer une activité sportive, quelle qu'elle soit -- ski, course automobile -- et même certains événements culturels, avec tout ce que cela comporte d'attraits -- santé, prestige, enthousiasme, côté sexy, jeunesse -- à la consommation de produits de tabac. Pour l'adolescent impressionnable de 14 ans, qui est soumis à d'autres influences en plus, le risque de commencer à fumer est décuplé par la promotion.

Le sénateur Lynch-Staunton: Y a-t-il des enquêtes ou des statistiques qui démontrent qu'un jeune de 12 ou de 14 ans qui assiste à un concert du Maurier, à une course commanditée par Rothman ou un autre événement commandité par Craven A sentira le besoin de commencer à fumer?

M. O'Neill: Vous vous concentrez sur le commanditaire de l'événement. Cette mesure n'est qu'un des éléments de la stratégie globale de Santé Canada en cette matière. N'oubliez pas que cette stratégie repose sur la modification de la Loi sur le tabac.

Le sénateur Lynch-Staunton: Oui, mais les autres stratégies ne font pas l'objet de contestations judiciaires. J'ai dit ce que j'avais à dire.

[Français]

Le sénateur Joyal: Je voudrais revenir sur les articles 1 et 2 du projet de loi pour bien m'assurer que j'ai compris leur application, et je vais utiliser un exemple concret pour m'assurer que la portée du projet de loi est précise dans mon esprit. Si j'ai compris votre lecture de ces deux articles, il serait interdit à une compagnie de tabac d'accrocher son nom à une installation permanente, par exemple un musée, qui n'est pas une activité ponctuelle. C'est une institution établie comme -- et permettez-moi de faire le parallèle -- le O'Keefe Centre à Toronto. C'est un théâtre permanent, et si je comprends votre interprétation de la loi, il serait interdit -- et j'utilise toujours mon exemple de musée -- à un musée de recevoir des fonds d'une compagnie de tabac et de nommer, par exemple, l'aile qui serait construite ou mise à sa disposition grâce à l'obtention de ces fonds, par exemple, l'aile Players ou l'aile du Maurier, ou enfin Rothmans, peu importe. Ai-je bien compris le premier élément du projet de loi?

M. O'Neill: Oui, vous avez parfaitement raison. Il sera interdit de nommer une installation, soit culturelle ou de santé, du nom d'une compagnie de tabac. Cependant, j'aimerais ajouter qu'il n'est pas interdit de recevoir de l'argent des compagnies de tabac. Si du Maurier veut offrir une somme à un musée de Montréal pour son développement, c'est permis. Il est par contre interdit de promouvoir cette commandite. Donc, du Maurier peut donner de l'argent à un musée, mais le musée ne peut pas nommer une aile de son musée l'aile du Maurier. Ce sera interdit à compter de la date qui est indiquée dans la loi, soit le 1er octobre 2003.

Le sénateur Joyal: Donc, l'aile du Maurier ne peut exister. Je vais faire un pas plus loin. Entrons dans le musée. La salle du Maurier peut-elle exister?

M. O'Neill: Non plus.

Le sénateur Joyal: Si l'on sollicite des fonds de du Maurier pour acheter un tableau ou des fonds de d'autres contributeurs privés corporatifs, pourrait-on voir le nom du Maurier sous un tableau comme ayant permis l'acquisition du tableau pour ce musée?

M. O'Neill: Notre interprétation serait que si l'on parle de groupes de promotion et que si la compagnie du Maurier, par exemple, décidait d'envoyer du matériel de promotion qui dirait: «Venez voir le tableau du Maurier au Musée des Beaux-Arts de Montréal», malheureusement, cela serait interdit. Cependant, en tant qu'entité corporative, il n'y a rien qui empêche du Maurier de donner de l'argent et de faire des dons. C'est la promotion qui est ici en cause, l'association du sportif et du culturel au tabac, c'est ce que nous voulons régler. Pour revenir à ce que vous avez dit concernant un tableau, ce n'est pas vraiment une installation permanente au sens de la loi. Nous, nous parlons d'une salle de concert, d'un édifice, d'une aile. Le tableau se trouve un peu dans la section grise de la loi, ce qui demanderait une interprétation de la loi.

Le sénateur Joyal: Je poursuis sur mon exemple. Le musée tient annuellement une souscription publique, parce qu'il a une fondation, et il fait appel à un large éventail de contributeurs, à la fois privés et corporatifs. En général, ce ne sont pas des jeunes; ce sont des adultes qui travaillent ou des entreprises corporatives, et on reçoit régulièrement un bulletin dans lequel apparaît le nom des donateurs. Serait-il possible pour une compagnie de tabac de participer à cette souscription publique et de voir son nom sur le bulletin qui donnerait la liste des différents donateurs?

M. O'Neill: Encore une fois, comme nous parlons de promotion, nous croyons qu'il n'y a aucun problème avec le fait que le nom de du Maurier soit associé à une contribution. En admettant que l'on ait une liste qui dise: «Merci à nos donateurs privés et publics», nous n'entrevoyons aucun problème. Le problème viendrait si du Maurier ou le musée en question faisait une publicité qui dirait: «Venez voir l'exposition du Maurier», ce qui serait interdit. On parle ici de promotion. Un don d'une compagnie n'est absolument pas interdit. J'aimerais aussi mentionner, car je crois que c'est un élément important, que sur ce plan, notre loi est entièrement conséquente avec celle du Québec, et au même titre. Cela veut dire que la loi québécoise permet aussi les contributions, mais pas la promotion.

Le sénateur Joyal: Donc, si j'ai bien compris, aucune contribution ne serait permise pour une installation permanente, en d'autres mots, pour la brique et le mortier, mais il y aurait possibilité pour une institution culturelle de recevoir des fonds d'une compagnie de tabac pour l'acquisition d'un bien mobilier qui, par définition, n'est pas permanent, et peut se déplacer dans l'institution, soit dans la réserve ou au mur. L'institution pourrait, lorsque cet objet serait présenté au public, afficher sous le nom de l'objet ou de l'oeuvre en question le nom du ou des donateurs qui ont permis au musée de l'acquérir.

M. O'Neill: Je veux juste faire marche arrière encore une fois. C'est important de le souligner. Vous mentionnez une contribution; la contribution n'est pas interdite. Les commandites ne sont pas interdites dans ce projet de loi. Ce qui est interdit, c'est la promotion des commandites. Donc, la brique et le mortier. Une compagnie de tabac peut donner un montant quelconque pour aller vers n'importe quel mortier, n'importe quelle brique ou n'importe quelle installation. Ce qui serait interdit, ce serait de donner à la brique et au mortier le nom d'une compagnie de tabac.

Le sénateur Joyal: J'ai bien compris. Ce que j'essaye de bien saisir, c'est jusqu'où la portée du projet de loi se ramifie en ce qui concerne la présence du nom d'une compagnie de tabac dans des activités culturelles non permanentes, qui s'évalue au même titre que les autres donateurs. Quand on va dans un musée, les tableaux sont acquis grâce à des fonds, et ces fonds-là proviennent souvent de contributions ou de donateurs privés, et leur nom est, en général, imprimé sur une vignette parfois par ordre d'importance ou par ordre alphabétique, pour respecter la politesse à l'égard de chacun. J'essaye de voir si je pourrais encore aller dans un musée et voir un tableau qui a été acquis par les fonds de Esso Impérial, Petro-Canada, du Maurier, Exxon ou Texaco, enfin, peu importe. J'essaye de comprendre jusqu'où la portée du projet de loi s'appliquerait dans des cas comme celui-là.

M. O'Neill: Je vais laisser M. McNaught répondre à votre question.

[Traduction]

M. McNaught: Si je vous comprends bien, sénateur, vous soulevez un point très intéressant. Celui-ci a d'ailleurs été examiné à fond lors des premières étapes de l'étude de la Loi sur le tabac (projet de loi C-71). Il est très utile de se reporter à l'article 18 de la loi; celui-ci définit les limites du raisonnable relativement à la formulation de commentaires, ou aux effets théâtraux, en rapport avec l'emploi des logos des compagnies de tabac par exemple.

Jacques Villeneuve et Greg Moore pourront toujours grimper sur le podium et remercier leur mère, leur mécanicien, le Bon Dieu et leur commanditaire, et cela sans contrevenir à la loi, en raison de la latitude permise par les dispositions relatives à la liberté de parole.

Je ne vois pas en quoi le fait qu'une petite plaque or, sous un tableau exposé dans un musée ou dans une galerie d'art, mentionne que l'achat de ce tableau a été rendu possible par une subvention de Mobil Oil contreviendrait à la loi. C'est une des extrémités ou limites de la loi parce qu'il ne s'agit pas de promotion des produits de tabac, mais d'un simple fait. Le tableau a pu être acheté grâce à des fonds provenant de Mobil Oil. On aurait aussi bien pu lire sur la plaque que le sénateur Joyal avait fourni les fonds nécessaires à son achat. L'incidence est la même. Autrement dit, cela ne contrevient pas à la loi.

Le sénateur Joyal: Ma deuxième série de questions porte sur la constitutionnalité de ces dispositions. Mon frère, qui est avocat, a beaucoup travaillé à défendre le projet de loi C-71. Nous avons discuté de la question assez longuement à la maison. Chaque fois que la question revient sur le tapis, la nécessité de mettre en équilibre deux ensembles de droits dont jouissent les Canadiens et qu'il faut protéger me trouble un peu.

D'une part, nous voulons assurer leur protection par divers moyens, nous voulons les protéger de substances qui présentent un danger pour leur santé. C'est à cela que servent les lois et règlements sur les drogues et les médicaments. D'autre part, il m'importe que nous protégions aussi les droits des Canadiens en ce qui concerne la liberté de parole, surtout que je viens d'une province où nous sommes assujettis à la Loi 101, liberté qui est à la base même de l'emploi d'une autre langue. Êtes-vous persuadé que ce que vous nous demandez, surtout aux article 24 et 25, a une chance raisonnable de résister à l'épreuve de la Cour suprême? Nous n'avons pas connu grand succès la première fois.

M. McNaught: Oui. Voilà une réponse toute brève, un peu inattendue de la part d'un avocat. Je vous en prie, n'allez pas croire que je donne dans les ambages ou la coquetterie juridique quand je dis que le simple fait que vous soyez saisis de ce projet de loi évoquer l'avis juridique qui a été fourni au ministre. Selon cet avis, le projet de loi, dans sa forme actuelle, a de bonnes chances de résister à une contestation judiciaire inévitable. En fait, l'industrie du tabac a déjà fait savoir qu'elle allait modifier ses plaidoiries, dans la contestation en cours de la loi, en fonction de ce qui ressortira du processus législatif se rapportant à ce projet de loi.

Le sénateur Joyal: Sauriez-vous m'en donner les motifs?

La présidente: Je vous signale que nous avons d'autres témoins à entendre. Le prochain groupe a été convoqué pour 16 h 30, mais nous avons commencé en retard. On pourrait peut-être raccourcir les questions pour ne pas faire attendre les gens trop longtemps.

Le sénateur Joyal: Monsieur McNaught, pourriez-vous exposer plus en détail le raisonnement juridique qui sous-tend votre simple «oui»?

M. McNaught: L'un des principes éprouvés qui doivent me guider est le fait que cette affaire est actuellement en instance. Il serait inconvenant de faire des commentaires sur ce qui, du point de vue du gouvernement, constitue des points forts ou faibles relativement à la viabilité au regard de la Charte d'une affaire qui se trouve devant les tribunaux. La procédure bat son plein en ce moment. Ce n'est pas faute de vouloir aider le comité, mais je crois que c'est de bonne foi.

Je dirai cependant au nom du client, et celui-ci peut le corroborer, que nombre des facteurs qui étaient présents, même au moment de l'entrée en vigueur de la loi, en avril 1997, ont changé; la situation a évolué tant sur la scène internationale que sur la scène nationale, comme vous l'avez signalé, sénateur.

Il y a une nouvelle loi au Québec et un vent de changement qui souffle, surtout pour ce qui touche les dispositions du projet de loi qui se rapportent à la commandite. L'Union européenne et les États-Unis ont pris certaines mesures, comme l'ont fait l'Afrique du Sud, la Nouvelle-Zélande et l'Australie. Le client a tenu compte d'un grand nombre de ces facteurs en élaborant le projet de loi. C'est tout ce que j'ai à dire au sujet de la capacité de ce projet de loi à résister à une contestation devant les tribunaux.

Le sénateur Moore: Pour faire suite à la question du sénateur Joyal, je comprends qu'il n'y a rie d'illégal à ce que le nom d'une compagnie figure sous une oeuvre d'art ou un autre objet du genre à l'acquisition duquel elle a contribué. Dans pareil cas, on s'attend normalement à voir le nom écrit en gothique, pas une marque de commerce stylisée.

M. McNaught: À l'heure actuelle, aucun règlement particulier ne régit le style ou la police de caractères.

Le sénateur Moore: Cela a pourtant de l'importance dans le cas qui nous occupe.

M. McNaught: Les consultations à ce sujet se poursuivent au moment où je vous parle.

Le sénateur Moore: Nous parlons de la possibilité d'associer le nom d'un produit à une oeuvre d'art qui est offerte ou à tout autre don à un immeuble. Le nom pourrait être inscrit en noir et blanc, en style gothique, sans être coloré ou stylisé comme il apparaît sur l'étiquette du produit.

J'ai du mal à comprendre pourquoi l'un est permis et l'autre pas. Les deux respectent l'esprit dans lequel les dons sont faits pour le bien de la collectivité. Pouvez-vous m'éclairer à ce sujet?

M. McNaught: Ils respectent peut-être l'esprit des dons faits pour le bien de la collectivité, mais il faut déterminer s'il s'agit d'une activité de promotion du tabac ou non.

Le sénateur Moore: Disons qu'un fabricant des produits du tabac verse 50 000 $ pour acheter une peinture qui sera exposée au musée municipal, ici, et veut, en même temps, payer la salle des expositions permanentes. Vous dites qu'il ne peut pas payer la salle. Il ne peut pas payer et faire inscrire le nom de son produit sur une petite plaque dorée, comme vous le disiez. Je ne parle pas d'une plaque précisant la marque de commerce colorée et stylisée comme elle apparaît sur l'étiquette. Il ne peut même pas avoir une simple plaque?

M. McNaught: Non. Comme mon collègue traite ce genre de demande tous les jours, il serait mieux en mesure de vous répondre.

M. O'Neill: Le Bureau de contrôle du tabac, chargé de rédiger le règlement d'application de la Loi sur le tabac, diffusera au cours de la nouvelle année un bulletin d'information, qui est en fait un document de consultation préparé par Santé Canada. Ce document traitera des questions relatives à la promotion, telles qu'elles sont décrites dans la Loi sur le tabac. À ce moment-là, le règlement franchira les étapes habituelles du processus de réglementation, ce qui comprend des consultations, et sera publié dans les parties I et II de la Gazette du Canada. Vous y trouverez des réponses à vos questions sur l'application de la loi. Je ne peux en dire plus.

Le sénateur Moore: Je me fais l'avocat du diable. J'essaie de comprendre ce qui constitue une activité de promotion et ce qu'il ne l'est pas. Il s'agit de l'utilisation quelconque du nom d'un produit lorsqu'on achète une peinture ou paie la salle où sera exposée l'oeuvre d'art. Tout cela peut être considéré comme des activités de promotion ou de simples dons visant à payer l'oeuvre d'art ou les installations. Quelle distinction faites-vous?

M. O'Neill: Je dois rappeler que cela relève d'une section différente du ministère. Il y a quatre sections de Santé Canada qui s'occupent du tabac. Le Bureau de contrôle du tabac fait partie de la Direction générale de la protection de la santé. Elle est chargée de rédiger le règlement.

Nous nous sommes rendus récemment à Toronto pour rencontrer les représentants des exploitants de machines distributrices. Des agents du Bureau de contrôle du tabac et de Santé Canada et certains collègues d'autres ministères, comme Patrimoine Canada, sont toujours prêts à voyager ou à répondre aux questions qui pourraient se poser dans les circonstances comme celles que vous décrivez. Nous envisagerons l'application de la loi de façon pratique. Nous nous soucions du type d'activité de promotion qui pourrait associer le produit à une activité culturelle ou sportive, à la fascination que cela peut exercer, au plaisir et à la santé.

Le sénateur Moore: Je comprends cet aspect-là du problème. Je ne m'en sers pas comme exemple.

M. O'Neill: Je comprends l'exemple que vous donnez. Je dis que le ministère est bien disposé à discuter de la question avec les agents du Bureau de contrôle du tabac, avec moi-même et d'autres aussi. Nous sommes prêts à aborder ces questions lorsqu'elles sont soulevées. D'ailleurs, quand on regarde l'ensemble des faits et tout ce que vise le projet de loi, on s'aperçoit qu'une petite plaque portant le nom d'un fabricant de tabac ayant fait don d'une peinture nous intéresse naturellement, mais n'a rien d'important comparé au tournoi de tennis que commandite du Maurier et à Jacques Villeneuve dont les vêtements sont recouverts de logos de cigarettes. Tout cela est relatif.

Le sénateur Moore: Je ne crois pas que ce soit le cas. Je n'accepte pas cet argument C'est peut-être votre opinion, mais ce n'est pas la mienne.

[Français]

Le sénateur Nolin: Docteur O'Neill, l'article 24 qui doit entrer en vigueur en l'an 2003 interdit directement ou indirectement la promotion. C'est cela?

M. O'Neill: Oui.

Le sénateur Nolin:On ne peut donc pas dire qu'on interdit et laisser cela à des questions de degrés. Je vous soumets respectueusement que l'exemple du sénateur Joyal vous donne sera interdit à partir du mois d'octobre 2003. Même si votre règlement dit le contraire, il n'aura pas le pouvoir de dire cela. Au Québec -- et vous l'avez soulevé vous-même --, on a jugé important d'inclure dans la loi un deuxième paragraphe qui dit, parce que le premier paragraphe de la loi ressemble beaucoup au vôtre. Le premier alinéa n'a pas pour objet d'empêcher les dons provenant de l'industrie du tabac dans la mesure où ces dons sont faits sans aucune association promotionnelle. Le fait pour un donateur de communiquer de l'information sur la nature du don ou sur le nom du donateur d'une manière autre que par un message publicitaire ou commercial ne constitue pas une association promotionnelle au sens du présent alinéa.

C'est clair. C'est dans loi et non pas dans le règlement, monsieur O'Neill.

M. O'Neill: Sénateur Nolin, j'acepte votre commentaire. Peut-être que ce que j'ai dit n'a pas été suffisamment clair. Je vais donc le répéter. Il n'y a absolument rien -- commençant au début de l'alinéa que vous venez de citer dans la loi québécoise -- dans la loi telle que présentée, qui empêche qu'un don soit fait à toute entité culturelle, sportive ou de santé.

Le sénateur Nolin: Je ne conteste pas cela. Le donateur permet au receveur d'afficher son nom: est-ce que quelqu'un enfreint une prescription de la loi? Telle que la loi est écrite la réponse est oui. Je comprends que vous voulez peut-être que la réponse soit non. Si c'est ce que vous voulez, nous allons devoir amender votre projet de loi parce que votre règlement ne pourra pas le faire, c'est sûr.

M. O'Neill: Nous croyons que sous l'article 18 de la Loi sur le tabac, l'exemption que vous soulignez serait abordée.

Le sénateur Nolin: Enfin, j'ai devant moi l'article 18. Je vais laisser les autres poser leurs questions, puis j'y reviendrai.

Le sénateur Lavoie-Roux: Merci pour votre présentation. Tous les projets de loi sur le tabac me laissent perplexe. La première loi a été adoptée, en 1988, après de longs débats au cours desquels tout le monde s'est levé pour pleurer et pour dire que notre jeunesse allait avoir les poumons pourris et mourir du cancer, sans compter les adultes, et je ne veux pas faire de pathos.

On se retrouve au moins deux ans plus tard et on se demande ce qu'on pourrait faire non pas pour améliorer la situation, mais pour rendre les choses moins difficiles pour les promoteurs de tabac. Cela me laisse perplexe.

Hier, on a donné des statistiques au cours du débat au Sénat, et je vous assure que ces statistiques n'étaient pas très roses. Elles étaient même assez catastrophiques. Je remercie mes collègues avocats qui peuvent vous montrer les contradictions. Vous disiez que plus tôt que la publicité va être limitée. Cette publicité sera faite simplement dans des revues pour adultes. Il faut être naïfs pour affirmer cela. Vous savez, à la maison, quand il y a une petite revue qui traîne, les enfants la regardent.D'ailleurs, ils font beaucoup leur éducation non seulement en regardant de la publicité sur la cigarette, mais aussi à partir d'une foule de domaines, enfin, de toutes les petites revues et les petits dépliants qui entrent dans les maisons. Alors, si vous pensez que vous allez restreindre cela parce que la publicité ne s'adressera qu'à des adultes, eh bien, vous allez avoir de la difficulté à identifier les véritables adultes.

On ne semble pas vraiment prendre des mesures appropriées, par exemple au plan de l'éducation, pour influencer les jeunes. Toutes nos énergies passent à décider si on donne deux ans de plus, trois ans de plus ou quatre ans de moins pour contrer les effets de la publicité. Je pense qu'on ne s'attaque pas au véritable problème. C'est comme si on avait abandonné. En fait, je devrais peut-être poser ces questions au ministre de la Santé qui sera parmi nous ce soir, si je ne m'abuse. Je ne pense pas qu'on s'attaque au véritable problème, ou bien on le fait de façon détournée, et c'est cela qui m'inquiète.

M. O'Neill: Je vais limiter ma réponse à votre question en vous répétant encore une fois qu'on a devant nous un projet de loi, mais il n'y a pas que ce projet de loi dans les outils que Santé Canada développe dans le but de contrer le tabagisme. Il n'y a pas que ce projet de loi. J'aimerais vous rappeler que des programmes d'éducation ont été élaborés. Je pense en particulier au programme «Quit for Life».

Le sénateur Lavoie-Roux: Mais quand on en a fait l'évaluation, les résultats n'étaient pas très positifs.

M. O'Neill: Je ne peux pas vraiment parler pour mes collègues des autres secteurs du ministère qui sont responsables de ces programmes. Je veux souligner que nous avons une approche la plus globale possible. On travaille sur plusieurs volets. Le projet de loi n'est qu'un des volets que Santé Canada a mis à notre disposition.

Vous mentionnez aussi l'effet que les lois précédentes on eu sur le taux de tabagisme chez les gens. Je suis d'accord. On a mentionné plus tôt les statistiques et l'on montre un changement, même une augmentation du taux de tabagisme chez les jeunes. Il ne faut pas oublier non plus que les effets que nous recherchons ne sont pas des effets à court terme, ce sont des effets à long terme.

De plus, suite à la décision de la Cour suprême, la loi précédente a été invalidée. Il y a eu un laps de temps où il y a eu un vide législatif. Tous les effets de l'ancienne Loi sur le tabac ne seront pas ressentis dans cinq ans mais bien dans une génération. Alors, les effets sont à long terme. Il faut arrêter de regarder le court terme et se dire qu'on a maintenant une loi et que l'année prochaine le taux de tabagisme chez les jeunes va baisser. Cela ne fonctionne pas comme cela. Malheureusement, ce n'est pas l'année prochaine que le changement va venir, c'est dans 10 ans.

Le sénateur Lavoie-Roux: Je m'excuse, monsieur O'Neill, mais je l'ai entendu hier; et mes collègues pourront me corriger si je me trompe, mais chaque année il y a 400,000 nouveaux enfants en bas de l'âge de 15 ans qui commencent à fumer. Vous me dites qu'on aura des résultats dans 10 ans. Si les jeunes n'ont pas arrêté de fumer dans 10 ans, quels seront les résultats?

M. O'Neill: Je parle des effets du taux de tabagisme sur les jeunes mêmes. Cela ne va pas changer dans un an. Vous allez voir, nous l'espérons, le taux de tabagisme chez les jeunes changer dans cinq à 10 ans ou plus.

[Traduction]

La présidente: Honorables sénateurs, j'ai encore le nom du sénateur Nolin et du sénateur Fraser sur ma liste. Nous avons déjà siégé trente bonnes minutes de plus que ce que nous avions prévu. Je m'en remets à vous.

Voulez-vous que nous demandions aux hauts fonctionnaires de revenir ce soir, après l'intervention du ministre, par mesure de courtoisie envers ces gens qui se sont présentés pour venir témoigner devant nous?

Êtes-vous d'accord, messieurs?

M. O'Neill: Nous sommes à votre disposition.

La présidente: Je garde la liste près de moi, avec les noms du sénateur Nolin et du sénateur Fraser en tête.

Le prochain groupe que nous entendrons est le Conseil canadien des fabricants des produits du tabac, représenté par son président-directeur général, M. Robert Parker. Nous demandons également au Dr John Luik de prendre place à la table.

Monsieur Parker, nous vous écoutons.

M. Robert Parker, président-directeur général, Conseil canadien des fabricants des produits du tabac: Madame la présidente, le Conseil canadien des fabricants des produits du tabac (CCFPT) est l'association industrielle qui représente les principaux fabricants des produits du tabac au Canada: Rothman's, Benson & Hedges, RJR-Macdonald Inc. et Imperial Tobacco Limited. Le CCFPT représente ses sociétés membres en ce qui concerne des sujets d'intérêt commun mais non concurrentiel.

Notre industrie reconnaît depuis longtemps que, compte tenu des risques bien connus qui se rattachent à l'usage du tabac, les gouvernements ont des intérêts légitimes visant la réglementation de la commercialisation, de la promotion et de la vente de ce produit. En outre, ces risques justifient les efforts soutenus du gouvernement de persuader les gens à ne pas utiliser ces produits.

Par conséquent, les divergences d'opinions que nous avons avec les gouvernements sur cette question ne sont pas axées sur la réglementation en soi, mais plutôt sur la nature de la réglementation et la présence de résultats objectivement mesurés. À notre avis, les normes sur lesquelles s'appuie la réglementation des produits du tabac devraient être les mêmes que les normes de réglementation dans d'autres domaines -- l'équité, la légalité et l'efficacité -- toutes justifiées en fonction de la rentabilité.

La dernière fois que j'ai comparu devant ce comité, en mars 1997, vous étiez saisis du projet de loi C-71, qui est devenu la Loi sur le tabac. Aujourd'hui, vous examinez des modifications concernant les dispositions de cette mesure législative touchant la commandite. Les commentaires que je présenterai, dans un moment, viseront particulièrement ces dispositions.

L'adoption de la Loi sur le tabac a été nécessaire lorsque la contestation de l'industrie a mené à l'annulation, par la Cour suprême du Canada, d'un nombre important d'articles de la loi antérieure, la Loi réglementant les produits du tabac, en 1995. L'adoption de la loi actuelle par le Parlement, l'année dernière, a donné lieu à une seconde contestation de la part de notre industrie, qui est actuellement devant les tribunaux.

Le fondement de la contestation actuelle est le même que celui de la précédente -- les restrictions que la loi impose sur nos droits légitimes, à titre de fabricants d'un produit légal, de communiquer avec notre clientèle adulte.

Je mentionne ces faits récents dans le simple but d'établir le contexte des modifications qui vous sont présentées aujourd'hui. Les modifications proposées dans le projet de loi C-42 répètent cette approche en ce qui concerne la publicité de commandite des produits du tabac et vont encore plus loin. La publicité de commandite serait entièrement permise pendant seulement deux autres années, puis ferait l'objet de restrictions qui, fondamentalement, élimineraient sa viabilité commerciale pour les trois années suivantes et, en dernier lieu, l'interdiraient complètement.

À notre avis, il s'agit précisément du genre de restrictions excessives que prévoyait la Loi réglementant les produits du tabac et que la Cour suprême avait jugé non justifiées et illégales.

Contrairement à ce que vous diront probablement d'autres témoins, il n'existe aucune preuve fiable d'un lien quelconque entre la publicité, qu'il s'agisse du produit ou des événements commandités, et la décision de quiconque de fumer.

Quelque deux douzaines de pays de tous les coins du monde ont interdit la publicité des produits du tabac, dans certains cas depuis près de vingt ans. Quelles sont les données concernant l'incidence de l'usage du tabac dans ces pays depuis ce temps? Au mieux, elles sont contradictoires et peu convaincantes -- c'est-à-dire que dans certains cas, l'usage du tabac a augmenté, dans d'autres cas, l'usage est resté le même ou a diminué. Dans un pays qui a interdit la publicité il y a déjà 23 ans, l'usage du tabac chez les jeunes atteint aujourd'hui un sommet.

Au pire, l'interdiction va directement à l'encontre du but recherché, et les preuves recueillies au Canada appuient fortement ce point. L'interdiction de publicité, en vertu de la Loi réglementant les produits du tabac, est entrée en vigueur en 1989. Selon les sondages menés par Statistique Canada et Santé Canada -- et vous trouverez des renseignements à leur sujet en annexe à mon mémoire -- après des diminutions graduelles au cours des années 80, l'usage du tabac parmi le groupe des plus jeunes, âgés de 15 à 19 ans, a changé de direction. Le pourcentage de fumeurs dans ce groupe d'âge a augmenté jusqu'en 1994. Si vous consultez les chiffres, vous constaterez qu'il n'y a eu essentiellement aucune modification du pourcentage de fumeurs chez ces jeunes depuis la fin de 1993.

On peut se demander si l'interdiction visant la publicité a fait accroître l'usage du tabac chez les jeunes entre 1990 et 1993. De prime abord, cela semble illogique. Y a-t-il eu une réaction imprévue de l'attrait du fruit défendu de la part des jeunes? Impossible de le dire.

Je crois simplement, en particulier à la lumière de l'appui enthousiaste que vous allez entendre en faveur des interdictions de communication et des taxes plus élevées, entre autres, que vous devriez être conscients du fait que la dernière fois que ces deux situations nous ont été imposées, l'usage du tabac chez les jeunes a augmenté. Dans l'ensemble, la consommation de tabac est demeurée la même.

Quant au sujet général de la commandite de divers événements par les fabricants des produits du tabac, et tandis que vous prenez en considération les modifications proposées, je tiens simplement à faire les observations suivantes en conclusion. Depuis plusieurs décennies, les entreprises de cette industrie ont créé des partenariats durables avec les organisateurs d'événements culturels et sportifs qui ont connu beaucoup de succès.

Pour des motifs historiques -- entre autres le fait que durant l'interdiction de publicité, imposée par la Loi réglementant les produits du tabac, la commandite était la seule activité permise -- notre industrie a occupé une place disproportionnée dans l'ensemble des commandites. L'an dernier, l'ensemble de ces partenariats a fourni quelque 60 millions de dollars en financement direct de commandite, aidant à présenter des centaines d'événements populaires d'excellente qualité dans des localités à la grandeur du Canada. Des millions de Canadiens ainsi que des centaines de milliers de visiteurs de l'étranger ont eu le plaisir d'assister à ces événements.

L'objectif commercial des commandites est clair -- associer le nom d'une marque de produit du tabac à des événements bien organisés et présentés de façon professionnelle et, de ce fait, amener les fumeurs adultes à choisir cette marque et protéger la part du marché de cette marque. Aucun des organisateurs des événements n'appuie ou n'encourage l'usage du tabac. Comme leurs commanditaires, les organisateurs considèrent qu'il s'agit d'un choix légitime qui devrait être fait seulement par des adultes.

Compte tenu de la contestation judiciaire qui pourrait s'ensuivre si ces restrictions devaient entrer en vigueur à l'automne de l'an 2000, la justification commerciale d'une importante partie ou de la totalité de cette activité n'aura plus raison d'être. Le délai n'est pas de cinq ans, à notre avis, mais bien de deux ans.

La liberté de commanditer un événement, sans pouvoir dire au public qui est le commanditaire, élimine tout simplement la commandite. Tout comme la liberté de faire un don en gardant l'anonymat réduira considérablement le nombre de dons. Aucune entreprise ou société d'une industrie quelconque n'accepterait de se plier à de telles modalités.

Certains événements commandités par l'industrie du tabac obtiendront des fonds d'ailleurs. Un ou deux événements ont déjà trouvé d'autres commanditaires. Toutefois, l'ensemble des fonds disponibles sera considérablement réduit. Rien n'indique que d'autres industries, individuellement ou collectivement, engageront ou engageraient des sommes aussi élevées que celles qui seront perdues à cause de cette interdiction.

Certains événements seront voués à l'échec. D'autres n'auront ni l'intensité ni l'ampleur dont ils jouissent actuellement. Certaines localités perdront le divertissement qu'ils créent et surtout les recettes générées par ces événements et réalisées par l'industrie du tourisme et de l'accueil. Je crois que cette situation est regrettable.

Je vous remercie de votre attention et je serai heureux de répondre à vos questions. Je crois comprendre que des amendements précis au projet de loi pourraient être proposés à une date ultérieure. Je crois savoir de quoi il s'agit. Je serai heureux de répondre à vos questions à ce sujet.

M. John C. Luik, membre de l'Association sur les droits des non-fumeurs, témoigne à titre personnel: Honorables sénateurs, je comparais devant vous à titre individuel. Vous avez reçu mon mémoire. Le plus utile, dans les dix minutes qui me sont accordées, serait de répondre aux questions soulevées par les sénateurs Lynch-Staunton et Joyal, et c'est ce que je veux faire.

C'est la sixième fois depuis que le ministre Epp a présenté son projet de loi en 1987 que je me présente devant votre comité ou devant un comité de la Chambre des communes pour parler de la publicité sur le tabac.

Les questions que posent les sénateurs cet après-midi offrent un excellent contexte aux observations que je veux faire.

Permettez-moi de vous décrire mes connaissances et mon expérience dans ce domaine. Depuis 1987, j'ai rédigé des douzaines d'articles sur la publicité sur le tabac. Je suis également coauteur du rapport qui fait probablement autorité désormais dans le monde entier lorsqu'il est question de la publicité sur l'alcool et le tabac.

En février 1998, la grande revue médicale Lancet a notamment publié un de mes articles sur la question qu'aborde le projet de loi à l'étude actuellement, soit la commandite.

Plus pertinente encore est la question que le sénateur Lynch-Staunton a directement posée aux agents de Santé Canada, à savoir s'il existe des preuves qu'une seule personne se mettra à fumer parce qu'une personnalité comme M. Villeneuve porte un tee-shirt ou un vêtement sur lequel apparaît le logo de Rothman's.

J'insiste sur ces points, parce qu'ils sont liés à la liberté d'expression dont a parlé le sénateur Joyal. Dans notre régime de gouvernement, les violations des droits consacrés dans la Constitution ne sont justifiées que si le gouvernement est en mesure de prouver que ces violations sont dans l'intérêt du public.

Dans les débats des dix dernières années, aucun élément de preuve n'a permis de montrer qu'il y va de l'intérêt du public d'interdire la publicité sur le tabac ou la commandite du tabac au Canada ou ailleurs dans le monde.

J'ai relevé un fait intéressant dans l'exposé du Dr O'Neill de Santé Canada. Il n'a pu citer un seul rapport de recherche prouvant que la publicité sur le tabac ou la commandite du tabac incite les consommateurs, et en particulier les jeunes, à commencer à fumer.

Le silence que garde Santé Canada pour ne pas dire le gouvernement du Canada sur le sujet qui est au coeur même du projet de loi est vraiment remarquable. Les agents de Santé Canada semblent croire qu'il ne leur est pas nécessaire de fournir des preuves plausibles que la publicité sur le tabac influe sur la décision des jeunes de fumer.

Examinons ces questions. Existe-t-il des preuves que ce projet de loi s'attaquera au problème de l'usage du tabac chez les jeunes? Vers la fin de son témoignage, le docteur O'Neill a reconnu que l'usage du tabac chez les jeunes comporte de multiples facettes, et c'est la première fois que j'entends un porte-parole de Santé Canada faire cette affirmation. Si vous consultiez n'importe quel ouvrage sur les jeunes qui commencent à fumer -- que ce soit l'un des miens ou un ouvrage d'un autre professionnel de la santé -- vous constateriez que tous les auteurs s'entendent pour dire que l'usage du tabac chez les jeunes est un problème à facettes multiples.

Ensuite, ces auteurs dressent la liste des variables prédictives, comme les appellent les chercheurs, c'est-à-dire des facteurs qui incitent les jeunes à commencer à fumer. Un chercheur canadien a même énuméré 430 de ces facteurs. Pour les besoins de la cause, ramenons ce nombre aux cinq ou six principaux facteurs étudiés. Il s'agit, sans ordre particulier, d'une piètre situation socioéconomique, de troubles d'apprentissage, de la tendance à abandonner les études avant l'âge de 16 ans, d'une faible estime de soi et d'une forte tendance à la rébellion. D'ailleurs, dans la principale étude sur une analyse transversale pluriannuelle des facteurs ayant incité les jeunes à fumer, un chercheur canadien et deux de ses collègues australiens ont parcouru toute la documentation à ce sujet que j'ai mentionnée, dans le but d'y déceler les facteurs ayant incité les jeunes à commencer à fumer.

Dans toute la documentation qu'ils ont consultée, ils n'ont trouvé que deux études qui ont été menées dans le but de déterminer si la publicité incite les jeunes à fumer. L'une de ces études portait exactement sur la question qu'aborde le projet de loi et, je le répète, je suis étonné que nos amis de Santé Canada aient omis de vous mentionner cette étude, car elle répond à la question qu'a posée le sénateur Lynch-Staunton.

Ni l'une ni l'autre de ces études portant sur la publicité n'avaient de valeur prédictive, pas plus que celle portant sur la commandite du tabac. Permettez-moi de vous expliquer en termes simples ce que cela signifie. Cela veut dire que ces études n'ont pu établir de lien entre la commandite en particulier ou la publicité en général et les facteurs incitant les jeunes à commencer à fumer.

Encore là, la documentation sur l'usage du tabac chez les jeunes est très claire. Il y a pénurie d'ouvrages qui laissent entendre de façon incontestable que la commandite ou la publicité peut inciter les jeunes à fumer. En fait, si vous examinez de façon logique toutes les variables prédictives qui ressortent de ces études -- la piètre situation économique, les troubles d'apprentissage, la tendance à abandonner les études, la faible estime de soi et la tendance à la rébellion -- vous verrez qu'il est difficile de comprendre comment ces variables peuvent être associées même de loin à la promotion du tabac et encore moins à la commandite du tabac.

D'un point de vue plus général, je vous ferai remarquer que cela fait presque 20 ans que Santé Canada se présente devant vous pour réclamer ce genre de loi sur le tabac. Pendant tout ce temps, le ministère n'a pas cherché à convaincre votre comité ou la Chambre des communes en vous parlant des multiples facettes du problème. Au contraire, il s'est surtout concentré sur ce qui est devenu pour le ministère une véritable obsession, soit la publicité et la commandite. Je tiens à signaler que rien n'appuie cette obsession de la publicité et de la commandite -- ni les études universitaires analysant les facteurs qui incitent les enfants à commencer à fumer -- ni les résultats des propres recherches du ministère.

Fait intéressant à noter, pour pouvoir répondre à la question du sénateur Lynch-Staunton, le ministère n'a pas cru bon d'effectuer une seule étude au Canada pour déterminer si la commandite incite ne serait-ce qu'un seul jeune Canadien à commencer à fumer.

Comme le ministère hésite à diffuser ces renseignements, permettez-moi de vous renvoyer à une étude parue, je le répète, dans un numéro du Lancet cette année. L'objet de cette étude, menée au Royaume-Uni, consistait à déterminer si la course automobile incitait les garçons à fumer.

L'étude analysait le comportement de 128 garçons considérés comme des amateurs de course automobile. Selon les auteurs, de ces 128 jeunes, 16 ont par la suite commencé à fumer. Au niveau statistique, ce nombre est inférieur à celui qu'on aurait pu prévoir à partir du pourcentage de fumeurs au Royaume-Uni et il n'est même pas significatif sur le plan statistique, comme un autre auteur et moi-même l'avons fait remarquer.

Si l'on examine l'ensemble des preuves que certains avancent pour affirmer que la publicité et la commandite sont des facteurs qui incitent les jeunes à fumer, on en arrive, en raison du silence qu'observe Santé Canada et de la mine de renseignements provenant de sources universitaires sérieuses, au consensus qu'il n'existe en fait aucun rapport entre les deux. Cela rejoint naturellement la question que soulevait le sénateur Joyal à propos de la liberté de parole et la liberté d'expression.

Si cette mesure législative n'est pas essentiellement à l'intérêt public, s'il est peu probable qu'elle s'attaque au déplorable problème du tabagisme chez les jeunes Canadiens -- qui s'est aggravé au cours de la dernière décennie -- alors, je soutiens que ce projet de loi ne sert à rien.

Le sénateur Kenny: Monsieur Luik, travaillez-vous ou avez-vous déjà travaillé pour des fabricants des produits du tabac?

M. Luik: J'ai effectivement agi à titre de consultant, oui.

Le sénateur Kenny: Monsieur Parker, dans votre déclaration préliminaire, vous avez dit que vous n'étiez pas contre la réglementation gouvernementale. Tout ce que vous vouliez, c'est que les normes sur lesquelles s'appuie la réglementation des produits du tabac soient les mêmes que celles appliquées dans d'autres domaines.

M. Parker: C'est bien ce que j'ai dit, oui.

Le sénateur Kenny: Pouvez-vous dire au comité comment, à votre avis, l'usage du tabac pourrait être objectivement mesuré? Comment les résultats seraient-ils présentés? Serait-ce en fonction des toxines émises? En fonction des maladies causées? En fonction du nombre de décès attribuables au tabagisme?

M. Parker: Je ne suis pas convaincu que la réglementation peut influer sur le nombre de fumeurs. Chose certaine, et vous avez les chiffres devant vous, tous les programmes mis sur pied par le gouvernement depuis dix ans n'ont pas eu de véritable incidence sur le nombre total de fumeurs au Canada.

Les normes que j'ai mentionnées dans ma déclaration préliminaire sont les suivantes. Tout d'abord, le règlement doit être légal et constitutionnel, contrairement aux dispositions de la LCT qui ont été abolies par la Cour suprême justement pour cette raison. Nous croyons que le règlement doit être efficace et évalué régulièrement. Je ne crois pas qu'on puisse dire que la réglementation en vigueur ces dix dernières années l'a été. Je ne connais qu'un seul projet d'étude de Santé Canada sur l'efficacité des programmes de lutte contre le tabagisme et il a été annulé avant même d'être amorcé.

Suis-je d'avis que les enfants ne devraient pas être exposés à la publicité et à la promotion d'événements associés au tabac ou des produits du tabac eux-mêmes et que cette publicité ne devrait surtout pas les cibler? Absolument. À bien des égards, nous sommes généralement d'accord avec les objectifs visés et, dans certains cas, avec les méthodes utilisées. Dans autant d'autres cas, par contre, nous jugeons que les méthodes utilisées sont extrêmes et non pratiques. L'interdiction de la commandite, dont nous discutons aujourd'hui, en est un exemple frappant.

Le sénateur Kenny: Je vous fais remarquer, en toute déférence, monsieur, que vous vous en tenez au message, mais dans votre déclaration, vous avez parlé des risques bien connus qui se rattachent à l'usage du tabac. Je vous ai invité à décrire au comité comment vous voudriez que l'usage du tabac soit objectivement mesuré: par les toxines émises, par les maladies causées, ainsi de suite. Dites-nous comment, à votre avis, vous devriez être objectivement mesurés?

M. Parker: Je ne suis pas sûr si je comprends bien la question. Il existe un règlement qui exige l'analyse de la fumée à un coût fort considérable pour l'industrie. Il s'agit d'un règlement découlant de la Loi sur le tabac.

Des messages sont inscrits sur les paquets. À l'origine, l'industrie le faisait de son plein gré, mais depuis longtemps la loi l'y oblige. Il est notoire que des agents du ministère pensent que ces messages devraient être modifiés.

J'ai déjà déclaré devant votre comité et d'autres groupes et dans le cadre de nombreuses entrevues accordées aux médias que l'usage du tabac accroît le risque de contracter un grand nombre de maladies. Ces risques sont bien connus et associés à l'usage du tabac. En fait, c'est le principal choix concernant le mode de vie que font les Canadiens, d'après ce que disent ceux qui ont mesuré cette variable, et la même chose vaut dans d'autres pays.

J'ai aussi reconnu qu'il était légitime de la part du gouvernement et d'autres intervenants de se soucier de prendre des mesures pour réduire l'usage du tabac. Tant que le tabac demeure un produit légal, la question est de savoir quelles mesures devraient être prises. Je ne comprends pas ce que vous voulez me faire dire.

Le sénateur Kenny: Je m'excuse de ne pas poser ma question de façon plus claire.

Vous avez convenu que les gouvernements ont le droit de réglementer l'usage du tabac. Êtes-vous d'accord là-dessus?

M. Parker: La question peut être interprétée de façon étroite pour inclure la consommation des produits du tabac, sénateur, mais je crois que vous voulez parler de la production, de la fabrication, de la vente et de la promotion du tabac. Oui, absolument.

Le sénateur Kenny: Vous poursuivez en contestant la façon de faire du gouvernement, parce que vous voulez qu'on se concentre sur la nature de la réglementation et la présence de résultats objectivement mesurés. Quels sont ces résultats objectivement mesurés que vous mentionnez? Je vous en ai nommé trois, en disant qu'il peut y en avoir d'autres. Si les toxines émises, les maladies causées ou les décès attribuables au tabagisme ne vous plaisent pas, je vous invite, vous, le représentant de l'industrie, à dire au comité comment votre produit pourrait être objectivement mesuré.

M. Parker: Prenons les messages inscrits sur les paquets à titre d'exemple. La première fois qu'il en a été question, le gouvernement voulait que l'industrie satisfasse à cette exigence, je crois, en moins de 90 jours. C'était impossible de le faire dans un si court délai. Les changements ont été apportés, mais il a fallu remplacer tous les cylindres d'impression servant à l'impression des paquets en usine. Il a fallu plus d'un an pour le faire et l'exercice a coûté entre 30 millions et 40 millions de dollars.

À l'époque, nous avons fait remarquer au gouvernement et à d'autres groupes comme celui-ci qu'il n'existait aucune preuve -- et le gouvernement n'avait pas cherché à en produire -- que le fait de remplacer les messages par des messages plus gros ou des messages différents aurait une grande incidence sur l'usage du tabac. Le gouvernement a diffusé ce qu'on appelle un résumé de l'étude d'impact de la réglementation où il a dit: «Oui, l'usage du tabac diminuera», avec chiffres à l'appui.

Vous avez devant vous les données sur l'usage du tabac ces cinq dernières années qu'a diffusées Statistique Canada. Si le gouvernement veut réglementer ou interdire l'usage du tabac chez les jeunes ou toute autre activité, il me semble raisonnable de déterminer au départ si cela est efficace. Personne n'exige la pleine certitude dans un tel domaine, mais il faut s'engager à réexaminer la situation au bout d'un certain temps afin de déterminer si les objectifs visés ont été atteints.

Le meilleur exemple possible reste la hausse de l'usage du tabac chez les jeunes. Nous avons entendu toutes sortes de sottises au sujet de l'incidence de l'usage du tabac au Canada et du fait que l'usage du tabac dans la population générale a chuté lorsque les taxes se sont mises à grimper au milieu des années 80. Ce ne fut pas le cas. Vous avez les chiffres devant vous. Nous avons appris que l'usage du tabac a augmenté après la réduction des taxes en 1994. Ce ne fut pas le cas. Encore là, vous avez les chiffres devant vous.

Nous savons toutefois que l'usage du tabac chez les jeunes de 15 à 19 ans -- exactement le groupe qui préoccupe le plus les Canadiens -- s'est accru lorsque la publicité a été interdite et que les taxes étaient encore élevées et même à la hausse partout au pays. Il a atteint un sommet à l'époque où les taxes étaient réduites. Il n'a pas tellement varié depuis. Voilà le genre de mesure et de réaction dont je parle dans ma déclaration.

Le sénateur Kenny: Madame la présidente, j'ai cinq questions à poser. Je dois dire que les trois premières fois que je les ai posées, je n'ai obtenu aucune réponse. Le témoin me fait perdre du temps. Il ne me laisse pas poser mes questions et préfère tenir de beaux discours. Je demande l'indulgence de la présidence.

La présidente: Vous avez l'indulgence de la présidence pour un certain temps, mais il y a cinq autres sénateurs qui veulent poser des questions.

Le sénateur Kenny: Monsieur Parker, croyez-vous que le tabac, s'il était lancé sur le marché aujourd'hui, serait considéré comme un produit légal?

M. Parker: Je n'en ai aucune idée, sénateur.

Le sénateur Kenny: Vous avez parlé un peu plus tôt de la publicité sur le tabac et avez laissé entendre que le seul objectif de la commandite, pour les trois entreprises que vous représentez, consiste à protéger leur part du marché.

M. Parker: Oui, monsieur.

Le sénateur Kenny: Vous avez fait cette déclaration devant nous, vous l'avez déjà faite devant notre comité et également devant le Comité des affaires sociales. Auriez-vous l'obligeance de fournir au comité des preuves à ce sujet? Pourrions-nous avoir des statistiques appuyant votre affirmation? Pourriez-vous nous fournir des preuves scientifiques fiables décrivant la plus grande part de marché que vous obtenez ou qu'obtiennent les sociétés que vous représentez?

M. Parker: Au lieu de tenter d'inciter les gens à fumer?

Le sénateur Kenny: Oui.

M. Parker: Je serai très heureux de le faire, sénateur, si vous pouvez m'indiquez combien de documents vous désirez à ce sujet.

En Amérique du Nord, nous avons depuis 40 ans un laboratoire qui vaut des centaines de milliards de dollars. La publicité sur les produits du tabac aux États-Unis, qui est sur le point d'être réduite, mais qui se poursuivra, se fait depuis au moins les cinquante dernières années. Depuis les années 60 jusqu'à ce jour, l'usage du tabac a diminué.

Au Canada, la publicité a été permise jusqu'en 1988. Elle a été rétablie en 1996, environ six mois après la décision rendue par la Cour suprême. Elle a de nouveau été interdite le printemps dernier, lorsque le projet de loi C-71 a été adopté. Bien que certains affirment que cette mesure législative permet la publicité, il s'agit bel et bien d'une interdiction.

D'autres soutiennent que la publicité vise à encourager les gens à fumer. Au cours des 40 dernières années, des milliards de dollars ont été consacrés dans ces deux pays non seulement à la publicité, mais à toutes sortes d'activités de promotion. Des centaines d'organismes et des centaines de marques y ont participé et l'incidence de l'usage du tabac a diminué. Au Canada, elle a cessé de diminuer en 1986, mais n'a pas augmenté.

Il me semble, sénateur, que le choix est simple. Ou toutes les entreprises de l'industrie ont toujours embauché des publicistes incompétents ou la proposition ne tient pas. J'opte pour la deuxième possibilité.

Le sénateur Kenny: Madame la présidente, je vous ferai remarquer, avec déférence, que les preuves qui nous sont fournies sont de nature anecdotique. J'ai demandé que des preuves scientifiques soient transmises au comité.

Je ne m'attends pas à ce que vous puissiez nous en remettre immédiatement, monsieur Parker. Je demande des preuves scientifiques selon lesquelles les campagnes de publicité visaient à faire accroître la part du marché des fabricants de tabac et non à inciter plus de gens, et particulièrement les jeunes, à fumer. J'aimerais que vous nous fournissiez les preuves scientifiques appuyant vos allégations.

M. Parker: Qu'entendez-vous par des preuves scientifiques, sénateur? Nous parlons ici d'activités commerciales.

Le sénateur Kenny: Ce sont des activités commerciales, mais vous accusez le gouvernement de réglementer votre secteur sans preuves scientifiques. Vous prétendez faire de la publicité simplement pour accroître votre part du marché, mais ne fournissez aucune preuve à ce sujet. Vous vous présentez devant nous et dites: «Voici ce que nous faisons». Je vous demande de le prouver. Remettez-nous de la documentation. Fournissez-nous des preuves appuyant vos arguments. Remettez-nous des preuves tangibles que nous pouvons examiner et que d'autres personnes peuvent analyser. Prouvez au comité que ce que vous dites est vrai.

La présidente: Monsieur Parker, prenez-vous cet engagement?

M. Parker: Madame la présidente, je m'engagerai à faire l'impossible pour acquiescer à la demande de tout sénateur siégeant à votre comité. Je ne suis pas sûr de ce que vous entendez par des preuves scientifiques de nos activités commerciales.

J'ai décrit en quoi consistent les preuves, ce que les sociétés ont fait ainsi que les preuves ou l'absence de preuves selon lesquelles la publicité incite les gens à fumer ou à accroître leur usage du tabac. Il existe, à mon avis, des preuves concluantes du contraire. Un grand nombre de preuves ont été présentées au tribunal appelé à se prononcer sur la Loi sur le contrôle du tabac. Je commencerai donc par fournir ces preuves au sénateur. S'il en veut d'autres, il n'aura qu'à me le laisser savoir.

Le sénateur Bryden: Nous n'avons pas reçu de données biographiques à votre sujet. Détenez-vous un doctorat en médecine?

M. Luik: Non. C'est un «docteur» en science humaines.

Le sénateur Bryden: J'ai bien saisi vos antécédents professionnels.

Quelle profession exercez-vous? Pour qui travaillez-vous ou à quelle activité vous adonnez-vous?

M. Luik: Je suis consultant indépendant. Je travaille pour diverses personnes.

Le sénateur Bryden: D'où venez-vous?

M. Luik: Je suis de Niagara-on-the-Lake.

Le sénateur Bryden: Représentez-vous, ici, un organisme quelconque?

M. Luik: Non. Je ne suis rémunéré par personne. Je suis ici simplement pour apporter ma contribution aux discussions.

Le sénateur Bryden: Vous êtes ici simplement parce que la question vous intéresse, n'est-ce pas?

M. Luik: Oui.

La présidente: M. Luik comparaît devant la comité à sa propre demande.

Le sénateur Bryden: Ce que je vais dire a trait en partie à ce que le sénateur Kenny a dit -- de façon peut-être un peu plus directe que je ne l'aurais fait.

Il semble que l'industrie du tabac exige du gouvernement, et de ceux qui veulent prendre des mesures pour diminuer la publicité sur le tabac ou la promotion du tabac, des preuves selon lesquelles ces mesures seront efficaces. Je ne suis pas sûr que l'industrie soit disposée à nous affirmer que ces mesures ne sont pas efficaces. Vous avez avancé des chiffres et dit: «Nous faisons de la publicité en Amérique du Nord depuis des années et l'usage du tabac est demeuré stable ou a même diminué».

Avez-vous des preuves que cela aurait été encore moins si vous n'aviez pas fait de publicité?

M. Parker: Je tiens à établir une distinction entre la part du marché et la prévalence générale. Les parts du marché ont considérablement changé au Canada et ailleurs au cours de cette période; des marques et des compagnies qui ont déjà été en tête n'ont pas survécu à des temps difficiles alors que d'autres sont devenues beaucoup plus populaires.

Au Canada, la principale tendance des dix dernières années dans l'industrie est une croissance importante d'Imperial Tobacco, qui s'est faite aux dépens des deux autres compagnies. Toutefois, le niveau général du tabagisme n'a pas changé. C'est ce que je voulais dire tout à l'heure.

Le sénateur Bryden: Le niveau général du tabagisme aurait-il changé -- à la baisse -- si l'on n'avait pas consacré autant de milliards de dollars à la publicité, que ce soit ou non pour décrocher une part du marché?

M. Parker: Non. Je ne suis pas en mesure de répondre à cette question.

Le sénateur Bryden: J'ai beaucoup de mal à comprendre des affirmations qui sont faites tant dans votre mémoire que dans celui de M. Luik. J'ai entendu la même chose lorsque j'étais un adolescent, lorsque je fréquentais l'université et lorsque j'étais aux États-Unis, de la part des compagnies de tabac.

C'est la même phrase, à quelques mots près. La phrase est la suivante: «Il n'y a aucune réelle preuve qu'il existe un lien entre la publicité et la décision de commencer à fumer.» Ce que j'entendais autrefois, c'est ceci: «Il n'y a aucune réelle preuve qu'il existe un lien entre le tabagisme et le cancer du poumon.» C'est ce qu'on a dit pendant des années et des années. Voici que des compagnies de tabac décide volontairement -- après avoir été poursuivies aux États-Unis -- de consacrer 200 milliards de dollars à essayer de redresser une partie des torts.

Monsieur Luik, lorsque vous dites qu'il n'y a pas de preuve, qu'il n'y a aucune réelle preuve, vous comprendrez que nous sommes quelques-uns à avoir beaucoup de mal à croire que cette position est le moindrement différente de celle que votre industrie a prise pendant des années à propos du cancer du poumon ou de la question de savoir si l'on haussait la teneur en nicotine des cigarettes pour assurer une meilleure assuétude. La crédibilité de l'industrie à cet égard est très fragile.

M. Parker: Je le reconnais -- il est impossible de faire autrement. On a des doutes sur la crédibilité de l'industrie.

Qu'il s'agisse de savoir si les compagnies haussent la teneur en nicotine ou s'il est prouvé que la commandite influe sur la décision de fumer, on ne devrait pas considérer ce que l'industrie dit ou ce qu'elle ne dit pas. Lorsqu'on s'est demandé si les compagnies haussaient la teneur en nicotine des cigarettes, il y a quatre ans, Santé Canada a consacré 400 000 $ environ à une étude visant à déterminer si c'était vrai. Les personnes chargées de l'étude ont visité des usines et ont examiné le produit. L'information contenue dans leur rapport est disponible. À la fin de l'étude, la ministre de la Santé et ses collaborateurs ont dit publiquement que l'accusation n'était pas fondée. Les compagnies canadiennes n'avaient pas haussé et ne haussaient pas la teneur en nicotine de leurs produits.

Je comprends cela parce que je représente l'industrie. Toutefois, je peux avoir une autre opinion quant aux faits relatifs aux questions de ce genre. Je demanderais à n'importe quel législateur ou à quiconque d'examiner les faits à l'égard des allégations qui sont faites. Voilà pourquoi j'ai joint des données de Statistique Canada concernant la prévalence.

Le sénateur Bryden: Lorsqu'on examine les faits, il faut examiner tous les faits. Nous devons examiner les faits de notre point de vue et du vôtre pour ce qui est de l'incidence de la promotion et de la publicité. Vous avez fait votre travail et adopté, je crois, une attitude sélective.

Vous faites valoir des points qu'ont aussi fait valoir des représentants de Santé Canada. De nombreux facteurs peuvent amener une jeune personne à fumer, à savoir, notamment, le tabagisme de ses parents, la pression des pairs et sa situation sociale et économique. Tous ces facteurs ont une influence. Nous sommes quelques-uns à nous demander combien de ces facteurs sont à la portée des minuscules leviers que peut actionner la politique publique. Un facteur que nous pouvons influencer est le bombardement publicitaire auquel les jeunes sont exposés, que ce soit Joe Camel ou le cowboy de Marlboro qui est mort du cancer -- tout comme son cheval, de la fumée secondaire.

Vous avez fait valoir que l'industrie tient autant que qui que ce soit d'autre à empêcher les jeunes de commencer à fumer.

M. Parker: Oui. À cause des risques pour la santé, nous croyons que les enfants ne devraient pas fumer. Ni les adultes, d'ailleurs.

Le sénateur Bryden: Si vous arriviez à empêcher les gens de fumer, qu'adviendrait-il de votre marché d'ici deux générations?

M. Parker: Nous n'avons aucun moyen de le vérifier, mais les présidents de compagnie et le président de notre conseil d'administration ont dit publiquement ces derniers mois qu'on a tort de laisser entendre que les jeunes fumeurs sont les consommateurs de demain et que les compagnies de tabac les recrutent comme tels. Ce n'est pas vrai et nous sommes prêts à parier l'avenir de notre industrie que ce n'est pas le cas.

Il est difficile d'empêcher les jeunes d'essayer des choses qu'ils ne devraient pas essayer. Le tabagisme n'est qu'une de ces choses. Nous avons fait notre possible, ces dix dernières années, pour nous assurer que les détaillants à qui les grossistes vendent leurs produits -- et nous ne vendons pas aux utilisateurs eux-mêmes -- refusent de vendre des cigarettes aux jeunes qui ne peuvent pas fournir une preuve d'identité avec photo montrant qu'ils ont l'âge légal d'acheter des cigarettes.

Le sénateur Bryden: Il y a une loi qui l'interdit.

M. Luik: En effet, et elle a toujours existé.

Le sénateur Bryden: Ce que nous essayons de dire, c'est que si cela aide -- c'est-à-dire si cela empêche un ou deux adolescents de commencer à fumer -- alors la loi qui interdit à un propriétaire de dépanneur de vendre des cigarettes à un mineur est très valable.

M. Parker: Absolument.

Le sénateur Bryden: Ce que nous disons, c'est qu'il est très valable d'empêcher ces mêmes adolescents de voir leurs héros dans des situations où il est prestigieux non seulement de conduire une voiture de course ou de compter des buts, mais aussi de fumer une Virginia Slim, par exemple. C'est un des leviers dont dispose peut-être le gouvernement.

M. Luik: Je voudrais dire deux choses. D'abord, dans mon mémoire, je me suis donné la peine de vous fournir des faits que ne produit pas l'industrie du tabac afin que vous ne puissiez pas dire que ces faits sont triés sur le volet. Ces trois grands champions antitabac ont mené l'étude dont j'ai parlé et qui, en fait, a été publiée dans le British Journal of Addiction. Ce n'est donc pas l'industrie du tabac ni un expert-conseil de l'industrie du tabac qui vous dit que la publicité n'a aucune influence. Les gens qui vous disent cela ont examiné les résultats de 27 études qui ont été menées sur 15 ans -- les études les plus définitives à avoir été entreprises dans le monde entier.

Ensuite, si le levier dont vous parlez avait la moindre chance de réussir, personne ne vous déconseillerait de l'actionner, je crois. Je me suis penché sur votre question de savoir si d'autres leviers pourraient être actionnés. J'ai cité un article qui a été publié, il y a deux mois, dans l'American Journal of Public Health et j'en ai fourni une copie au comité.

Cet article décrit deux mesures qui ont été essayées pendant trois ans aux États-Unis pour empêcher les enfants de commencer à fumer. Ces mesures ont donné d'excellents résultats et pourtant, personne au Canada ni à Santé Canada n'en parle jamais. J'ai estimé ce qu'il vous en coûterait de prendre ces mesures. Elles ont été prises dans les écoles publiques de Baltimore, auprès d'enfants des 1ere et 2e années. La première est le «Jeu de rôle du bon garçon et de la méchante fille» et la seconde s'appelle la «Pédagogie de la maîtrise». J'estime qu'il vous en coûterait 240 millions de dollars par année environ pour en faire l'essai au Canada. Et pourtant, elles empêchent considérablement les jeunes de commencer à fumer.

Vous parlez d'actionner le bon levier. Il y a des cas que les professionnels de la santé du Canada ne semblent jamais mentionner. Ceux-ci sont uniquement obsédés par le levier qui ne fonctionne pas.

Le sénateur Lynch-Staunton: J'ai une question à vous poser, monsieur Luik. Si vous m'aviez demandé de nommer ces cinq prédicteurs, je crois que je n'aurais pas pu en nommer un seul. Quel rôle la pression des pairs et les modèles de comportement jouent-ils pour amener les jeunes -- de 10, 12 ans -- à fumer? On voit beaucoup de gens qui fument à la télévision et dans les films et je suis persuadé que c'est voulu par les fabricants de tabac afin que les jeunes croient qu'il est prestigieux de fumer et qu'ils commencent à le faire. Il y a aussi le fait que plus une chose est interdite, plus la tentation est forte de l'essayer. S'agit-il là de trois prédicteurs clé ou sont-ils accessoires aux cinq que vous avez déjà mentionnés?

M. Luik: L'influence des pairs est très controversée, tout comme le sont l'influence parentale et les modèles de comportement. Ces prédicteurs ont leurs partisans et leurs détracteurs. Il est intéressant de remarquer que les deux études qui ont été menées récemment là-dessus au Royaume-Uni ne considèrent ni l'un ni l'autre comme des prédicteurs importants.

Quant au troisième, le fruit défendu, il fait partie de ce que les spécialistes en sciences sociales qualifie d'esprit de rébellion. Beaucoup de faits montrent que lorsqu'on parle de tabagisme, on parle de toute une série de problèmes de comportement. Les enfants qui fument sont susceptibles de boire des boissons alcoolisées, de prendre des drogues illégales et d'avoir des problèmes liés à une sexualité précoce.

Cette grappe de problèmes de comportement annonce très fortement un comportement antisocial ou antiadultes. C'est ainsi que les personnes qui font partie de ce groupe tendent à prendre le contrepied de tout ce que dit la société adulte et à adopter les comportements mêmes que nous préférerions ne pas leur voir adopter. Oui, on s'entend à l'unanimité ou presque sur le fait que le fruit défendu est presque un déclencheur du comportement chez les jeunes.

Le sénateur Lynch-Staunton: Monsieur Parker, vous avez dit croire ou avoir entendu dire qu'on pourrait présenter des amendements à apporter au projet de loi. Pourriez-vous nous en dire plus?

M. Parker: Nous croyons savoir que d'autres témoins que vous entendrez proposeront peut-être des amendements. Je ne veux parler d'aucun membre du comité. Ceux-ci proposeront peut-être des amendements; c'est pour cela qu'ils sont ici.

Le sénateur Lynch-Staunton: J'ai posé une question au haut fonctionnaire de la Santé, le Dr O'Neill, au sujet du Règlement. Si je l'ai fait -- et je vais seulement résumer ma préoccupation -- c'est que, de plus en plus, le Parlement adopte des projets de loi qui sont faits de déclarations d'intention ou d'objet général et laisse au gouverneur en conseil le soin d'étoffer le projet de loi au moyen du Règlement. C'est devenu une dangereuse façon de faire et nous y contribuons tous en adoptant des projets de loi. Ce n'est pas correct.

À mon avis, la Loi sur le tabac est l'occasion idéale pour le gouvernement de réglementer tous les aspects de la production du tabac, du moment où il est récolté jusqu'à ce qu'il parvienne aux détaillants et aux fumeurs. Ces amendements prévoient une échéance de deux ans et une échéance de cinq ans. Votre étude des amendements -- ou, plutôt, l'étude menée par vos conseillers juridiques -- vous a-t-elle amené à conclure qu'il faut permettre au gouvernement, au moyen du Règlement, de prévoir des exemptions à ces échéances?

M. Parker: Je répondrai tout de suite non. Je ne suis au courant d'aucune exemption. Les témoins précédents -- et les sénateurs en savent plus long sur le processus réglementaire que je n'en saurai jamais -- ont bien fait valoir que le Règlement ne peut pas miner l'objet de fond du projet de loi.

Nous convenons certes que le projet de loi C-71 était beaucoup trop réglementaire plutôt que législatif. Nous n'en sommes qu'au début du processus de consultation en prévision de ce Règlement. C'est un processus énorme et potentiellement très pénible. Je peux comprendre que des petits détails soient réglés dans le Règlement. Dans ce cas-ci, nous croyons qu'il s'agit de plus que de petits détails.

Le sénateur Lynch-Staunton: Je regrette de ne pas pouvoir étayer davantage l'affirmation que j'ai lue, mais je vais faire des recherches et, lorsque le ministre comparaîtra, mes questions seront plus étoffées.

Le sénateur Joyal: Monsieur Parker, je voudrais revenir sur l'une de vos déclarations, à savoir que tous les programmes gouvernementaux des dix dernières années n'ont pas donné les résultats escomptés.

Nous reconnaissons tous que la propriété dangereuse du produit est la dépendance qu'il crée chez les gens qui ont commencé à fumer. Ceux d'entre nous qui ont déjà essayé de cesser de fumer savent à quel point c'est difficile. C'est pourquoi beaucoup de nouveaux médicaments, qui sont annoncés à la télévision, visent à aider les gens à cesser de fumer.

Vous avancez l'argumentation que la meilleure solution ne consiste peut-être pas à restreindre la publicité. Ne devrions-nous pas essayer alors de réglementer le produit de façon à limiter ce qui fait qu'il crée une dépendance?

M. Parker: Cela s'appelle habituellement de la modification de produit, sénateur. C'est le but que se fixait Santé Canada dans le document provisoire que le ministère a publié il y a quelques années. Il y était dit que, pour être efficace, une modification de produit devait être acceptable pour les consommateurs. Il ne sert à rien de forcer les fabricants à fabriquer un produit que personne n'achètera. Les fabricants n'ont aucune objection à le faire; ils l'ont fait dans le passé et ils le feront encore.

Les niveaux d'apport de nicotine et de goudron ont été réduits, sur une base volontaire, au Canada sur une période de dix ans ou presque à partir de la fin des années 70. Il vaut la peine de signaler en passant -- et c'est paradoxal -- qu'il est difficile d'informer les consommateurs des produits à faible teneur en nicotine et en goudron si l'on ne peut pas faire de la publicité.

Le sénateur Joyal: Je comprends parfaitement cela, mais si on limitait la teneur ou le pourcentage d'éléments ou de produits chimiques engendrant une dépendance de tous les produits, le consommateur n'aurait pas le choix. S'il voulait fumer une cigarette faite au Canada, il devrait acheter le même produit frappé de la même restriction dans tout le pays. Ce n'est pas comme s'il avait le choix d'acheter des cigarettes avec plus ou moins de nicotine.

M. Parker: Si elles étaient toutes réglementées?

Le sénateur Joyal: Oui. Si la teneur en nicotine était très réglementée, on n'aurait pas le choix. Si l'on voulait fumer, on devrait fumer ce qui serait vendu.

M. Parker: Il n'y a pas si longtemps, 40 p. 100 des paquets de cigarettes vendus au Canada venaient de la contrebande; ils étaient introduits en fraude pour éviter les prix élevés causés par les taxes.

La démarche réglementaire dont vous parlez nous inquiète. En fait, un de vos anciens collègues a présenté un projet de loi, il n'y a pas si longtemps, pour ramener les niveaux de nicotine sous le plus bas niveau déjà contenu dans une cigarette vendu sur le marché. Ce projet de loi se serait trouvé à interdire tout produit actuellement vendu au Canada et aurait seulement permis la vente de cigarettes à très faible teneur en nicotine.

Je peux vous dire que les consommateurs ne préfèrent pas les cigarettes à très forte teneur en nicotine, ni celles à très faible teneur en nicotine, mais celles dont la teneur va de moyenne à élevée.

Il y a aussi un débat sur ce qui constitue la partie la plus dangereuse de la cigarette. C'est une argumentation longue et compliquée et je ne veux pas abuser de votre temps ce soir. La meilleure façon de la présenter est celle-ci: vaut-il mieux maintenir les niveaux de nicotine -- ce que veulent les fumeurs -- et réduire le goudron, qui contient les produits chimiques qui sont néfastes pour la santé? Ce qui ne veut pas dire que la nicotine est en soi une substance inoffensive. Franchement, je ne suis pas qualifié pour répondre à cela. Ou bien, vaut-il mieux réduire la nicotine, qui crée une accoutumance, et laisser les gens continuer à fumer?

Je dirais que la collectivité antitabac et la collectivité protabac sont toutes deux partagées à cet égard. En autant que je sache, on n'a pas encore résolu la question.

Le sénateur Joyal: J'ai une question toute simple à vous poser, question que probablement tous les Canadiens se posent également. Pourquoi avez-vous accepté de payer 202 milliards de dollars au gouvernement américain en contrepartie des ravages causés par le tabac? Êtes-vous prêts à verser au gouvernement canadien une somme d'argent pour régler à l'amiable une action en justice de ce genre? Ça nous aiderait à réduire le déficit.

M. Parker: En tant que président d'une association, je répondrai «non» à votre question, sous réserve d'en avoir consulté les membres. Je ne représente aucun des sociétés américaines productrices de tabac. Certaines ont des actions dans une ou plusieurs des sociétés membres du conseil.

La principale raison pour laquelle les sociétés américaines et le procureur -- c'est évidemment une décision bipartite -- ont opté pour un règlement à l'amiable est que les deux parties estimaient que c'était préférable à poursuivre l'affaire jusqu'au bout. De toutes façons, si on compare le total des recettes fiscales que les gouvernements américains perçoivent sur le tabac, plus le montant du règlement, et les recettes fiscales des gouvernements canadiens -- sur la base des taux d'imposition d'aujourd'hui -- on s'aperçoit que les Canadiens toucheront plus.

Le sénateur Moore: Monsieur Parker, dans votre mémoire, vous avez dit que, en 1997, le Conseil canadien des fabricants des produits du tabac avait fourni pour 60 millions de dollars en commandites directes. Quelle est la somme totale qu'il a consacrée à la publicité cette même année, à l'exclusion des commandites directes?

M. Parker: Ce n'est pas le conseil qui fait ça, sénateur. Ce sont les fabricants de produits du tabac à titre individuel. Je crois que le total s'établit entre 70 et 80 millions de dollars. Soit 10 à 20 millions de dollars qui viennent s'ajouter au 60.

Le sénateur Moore: J'ai moi aussi été choqué par ce passage de votre mémoire auquel le sénateur Bryden a fait référence. Vous dites qu'il n'existe aucune preuve fiable qu'il y ait un lien de cause à effet entre la décision de se mettre à fumer et la promotion soit des produits soit des manifestations commanditées. Dans ce cas, pourquoi ne pas économiser ces 70 ou 80 millions de dollars?

M. Parker: C'est une question de part du marché, sénateur. Chaque année, 10 p. 100 des fumeurs canadiens changent de marques préférées. Chaque point de pourcentage de part du marché qu'une société gagne représente 22 millions de dollars en revenu net.

Par contre, si elle le perd, c'est ce que ça lui coûte. Les fabricants de tabac dépensent 75 millions de dollars dans l'espoir d'accroître leur revenu net de 220 millions de dollars. Ils n'y réussiront pas tous. Leur part du marché a changé au cours des 10 dernières années et c'est ce qui les motive.

J'ajouterai qu'il en va de même de tous les produits de consommation. Accroître sa part du marché est le but ultime car cela rapporte de façon disproportionnée. Et quand on perd du terrain, le coût en est également disproportionné.

Le sénateur Moore: Vous voulez me dire que quand on vante un produit, la publicité ne tente pas de convaincre le consommateur de choisir ce dernier, ou une marque en particulier. Je trouve cela difficile à croire. Je ne suis qu'un Néo-Écossais tout simple, mais je trouve ça difficile à croire.

M. Parker: Permettez-moi de préciser ma pensée. Il existe une catégorie de produits que l'on appelle des produits nouvellement sortis. Quand les caméscopes sont arrivés sur le marché, la publicité avait visiblement pour objet d'informer les consommateurs de leur existence et de les encourager à les essayer. Par contre, les cigarettes existent depuis plus d'un siècle. Elles sont distribuées et disponibles partout. Elles sont connues de tous.

Il en va de même du savon et de l'essence et de toute une quantité de produits dit standards. Ça ne renvoie pas à une norme. Ça veut seulement dire qu'ils sont bien connus et disponibles partout. Il n'existe aucune preuve à ma connaissance -- peut-être devriez-vous demander à des gens qui travaillent dans la publicité ou la commercialisation -- que la publicité sur le savon fasse augmenter le nombre de personnes qui se lavent ou que la publicité sur l'essence accroisse les distances parcourues. Ce sont deux décisions différentes.

Le sénateur Bryden: Ni le savon ni l'essence ne créent de dépendance.

Le sénateur Moore: La seule chose qui compte, c'est donc la consommation.

Le sénateur Lavoie-Roux: En 1987, des représentants d'Imperial Tobacco ont témoigné devant la Chambre des communes dans le cadre de l'étude de la Loi réglementant les produits du tabac. Ils ont dit que leurs études mensuelles du marché commençaient par les jeunes de 15 ans. Savez-vous si Imperial Tobacco continue à faire des études mensuelles sur les jeunes de 15 ans? Si non, quand la société a-t-elle arrêté de le faire?

M. Parker: Sénateur, je ne suis pas au courant de ce témoignage, mais si vous n'en donnez la date, j'en prendrai connaissance.

Je vais vous répondre au mieux de mes connaissances. Ce sujet a été couvert en long et en large pendant la période d'essai de la Loi réglementant les produits du tabac. Depuis 10 ans, à une exception près -- que la société pourra vous expliquer mieux que moi -- les recherches d'Imperial Tobacco ne portent que sur des personnes en âge légal de fumer. En 1987, c'était 16 ans dans la majorité des provinces. Aujourd'hui c'est 18 ou 19. Depuis plusieurs années, Imperial Tobacco ne cesse de répéter publiquement que ses recherches ne portent que sur des gens en âge légal de fumer.

L'une des études dont il a été question est le projet Viking, qui incluait des jeunes de 15 ans. Il avait pour objet de voir s'il était possible de modifier la façon de penser sur des questions liées au tabac, questions qui sont au coeur de notre débat d'aujourd'hui. Il ne s'agissait pas de déterminer si les jeunes allaient fumer ni de promouvoir une marque en particulier.

Si vous le désirez, je pourrai demander à l'un des cadres de la société ou encore à l'avocat qui a témoigné de vous écrire directement.

Le sénateur Lavoie-Roux: Savez-vous pourquoi ces études n'ont jamais été rendues publiques?

M. Parker: Toutes les études à ce sujet ont un caractère concurrentiel. Certaines études étaient incluses dans l'action en justice et ont été rendues publiques à ce moment-là. N'importe qui peut les consulter.

Le sénateur Lavoie-Roux: Je suppose que l'une des choses qui est importante pour les fabricants de tabac est la santé de leurs clients. Que font-ils pour la protéger?

M. Parker: J'ai dit plus tôt que, au début des années 70, les fabricants de tabac, ont de leur propre gré, fait paraître une mise en garde sur les paquets de cigarettes.

Le sénateur Lavoie-Roux: N'y ont-ils pas été obligés par le gouvernement?

M. Parker: Non. À l'époque, le ministre de la Santé avait proposé un projet de loi qui aurait interdit toute publicité et qui aurait exigé la présence d'une mise en garde sur les paquets. C'était sept ou huit ans -- ou plus -- après la publication aux États-Unis du rapport du chirurgien général établissant un lien indéniable entre le tabac et les problèmes de santé.

Les fabricants craignaient énormément la réglementation de la publicité, comme en atteste ma présence ici aujourd'hui. Ils n'avaient toutefois aucune objection à mettre des mises en garde sur les paquets, ce qu'il firent de leur propre gré. Quelques années plus tard, ces mises en garde devinrent obligatoires. Les caractères sont devenus de plus en plus gros et aujourd'hui c'est au Canada que ces messages occupent le plus place sur les paquets. C'est l'une des mesures qui ont été prises.

Toutes les études que j'ai lues indiquent que les risques associés avec le tabac sont plus élevés que pour n'importe quelle autre substance utilisée par la société. Ils sont tellement élevés en fait qu'ils dépassent les risques mesurés par les épidémiologistes. C'est dans ce contexte que je représente l'industrie depuis six ans. Je dois avouer que les risques pour la santé existent. Nous savons qu'ils existent, tous les fumeurs les connaissent, ainsi que les non-fumeurs, qu'ils soient jeunes ou adultes.

À notre avis, la connaissance des risques n'est pas la question. La question est de savoir comment persuader les gens qui connaissent les risques, les jeunes en particulier, de ne pas fumer. C'est là que réside la difficulté.

Le sénateur Mahovlich: La semaine dernière, le projet de loi S-13 a été jugé irrecevable par le Président de l'autre endroit. Il aurait permis de recueillir des fonds pour éduquer les enfants. Il nous aurait également donné les moyens de faire de la publicité. Un joueur comme Wayne Gretzky pourrait mettre en garde contre les effets nocifs du tabac.

Le sénateur Lynch-Staunton: Il fume des gros cigares.

Le sénateur Mahovlich: C'est autre chose. Un joueur qui ne fume pas le cigare pourrait servir à contrer tous les autres messages publicitaires. Cela nous mettrait sur un pied d'égalité. Est-ce que ce serait un bon moyen?

M. Parker: L'industrie était opposée au projet de loi S-13. Elle n'en avait pas contre son objet. Nous étions convaincus qu'il ne respectait pas la procédure, mais ce n'était pas à nous d'en juger. C'était aux Présidents de trancher. Le Président du Sénat et le Président de la Chambre ont rendu deux décisions contradictoires.

Selon nous, les partisans du projet de loi avaient omis de tenir compte de plusieurs choses. Pour commencer, l'industrie paye déjà une surtaxe annuelle spéciale de plus de 70 millions de dollars ayant précisément pour objet de réduire la consommation de tabac. L'industrie la verse depuis 1994. Elle a versé plus de 325 millions de dollars au gouvernement. L'argent est déjà là, il est disponible.

La deuxième raison pour laquelle nous étions opposés au projet de loi est que, selon des témoignages présentés devant les comités sénatoriaux et ailleurs, un programme similaire mis en place en Californie et instaurant une taxe spéciale pour contrecarrer la publicité par l'industrie aurait réduit la consommation de tabac. Je dois vous dire que je me suis donné la peine de me procurer les chiffres. Depuis l'entrée en vigueur de ce programme, en 1989, la consommation de tabac chez les jeunes californiens a augmenté. Elle est de 25 p. 100 supérieure à ce qu'elle était avant la mise en oeuvre du programme. Je doute que les partisans du programme -- tous très sincères quant à leur objectif -- pensaient accroître la consommation chez les jeunes. Je peux vous donner tous les détails et tous les chiffres que vous voulez sur l'expérience en Californie et aussi au Massachusetts.

En général, est-ce une bonne idée de demander à des personnalités du sport ou à d'autres modèles d'encourager les jeunes à dire non? J'aimerais qu'on essaye. L'argent est là.

Le sénateur Mahovlich: L'argent est là?

M. Parker: Oui.

Le sénateur Andreychuk: J'aimerais poser une question à M. Luik. Vous avez dit qu'il n'existait pas d'études directes crédibles sur la consommation du tabac chez les jeunes. En tant que spécialiste des sciences sociales, ne conviendrez-vous pas que de nombreuses études indiquent que la pression des pairs et les modèles de comportement ont une influence sur les enfants? Certaines études démontrent que les enfants imitent leurs parents et leurs héros. Ils font ce que leurs pairs font. Ce lien et ces études existent, n'est-ce pas?

M. Luik: Plusieurs études parlent des pairs. Très peu parlent des héros ou des modèles de comportement. C'est un mythe courant qui n'est pas attesté par les ouvrages de sciences sociales.

Quant à votre question sur le rôle des parents, selon les études les plus récentes, il serait beaucoup moins important que l'on pensait dans la décision de fumer.

Le sénateur Andreychuk: Ce n'était pas ma question. Je vous ai demandé, en votre qualité de spécialiste des sciences sociales, de mettre de côté la question du tabac. Oublions ça et parlons du comportement des enfants et des adultes. Pendant la dizaine d'années où j'ai exercé dans un tribunal de la famille, je recevais quotidiennement des rapports d'études démontrant que la pression de pairs, les modèles de comportement, les parents et autres influences avaient une incidence sur les enfants. Convenez-vous que ce genre d'études existe?

M. Luik: Certainement. Toutefois, en dehors des études sur le tabac, je ne suis pas compétent pour offrir des commentaires.

Le sénateur Andreychuk: Si la consommation de tabac n'était pas considérée comme un comportement négatif, diriez-vous que ces études sont crédibles?

M. Luik: Non. Je dirais que l'influence de la société adulte sur la décision de fumer est exactement l'inverse. Les gens vous disent que les enfants fument parce qu'ils veulent imiter les adultes et parce qu'ils voient des adultes célèbres fumer. Mais dans une société ou la vaste majorité des adultes ne fument plus, ce raisonnement ne tient pas. C'était peut-être vrai il y a 50 ans.

Les chercheurs disent que les enfants veulent fumer car ils veulent défier ce que la société adulte leur dit de faire. Un gouvernement, un adulte ou tout autre symbole d'autorité qui répète constamment aux enfants prédisposés à fumer -- je parle des 30 p. 100 qui fument -- qu'ils ne devraient pas fumer produit l'effet inverse. Ça les pousse à fumer. C'est pour ça que l'approche de Santé Canada en matière d'éducation est contreproductive.

Je n'ai aucune objection à ce qu'on explique aux enfants quels sont les risques, mais les études démontrent les unes après les autres que ce qu'il faut faire, c'est modifier le comportement des gens, et non leur parler des risques.

Le sénateur Andreychuk: J'accepte sans hésitation ce que nous a dit M. Parker, à savoir que la raison pour laquelle les fabricants de tabac veulent pouvoir faire de la publicité et être associés à toutes ces manifestations, c'est pour accroître leur part du marché. S'il existe des études montrant que les enfants suivent l'exemple qu'on leur donne, n'en faisons pas un élément négatif, mais plutôt un élément neutre. S'ils voient M. Gretzky avec une cigarette, vont-ils l'imiter?

M. Luik: Si ce sont des fumeurs, ils l'imiteront sans doute.

Le sénateur Andreychuk: La réalité est incontournable, fumer est une mauvaise chose. On voit une marque de cigarettes sur une voiture. De nombreuses études prouvent que les enfants veulent des Nikes parce qu'un certain joueur de basket-ball en porte, c'est la mode.

M. Luik: C'est exact. Si ce sont des fumeurs, selon la théorie de la marque, ils seront attirés par cette marque. Mais s'ils ne fument pas, il n'existe aucune preuve que voir ou aller voir une manifestation où se produisent M. Gretzky ou M. Villeneuve, ou qui que ce soit d'autre, les poussera à se mettre à fumer.

Le sénateur Andreychuk: Je ne suis pas d'accord avec vous. Il y a des jeunes qui n'ont jamais eu de baskets et qui en achèteront une paire après avoir assisté à un match de basket-ball.

M. Luik: Sénateur, malgré tout le respect que je vous dois, l'un des problèmes dont ce comité et le gouvernement semblent souffrir est qu'ils procèdent par analogie. Mon rôle en tant que spécialiste des sciences sociales est d'étudier ce que les gens qui étudient la question et qui possèdent des preuves ont à dire. Dans de nombreux cas, les preuves n'attestent tout simplement pas ce que notre bon sens nous dit.

La présidente: Monsieur Luik, je suis certaine que nous allons entendre ce soir un témoignage qui contredira le vôtre.

Le sénateur Kenny: Monsieur Parker, vous avez mentionné les deux décisions rendues par les Présidents au sujet du projet de loi S-13. J'aimerais savoir ce que vous pensez de la décision du Président de l'autre endroit qui a déclaré que le projet de loi était irrecevable. Il a basé sa décision sur le fait qu'il imposait un prélèvement qui ne servirait pas les fins de l'industrie. Autrement dit, cela va à l'encontre du bon sens qui voudrait que l'industrie du tabac soit en faveur d'un programme qui découragerait la consommation de tabac, puisque les jeunes sont l'avenir de cette dernière.

Qu'en pensez-vous?

M. Parker: Je conteste cette déclaration.

Le sénateur Kenny: Le projet de loi aurait sans doute dû être recevable alors.

M. Parker: Non, monsieur. Ce n'est pas la seule raison qu'il a donnée.

Le sénateur Kenny: «Allez-y plus doucement», d'après ce qu'on m'a dit.

Acceptez-vous le chiffre cité par Santé Canada et selon lequel 40 000 Canadiens meurent chaque année de maladies causées par le tabac?

M. Parker: Je n'ai aucun moyen de savoir s'il est exact ou non. C'est un chiffre estimatif tiré de la comparaison entre la population du Canada et celle des États-Unis sur la base d'une étude faite au début des années 70 par les adventistes du septième jour. Autant que je sache, au Canada on ne comptabilise pas les causes de décès pour l'ensemble du pays.

Le sénateur Kenny: L'ordre de grandeur est-il réaliste, monsieur Parker?

M. Parker: Je n'ai aucun moyen de le savoir.

Le sénateur Kenny: Est-ce que les gens meurent de maladies causées par le tabac?

M. Parker: Oui, bien sûr.

Le sénateur Kenny: L'industrie n'a-t-elle pas la responsabilité d'atténuer les préjudices subis par ces citoyens?

M. Parker: Sénateur, les gens qui fument le font en connaissance de cause. Dans ce pays, il faudrait avoir vécu dans le désert pendant un demi-siècle pour ne pas être au courant des risques associés avec le tabac. Quand j'avais cinq ans, avant 1950, on appelait les cigarettes des clous de cercueil et des attrape-cancers. Tout le monde sait ça. Le gouvernement le sait.

Au Canada, c'est un produit légal parce que le gouvernement a décidé qu'il devait rester légal. Le gouvernement réglemente tous les aspects de la production, de la fabrication, de la promotion, de la vente et même de la consommation du tabac. S'il faut changer la façon de faire les choses, le gouvernement a le pouvoir de le faire. Il le fait sous notre nez. Le gouvernement s'approprie, et de loin, la part du lion des revenus générés par ce produit.

Le sénateur Kenny: Monsieur Parker, vous souvenez-vous de ma question?

M. Parker: Oui, monsieur.

Le sénateur Kenny: Pourriez-vous la répéter à l'intention du comité, s'il vous plaît?

M. Parker: Vous m'avez demandé si les compagnies ont une responsabilité face aux troubles de santé liés au tabac.

Le sénateur Kenny: De réduire ces troubles. Répondriez-vous à cette question, s'il vous plaît?

M. Parker: Non, monsieur, nous n'en avons pas.

Le sénateur Kenny: Vous n'avez aucune responsabilité envers vos clients.

M. Parker: Bien sûr que nous avons une responsabilité envers nos clients, sénateur. Notre produit comporte des dangers inhérents à son utilisation. Nos clients le savent, et ils le savent depuis longtemps. Les gouvernements et des rapports le leur rappellent constamment. Vous-même avez aidé en ce sens.

Je pense que vous essayez de demander si les sociétés de tabac ont manqué à leurs obligations, jusqu'à un certain point. À mon avis, la réponse est non.

Le sénateur Kenny: Ma question était: «Avez-vous, vous ou les sociétés que vous représentez, une quelconque obligation d'atténuer les troubles que cause l'utilisation de votre produit chez vos clients?»

M. Parker: Monsieur, je ne peux répondre à cette question que de la façon dont je l'ai déjà fait. Je pense que les sociétés respectent déjà pleinement leurs obligations envers leurs clients, du point de vue tant de l'esprit que de la lettre de la loi.

La présidente: Merci, monsieur, d'avoir témoigné devant notre comité.

Pendant que le groupe suivant s'installe à la table, je peux vous dire que le légiste du Sénat a fait un peu de recherches, très rapidement, et que ces recherches tendant à montrer que le ministre ne pouvait pas utiliser le règlement d'application pour modifier les dates prévues dans le projet de loi C-42. Cela répondra peut-être à certaines des questions posées au cours de la première partie de notre réunion.

Nous avons maintenant plusieurs personnes devant nous. Il y a M. David Sweanor, conseiller juridique principal de l'Association pour les droits des non-fumeurs; le Dr David Esdaile, vice-président de Médecins pour un Canada sans fumée; M. Rob Cunningham, analyste principal des politiques de la Société canadienne du cancer; enfin, M. Denis Côté, coordinateur d'Info-tabac.

Le Dr David Esdaile, vice-président, Médecins pour un Canada sans fumée: Je porte le titre de docteur, mais cela ne veut pas dire que j'ai un doctorat, comme c'est le cas de M. Luik. Je suis médecin de famille. M. Luik est enseignant et détenteur d'un doctorat.

Je suis le vice-président de la société Médecins pour un Canada sans fumée. Nous sommes totalement contre l'objectif fondamental du projet de loi C-42 et ses dispositions.

Le projet de loi C-42 est fondé sur le projet de loi C-71, et ce dernier avait quatre objectifs fondamentaux: restreindre l'accès à la cigarette pour les jeunes, protéger les jeunes et les autres contre l'incitation à fumer, protéger la santé des Canadiens contre les maladies causées par le tabagisme et sensibiliser le public aux dangers pour la santé que représentent les produits du tabac.

Nous avons été témoins de plusieurs prolongations, dans le cas du projet de loi C-71. La première prolongation a reporté à octobre de cette année l'application de ses dispositions.

Nous demandions que tous les règlements doivent être présentés à la Chambre. Finalement, le jour suivant l'adoption de la Loi sur le tabac, vous le savez probablement, le ministre de la Santé a admis qu'il avait l'intention d'exempter le mode de soutien du projet la loi.

Médecins pour un Canada sans fumée a examiné une étude d'A.C. Neilsen sur les dépenses publicitaires de l'industrie du tabac, entre 1987 et 1998. Vous en avez un exemplaire.

Selon nous, et aussi selon ce rapport, l'industrie du tabac a ni plus ni moins mis le paquet sur la publicité. Au cours des cinq dernières années seulement, elles ont accru de 450 p. 100 leurs dépenses publicitaires. Il n'est pas surprenant de constater que c'est surtout pour les panneaux-réclames extérieurs et dans le circuit des transports en commun que la hausse est le plus marquée, et nous croyons qu'on ne peut protéger raisonnablement les enfants de ce genre de publicité. L'industrie du tabac dépense maintenant 25 fois plus sur ce type de publicité qu'en 1991.

Les publicités qui misent sur le style de vie, que nous essayons théoriquement d'éliminer, se retrouvent maintenant sous la forme de commandites. Bien sûr, il n'y a pas de limite d'âge dans le choix des modèles, pas de restrictions quant aux conséquences pour la santé et même pis, pas d'avertissement des dangers pour la santé. Au cours des six premiers mois de cette année, l'industrie du tabac a dépensé davantage en commandites de marques que dans toute l'année 1995.

La publicité a-t-elle un effet sur nos enfants? Sans vouloir tirer une conclusion trop précise, je ferais un parallèle certains éléments de la lettre de Médecins pour un Canada sans fumée. On y voit un graphique que j'ai fait agrandir. Ce sont les données de l'étude d'A.C. Nielsen. Il montre les dépenses publicitaires des sociétés de tabac sur les 11 dernières années. Ces dépenses avaient notablement chuté, mais elles remontent notablement au cours des dernières années. Au-dessus du graphique, on trouve de l'information fournie par le président de RJR MacDonald sur le pourcentage de jeunes adultes, de 19 à 24 ans, qui ont fumé au cours de la même période. On peut voir que si l'argent consacré à la publicité diminue, le tabagisme diminue. Je ne veux pas affirmer qu'il y a un lien de cause à effet, mais je pense qu'il faut dire que ces deux facteurs fluctuent ensemble.

Si je me fie aux questions que j'ai entendues, les sénateurs sont certainement au courant que plus de 90 p. 100 des nouveaux fumeurs sont mineurs. Ces enfants sont impressionnables, bien sûr, et des messages qui misent sur le style de vie les touchent beaucoup. Ils n'ont pas l'avantage de nos 50 années de savoir accumulé.

Selon le petit dictionnaire Oxford, la commandite consiste à promouvoir un programme en échange de temps d'antenne pour des messages publicitaires. C'est ce que proposait la Loi réglementant les produits du tabac, que la Cour suprême a rejetée dans une décision à cinq contre quatre. À l'époque, la Cour suprême exigeait qu'on fasse un lien rationnel entre une loi qui empiète sur les droits reconnus en vertu de la charte et les mesures ainsi imposées. Il y a un lien indéniable entre le désir de protéger des jeunes contre le tabagisme et l'interdiction des messages publicitaires misant sur le style de vie, les affiches dans les commerces au détail et les affiches publicitaires sur le bord des routes. Ce lien n'existe plus si le gouvernement permet le maintien des commandites et que celles-ci remplacent la publicité directe.

Le projet de loi C-42 permet le maintien des messages qui misent sur le style de vie, tels qu'ils sont utilisés aujourd'hui. En fait, ils sont partout, dans tous les quartiers. Nous avons l'impression que le projet de loi C-42 est illogique et qu'il ne permet pas l'atteinte de l'objectif énoncé par le gouvernement dans la Loi sur le tabac. Nous recommandons notamment des amendements concernant la publicité extérieure. C'est vraiment dans ce type de publicité que l'industrie a investi son argent pour se faire voir. Il faudrait modifier les dispositions de manière à ce que les restrictions imposées aux panneaux-réclames, à la publicité dans le circuit des transports en commun et aux affiches dans les magasins de détail, où les enfants vont s'acheter de la gomme ou des boissons, ne soient pas retardées.

Nous avons aussi l'impression qu'on n'aura plus aucune confiance dans l'intention de la loi et du gouvernement lui-même, si la date d'entrée en vigueur de la loi peut être fixée ou modifiée par simple décision du Cabinet.

La Loi sur le tabac et le projet de loi C-42 permettent actuellement aux sociétés de tabac de vendre des produits et des services sous le nom d'une marque de cigarette, pourvu que ces produits et services ne soient pas présentés comme allant de pair avec un style de vie et ne soient pas destinés aux jeunes. Notre plus grande préoccupation, et nous croyons que c'est l'une des grandes lacunes de ce projet de loi, c'est que, même si ces produits ne peuvent pas être destinés aux jeunes, cela ne veut pas dire que la publicité ou les commandites à leur nom ne seront pas justement orientées vers les jeunes. Ces formes de publicité peuvent être montrées dans des centres où les jeunes flânent tous les jours. Elles arriveront donc exactement aux mêmes fins.

Essentiellement, nous considérons le projet de loi C-42 comme une mesure qui est entièrement du côté de l'industrie. Il permet notamment à l'industrie de faire ce qu'elle fait le mieux, c'est-à-dire remettre à plus tard.

[Français]

M. Rob Cunningham, analyste principal des politiques, Société canadienne du cancer: Notre position sur ce projet de loi a deux aspects principaux. Premièrement, nous appuyons l'interdiction totale sur la publicité associée aux commandites même après un délai de cinq années.

Deuxièmement, nous nous opposons au délai créé dans ce projet de loi pour les restrictions partielles qui devraient entrer en vigueur le 1er octobre 1998.

[Traduction]

Nous avons un mémoire à l'intention du comité. Il est intitulé Compilation of Selected Evidence Regarding Impact of Tobacco Advertising and Promotion. Il répond en partie à la question du sénateur Lynch-Staunton. Le comité peut-il accepter que nous le déposions maintenant?

La présidente: Avec la permission du comité, oui. Il y en a des exemplaires supplémentaires pour les membres du comité qui en désirent un.

M. Cunningham: Partout dans le monde, les pays sont de plus en plus nombreux à interdire totalement la publicité par commandites. La France, la Belgique, la Nouvelle-Zélande et la Finlande l'ont déjà fait. L'Union européenne, qui regroupe 15 pays, vient d'adopter une loi qui entrera éventuellement en vigueur. L'Australie a presque totalement interdit cette forme de publicité et l'interdira totalement bientôt. Nous avons vu cette année le Québec adopter sa propre loi provinciale.

Dans ce mémoire, nous exposons des preuves de toutes sortes pour répondre à M. Parker, qui affirme, à tort à mon avis, qu'il n'y a aucune preuve. Des organismes indépendants du monde entier examinent les éléments de preuve, et ils ont conclu que la publicité et les commandites faisaient augmenter la consommation.

L'Organisation mondiale de la santé, les World Conferences on Tobacco and Health, l'Union internationale contre le cancer, la U.S. Food and Drug Administration et la Addition Research Foundation ont examiné les preuves. Déjà en 1969, le Comité permanent de la santé, du bien-être et des affaires sociales de la Chambre des communes recommandait l'interdiction totale de la publicité et de la promotion.

En 1995, en Australie, le comité sénatorial des affaires communautaires a recommandé que la loi soit modifiée de manière à imposer une interdiction totale des commandites. Le Comité international olympique ne permet pas les commandites associées aux Olympiques. Au Québec, la Coalition québécoise pour le contrôle du tabac, qui était dans l'impossibilité de témoigner aujourd'hui, regroupe plus de 700 organismes, dont des municipalités, des hôpitaux, des groupes de promotion de la santé, des organisations sportives. Or, cette coalition a approuvé un programme qui réclame l'interdiction totale de toute forme de promotion, y compris les commandites. En 1991, en Colombie-Britannique, la commission royale chargée d'étudier le coût des soins de santé a recommandé l'interdiction totale de cette publicité. Je pourrais continuer encore longtemps.

Nous avons remarqué comment, aux États-Unis, les sociétés de tabac avaient accepté volontairement un règlement sur un litige qui prévoit l'interdiction presque totale des commandites. La date d'entrée en vigueur était le 23 novembre 1998. C'est un peu différent de ce que c'était en 1997, quand on prévoyait une interdiction totale.

Si l'on examine les messages publicitaires, on constate qu'ils misent sur le style de vie. En 1995, la Cour suprême du Canada, se fondant en partie sur des documents internes de l'industrie et en partie sur la simple logique, a conclu à l'unanimité qu'une interdiction totale de la publicité misant sur le style de vie était justifiée en vertu de la charte. Une interdiction des commandites serait logique à la suite de ce jugement de la Cour suprême du Canada.

Si nous permettons la publicité par commandites, nous permettons aux sociétés de tabac de contourner l'interdiction de publicité à la radio et à la télévision. La nicotine est une drogue. Nous avons des médicaments d'ordonnance, mais il n'est pas possible d'en faire des commandites. Il n'y a pas de tournoi de tennis Prozac ou de festival des arts Valium. La nicotine est pourtant beaucoup plus mortelle que ces autres substances et devrait être traitée de la même manière quand il s'agit de réglementer sa promotion.

M. David Sweanor, conseiller juridique principal, Association pour les droits des non-fumeurs: À part mon travail d'avocat de l'Association pour les droits des non-fumeurs, j'ai fait beaucoup de travail auprès d'autres organismes intéressés au contrôle du tabac, aux quatre coins du monde. J'ai travaillé avec l'Organisation mondiale de la santé, la Banque mondiale, la Pan-American Health Organization, l'American Cancer Society, l'American Medical Association et beaucoup d'autres groupes. J'ai rédigé des parties du rapport du Surgeon General, aux États-Unis. Je suis aussi en train de rédiger une partie du prochain rapport du Royal College of Physicians, au Royaume-Uni.

Récemment, j'ai assisté, à Londres, en Angleterre, à une réunion des responsables de l'éducation en matière de santé. Il s'agissait d'un séminaire de spécialistes sur le tabagisme chez les jeunes. À partir de là, et ajoutant à cela ce que j'ai entendu aujourd'hui, je me suis rendu compte d'une chose. Lors de ce séminaire, des scientifiques et des universitaires reconnus du monde entier donnaient leur avis au gouvernement du Royaume-Uni sur ce qu'il pourrait faire au sujet du tabagisme. L'un des scientifiques a dit que, pendant longtemps, il était stupéfait d'entendre l'industrie du tabac et ses consultants continuer à présenter leurs arguments ridicules, dire des choses sans fondement et qui ne tenaient pas debout du point de vue scientifique. Ces gens disent les choses d'une manière qui laissait tout simplement l'important dans l'ombre, et il était facile de démolir leurs arguments dans un débat ou dans un périodique concurrent. On pouvait démontrer que leurs affirmations étaient absurdes.

Les représentants de l'industrie du tabac continuaient pourtant à faire ces affirmations, et la communauté scientifique se demandait jusqu'où ils pousseraient la stupidité, sachant qu'ils perdraient éventuellement. On a finalement découvert qu'ils n'étaient pas stupides, et qu'il se passait exactement ce qu'ils avaient voulu provoquer. Tant qu'ils peuvent nous mêler, retarder les choses et nous amener à nous engager dans des débats sur le fait qu'ils ont mal interprété telle ou telle donnée, omis des éléments ou engagé des consultants dont on peut mettre la compétence en doute, nous négligeons l'important. C'est exactement ce qui est en train de se produire, d'après moi. Nous devons dépasser ces discours démagogiques, et déterminer ce que nous savons avec certitude et ce que nous pouvons faire. Dans le cas présent, nous examinons une mesure législative particulière, ou plutôt une modification de la mesure.

Selon nous, cette modification n'est pas une bonne idée. Nous prolongeons la période où l'industrie du tabac pourra commanditer des manifestations sportives pour promouvoir ses produits. On sait bien sûr qu'on ne peut pas promouvoir un produit précis sans promouvoir tous les produits de cette catégorie.

Les commandites envoient un message très frappant à bien des gens, y compris aux jeunes, soit que ce produit ne peut pas être aussi mauvais que les scientifiques essaient de le dire à la population et à leurs propres enfants. On ne peut pas convaincre des enfants que la cigarette tue. Comme l'Organisation mondiale de la santé pourrait nous le dire, c'est 50 p. 100 des fumeurs à long terme. Elle sera responsable de la mort d'environ un demi-milliard des êtres vivants qui peuplent la planète aujourd'hui.

Ce produit tue quand on l'utilise exactement comme il doit être utilisé, et il crée une dépendance. Les enfants voient la cigarette associée aux feux d'artifices, aux voitures de course, aux compétitions équestres et à toutes sortes de choses qui leur semblent prestigieuses. Ils voient ces affiches partout, peuvent identifier le produit et faire l'association. En fait, c'est de consentement éclairé qu'il est question. Il faut au moins s'assurer qu'on dit la vérité aux gens en ce qui concerne les comportements et les produits.

Nous avons entendu des représentants de l'industrie du tabac qui savent que la cigarette est mauvaise pour la santé. Beaucoup de gens le savent aussi, mais ce n'est pas cela qu'il faut se demander. Il faut plutôt chercher à savoir si les gens sont assez au courant pour prendre des décisions vraiment informées, si nos enfants sont suffisamment mis en garde, s'ils savent les risques qu'ils courent et s'ils savent quoi faire à ce sujet.

Chez les adultes, l'industrie du tabac nous dit que seulement 10 p. 100 des gens changent de marque en une année. Chaque année, 40 p. 100 des fumeurs essaient d'arrêter. Quelle sorte d'information ont-ils? Que pouvons-nous leur donner de plus comme information? Pouvons-nous croire que l'industrie du tabac s'intéresse plus aux 10 p. 100 qui changent de marque qu'aux 40 p. 100 qui essaient sérieusement d'arrêter, aux 66 p. 100 qui disent qu'ils aimeraient arrêter ou aux nouveaux fumeurs qui arrivent sur le marché? Nous devons les informer et, si nous les informons, nous devons leur dire quels sont les risques véritables et ce qu'ils peuvent faire pour les éviter.

Connaître les risques, cela ne se limite pas à savoir que la cigarette est mauvaise pour la santé. Il faut aussi connaître les causes des maladies associées à la cigarette, la probabilité de les contracter et le pronostic. Les sondages montrent que les Canadiens, enfants et adultes, n'ont pas cette sorte d'information.

Au-delà de cela, nous devons savoir ce qu'on peut faire à ce sujet. Quels avantages y a-t-il à cesser de fumer? Beaucoup de gens disent: «J'ai fumé pendant 25 ans. Le mal est fait. Cela ne servirait plus à rien d'arrêter maintenant.» Nous devons leur dire quels seraient les avantages pour eux, mais nous devons aussi leur dire comment ils peuvent parvenir à arrêter, qu'est-ce qui les aidera à y arriver s'ils le veulent. Nous devons nous assurer que les produits et les services nécessaires sont disponibles. Voilà ce qui compte: il faut leur dire la vérité.

En Afrique du Sud, un numéro de téléphone sans frais est imprimé sur tous les paquets de cigarettes à l'intention de ceux qui veulent arrêter de fumer. Ici, nous envisageons de permettre que, pour quelques années encore, et peut-être un peu plus, l'industrie du tabac aie la possibilité d'associer ses produits mortels avec toutes sortes de choses qui sont stimulantes et acceptables pour nos enfants et pour beaucoup de fumeurs, sans être tenue de publier parallèlement un avertissement sur les risques pour la santé et sans avoir à donner de l'information précise à ces gens.

L'objet de la Loi sur le tabac est de promouvoir la santé auprès des Canadiens, et non de tromper les Canadiens. Le minimum absolu serait de nous assurer que, si la possibilité de commandites du tabac doit être maintenue, ces messages, signes et associations seront accompagnés d'un avis précis qui dise la vérité au sujet du produit.

Rien ne nous garantit que cela va se produire. Le gouvernement peut, aux termes de l'article 24 de la loi, exiger cela. Cependant, il n'a fait aucune déclaration en ce sens. Je dirais qu'au strict minimum, le comité doit insister pour que le gouvernement exige des renseignements détaillés sur la santé sur toute affiche utilisée dans le cadre de ces événements. Il est à espérer que le gouvernement ira au-delà de cela et exigera des renseignements et certains détails pour qu'on puisse se rapprocher de la notion de consentement éclairé.

Nous devons dire la vérité à ces jeunes. Il faut que, lorsqu'ils voient des voitures de course, des festivals de montgolfières et des feux d'artifice, ils puissent également voir des panneaux et affiches leur disant que le cancer des poumons est mortel. De plus, leurs parents pourront voir aussi ce qu'ils peuvent faire pour cesser de fumer. Deux tiers des parents qui fument ne veulent pas fumer. Deux tiers des gens que les jeunes considèrent comme cool ne veulent pas fumer. C'est une façon de les informer.

Au minimum, dites au gouvernement que dans le cadre d'une Loi sur la santé, on ne doit tout simplement pas permettre à l'industrie du tabac de tromper les gens et de ne pas leur dire la vérité.

[Français]

M. Denis Côté, coordinateur, Info-tabac: Monsieur le président, Info-tabac est un organisme sans but lucratif basé à Montréal. Dans notre comté fédéral, il se déroule en financement peut-être le tiers des commandites pour tout le Canada. Il y a une grande concentration de commandite dans notre territoire. C'est un dossier qu'Info-tabac a suivi de très près. D'autant plus qu'un des rôles d'Info-tabac est d'alimenter les médias en information et d'essayer d'avoir de meilleurs relations avec les médias concernant le tabagisme. Dans les médias francophones du Québec, on a un gros problème à cause du préjugé favorable que les grands médias ont envers les commandites du tabac. Le plus tôt que notre société aura passé au travers de ce problème, plus tôt nous aurons une couverture des médias qui correspond un peu à l'hécatombe du tabac. Au Canada, il y a environ 125 Canadiens qui décèdent à chaque jour dû à des maladies liées au tabac. On ne voit pas ces stattistiques dans les médias.

Info-tabac est membre de la Coalition québécoise pour le contrôle du tabac. M. Gauvin, le directeur, ne pouvait pas être ici à cause du changement d'horaire. Nous sommes un des 700 organismes membres. Les membres s'opposent à toute forme de publicité et de parrainage du tabac. Nous sommes également membres du Conseil québécois sur le tabac et la santé qui, depuis 1976, s'oppose à la publicité du tabac dont les commandites. Nous avons eu peu de succès sur le terrain. Même s'il y a eu des lois d'adoptées, dans les faits, il y a énormément de publicité et de commandite. Au Québec, c'est épouvantable.

L'idéal, selon nous, ce serait que le projet de loi soit carrément écarté, qu'il meure au Feuilleton, pour que la loi C-71 entre en vigueur rétroactivement. Cela devait être fait le 1er octobre en ce qui concerne le retrait de la publicité de commandite.

La deuxième étape, telle que prévue pas Santé Canada devait éliminer de 70 à 80 p. 100 la publicité du tabac du jour au lendemain. Ceci aurait dû être fait le 1er octobre dernier et non pas dans deux ans.

Le directeur de l'Alliance pour la liberté de commandite a témoigné devant le comité permanent de la santé de la Chambre des Communes, et leur représentant, M. Beck, a dit que l'échéance dans deux ans, n'était pas raisonnable. Trois fois dans son discours -- et je l'ai vérifié après sur l'Internet -- il disait que c'était impossible à réaliser. Donc, les événements commandités, tout comme l'industrie du tabac, n'acceptent pas l'étape d'octobre, 2000. Il n'y a pas de bonne foi de leur part pour réduire les commandites. Leur but est de remettre le problème à l'an 2000 et de faire du lobbying, et exercer encore des pressions pour prolonger cette étape.

Nous trouvons désolant que Santé Canada refuse de baisser la publicité du tabac sur le champ, et refuse de le faire depuis 1987. Il n'y a pas eu de retrait dans les faits de la publicité. La publicité s'est transformée en publicité de commandite, et c'est la plus efficace. C'est la publicité de style de vie qui est la plus séduisante. Il n'y a aucun mécanisme dans le projet de loi qui évite les abus de publicité dans les deux prochaines années. Comme, par exemple, d'annoncer un événement deux mois, six mois, un an après l'événement. Il y a encore au Québec de la publicité pour le Grand Prix Players du Canada, qui a eu lieu au mois de juin. Il n'y a rien dans le projet de loi qui interdit l'abus de publicité. Une autre forme d'abus, c'est d'annoncer, par exemple, un événement qui a lieu en Colombie-Britannique, de l'annoncer par exemple à l'Île-du-Prince-Edouard. Alors, même si l'événement peut attirer 5 000 personnes en Colombie-Britannique, la compagnie de cigarettes est libre de l'annoncer d'un océan à l'autre tant qu'elle le veut.

Il n'y a aussi aucun ratio de l'importance de l'événement et de la publicité. Par exemple, il y a une course de motoneige cette année au Québec et la commandite remise à l'événement était de l'ordre de 200 000 dollars, et la compagnie de cigarettes a fait pour deux millions de dollars de publicité, ce qui a attiré peut-être 100 personnes de plus à l'événement.

Il n'y a aucune balise dans la loi actuelle qui empêche les abus. Dans le mémoire qu'on a présenté au comité permanent de la santé à la Chambre des Communes, Info-tabac a proposé des balises pour réduire les abus de publicité durant les deux prochaines années. On demande que seuls les organisateurs des événements puissent faire de la publicité, et non pas les compagnies de cigarettes. Par exemple, que la publicité des événements ne puisse pas avoir lieu avant deux mois de l'événement et pas plus que deux semaines après; le budget de publicité d'un événement ne puisse pas dépasser les revenus que l'événement reçoit d'autres sources que le commanditaire.

J'ai 20 ans d'expérience en publicité et en commandite. Je connais bien ce dossier. Je vis dans un comté où il y a beaucoup de commandite, c'est un dossier que j'ai suivi de près.

Le sénateur Lavoie-Roux: Quel comté est-ce?

M. Côté: Le comté de Laurier--Sainte-Marie, le comté de Gilles Duceppe. Je suis disponible pour répondre à vos questions.

[Traduction]

Le sénateur Kenny: J'apprécie vivement de vous avoir comme témoins. J'ai plusieurs questions à vous poser.

Tout d'abord, ce projet de loi va-t-il entraîner une interdiction complète de la publicité s'il est adopté sous sa forme actuelle?

M. Cunningham: La Loi sur le tabac, telle que modifiée, même après le 1er octobre 2003, n'interdira pas totalement la publicité. Elle permettra encore de la publicité informationnelle et de la publicité de marque, ainsi que de la publicité directe, pourvu que cette publicité ne vise pas les jeunes en leur présentant un style de vie.

Le sénateur Kenny: Ensuite, est-ce que cela couvre la dénomination sociale exacte ou approximative?

M. Cunningham: En ce qui concerne la commandite, la loi visera non seulement Player's Racing, mais également Player's Limited Racing.

Le sénateur Kenny: Enfin, combien le gouvernement perçoit-il chaque année en taxes d'accise sur le tabac?

M. Cunningham: Plus de 2 milliards de dollars par année.

Le sénateur Kenny: Avez-vous dit 2,3 milliards de dollars?

M. Cunningham: C'est à peu près exact. Cependant, si on inclut la TPS sur les cigarettes, ce chiffre augmente.

Le sénateur Kenny: On perçoit à peu près le même montant au niveau provincial?

M. Cunningham: Oui, à peu près.

Le sénateur Kenny: Combien le gouvernement fédéral a-t-il perçu depuis qu'il a mis en oeuvre sa surtaxe précisément pour combattre l'usage du tabac chez les jeunes?

M. Cunningham: La surtaxe sur les profits mise en oeuvre le 8 février 1994 permet de percevoir 60 à 70 millions de dollars par année. Il faut faire le total pour les années qui se sont écoulées depuis pour obtenir le montant exact.

Le sénateur Kenny: De cet argent, combien le gouvernement fédéral a-t-il dépensé pour sensibiliser les jeunes aux dangers du tabac?

M. Cunningham: Le budget actuel de lutte contre le tabagisme de Santé Canada est de 20 millions de dollars par année. Au départ, le gouvernement a dit qu'il consacrerait tout l'argent perçu grâce à cette surtaxe à sa campagne antitabac. En fait, le premier ministre l'a annoncé à la Chambre des communes. Or, on n'a pas consacré 60 millions de dollars par année à cette campagne. On a réduit ce montant. Sur les 20 millions de dollars qu'on dépense à l'heure actuelle, environ 10 millions de dollars sont affectés à des aspects du programme distincts de la recherche et de l'application.

Le sénateur Kenny: Durant l'exercice 1997-1998, quel pourcentage des fonds destiné à la sensibilisation de la population le gouvernement a-t-il dépensé?

M. Cunningham: Je ne peux vous être d'aucune utilité dans le cas présent.

Le sénateur Kenny: Le chiffre de 200 000 $ vous dit-il quelque chose?

M. Cunningham: J'ai vu une réponse à une question au Feuilleton à la Chambre des communes qui parlait d'un chiffre de cet ordre.

Le sénateur Kenny: Cette réponse était fournie par quel ministère?

M. Cunningham: Le ministère de la Santé.

Le sénateur Kenny: La proposition 99 a-t-elle réduit l'usage du tabac en général dans l'État de la Californie de 36 p. 100 sur trois ans?

M. Sweanor: Je fais également partie du comité d'évaluation de l'État de la Californie. Oui, c'est à peu près exact. C'est une baisse très marquée.

Le sénateur Kenny: Le taux a été réduit de 36 p. 100 au cours des trois premières années de mise en oeuvre.

Est-ce que le taux d'utilisation du tabac chez les jeunes en Californie est de 12 p. 100 à l'heure actuelle?

M. Sweanor: C'est exact, en fonction des meilleurs chiffres disponibles pour l'État de la Californie à la suite de sondages intensifs.

Le sénateur Kenny: Quel est le taux d'usage du tabac chez les jeunes au Canada, à l'heure actuelle?

M. Sweanor: Il se situe autour de 30 p. 100.

Le sénateur Kenny: Pouvez-vous me dire combien on dépense en Californie pour sensibiliser les jeunes aux dangers du tabac?

M. Sweanor: Le budget total en Californie pour le programme de lutte contre le tabagisme est d'environ 4 $ U.S. par habitant, ce qui équivaut à environ 6 $ canadiens par habitant.

Le sénateur Kenny: Peut-on comparer cela aux sommes que nous dépensons au Canada à cet égard?

M. Sweanor: Au départ, pour 30 millions d'habitants, nous dépensons 200 000 $. La somme par habitant est donc bien moindre. Je ne suis pas bon pour les petites fractions.

Le sénateur Kenny: Quelqu'un pourrait-il nous donner le nombre de cents, s'il vous plaît?

Dr Esdaile: Le gouvernement ne nie pas qu'il dépense 33 cents canadiens comparativement à 4 $ américains aux États-Unis.

M. Sweanor: C'est pour tout le programme de lutte contre le tabagisme, plutôt que simplement pour le volet de sensibilisation.

Le sénateur Kenny: Pouvez-vous nous donner votre point de vue sur l'efficacité de la stratégie fédérale de réduction de l'usage du tabac jusqu'à maintenant?

M. Sweanor: Le bilan est absolument catastrophique. Au début des années 80, la consommation de tabac au Canada chez les jeunes de 15 à 19 ans était parmi les plus élevées au monde. En effet, environ 42 p. 100 des jeunes de cet âge fumaient tous les jours. En 1991, on avait réduit cette proportion à 16 p. 100. Tout indique qu'elle a continué de tomber, même si notre gouvernement ne vérifiait pas.

Lorsque le gouvernement a réduit les taxes sur le tabac, le prix du tabac a eu des répercussions plus profondes sur la consommation chez les jeunes que tout ce que nous avions essayé jusqu'alors. Nous avons eu un changement complet de tendance qui a coïncidé avec la promesse du gouvernement de mettre en oeuvre le plus important programme de lutte contre le tabagisme jamais vu. L'argent a disparu et la consommation chez les jeunes a augmenté. Elle continue d'augmenter.

Les taux d'usage du tabac au Canada et la consommation totale au Canada sont bien différents de ce que M. Parker a déclaré. Nous avons bien des preuves au Canada et dans d'autres pays que c'est une chose que nous pouvons contrôler. La Banque mondiale a estimé que l'argent consacré à la lutte contre le tabagisme est aussi rentable que l'immunisation, qui est aussi rentable qu'on puisse l'être. Nous ne dépensons pas cet argent et nous constatons les résultats. C'est particulièrement exaspérant quand on sait qu'il y a de nombreuses choses que nous pourrions faire pour remédier à la situation.

Dr Esdaile: Je suis d'accord. Depuis 30 ans, le gouvernement fédéral ne fait rien d'important et d'utile pour s'assurer que la prochaine génération fumera moins. On fait toutes sortes de grandes déclarations, on essaie de faire bonne convenance et on affirme que nous avons un merveilleux nouveau projet de loi. Cependant, souvent ce merveilleux nouveau projet de loi est affaibli et a des lacunes. Lorsqu'il n'y a plus de publicité, il y a de la commandite.

J'ai deux enfants âgés de 14 et 12 ans. Si les gouvernements canadiens continuent dans cette veine, il est très probable que mes enfants seront assis à cette table et regarderont les mêmes chiffres et une autre génération de Canadiens sera victime du tabac. Je suis un médecin de famille. J'ai travaillé pendant 20 ans au service des urgences. Les jeunes suivent la même voie que nous et ce qui est honteux, c'est que nous allons permettre à une autre génération d'être victime du même phénomène. Je ne pense pas que le gouvernement fédéral prend vraiment des mesures fermes pour faire une différence.

[Français]

Le sénateur Joyal: Monsieur Côté, n'est-il pas vrai que certains éléments de ce projet de loi ont été demandés par des organismes culturels et sportifs qui voulaient prévoir, si vous voulez, la période de transition, de manière à maintenir une certaine activité économique dans le comté même du député dont vous avez mentionné le nom?

M. Côté: Oui, les organismes commandités, surtout au Québec, sont très gâtés par l'industrie du tabac. C'est une excellente forme de publicité de style de vie. Ils associent des événements et des personnalités intéressantes à des marques de cigarettes et indirectement au fait de fumer. Ils reçoivent beaucoup d'argent. Les compagnies de cigarettes sont très avenantes et veulent renouveler les commandites longtemps à l'avance. C'est beaucoup plus agréable pour un organisme commandité de faire affaire avec une compagnie de cigarettes qu'avec le gouvernement dont les subventions sont non-récurantes et difficile à obtenir. C'est certain que tant qu'elles ne sont pas blâmées collectivement par les leaders d'opinion, les organismes commandités vont prendre l'argent du tabac. Et ils jouent un petit peu un jeu de chantage avec le gouvernement. Ils disent: «si ça vous dérange qu'on fasse de la publicité avec des organismes qui donnent le cancer, alors, donnez-nous autant d'argent que les compagnies de cigarettes. On veut de l'argent récurant; on veut tant de millions par année.»

La réponse à votre question est, oui, les organismes veulent continuer à recevoir de l'argent. C'est au gouvernement de prendre le problème du tabac dans son ensemble et de prendre les décisions. À ma connaissance, le gouvernement avait déjà pris ces décisions en 1987. En 1988, une loi a été adoptée presque à l'unanimité, interdissant les commandites. Le gouvernement fédéral a encore étudié ce problème, il y a deux ans. Tous les partis, sauf le Bloc québécois, ont adopté une loi qui interdisait la grande partie de la publicité de commandite, rétroactif au premier octobre dernier. C'est au gouvernement, en voyant le problème du tabac, le problème des dommages que cela donne à la population, de prendre des décisions politiques, et il les a prises, à ma connaissance, deux fois.

Le sénateur Joyal: Est-ce que la loi du Québec ne comporte pas des dispositions semblables pour assurer un phase transitoire jusqu'à l'extinction des commandites pour les événement sportifs et culturels?

M. Côté: La loi du Québec est associée à un fonds de compensation qui est disponible dès maintenant. Si des organismes perdent leur commandite cet automne ou au printemps, ils peuvent recevoir du gouvernement du Québec des compensations. Le Québec est en avance à ce sujet.

D'ailleurs, la loi a été adoptée avant la loi canadienne. Il y a un mécanisme de compensation qui tient compte de l'impact culturel dans les médias, de la popularité des événements.

[Traduction]

Dr Esdaile: Le fonds de remplacement est disponible aux termes de la loi québécoise. L'industrie sait exactement ce qu'elle fait. Les fumeurs sont dépendants de la nicotine et les industries culturelles et sportives ont absolument besoin de leur argent. Ces dernières sont devenues tout à fait dépendantes de cet argent et on ne peut les blâmer. Elles ont accès facilement à beaucoup d'argent; il leur suffit de s'associer à un nom.

Savez-vous que le projet de loi S-13 prévoyait au départ des fonds de remplacement? Je crois comprendre qu'à la demande du ministère ou du ministre de la Santé, on a supprimé cela. Cela fait qu'il est encore beaucoup plus difficile pour ces gens de ne plus dépendre de cet argent. Je reconnais qu'une telle disposition aurait facilité les choses, mais ces gens n'auraient jamais refusé de toucher à cet argent. Ils en dépendent et à moins qu'on leur dise, comme à un enfant, de ne pas fumer ou boire, ils continueront de prendre cet argent.

Le sénateur Joyal: Pouvons-nous rester sur la question de la dépendance? J'ai posé la question aux témoins précédents et je crois que vous étiez dans la salle à ce moment-là. Il me semble tout à fait sensé que si une chose est dangereuse, on réglemente les éléments dangereux de ce produit. Or, si je vous ai bien compris, je crois que le gouvernement refuse de faire cela. Le ministère de la Santé a effectué des études non concluantes et il a laissé tomber ensuite.

Vous avez dit que le Prozac, le Valium et d'autres produits sont des drogues. Cependant, je ne crois pas que le ministère de la Santé classe le tabac comme une drogue. Selon votre raisonnement, nous devrions inscrire le tabac sur la liste des drogues. Dans ce contexte, nous devrions adopter une approche beaucoup plus stricte à l'égard de l'information concernant le produit, l'utilisation du produit et la quantité de produit disponible.

J'ai du mal à concilier vos observations selon lesquelles il s'agit d'une drogue avec l'affirmation du ministère de la Santé qui prétend qu'il n'en est rien. Comment surveille-t-on la situation alors que vous nous dites tous, et je partage ces conclusions, qu'il s'agit d'un produit très dangereux? Tout le monde semble vouloir éviter de s'attaquer au véritable problème cependant, au fait qu'il s'agit d'une drogue. Traitons le tabac comme une drogue.

Dr Esdaile: En tant que médecin, je peux vous dire qu'il ne fait aucun doute que c'est une drogue. Lorsque M. Beatty était ministre de la Santé, il y a de nombreuses années, il a demandé à une commission spéciale d'établir que le tabac était, en fait, une drogue engendrant une dépendance. Cela ne faisait aucun doute et c'est la conclusion indépendante à laquelle la commission est arrivée.

Avant que vous ne passiez au dernier intervenant, je voudrais intervenir, car on a cité une étude qui, selon M. Parker, montrait qu'on n'avait pas manipulé les niveaux de nicotine. Cette étude a montré que l'industrie n'avait pas ajouté de nicotine aux cigarettes, mais elle a montré également que l'industrie choisit, à l'heure actuelle, des parties différentes du plant de tabac. Cela lui permet d'utiliser des parties qui ont des niveaux de nicotine différents. Directement ou indirectement, elle manipule les niveaux de nicotine et elle les surveille d'heure en heure sur la chaîne de fabrication. C'est un élément très important de ses produits.

Une autre question très difficile porte sur la façon de contrôler la nicotine dans la cigarette. M. Parker a déclaré que l'industrie essayait de réduire ce niveau. Cependant, l'industrie sait fort bien que la plupart des fumeurs ont besoin de nicotine. Ce qui figure sur le paquet importe donc peu. Les fumeurs tireront ce dont ils ont besoin des cigarettes.

Même si je n'ai pas encore établi les statistiques avec les nouveaux chiffres pour la Colombie-Britannique sur le contenu de la fumée, il est possible, cependant, que ceux qui fument des cigarettes légères absorbent davantage de goudron et d'éléments toxiques car ils fument davantage pour maintenir leurs niveaux de nicotine. Nous savons que les gens veulent maintenir ce niveau. Sur le plan politique, le tabac a toujours reçu un traitement de faveur et chose certaine, aux États-Unis, il est facile de dire qu'on a payé pour cela.

Il y a au moins 30 ans, on a recommandé que le tabac soit inclus dans la Loi sur les produits dangereux. Il y a toujours eu une certaine résistance à ce sujet de la part de l'industrie, bien entendu, mais également du Parlement. Si le tabac était visé par cette loi, il serait facile d'adopter des règlements et de contrôler l'accès à ce produit. On pourrait appliquer les règlements, comme on le fait avec tous les produits dangereux. Il se trouve qu'il est probablement plus mortel que la grande majorité des produits visés par la Loi sur les produits dangereux, mais nous laissons les enfants l'acheter au magasin du coin.

La présidente: Le sénateur Kenny a une question supplémentaire.

Le sénateur Kenny: Ce n'est pas une question supplémentaire. Je veux simplement préciser que Santé Canada n'a pas demandé que le fonds de transition soit retiré du projet de loi. Ce sont les commanditaires qui ont pris la décision. Je ne voulais pas laisser une fausse impression.

Le sénateur Joyal: Pourquoi ne nous demandez-vous pas d'inclure le tabac sur la liste des produits dangereux? Pourquoi ne nous attaquons-nous pas aux racines du problème? Je suis surpris de constater que lorsque vous avez l'occasion de vous adresser aux législateurs des deux Chambres pour une brève période, vous ne réclamez pas cela avec plus de véhémence. Est-ce que je me trompe quant à savoir ce que nous devrions faire comme prochaine étape?

La présidente: C'est peut-être une question légèrement injuste. Après tout, cela ne fait pas partie du projet de loi dont nous sommes saisis et ces gens sont venus témoigner devant nous en étant prêts à parler du projet de loi.

M. Sweanor: L'autre point que je voulais soulever, c'est que c'est justement pourquoi nous devons aller au-delà de certains des arguments insensés qui sont présentés et la raison pour laquelle l'industrie du tabac veut retarder les choses lorsqu'on se penche sur certaines décisions mineures.

Il faut s'attaquer au produit avant tout. Tous les autres produits de consommation au Canada sont réglementés. Il est impossible de mettre sur le marché un produit qui renferme un ingrédient pouvant nuire à la santé humaine lorsqu'il est utilisé exactement comme prévu. Cela s'applique à tous les produits, sauf au tabac.

Le tabac pose également un problème particulier, car la nicotine engendre l'indépendance. C'est pourquoi des millions de gens fument même si la majorité d'entre eux souhaiteraient ne pas le faire. La nicotine elle-même, aux doses dont les fumeurs ont besoin, n'est pas la responsable de la grande majorité des torts causés. C'est le produit par lequel on l'absorbe qui cause des problèmes de santé.

Toute drogue qu'on cherche à ingérer en aspirant de la fumée dans les poumons a de très fortes chances de vous tuer. Le tabac est un moyen très nocif pour absorber de la nicotine. Au Canada, en fait, toute notre réglementation est à l'envers. Les formes les plus pures de nicotine sont réglementées et elles sont généralement interdites. Les formes les plus nocives d'ingestion de nicotine, les produits du tabac, sont en vente libre.

Nous avons créé un monopole de la nicotine. J'ai été le coauteur d'un article dans le Journal of the American Medical Association sur cette question. Nous avons dit que quiconque dépend de la nicotine, quiconque a besoin de ces drogues ou en veut ne peut s'en procurer légalement qu'en achetant ce produit qui a 50 p. 100 de chances de vous tuer. C'est un peu comme si on disait aux gens qui se droguent par injection intraveineuse que la seule seringue qu'ils peuvent utiliser est une seringue contaminée par le VIH et l'hépatite.

Il n'est pas nécessaire d'avoir cette situation. Si nous prenions ce produit et le réglementions, si nous commencions à offrir aux consommateurs une façon d'obtenir la drogue dont ils ont besoin, en n'ayant beaucoup moins de chances de mourir et en éliminant du même coup les torts qu'ils causent aux gens autour d'eux, nous commencerions à agir de façon sensée. Nous ne faisons pas cela et c'est pourquoi bien des gens utilisent de façon involontaire un produit qui entraîne un taux de mortalité de 50 p. 100 et qui nuit à la santé des personnes qui les entourent.

Les gouvernements doivent commencer à traiter ce produit comme une drogue. Ils doivent commencer à examiner toutes les formes de nicotine et les divers moyens d'absorption de cette drogue. Il faut voir ce que nous connaissons en ce qui concerne les gens qui peuvent arrêter de fumer et les moyens qu'ils peuvent prendre et comment nous pouvons les aider. Pour les gens qui ne peuvent arrêter de fumer, nous devrions voir ce que nous pouvons leur offrir pour réduire leur taux de mortalité.

Lorsqu'on changera la façon d'examiner ce problème, on commencera à agir de façon sensée. C'est exactement là où nous devons agir et c'est pourquoi l'industrie du tabac aime à présenter les mêmes arguments insensés depuis tant de temps. Elle veut nous empêcher d'agir au sujet de ces questions. L'industrie perdra lorsque nous commencerons à nous pencher sur les drogues et les moyens d'absorption.

La présidente: C'était une superbe déclaration, monsieur Sweanor.

[Français]

Le sénateur Lavoie-Roux: Il me semble y avoir une contradiction de base fondamentale entre ce projet de loi et le projet de loi C-71, adopté il y a quelques années. Si on adopte ce projet de loi tel quel, j'ai l'impression qu'on vient contredire l'autre loi d'une certaine façon. C'est une remarque, vous n'êtes pas obligés d'être d'accord avec moi.

Lors de l'étude du projet de loi C-71, les organismes culturels ou sportifs ont fait plusieurs objections alléguant qu'ils ne trouveraient plus de commanditaires pour financer leurs organisations. D'après votre expérience, est-ce aussi vrai qu'ils le prétendaient? On a vu que la compagnie Air Canada a tout de suite pris la relève pour commanditer la course de Formule 1, et cela n'a pas fait beaucoup de bruit. Il y a probablement d'autres événements qui ont dû être repris en main. Est-ce un problème insurmontable que de trouver un autre commanditaire?

M. Côté: Selon les organismes qui connaissent le sujet, le projet de loi qui est devant vous constitue un gros recul. En octobre 1998, on a eu un gain qui devrait être sur le terrain actuellement, mais cela est reporté à dans deux ans. Pour nous, c'est une défaite face à l'industrie du tabac. On espère que cela ne passera pas.

En ce qui concerne le rapport entre les différents commanditaires et l'industrie du tabac, les organismes commandités font beaucoup de bruit parce qu'ils sont financés par l'industrie du tabac, laquelle est composée de spécialistes en relations publiques dont le métier est de faire du bruit pour prolonger les commandites du tabac.

On a fait une étude à Info-tabac sur les événements culturels de la région de Montréal qui ont eu lieu pendant un an et on cherchait des événements de la scène qui étaient commandités par du Maurier. Il n'y en avait presque pas. D'après Statistique Canada, les subventions dans le domaine de la culture sont de l'ordre de quatre milliards de dollars pour le Canada et le Conseil des arts du Maurier donne 1,5 millions de dollars. C'est un quatre millième de cela.

Il y a beaucoup de bruit qui est fait alentour de cela parce que les compagnies de cigarettes en rajoutent toujours. Le Conseil des arts du Maurier dédie 1,5 millions de dollars dollars et il annonce pour peut-être 10 millions. Les gens s'imaginent que c'est beaucoup d'argent. Les organismes qui reçoivent l'argent disent qu'ils veulent des compensations.

Le sénateur Lavoie-Roux: Alors ce n'est pas un obstacle insurmontable pour les organismes qui sont finances par les compagnies de tabac?

M. Côté: Non. Au Québec, on a fait un tableau des événements. Les compagnies de cigarettes disent qu'elles donnent 30 millions de dollars aux organismes. On a trouvé qu'ils reçoivent réellement neuf millions de dollars. De tous ces événements, celui qui est le plus problématique est le tournoi de tennis du Maurier. Presque tous les autres événements trouveraient des commanditaires dans les mois qui viennent ou pourraient surmonter leurs problèmes de financement autrement.

M. Cunningham: Dans les pays où la publicité associée à la commandite d'une compagnie de tabac a été interdite, les événements commandités par une telle compagnie ont continué d'exister malgré cette interdiction. De plus, au Canada, chaque fois qu'on avait une mesure pour interdire la publicité à la radio ou la vente du tabac dans les pharmacies, on entendait des gens dire qu'on allait être obligé de fermer des pharmacies, mais depuis l'entrée en vigueur de la loi, on s'aperçoit que les choses demeurent inchangées.

[Traduction]

Le sénateur Bryden: L'un de vous a-t-il déjà fumé? Inhalez-vous la fumée? Je ne pose pas cette question de façon malveillante. Ce n'est pas mon intention. Je la pose car, selon mon expérience au cours de nombreuses années, il y a 15 ou 20 ans, nous aurions été assis dans une salle comme celle-ci et j'aurais eu un cendrier. Les non-fumeurs étaient l'exception. À l'heure actuelle, c'est l'inverse qui est vrai partout.

Les producteurs de tabac font faillite dans le sud de l'Ontario, au Nouveau-Brunswick et dans de nombreux endroits, car ils ne peuvent vendre leur produit. Ils pourraient peut-être cultiver du chanvre, du chanvre industriel. Ce sont simplement des faits anecdotiques.

Depuis 20 ans, y a-t-il une réduction du nombre de Canadiens qui fument?

M. Cunningham: Oui.

Le sénateur Bryden: Avez-vous des chiffres?

M. Cunningham: Je peux vous donner un graphique complet pour cette période. Durant les cinq premières années d'application de la Loi réglementant les produits du tabac, entre 1988 et 1993, la consommation par habitant a baissé de 2 869 par année à 2 183. Ces chiffres sont basés sur les estimations de l'industrie.

Dr Esdaile: Si on prend la situation globale, deux choses se produisent. Tout d'abord, nous vieillissons. Ainsi, un certain nombre d'entre nous décèdent. Ils ne sont plus de ce monde. Beaucoup de ces décès sont attribuables au tabac et ainsi, certaines personnes ne comptent plus parmi les fumeurs, car elles sont mortes.

En même temps, alors que nous approchons du jugement dernier, nous devenons plus conscients des risques que posent les choses que nous faisons. Ainsi, nous sommes beaucoup plus enclins à cesser de fumer. Nous sommes soumis à davantage de pressions. Il faut ensuite se demander qui fume.

M. Rob Parker avait raison. Il est faux de prétendre que seuls les gens les plus défavorisés sur le plan socioéconomique fument. Il suffit de se tenir à l'extérieur de la salle d'urgence de l'hôpital Civic d'Ottawa pour voir que la grande majorité des infirmières bien instruites vont fumer une cigarette avec leur café lors de leurs pauses.

Une d'elles a cessé de travailler l'année dernière à cause de son cancer du poumon. Il est vrai que c'est un produit que consomment surtout les pauvres et les cols bleus, et l'industrie le sait. Les Canadiens français sont également de gros fumeurs. On consacre plus d'argent à la publicité au Québec que dans toute autre province. Les autochtones sont également de gros fumeurs. Si je ne m'abuse, 70 p. 100 d'entre eux fument.

Les hommes adultes fument un petit peu moins, même s'il n'est pas certain que ce soit la même chose pour les femmes. Cependant, les enfants commencent à fumer au même rythme terrible. C'est ce qui est vraiment très inquiétant et on peut espérer que nous nous attaquons à ce problème maintenant.

Le sénateur Bryden: Vous êtes du bon côté, tout comme moi.

Dr Esdaile: J'ai déjà fumé.

Le sénateur Bryden: La plupart des gens qui fument ont appris à le faire entre 10 et 20 ans. Cependant, à cause des changements dans le mode de vie, je le suppose, il y a eu une réduction très marquée du nombre d'adultes canadiens qui fument par rapport à ce qu'il était il y a 20 ans.

M. Sweanor: Là encore, on rencontre plus de non-fumeurs chez les gens mieux informés et dans les groupes socioéconomiques plus favorisés. On ne trouve pas de cendriers chez ces groupes. Si vous vous rendez dans un bar de Vanier, par contre, vous y verrez davantage de fumeurs.

Le sénateur Bryden: J'ai une question qui fait suite à une certaine confusion. Vous étiez dans la pièce lorsque les représentants des compagnies de tabac ont témoigné. Ils ont dit qu'on a enregistré, en Californie, une hausse de 25 p. 100 de la consommation du tabac après le programme. Vous affirmez qu'il y a eu une baisse de 36 p. 100. Est-ce que vous parlez tous les deux des mêmes personnes ou est-ce que quelqu'un ment? Où est la vérité?

M. Sweanor: Étant le seul non-Américain à faire partie du comité d'évaluation du programme de contrôle du tabac de l'État de Californie, je me fie aux données de l'État. De remarquables scientifiques provenant de certaines des meilleures universités ont examiné les données. Le sénateur Kenny a raison, il y a bien eu une diminution très marquée de la consommation générale et la même situation s'est produite au Massachusetts.

Il est plus difficile de savoir à quoi s'en tenir au sujet des enfants, notamment pour ce qui est de l'évaluation de la consommation. Quand il s'agit de déterminer si les enfants fument ou non, il se produit de grandes inexactitudes. Nous savons tous ce que nous répondrions à un sondage téléphonique si nous avions 13 ans. Des inexactitudes se glissent inévitablement et il est difficile d'évaluer réellement la consommation de tabac chez les jeunes. Est-ce dû au fait qu'ils tentent des expériences et s'en tiennent à cela suffisamment longtemps pour éviter l'accoutumance? En général, le programme est perçu comme très efficace et on tente de l'appliquer en de nombreux autres endroits.

Tous ceux qui s'intéressent au programme se heurtent aux arguments que lancent l'industrie du tabac et ses consultants. Je crois qu'il ne fait aucun doute que le programme est une réussite. L'est-il autant qu'il pourrait l'être? Non. L'industrie du tabac a investi des sommes énormes en Californie pour faire la promotion du tabac.

Si on voit l'industrie comme un vecteur de maladies, tous les vecteurs de maladies mutent pour tenter de survivre. Lorsqu'ils font face à un obstacle, ils se transforment. Ils font tout ce qu'ils peuvent pour essayer de le contourner.

Somme toute, l'industrie est une entité économique et, pour elle, les enfants ont plus de valeur que les adultes parce qu'ils lui offrent des possibilités de ventes et de profits à plus long terme.

Le sénateur Grafstein: Quand je lis l'article 24, je pense à deux médias qui ne sont pas visés directement, mais qui pourraient l'être en faisant une interprétation suffisamment large de la disposition; ce sont les films et les périodiques.

Je pense au film Casablanca, qui est l'un de mes films préférés de tous les temps. C'est grâce à ce film que j'ai appris à allumer deux cigarettes en même temps, en prévision d'une magnifique soirée. Humphrey Bogart était assurément une des grandes idoles du cinéma. De nos jours, on peut encore constater que le fait de fumer à la fois des cigarettes et des cigares est un signe de modernité.

Est-ce que ce projet de loi gêne, sinon interdit la publicité sociétale à la télévision ou dans les périodiques?

M. Cunningham: D'autres dispositions permettraient d'interdire à une compagnie de payer pour obtenir que des cigarettes ou autres produits du tabac soient visibles dans un film.

Le sénateur Grafstein: C'est en ce sens que le projet de loi vise à modifier l'article 24 de la Loi sur le tabac.

M. Cunningham: Il s'agit plutôt d'autres articles qui ne sont pas visés dans le projet de loi.

Le sénateur Grafstein: Le projet de loi modifie l'article 24 en le remplaçant par ce qui suit:

Il est interdit d'utiliser, directement ou indirectement, un élément de marque d'un produit du tabac ou le nom d'un fabricant sur le matériel relatif à la promotion d'une personne...

L'article fait ensuite référence à l'élément culturel. On peut interpréter cet article différemment.

J'aborde la question non pas du point de vue d'un changement accessoire de la structure du projet de loi. Toutefois, les gouvernements provinciaux et fédéral subventionnent lourdement ces activités par des subventions, prêts et crédits directs aux films et aux productions de télévision au Canada.

Lorsque je vais au cinéma, 80 p. 100 du public est composé d'enfants de 12 ans et plus. On se sent très vieux quand on regarde un film d'action, où il y a toujours des gens qui fument.

Puisque vous avez joué un rôle proactif au sujet du projet de loi, est-ce que ce projet de loi régit cet aspect ou le devrait-il?

M. Cunningham: Le projet de loi ne tient pas compte de cet aspect, mais d'autres dispositions de la Loi sur le tabac le font.

Le sénateur Grafstein: Le sénateur Joyal a posé une question qui mettait en cause l'hypocrisie qu'il y a à dénoncer le tabac comme un produit dangereux, quand par ailleurs les contribuables canadiens subventionnent directement la production de films et d'émissions de télévision qui font la promotion d'un certain mode de vie axé sur la consommation du tabac. Est-ce que cela ne témoigne pas d'une grave contradiction de la politique gouvernementale? Pourquoi le projet de loi ne s'attaque-t-il pas à ce problème?

M. Sweanor: Il s'agit d'un problème de plus grande portée puisque la plupart des films que voient nos enfants ne sont pas des productions canadiennes, mais viennent d'Hollywood. On sait, preuve à l'appui, que l'industrie du tabac paie des sommes considérables pour que les héros des films fument. C'est ce qui se produit.

Il y a plusieurs façons de lutter contre ce genre de situation. Certaines solutions échappent à la compétence du gouvernement national canadien, mais pourraient être appliquées par l'Organisation mondiale de la santé. Cet organisme pourrait, par exemple, proposer une convention cadre internationale qui interdirait ce genre de chose.

Nous pouvons aussi faire de notre mieux pour inoculer nos enfants contre ces messages, par exemple en leur disant la vérité au sujet des messages qu'ils voient, et cela pour mieux les protéger.

Le film Titanic et d'autres films continueront de circuler encore longtemps. Les enfants vont continuer de regarder ce genre de productions, qui présentent le tabagisme comme une chose séduisante. Nous ne pouvons pas refaire ces films. Nous devons plutôt donner une information juste à nos enfants et, cela, nous avons le pouvoir de le faire.

Le sénateur Grafstein: Je trouve encore plus curieux, parlant de l'hypocrisie du gouvernement canadien, que l'État de la Californie, où se trouve Hollywood, ne se soit pas attaqué à ce problème.

M. Cunningham: Cette pratique va prendre fin aux États-Unis en vertu du règlement judiciaire de 206 milliards de dollars. Ce règlement contient une clause qui prendra forme de jugement convenu, en vertu de laquelle les compagnies de tabac ne pourront plus payer pour obtenir ce genre de chose.

Le sénateur Mahovlich: Au sujet de Humphrey Bogart et de ses films, personne ne parle pas de la façon dont il est mort. Lauren Bacall dit qu'il a connu une mort horrible. On ne parle jamais des souffrances que Humphrey Bogart a supportées durant les deux ou trois derniers mois de sa vie.

Quelqu'un disait plus tôt qu'il y a de bonnes probabilités qu'un enfant qui voit son père ou sa mère fumer finisse par les imiter. Ce ne fut pas mon cas. Mon père a développé une toux et il a finalement jeté le paquet de cigarettes par la fenêtre. Il n'a plus fumé, mais il a continué de tousser pendant des années. Je n'avais pas envie de me retrouver dans la même situation que lui et je n'ai jamais commencé à fumer. Mon oncle était également un fumeur. C'était à l'époque où la teneur en nicotine était tellement élevée que les fumeurs en avaient les doigts noirs. Il est mort d'une crise cardiaque à l'âge de 52 ans. C'est une autre raison pour laquelle je n'ai pas fumé.

Quelqu'un sait-il combien d'argent les compagnies de tabac investissent dans la publicité au Canada? Connaissons-nous les chiffres?

M. Cunningham: Les compagnies dépensent environ 150 millions de dollars par année, dont 60 millions pour la commandite, 60 millions pour l'obtention d'emplacements privilégiés dans les points de vente au détail et environ 30 millions pour les représentants de commerce, les études de marché et la publicité directe, qui se retrouve maintenant dans la catégorie commandite.

Au cours d'une année, le changement net de la part du marché n'est que de 1 p. 100 à 2 p. 100. Les compagnies réalisent un profit de 10 millions de dollars pour une tranche de 1 p. 100 ou, en d'autres mots, paient 150 millions de dollars pour s'assurer des profits de 10 millions. Les compagnies disent qu'elles se concurrencent uniquement pour une part du marché, mais cet argument n'a aucun sens du point de vue économique ou financier.

Le sénateur Mahovlich: Pour être sur un pied d'égalité, le gouvernement devrait donc dépenser 150 millions de dollars en publicité contre le tabac?

M. Cunningham: C'est exact.

Le sénateur Mahovlich: Ce n'est pas ce que disait M. Parker.

La présidente: Je vous remercie beaucoup d'avoir comparu devant le comité, monsieur Cunningham.

La séance est levée.


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