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Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule 49 - Témoignages pour la séance du soir


OTTAWA, le mercredi 9 décembre 1998

Le comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel a été renvoyé le projet de loi C-42, Loi modifiant la Loi sur le tabac, se réunit aujourd'hui à 19 h 34 pour étudier le projet de loi.

Le sénateur Lorna Milne (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente: Je constate que nous avons le quorum. Honorables sénateurs, nous accueillons aujourd'hui le ministre de la Santé, M. Allan Rock. Soyez le bienvenu, monsieur le ministre. Vous avez la parole.

L'honorable Allan Rock, ministre de la Santé: Madame la présidente, je suis heureux d'être de retour devant ce comité. Ce n'est plus comme à l'époque où j'étais ministre de la Justice et où nous avions souvent l'occasion de nous rencontrer.

Je comparais devant votre comité en raison du respect que j'ai pour vos travaux et en raison de l'importance du projet de loi C-42 qui, à mon avis, viendra renforcer la Loi sur le tabac. Cette loi est déjà l'une des plus importantes du genre au monde, en raison de sa portée et de l'efficacité avec laquelle elle permet de lutter contre le problème de société que constitue le tabagisme.

[Français]

Je voudrais souligner que ce projet de loi a été élaboré après que nous ayons eu des discussions exhaustives avec toutes les parties intéressées. Nous avons consulté le milieu des arts et celui des sports ainsi que d'autres groupes qui seraient touchés par les changements envisagés. Les intervenants nous ont indiqués qu'ils avaient besoin d'échéance convenable pour trouver de nouveaux commanditaires et le projet de loi reconnaît cette demande.

Nous avons également consulté le milieu de la santé.

[Traduction]

Nous avons entendu les points de vue de divers groupes de santé, des organisations qui ont joué un rôle de tout premier plan dans les efforts visant à éliminer le tabagisme au Canada. Je les remercie de leur contribution. Je remercie tout particulièrement la Société canadienne du cancer, les Médecins pour un Canada sans fumée et l'Association pour les droits des non-fumeurs de leur très importante participation à cet effort général. Ces organisations sont intervenues en première ligne pour transmettre le message antitabac aux Canadiens. Elles ont grandement contribué aux progrès de la lutte contre le tabac chez les Canadiens.

Les organisations de protection de la santé ont examiné le projet de loi et ont compris ce que nous voulions faire. Je crois que, de façon générale, comme vous avez vous-même pu le constater, ces organisations appuient l'objectif que nous poursuivons, c'est-à-dire interdire complètement la promotion de commandite par les compagnies de tabac.

Dans la même veine, les milieux de la santé ont proposé un certain nombre d'amendements au projet de loi, et la Chambre des communes en a adopté trois. La Société canadienne du cancer et d'autres organismes de santé nationaux ont proposé d'autres amendements et nous comptons sur votre comité pour qu'il examine sérieusement les effets possibles de ces propositions.

Le principal objectif, bien entendu, c'est de protéger la santé des Canadiens, et tout particulièrement celle des jeunes. En renforçant les dispositions actuelles de la Loi sur le tabac relatives aux promotions de commandite, nous voulons faire obstacle à un autre message subtil véhiculé dans notre société, qui présente le tabagisme comme une pratique plus normale et plus acceptable qu'elle ne l'est en réalité.

Compte tenu des victimes qu'il fait, le tabac ne mérite pas d'être associé aux sports, à la culture ou aux spectacles. Le tabac doit plutôt être associé, dans l'esprit du public, aux substances mortelles qu'il contient, comme le monoxyde de carbone, l'acide cyanhydrique, le benzène, les nitrosamines et le plomb. J'ai nommé ces cinq substances, mais j'aurais également pu parler des quelque 4 000 composés chimiques et plus qui sont présents dans la fumée du tabac. J'aurais également pu parler des 50 agents cancérigènes et plus connus qui ont été identifiés dans la fumée du tabac.

Pourtant, depuis des années, les compagnies de tabac tirent profit de leurs activités de promotion d'événements commandités de tout genre, pour rehausser l'image de leur produit. Voyant leurs possibilités de publicité réduites, elles ont trouvé et exploité de nouveaux moyens de commercialisation. L'un des plus importants de ces moyens est la promotion de commandite.

[Français]

En 1987, les fabricants de produits de tabac avaient dépensé presque 28 millions de dollars pour la publicité de marque dans les médias. Encore, en 1987, ils avaient consacré moins de deux millions de dollars pour les commandites. En 1994, en raison de nouvelles limites, la publicité de marque avait une valeur financière négligeable. Mais les dépenses médiatiques liées aux activités de commandite atteignaient 10,5 millions de dollars.

[Traduction]

Ces commandites ne sont pas très subtiles. Les compagnies de tabac ne se limitent pas à commanditer les événements marquants. Leurs noms occupent une place de choix dans ces événements et même dans les lieux où ces événements se déroulent. Les couleurs de produits de marque et les logos sont parties intégrantes de la publicité.

Les compagnies de tabac ne choisissent pas à l'aveuglette les événements qu'elles commanditent. Leurs choix sont déterminés par les possibilités commerciales qu'offre chaque événement. Les fabricants de tabac choisissent les événements et s'assurent qu'ils reflètent des auditoires ciblés par des activités de commandite ou de promotion du tabac plus étendues. Ce n'est pas un hasard si les marques de tabac destinées aux femmes parrainent des activités de mode, par exemple, alors que les marques qui sont davantage consommés par les hommes vont plutôt commanditer la course automobile.

Par ailleurs, le projet de loi tient compte des effets qu'ont eus les commandites des compagnies de tabac à la grandeur du Canada. Il donne suite à la promesse que le gouvernement avait faite, l'an dernier, d'examiner les dispositions de la Loi sur le tabac relatives à la commandite. Le résultat de cet examen est une approche qui traite sur un pied d'égalité tous les événements qui sont actuellement commandités. Ainsi, bien que la loi adoptée par le dernier Parlement autorise la poursuite pour une période indéfinie de la commercialisation du tabac par la commandite, le projet de loi à l'étude apportera des modifications au régime en vigueur.

Permettez-moi de vous rappeler les mesures provisoires qui s'appliqueront si le projet de loi est adopté. Au cours des deux premières années de la période de transition, soit jusqu'au 1er octobre 2000, les événements que les compagnies de tabac commanditent déjà et qui ont eu cours au Canada durant la période de 15 mois précédant juin 1998 ne feront l'objet d'aucune nouvelle restriction. Au cours des trois années suivantes, des restrictions beaucoup plus rigoureuses s'appliqueront à la promotion des produits du tabac par la commandite de ces événements.

Sur les lieux mêmes de ces événements, la promotion de commandite pourra se poursuivre librement. Toutefois, la situation sera bien différente à l'extérieur des lieux d'une activité, où la promotion sera assujettie à la règle des 10 p. 100 prévue dans la Loi sur le tabac. Comme dans le cas des autres promotions, les éléments de marque autorisés ne pourront pas occuper plus de 10 p. 100 de la surface du matériel de promotion et devront figurer au bas de celui-ci. D'autre part, la loi imposera des restrictions sévères concernant les lieux et la façon dont les promotions pourront se faire à l'extérieur des lieux où se tiennent des événements. Ces nouvelles règles visent à réduire considérablement les possibilités que les jeunes soient exposés aux activités de promotion de commandite par les compagnies de tabac.

La période transitoire prendra fin le 1er octobre 2003. À compter de cette date, les promotions de commandite par les fabricants de tabac ne seront plus autorisées au Canada. Cette date marquera la fin des noms d'activités inspirés par des produits du tabac. Il n'y aura plus d'installations portant des noms liés à des produits du tabac. Le Canada demeurera en première ligne des pays qui luttent contre le tabagisme.

L'approche sur laquelle repose le projet de loi C-42 correspond étroitement aux normes qu'on voit apparaître sur la scène internationale, notamment dans les pays de l'Union européenne, en Australie et en Nouvelle-Zélande. Le projet de loi reflète également la volonté grandissante des provinces de s'attaquer à l'une des principales causes d'érosion de leurs budgets en matière de santé. Le meilleur exemple de cet intérêt est sans doute la récente loi adoptée par le Québec.

Cette action commune de la part des divers ordres de gouvernement n'est pas étonnante. Comme je le disais au début de ma déclaration, tous les gouvernements au Canada sont déterminés à lutter contre la cause la plus importante et la plus évitable de maladie et d'invalidité au Canada. Tous les gouvernements veulent sensibiliser davantage les jeunes aux risques du tabagisme et intensifier leurs stratégies de lutte contre cette pratique. Notre engagement collectif en matière de santé publique n'exige rien de moins.

Les gouvernements doivent continuer d'appliquer des stratégies générales. Nous devons apprendre à partir de ce qui fonctionne le mieux, et supprimer les moyens qu'utilisent les fabricants de tabac pour rejoindre les jeunes Canadiens. Je crois que le projet de loi C-42 aidera le Canada à y parvenir.

Je vous remercie de votre attention. Je suis maintenant prêt à répondre à vos questions.

Le sénateur Kenny: Les groupes que vous avez remerciés de vous avoir aidé à élaborer cette politique ont comparu juste avant vous. Ils ont fait valoir que l'approche du gouvernement faisait l'affaire des compagnies de tabac, puisque le gouvernement les aide en leur accordant un délai. Ils ont ajouté qu'il était utile de mettre l'accent sur la réglementation, mais qu'en n'assujettissant pas les compagnies de tabac à la Loi sur les produits dangereux, on leur laissait encore plus de marge de manoeuvre. Enfin, ils ont déclaré que la cigarette est la pire façon de faire circuler la nicotine et qu'il existe d'autres méthodes beaucoup plus saines de permettre aux gens de se procurer cette substance.

Avez-vous des commentaires à faire à ce sujet?

M. Rock: Oui, j'en ai. Il y a, bien sûr, de très grandes divergences de vue. Les témoins que vous avez entendus ont tenu des propos très différents. Même au sein des groupes avec lesquels nous avons travaillé, les opinions diffèrent quant à la rapidité de l'intervention gouvernementale qui est souhaitable et aux mesures que nous devrions adopter à l'appui ne serait-ce que d'objectifs communs.

Je comprends très bien qu'il y ait des gens qui voudraient que ces interdictions commencent à s'appliquer dès demain, afin que les commandites cessent immédiatement. Je comprends également qu'il s'en trouverait beaucoup d'autres pour soutenir que cela serait terriblement injuste envers d'autres intérêts légitimes, intérêts qu'il ne faut pas perdre de vue, et qu'une transition progressive nous permettra de réaliser nos objectifs communs, mais peut-être pas aussi rapidement que certains le souhaiteraient, tout en donnant à ceux qui ont des intérêts parfois considérables en jeu le temps de faire les ajustements nécessaires pour les protéger.

Si l'élimination des commandites par les compagnies de tabac était la seule mesure que prenait le gouvernement pour lutter contre le tabagisme, je suppose que l'argumentation en faveur d'une application immédiate, sans période de transition, aurait beaucoup plus de poids. Je tiens à rappeler aux sénateurs le contexte de notre rencontre, contexte sur lequel au moins deux autres considérations importantes exercent une influence.

L'interdiction des commandites et de la promotion par les compagnies de tabac, objet du projet de loi C-42, n'est qu'un des éléments. Le contexte dans lequel nous opérons comprend aussi la Loi sur le tabac (projet de loi C-71), que le Sénat et le Parlement du Canada ont étudiée et adoptée. Le projet de loi C-71, la Loi sur le tabac, est une charge frontale contre le tabac, dans la mesure où le permettent les lois canadiennes. Ce projet de loi a été rédigé et édicté pour donner suite à un jugement de la Cour suprême du Canada, dans lequel on délimitait avec grand soin jusqu'à quel point nous pouvons, comme législateurs, limiter les activités publicitaires et la liberté de parole des entreprises. Il a été rédigé pour que l'on puisse invoquer le droit criminel pour imposer des sanctions aux personnes qui contreviennent à la loi en vendant des produits du tabac aux jeunes. Il a été rédigé pour donner au gouvernement fédéral de grands et vastes pouvoirs de réglementation du tabac à titre de produit, pour que des règlements en régissent l'emballage et la vente.

Le projet de loi C-71 figure déjà dans les textes et il fournit une bonne partie du contexte dans lequel nous devons situer l'interdiction des commandites.

Il y a un autre élément de contexte qu'il ne faut pas oublier. En décidant d'adopter le projet de loi C-71, le Parlement, dont le Sénat fait partie, a autorisé la commandite par les compagnies de tabac ad vitam aeternam. La seule restriction avait trait à l'importance de la commandite.

Les sénateurs se souviennent peut-être que, pendant le débat sur le projet de loi C-71 et même dans les témoignages devant votre comité, il est arrivé que des gens, parfois au sein d'un même groupe, décriaient ces aspects de la loi et soutenaient qu'il fallait absolument mettre fin à la commandite.

Sénateurs, ce que le contexte nous dit, c'est que le projet de loi C-42 prend cet élément du projet de loi C-71, le projet de loi antitabac, et le renforce. Il accroît l'efficacité de notre charge de plein front contre le tabac. Au lieu d'autoriser la commandite ad vitam aeternam, on fixe une limite au terme d'un délai visant à permettre à ceux qui ont des intérêts légitimes de faire le nécessaire.

Est-il parfait? Bien sûr que non. Toutefois, dans cette mesure comme dans n'importe quelle autre, le gouvernement recherche l'équilibre des intérêts de la société tout en réduisant la consommation de tabac jusqu'à l'éliminer complètement, du moins on l'espère. Par contre, le projet de loi permettra à quiconque a de gros intérêts en jeu de prendre les dispositions nécessaires pendant la période de transition.

Un dernier point en matière de contexte, madame la présidente. Comme vous le savez, le gouvernement a également engagé une somme de 100 millions de dollars, qui sera dépensée au cours des cinq prochaines années, la moitié de cette somme devant servir à appliquer la loi et à en assurer le respect. L'autre moitié servira à financer une campagne s'adressant aux jeunes, pour les dissuader de commencer à fumer et encourager ceux qui fument déjà à arrêter.

Dans ce contexte, madame la présidente, pour ce qui touche la compétence législative que le projet de loi C-71 confère au gouvernement, compte tenu du fait que le projet de loi C-42 vient resserrer et renforcer une mesure qui y était déjà prévue et que le gouvernement a pour politique d'investir des sommes importantes à court terme dans une campagne visant à réduire la consommation de tabac, j'estime que, somme toute, cette façon de procéder est la bonne.

Le sénateur Kenny: Dans le contexte des 10 millions de dollars que vous allez débourser chaque année au cours des cinq prochaines années pour financer une campagne de sensibilisation à l'intention des jeunes, des témoins viennent de nous dire que, de son côté, l'industrie du tabac dépense bien plus que 100 millions de dollars par année en publicité pour faire connaître son produit. Estimez-vous qu'il y a là un équilibre juste et équitable? Estimez-vous que l'ampleur des moyens publicitaires déployés appelle une telle réaction de la part du gouvernement?

M. Rock: Évidemment, en ma qualité de ministre de la Santé, j'aime toujours avoir plus d'argent pour faire fonctionner notre ministère et remplir notre importante mission, notamment quand il s'agit de dissuader les gens de prendre l'habitude de fumer et d'encourager les fumeurs à perdre cette habitude. Je vous assure, sénateur, que je vais plaider la cause de l'augmentation des sommes que le gouvernement y consacre.

J'aimerais que nous disposions de sommes beaucoup plus importantes. Je suppose qu'il faudra attendre de voir si mes efforts, pour ce qui touche l'augmentation des taxes sur les cigarettes et des sommes versées dans le Trésor, vont porter fruit, si nous voulons élargir le champ d'application de nos efforts dans le cadre de la campagne antitabac.

Cela m'amène encore une fois à faire remarquer qu'une simple comparaison des budgets de publicité des compagnies de tabac par rapport à celui que nous consacrons actuellement à la campagne antitabac ne donne pas une idée complète. Il faut aussi tenir compte des mesures que nous prenons en application de la Loi sur le tabac, mesures touchant l'emballage, la divulgation de renseignements, les restrictions en matière de publicité, le respect, par les magasins du coin et les autres commerçants, de l'interdiction de vendre aux mineurs, et ainsi de suite.

Autrement dit, cela forme un vaste ensemble d'efforts. Même si le projet de loi C-42 vous a été présenté seul, je vous inviterais à l'examiner dans le contexte d'une stratégie plus globale.

Le sénateur Kenny: Compte tenu du fait que le gouvernement a considérablement réduit les taxes en 1994 pour faire échec à la contrebande et que le versement d'un règlement de 206 milliards de dollars, aux États-Unis, a occasionné une augmentation immédiate des prix là-bas, dans combien de temps le gouvernement canadien pourra-t-il rétablir les taxes dans les cinq provinces touchées?

M. Rock: Je ne peux pas vous donner de date précise. Je peux cependant vous dire que tous les ministériels ont clairement fait savoir que nous avons la ferme intention de majorer les taxes autant que possible, dès que nous pourrons le faire sans provoquer une recrudescence du problème de contrebande auquel nous avons dû faire face, au Canada, durant les semaines et les mois précédant février 1994.

Je peux également vous dire qu'il s'agit d'une décision concertée du ministre des Finances, du ministre de la Santé et du solliciteur général, qui est chargé d'établir, de concert avec la GRC et sur l'avis éclairé de la police locale, quel effet aura l'augmentation de taxe.

Il convient également de mentionner que la majoration de la taxe d'accise que nous avons décrétée en décembre 1997 était considérée comme la plus importante possible à ce moment-là. Je vous assure que nous suivons de près l'évolution de la situation, surtout à la suite de l'augmentation récente des prix dans les États américains limitrophes.

Le sénateur Kenny: Peu après votre entrée en fonction dans le poste que vous occupez actuellement, vous disiez, à propos du projet de loi C-71, que le suivi qui s'imposait consisterait à élaborer le règlement le plus strict et le plus rigoureux que vous puissiez élaborer, en prévoyant une toute petite exception pour la course de Formule 1, et à augmenter périodiquement les taxes.

Qu'est-ce qui vous a fait changer d'idée? Quelle autre mesure législative antitabac projetez-vous de présenter durant le mandat de votre gouvernement?

M. Rock: Quand j'ai été nommé ministre de la Santé, j'ai trouvé sur mon bureau copie d'une lettre que mon prédécesseur avait envoyée, le 27 avril 1997, à un destinataire dont je le nom m'échappe. Dans cette lettre, il promettait de modifier la Loi sur le tabac de telle sorte que les sports automobiles internationaux pourraient continuer d'être commandités par des compagnies de tabac au Canada.

Cela présentait un défi, car cet engagement supposait une modification législative. Nous pensions au départ qu'une telle modification risquerait d'affaiblir la loi. C'est ce qui m'a fait dire en réponse à une question que, pour les besoins de la cause, nous allions modifier la loi, mais le moins possible, juste assez pour remplir l'engagement pris mais sans plus. J'ai même ajouté que nous comptions augmenter les taxes dans la mesure du possible et prendre tout règlement pouvant contribuer à l'atteinte de l'objectif que nous nous sommes fixé.

Vous me demandez ce qui m'a fait changer d'idée. Pour ne rien vous cacher, nous avons trouvé une meilleure solution. Nous avons trouvé un meilleur moyen de remplir l'engagement pris tout en faisant en sorte que la Loi sur le tabac fasse la vie dure au tabagisme. Nous avons trouvé le moyen de tirer le meilleur parti possible de ce qui était au départ une situation difficile. Comme je l'ai déjà expliqué, en vertu de la Loi sur le tabac que le Parlement a adoptée au printemps de 1997, la commandite par les compagnies de tabac aurait été autorisée ad vitam aeternam. Même limitée, la commandite aurait fait se perpétuer l'association d'un événement au nom d'une compagnie de tabac, sur les lieux comme en dehors des lieux où se tient l'événement.

Nous avons trouvé le moyen de remplir l'engagement qui consistait à continuer d'autoriser la commandite dans les sports automobiles et de prescrire dans la loi pertinente une date limite après laquelle la commandite sera à jamais interdite, non seulement dans ce cas précis mais dans tous les cas. Le délai prévu est de cinq ans seulement. Entre-temps, comme vous me l'avez entendu dire dans mes observations préliminaires et comme vous avez pu le constater à la lecture du projet de loi, des restrictions très limitatives s'appliqueront à la commandite après les deux premières années.

Bref, sénateur, je croyais au départ qu'il faudrait prévoir une exception pour que la commandite dans les sports automobiles soit autorisée, mais nous avons trouvé un meilleur moyen de régler le problème.

En réponse à votre question sur les autres mesures législatives que j'envisage, à très court terme, nous comptons présenter un règlement touchant les exigences en matière de rapport. Nous donnons ainsi suite aux engagements pris en juin dernier, lors du dépôt du projet de loi C-42, engagements issus d'une longue période de consultation auprès des parties concernées et compétentes.

Nous publierons en outre des lettres d'information sur d'autres projets de règlements ayant trait, entre autres, à l'étiquetage, à l'emballage et à d'autres éléments de commercialisation. Essentiellement, les mesures que nous projetons à court et à moyen terme consistent en des règlements permettant d'exercer de façon concrète les pouvoirs conférés par la Loi sur le tabac et s'inscrivant dans notre stratégie globale de lutte contre le tabagisme.

Le sénateur Kenny: Comment justifier la politique canadienne en la matière quand la politique adoptée en Californie a permis de réduire la consommation de tabac de 36 p. 100 en seulement trois ans? En Californie, 12 p. 100 des jeunes fument, comparativement à 30 p. 100 au Canada.

M. Rock: Les chiffres que vous citez prouvent que tous devraient prendre la Californie pour modèle, sans nécessairement employer les mêmes moyens, parce qu'il y a des différences culturelles et que les méthodes doivent être adaptées aux circonstances de chacun, mais sûrement pour ce qui touche la profondeur de l'engagement et la priorité que les autorités gouvernementales accordent à cet enjeu.

De toute évidence, la Californie a obtenu d'excellents résultats, et je pense qu'il y lieu d'imiter toute méthode qui donne de bons résultats. C'est d'ailleurs pourquoi nous avons examiné attentivement la stratégie californienne, le genre d'annonces et les moyens utilisés là-bas pour atteindre les jeunes en milieu scolaire. Au cours de l'année qui vient, nous dévoilerons les détails de notre stratégie antitabac à l'intention des jeunes. Je puis vous assurer que notre stratégie ressemblera à maints égards à celle qui a connu tant de succès en Californie, stratégie dont elle s'inspire fortement.

Le sénateur Lynch-Staunton: Vous avez fait allusion à la lettre qui vous attendait dans votre bureau le jour de votre entrée en fonction. Cette lettre faisait suite à des discussions que votre prédécesseur avait eues principalement avec des promoteurs de sports automobiles au Canada. Il participait à ces discussions lorsqu'il a nié, dans son témoignage devant le comité sénatorial, qu'il y soit question d'amender le projet de loi C-71 pour accorder une petite marge de manoeuvre en ce qui concerne les sports automobiles et d'autres commandites. J'ai trouvé que le fait pour un ministre de négocier l'inclusion d'une marge de manoeuvre dans le projet de loi avec la partie intéressée tout en se montrant inflexible devant le comité sénatorial tenait de l'outrage au Parlement.

C'est de l'histoire ancienne, mais j'y reviens dans l'espoir que vous nous donnerez l'assurance que, vous, vous ne tenez pas mordicus à assouplir le dispositif du projet de loi à l'étude ou à le resserrer pendant que vous plaidez en sa faveur aujourd'hui.

M. Rock: Pas question.

Le sénateur Lynch-Staunton: J'espère qu'un tel incident ne se reproduira pas, car cela a été fort déplaisant. Le Parlement tout entier aurait trouvé pareil comportement insultant.

À ma connaissance, aucun autre projet de loi ne repose autant sur la réglementation pour sa mise en oeuvre que ne le fait le projet de loi C-71. Il y en a peut-être d'autres, mais je ne les connais pas. Pas de règlement, pas de mise en oeuvre.

J'ai posé la question à M. O'Neill et à M. McNaught plus tôt dans la journée, mais ils n'ont pas été en mesure de me répondre. J'espère qu'ils ont eu le temps de se renseigner et qu'ils pourront me fournir une réponse ou que vous le ferez, monsieur le ministre. Y a-t-il, dans le projet de loi C-42 ou le projet de loi C-71, quoi que ce soit dont le gouverneur en conseil pourrait s'autoriser pour prendre, pour une raison ou pour une autre, un règlement qui aurait pour effet de prolonger ou de modifier le délai de deux ans et celui de cinq ans ou encore de dispenser les parties intéressées de respecter ces délais?

M. Rock: Vous avez eu la gentillesse de soulever cette question plus tôt, et nous y avons réfléchi. J'inviterais mes collègues, MM. McNaught et O'Neill, à formuler des commentaires, s'ils le veulent bien.

Permettez-moi de me faire leur porte-parole pour dire que nous en sommes venus à la conclusion que cela ne pourrait pas se faire. Les délais de grâce sont clairement fixés dans le corps de la loi et ne pourraient être modifiés autrement que par voie législative. Cela dit, je m'empresse d'ajouter que les règlements dont il est question ici ne seraient pas pris de la façon habituelle, c'est-à-dire par décret, mais exigeraient une intervention du Parlement, conformément aux dispositions qui ont été incorporées au projet de loi au moment de son adoption à la Chambre des communes. Dans ce cas comme dans celui de la Loi sur les armes à feu, le Parlement est appelé à prendre une part active dans le processus réglementaire. Premièrement, les dates sont prévues dans la loi et ne peuvent être modifiées qu'avec le consentement des deux Chambres du Parlement et, deuxièmement, même le pouvoir de réglementation conféré par cette loi est exceptionnel en ce sens qu'il donnera lieu à un débat public au Parlement, débat que l'on ne tient pas d'ordinaire pour les règlements.

Le sénateur Lynch-Staunton: Je ne veux pas aborder cet aspect.

M. Rock: Laissez-moi m'assurer que mes collègues sont d'accord avec ce que j'ai dit.

Le sénateur Lynch-Staunton: Ils ont avantage à l'être, s'ils ne veulent pas trouver une lettre sur leur bureau demain matin.

M. Chris McNaught, conseiller juridique principal (ministère de la Justice), Santé Canada: Je vous sais gré de votre déférence, monsieur le ministre.

Sénateur, je reviens avec plaisir à la question que vous avez soulevée cet après-midi. J'espère ne pas avoir donné l'impression de chercher à embrouiller les choses. J'essayais simplement de ne pas me prononcer sur une question qui me paraissait essentiellement politique. Puisque le très estimé ministre s'est chargé de cet aspect, permettez-moi d'aborder certains des aspects à caractère plus juridique à propos desquels vous vous interrogiez peut-être.

Comme vous le savez probablement, sénateur, l'article 33 de la loi prescrit les divers pouvoirs en matière de réglementation. Et comme vous le savez probablement aussi, les règlements ne peuvent pas contredire les dispositions de fond de la loi. Ils ne peuvent pas servir à infirmer des dispositions de fond. On dit souvent, par exemple, que la réglementation est le mécanisme par lequel on étoffe la loi proprement dite. L'ampleur de l'étoffement qui s'impose peut être discutable, mais, de façon générale, les règlements peuvent porter sur des considérations comme la taille d'une affiche, son emplacement et les caractères à employer. Dans le projet de loi C-71, c'est-à-dire la Loi sur le tabac, il n'est dit nulle part que le pouvoir de réglementation s'applique aux dispositions de fond relatives aux dates de mise en application ou d'entrée en vigueur de toute autre modification.

Comme vous vous en souvenez peut-être aussi, l'article 42 de la Loi sur le tabac constituait un ajout notable afin de régler cette question. En vertu de cet article, même si un règlement pouvait accomplir ce que, peut-être, vous craignez que celui-ci puisse faire, il faudrait quand même que ce règlement soit d'abord déposé devant la Chambre des communes. Par conséquent, toutes les mesures possibles sont prises afin d'éviter un tel résultat.

La présidente: Je voudrais intervenir ici, étant donné que nous parlons du règlement et que le ministre en a aussi parlé en réponse à la question du sénateur Kenny. Récemment, le comité a demandé aux ministres qui viennent témoigner devant nous de s'assurer que l'autre endroit et le Sénat soient traités de la même façon lorsque des projets de loi leur sont soumis.

Cela ne s'est pas produit dans le cas du projet de loi C-71, parce que lorsque vous proposez un règlement, vous n'êtes tenus de le présenter qu'à la Chambre des communes. Il conviendrait -- certainement pas en adoptant un amendement, mais plutôt en prenant un engagement -- que, lorsque vous déposez un règlement devant la Chambre des communes, comme le prévoient maintenant d'autres projets de loi, vous déposiez aussi celui-ci devant le Sénat.

M. Rock: Me demandez-vous de prendre cet engagement?

La présidente: Oui.

M. Rock: Je ne vais pas le faire maintenant, mais je serai heureux d'étudier cette suggestion. C'est une suggestion que je me dois d'étudier, et je vous fournirai une réponse en temps utile, lorsque j'aurai eu l'occasion d'examiner votre proposition.

Le sénateur Kenny: Plusieurs comités ont obtenu des engagements de ce genre par l'entremise d'une lettre provenant du ministre concerné. Toutefois, lorsque le ministre en question était remplacé, il est arrivé que le nouveau titulaire décide de ne pas respecter l'engagement pris par son prédécesseur. Si nous obtenons un engagement de cette nature, il importe que celui-ci soit pris par le gouvernement, plutôt que par un ministre individuel. Je ne veux pas être irrespectueux à votre endroit. Je signale simplement que des ministres précédents représentant des gouvernements différents ont dit qu'ils seraient heureux de prendre un tel engagement, mais que lorsque le Sénat s'est adressé à leurs successeurs, ceux-ci ont répondu que même si un engagement avait été pris, la situation avait changé et que l'engagement ne tenait plus.

M. Rock: Si c'est le cas, il importe d'autant plus que j'étudie la question. Il est possible que la meilleure solution soit une politique gouvernementale s'appliquant à tous les cas semblables, et non pas de façon individuelle. Laissez-moi en discuter avec mes collègues et je vous donnerai ensuite une réponse.

Le sénateur Lynch-Staunton: Je remercie M. McNaught de son explication. Je ne posais pas une question à caractère politique. Je ne pose jamais de telles questions.

En ce qui a trait au règlement, le projet de loi C-71 prévoit actuellement que le projet de règlement est déposé devant le Parlement puis renvoyé à un comité qui peut effectuer une enquête ou tenir des audiences publiques. Cette démarche n'est pas obligatoire. Par conséquent, il conviendrait de resserrer cette disposition et il conviendrait que le comité soit un comité mixte, ou que le projet de règlement soit déposé devant les deux Chambres.

Dans cinq ans, soit en 2003, la publicité sur le tabac fera l'objet d'une interdiction plus ou moins complète. Je m'exprime mal, mais je pense que vous savez ce dont je parle. Une certaine forme de publicité sur le tabac ne sera plus permise.

L'une des raisons pour lesquelles le projet de loi du ministre Epp a été rejeté par la Cour suprême est que la majorité a jugé que celui-ci n'était pas à l'abri de contestations en vertu de la Charte, et qu'en fait le projet de loi violait celle-ci en ne permettant pas la liberté d'expression au niveau commercial. Pourquoi l'opinion des juges de la Cour suprême dans ce cas-ci ne serait-elle pas la même, puisque, d'ici cinq ans, la liberté d'expression au niveau commercial fera l'objet d'une interdiction partielle?

M. Rock: Il s'agit essentiellement de liberté d'expression dans le contexte commercial. La Cour suprême du Canada a jugé qu'un vendeur de produits avait le droit, dans le contexte commercial, de communiquer avec des acheteurs possibles et que le fait de supprimer cette communication violait le droit à la liberté de parole au sens commercial.

Je vais vous fournir une réponse brève, parce qu'une longue réponse serait très ennuyeuse. Il me semble, à la lecture du jugement rendu par la Cour suprême du Canada, que celle-ci a jugé, en étudiant la mesure législative, que cette dernière avait pour effet de priver le vendeur du droit de communiquer avec le client. La loi supprimait toute communication, ce qui était déraisonnable.

Le projet de loi C-71 a été rédigé de façon à permettre un certain niveau de communication qui, selon le Parlement, est en rapport avec l'objet de la communication. Ceux qui fument pourraient obtenir de ceux qui vendent des produits du tabac des renseignements utiles afin de décider quelle marque acheter, dans quelle quantité, et ainsi de suite. Le projet de loi C-71 autorise un certain degré de communication qui est en rapport avec le risque pour la société, tel que le Parlement l'a évalué.

La commandite est une forme de communication, de même que la promotion. Lorsque le projet de loi C-71 a été adopté par le Parlement, l'équilibre établi était tel que, même si la communication autorisée était limitée, celle-ci était encore permise sous une certaine forme. Le projet de loi C-42 va plus loin et supprime ce genre de communication. Nous avons soigneusement étudié la question de savoir si, en agissant de la sorte, nous dépassions la ligne tracée par la Cour suprême du Canada.

Pour autant que nous puissions en juger, cette façon de faire se défend du point de vue constitutionnel, parce que même une fois que cette forme de communication sera supprimée, les autres formes autorisées en vertu du projet de loi C-71 continueront de pouvoir être utilisées. Il y a d'autres façons pour les fabricants et les fournisseurs de produits du tabac de communiquer à leurs clients des renseignements au sujet de leur produit, que ce soit dans des publications dont la diffusion est limitée, dans des lieux précis que seules des personnes d'un certain âge ont le droit de fréquenter, ou encore sur l'emballage comme tel.

Même s'il est vrai que le projet de loi C-42 modifie l'équilibre obtenu avec le projet de loi C-71 et restreint davantage la communication entre, d'une part, le fabricant et le fournisseur et, d'autre part, le client, il ne la supprime pas pour autant. Le projet de loi ne crée pas l'infraction qu'on trouvait dans l'ancienne loi, même s'il restreint davantage la nature de la communication.

Le sénateur Lynch-Staunton: Si je me souviens bien, l'ancienne loi interdisait la publicité mais autorisait la commandite, pourvu que le nom de la société soit utilise, par opposition au nom du produit. En vertu du projet de loi dont nous sommes saisis, la publicité sera autorisée, tandis que la commandite sera interdite. En simplifiant un peu beaucoup, on pourrait dire que cette mesure permet l'inverse de la précédente. Donc, vous pensez que ce projet de loi accorde une liberté d'expression suffisante au niveau commercial pour répondre aux préoccupations exprimées par la majorité des juges de la Cour suprême, qui ont conclu que, dans le projet de loi de M. Epp, la liberté d'expression au niveau commercial était supprimée, éliminée ou restreinte de façon trop stricte. En d'autres mots, c'est ainsi que vous justifiez cette mesure.

M. Rock: C'est notre avis, et nous pensons avoir raison. Comme je vous l'ai dit à d'autres occasions et relativement à d'autres mesures législatives, lorsque de nouvelles considérations juridiques surgissent, on ne peut jamais s'exprimer de façon absolue. Néanmoins, nous avons confiance en notre position et nous sommes prêts à la défendre devant les tribunaux. Nous pensons que nous aurons gain de cause. C'est la conclusion à laquelle nous en sommes arrivés.

Le sénateur Joyal: Monsieur le ministre, vous avez dit qu'il y avait 4 000 produits chimiques dans le tabac, dont 50 sont des sous-produits carcinogènes.

Dans une réponse à une question antérieure portant sur ce que vous comptez faire au cours des années à venir, vous avez fait allusion au règlement en vertu des chapitres 3 et 4 du projet de loi C-71. Aucun de ces chapitres ne traite de la réglementation du produit comme tel. Nous avons abordé cette question avec des témoins et des spécialistes, cet après-midi. Il est étrange de constater que nous sommes confrontés à un produit très dangereux, qui cause un grave préjudice à la santé des humains, mais qu'on n'a tout de même pas l'impression que l'on s'attaque au problème véritable, c'est-à-dire le produit comme tel. Nous nous attaquons aux effets externes, mais non à la cause. Au cours des années qui viennent, votre ministère envisagera-t-il de changer la classification de ce produit? Vous l'avez vous-même comparé à d'autres produits. Pourquoi ne voulez-vous pas faire inscrire ce produit sur la liste des matières dangereuses? Le ministère de la Santé serait alors en mesure de réglementer le produit et d'éliminer ce qui, de l'avis des spécialistes et des scientifiques, cause les ravages dont tous reconnaissent l'existence.

M. Rock: La loi nous donne le pouvoir de réglementer le produit. Il s'agit de savoir quelle réglementation est appropriée et efficace.

J'ai confiance que le jour viendra où le gouvernement invoquera ce pouvoir de façon efficace et appropriée pour poursuivre les objectifs qui consistent à faire diminuer la consommation de tabac et à protéger la santé publique. En fait, nous travaillons déjà dans ce sens au ministère, dans les laboratoires et aussi dans les bureaux d'élaboration de la politique, afin de voir comment ce pouvoir prévu dans la loi pourrait être utilisé le plus efficacement possible.

Je ne peux fournir la réponse à votre question ce soir, mais je peux vous dire que le gouvernement a insisté pour avoir ce pouvoir dans la loi, parce nous pensons que le jour viendra où celui-ci pourra être invoqué à bon escient.

Nous avons des opinions portant que les cigarettes, par exemple, ne doivent pas être visées par la Loi sur les produits dangereux, parce que le préjudice est causé lorsque celles-ci sont utilisées de la façon prévue, et non parce que ces cigarettes deviendraient dangereuses si elles n'étaient pas utilisées de la façon prévue. Par exemple, les cigarettes ne peuvent se casser lorsque vous les manipulez et vous blesser au doigt, ni s'effondrer lorsque vous exercez une pression trop forte et causer des dommages au moment de la chute. Dans le cas des cigarettes, le tort est causé lorsque vous les utilisez de la façon prévue. Par conséquent, la question qui se pose est celle-ci: sommes-nous prêts, en tant que nation, à dire que ce produit est illégal, qu'il doit être banni et que personne ne peut y avoir accès? Je ne pense pas.

Nous avons appris il y a des décennies -- et cela a peut-être été évident dès le début -- que les interdictions sont inefficaces lorsqu'elles sont imposées en vertu d'une loi à une population qui est décidée à avoir accès d'une façon ou d'une autre à la substance prohibée. Les problèmes actuels seraient remplacés par d'autres, dont certains seraient plus difficiles à résoudre que ceux qui existent actuellement et poseraient des menaces à l'exécution de la loi et au respect de la règle de droit comme telle.

Nous n'en sommes pas, selon moi, au point où nous sommes prêts, en tant que nation, à dire que le tabac doit être déclaré illégal. La Loi sur les produits dangereux ne s'applique pas et il ne semble pas qu'elle serait utile. Par conséquent, que devons-nous faire?

Je propose que l'on ait recours à tous les pouvoirs que le Parlement a conférés au gouvernement par l'entremise de la Loi sur le tabac afin de limiter les efforts faits pour rendre le produit attrayant, de dissuader ceux qui pourraient être enclins à commencer à fumer, de réglementer les moyens et le mode de fabrication et de vente, et, un jour, de réglementer le produit comme tel pour atténuer le tort qu'il cause et, on l'espère, rendre ce produit moins attrayant. C'est la stratégie que nous poursuivons.

Le sénateur Joyal: Vous savez sans doute que l'Assemblée législative de la Colombie-Britannique a adopté une loi sur la récupération des coûts liés aux ravages causés par le tabagisme, afin de compenser la responsabilité financière qui pèse sur le gouvernement de la province, par suite de la consommation de produits du tabac. Est-ce là une mesure que vous envisageriez, si la cour juge que cette loi est constitutionnelle lorsqu'elle tranchera le différend?

M. Rock: Peu de temps après être devenu ministre de la Santé, j'ai étudié la question de savoir si le gouvernement du Canada pouvait avoir recours à une telle procédure. J'ai demandé et obtenu des avis juridiques sur cette question. Après avoir étudié le dossier, j'ai conclu qu'il était préférable que de telles mesures soient prises par les provinces, plutôt que par le gouvernement du Canada. J'ai communiqué cette information à mes homologues provinciaux, et je les ai encouragés à prendre une telle mesure. La Colombie-Britannique l'a fait. D'autres envisagent d'en faire autant.

J'ai partagé avec mon homologue de la Colombie-Britannique, l'honorable Penny Priddy, ministre de la Santé, le travail juridique qui avait été fait pour moi, afin qu'elle ait accès aux opinions et observations qui avaient été rédigées pour moi. J'ai dit à la ministre provinciale que je l'aiderais de toutes les façons possibles dans ses efforts afin de poursuivre les compagnies de tabac et recouvrer les coûts que la Colombie-Britannique a dû engager, dans le cadre de son système de santé, par suite de la consommation de produits du tabac.

Quant à nous, nous déterminerons, suivant l'issue des contestations actuelles de la loi adoptée en Colombie-Britannique, quelle est la meilleure façon d'agir. Rien n'est exclu, et nous bougerons une fois que la situation juridique aura été clarifiée dans le cadre des différends dont les tribunaux sont maintenant saisis.

Le sénateur Joyal: Comme vous le savez sans doute, outre les deux recours collectifs en Ontario et au Québec, il y a d'autres recours dans d'autres provinces qui visent essentiellement le même objectif, à savoir qu'il y a des dommages-intérêts concernant lesquels quelqu'un devrait être tenu responsable et devrait être tenu de payer.

M. Rock: En effet. Les recours collectifs sont évidemment un peu différents, en ce sens qu'ils visent à recouvrer des dommages-intérêts subis par des fumeurs indépendants, tandis qu'en Colombie-Britannique le litige porte sur le recouvrement des sommes payées par le gouvernement pour les coûts de santé en général. Cela dit, je comprends votre point de vue.

Dans tous les cas semblables, l'objectif consiste à tenir les compagnies légalement responsables des conséquences liées à l'utilisation ou à la consommation de leur produit.

Je dois aussi signaler que certains soutiennent qu'il n'est pas correct de taxer le produit puis d'intenter ensuite des poursuites au civil pour dommages-intérêts, lorsqu'on pense que le produit en question cause un préjudice. Ces personnes sont d'avis qu'il faut choisir entre l'une ou l'autre mesure. Je ne me prononce pas sur la controverse, je me contente de la signaler.

[Français]

Le sénateur Nolin: Vous avez mentionnez dans vos remarques préliminaires, avec beaucoup d'à-propos, cette nouvelle ère de coopération entre les différents gouvernements. Tout le monde a les mêmes objectifs. Il s'agit de s'assurer que ces objectifs sont atteints. C'est judicieux d'avoir fait cette remarque et vous l'avez dite en français. Le chapeau vous sied bien et vous devez l'utiliser.

Lorsque nous lisons la législation provinciale du Québec et le projet de loi C-71 et le projet de loi C-42, il y a certaines différences. Quelle est la règle applicable quand les deux lois présentent un tel conflit?

M. Rock: En substance, la loi la plus dure s'applique. Si on peut trouver deux lois fédérale et provinciale concernant à peu près le même sujet -- particulièrement au sein de la réglementation des produits -- la loi la plus dure s'applique. C'est la règle générale.

Entre les deux, dans ce cas, nous avons, comme vous l'avez dit, une certaine similarité. Il existe une différence aussi. Les deux lois ont adopté une période de transition, elles ont pour effet de terminer la commandite par les compagnies de tabac. Entre les deux, on peut trouver les différence: les temps pour la transition ne sont pas identiques. Si on a une différence entre les deux, en ce qui concerne la commandite, la loi la plus dure va s'appliquer.

Le sénateur Nolin: Laissez-moi être plus précis. En décembre dernier, j'ai essayé d'entrer en contact avec vous pour discuter de ce problème. La loi provinciale traite ce sujet et la loi fédérale traite de façon différente de la même situation.

Il s'agit de la situation des machines distributrices de tabac dans la province de Québec. Je suis convaincu que vos collègues sont au fait de la question que je vais poser. Ils ont rencontré les propriétaires de ces machines. Ils sont très satisfaits de la situation législative au Québec mais pas au fédéral. Ils espéraient des amendements au projet de loi C-71 pour corriger une situation qui semble un peu inéquitable.

Une machine distributrice des cigarettes est disponible dans un restaurant, au Québec, et est donc accessible à une personne de moins de 18 ans. Il est possible, il n'est pas illégal que la machine distributrice puisse être activée à distance par une personne en autorité dans le restaurant après avoir vérifié l'âge du futur acheteur de cigarettes. La machine peut alors distribuer des cigarettes. C'est la loi provinciale. La loi fédérale nous dit que c'est défendu, sauf avec un appareil comme celui que je viens de décrire, dans un endroit où on sert des boissons alcoolisées, des tavernes, des brasseries, des bars, des endroits où les gens ont au moins de 18 ans.

La loi fédérale n'empêche pas de vendre des cigarettes dans des dépanneurs, des endroits où les jeunes de moins de 18 ans peuvent avoir accès. Il est défendu d'en vendre aux moins de 18 ans. Les jeunes qui ont moins de 18 ans y ont quand même accès. Malgré les lois adoptées, les jeunes achètent encore des cigarettes dans des endroits comme des dépanneurs. Cela me semble inéquitable.

La loi provinciale a corrigé ce problème. La loi fédérale contient toujours cette erreur. J'aurais aimé vous le demander dans une entrevue plus discrète. C'est la seule chance que j'ai de vous poser la question. Pourquoi ne pas avoir introduit dans le projet de loi C-42 une modification qui aurait permis une meilleure harmonisation entre la loi provinciale du Québec et la loi fédérale?

M. Rock: C'est vrai qu'il est possible d'acheter des cigarettes dans les dépanneurs si on a l'âge de la majorité, mais j'ai mentionné tout à l'heure que nous allions consacrer 50 millions de dollars à l'administration du projet de loi C-71.

Nous utilisons actuellement une partie de cet argent pour payer des gens qui, se faisant passer pour des jeunes, se présentent dans les dépanneurs pour acheter du tabac. Nous avons déjà des gens qui doivent faire face à des accusations d'infraction à la Loi antitabac.

Nous sommes très actifs partout au Canada avec nos partenaires provinciaux. J'ai signé sept ou huit ententes avec les provinces -- neuf maintenant peut-être -- pour régler les relations entre les gouvernements fédéral et provinciaux en ce qui concerne l'administration de la Loi antitabac.

Nous payons actuellement les coûts pour ces gens à l'emploi des provinces qui ont pour tâche de s'assurer que les dépanneurs ou d'autres fournisseurs de produits du tabac ne vendent pas aux personnes mineures.

[Traduction]

Le sénateur Grafstein: Le sénateur Nolin a soulevé le point que je veux examiner avec le ministre. Je m'intéresse à la portée des pouvoirs fédéraux et provinciaux afin d'avoir un système infaillible. En bout de ligne, il y a un Canadien, et nous voulons nous assurer que celui-ci est protégé. J'ai entendu votre réponse portant que la loi la plus stricte s'appliquait.

Je suis curieux au sujet du pouvoir fédéral. Quel pouvoir fédéral est utilisé relativement à ce projet de loi? Quels sont les pouvoirs déployés par les provinces? J'ai regardé la loi de la Colombie-Britannique sur l'indemnisation. Cette loi a certainement un caractère punitif. Elle est presque comme le Code criminel.

Ma question porte sur l'établissement d'un système à l'épreuve des contestations judiciaires fondées sur la charte et des autres contestations. Donnez-nous une idée des pouvoirs en cause et de la façon dont nous pouvons être certains que la portée du projet de loi est suffisamment étendue pour empêcher toute province d'aller dans une direction différente.

M. Rock: Nous invoquons le pouvoir conféré par le droit pénal en créant les infractions auxquelles j'ai fait allusion. Si quelqu'un vend des produits du tabac à une personne qui n'a pas l'âge requis, nous invoquons le pouvoir conféré par le droit pénal pour créer une infraction.

Le sénateur Grafstein: Je faisais allusion au projet de loi C-42.

M. Rock: S'il est adopté, le projet de loi C-42 deviendra une partie de la Loi sur le tabac.

Lorsqu'elle a examiné la mesure législative antérieure, la Cour suprême du Canada a clairement dit que le Parlement faisait appel à plus d'une autorité constitutionnelle fédérale lorsqu'il adoptait des dispositions visant la fabrication, la vente et la commercialisation des produits du tabac. La cour n'a laissé planer aucun doute sur le fait qu'il s'agit d'un domaine dans lequel le gouvernement fédéral a le droit de légiférer. Comme je l'ai mentionné en répondant aux questions du sénateur Lynch-Staunton, le problème de la loi antérieure était lié à la mesure dans laquelle celle-ci restreignait la liberté d'expression au niveau commercial.

La cour n'a laissé planer aucun doute quant au fait que le gouvernement fédéral a la compétence pour légiférer dans ce domaine. Il a été clairement établi que le pouvoir conféré par le droit pénal peut être invoqué pour créer des infractions. Il existe un intérêt fédéral légitime.

Cela ne veut pas dire que nous occupons ce champ de compétence de façon exclusive et que les gouvernements provinciaux ne peuvent agir. Je suppose que la loi québécoise a été adoptée en tenant compte des droits de propriété et des droits civils et, peut-être, d'autres compétences provinciales. Je pense que la loi provinciale peut coexister de façon valide et correcte avec la loi fédérale.

Le sénateur Beaudoin: Ce champ relève principalement de la compétence des provinces -- l'article 92.13. Je pense qu'il se fonde sur le Code criminel, et si cela relève de la compétence de la cour, alors il n'y a pas de problème.

M. Rock: C'est exact. J'hésite à répondre à des questions constitutionnelles en présence du sénateur Beaudoin.

Le sénateur Grafstein: Le sénateur Beaudoin a fait la nuance sur laquelle je voulais ensuite attirer votre attention. La meilleure façon de prévenir cette mauvaise habitude n'est-elle pas d'avoir recours au droit pénal? Cela ne permettrait-il pas de régler tous les problèmes que le sénateur Nolin anticipe?

Peut-on le faire de façon à ce qu'il soit tout à fait évident que cela s'inscrit dans le cadre du droit pénal? Le public canadien disposerait ainsi d'un système infaillible sans que cela entraîne des différends entre le gouvernement fédéral et chacune des provinces.

Je sais qu'il s'agit d'une question difficile. J'essaie simplement de proposer une solution.

M. Rock: Cette loi est actuellement contestée devant un tribunal à Montréal.

Le sénateur Grafstein: Oui, je sais.

M. Rock: Le gouvernement canadien affirme que cette loi est entièrement conforme à la Constitution et il se fonde notamment sur le droit pénal pour défendre sa position.

Je souligne que tous les gouvernements s'entendent là-dessus. Ils veulent tous réduire, voire éliminer le tabagisme si la chose est possible. Après tout, ce sont les provinces qui en supportent le plus lourd fardeau financier. Nous avons tous perdu des parents et des amis qui sont morts prématurément parce qu'ils fumaient.

Il ne s'agit aucunement d'une question politique, partisane ou constitutionnelle. Les hauts fonctionnaires et les ministres travaillent ensemble dans ce dossier.

Je crois que le Québec est la seule province à avoir adopté une loi dans ce domaine. Il n'y a pas de conflit entre la loi fédérale et la loi québécoise. Les incohérences peuvent être conciliées ou tolérées avec un minimum d'ingérence. Cela montre comment, dans la fédération canadienne, différents ordres de gouvernement peuvent prendre des mesures chacun de leur côté dans un but commun et ce, de façon très efficace.

Le sénateur Grafstein: Je crains que nous devions revenir ici pour examiner les décisions des tribunaux à ce sujet. Nous pourrions sans doute laisser cette question de côté pour l'instant. Nous y reviendrons sûrement.

[Français]

Le sénateur Lavoie-Roux: On sait que le Québec a adopté une législation sur le tabac. Une disposition prévoit une compensation pour les commandites des organismes culturels ou autres. Est-ce facile d'accorder une telle compensation dans cette loi? Je ne veux pas que l'on trouve une autre pomme de discorde avec le Québec, ou comme vous diriez en anglais «a bone of contention». Est-ce que vous avez consulté Québec ou avez-vous eu des contacts avec Québec sur ce projet de loi?

M. Rock: Oui, nous avons communiqué avec les fonctionnaires au ministère de la Santé du Québec l'année passée quand nous avons considéré toutes nos options. En ce qui concerne la compensation pour les gens affectés par la production, le gouvernement a le choix entre deux stratégies suite à un tel changement dans la loi. Premièrement, il y a une période de transition pour permettre aux gens affectés de changer de commanditaire afin de chercher d'autres sources de revenus. Deuxièmement, il y aura une compensation monétaire pour indemniser ou compenser ceux et celles qui sont affectés par la loi. Le fédéral a choisi une période de transition pour permettre aux gens affectés de changer les sources de revenus. En réponse à la question poser par le sénateur Colin Kenny, j'ai dit que, oui, on peut trouver les agences et les individus qui ont critiqué ces mesures en demandant que l'on agisse immédiatement. Mais avec une telle démarche, il est aussi nécessaire d'indemniser les gens affectés. Nous avons choisi de proposer une période de transition en deux phases; après deux ans et après cinq ans.

Le sénateur Lavoie-Roux: Et pas de compensation.

M. Rock: Exact.

M. O'Neill, analyste principal des politiques, Unité de la politique et de la coordination du tabac, Division des politiques et de la santé, Direction générale des politiques et de la consultation, Santé Canada: Sénateur Lavoie-Roux, il y a aussi différentes façons de toucher à ce que le sénateur Grafstein mentionnait. Il est important de noter que la loi provinciale reflète les amendements représentés dans le projet de loi C-42. Quand le ministre a déposé ce projet de loi devant la Chambre des communes, le projet de loi du Québec était à l'examen devant la commission parlementaire. Le ministre Rochon et les membres de l'Assemblée nationale ont ajusté leur projet de loi pour refléter les objectifs et les échéances du projet de loi fédéral. Entre autres, la loi québécoise inclus maintenant ce que l'on appelle l'option fédérale. Les groupes qui veulent suivre l'échéance établit dans le projet de loi C-42, c'est-à-dire le cinq ans, ne recevront pas de compensation. Seulement les groupes qui décident d'abandonner les commandites en entier, à compter du 1er octobre de l'an 2000, pourront recevoir une compensation financière du gouvernement. Le projet de loi québécois et le désir des membres de l'Assemblée nationale concordent complètement avec le projet de loi C-42.

[Traduction]

Le sénateur Beaudoin: Je voudrais revenir au point qui a été soulevé il y a une minute. De toute évidence, tous conviennent que, si cette question ressortit au droit criminel, elle relève du gouvernement fédéral et il n'y a pas de problème. Je ne crois toutefois pas que ce soit le cas. Le tribunal a décrété en se basant sur le Code criminel que le gouvernement fédéral pouvait présenter des lois touchant les substances nocives pour la santé. Quant aux provinces, elles peuvent présenter des lois concernant le droit de propriété, les droits de la personne et la publicité.

Nous devrons revenir à l'affaire dont les tribunaux sont maintenant saisis à Montréal. Elle sera éventuellement renvoyée à la Cour suprême, qui devra trancher. Il est clair que le pouvoir fédéral dérive du droit pénal s'il s'agit d'une question très importante ou des lois relatives aux substances dangereuses s'il ne s'agit pas d'un crime, et fumer n'est pas un crime. Il ne faut pas oublier cela. Fumer est quand même dangereux pour la santé, ce qui justifierait une intervention du gouvernement fédéral.

Cela s'apparente à l'interdiction totale que les tribunaux ont rejetée dans la première cause. C'est parce que l'interdiction était totale qu'elle a été jugée inconstitutionnelle. Une interdiction relative aurait été acceptée. C'est ce qui fait problème. Une interdiction relative est acceptable en vertu de la Charte, alors qu'une interdiction absolue est inacceptable, à moins que la Cour suprême ne change d'avis, ce qui est peu probable.

Par ailleurs, dans quel domaine les provinces peuvent-elles intervenir? Je crois qu'elles peuvent le faire seulement en ce qui concerne le droit de propriété et les droits de la personne. Le gouvernement fédéral peut intervenir en vertu du droit pénal et des lois relatives aux substances nocives pour la santé. De toute évidence, les provinces ne peuvent pas intervenir dans ces domaines. L'interprétation du tribunal n'était pas précise. Je suis heureux de voir que la question sera réexaminée. Pourquoi pas? C'est bon pour les affaires.

M. Rock: Je suis d'accord avec vous.

Le sénateur Mahovlich: Vous avez mentionné la prohibition et les Américains.

De nombreux Canadiens, particulièrement dans l'Ouest, se sont enrichis grâce à la prohibition. Je me pose des questions au sujet du travail que vous avez fait avec les Américains dans ce dossier. Les positions canadienne et américaine sont-elles compatibles? Beaucoup de nos villes sont situées le long de la frontière. Je crois que si une course automobile doit avoir lieu à Niagara Falls, en Ontario, les fabricants de cigarettes se rabattront sur Buffalo ou Niagara Falls, dans l'État de New York, mettant ainsi la course canadienne en danger.

Communiquez-vous avec les Américains relativement à certaines de leurs lois?

M. Rock: C'est un bon argument. En fait, il est impossible de légiférer de façon efficace sans tenir compte de l'énorme influence exercée par nos voisins du Sud. Comme la vaste majorité des Canadiens habitent à une heure de voiture des États-Unis, c'est un facteur dont il faut toujours tenir compte.

Nous sommes en communication avec les Américains. J'ai rencontré la secrétaire Shalala à Washington en mai dernier pour discuter de la question avec elle. Nos représentants demeurent en contact étroit et suivent les développements. Cependant, leur système politique est si différent du nôtre qu'il est difficile de les suivre parce qu'ils vont parfois dans des directions inattendues.

Durant l'été de 1996 ou 1997, le président avait annoncé une interdiction complète des commandites par les fabricants de produits du tabac. Or, cette annonce lui a vite causé des difficultés sur le plan politique.

Il est difficile pour le président d'intervenir en ce qui concerne les produits du tabac et ce, pour diverses raisons. Il a déclaré que les commandites seraient désormais interdites ou qu'un projet de loi serait bientôt présenté qui imposerait des restrictions à cet égard. La Food and Drug Administration a été habilitée à réglementer les produits du tabac. Ce pouvoir a été contesté en cour et la question reste en suspens. Il est difficile de prédire la suite de l'affaire.

La plus grande influence est la contrebande. Les taux d'imposition des Américains se comparent aux taux de notre taxe d'accise sur les cigarettes.

Comme un sénateur l'a mentionné tout à l'heure, le règlement du différend actuel entraînera une augmentation des taxes sur le tabac aux États-Unis. Nous nous efforcerons de profiter au maximum de cet état de choses en haussant les taxes canadiennes le plus tôt possible, avec le consentement des provinces touchées et des forces policières.

De façon plus générale, vous demandez, je crois, si nos villes frontalières risquent de perdre des événements au profit de villes américaines où les commandites par les fabricants de produits du tabac sont autorisées. C'est un risque que nous courons. Toutefois, la tendance internationale est d'éliminer les commandites et même les Américains en viendront là.

Nous espérons que, durant la période de transition, les organisateurs des événements canadiens trouveront d'autres sources de revenus afin qu'ils puissent survivre avec des commandites moins dangereuses pour la santé.

La présidente: Merci beaucoup, monsieur Rock. Vous nous avez donné une demi-heure de plus que prévu. Nous demandons toutefois à M. McNaught de rester ici pour répondre à la question que le sénateur Nolin a posée ce matin.

M. Rock: Madame la présidente, je dirai avant de partir que j'apprécie les efforts que les honorables sénateurs et vous-même avez faits pour adapter votre horaire comme je ne pouvais pas venir plus tôt aujourd'hui et que je n'aurais pas pu venir demain. Je vous remercie de votre courtoisie. C'est toujours un plaisir de comparaître devant votre comité et j'espère vous revoir de nouveau.

M. McNaught: Comme il s'agit d'une question à la fois juridique et administrative, je m'en remets à mon collègue s'il veut bien participer au débat.

Je me souviens que la question des distributeurs automatiques a été soulevée lors de l'étude parlementaire originale du projet de loi C-71.

Comme les sénateurs s'en souviendront, le terme anglais utilisé dans la Loi sur le tabac était «vending machines». La signification de ce terme a fait l'objet de longues discussions.

Un tribunal américain a tranché que, dans les lois où il n'est pas défini et où l'on n'emploie pas d'autres termes, le terme «vending machine» signifie un distributeur «automatique», c'est-à-dire un dispositif mécanique qui rend inutile l'intervention humaine dans une vente.

L'objectif de Santé Canada était d'assurer un contact personnel entre l'acheteur et le vendeur. C'était la politique établie relativement aux distributeurs automatiques.

Au moment de déterminer le terme à employer dans ce cas-ci, Santé Canada et le gouvernement ont tenu compte d'autres aspects. Dans la version anglaise, ils ont opté pour «dispensing device». Il s'agit d'un concept plus général que «vending machine» et d'un terme assez simple en anglais. Le terme français «distributeur» est peut-être plus approprié.

On a utilisé ce terme dans la loi parce qu'il englobe des considérations autres que la vente face à face. Le législateur a aussi tenu compte de la visibilité, de l'accessibilité et de l'ubiquité du produit.

Les jeunes voient des gens utiliser le distributeur. Celui-ci fait partie du décor et il est facile d'y avoir accès. Ils insèrent des pièces de monnaie et en retirent des paquets de cigarettes. Il faut encore qu'une personne se rende sur place pour la vente face à face lorsque ces mécanismes électroniques sont installés.

Le distributeur est un dispositif promotionnel efficace. Il semble accessible. Il fait partie du décor et de ce que mon collègue a appelé les nombreuses facettes du processus d'acquisition de cigarettes.

L'aspect matériel était la seule raison d'employer le terme «vending machine», mais l'expression «dispensing device» représente un net progrès en ce sens qu'on se préoccupe davantage des objectifs en matière de santé.

Le sénateur Nolin: Pourquoi garder ces distributeurs dans des bars?

M. O'Neill: Je ne peux parler des situations particulières auxquelles vous faites allusion. Au ministère, je n'ai jamais traité de la question des distributeurs automatiques.

Je peux toutefois ajouter quelque chose qui devrait éclairer les sénateurs. D'autres juridictions au Canada et en Amérique du Nord ont déjà interdit les distributeurs automatiques. Je sais que cela soulève des préoccupations chez les fournisseurs de distributeurs automatiques au Québec.

[Français]

Le sénateur Nolin: Si le Québec a décidé de maintenir l'usage des machines distributrices, même si l'Ontario ne le faisait pas, cela n'a rien à voir avec le gouvernement du Québec. Si le gouvernement du Québec décide qu'il y a des machines distributrices, cela n'est pas de vos affaires, respectueusement soumis. C'est pour cela que j'ai demandé au ministre s'il y a une règle de conflit. La règle de conflit, c'est la loi le plus rigide, mais c'est aussi la loi la plus logique. La façon dont vous avez écrit le projet de loi C-71 n'est pas logique, par exemple, contrôler l'âge d'un acheteur de cigarettes qui n'a pas 18 ans.

M. O'Neill: Nous avons devant vous un projet de loi qui adresse des questions de commandite. Si la question vous est importante, je peux vous assurer que je peux vérifier auprès de mes collègues du ministère pour avoir une réponse qui vous serait acheminée sous peu. Je ne peux pas, malheureusement, m'engager à plus que cela.

Le sénateur Nolin: Faites cela. C'est ce que je voulais d'ailleurs de votre ministre, alors si vous êtes capable de me trouver une réponse écrite, allez-y.

[Traduction]

La présidente: Honorables sénateurs, je crois que cela suffit. La journée a été longue. Je vous remercie d'avoir comparu devant nous ce soir et je vous prie de bien vouloir transmettre nos remerciements au ministre.

La séance est levée.


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