Délibérations du comité sénatorial permanent
des
Affaires juridiques et constitutionnelles
Fascicule 52 - Témoignages
OTTAWA, le jeudi 4 février 1999
Le comité sénatorial des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel a été renvoyé le projet de loi C-57, Loi portant modification de la Loi sur le Nunavut relativement à la Cour de justice du Nunavut et modifiant diverses lois en conséquence, se réuni aujourd'hui à 10 h 46 pour étudier le projet de loi.
Le sénateur Lorna Milne (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente: Honorables sénateurs, nous avons le quorum. Nous sommes aujourd'hui réunis pour étudier le projet de loi C-57, Loi portant modification de la Loi sur le Nunavut relativement à la Cour de justice du Nunavut et modifiant diverses lois en conséquence.
Comparaissent devant nous aujourd'hui, l'honorable Anne McLellan, ministre de la Justice et procureure générale du Canada, M. Andy Watt, coordonnateur des questions touchant le Nord, et M. Howard Bebbington, conseiller juridique, Politique en matière de droit pénal. D'autres représentants du ministère sont également dans la salle. Nous avons une liste de leurs noms et pourrons leur demander au besoin de s'approcher.
Madame la ministre, je vous en prie.
[Français]
L'honorable Anne McLellan, c.p., députée, ministre de la Justice et procureure générale du Canada: Madame la présidente, je tiens d'abord à vous remercier de m'avoir permis de m'adresser à vous ce matin, alors que vous commencez l'étude du projet de loi C-57, Loi portant modification de la Loi sur le Nunavut relativement à la Cour de justice du Nunavut et modifiant diverses lois en conséquence.
[Traduction]
Je souhaite profiter de l'occasion pour tenter de vous communiquer mon enthousiasme pour ce projet de loi. Comme vous pouvez le constater, j'estime que le projet de loi C-57 est réellement porteur de bonnes nouvelles. S'il est adopté, grâce aux modifications à la loi sur le Nunavut, le Code criminel, Loi sur les juges et d'autres lois fédérales, il permettra d'établir une structure judiciaire innovatrice pour le nouveau territoire du Nunavut. Cette nouvelle structure a été conçue à la demande expresse des dirigeants du nouveau territoire parce qu'ils estiment qu'elle répondra à leurs besoins et qu'elle respectera mieux que la structure judiciaire traditionnelle la géographie et la situation unique du Nunavut.
Honorables sénateurs, il est primordial que le comité comprenne bien que ce n'est pas à Ottawa qu'ont été conçues l'idée du projet de loi C-57 ni toute l'initiative de tribunal à palier unique. Il y a déjà un certain temps que les habitants de l'Est et de l'Ouest de l'Arctique s'intéressent à ce concept.
À la suite d'une conférence tenue à Iqaluit en novembre l997, organisée par le commissaire intérimaire du Nunavut et à laquelle ont participé des fonctionnaires du Nord, des membres de la collectivité juridique du Nord et un grand nombre de juges de paix parajuridiques du Nord, le commissaire intérimaire, le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest et la société Nunavut Tunngavik Inc. (la société qui représente les Inuits) m'ont demandé de déposer devant le Parlement une loi permettant l'établissement d'un tribunal à palier unique pour le Nunavut. Le projet de loi C-57 constitue la réponse du gouvernement à cette demande.
Honorables sénateurs, le projet de loi qui vous est présenté aujourd'hui a été élaboré en étroite collaboration et en partenariat avec les habitants du Nord. Un groupe de travail a été mis sur pied pour superviser l'élaboration des textes législatifs fédéral et territorial nécessaires à l'établissement d'un tribunal de première instance à palier unique. Ce groupe de travail était composé de fonctionnaires du gouvernement des Territoires du Nord-Ouest, du Bureau du commissaire intérimaire, de la société Nunavut Tunngavik Inc., ainsi que de fonctionnaires de mon ministère et du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien.
Le projet de loi C-57 est le fruit d'un partenariat véritable entre les habitants du Nord et le gouvernement fédéral.
[Français]
Je vous ai affirmé que le projet de loi C-57 mettra en oeuvre au Nunavut une structure judiciaire nouvelle et différente. En vous indiquant cela, j'utilise le terme nouveau de deux façons: d'abord, comme nouveau territoire qui naîtra le 1er avril 1999, le Nunavut doit avoir son propre système judiciaire distinct du système judiciaire des Territoires du Nord-Ouest.
Ensuite, le système judiciaire que vise à mettre en oeuvre le projet de loi C-57 est également nouveau puisqu'il sera différent dans la structure judiciaire que l'on trouve dans les autres provinces et territoires du Canada.
[Traduction]
Dans les autres administrations, il y a deux paliers de cour de première instance: la cour provinciale ou territoriale -- aussi appelée bien le «tribunal inférieur» bien que je n'aime pas cette appellation couramment utilisée -- et la Cour supérieure de la province ou du territoire. Pour le Nunavut, le projet de loi C-57 propose de combiner ces deux paliers en une seule cour de première instance qui s'appellera «Cour de justice du Nunavut». Ce changement s'applique comme suit.
Dans l'Arctique de l'Est, les services de justice sont dispensés par un tribunal itinérant -- des juges, des avocats, des greffiers, et cetera -- qui se déplacent par avion entre les collectivités éloignées de la région. Il est illogique d'envoyer par avion dans ces collectivités deux groupes différents qui ne peuvent ni l'un ni l'autre entendre toutes les causes. Le projet de loi C-57 propose plutôt de mettre en oeuvre pour le Nunavut un tribunal de première instance à palier unique qui sera en mesure de traiter toutes les affaires inscrites au rôle de la cour, qu'elles soient graves ou mineures et qu'il s'agisse de dossiers en matière civile, familiale ou pénale. En mettant en oeuvre ce changement, nous espérons introduire au Nunavut un système judiciaire qui sera plus simple et plus efficace -- qui pourra réduire le nombre et, par le fait même le coût, des cours de circuit, et peut-être même réduire pour les parties le temps d'attente pour comparaître devant le tribunal.
Nous espérons également que le tribunal de première instance à palier unique rapprochera le tribunal des collectivités, et que les juges de la cour en viendront à mieux connaître la collectivité et que la collectivité connaîtra mieux ses juges.
De plus, nous souhaitons que cette structure judiciaire simplifiée sera assez souple pour que la population du Nunavut adapte son système de justice à ses besoins après l'entrée en vigueur du territoire, le 1er avril 1999.
[Français]
Nous espérons également que le tribunal de première instance à palier unique rapprochera le tribunal des collectivités, que les juges de la cour en viendront à mieux connaître leur collectivité et que la collectivité connaîtra mieux ses juges.
De plus, nous souhaitons que cette structure judiciaire simplifiée sera assez souple pour que la population du Nunavut puisse adapter son système de justice à ses besoins après l'entrée en vigueur du territoire le 1er avril 1999.
[Traduction]
Il est important de comprendre que, lors de l'élaboration du projet de loi C-57, le gouvernement a clairement choisi de préserver dans toute la mesure du possible les droits fondamentaux et procéduraux des parties dans un système judiciaire formé d'une cour de première instance à palier unique. Le projet de loi C-57 traite de l'organisation judiciaire. Il ne s'agit pas d'une loi conçue pour supprimer ou pour accorder de nouveaux droits légaux. Néanmoins, lorsque l'on met en oeuvre une nouvelle structure judiciaire en établissant une cour de première instance à palier unique pour qu'elle fonctionne dans un système juridique qui repose sur une structure judiciaire à deux paliers en première instance, il est inévitable qu'il y aura des répercussions sur les droits procéduraux.
Cela se produit parce que, dans un système judiciaire à deux paliers en première instance, la cour supérieure, en plus de son rôle de cour de première instance, examine également certaines décisions de la cour provinciale ou territoriale et entend les appels de ces cours. Lorsque ces deux paliers de cour de première instance sont regroupés en un seul, il devient problématique de demander à cette cour de première instance à palier unique de réviser et d'examiner en appel ses propres décisions. Il faut donc soit abroger ces droits de révision et d'appel, soit prévoir dans la loi un autre tribunal qui sera chargé de cette fonction de révision et d'appel.
Dans le processus qui a mené à l'élaboration du projet de loi C-57, nous nous sommes engagés à ce que le peuple du Nunavut n'ait pas moins de droits que la population du reste du pays simplement parce qu'il désirait une structure judiciaire comportant un palier de moins en première instance. Cet engagement transparaît dans tout le projet de loi qui est devant nous aujourd'hui.
Permettez-moi de faire ressortir deux exemples précis de l'application de ce principe dans le projet de loi: les appels des décisions rendues en matière sommaire et les recours en révision.
En ce qui a trait aux appels des décisions rendues en matière sommaire, le projet de loi C-57 maintient la portée actuelle des droits d'appel de ces décisions pour toutes les condamnations par procédure sommaire du nouveau système du Nunavut. Le projet de loi précise que les appels en matière sommaire des décisions de la Cour de justice du Nunavut seront entendus par un seul juge de la Cour d'appel, et qu'il y aura un second niveau d'appel devant une formation de trois juges de la Cour d'appel.
En ce qui concerne le recours en révision, les sénateurs comprendront que les formes habituelles de révision des décisions des cours provinciales ou territoriales par le moyen des brefs de prérogative ne pourront pas servir pour les décisions de la Cour de justice du Nunavut, puisqu'elle sera une cour supérieure.
Pour compenser, les dispositions du projet de loi prévoient une nouvelle forme de révision visant certaines décisions importantes dans le processus de justice pénale. Comme c'est le cas avec les appels des décisions rendues en matière sommaire, la révision sera confiée à un seul juge de la Cour d'appel, et la décision de ce juge en révision pourra être portée en appel devant une formation de trois juges de la Cour d'appel.
Madame la présidente, les membres du comité sont peut-être curieux au sujet des juges de la Cour de justice du Nunavut. Comme ils le savent sans doute, je me suis engagée à trouver des candidats qui sont qualifiés, qui ont de l'expérience, qui sont dévoués à la cause du Nord et parmi lesquels seront nommés les juges du Nunavut. Je me suis également engagée à consulter la population du Nord afin de m'assurer que les nominations reflètent les exigences, la culture et les conditions propres au Nunavut, et y soient sensibles.
Les sénateurs savent peut-être déjà que la première juge de la Cour du Nunavut a déjà été nommée. Le 11 janvier 1999, Mme la juge Beverly Brown a été nommée juge de la Cour suprême du Nunavut. Elle commencera à siéger dès le 1er avril 1999. Depuis l990, la juge Brown est juge de la Cour territoriale des Territoires du Nord-Ouest à Iqaluit. L'engagement de Mme la juge Brown au Nord est manifeste.
Le Nord a été privilégié d'avoir des juges qui se sont engagés à travailler avec les collectivités selon des méthodes innovatrices pour faire face aux défis et aux problèmes uniques du système de justice du Nord. Je suis certaine que les juges de la Cour de justice du Nunavut poursuivront ces efforts.
La loi qui vous est présentée aujourd'hui, si elle est adoptée, va mettre en place la structure de base de la Cour de justice du Nunavut. Toutefois, ce sont les juges et les autres intervenants du système qui devront donner vie à cette structure et la faire fonctionner. C'est l'engagement et l'excellence des membres du système de justice qui détermineront en fin de compte le succès ou l'échec de ce système.
Je crois comprendre qu'au cours des prochaines semaines, votre comité entendra les témoignages des gens du Bureau du Commissaire intérimaire et de la société Nunavut Tunngavik Inc. Je vous encourage à vous enquérir auprès de ces personnes du partenariat que nous avons mis sur pied, ensemble, pour les processus d'élaboration des politiques qui ont mené au projet de loi C-57. Avant tout, toutefois, je vous encourage à leur demander de vous exposer leurs plans pour l'avenir de l'administration de la justice au Nunavut. Demandez-leur quels sont leurs rêves et leurs espoirs pour la mise en oeuvre d'un système de justice qui reflétera de façon appropriée leur culture, leurs valeurs, leur héritage.
Il semble également, madame la présidente, que vous allez recevoir des observations des représentants de la société Manitoba Keewatinowi ou, peut-être plus facile à prononcer pour certains d'entre nous, les Dénés du Manitoba. Les sénateurs trouveront peut-être leur présentation intéressante. Néanmoins, en ce qui concerne les questions qu'ils ont soulevées, je peux vous dire que le projet de loi C-57 n'a aucun effet positif ou négatif sur leurs revendications territoriales à l'intérieur des limites du Nunavut. Le projet de loi C-57 -- et je crois qu'il importe que nous le comprenions tous -- porte sur la structure judiciaire au Nunavut. Il n'a rien à voir avec les frontières ou les revendications territoriales. Il n'a rien à voir avec les revendications autochtones ou les droits issus de traités ayant trait aux terres et aux ressources du Nunavut. Le projet de loi C-57 est neutre en ce qui a trait aux revendications du peuple déné du Manitoba puisqu'il n'a aucun effet positif ou négatif sur leurs revendications.
La position du gouvernement fédéral à ce sujet est que tout droit revendiqué avec succès par les Dénés au regard du territoire du Nunavut a été expressément protégé par l'article 40 de l'Accord sur les revendications territoriales du Nunavut. Comme les représentants des Dénés du Manitoba vous le diront eux-mêmes, leurs revendications sont présentement devant la Cour fédérale du Canada et, à mon avis, c'est à la cour qu'il appartient maintenant de traiter de cette question.
Madame la présidente, j'aimerais également dire quelques mots sur le caractère opportun de ce projet de loi. Je suis persuadée que toutes les personnes ici présentes sont conscientes du fait que la création du nouveau territoire du Nunavut aura lieu le 1er avril de cette année, soit dans moins de deux mois. Aussi, vous avez peut-être été mis au courant de la nécessité d'adopter cette loi à temps pour que la Cour de justice du Nunavut, avec sa nouvelle structure, puisse entrer en vigueur au moment de la création du nouveau territoire du Nunavut le 1er avril 1999.
Cependant, vous ne savez peut-être pas que la nécessité d'adopter le plus tôt possible le projet de loi C-57 est d'autant plus pressante si l'on tient compte du fait qu'elle doit non seulement être adoptée avant le 1er avril 1999, mais qu'elle doit être adoptée suffisamment tôt avant le 1er avril pour permettre aux habitants du Nunavut de préparer l'infrastructure nécessaire pour appuyer ce nouveau tribunal. C'est pour cette raison, madame la présidente, que je demande instamment au comité d'étudier attentivement, mais rapidement, le projet de loi C-57.
[Français]
Madame la présidente, je crois que mes fonctionnaires doivent se présenter devant vous, le mercredi 17 février, afin de répondre à vos questions sur le projet de loi ou aux questions que peuvent soulever les témoignages qui sont prévus. J'ai également demandé à mes fonctionnaires d'être à votre disposition pendant toute la durée de vos audiences sur le projet de loi C-57. Ceci termine mes remarques. Je me ferai un plaisir de répondre aux questions des sénateurs.
[Traduction]
Merci, madame la présidente. C'est avec plaisir que je comparais devant vous ce matin et j'attends avec impatience vos questions pour y répondre.
La présidente: Je vous promets qu'il n'en manquera pas.
Mme McLellan: C'est toujours avec plaisir que je participe à vos débats animés.
[Français]
Le sénateur Beaudoin: Je désire au départ, madame la ministre, vous souhaiter la plus cordiale bienvenue. Nous sommes très heureux de vous voir devant notre comité et nous aimons ce genre de législation parce que cela touche aux structures fondamentales du Canada, et des provinces et des territoires.
[Traduction]
Ma question concerne l'article 96 de la Constitution de 1867. Ma première impression est qu'il ne s'applique pas dans ce cas, dans la mesure où Ottawa, le Parlement du Canada, a pleine juridiction sur les territoires. L'Acte constitutionnel de 1867 l'établit clairement ainsi que les lois qui en découlent.
Un système judiciaire unique ou à un seul palier ne me pose pas de problèmes. Je suis tout à fait d'accord. Bien entendu, s'il s'agissait d'une province -- un territoire n'est pas une province -- il y aurait la question de la nomination des juges en vertu de l'article 96. Cependant, je crois savoir que vous estimez que cet article de la Constitution n'est pas en cause et que comme vous avez plein pouvoir, vous pouvez concevoir le système judiciaire, du mieux que vous pouvez, et qu'il y ait un palier ou deux est une question politique. Ce n'est pas du tout un problème constitutionnel. Je pense que vous êtes d'accord avec ma prémisse?
Mme McLellan: Oui.
Le sénateur Beaudoin: Pourquoi est-ce différent des autres territoires?
Mme McLellan: Parce que la population du Nunavut a décidé qu'elle voulait un système qui corresponde mieux à ses besoins, si vous voulez, à sa culture et à son héritage. J'ajouterais que cela fait longtemps qu'on discute dans les Territoires du Nord-Ouest d'un système judiciaire à palier unique, comme le sénateur Andreychuk le sait fort bien, tout comme d'ailleurs au Yukon.
Je crois que la population, surtout celle qui se trouve dans l'Arctique de l'Ouest et au Yukon, suivra de très près l'expérience du Nunavut pour déterminer l'opportunité de faire progresser les discussions déjà en cours sur l'éventualité d'un tribunal de première instance à palier unique. Si c'est une éventualité qui les intéresse, nous nous ferons un plaisir de participer à leurs discussions.
Le miracle du Nunavut c'est que c'est la population elle-même qui a proposé ce système. Ce n'est pas Ottawa qui impose sa vision de la justice pour le Nord. D'ailleurs, on m'a rapporté que la question suivante avait été posée il y a quelque temps au Commissaire intérimaire: «Qu'est-ce que ça représente de différent ce Nunavut? Qu'est-ce qui fait du Nunavut une sorte de projet spécial pour ce pays et pour la population de l'Est de l'Arctique?» La première chose qu'il a mentionnée c'est le système judiciaire et sa différence par rapport aux autres régions du pays. C'est un système qui reflète les besoins et les valeurs de la population du Nunavut. C'est un système qui ne compte qu'un tribunal de première instance.
Il est évident qu'avec le temps ce système judiciaire sera amélioré pour refléter les problèmes particuliers tels que la géographie et les attentes des collectivités locales. Il tiendra compte du fait que les stratégies pour lutter contre les problèmes, par exemple, de délinquance juvénile ou de violence conjugale, problèmes urgents à régler dans l'Est de l'Arctique et dans le Nord d'une manière générale, devront être élaborées d'une manière un peu différente et devront être le reflet de la culture, des traditions et des problèmes uniques de la population de l'Est de l'Arctique.
Ce qui fait leur différence, ce qui les rend si importants, c'est que ce système pénal et cette structure judiciaire ont été élaborés par la population de la région. C'est ce qu'elle veut parce qu'ils reflètent, selon elle, ses valeurs.
Le sénateur Beaudoin: Donc, cela pourrait varier, dans une certaine mesure, d'un territoire à un autre.
Mme McLellan: C'est possible.
Le sénateur Beaudoin: C'est possible mais il n'y a pas de mal à cela.
Mme McLellan: Il n'y a aucun mal à cela.
Le sénateur Beaudoin: Il se pourrait également que cette première expérience soit répétée ailleurs un jour.
Mme McLellan: C'est possible. Nous, et tout particulièrement la population de l'Ouest de l'Arctique et du Yukon, suivrons ce projet de très près. Au sud du 60e parallèle, dans nos provinces et au niveau fédéral, nous suivrons également de très près son fonctionnement. Je n'envisage pas dans les provinces au sud du 60e parallèle, dans l'immédiat, un mouvement militant pour un système judiciaire comportant un seul tribunal de première instance.
Quant aux différences entre les régions, les territoires ou les provinces, certaines provinces ont maintenant des tribunaux unifiés de la famille, tandis que d'autres provinces n'en ont pas. Elles ont d'autres mécanismes pour résoudre les problèmes familiaux. C'est tout à fait acceptable. C'est aux provinces de décider. Comme vous le savez, monsieur le sénateur, en vertu de la Constitution, c'est certainement aux provinces de décider. Il faut encourager les provinces à essayer diverses possibilités dans le cadre général de la Constitution.
Le sénateur Beaudoin: Toutefois, au palier provincial, il y a encore la question de l'article 96.
Mme McLellan: Oui, tout à fait.
Le sénateur Beaudoin: Nous n'avons pas cette disposition dans ce projet de loi.
Mme McLellan: Vous avez parfaitement raison.
Le sénateur Joyal: Ma première question est très simple. Pourriez-vous nous dire de combien de gens il s'agit pour le bénéfice de ceux qui lisent nos délibérations?
Mme McLellan: C'est un petit territoire. Au total, il s'agit d'environ 25 000 personnes. Comme vous le savez probablement, elles sont éparpillées dans différentes collectivités, et les déplacements entre celles-ci sont lents et coûteux. Les diverses collectivités où habitent ce petit nombre de personnes sont éparpillées sur tout le territoire.
La présidente: Je devrais peut-être ajouter qu'entre 80 et 85 p. 100 de ces gens sont des Inuits.
Le sénateur Joyal: Comme nous ne connaissons pas tous très bien le nouveau territoire, je vais poser une deuxième question sur la Commission royale sur les peuples autochtones afin de mieux comprendre la réalité du système que nous sommes en train de mettre en place. À l'avenir, au sujet de l'autonomie gouvernementale, il nous faudra penser à adapter, si besoin est, le système judiciaire pour mieux tenir compte des besoins des autochtones du Canada. Nous avons ici un nouveau territoire qui assume les responsabilités découlant de l'autonomie gouvernementale, et il faut examiner comment les recommandations de la CRPA envisagent la question d'un système judiciaire plus conforme à cette réalité. Autrement dit, sommes-nous en train de faire des essais, ou est-ce un premier pas vers un meilleur système judiciaire pour les autochtones pendant leur transition à l'autonomie gouvernementale? Ma question est très vaste, mais à mon avis il est important de comprendre ce que nous faisons avec ce projet de loi.
Mme McLellan: C'est une très bonne question. Ce projet de loi représente un premier pas. On a déjà adopté d'autres mesures dans le Nord, mais aujourd'hui nous nous concentrons sur le Nunavut et la création du nouveau territoire. C'est vraiment un premier pas pour les gens du Nord et pour les habitants de l'Arctique de l'Est.
Vous avez raison de soulever la question plus générale sur le système judiciaire. Ce projet de loi porte sur un petit élément du système judiciaire, un élément important mais technique, c'est-à-dire l'établissement d'un système de tribunaux. Toutefois, comme vous l'avez souligné, le rapport de la CRPA souligne l'importance d'élaborer des systèmes judiciaires plus conformes aux besoins des peuples autochtones.
Il ne faut pas oublier que les besoins de ceux qui habitent l'Arctique de l'Est sont très différents des besoins des habitants de la réserve Tsuu T'ina dans le sud de l'Alberta, qui se trouve principalement dans les limites de la ville de Calgary. Si je mentionne la réserve Tsuu T'ina, c'est parce que la province de l'Alberta et le gouvernement fédéral sont en train d'élaborer un projet dans le but de rendre le système judiciaire existant plus conforme aux besoins des peuples autochtones.
Ce projet de loi vise le même but. Nous avons collaboré avec le peuple, avec la base. Il faut que ces projets continuent partout au pays, et ils doivent tenir compte de toute la gamme de possibilités et de défis auxquels nos peuples autochtones sont confrontés peu importe où ils vivent. Si ma collègue Jane Stewart était présente, elle vous dirait encore plus fermement que moi à quel point nous prenons les recommandations de la commission au sérieux, et parallèlement, je trouve qu'il est extrêmement important d'établir des initiatives en matière de justice pour les autochtones qui tiennent compte de la base, et au Nunavut nous l'avons fait.
Il ne faut pas oublier que ce sont les habitants du territoire eux-mêmes qui ont déterminé tout le processus. Comme le sénateur Beaudoin l'a dit, c'est un peu plus facile pour nous d'agir rapidement parce que nous n'avons pas à consulter une province et à travailler avec elle.
Peut-être savez-vous que mon prédécesseur, M. Allan Rock, a annoncé une initiative en matière de justice pour les autochtones d'une durée initiale de cinq ans. Dans le cadre de cette initiative, nous allons travailler de concert avec les provinces, les territoires et les peuples autochtones pour établir de nouveaux mécanismes pour rendre la justice, comme un système de tribunaux par exemple. Toutefois, l'initiative va encore plus loin. Jusqu'à présent, c'est la Saskatchewan qui a travaillé le plus avec nous sur cette initiative.
Le sénateur Joyal: Vous avez souligné avec force que cette proposition correspond à la réalité du Nord. Toutefois, je ne suis pas certain de la façon dont les juges seront nommés. Je crois comprendre qu'un juge a déjà été nommé. Comment pouvons-nous nous assurer que les juges nommés comprendront la sociologie des peuples autochtones qui habitent le Nord? Vous connaissez sans doute les statistiques sur le nombre de personnes incarcérées au Canada. Il nous faut tenir compte de cette réalité, et le système doit en tenir compte également. Comment s'assurer que les juges qui seront nommés auront la formation voulue pour comprendre la réalité sociologique de la vie des autochtones au Canada?
Mme McLellan: Il faudra que les juges qui seront nommés viennent du Nord et de l'Arctique de l'Est. En fait, Mme la juge Browne vient de cette région. Le peuple de l'Arctique de l'Est, le commissaire intérimaire et d'autres ont recommandé fortement sa nomination. Elle est un exemple du genre de personne qu'il faut nommer.
L'Arctique de l'Est aura son propre comité consultatif pour la nomination des juges, tout comme les provinces. Le Québec en a deux, par exemple, l'Ontario, trois et les autres provinces, un. À l'heure actuelle, nous sommes en train de choisir les membres de ce comité et nous voulons qu'ils représentent bien l'Arctique de l'Est. Nous savons pertinemment qu'il nous faut nommer au tribunal de première instance des gens qui connaissent la réalité de l'Arctique de l'Est et qui viennent du Nord.
Mme la juge Browne respecte certainement ces critères, et par conséquent, les habitants de la région ont chaudement proposé sa nomination. Le premier ministre et moi avons été très fiers de faire cette nomination. Dès le début, la nomination de Mme la juge a démontré que nous écoutons le peuple de l'Arctique de l'Est et que nous tenons compte de leurs conseils sur ces nominations.
Évidemment, la formation des juges est une question très vaste. Elle se poursuit à tous les niveaux au Canada, et dans beaucoup de régions différentes, grâce à l'Institut national de la magistrature. C'est le juge en chef du Canada qui est responsable de cette formation. Bien sûr, tout le monde est d'accord pour dire qu'il faudra appuyer le nouveau tribunal de première instance dans l'Arctique de l'Est. L'Institut national de la magistrature et les autres juges devront également appuyer les nouveaux juges une fois qu'ils seront nommés et ils doivent comprendre que d'autres mesures seront nécessaires pour faire en sorte que la formation des juges tienne compte d'une vaste gamme de besoins, y compris le besoin important que vous avez mentionné, c'est-à-dire le besoin de bien comprendre la sociologie, la psychologie et la réalité de la vie dans l'Arctique de l'Est.
Le sénateur Joyal: Surtout au niveau des appels.
Mme McLellan: Oui, en effet.
Le sénateur Gill: Je suis content que le peuple du Nunavut ait pris certaines décisions concernant son système judiciaire. Je me souviens qu'il y a 20 ans je disais qu'il fallait accorder plus de responsabilité à nos territoires pour que les Inuits et le peuple indien puissent trouver des façons de participer davantage à la vie de ce pays.
Hier soir, John Amagoalik a comparu devant le comité des peuples autochtones. Je lui ai demandé s'il voyait une différence entre le gouvernement territorial et le gouvernement du Nunavut; il m'a répondu qu'il ne voyait pas de différence.
Toutefois, ils ont sollicité un traitement spécial et demandé à ce qu'il n'y ait qu'un seul palier de tribunal. Pourquoi avez-vous décidé d'accorder cela au Nunavut? D'autres ont-ils demandé cet arrangement particulier?
Si je vous pose cette question, c'est qu'au Québec comme vous le savez, nous avons la cour itinérante dans la région de l'Arctique et un peu partout au Québec. Je sais que les gens voulaient un système différent, mais je sais également que le gouvernement provincial a son mot à dire.
Mme McLellan: Absolument.
Le sénateur Gill: Je suis heureux de constater que ce gouvernement fait preuve de souplesse, parce qu'en effet, il y a de telles différences sur le plan des conditions de vie selon les régions que nous devons trouver des solutions adaptées aux besoins d'une région donnée. Lorsque ce n'est pas le cas, il nous arrive de trouver une solution qui crée des problèmes.
Est-ce que ceux qui aimeraient obtenir des dispositions particulières peuvent trouver un moyen de vous convaincre de les leur accorder?
Mme McLellan: En fait, sénateur, il ne s'agirait pas forcément de me convaincre. Toutefois, dans la situation que vous avez décrite, au Québec ou dans n'importe quelle autre province, il faudrait certainement convaincre les autorités de la province et le barreau du territoire. De toute évidence, un procureur général provincial ne proposerait pas un seul palier de tribunal de première instance sans consulter la magistrature et le barreau de sa province et également un certain nombre de parties intéressées.
En réalité, de toutes les provinces et territoires, le Nunavut est le premier à demander un tribunal de première instance à palier unique. C'est une requête qui n'a pas été formulée dans la plupart des autres circonstances. À l'exception de l'Arctique de l'Ouest et du Yukon, ce serait au gouvernement provincial de décider comment le système judiciaire serait structuré, et de notre côté, nous participerions à l'élaboration du système.
En fait, nous devons prendre garde car nous pourrions nous heurter à certains obstacles constitutionnels, même si un gouvernement provincial décidait de procéder de cette façon-là. Il y a une certaine jurisprudence de la Cour suprême sur l'interprétation de l'article 96.
Nous considérons que la situation que vous avez décrite est une initiative spéciale car ces arrangements ont été réclamés par la population, et d'un autre côté, nous avons pu accéder à cette requête sans enfreindre les droits de la population du Nunavut et sans leur enlever des droits dont jouissent les autres habitants de ce pays. En outre, la Constitution nous donnait la compétence nécessaire.
Le sénateur Gill: Supposons que les Inuits ou Innus de l'Arctique québécois vous ont demandé ce système particulier. Je ne suis pas avocat, mais je sais que le régime légal est différent au Québec.
Mme McLellan: Il s'agit du droit civil et non pas du droit commun.
Le sénateur Gill: Est-ce que cet argument pourrait être un obstacle?
Mme McLellan: Il y a un certain nombre d'obstacles à ce que vous suggérez; l'obstacle constitutionnel serait le plus insurmontable. Toutefois, il y a également le fait que les autochtones de la province de Québec devraient travailler en même temps avec le gouvernement provincial et avec le gouvernement fédéral, exactement comme nous le faisons avec les Tsuu T'ina en Alberta, pour voir quel genre de système judiciaire pourrait être élaboré qui tiendrait compte dans certaines circonstances des besoins particuliers des autochtones. Je pense que le plus souvent la structure qui nous est familière leur convient. Par exemple, le chef des Tsuu T'ina et la bande voudraient conserver la structure actuelle, traditionnelle: Cour provinciale, Cour supérieure, division de première instance de la Cour supérieure, Cour d'appel. Par contre, au sein de la Cour provinciale, ils voudraient qu'il y ait parmi les juges un juge autochtone. Cette personne aurait un personnel de soutien, des conseillers et des adjoints qui comprennent et qui tiennent compte des besoins uniques des membres de la réserve des Tsuu T'ina.
Ils fonctionneraient dans le cadre de la structure actuelle. Si nous décidions de nous écarter de ce système, ce qui serait probablement assez difficile, nous ne pourrions le faire qu'avec l'entière coopération et approbation de la province.
Le sénateur Moore: Vise-t-on à confier toutes les affaires mettant en cause des autochtones à ce juge autochtone?
Mme McLellan: Probablement pas, mais ce juge autochtone jouerait un rôle proéminent au sein de la Cour provinciale dans cette région pour tout ce qui a trait aux questions autochtones, et il ou elle aiderait ses collègues à comprendre les particularités des questions autochtones. Toutefois, les détails de ce projet n'ont pas encore été arrêtés. Comme je l'ai dit, pour l'instant, il s'agit encore de discussions, on envisage d'en faire peut-être un projet pilote. Je préférerais ne pas trop entrer dans les détails à ce sujet.
Le sénateur Gill: Les territoires et le Nunavut relèvent de votre compétence, de même, d'une façon générale, que les populations indiennes et inuit.
Mme McLellan: C'est exact, mais ce dont nous discutons ici, ce sont des rapports entre les différentes juridictions dans le système judiciaire et cela nous amène à une autre série de dilemmes constitutionnels.
Le sénateur Pearson: Ma question porte sur les ressources qu'il faudra pour étayer le projet de loi. L'idée est en partie de simplifier le système et, par conséquent, de le rendre moins coûteux qu'il ne l'aurait été autrement. Avez-vous l'intention de réinvestir les économies réalisées dans le système?
Mme McLellan: Je vais laisser M. Watt donner de plus amples détails à ce sujet, mais en réalité, je ne pense pas que nous fassions des économies. Souvenez-vous que nous créons un nouveau système judiciaire pour 25 000 personnes. C'est au territoire d'assumer les coûts de l'administration, c'est sa responsabilité. Cette partie-là est tout à fait claire, le territoire se charge de cette responsabilité. C'est nous qui payons les juges. Comme il s'agit d'un tribunal à palier unique, nous paierons les juges de la Cour supérieure comme nous le faisons partout ailleurs au pays.
Toutefois, il y a toutes sortes d'autres aspects du système de justice qui n'ont pas de rapport avec la création de la cour. Ce sont les territoires qui s'occupent de former les juges de paix et de s'assurer que ceux-ci ont les compétences et les aptitudes souhaitées. Le personnel et les services de soutien relèvent de la compétence des territoires qui paient pour ces services.
M. Watt vous parlera de nos ressources qui, sans être illimitées, sont suffisamment importantes pour aider le nouveau territoire à prendre beaucoup de mesures qu'il juge utiles pour mettre en place le système de justice que nous souhaitons tous instaurer.
M. Andy Watt, coordonnateur, Service de coordination des questions du Nord, ministère de la Justice: Je ne sais pas si je peux ajouter grand-chose, sinon pour dire que nos ressources sont minimes.
Mme McLellan: Oui, c'est probablement plus exact.
M. Watt: Comme la ministre l'a dit, le territoire est responsable de la plupart des dépenses du système de justice. Dans la mesure où nous supprimons les juges de la Cour territoriale, nous pouvons nous charger de certaines dépenses supplémentaires. Nous payons également les déplacements des juges de la nouvelle cour. Ils économiseront de l'argent de cette façon-là, du moins nous l'espérons, mais c'est difficile à déterminer. La nouvelle cour pourra également économiser de l'argent du fait que le nombre des circuits sera réduit, ce qui rendra la structure plus rentable.
Nous avons travaillé en étroite collaboration avec le ministère de la Justice du Nunavut pour planifier le système judiciaire. Je peux vous assurer qu'ils ont l'intention de réinvestir l'argent qu'ils réussiront à économiser pour accomplir les choses qui vous semblent importantes dans le secteur judiciaire. Vous pourrez leur poser la question lorsqu'ils comparaîtront devant le comité.
Le sénateur Pearson: Est-ce qu'il y aura des sommes supplémentaires pour démarrer le processus, pour s'assurer qu'on part du bon pied? Je crois comprendre que la majeure partie de cet argent est fournie par le gouvernement fédéral de toute façon, mais acheminée par une autre voie.
M. Watt: Nous avons prévu dans le budget du ministère les subventions et contributions pour les quatre ou cinq prochaines années, et nous avons l'intention de coopérer avec le ministère de la Justice du Nunavut et d'autres organismes comme leur Conseil de développement social pour nous assurer que ce genre de questions est réglé de façon satisfaisante, par exemple, la formation des juges de paix.
Mme McLellan: Il ne faut pas oublier que le territoire économisera de l'argent du fait qu'il ne nommera pas de juges territoriaux. C'est nous qui nous chargeons de ces coûts. Comme il s'agit de juges de la Cour supérieure dans ce système à palier unique, c'est nous qui les payons.
D'une certaine façon, le territoire réalise des économies, mais pas nous. J'hésite à utiliser ce vocabulaire car c'est un système de justice tout nouveau qu'ils sont en train de créer. C'est un élément seulement, et c'est bien différent du coût total du système.
Le sénateur Pearson: Je crois que le sénateur Andreychuk et moi-même sommes d'accord sur cette question. Nous avons l'impression que le plus difficile sera de trouver suffisamment de ressources pour bien faire les choses dès le départ, pour ne pas être forcés de colmater par la suite.
Le sénateur Grafstein: Madame la ministre, voilà un projet de loi fascinant, et je tiens à vous féliciter vous et votre ministère pour cette expérience à la fois importante et innovatrice. Quand je parle «d'expérience» c'est que j'essaie de bien cerner ce concept dont vous nous avez parlé et qui représente, à de nombreux égards, un changement remarquable.
Ce n'est pas une notion nouvelle pour vous, mais seriez-vous prête à insérer dans le projet de loi une clause de réunion prévoyant que de cinq à sept ans après la proclamation un examen indépendant du projet devra être effectué? Cela me rassurerait dans une très grande mesure. Comme vous l'avez dit, le projet repose de toute évidence sur les désirs de la majorité de la population, du moins des élites de cette population, ceux qui comprennent ce genre de choses -- et il y a une différence, car reste à savoir si la population sera satisfaite du système, c'est une question sociologique à laquelle je ne saurais répondre. J'aimerais donc que nous puissions commencer en disant que puisqu'il s'agit d'une expérience, nous n'oublierons pas ce projet sur les tablettes du ministère de la Justice -- je le dis gentiment, ce n'est pas une critique -- et qu'un examen sera fait en priorité. Cela dit, je pense qu'il faudrait attendre un peu plus de cinq ans. En effet, il faudra probablement au moins deux ans pour que le système prenne son rythme de croisière, et au moins cinq ans de fonctionnement avant de pouvoir procéder à un examen utile. Est-ce que vous accepteriez ce genre d'amendement?
Mme McLellan: Le gouvernement territorial a déjà adopté le concept d'une évaluation et d'un examen. Nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour les aider dans leur remise en question permanente.
À partir du moment où sera créée cette cour, les gens du Nunavut vont l'observer, et de notre côté, nous les épaulerons dans cette tâche pour surmonter tous les problèmes et tous les obstacles qui n'auront pas été prévus.
Le sénateur Grafstein: Je ne dis pas que vous ne le feriez pas, mais étant sénateur depuis plus dix ans, je sais que les groupes d'autochtones se plaignent fréquemment de l'absence de changement et de la lenteur des mesures correctrices. Le sénateur Adams en parlait déjà le jour où je suis arrivé ici pour la première fois, et d'autres ont soulevé la question depuis lors.
Une telle clause constituerait une sauvegarde, une sauvegarde importante. Cela n'empêcherait absolument pas le ministère et les territoires d'effectuer les corrections nécessaires au fur et à mesure. Je vous parle d'une vision d'ensemble. C'est une idée à laquelle vous voudrez peut-être réfléchir.
Mme McLellan: Est-ce que vous pensez à une clause de révision dans le contexte d'un système de justice?
Le sénateur Grafstein: Pour préciser, il s'agirait d'une clause exigeant un réexamen indépendant de la loi au bout d'une certaine période.
Mme McLellan: Il ne faudrait pas que le système s'arrête du jour au lendemain.
Le sénateur Grafstein: Non, je vous soumets l'idée, vous déciderez peut-être qu'elle mérite réflexion.
J'ai été membre du barreau des Territoires du Nord-Ouest pendant plus de dix ans et, par conséquent, j'ai une certaine expérience en la matière. À l'époque, j'avais eu l'occasion de travailler sur certaines questions de réglementation et le juge avait insisté pour que je devienne membre du barreau. En fait, ce qu'il leur fallait c'était des avocats qui acceptaient de travailler bénévolement pour des clients qui ne pouvaient pas se faire défendre. J'ai été assermenté au barreau des Territoires du Nord-Ouest, dans le cabinet du juge Morrow, un samedi matin à 11 h 30. Ce qu'il voulait, c'était me faire travailler bénévolement, et je l'ai fait, mais pas très bien car c'était un peu précipité. Malgré tout, c'était intéressant.
Pour revenir aux observations de le sénateur Pearson, ce que nous avons ici, c'est un système de justice rénové à l'intention d'un groupe de 25 000 personnes qui sont très dispersées. La première mesure que vous avez prise a été de ramener le nombre des juges de cinq à trois, ce qui ne me plaît pas beaucoup, et je vous demanderais de me dire ce que vous en pensez.
Quel genre de travail bénévole attend-on des membres du barreau de la région? Pendant que nous rénovons le système, pendant que nous réduisons les protections procédurales des accusés criminels de cette région, est-ce qu'en même temps nous augmentons leur possibilité de se faire défendre? Je ne suis pas très au courant des possibilités de défense des gens de la région à l'heure actuelle.
Avant de décider de réduire le nombre de juges -- je ne suis pas forcément d'accord sur ce point, mais j'écouterai ce que vous avez à dire -- j'aimerais savoir ceci: quel est le statut du barreau? C'est un aspect important du système judiciaire.
Mme McLellan: En ce qui concerne le nombre de juges, cette décision a été prise en consultation avec le gouvernement territorial et avec les avocats locaux, pas seulement dans l'est de l'Arctique, mais dans tous les Territoires du Nord-Ouest.
Comme vous pouvez vous l'imaginer, il n'y a pas beaucoup d'avocats dans l'Est de l'Arctique. Toutefois, il y a de plus en plus d'avocats dans l'Ouest de l'Arctique, et également des avocats qui viennent du Québec, de l'Ontario, du Manitoba et de l'Alberta, des gens qui pratiquent le droit et qui sont membres de ce barreau. On voit fréquemment des gens de l'Alberta qui sont membres du barreau des Territoires du Nord-Ouest, et qui deviendraient membres du barreau de l'Est de l'Arctique. C'est un élément important de leur clientèle.
Mon voisin passe six mois par année à Yellowknife où il pratique le droit municipal. D'une certaine façon, ces gens-là ont des liens aussi étroits avec le Nord que les résidents à plein temps.
La situation a probablement changé dans une certaine mesure car de nos jours il y a de plus en plus d'avocats originaires des territoires, et également de plus en plus d'avocats des autres provinces qui connaissent et qui comprennent le Nord, qui considèrent que c'est une partie importante de leur travail et de leur mission et qui se sentent solidaires de cette région.
La décision de ramener le nombre à trois juges a été prise en accord avec le gouvernement territorial, le barreau, les autorités judiciaires actuelles, et également à la suite de consultations avec d'autres juges et d'autres tribunaux, y compris des juges de cour d'appel et des juges adjoints qui viennent des tribunaux au sud du 60e parallèle et qui sont déjà nommés à des postes dans le Nord.
C'est une situation que nous allons suivre de près. Tout ce que nous avons vu et entendu nous porte à croire que trois juges seront suffisants. Toutefois, si nous devions décider avec le gouvernement territorial que nous nous sommes trompés, à ce moment-là, nous rectifierons. Pour l'instant, sur la base de tout ce que nous avons vu, trois juges devraient être suffisants.
Le sénateur Grafstein: Je crois comprendre que 15 p. 100 de la population du Nunavut est non autochtone. Est-ce qu'on a consulté ces gens-là séparément des groupes autochtones pour s'assurer que ce nouveau système de justice leur conviendra?
Mme McLellan: Ils ont été consultés. Quant à savoir s'il y a eu un processus de consultation séparée, peut-être mes collègues pourront-ils vous répondre.
M. Watt: Je n'irais pas jusqu'à dire qu'il y a eu un processus séparé. Nous avons publié un document de fond sur la structure des tribunaux à l'automne 1997 qui a été largement distribué, dans le Nord et dans le Sud. Nous l'avons envoyé aux membres du barreau des Territoires du Nord-Ouest et à diverses autres instances. La conférence du commissaire intérimaire regroupait à la fois des Inuits et des non-Inuits. Je dirais que les non-Inuits ont eu toutes les occasions du monde de prendre part aux consultations.
M. Howard Bebbington, conseiller juridique, Section de la politique en matière de droit pénal, ministère de la Justice: Nous avons rencontré les représentants du barreau, au Nunavut et à Iqaluit. Nos discussions ne tournaient autour ni de la clientèle autochtone ni de la clientèle blanche, mais plutôt autour du processus.
Le sénateur Grafstein: En vertu du nouveau code, il y a plusieurs procédures pénales qui diffèrent substantiellement de celles qui existaient. Êtes-vous convaincue que les accusés du Nunavut auront exactement les mêmes droits dans le nouveau système que dans l'ancien?
Mme McLellan: Tout à fait.
Le sénateur Grafstein: Comment pouvez-vous répondre si rapidement?
Mme McLellan: Parce que c'est quelque chose qui nous a beaucoup préoccupés. Lorsque les habitants du Nunavut nous ont demandé d'avoir un tribunal de première instance à palier unique, une des premières choses qui ait préoccupé le ministère de la Justice, c'était de faire en sorte que cela soit possible tout en assurant à la population du Nunavut la même protection et les mêmes droits qu'aux autres habitants du Canada.
Je puis vous assurer que l'élaboration d'un système qui offre la même protection à tous les citoyens où qu'ils habitent au Canada n'a pas été chose facile. Les mécanismes ne sont pas tout à fait les mêmes au Nunavut, mais nous sommes convaincus que les droits sont tout autant protégés au Nunavut qu'ailleurs au Canada, particulièrement dans l'appareil de justice pénale.
Comme je l'ai déjà dit, les brefs de prérogative permettent aux tribunaux de juridiction supérieure de réviser les tribunaux de juridiction inférieure. Or, le tribunal de première instance à palier unique impliquant que l'on ne peut se tourner que vers une juridiction supérieure, il faut donc changer le processus.
Que faire? Il faut d'abord s'assurer qu'il y ait une révision globale, tout en reconnaissant qu'il n'existe pas de juridiction inférieure. Par conséquent, il faut essayer d'oublier ce qui s'est fait traditionnellement et faire preuve de créativité et d'innovation. Je suis convaincue que les droits des accusés dans le cas de cette révision seront tout aussi protégés que dans le système actuel de brefs de prérogative. Mais cela ne veut pas nécessairement dire que les choses seront identiques, ou qu'on utilisera les mêmes termes que ceux qui sont utilisés au sud du 60e parallèle.
Le sénateur Andreychuk: Cela fait une trentaine d'années que je m'intéresse à la question, et une déstratification des tribunaux afin qu'ils répondent mieux aux besoins de la collectivité est un objectif que poursuivent depuis de nombreuses années beaucoup d'habitants du Nord et beaucoup de représentants des tribunaux. En effet, il suffit de prendre l'avion avec tous les sténographes judiciaires et d'aller se promener dans le Nord pour comprendre que la justice n'y obtient pas de bons résultats. Je vous félicite donc de votre initiative, à laquelle je suis déjà convertie.
Toutefois, chaque fois que nous avons fait des propositions en ce sens, comme avocats ou comme juges, nous nous sommes toujours heurtés au problème qu'a signalé le sénateur Grafstein, à savoir que nous nous exposions à une contestation au titre de la Charte ou au titre de la Constitution.
Si je vous ai bien comprise, vous êtes convaincue que vous n'enfreignez aucun droit, du simple fait que vous avez uniquement déstratifié les tribunaux?
Mme McLellan: En effet.
Le sénateur Andreychuk: Était-ce parce que nous étions trop ambitieux naguère et que nous abordions d'autres parties du Code criminel?
Mme McLellan: Il faut faire en sorte que l'on ne retire aucun droit aux accusés, que ce soit dans le cadre d'un appel ou du droit à la révision judiciaire. J'ai expliqué au sénateur Grafstein que c'était là une des choses qui nous préoccupaient au premier chef au ministère de la Justice et que nous y avions consacré beaucoup de temps. Nous croyons que ce que nous avons conçu protège complètement les droits des habitants de l'Arctique de l'Est qui pourraient faire l'objet d'accusation et que le système est conforme à la Charte. C'est une autre façon de dire que le système que nous avons conçu est conforme non seulement à la langue mais aussi à l'esprit de la Charte.
M. Bebbington voudra peut-être vous expliquer comment nous avons fait en sorte de protéger ces droits.
M. Bebbington: Nous y avons consacré beaucoup de temps. Le système proposé ne peut être identique à celui qui existe actuellement, mais nous avons tenté d'établir des droits équivalents. Il m'est impossible de vous donner quelque garantie que ce soit, car seul le temps dira si nous avons eu raison. Mais nous suivrons tout cela de très près. Outre nos propres spécialistes, qui incluent des spécialistes de la Charte qui se sont penchés de très près sur le nouveau système, nous avons consulté le barreau à Iqaluit et à Yellowknife, ainsi que des universitaires, des juges et d'autres gens compétents un peu partout au Canada. Nous pensons que le nouveau système reflète adéquatement leurs conseils et leurs commentaires.
Nous avons également retenu les services d'un professeur de l'Université Queen's, qui est un avocat de la défense réputé et un spécialiste des brefs de prérogative dans le système pénal et correctionnel, pour lui demander de nous aider à élaborer le nouveau mode de révision judiciaire. On ne peut évidemment pas le comparer à ce qui existe ailleurs, mais nous avons fait de notre mieux pour préserver des droits équivalents et pour accorder un accès équivalent au système judiciaire. Pour nous, il était important de le faire, et nous croyons que le projet de loi dont vous êtes saisis le reflète.
Le sénateur Andreychuk: On ne répétera jamais assez qu'il s'agit d'un système judiciaire au sein du Canada. N'importe qui d'entre nous pourrait se tourner vers les tribunaux du Nunavut, et c'est pourquoi le système doit être bien adapté à ceux qui ont besoin de lui; et l'objectif a toujours été de rendre une justice équivalente, puisqu'elle ne peut être identique, aux citoyens canadiens du Nord. Êtes-vous sûre nous y sommes parvenus?
Mme McLellan: Comme l'a expliqué M. Bebbington, tant qu'il n'y a pas de contestation et que la Cour suprême du Canada ne nous confirme pas que notre régime est conforme à la Charte, nous ne pouvons vous le garantir de façon absolue. Mais étant donné les efforts déployés par nos spécialistes et tous ceux que nous avons consultés, nous sommes convaincus que nous y arriverons et que les risques de contestation sont minimes.
Le sénateur Andreychuk: Et les avantages que l'on en tire dépassent de loin les risques?
Mme McLellan: Oui.
Le sénateur Andreychuk: Pour reprendre ce qu'a dit le sénateur Pearson, je ne crois pas que le véritable problème du Nord soit celui du système judiciaire. Je crois plutôt que le véritable problème, c'est la pénurie de services de soutien en matière de prévention, et lors de l'incarcération, pour aider les familles séparées, de même que l'effet cascade dû à la façon dont la justice a été rendue dans le Nord. Tout cela m'intéresse depuis fort longtemps.
J'aurais plusieurs questions à poser, mais je n'en dirai pas plus. Pourquoi avoir choisi l'Alberta? Lorsque Yellowknife était la plaque tournante, on avait choisi la Cour d'appel de l'Alberta, ce qui se justifie. Toutefois, maintenant qu'Iqaluit est au centre du territoire, d'un point de vue géographique, pourquoi ne pas avoir choisi une province qui soit située directement au sud? Est-ce que c'est parce qu'à votre avis, il y a déjà un grand nombre d'experts en Alberta et que ces experts comprennent bien les grands enjeux psychologiques et sociologiques du territoire?
Mme McLellan: Votre question est excellente et touche plusieurs aspects. D'abord, n'oubliez pas que les discussions se poursuivent dans le Nord, y compris au Yukon et dans les Territoires du Nord-Ouest, autour de l'éventualité de créer une cour d'appel dont la compétence s'étendrait à tout le Nord, c'est-à-dire au Yukon et à l'Arctique de l'Ouest et de l'Est. Donc, les discussions se poursuivent à cet égard, même si l'on ne semble pas encore prêt à me faire cette demande ou à la faire au gouvernement. En fait, lors de la conférence de novembre 1997, on s'est demandé de façon spécifique si ce genre d'initiative devrait être mis de l'avant. Que je sache, personne n'a suggéré la création d'une cour d'appel autonome, parce qu'il n'y a tout simplement pas assez de gens. Voilà pourquoi on envisage de regrouper les ressources et de créer une nouvelle cour d'appel dont la compétence s'étendrait à tout le territoire.
Nous serions disposés à envisager cette possibilité. Comme les gens du Nord ne sont pas encore prêts, nous maintiendrons jusque là, et pour les fins de ce projet de loi-ci, le mécanisme actuel, c'est-à-dire la cour d'appel de l'Alberta, à laquelle on peut adjoindre des juges des autres provinces. J'imagine que c'est ainsi parce que les juges de la cour d'appel de l'Alberta ont acquis des connaissances plus spécifiques du Nord et qu'ils aiment et respectent le Nord, si je puis dire. Bien qu'il ne siège pas à la cour d'appel, le juge Moreau me semble être l'exemple parfait d'une personne qui a consacré une grande partie de sa vie au Nord.
Vous avez soulevé une bonne question, et si le Nord n'opte pas pour sa propre cour d'appel dans un avenir plus ou moins rapproché, nous devrons peut-être choisir, par souci de logique, la cour d'appel du Manitoba ou celle de l'Ontario, ou même peut-être celle du Québec -- bien que, étant de tradition civile, cela pourrait compliquer les questions de droit privé -- ou encore quelque autre solution.
Au fil du temps, nous devrons peut-être reconnaître la nécessité de trouver une solution novatrice pour ce qui est de la cour d'appel. Pour l'instant, tous semblent heureux de voir la cour d'appel de l'Alberta, à laquelle on adjoindra au besoin d'autres juges, continuer à exercer sa compétence sur tout le territoire, pendant encore longtemps au besoin.
Le sénateur Moore: Madame la ministre, pourriez-vous nous dire exactement quelle est la superficie de ce territoire géographique et de quelle masse terrestre il s'agit?
Le sénateur Adams: La distance de Pelly Lakes à Rankin Inlet est d'environ 750 milles, et le territoire du Nunavut représente actuellement quelque deux millions de milles carrés.
Mme McLellan: Vraiment? Je suis sûre que vous ne vous trompez pas.
M. Watt: Je crois que cela représente les deux tiers des Territoires du Nord-Ouest et 20 p. 100 du territoire canadien.
Mme McLellan: En effet, c'est le chiffre qu'on utilise souvent pour aider les Canadiens du Sud à comprendre la vastitude du territoire. Cela représente 20 p. 100 de toute la masse territoriale du Canada et ce n'est peuplé que par 25 000 personnes. Cela illustre très bien les grands défis géographiques et physiques qui doivent être relevés.
Le sénateur Moore: C'est ce que je voulais vous entendre dire pour que cela soit consigné au procès-verbal.
Passons aux juges de paix. Étant donné l'immensité du territoire et le fait qu'il n'y aura que trois juges, j'imagine que l'on devra s'en remettre aux juges de paix pour que le système fonctionne. Qui nommera les juges de paix? Le procureur général du territoire?
Mme McLellan: Oui.
Le sénateur Moore: C'est lui qui les paiera?
Mme McLellan: En effet.
Le sénateur Moore: Combien y en aura-t-il?
Mme McLellan: Je ne sais si cela a déjà été déterminé.
Le sénateur Moore: Est-ce que leur nombre sera proportionnel au nombre d'habitants? Comment pourra-t-on s'assurer qu'il y aura suffisamment de juges de paix dans toutes les localités, peu importe leur taille?
Mme McLellan: Voilà une question que vous devriez poser aux représentants du commissaire intérimaire lorsqu'il comparaîtra, puisque c'est lui qui est chargé de nommer les juges de paix et de s'assurer qu'ils seront formés, bien que je puisse vous assurer que nous suivrons leur formation de près.
Le sénateur Moore: Leur formation relève donc du territoire qui s'occupera aussi de leur salaire?
Mme McLellan: Oui, mais nous allons suivre cela de très près, puisque nous considérons que c'est une question clé. En effet, la formation des juges de paix est déjà un contentieux dans l'appareil judiciaire actuel du Nord. On se demande s'ils sont suffisamment formés et s'ils sont en nombre suffisant. S'ils ne sont pas formés, il faut se demander comment assurer leur formation.
Nous n'élargissons pas le mandat des juges de paix en vertu du code actuel. Ce pourrait être possible cependant une fois que le gouvernement territorial et la population auront évalué les résultats du projet.
Le sénateur Moore: Il me semble qu'ils sont un élément clé du système.
Mme McLellan: Ils vont l'être, comme ils le sont généralement déjà dans le Nord.
M. Watt: On reconnaît nettement qu'il serait possible, et on le souhaite vivement, que les juges de paix des collectivités du Nunavut assument plus de responsabilités. On reconnaît aussi que pour ce faire, ils auront besoin de formation et de soutien.
La juge Browne, qui deviendra en avril juge de la Cour suprême ou de la Cour de justice du Nunavut, travaille déjà à un plan en ce sens en collaboration avec Nora Sanders, dont le représentant comparaîtra devant le comité la semaine prochaine.
Je ne peux pas vous dire combien de juges de paix il y a au Nunavut ou dans les Territoires du Nord-Ouest. Le chiffre 81 me vient à l'esprit. Je sais qu'il y a des juges de paix dans presque toutes les collectivités, si ce n'est pas dans la totalité.
Le système en vigueur dans les Territoires du Nord-Ouest prévoit cinq niveaux de juges de paix. Selon leur compétence et leur formation, ils peuvent traiter de différents cas selon leur niveau. Au niveau le plus élevé, ils peuvent en théorie présider des procès en cas de poursuite sommaires. Au premier niveau, ils s'occupent seulement des premières étapes du processus, et les responsabilités augmentent à chaque niveau.
Je crois bien qu'il y a des juges de paix dans chaque collectivité du Nunavut, et il y en aura certainement après le 1er avril.
Le sénateur Adams: Merci d'être venue, madame la ministre. Je vous félicite de ce projet de loi. Nous en avons besoin.
On a dit plus tôt que 15 p. 100 des habitants du Nunavut sont des non-autochtones. Nous, les Inuits, ne nous préoccupons pas tellement du pourcentage de sang. Si vous êtes Inuk, vous l'êtes; le teint de la peau n'a rien à voir avec ça. Dans un mariage mixte, la personne de race blanche devient automatiquement Inuk.
Quel sera l'impact du nouveau système dans de telles situations? Je pense surtout aux cas de séparation et de divorce. J'ai un ami, par exemple, qui habitait autrefois à Eskimo Point, mais qui vit maintenant en Alberta. Après son déménagement, il a voulu revenir dans le Nord en amenant sa famille avec lui, même s'il était séparé de sa femme. Il y a parfois de telles situations.
Si le projet de loi C-57 devient loi, et si j'habite à Ottawa et ma femme et moi nous séparons, et si je veux retourner dans le Nord avec mes enfants, quelle cour aura la compétence dans ce cas-là? La cour ici à Ottawa ou celle du Nunavut?
Mme McLellan: J'imagine que vous entameriez les démarches là où elle habite avec les enfants. Si elle habitait l'Arctique de l'Est, c'est le tribunal à palier unique qui traiterait des questions de droit familial, quelles qu'elles soient, que vous voudriez soulever devant la cour. En cas de divorce, c'est la Loi fédérale sur le divorce qui s'applique. Les dispositions de la Loi sur le divorce concernant la garde et les droits de visite s'appliquent au Nunavut comme ailleurs au Canada. La nouvelle cour appliquerait ces dispositions à votre situation, et vous auriez les droits d'appel que j'ai mentionnés tantôt.
Ce projet de loi vise la création d'une cour. Le tribunal de première instance à palier unique a, concernant tous les aspects du droit familial, du droit criminel et des autres questions civiles, la même compétence que toute cour de première instance dans une province, par exemple, ou dans l'Ouest de l'Arctique.
Le sénateur Adams: Qu'est-ce qui arriverait si quelqu'un partait pour le Sud du Canada ou à l'étranger? Cela ne change rien, n'est-ce pas?
Mme McLellan: Non. Nous ne voulons pas ce matin ouvrir un débat sur l'application réciproque des divers types d'ordonnance en vertu du droit familial, puisqu'il s'agit d'une question complexe peu importe la province ou les territoires où on habite au Canada. Mais je peux vous assurer que la situation sera pareille dans l'Arctique de l'Est.
Le sénateur Adams: Je tiens à vous féliciter de la nomination de la juge Browne. Je la connais très bien et c'est un excellent choix.
Vous avez parlé des Dénés du Manitoba et vous avez fait allusion à l'article 40. Est-ce qu'il s'agit d'un article de la loi sur le Nunavut?
M. Bebbington: La ministre faisait allusion à l'article 40 de l'entente concernant les revendications territoriales qui préservera les droits des Dénés du Manitoba dans la mesure où ils existent. Je pense que vous allez recevoir les Dénés du Manitoba la semaine prochaine. Ils ont certaines préoccupations en ce qui concerne la région du Nunavut. Ils estiment que la création du Nunavut leur cause des problèmes. La ministre a signalé que l'article 40 de l'entente concernant les revendications territoriales préserve leurs droits dans la mesure où ils existent. La création du Nunavut ne va pas porter préjudice à ces droits. Ce qui est plus important, c'est que notre projet de loi n'a aucune incidence sur les droits en question. Le projet de loi ne porte que sur la structure des tribunaux qui existera dans le territoire du Nunavut, pour lequel le projet de loi a été adopté en 1993.
Le sénateur Adams: On a dit au comité de la justice de la Chambre des communes que ces traités ont été signés en 1910. Ce sont les zones de chasse qui me préoccupent.
M. Bebbington: Je pense qu'ils se préoccupent de leur droit de chasser dans cette région. Nous jugeons que l'article 40 va préserver ces droits dans la mesure où ils existent. Comme vous le savez peut-être, ils se sont adressés à la Cour fédérale du Canada pour obtenir des réponses à certaines de ces questions.
La présidente: Ma question fait suite à celle posée par le sénateur Adams. Je ne fais pas tellement allusion aux revendications territoriales des Denesulines du Manitoba, mais plutôt à leurs droits comme Canadiens. Vous avez dit que les droits des personnes accusées sont protégés. Cependant, un des témoins qui a comparu devant le comité de la justice de la Chambre des communes a dit ceci au sujet du projet de loi:
La différence, c'est que les décisions de la Cour suprême comme celles rendues dans l'affaire Sparrow, Horseman et Badger, qui prévoient toutes des limites très strictes aux pouvoirs de réglementation des gouvernements provinciaux et territoriaux, ne s'appliqueront plus au Nunavut.
Moi, je vous demande si cette déclaration est vraie. Les Dénés du Manitoba ont-ils les mêmes droits dans le cas d'une accusation portée contre eux au sud du 60e parallèle comme au nord du 60e parallèle?
Mme McLellan: Oui, tout à fait. Le sénateur Grafstein a posé la même question.
Je comprends et je respecte les affirmations des Dénés du Manitoba. Cependant, ils ont présenté leurs revendications devant la Cour fédérale. L'existence des droits qu'ils affirment n'est certainement pas claire. C'est la raison pour laquelle ils ont présenté la cause devant la cour. En effet, tous les droits existants sont protégés.
Cette mesure ne porte pas sur les droits formels, mais plutôt sur le système judiciaire. Le projet de loi n'a aucune incidence sur les revendications de fond que les Dénés du Manitoba ou tout autre groupe pourraient faire.
M. Bebbington: Si quelqu'un du Nunavut est accusé d'une infraction, et si cette personne croit qu'elle a un droit inhérent qui atténue l'accusation ou qui y répond, elle peut présenter cela dans sa plaidoirie devant la cour du Nunavut. Rien n'a changé à cet égard.
Dans la mesure où le droit est un droit formel constituerait une défense contre une accusation -- possiblement en vertu des lois du territoire, l'accusation porterait sur certains genres de chasse ou de pêche -- l'accusé pourra toujours présenter cela comme défense dans un tel contexte.
Tout ce que nous avons modifié c'est la structure du tribunal qui instruira la cause. Dans le cas du Nunavut, ce sera un juge de juridiction supérieure d'un tribunal de première instance à palier unique qui instruira la cause et qui statuera.
La présidente: Est-ce qu'ils craignent que les décisions de la Cour suprême du Canada, comme Sparrow, ne s'appliqueront pas à eux? Je suis probablement en train de poser certaines de leurs questions à leur place. Ils vont comparaître devant nous et je sais qu'ils vont soulever ces préoccupations.
M. Bebbington: Nous avons déjà entendu parler de cette préoccupation. Certains s'inquiètent puisqu'il s'agit d'une nouvelle structure, que le régime soit complètement nouveau. Ce n'est pas vrai. Les lois fédérales qui s'appliquent maintenant continueront de s'appliquer au Nunavut comme elles s'appliquent ailleurs au pays. Les lois du territoire, bien entendu, seront du ressort du gouvernement territorial, et elles peuvent varier selon le territoire. La common law dont ils parlent, en particulier, les décisions de la Cour suprême du Canada, s'appliquera au Nunavut comme ailleurs au pays.
La présidente: Je suis sûre qu'on leur communiquera votre réponse.
S'il n'y a pas d'autres questions, je tiens à vous remercier beaucoup d'être venus.
Mme McLellan: Je crois qu'il s'agit d'une possibilité passionnante, d'abord et avant tout pour la population de l'Arctique de l'Est, bien entendu. Cependant, je pense qu'il s'agit d'une occasion passionnante pour nous tous, pour tous les Canadiens, de participer non seulement à la création d'un nouveau territoire, mais également à la création d'un nouveau système judiciare. Ce n'est pas quelque chose qui arrive tous les jours, comme nous le savons. Nous avons travaillé dur avec la population locale pour faire les choses correctement. Je pense, et j'espère que vous serez d'accord avec moi, que cette réalisation mérite d'être soulignée dignement. Je sais que le sénateur Adams vous a invités à participer avec lui aux cérémonies officielles le 1er avril.
La séance est levée.