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Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule 55 - Témoignages


OTTAWA, le mercredi 17 février 1999

Le comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel ont été renvoyés le projet de loi C-51, Loi modifiant le Code criminel, la Loi réglementant certaines drogues et autres substances et la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, et le projet de loi C-57, Loi portant modification de la Loi sur le Nunavut relativement à la Cour de justice du Nunavut et modifiant diverses lois en conséquence, se réunit aujourd'hui, à 15 h 45, afin d'étudier les projets de loi.

Le sénateur Lorna Milne (présidente) occupent le fauteuil.

[Traduction]

La présidente: Honorables sénateurs, je vois qu'il y a quorum.

Le premier point à l'ordre du jour d'aujourd'hui est l'étude du projet de loi C-51. La ministre Anne McLellan est avec nous.

Veuillez commencer.

L'honorable Anne McLellan, ministre de la Justice et procureur général du Canada: Madame la Présidente, c'est un plaisir pour moi d'être ici aujourd'hui. Je vous suis reconnaissante d'avoir bien voulu interrompre votre étude du projet de loi C-57 pour vous pencher sur le projet de loi C-51. Je vous sais gré de votre indulgence car il me sera difficile de revenir pour m'accorder avec votre horaire en ce qui a trait à l'étude du projet de loi C-51.

Pour commencer, j'aimerais expliquer brièvement l'objet du projet de loi C-51 et la raison pour laquelle le gouvernement le présente maintenant. C'est un projet de loi omnibus qui contient une série de modifications disparates au Code criminel et à d'autres lois.

Les modifications proposées émanent de plusieurs sources différentes. Elles sont le fruit de l'apport des provinces, de mes hauts fonctionnaires, d'autres ministères fédéraux, des corps policiers et de groupes d'intérêts. Certains de ces changements sont importants. Mais aucun d'entre eux ne s'écarte de nos lois et politiques actuelles au point de nécessiter un projet de loi à lui tout seul.

[Français]

Certaines modifications répondent effectivement à des préoccupations stratégiques précises et j'examinerai celles que je juge les plus importantes en ce moment. D'autres changements visent simplement à corriger des erreurs, des renvois ou d'autres omissions législatives relevées au cours des dernières années

[Traduction]

Au niveau fédéral, nous tenions tout particulièrement à modifier les dispositions du Code criminel concernant la période d'un an et un jour et l'ordonnance de sursis. Les procureurs provinciaux et les représentants des milieux du jeu et du tourisme demandaient des modifications importantes concernant la procédure pénale et le jeu.

Normalement, ces modifications auraient fait partie d'un projet de loi omnibus ordinaire. J'ai jugé, cependant, que plusieurs recommandations étaient trop importantes pour attendre la prochaine loi modificatrice majeure.

S'il y a un grand thème politique qui sous-tend ces modifications, c'est celui qu'il nous faut de temps à autre apporter des modifications pour que le droit pénal canadien reste efficace, efficient et à jour. Les provinces ont la responsabilité de l'administration d'une très grande partie du droit pénal. Il convient également de noter que plusieurs de ces modifications correspondent à des demandes que les provinces nous ont faites par le truchement du comité de coordination des hauts fonctionnaires et d'autres organes consultatifs. Les demandes des provinces ne sont pas toutes prises en considération dans ce projet de loi. J'en toucherai un mot dans un moment.

Je voudrais d'abord bien faire comprendre que, si une proposition n'a pas été retenue, c'est parce qu'à notre avis il y avait de bonnes raisons de ne pas la présenter pour le moment. Dans certains cas, les modifications n'auraient pas été pratiques ou sont contraires à d'autres politiques actuellement en vigueur. J'aimerais passer en revue certaines des modifications les plus importantes que nous proposons.

À l'heure actuelle, le Code criminel proscrit la mise en accusation de quelqu'un qui a tué si la mort de la personne qu'il a agressée remonte à plus d'un an et un jour. C'est une règle très ancienne. Elle date de la common law élaborée au Moyen-<#00C2>ge et a été incorporée au premier Code criminel en 1892.

Nous croyons que le moment est venu d'abroger cette loi. Bon nombre de procureurs généraux provinciaux ont réclamé son abrogation. Elle a subsisté pendant toutes ces décennies sous la forme d'une limite de temps relativement à l'immunité en matière pénale et puis parce que, jusqu'à tout récemment, dans les cas où le décès remontait à assez longtemps, il était difficile pour les procureurs de prouver le lien de causalité.

À l'ère moderne, la règle ne sert qu'à empêcher la tenue de procès qui pourraient être dûment soutenus et, par ailleurs, la politique générale s'oppose à tout délai de prescription à l'égard des délits criminels au Canada.

À l'heure actuelle, cette politique est bafouée. Il n'y a pas de limite de temps pour les délits relativement mineurs, alors que, dans le cas des délits les plus graves que connaisse notre droit, tout est fonction du temps qui s'est écoulé depuis le décès de la victime. Les progrès de la médecine légale permettent maintenant de prouver plus facilement la cause du décès dans bien des cas. Et les progrès de la médecine permettent maintenant aux victimes d'agression de survivre pendant de longues périodes.

La jurisprudence dit en somme que, s'il est prouvé qu'il a fait quoi que ce soit qui a contribué à la mort de la victime d'une façon ou d'une autre, le prévenu peut être reconnu coupable d'avoir causé la mort, si son action a été plus que minime ou négligeable. Cela était toujours le cas lorsque les victimes décédaient peu après le crime. Nous proposons maintenant d'appliquer le même principe, peu importe quand la victime décède.

En principe, nous tenons à ce que ce changement s'applique le plus tôt possible. La Charte nous empêche de créer rétroactivement des délits criminels et, de toute façon, ce ne serait pas une bonne politique. Cependant, on peut fort bien soutenir que, dans les cas où la période ne sera pas terminée lorsque la loi sera modifiée, l'abrogation peut s'appliquer sans qu'il y ait dérogation à la Charte. La loi le prévoit. Il n'y a pas non plus de raisons de retarder la proclamation de cette modification. Le projet de loi prévoit que l'abrogation entrera en vigueur le jour même de la sanction royale.

Un autre domaine important où le gouvernement voulait intervenir rapidement, ce sont les dispositions relatives aux peines avec sursis. Ceux d'entre vous qui ont suivi le débat jusqu'ici savent que certains Canadiens estiment que des peines autres que l'emprisonnement ont été imposées dans des cas où l'accusé aurait dû être incarcéré, ce qui les amène à réclamer leur abolition.

Vous avez peut-être suivi quelque peu le débat qui a eu lieu à la Chambre des communes. Le comité de la Chambre des communes, qui est votre pendant en quelque sorte, a dû faire face à un certain nombre de motions qui exprimaient bien les fortes réactions aux dispositions relatives aux condamnations avec sursis. Certaines motions réclamaient carrément l'abrogation de l'article; d'autres prévoyaient une annexe dressant la liste des peines. Cet article a suscité beaucoup d'observations du public depuis son introduction en 1997.

Nous estimons quant à nous que certaines de modifications les plus spectaculaires ne devraient pas être adoptées sans le recours à un long processus d'élaboration des politiques et qu'il serait prématuré pour l'instant de les pousser plus avant. Plusieurs cas où la condamnation avec sursis a été prononcée sont sur le point d'être présentés à la Cour suprême du Canada. En effet, la Cour suprême du Canada entendra ce printemps cinq cas où la condamnation avec sursis a été prononcée par autant de cours d'appel provinciales. Ces cas permettront de déterminer quand des accusations avec sursis peuvent être imposées ou non. Il est important de laisser le processus d'appel fonctionner avant d'envisager toute modification majeure. Les modifications que nous proposons aujourd'hui sont mineures mais importantes aux yeux de bien des gens qui oeuvrent dans le domaine de la justice pénale.

Le comité permanent de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes a, comme je l'ai mentionné, convenu de revoir l'application des condamnations avec sursis. Je pense qu'il entreprendra ses travaux ce printemps. Il va de soi que je me pencherai sur les conclusions du comité.

Depuis l'entrée en vigueur du régime des peines avec sursis en septembre 1996, il est devenu évident que certains changements s'imposent en ce qui concerne son application. Ces changements sont inclus dans le projet de loi C-51.

La principale difficulté qui a été décelée tient au fait que, dans certains cas où les conditions n'ont pas été respectées, les délinquants ne pourront pas être traînés devant un tribunal et jugés avant d'avoir purgé leurs peines. Or, une fois la peine purgée, les tribunaux perdent la responsabilité sur les délinquants qui purgent une peine avec sursis.

Nous proposons donc des amendements qui feraient en sorte que la période pendant laquelle le délinquant a enfreint les conditions qui lui ont été imposées n'entre pas dans le calcul de la peine purgée. N'entrerait donc pas dans le calcul de la peine purgée la période à partir de laquelle le délinquant a été arrêté pour avoir enfreint les conditions ou un mandat d'arrestation a été émis contre lui. Il faudrait plutôt attendre la fin des audiences du tribunal. L'individu n'obtiendrait aucun crédit pour le temps perdu. Les tribunaux conserveraient la responsabilité sur les délinquants jusqu'à la tenue des audiences sur le non-respect des conditions.

Si le tribunal déclarait que le délinquant n'a pas commis d'infraction, qu'il avait une raison acceptable ou qu'il s'agissait d'un cas de force majeure, il ordonnerait que la période entre dans le calcul de la peine purgée. Si le tribunal déclare que le délinquant a enfreint les conditions, il peut mettre fin à l'exécution de la condamnation avec sursis et obliger le délinquant à purger le reste de sa peine en prison.

Comme je l'ai mentionné, plusieurs modifications importantes proposées au projet de loi C-51 se veulent une réponse aux préoccupations exprimées par les provinces, les territoires et les corps policiers.

À l'automne 1998, la première mine canadienne de diamants est entrée en activité dans les Territoires du Nord-Ouest. Certes, cela représente une importante et précieuse source de développement économique, mais on peut craindre que ces diamants bruts de grande valeur n'attirent les voleurs et le crime organisé. Ceux d'entre vous qui savent ce qui se passe dans les autres mines de diamants d'ailleurs, notamment celles d'Afrique, comprendront que les risques à cet égard ne sauraient être sous-estimés. L'expérience de ces pays montre que la grande valeur des diamants et la facilité avec laquelle on peut les dissimuler en font une proie idéale pour la contrebande ou le blanchiment de fonds.

Le gouvernement est résolu à faire en sorte que le Canada ne devienne pas un refuge pour les gens qui s'adonnent au crime organisé. Afin de protéger cette nouvelle industrie, les modifications proposées tendent à moderniser les vieilles dispositions de la loi concernant le vol et la possession illégale de métaux et de minerais précieux. L'expression «métaux précieux» est remplacée par «minéraux précieux» afin d'inclure les diamants et autres minéraux non métalliques. Nous créons une présomption selon laquelle toute possession de diamants non taillés est illégale.

La Cour suprême a statué qu'une autre présomption concernant les métaux précieux allait à l'encontre de la présomption d'innocence telle qu'elle est définie dans la Charte, d'où l'amendement proposé.

Selon cet amendement, l'accusé n'a qu'à fournir des preuves ou une explication suffisantes pour soulever un doute raisonnable et renverser cette présomption, ce qui est conforme à l'exigence de la Charte telle qu'elle est définie par la Cour suprême du Canada.

Plusieurs autres modifications vont dans le sens de l'engagement du gouvernement de combattre le crime organisé.

La modification proposée à la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition vise à faire en sorte que les personnes déclarées coupables d'infractions de criminalité organisée ne puissent avoir droit à toute procédure d'examen expéditif de leur libération conditionnelle quelle qu'elle soit.

Le sénateur Pépin et d'autres m'ont signalé un cas au tout début de mon mandat à titre de ministre de la Justice. J'étais en poste depuis quelques semaines à peine quand le sénateur Pépin m'a appelée pour me faire part de sa préoccupation à l'égard d'un cas particulier survenu sur le territoire de la Ville de Montréal et de l'émoi qu'il suscitait dans la communauté -- pas seulement dans la police et les autres organismes d'application de la loi, mais également au sein de la population de Montréal et du Québec tout entier, chez ceux qui étaient au courant des événements.

Dans ce projet de loi omnibus, nous proposons une modification à la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition qui soustrait les personnes déclarées coupables d'un acte de gangstérisme à l'admissibilité à la procédure d'examen expéditif.

D'autres modifications proposées permettraient l'écoute électronique dans les cas d'infractions graves liées à la prostitution. On pourrait ainsi enquêter sur les réseaux téléphoniques de prostitution et sur la participation indirecte au crime organisé. Une modification supplémentaire vise à inclure dans les dispositions actuelles du Code criminel concernant les produits de la criminalité les nouvelles infractions que prévoit le projet de loi C-20 qui est actuellement à l'étude.

Nous sommes préoccupés par le télémarketing frauduleux dont sont victimes les membres vulnérables de notre société, notamment les personnes âgées, et par la présence du crime organisé dans ce secteur d'activité. Nous estimons que la confiscation des produits de la criminalité constitue une mesure importante pour y faire échec.

Encore une fois, il s'agit là d'une question que connaissent tous les sénateurs parce qu'elle a grandement attiré l'attention des médias nationaux, surtout au Québec et en Colombie-Britannique. La fraude par télémarketing est un problème qui n'est plus négligeable. C'est tellement vrai que le président des États-Unis a soulevé la question auprès du premier ministre, il y a deux ans, à la rencontre du G-7 tenue à Denver. Sans dire que le Canada était un refuge pour les fraudeurs par télémarketing, le président et ma collègue Janet Reno en parlaient en pensant qu'il pourrait bien être en train de le devenir rapidement. Les victimes du télémarketing sont en grande majorité des Américains. Elles sont généralement choisies parmi les personnes âgées vulnérables vivant dans des États comme la Floride, l'Arizona et la Californie. Le premier ministre avait indiqué au Président que nous prenons la chose au sérieux et que nous prendrions des mesures pour corriger les lacunes de notre législation.

Les provinces nous ont aussi demandé de modifier les dispositions du Code criminel sur les jeux de hasard. En général, les jeux de hasard sont interdits, à moins qu'ils ne figurent sur une liste d'exceptions inscrite dans le Code criminel, notamment s'ils relèvent des provinces.

Les changements que nous proposons maintenant créeraient deux nouvelles exemptions très précises. L'une autoriserait les jeux de dés dans les établissements qui relèvent des provinces et l'autre permettrait les jeux de hasard sur les navires, lors des croisières internationales.

Ces amendements ne visent pas à faire en sorte qu'on joue davantage à des jeux de hasard, et nous ne croyons pas que ce sera l'effet obtenu. Sans ces changements, l'industrie des croisières internationales ne se développerait pas dans les ports canadiens. Nous cherchons à faire en sorte que les conditions régissant le jeu et le tourisme permettent à l'industrie d'être concurrentielle face à d'autres pays, en particulier les États-Unis.

Cette question est très importante pour l'industrie du tourisme au Québec, et surtout dans le port de Québec. Nous avons reçu de nombreuses demandes concernant notre capacité de développer cette facette de l'industrie du tourisme. Nous savons tous que l'industrie des croisières se développe à pas de géant. Notre pays a des ressources uniques au monde à exploiter s'il peut amener les étrangers à venir croiser dans nos eaux et le long de nos côtes. Par conséquent, nous voulons faire tout ce qui est en notre pouvoir pour rendre le Canada aussi attirant que possible comme destination d'une croisière internationale.

Nous espérons faire des ports canadiens une destination plus attirante pour les navires de croisière internationale et éviter que les joueurs canadiens n'aillent s'adonner à leur passion dans les casinos américains, car ceux-ci sont avantagés dans les États limitrophes puisque les casinos des gouvernements provinciaux ne peuvent pas, actuellement, avoir de jeux de dés.

Je ne veux pas mêler les deux questions. Il s'agit dans les deux cas de tourisme et du développement de l'industrie. La situation des casinos dans les environs de Detroit suscite vraiment de l'inquiétude dans les régions de Windsor et de Niagara Falls. Detroit autorisera les jeux de dés dans ses casinos. Une grande partie de la clientèle de Windsor vient de Detroit. L'ajout de jeux de dés, si une province choisit de l'autoriser, pourrait maintenir la compétitivité.

Il ne faut pas oublier que cette disposition ne vise qu'à donner une permission. Toute décision finale à savoir si les jeux de dés seront autorisés dans les casinos d'une certaine province relève uniquement de cette province. Dans les circonstances actuelles, les casinos de certaines provinces ne seront plus concurrentiels s'ils ne peuvent offrir des jeux de dés. Nous croyons que le libellé de ces dispositions s'applique de façon assez restreinte pour que la province puisse continuer à exercer un contrôle et à réglementer ces jeux.

On craint qu'il y ait plus de risques de corruption et d'illégalité avec les jeux de dés. Je n'ai jamais joué aux dés moi-même, mais je comprends qu'il y a plus de risques de tricherie que pour d'autres jeux de hasard. Nous voulons donc limiter les possibilités de jeu, et là où il y en aurait, ce serait sous la responsabilité de la province.

Pour terminer sur la question du jeu, je tiens à souligner que les deux amendements concernant le jeu ne feront pas augmenter de façon appréciable les activités relatives aux jeux de hasard au Canada. Le jeu restera sous la compétence des provinces.

En vertu de la partie VII du Code criminel, les provinces peuvent administrer elles-mêmes divers jeux de hasard. Elles peuvent autoriser un éventail plus étroit d'activités pourvu que ces activités aient lieu dans la province.

Le ministre des Transports de l'Ontario, M. Palladini, au nom du gouvernement de l'Ontario, nous a demandé quelque chose de bien précis concernant la modification que nous proposons au Code criminel. La question des jeux de dés a passablement attiré l'attention en Ontario, parce qu'il se pourrait que de gros casinos ouvrent dans la région de Detroit.

Une fois que le Code criminel autorise une activité, je souligne que chaque province peut décider des jeux qui seront permis. Ainsi, les provinces auront les mêmes pouvoirs sur les jeux de dés que sur tout autre jeu de hasard. Ces jeux ne seront pas permis sur les navires de croisière quand ils seront au port.

Il y a un autre élément du droit criminel qui préoccupe mes homologues provinciaux, c'est la question de la prostitution enfantine. On a modifié le Code criminel à cet égard en 1997, mais plusieurs provinces ont ensuite réclamé d'autres changements, pour qu'il soit plus facile de poursuivre les contrevenants. On réclame un amendement qui changerait l'idée d'obtenir les services d'une jeune personne par celle de communiquer avec une jeune personne à cette fin. Je suis heureuse de dire que la mesure dont le comité est saisi comporte un tel amendement.

Les craintes qu'il y ait violation du droit à la liberté d'expression conféré par la Charte ont déjà été dissipées par les tribunaux relativement au libellé d'autres infractions relatives à la prostitution.

Plusieurs modifications sont aussi proposées dans cette mesure en ce qui a trait aux perquisitions et saisies. Le Code criminel et la Charte exigent que la police obtienne une autorisation légale avant d'installer des dispositifs de surveillance électronique aux fins de leurs enquêtes. Si l'autorisation est donnée, la police peut alors installer subrepticement les appareils d'écoute nécessaires. Toutefois, la législation ne dit rien au sujet du retrait de ces dispositifs.

Les modifications proposées préciseraient que la permission légale d'installer et d'utiliser ces dispositifs comporte implicitement la permission de les retirer. Dans les cas où l'autorisation initiale arrive à échéance avant que la police puisse retourner sans risque sur les lieux pour récupérer les dispositifs, les modifications proposées permettraient aussi aux tribunaux d'autoriser explicitement leur retrait, sous réserve de certaines conditions.

Le libellé des dispositions régissant les mandats de perquisition serait aussi modifié à des fins d'uniformisation et pour assurer que seuls les fonctionnaires publics chargés de faire observer la loi et les agents de la paix pourront exécuter des mandats de perquisition.

Le problème de la violence familiale suscite aussi des préoccupations dans les deux ordres de gouvernement, notamment le fait que les victimes ou autres témoins sont bien souvent intimidés ou influencés par l'accusé.

En 1997, le Code criminel a été modifié pour permettre à un juge qui refuse un cautionnement à un accusé d'ordonner également que cet accusé ne puisse pas communiquer avec des témoins ou des victimes pendant sa détention. Des autorités provinciales ont ensuite signalé que ces ordonnances de non-communication ne sont pas en vigueur tant que l'accusé n'a pas été entendu par un juge dans une enquête sur son cautionnement. Il peut se passer plusieurs jours entre ce moment-là et le moment de son arrestation. Pendant ce temps, les accusés peuvent communiquer avec leurs victimes ou les témoins, et ils le font. J'ose même dire que, dans certains cas qui m'ont été signalés, ils harcèlent les victimes ou les témoins.

Pour régler ce problème, la mesure proposée étendrait le pouvoir d'imposer une ordonnance de non-communication au premier juge qui voit l'accusé après son arrestation. L'ordonnance provisoire interdirait ces communications pendant la détention de l'accusé, jusqu'à l'enquête sur son cautionnement. Le juge qui entend la demande de cautionnement pourrait remplacer cette ordonnance provisoire par une autre en vigueur jusqu'au procès.

Comme je l'ai dit au début, ces propositions ne constituent pas une réforme majeure du droit criminel du Canada, mais elles sont quand même importantes pour la protection de la société. Dans cette optique, nous devons de temps en temps faire des changements pour régler des préoccupations mineures, rajuster les délits et les peines, moderniser la loi et rectifier des omissions occasionnées par des mesures législatives récentes.

En conclusion, le comité est saisi d'une série de propositions de modification du droit criminel sans lien entre elles. Pour une bonne part, ces propositions ne viennent pas de nous. Elles ont été portées à notre attention par les responsables de l'administration du système de justice pénale de notre pays, soit les provinces, les autorités policières ou, dans certains cas, l'industrie touristique et d'autres intéressés. Je sais qu'un bon nombre d'intéressés, au Canada, et vous êtes du nombre, pourraient aider le ministère de la Justice à détecter les problèmes, les lacunes et les omissions existant dans le droit criminel et nous faire des suggestions quant aux solutions pour garantir un système judiciaire plus juste et, évidemment, qui protège le mieux possible la société sans passer outre aux exigences de base, par exemple la Charte des droits et libertés.

Comme toujours, madame la présidente, je suis heureuse d'avoir pu être ici, avec vous, aujourd'hui. Vous connaissez tous déjà M. Roy, qui représente le ministère de la Justice et qui connaît le Code criminel comme le fond de sa poche. Lui et moi nous ferons un plaisir de répondre à toute question, observation ou préoccupation de votre part, avec l'aide d'autres fonctionnaires au besoin.

Le sénateur Beaudoin: Ma première question a trait à la disposition «d'un an et un jour». Elle est en vigueur depuis longtemps, si je ne m'abuse. Je suis d'accord pour dire qu'il faudrait changer cela.

Je veux vérifier si j'ai bien compris: avez-vous dit que, dorénavant, tout sera à la discrétion du juge qui présidera le procès sur la question de la preuve, à cause du lien de cause à effet? Si c'est le cas, ce pourrait être la principale raison. Je sais bien que la médecine a fait d'immenses progrès et que cette disposition n'est donc plus justifiée. Ce qui m'inquiète, c'est que, généralement, en vertu de la Charte des droits et libertés, la Cour suprême n'apprécie pas les périodes de temps illimitées. Or, c'est exactement ce qui se produira -- le délai sera illimité. Il pourrait être de dix ans si l'on peut faire la preuve que c'est 10 ans.

Nous avons eu ce débat sur la question des crimes de guerre, par exemple. Si j'ai bien compris, en droit international, il n'y a pas de limite, actuellement, et ce sera dorénavant la même chose pour notre droit intérieur. Ça ne me dérange pas, mais c'est un fait qu'il n'y a pas de précédents. Êtes-vous tout à fait sûre que cela ne va pas à l'encontre de la Charte des droits et libertés?

Mme McLellan: À l'heure actuelle, le Code criminel ne prévoit aucune limite pour les meurtres, par exemple. C'est le cas pour presque toutes les infractions en vertu de notre droit criminel.

En règle générale, notre droit criminel ne prévoit pas de délai pour un crime comme le meurtre. Beaucoup de Canadiens trouvent choquant ce délai d'un an et un jour, dans le contexte de la science et de la médecine modernes. En fait, de nos jours, il arrive souvent qu'une personne reste dans un état comateux durant des années après une agression brutale et odieuse, avant de finir par en mourir. C'est honteux, dans notre société, qu'on ne puisse rien contre la ou les personnes qui ont commis ce crime.

Le sénateur Beaudoin: Je comprends que c'est une question de preuves. Il faut établir le lien de cause à effet.

Mme McLellan: C'est la règle du fardeau de la preuve qui s'applique.

Le sénateur Beaudoin: C'est vrai. Après 20 ou 30 ans, ce serait impossible.

Mme McLellan: Effectivement, ça pourrait bien être impossible.

Le sénateur Beaudoin: En pratique, ce n'est jamais illimité, parce que les règles de la preuve s'appliquent.

Mme McLellan: Il y aura des considérations pratiques fondées sur les preuves. Encore une fois, il en est ainsi pour n'importe quelle poursuite au criminel, quand beaucoup de temps a passé. Évidemment, les procureurs devraient en tenir compte au moment de déterminer si c'est une affaire à laquelle il vaut la peine de donner suite.

Le sénateur Nolin: Je veux revenir sur l'article 50 du projet de loi. Ma question est surtout d'ordre administratif. Elle a trait à la règle concernant la rétroactivité dans le cas d'une telle modification, quant aux droits d'une personne ayant été reconnue coupable ou au moment où elle a purgé le sixième de sa peine.

Si, aujourd'hui, une personne est accusée d'une des infractions mentionnées aux deux alinéas, ou condamnée pour l'une de ces infractions, cet article s'appliquera-t-il, même si la personne en question a été condamnée avant l'entrée en vigueur de la loi? Autrement dit, cet amendement est-il rétroactif et à partir de quelle date?

M. Yvan Roy, avocat général principal, Section de la politique en matière de droit pénal, ministère de la Justice: C'est une bonne question. La réponse est probablement plus simple qu'on ne le croit. Vous aurez sans doute remarqué que cette disposition est formulée de façon à ce que, pour être visée, la personne doit avoir été reconnue coupable d'un acte de gangstérisme. Cette infraction a été créée en 1995 par l'ancien ministre de la Justice, M. Rock, dans le projet de loi C-95. Depuis, il y a seulement eu une poignée de poursuites. Que je sache, personne n'a été jusqu'ici reconnu coupable d'une infraction en vertu de ces dispositions.

Une fois que cette mesure législative deviendra loi, cette question ne posera pas de problème, étant donné que ces personnes auront déjà été reconnues coupables à l'époque de son entrée en vigueur.

Le sénateur Nolin: Le blanchiment d'argent entre-t-il dans la définition d'un «acte de gangstérisme»?

M. Roy: Oui.

Le sénateur Nolin: Nous avons un cas célèbre au Québec.

M. Roy: Nous avons plusieurs cas célèbres.

Le sénateur Nolin: J'aimerais savoir si ce projet de loi s'appliquera ou non à cette personne qui a été condamnée?

M. Roy: Pour répondre à cette question, il faudrait revenir à la définition d'un «acte de gangstérisme» qui figure dans le Code criminel.

Pour que cette disposition s'applique, le juge doit avoir conclu que l'infraction en question -- quelle qu'elle soit, par exemple le blanchiment d'argent -- a été commise dans le but d'aider une organisation telle que définie dans ce projet de loi.

Par exemple, dans le cas qui vous préoccupe, le juge n'a pas à rendre une telle conclusion.

Le sénateur Nolin: Non, parce qu'il n'a pas été accusé de cela.

M. Roy: C'est exact. Il n'a pas été accusé de cela.

Le sénateur Nolin: Mais supposons qu'il ait été accusé de cela.

M. Roy: Dans ce cas, il aurait été inculpé en vertu de cette disposition.

Le sénateur Nolin: Prenons un cas hypothétique. Disons qu'une personne est reconnue coupable d'une telle infraction ce matin et que le projet de loi C-51 n'entre pas en vigueur avant trois semaines. L'article 50 s'appliquerait-il?

M. Roy: Dans le cas hypothétique où une personne aurait été inculpée de cet acte de gangstérisme particulier et que le juge aurait conclu qu'elle est coupable, hors de tout doute raisonnable, au moment de la condamnation ou au moment de la détermination de la peine -- car on peut le faire aussi à ce stade -- cet article s'applique sans aucun doute.

Le sénateur Nolin: Cela peut faire partie des preuves accablantes.

M. Roy: Votre question plus subtile -- et je n'essaie pas de l'éviter -- consiste à savoir si cette disposition qui n'est pas encore en vigueur s'appliquera à une personne reconnue coupable et condamnée aujourd'hui? Il s'agit là d'un cas hypothétique qui pourrait bien devenir réel et nous devons faire très attention à la Charte des droits et libertés.

Le sénateur Nolin: Au moment de la condamnation ou après un certain temps?

M. Roy: Oui. Toutefois, la réponse n'est pas aussi claire. Ce comité a déjà examiné des projets de loi se rapportant à des questions très épineuses. Prenez par exemple le projet de loi C-45 concernant la disposition du Code criminel qui donne une faible lueur d'espoir aux meurtriers. Certaines dispositions prévues dans cette mesure législative étaient rétroactives, d'autres non.

Certains substituts du procureur général et certains fonctionnaires auront l'impression que l'article 50 est une mesure rétroactive. Certains diront cela. Je ne connais pas la réponse. Il ne serait pas sage de la part de la ministre ou de la mienne d'empêcher ce type d'interprétation. Toutefois, il y a une question relative à la Charte que nous pouvons examiner.

Le sénateur Moore: Madame la ministre, ou monsieur Roy, j'aimerais vous poser une question au sujet de l'article 7, qui modifie l'article 207. D'après ce que je comprends, les navires de croisière doivent être conçus pour le transport de passagers et le voyage doit durer au moins quarante-huit heures et se faire en partie dans les eaux internationales. Ces navires ne peuvent exploiter un casino dans un port ou à moins de cinq mille marins d'un port. Les jeux à bord sont interdits sur tout navire de croisière qui transporte des passagers d'un port canadien à un autre sans faire escale dans un port étranger. Chaque voyage doit s'effectuer dans les eaux internationales, non pas dans les eaux territoriales étrangères, ce qui veut dire que les navires de croisière qui naviguent au large de la côte Est ou de la côte Ouest doivent se trouver au moins à 12 milles marins de la côte à un moment donné du voyage et que cela exclut totalement les Grands Lacs.

Existe-t-il une définition de ce qu'on entend par «eaux internationales» et par «eaux territoriales étrangères»? Nous avons exclu les Grands Lacs. Toutefois, il reste la voie maritime du Saint-Laurent, que l'on pénètre ou non dans les eaux américaines quand on remonte le fleuve dans la direction des Mille-Îles. Je pense aussi au cas de la Colombie-Britannique et de l'Alaska. Pourriez-vous nous donner quelques éclaircissements à ce sujet?

Mme McLellan: Je laisse à M. Roy le soin de vous donner des éclaircissements à ce sujet. Nous n'avons pas de définition de ce que l'on entend par «eaux internationales». M. Roy vous expliquera pourquoi et vous dira les définitions qui existent.

M. Roy: Comme l'a expliqué la ministre dans ses remarques d'ouverture, cet amendement été censé avoir une portée extrêmement étroite. Le but de cette disposition est d'encourager l'industrie du tourisme et non pas l'exploitation par des entreprises privées de jeux de hasard sur des navires fluviaux.

La ministre nous a clairement donné instruction de ne pas essayer de nous attaquer à la question des traversiers interprovinciaux et aux autres questions qui pourraient être soulevées en ce que concerne cette forme ou d'autres formes de croisières qui ne sont pas des croisières internationales. Le but de cette disposition qui s'applique aux «navires de croisière internationale» est d'attirer des visiteurs étrangers au Canada afin d'encourager le tourisme. Les exploitants de navires de croisière internationale ont dit aux fonctionnaires et à la ministre que le fait de ne pas pouvoir exploiter un casino dans les eaux canadiennes est un motif suffisant pour les dissuader de venir au Canada. Ils ont dit la même chose aux autorités provinciales, en particulier à celles de la province du Québec. Étant donné la géographie du Québec, ils doivent en effet cesser les activités de jeux dès qu'ils pénètrent dans les eaux canadiennes.

Vous me demandez comment on définit les «eaux canadiennes». Nous devons pour cela revenir à la Loi sur les océans de 1996.

Le sénateur Moore: C'est aussi le cas en Nouvelle-Écosse. De plus en plus de navires de croisière viennent dans les provinces de la côte Est.

M. Roy: C'est vrai. Vous devez alors vous reporter à la définition de ce que nous voulons dire quand nous parlons des «eaux canadiennes». En vertu de la mesure législative adoptée en 1996, nous entendons par là la zone maritime comprise entre la ligne de base qui correspond à la laisse de basse mer et la ligne dont chaque point est à une distance de 12 milles marins du point de plus proche de la ligne de base. C'est ainsi que sont définies les «eaux canadiennes». Toutefois, ce n'est pas là que commencent la province de Terre-Neuve, la province de Nouvelle-Écosse ou la province du Québec. Cette partie des eaux fait bien partie des eaux canadiennes mais non pas des eaux d'une province.

Pour que le système fonctionne, il faut que les navires soient des navires de croisière conçus pour naviguer en haute mer. Il ne serait pas dans l'intérêt des provinces de permettre à ces navires de demeurer dans les parages, de remonter et de redescendre indéfiniment le Saint-Laurent, de prendre des passagers à Rimouski, à Halifax, à Dartmouth ou à St. John's. Ce serait intolérable pour les provinces qui ont des intérêts dans des activités de jeu.

Nous nous sommes rendus compte en essayant de rédiger cet amendement de portée étroite qu'il était impératif que les navires de croisière sortent des eaux canadiennes telles que ces eaux sont définies dans la Loi sur les océans. Les navires de croisière doivent donc sortir de la mer territoriale du Canada. Encore une fois, celle-ci est définie dans la Loi sur les océans. Nous avons décidé d'employer une expression bien comprise de la plupart des Canadiens et, je dirai, de la plupart des gens qui seront confrontés à l'obligation d'aller dans les «eaux internationales». Cette expression n'est définie ni dans cette mesure législative, ni dans la Loi sur les océans.

Sénateur Moore, vous aviez raison de faire remarquer que cette définition n'inclut pas les Grands Lacs. En fonction de la définition, un navire de croisière ne serait pas autorisé à aller de Toronto à Buffalo et à revenir de Buffalo à Toronto. Les eaux des Grands Lacs ne sont pas des eaux internationales.

Le sénateur Moore: Cette définition inclurait les eaux de la Voie maritime du Saint-Laurent. Ces eaux ne font-elles pas partie des eaux internationales?

M. Roy: La voie maritime est également exclue de la définition en ce sens que ses eaux sont considérées comme des eaux intérieures. Pour vous donner un exemple, un navire qui est ancré au Canada et qui assure le transport de passagers de Niagara Falls à Montréal et de Montréal à Niagara Falls sans pénétrer dans les eaux internationales n'est pas protégé par l'exemption prévue au paragraphe 207.1 du projet de loi.

J'espère que c'est clair. C'est un point difficile. Nous avons reçu instruction de limiter la portée de cette disposition de façon à protéger l'industrie des jeux dans les provinces qui en ont une.

Il y a d'autres intérêts comme les traversiers où d'autres considérations entrent en jeu. Nous pouvons aussi discuter de ces questions.

La présidente: Donc, les eaux des Grands Lacs ne sont pas considérées comme des eaux internationales. Toutes les zones des Grands Lacs sont considérées comme faisant partie ou bien des eaux canadiennes ou bien des eaux américaines. Je vois les navires zigzaguer en remontant le Saint-Laurent.

Mme McLellan: À voir les questions que le sénateur Moore et vous-même avez posées, madame la présidente, les problèmes sont nombreux. Si les provinces, l'industrie du tourisme ou d'autres personnes concernées veulent que nous nous penchions sur ces problèmes, nous pouvons le faire. Toutefois, nous ne nous attaquons pas à ces problèmes dans cette mesure législative. Aucune province ne nous a demandé de nous y attaquer, et cela inclut en particulier le Québec et la Colombie-Britannique.

Nous avons créé une exemption de portée très limitée pour régler un problème très précis qui consiste à mettre sur un même pied certains aspects de l'industrie du tourisme faisant appel aux navires de croisière internationale. C'est tout ce que nous voulons faire ici.

D'aucuns diront que nous pourrions faire plus. Peut-être le ferons-nous à un moment donné, mais pas dans cette mesure législative. Aller plus loin serait mettre en jeu toute une série d'intérêts et exigerait des négociations fédérales-provinciales approfondies afin de déterminer les intérêts des provinces. Selon qu'on étend plus ou moins la notion de navires de croisière et d'activités de jeux, on se rend vite compte qu'il y a toute une série d'intérêts provinciaux concurrents en jeu, et le gouvernement fédéral doit être prudent.

Le sénateur Joyal: Je bloque sur la même question que le sénateur Moore, non pas parce que j'aime jouer, mais parce que c'est un problème que nous devons examiner. Qui va délivrer aux navires de croisière des permis les autorisant à avoir des activités de jeu? Comme vous le savez, pour exploiter un casino, il faut un permis de la province. Avez-vous pensé à cette question?

M. Roy: Nous avons examiné cette question et nous en avons discuté avec les provinces. Il a été décidé à l'unanimité qu'il n'était pas nécessaire de réglementer ce type d'activités car il s'agit d'activités limitées qui se tiennent dans des espaces clos. C'est tout le but de cette disposition. Les Canadiens ne montent pas à bord de ces navires lorsque ceux-ci se trouvent au Canada. Si vous vous voulez remonter le Saint-Laurent à bord d'un de ces navires, vous devez aller à Boston ou à New York, et vous remarquerez que tandis que ces navires sont au port, ces activités de jeux sont interdites.

Le but de cette disposition est de veiller à ce qu'un passager sur ce navire ne soit pas dans une situation différente selon que le navire se trouve dans les eaux internationales ou dans les eaux canadiennes. Si vous n'êtes pas content d'un exploitant en particulier, plaignez-vous à lui, non pas aux autorités canadiennes. C'est à l'exploitant de prendre garde.

Le sénateur Joyal: En d'autres termes, lorsque le navire emprunte le Saint-Laurent pour se rendre à New York, les activités de jeux peuvent se poursuivre.

M. Roy: Quand le navire pénètre la zone située à l'intérieur de cinq mille marins, autrement dit, une demi-heure environ avant son arrivée à quai, toutes les activités de jeux doivent cesser.

Le sénateur Joyal: Il n'y aura donc pas de permis. Est-ce la raison pour laquelle vous avez exclu les jeux de dés du Code criminel? Est-ce parce que vous les avez autorisés sur les navires de croisière et non dans les casinos exploités par des provinces?

Mme McLellan: Non.

Le sénateur Joyal: Pourquoi avez-vous choisi ce moment pour exclure les jeux de dés?

Le sénateur Bryden: Est-ce parce que la circonscription du vice-premier ministre va faire concurrence à Détroit?

Mme McLellan: Je n'ai pas dit cela. Que ça nous plaise ou que ça nous déplaise, en tant qu'individus ou que législateurs, le jeu et le casino sont devenus une entreprise lucrative manifestement source de recettes pour les provinces et source d'emplois dans un nombre croissant de municipalités au Canada. La ville de Windsor et la région de Niagara Falls possèdent des casinos qui attirent d'importants nombres de visiteurs américains.

Quand nous avons les avons consultées, les provinces comme le Québec n'ont demandé aucun changement mais ont vu au contraire les avantages qu'elles pourraient tirer de l'exploitation, par exemple à Montréal, de casinos qui attirent un certain nombre de visiteurs américains. Elles ne sont aucunement opposées à cette mesure et chacune province décidera d'autoriser ou non les jeux de dés dans un casino ou dans tous les casinos.

On construit actuellement cinq nouveaux casinos dans la ville de Détroit et dans les environs. Tous proposeront des jeux de dés. Selon les prévisions, ils devraient s'emparer d'une grande partie de la clientèle des casinos de Windsor et de Niagara Falls. C'est un problème extrêmement préoccupant pour les personnes concernées par l'économie locale, pour le gouvernement provincial et pour le Parlement.

Nous avons longuement réfléchi à la question et avons décidé, lorsque nous avons reçu une demande officielle du ministre responsable au sein du gouvernement de l'Ontario, de modifier le Code criminel de façon à permettre aux provinces qui le voulaient d'autoriser les jeux de dés. Ce n'est pas nous qui déciderons. Ce sera à chaque province de décider d'autoriser ou non les jeux de dés dans les casinos.

Comme je l'ai dit, étant donné les préoccupations entourant les jeux de dés, nous avons imposé certaines conditions afin de limiter ces jeux. Il est clair que la responsabilité des jeux de dés incombe aux provinces qui devront exploiter les casinos où ces jeux seront autorisés.

Le sénateur Buchanan: Quelle différence y a-t-il dans cette disposition entre les navires qui relient Yarmouth et Bar Harbour, Yarmouth et Portland, et Digby et Saint John? Il existe des casinos à bord de tous ces navires, dont deux sont immatriculés au Canada.

Mme McLellan: Cette disposition n'a pas trait aux jeux de dés. Nous revenons à la question des navires de croisière internationale.

Le sénateur Buchanan: C'est exact.

Mme McLellan: S'agit-il de traversiers interprovinciaux?

Le sénateur Buchanan: Non. Il s'agit de navires reliant Yarmouth et Portland et Yarmouth et Bar Harbour. On y pratique toutes sortes de jeux. Celui qui relie Yarmouth et Bar Harbour est canadien.

M. Roy: Sénateur Buchanan, vous devez vous rendre compte que, dans certaines régions du pays, certaines activités sont mieux tolérées que dans d'autres. Il y a dans cette affaire des questions de compétence extrêmement compliquées qui mériteraient probablement qu'on les examine en détail dans le futur.

Mme McLellan: M. Roy a mis dans ses propos beaucoup de délicatesse. Je vous dis moi, qui viens de la Nouvelle-Écosse et qui vis maintenant en Alberta, que vous ne voudriez probablement pas qu'on le fasse.

Le sénateur Buchanan: Je regrette d'avoir soulevé la question car j'aime bien prendre ces bateaux.

Le sénateur Joyal: Ma question se rapporte aux conditions de la détermination de la peine, qui me semble être un sujet mûr pour discussion. Pourquoi avez-vous décidé de limiter essentiellement vos amendements aux actes de gangstérisme, alors qu'il existe dans le Code criminel d'autres éléments très importants comme toutes les infractions liées entre autres aux agressions sexuelles, aux mauvais traitements infligés aux enfants? Quand ce comité a examiné le projet de loi relatif à l'ADN, nous avons prévu des dispositions spéciales pour certaines catégories d'infraction qui nous ont semblé plus importantes que d'autres. Pourquoi avez-vous décidé de ne pas inclure dans ces dispositions les infractions qui ne pourraient pas faire l'objet de condamnations avec sursis?

Mme McLellan: Nos discussions concernant le crime organisé portaient sur la mise en liberté sous condition et non sur l'emprisonnement avec sursis. Dois-je comprendre que votre question porte sur l'emprisonnement avec sursis et non sur la mise en liberté sous condition?

Le sénateur Joyal: Je suis désolé, je voulais dire la mise en liberté sous condition.

M. Roy: Sénateur Joyal, la modification proposée par le gouvernement à l'article 50 consiste à allonger la liste d'infractions qui sont déjà exclues de la procédure d'examen expéditif. Cette liste est contenue dans la loi. Les infractions que vous avez mentionnées figurent déjà sur cette liste et sont donc exclues de la procédure d'examen expéditif. Les infractions liées au crime organisé sont ajoutées à la liste qui existe déjà.

Mme McLellan: Nous les ajoutons en partie parce que nous savons tous que le crime organisé devient une forme de criminalité plus grave, plus mortelle et plus destructive dans bon nombre de nos collectivités. Sincèrement, je crois que c'était un oubli que de ne pas avoir inclus ces infractions dans la liste au départ. Ce que nous tentons de faire, c'est de corriger cet oubli en ajoutant ces infractions à la liste des infractions exclues de la procédure d'examen expéditif.

Le sénateur Pearson: Ma question porte sur les articles 4 et 8 du projet de loi, qui faciliteront les poursuites judiciaires contre les personnes impliquées dans la prostitution enfantine.

Si je comprends bien l'article 8, la communication avec une personne âgée de moins de 18 ans en vue d'obtenir des services sexuels moyennant rétribution sera désormais une infraction punissable. Dans la loi actuelle, une personne peut faire l'objet de poursuites seulement après avoir obtenu de tels services sexuels moyennant rétribution, n'est-ce pas?

Mme McLellan: C'est exact.

Le sénateur Pearson: À un certain moment, nous discutions de la question d'une personne âgée de moins de 18 ans ou qui paraît âgée de moins de 18 ans. Cette question fait-elle encore l'objet de discussions?

M. Roy: Premièrement, en ce qui concerne l'article 4, si ce projet de loi était adopté, il serait désormais possible de recourir à l'écoute électronique pour les infractions liées à la prostitution. On ajoute ces infractions à l'article 183 du Code criminel afin de permettre le recours à l'écoute électronique dans ces cas.

L'article 8 a été inclus dans le projet de loi parce que la Colombie-Britannique et l'Alberta, en particulier, ont dit que la modification apportée en 1997 n'était pas aussi utile qu'elles l'auraient souhaité. Cette modification visait -- vous étiez peut-être membre du comité lorsqu'elle a été apportée -- à permettre aux policiers de faire appel à des agents banalisés. La façon dont la disposition était rédigée, il fallait prouver que la personne avait communiqué avec une jeune personne. Il est impossible de détecter ce genre d'infraction.

Nous avons donc décidé qu'il serait possible de faire appel à des agents banalisés et que, pour prouver l'infraction, il faudrait démontrer que l'accusé croyait qu'il avait affaire à une personne âgée de moins de 18 ans. Par conséquent, la personne doit paraître âgée de moins de 18 ans pour qu'il soit possible de prouver la culpabilité de l'accusé hors de tout doute raisonnable.

Les deux provinces que j'ai mentionnées ont dit qu'il serait plus facile pour elles de prouver la culpabilité de l'accusé devant les tribunaux s'il suffisait de communiquer avec quelqu'un en vue d'obtenir, moyennant rétribution, des services sexuels d'une personne âgée de moins de 18 ans. L'article 8 dit ceci:

Est coupable d'un acte criminel et passible d'un emprisonnement maximal de cinq ans quiconque, en quelque endroit que ce soit, obtient, moyennant rétribution, les services sexuels d'une personne âgée de moins de dix-huit ans ou communique avec quiconque en vue d'obtenir, moyennant rétribution, de tels services.

Cela suffit pour prouver l'infraction. Il n'est donc plus nécessaire que la personne paraisse âgée de moins de 18 ans parce qu'il suffit qu'il y ait eu communication à cette fin.

Il était nécessaire de parler de l'apparence dans l'ancienne disposition parce qu'il fallait prouver hors de tout doute raisonnable que l'accusé croyait que la personne de qui il tentait d'obtenir des services sexuels moyennant rétribution était âgée de moins de 18 ans. C'était là la raison. Nous avons changé cette disposition pour faciliter les choses.

Le sénateur Pearson: Peut-on maintenant faire appel à un agent banalisé?

M. Roy: Oui, on peut le faire très facilement.

Mme McLellan: C'est plus facile qu'auparavant.

Le sénateur Pearson: L'agent banalisé ne serait cependant pas âgé de moins de 18 ans.

M. Roy: On peut communiquer à cette fin avec une personne âgée de moins de 18 ans, mais on peut aussi communiquer à cette fin avec une personne âgée de plus de 18 ans. Le fondement de l'infraction est la communication.

Le sénateur Pearson: La communication avec une personne âgée de plus de 18 ans existe déjà dans la loi.

M. Roy: Exactement. Supposons que je suis l'intermédiaire et que quelqu'un veut obtenir des services sexuels d'une personne âgée de moins de 18 ans. L'intermédiaire est coupable aux termes de l'article 8, tel qu'il est rédigé. La disposition est plus large, et l'infraction est plus facile à prouver.

[Français]

Le sénateur Pépin: Il est vrai que je vous ai souligné très tôt dans votre mandat l'importance d'amender cette loi au sujet des contrevenants, des criminels de drogue. La loi est faite de façon telle que les contrevenants qui ont commis des crimes violents ne peuvent pas avoir accès à une revue accélérée. Par contre, plusieurs grands contrebandiers de drogue, qui nous passaient cela par millions, y avaient accès et plusieurs d'entre eux sont sortis par la porte d'en avant pour retourner dans leur pays.

Pourquoi apportée cette modification au projet de loi omnibus plutôt que d'être présenter dans le cadre de l'examen parlementaire en cours sur la loi du service correctionnel de la mise en liberté? Est-ce qu'il y a une différence? On étudie actuellement un projet de loi touchant le service correctionnel. Est-ce que ce sera plus efficace?

[Traduction]

Mme McLellan: La modification proposée relève du solliciteur général et non du ministre de la Justice. M. Andy Scott, qui était solliciteur général à ce moment-là, a reconnu que la modification était assez importante et assez discrète pour être incluse dans le projet de loi omnibus, au lieu qu'on remette cette question à plus tard, soit jusqu'à ce que le comité fasse un examen global de la loi.

Le sénateur Pépin: Cela fait déjà deux ans.

Mme McLellan: C'est exact. Cela fera deux ans cet été que le problème a été décelé. Le ministre MacAulay approuve cette décision. Il ne voit aucun inconvénient à ce que nous allions de l'avant avec cette modification à la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition.

La présidente: Madame la ministre McLellan, merci d'avoir témoigné devant nous aujourd'hui.

Mme McLellan: Merci. C'est toujours un plaisir pour moi.

La présidente: Honorables sénateurs, nous allons maintenant passer au projet de loi C-57. À cet égard, M. Howard Bebbington sera notre prochain témoin.

M. Bebbington, la parole est à vous.

M. Howard Bebbington, conseiller juridique, Section de la politique en matière de droit pénal, ministère de la Justice: Madame la présidente, nous sommes ici pour répondre à toute question que vous puissiez avoir. Si cela vous intéresse, je peux faire un bref exposé sur la structure du projet de loi, mais vous préférerez peut-être remettre cela à demain, au moment de l'étude article par article.

Le sénateur Beaudoin: L'autre jour, nous avons entendu des témoins dont les droits collectifs ne sont, à mon avis, aucunement compromis par ce projet de loi. Ce territoire relève entièrement du Parlement du Canada. L'article 96 ne s'applique pas. Ils peuvent établir le système judiciaire qu'ils veulent. Je comprends qu'ils peuvent s'entendre ou ne pas s'entendre entre eux au sujet de leurs droits et de la façon dont ces questions seront réglées, mais ce n'est rien d'autre que de la politique.

Si on reste dans son champ de compétence et qu'on respecte la Charte des droits et la répartition des compétences, on peut faire ce qu'on veut d'une certaine façon.

Comment pourrions-nous régler les problèmes qu'ils ont soulevés?

Je suis prêt à voter en faveur de ce projet de loi demain. Je n'y vois aucun problème. Si, plus tard, certains droits issus des traités deviennent une source de préoccupation, ces gens n'ont qu'à aller devant le tribunal.

Ils ont dit que la question devait d'abord être plaidée devant le tribunal du Nunavut. C'est vrai, mais on peut aussi aller en appel devant la Cour d'appel et la Cour suprême du Canada. J'avais l'impression qu'ils voulaient échapper au tribunal de première instance. Comment pouvons-nous faire cela? Je ne crois pas que nous puissions le faire.

M. Bebbington: Je vous remercie de votre question. Vous avez dit plusieurs choses que j'aurais dites moi-même. Il est important que tout le monde comprenne que ce projet de loi porte uniquement sur la structure judiciaire. La revendication, dans la mesure où elle existe dans le cas des Dénés, relève du droit substantiel. Notre projet de loi ne change rien au droit substantiel.

Sénateur Beaudoin, comme vous l'avez signalé vous-même, la Charte continue de s'appliquer à tous les égards. Common law ou droit législatif, nous ne faisons aucun changement. Notre projet de loi ne porte que sur la structure des tribunaux. Il traite de diverses questions de droit de procédure liées à cela, mais n'a aucune incidence sur le droit substantiel.

Comme nous l'avons dit, leur revendication fait l'objet d'un différend avec le gouvernement fédéral, représenté par la ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien. La question est devant la Cour fédérale dans l'affaire Samuel, qui suivra la procédure normale.

En ce qui concerne la Cour de justice du Nunavut, ils ont proposé une motion visant à modifier le projet de loi C-57 pour prévoir la suspension de toute affaire dont la Cour de justice de Nunavut sera saisie qui touche leur revendication. On laisse entendre dans cela que la Cour de justice du Nunavut ne sera pas impartiale.

Je vais être clair à ce sujet. La Cour de justice du Nunavut sera une cour supérieure comme toute autre cour supérieure au Canada. Les juges qui y siégeront seront entièrement indépendants et impartiaux dans l'examen des affaires dont ils seront saisis.

Sénateur, vous connaissez certainement ce domaine mieux que moi. Il y a divers éléments de la structure qui visent à assurer la responsabilité. Toute décision d'un juge de paix peut être portée en appel. Toute décision de la Cour de justice peut être portée en appel devant la Cour d'appel du Nunavut et, au besoin, devant la Cour suprême du Canada.

Il ne faut surtout pas oublier que nous établissons une structure judiciaire. Nous n'apportons aucun changement au droit substantiel. Notre projet de loi n'aura aucune incidence sur leurs droits. Ces droits font l'objet d'une contestation dans la mesure où on se demande s'ils existent ou non. Cette question sera réglée par les tribunaux. Notre projet de loi n'a aucune incidence sur les droits fondamentaux.

Certains s'inquiètent parce qu'ils croient que la Cour de justice du Nunavut est en quelque sorte un tribunal spécialisé, pour les Inuits seulement ou pour le Nunavut seulement. Encore une fois, c'est tout à fait faux. C'est une cour supérieure de compétence générale qui sera aussi indépendante que n'importe quel autre tribunal. Je crois donc que toute affaire dont la Cour de justice du Nunavut sera saisie sera examinée de façon impartiale. Si les parties ne sont pas satisfaites de la décision rendue par cette cour, elles pourront en appeler de cette décision en suivant la procédure normale.

Le sénateur Beaudoin: Je suis heureux que vous ayez tiré toutes ces choses au clair.

Le sénateur Bryden: Je n'ai pas eu l'occasion l'autre jour de poser des questions aux Dénés. Toutefois, j'ai eu l'impression que le nouveau gouvernement, à compter du 1er avril, serait plus actif sur le plan de l'application des lois dans le nouveau territoire du Nunavut relativement au piégeage et à la pêche, comparativement aux niveaux d'application lorsque le Nunavut faisait partie des Territoires du Nord-Ouest.

Il semble que l'existence des droits issus des traités relativement au piégeage ou à la pêche n'était pas mise en doute. On ne portait pas d'accusations ou, si on en portait, on n'intentait pas de poursuites. Il y a peut-être une affaire qui a été portée devant les tribunaux.

J'ai eu l'impression que les Dénés essaieraient d'exercer ce qu'ils considèrent comme étant leurs droits issus des traités sous le nouveau gouvernement. Le Nunavut aura des intérêts différents en ce qui concerne la conservation de la faune et ainsi de suite. Le système de justice prévoit l'application des dispositions législatives concernant ce qui pourrait être perçu comme une violation des mesures de conservation, et cela pourrait se faire d'une manière qui ressemble, faute d'un meilleur terme, à du harcèlement.

Durant le temps qu'il faudrait pour que l'affaire fasse son chemin du tribunal de première instance à la Cour suprême du Canada, de nombreuses accusations pourraient être portées relativement à diverses infractions. Y a-t-il un danger que cela se produise?

M. Andy Watt, coordonnateur, Service de coordination des questions du Nord, ministère de la Justice: Madame la présidente, il y aura peut-être un peu d'hésitation de notre part parce que c'est une question à laquelle il est très difficile de répondre. Je ne sais pas ce qui pourrait se passer dans une telle situation. La gestion de la faune sera une grande priorité pour le gouvernement du Nunavut, tout comme c'est le cas pour la Nunavut Tunngavik, l'organisation fiduciaire du Nunavut.

Du même coup, je suppose qu'on pourrait croire que, comme une majorité autochtone forme le nouveau gouvernement territorial, ce gouvernement sera peut-être plus respectueux des revendications des autres groupes autochtones en ce qui concerne les droits de chasse dans ce territoire. En bout de ligne, nous ne sommes tout simplement pas en mesure de répondre à cette question.

M. Bebbington: Mon domaine d'expertise est la structure des tribunaux en droit pénal et non les revendications territoriales. C'est un fait que je reconnaîtrai dès le départ. Toutefois, il ne faut surtout pas oublier qu'il y a une distinction à faire entre le gouvernement du Nunavut, qui est un gouvernement public, et un gouvernement comme celui créé en vertu de l'accord conclu avec les Nishga, qui est en quelque sorte un troisième niveau de gouvernement.

Le gouvernement du Nunavut est un gouvernement public et doit donc représenter les intérêts de tous les habitants du territoire. Si on a l'impression que des mesures arbitraires sont prises par des fonctionnaires du gouvernement, des recours sont possibles devant les tribunaux, grâce aux brefs de prérogative qui continueront de s'appliquer au Nunavut. Des mécanismes sont prévus à cet égard dans le système judiciaire.

J'ai entendu dire que, actuellement, dans les Territoires du Nord-Ouest, la loi n'est pas appliquée de façon sévère parce que les gens sont conscients des divergences d'opinion qui existent relativement à ces droits. Personnellement, j'espère que le même genre d'amnistie existera au Nunavut. Toutefois, je ne peux rien dire de plus à ce sujet. Cela va bien au-delà de la portée de notre projet de loi et de notre capacité d'exercer une certaine influence.

Le Nunavut est un nouveau territoire. Il y a bien des nouvelles questions à régler. Parce que la population est inuit à 85 p. 100, le gouvernement du Nunavut sera très conscient de cette identité, ce qui l'amènera peut-être à respecter davantage les droits et les intérêts des autres. Il faudra du temps, sénateur, pour régler ces questions. Peut-être que la première affaire de ce genre devra se rendre devant la Cour suprême du Canada. Peut-être l'affaire Samuel, qui est déjà en cours, aidera à régler ces questions, si le processus se déroule assez rapidement. Les plaignants ont autant leur mot à dire quant à la rapidité du processus que le gouvernement. Il faudra peut-être attendre assez longtemps avant d'avoir des réponses claires à toutes ces questions. C'est ce qui arrive lorsqu'on fait quoi que ce soit pour la première fois.

Je comprends la question, mais cela déborde la portée de notre projet de loi.

Le sénateur Bryden: Je comprends et je suis prêt à appuyer ce projet de loi. Toutefois, j'essayais aussi de comprendre pourquoi ces trois groupes ont profité de l'occasion pour exprimer leurs préoccupations. Ils auraient probablement dû le faire lors de l'étude de la Loi sur le Nunavut. Il est peut-être un peu tard pour intervenir à cet égard.

J'ai remarqué un autre point qui causait de la confusion.

On nous a dit que les droits que les Dénés avaient avant que le Nunavut ne devienne une entité seront maintenus par la suite, quels que soient ces droits, et qu'il incombera aux tribunaux de prendre une décision à cet égard.

Peut-être que personne ne comprend, mais, dans l'affaire qui est actuellement devant les tribunaux, la question est la suivante: le gouvernement du Canada adopte la position selon laquelle, dans la mesure où les Dénés utilisent et occupent les terres situées au nord du 60e parallèle pour la chasse, le piégeage et la pêche, ces derniers ne le font pas en vertu d'un droit, mais bien avec l'autorisation expresse ou implicite de la Couronne, en partant du principe que ces prétendus droits de chasse, de piégeage et de pêche existent par tolérance de la Couronne.

Par conséquent, ils soutiennent en fait que ces privilèges ne sont pas protégés par l'article 35 de la Constitution, qu'il ne s'agit pas de droits ancestraux. La Couronne affirme que ces droits n'existent qu'à son gré, qu'ils sont plus ou moins accordés par permis.

Le sénateur Beaudoin: Sauf qu'ils prétendent que, au-delà du 60e parallèle, l'article 35 ne s'applique pas. C'est la première fois de ma que j'entends une chose pareille.

Que pensez-vous de cet argument?

M. Bebbington: Je suis tout à fait d'accord avec vous. Évidemment qu'il s'applique. Il est précisé dans la lettre que, puisque le gouvernement fédéral affirme que ces droits ne sont pas protégés, ils ne jouissent d'aucun droit aux termes de l'article 35. Toutefois, c'est exactement ce que le tribunal doit déterminer et le litige qui occupe les groupes qui ont comparu devant vous la semaine dernière et le gouvernement.

Ayant parcouru rapidement la lettre expédiée par le grand chef Flett, je dois dire que cela me rappelle à quel point il est dangereux de demander à des hauts fonctionnaires du ministère de la Justice d'aborder ce genre de questions devant les tribunaux dans ce contexte, car nos propos peuvent être repris hors contexte.

On risque de trop en dire au sujet de ces revendications. Le message que je tiens à vous transmettre aujourd'hui est que notre projet de loi traite du système judiciaire. Il ne porte pas sur les droits. Je comprends que des gens peuvent vouloir profiter de cette tribune pour continuer de faire valoir leurs revendications, qui, honnêtement, leur paraissent solidement fondées. Cependant, j'estime quant à moi que l'étude de ce projet de loi ne devrait pas être considérée comme une occasion ou une tribune appropriée. Malheureusement, cette question fait l'objet d'un litige et ce litige réglera cette question, à savoir si ces droits sont issus de traités ou s'ils n'ont été accordés que par permis ou par tolérance.

À la lettre du grand chef Flett est annexée une lettre datée du 7 janvier 1998 et signée par la ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien. Le troisième paragraphe de cette lettre reprend exactement ce que nous vous avons dit la dernière fois. Il n'y a aucune divergence d'opinions entre la ministre de la Justice et la ministre des Affaires indiennes.

Dans le corps de la lettre, il est fait mention de la première et de la dernière phrases, mais la troisième phrase précise:

Au contraire, la partie 40 de l'Accord protège spécifiquement les droits issus de traités et les droits ancestraux des autres groupes autochtones sur la région désignée du Nunavut.

Même si le gouvernement soutient, comme l'a dit la ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien, qu'ils ne jouissent d'aucun droit au nord du 60e parallèle, si le tribunal établit que les Denesulines ont des droits au nord du 60e parallèle, l'accord définitif du Nunavut ne met aucunement en danger ces droits. Je le répète, la lettre précise:

Au contraire, la partie 40 de l'Accord protège spécifiquement les droits issus de traités et les droits ancestraux des autres groupes autochtones sur la région désignée du Nunavut.

Voilà le message que la ministre et moi tentions de vous transmettre la dernière fois que nous avons comparu devant vous. Il n'y a pas de divergence d'opinions. Encore une fois, j'exhorte votre comité à ne pas oublier qu'il s'agit d'une revendication qui doit être traitée aux termes de la loi de fond. Les parties ne peuvent toutes deux avoir raison. C'est une question que les tribunaux devront trancher. Dans le cas où les tribunaux confirmeront l'existence de ces droits, le système judiciaire, certainement aux termes de l'entente sur le règlement des revendications territoriales, les protégera, et rien dans le projet de loi à l'étude ne remettra leur existence en question. Si toutes les revendications dont est saisie la Cour de justice du Nunavut font l'objet d'un sursis, la Cour de justice du Nunavut sera aux prises avec un énorme vide juridique. À mon avis, une telle situation serait injustifiée et très dangereuse.

Le sénateur Bryden: Je ne suis certainement pas en désaccord avec vous. Je tiens toutefois à signaler que, au cours de notre dernière rencontre, nous semblions être quelque peu à contre-courant. Les témoins s'inquiétaient, dans une certaine mesure, de la façon dont ils défendraient leur position, eux qui se retrouvent actuellement devant les tribunaux. Vous choisissez la tribune où vous voulez intervenir. Par contre, je peux comprendre que la situation les inquiète.

[Français]

Le sénateur Nolin: Si je comprends bien, nous créons un régime de tribunaux de droit commun pour le territoire du Nunavut. Les brefs de prérogative ont donc été entendus par ces tribunaux.

M. Bebbington: Exact.

Le sénateur Nolin: Ces brefs seront créés par nous ou par cette juridiction? Je vous pose la question parce que si un Canadien résidant dans ces territoires soulève la légalité de l'action d'une administration, il le fera par un bref de prérogative. C'est sa seule façon d'empêcher que ses droits soient affectés. Je ne veux pas utiliser le mot injonction, mais cela sera la seule solution. Ce droit à un bref de prérogative viendra-t-il de nous ou de la juridiction du territoire? C'est fondamental.

M. Moray Welch, conseiller juridique, service des affaires judiciaires, ministère de la Justice: Cela viendra du fait qu'il s'agit d'une cour supérieure: comme tout tribunal supérieur à travers le pays qui aura la juridiction inhérente pour octroyer des brefs de prérogative. Lorsqu'un citoyen se croira lésé par l'administration publique, il pourra se présenter devant la Cour de justice du Nunavut et demander l'octroi d'un bref.

Le sénateur Nolin: Est-ce le Parlement du Canada ou la juridiction locale qui peut octroyer ces brefs?

M. Welch: C'est nous.

Le sénateur Nolin: Dans cette loi?

M. Welch: Oui. Nous nommons des juges à la cour supérieure et la juridiction inhérente va avec en quelque sorte. La distribution des pouvoirs législatifs est la même que celles des Territoires du Nord-Ouest ou de l'Alberta, même si la base est différente.

Le sénateur Nolin: Au Québec, les brefs de prérogative sont créés par le pouvoir provincial. Je ne parle pas de l'administration fédérale, mais du pouvoir provincial. Qui aura cette juridiction dans ce territoire?

Le sénateur Beaudoin: C'est le Parlement ou le territoire?

M. Welch: C'est le Parlement par voie de l'article 31 de la Loi sur le Nunavut qui donne à la Cour suprême du Nunavut, comme cour de juridiction supérieure, des attributions d'exercer à la date d'entrée en vigueur de l'article 3 de la Cour suprême des Territoires du Nord-Ouest.

Le sénateur Nolin: Je reviens aux questions soulevées par le sénateur Bryden. Tout individu qui se croit lésé dans ses droits par l'action de l'administration locale pourra se présenter devant un tribunal et saisir ce tribunal de ses craintes et demander à ce que ce tribunal pose des gestes en vertu de son pouvoir de droit commun pour sécuriser les droits de cet individu? Ces tribunaux ont toutes les prérogatives et les privilèges des autres tribunaux au Canada quant à l'impartialité et l'indépendance des juges.

M. Welch: Oui, par voie de contrôle inhérent.

Le sénateur Nolin: Par voie de contrôle des deux cours supérieures.

[Traduction]

Le sénateur Bryden: Je voudrais poser une question complémentaire pour m'assurer que tout le monde se comprend bien. Les lois régissant la pêche et la chasse seront adoptées par le gouvernement du Nunavut et seront, au début, appliquées par leur organisme d'exécution.

Le sénateur Nolin: Il s'agit d'une commission.

Le sénateur Bryden: Oui, ou un garde-chasse. Ils saisiront un juge de paix de la situation.

Au niveau de la Cour suprême, il faudra déterminer si les lois adoptées par l'assemblée législative du Nunavut l'emporteront sur les droits ancestraux dont les Dénés sont convaincus de jouir. Si ceux-ci n'ont pas de droit, les lois s'appliquent à tout le monde, y compris aux Dénés lorsqu'ils s'aventurent sur ces territoires. Par contre, si ces droits sont protégés par l'article 35, l'assemblée législative du Nunavut peut les abroger, si je comprends bien.

Le sénateur Nolin: Il y a deux façons de s'adresser aux tribunaux. Premièrement, on peut s'adresser aux autorités pour tenter d'obtenir un permis. Deuxièmement, si une décision est prise ou non par l'administration locale, je peux m'adresser au tribunal et dire: «Écoutez, ils devraient ou non ordonner à l'administration de protéger mes droits».

Le sénateur Bryden: Je ne ferai que l'observation suivante: lorsque je vais à la chasse au Nouveau-Brunswick, je dois obtenir un permis et je ne peux chasser que pendant une période déterminée.

Lorsque mon ami malécite va à la chasse, il peut aller chasser quand ou où il le veut, peu importe la raison, parce que ses droits n'ont pas été réglés par notre assemblée législative. Cela devra l'être.

Le sénateur Adams: Les organisations et les gens qui ont participé à la négociation de l'Accord du Nunavut en 1993 ont tenu de nombreuses rencontres pour discuter de cette question. À mon avis, il ne faut pas en imputer la faute à l'Accord du Nunavut. Ces gens étaient déjà là il y a cinq ou six ans. Tout à coup, on leur dit qu'ils doivent de nouveau s'adresser à nous. Revendiquent-ils seulement des droits de chasse ou voudront-ils des terres à une date ultérieure? Que demandent-ils?

M. Bebbington: Je ne peux vous offrir une réponse complète. Jamais je ne prétendrai être en mesure de défendre leurs revendications. De toute évidence, ils veulent pouvoir jouir du droit de prédation sur ce territoire. Je ne sais pas s'ils revendiquent le droit exclusif à ces terres. Je ne pense pas. Toutefois, je ne suis pas la bonne personne à qui poser cette question.

Pour revenir à la première partie de votre question, à savoir que ce litige existe depuis déjà quelque temps, la société NTI, son prédécesseur et le gouvernement fédéral sont disposés à s'asseoir et à négocier dans certains de ces domaines. Ces démarches n'ont malheureusement encore rien donné jusqu'à maintenant, mais les négociations doivent pouvoir se poursuivre.

Le sénateur Adams: Fait-on mention dans le projet de loi C-57 des taxes s'appliquant aux activités de pêche et de chasse?

M. Bebbington: Rien n'est précisé à ce sujet dans le projet de loi C-57. Ce sont des mesures que devra prendre le nouveau district du Nunavut.

Le sénateur Adams: Les autochtones songent à la pêche et à la chasse qui seront régies par le Nunavut. Ils devront faire rapport au gouvernement du Nunavut du nombre d'animaux tués chaque année.

Le sénateur Forrestall affirme qu'il ne jouit d'aucun droit protégé par l'article 35. Je ne sais pas s'il plaisantait ou non. Il a affirmé que, s'il s'adressait au tribunal, il risquait de perdre ses droits. Est-ce exact, sénateur Beaudoin?

Le sénateur Beaudoin: L'article 35 est une disposition de fond. Il vise des droits consacrés dans la Constitution, faisant partie d'une catégorie spéciale. J'aime la distinction que vous faites lorsque vous dites: «Vous créez une cour». Cela n'a rien à voir avec la loi de fond qu'ils appliqueront.

J'ai l'impression qu'ils ne font pas confiance à la cour. J'espère me tromper.

M. Bebbington: Malheureusement, je partage cette impression. J'espère qu'ils constateront, au fil du temps, qu'ils ont tort à cet égard.

Le sénateur Moore: Même si une décision de la Cour du Nunavut ne leur plaît pas, il y a toujours le processus d'appel. Cela peut prendre plus de temps, mais ils peuvent toujours profiter de cette option.

Si le Sénat devait amender ce projet de loi ou en retarder l'adoption, pourriez-vous me dire quelles seraient les répercussions sur le Nunavut?

M. Watt: Nous avons réfléchi à la question. Premièrement, il nous faudra discuter de la situation avec le Bureau du commissaire intérimaire du Nunavut, qui est chargé de mettre sur pied le gouvernement du Nunavut, les autorités judiciaires et le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest et probablement aussi avec la Nunavut Tunngavik.

Sur le plan juridique, la réponse est la suivante: la nouvelle loi sur le Nunavut créerait une Cour suprême et une Cour d'appel, sans apporter d'autres précisions. Elle ne modifierait pas du tout la Loi sur la Cour territoriale. En général, la nouvelle loi sur le Nunavut applique au Nunavut les dispositions législatives qui existent actuellement dans les Territoires du Nord-Ouest et aurait repris le libellé de la Loi sur la Cour territoriale, sauf que le commissaire intérimaire aurait eu le pouvoir, aux termes de la nouvelle loi sur le Nunavut, de demander à l'assemblée législative des Territoires du Nord-Ouest de modifier la loi pour le Nunavut à partir du 1er avril.

L'assemblée législative des Territoires du Nord-Ouest a acquiescé à cette demande l'automne dernier. Par conséquent, il n'y aura pas de Loi sur la Cour territoriale qui entrera en vigueur le 1er avril pour le Nunavut. Il n'y aura donc pas de cour territoriale. Il faudra combler la lacune. Ce sera la pagaille.

Cela pose des problèmes d'ordre pratique. Tout le monde planifie en vue de la mise en oeuvre d'un système judiciaire le 1er avril, ou du moins après les cérémonies, probablement le 5 avril, fondé sur le tribunal à palier unique que nous voulons créer au moyen de ce projet de loi. Ces rajustements devront être apportés rapidement et pourraient être un peu chaotiques.

Par ailleurs, il ne faut pas sous-estimer l'importance symbolique de cette nouvelle cour de justice. Sa création était fortement appuyée par la population du Nunavut, les organisations du Nunavut et leurs leaders politiques. À leurs yeux, c'est l'une des premières grandes réalisations uniques au Nunavut. Je suis persuadé qu'elle sera suivie de bien d'autres réalisations une fois que l'assemblée législative du Nunavut aura amorcé ses travaux, mais nous nous étions entendus sur la création de la cour de justice et on nous avait demandé de mener à bien ce projet avant le 1er avril, ce que nous voudrions faire, s'il vous plaît.

M. Bebbington: En matière de politique publique, on nous a demandé de prendre une mesure spéciale pour la région du Nunavut, c'est-à-dire de modifier le système judiciaire. Les non-initiés qui nous écoutent doivent se demander: «Où est la différence?» Les gens sans formation juridique ne voient peut-être pas de différence, mais pour ceux d'entre nous qui pratiquent le droit, passer du système à deux paliers que nous avons toujours eu à un système à palier unique représente toute une différence.

Si le projet de loi n'est pas adopté, il faudra, par défaut, qu'un système à deux paliers se batte pour voir le jour. Je crains qu'il soit difficile par la suite de passer d'un système à deux paliers à un système à palier unique. Le ministère de la Justice du Nunavut planifie activement la création d'un système à palier unique. Ses fonctionnaires se sont concentrés sur cet objectif qu'ils veulent atteindre. Cette innovation offre toutes sortes d'avantages en ce qui concerne la façon dont les services juridiques seront offerts dans le Nord. Si nous ne profitons pas de la chance qui nous est offerte maintenant, je crains qu'il nous soit difficile d'atteindre cet objectif par la suite. Une fois que vous aurez établi une cour territoriale et que vous y aurez nommé des juges et créé cette fonction, il sera beaucoup plus difficile de transformer ce système à deux paliers que de créer un tout nouveau système. Outre ce gâchis, je crains que nous n'ayons plus avant longtemps l'occasion d'innover pour tenir compte des besoins de la population et des besoins d'un système judiciaire dans le Nord.

Le sénateur Joyal: M. Bebbington, lorsque vous avez été invité à prendre place à la table, vous avez déclaré, je crois, que vous aviez un exposé à nous faire.

M. Bebbington: Je serai heureux de le faire dès maintenant ou même demain, juste avant l'étude article par article du projet de loi. Je pourrais prendre tout de suite quelques minutes pour vous donner une idée de la structure du projet de loi, de son objet et de sa portée. Je suis à votre entière disposition. Je me plierai à vos désirs.

La présidente: Veuillez procéder.

M. Bebbington: Les honorables sénateurs auront remarqué que le projet de loi C-57 se divise en deux parties. La première partie apporte des modifications à la Loi sur le Nunavut. La deuxième partie apporte des modifications corrélatives et conditionnelles et traite de l'entrée en vigueur de la mesure législative. Le nom de la deuxième partie ne correspond pas tout à fait à la vérité. Vous comprendrez que les rédacteurs législatifs nous imposent des conventions qu'ils doivent respecter. La deuxième partie est longue et forme l'essentiel du projet de loi.

La deuxième partie renferme essentiellement des modifications au Code criminel. Vous devez vous douter que la mention de la création d'un tribunal à palier unique dans un Code criminel qui prévoit un système à deux paliers entraîne une grande restructuration. Vous constaterez, par exemple, que les articles 25 à 58 traitent du Code criminel. De plus, la deuxième partie du projet de loi prévoit des modifications à la Loi sur les jeunes contrevenants, à la Loi sur les juges et à d'autres lois fédérales. Je ne veux pas vous embêter avec les autres lois. Ces modifications tendent presque exclusivement à modifier tout simplement le nom de la Cour suprême du Nunavut, qui devient la Cour de justice du Nunavut. Il s'agit de modifications purement corrélatives. J'y reviendrai.

J'aborderai maintenant la première partie du projet de loi, qui comporte quatre sections. La première de ces sections apporte des modifications à la partie I de la Loi sur le Nunavut. Bon nombre de ces modifications sont corrélatives, mais j'attire votre attention sur l'article 2 qui, en modifiant l'article 31 de la Loi sur le Nunavut, constitue la Cour de justice du Nunavut en juridiction supérieure.

J'attire aussi votre attention sur l'article 5, qui énonce un principe extrêmement important. Il précise que les juges de la Cour de justice du Nunavut auront le pouvoir d'exercer toutes les fonctions que tous les magistrats peuvent assumer dans un système normal et que, lorsqu'ils exercent ces fonctions, ils le font en leur qualité de juges de juridiction supérieure.

Ceux d'entre vous qui s'y connaissent en droit constitutionnel savent qu'il existe des principes constitutionnels qui nous empêchent d'unifier les services au niveau des cours inférieures. Nous avons retenu les leçons de la Cour suprême du Canada. Nous prenons soin d'unifier les services au niveau de la juridiction supérieure. Cette cour pourra assumer toutes les fonctions et, lorsqu'elle le fera, elle agira en sa qualité de juridiction supérieure. Il s'agit d'un principe important. Je vous renvoie à l'article 5 qui modifie l'article 34 de la Loi sur le Nunavut.

La section 2 traite des mesures de transition à prendre au sujet des causes devant les tribunaux et de leur transfert. De toute évidence, lorsqu'un nouveau territoire et un nouveau système judiciaire sont créés, il faut déterminer comment les causes déjà devant les tribunaux doivent être traitées. Ces principes sont formulés à la section 2.

La section 3 prévoit des modifications purement corrélatives à la Loi sur le Nunavut.

La section 4 traite de l'annexe III de la Loi sur le Nunavut. L'annexe III de la Loi sur le Nunavut apporte de nombreux changements corrélatifs, modifiant par exemple le nom des cours et des organismes. Il a fallu la réviser de nouveau pour remplacer le nom précédent par le nom «Cour de justice du Nunavut».

Je voudrais vous décrire quelques grandes caractéristiques des modifications apportées au Code criminel, qui se trouvent à la partie 2 du projet de loi. Si vous consultez l'article 50, vous constaterez qu'il crée, dans le Code criminel, une toute nouvelle partie qui traite exclusivement de la Cour de justice du Nunavut. D'ailleurs, cette partie s'appelle «Cour de justice du Nunavut».

L'article 573 sera édicté par l'article 50 du projet de loi qui inscrit cette fois-ci dans le Code criminel le très important principe selon lequel la Cour de justice du Nunavut pourra exercer toutes les fonctions sur ce territoire. Il possédera tous les pouvoirs des cours territoriales et provinciales et des juges de paix. Elle aura tous les pouvoirs et fonctions que peut lui conférer le Code criminel.

Le paragraphe 573(2) insiste, lui aussi, sur le concept important qui veut que, peu importe qui exerce ces pouvoirs ailleurs, lorsque les juges de la Cour de justice du Nunavut les exercent, ils le font en leur qualité de juges de juridiction supérieure.

Je demanderais à mon collègue, Moray Welch, de vous dire un mot au sujet de l'article 573.1. Il s'agit d'une disposition importante, puisqu'elle prévoit ce que nous appelons notre mécanisme de révision.

M. Moray Welch, conseiller juridique, Section de la politique en matière de droit pénal, ministère de la Justice: Le mécanisme de révision a été conçu, parce que nous unifions les services au niveau de la cour supérieure, comme M. Bebbington l'a rappelé, et qu'il fallait remplacer dans certaines circonstances le mécanisme de révision prévu lorsqu'une cause est entendue par un juge de la cour provinciale. L'article 573.1 énumère les motifs et les sujets pour lesquels une demande de révision peut être faite à une nouvelle entité, soit à un juge de la Cour d'appel. Ces modifications ont été apportées dans le but de veiller à ce que les droits fondamentaux des habitants du Nunavut ne soient pas moindres que les droits fondamentaux de tout autre citoyen canadien.

M. Bebbington: Permettez-moi de mentionner des modifications à une autre partie du Code criminel, celui qui traite cette fois des appels. Les articles 55, 56 et 57 du projet de loi proposent des modifications aux parties du Code criminel qui portent sur les appels en matière de procédure sommaire.

En ce qui concerne les appels en matière criminelle, nous n'apportons aucun changement. Nous avons tenté de modifier le code le moins possible, de lui apporter seulement les changements nécessaires pour que le tout fonctionne bien. Les causes criminelles seront entendues par la Cour de justice du Nunavut et les appels dans ces causes seront portés devant la Cour d'appel du Nunavut.

Le traitement des poursuites sommaires est quelque peu différent. En général, un juge de la cour supérieure siège à une cour d'appel appelée à présider les poursuites sommaires. De toute évidence, cela pose problème lorsque les poursuites sommaires se déroulent devant un juge de la cour supérieure qui, dans ce cas-ci, sera la Cour de justice du Nunavut.

Il y a deux façons de traiter les poursuites sommaires au Nunavut. Premièrement, ces causes peuvent être entendues par un juge de paix, dans quel cas, un appel peut être interjeté auprès d'un juge de la Cour de justice du Nunavut, puis auprès de la Cour d'appel. Si, toutefois, comme nous pensons que ce sera le cas pendant assez longtemps, la plupart sinon l'ensemble des poursuites sommaires seront portées devant la Cour de justice du Nunavut, nous avons prévu un mécanisme spécial afin que le premier niveau d'appel corresponde à un seul juge de la Cour d'appel. C'est le même genre de procédure que nous avons adopté pour le mécanisme de révision dont vient de parler M. Welch.

Nous avons préservé le premier niveau d'appel. Nous avons également préservé le deuxième niveau d'appel que constitueront trois juges de la cour d'appel. Nous avons agi ainsi pour que, en cas de poursuites sommaires, les droits d'appel des habitants du Nunavut soient essentiellement les mêmes que les droits dont jouissent les autres Canadiens. Personne devant les tribunaux du Nunavut ne pourra prétendre que le fait de combiner les deux cours leur fait perdre un niveau d'appel, des droits ou un recours quelconque. Nous avons consciencieusement cherché à préserver toutes les possibilités. Voilà à quoi servent les articles 55, 56 et 57 du projet de loi.

Les prochains changements importants visent la Loi sur les juges et se trouvent aux articles 72 à 77 du projet de loi. M. Watt vous les décrira brièvement.

M. Watt: Les articles 72 à 77 prévoient le versement à au plus trois juges des mêmes traitements qui sont accordés aux autres juges des cours supérieures. Ils donnent également à ces trois juges droit à l'indemnité de 6 000 $ qui est accordée aux juges des Territoires du Nord-Ouest et du Yukon et qui devra peut-être être révisée à une date ultérieure.

Ces articles renferment aussi une nouveauté, puisque les juges principaux de chacun des trois territoires deviennent membres du Conseil canadien de la magistrature. À l'heure actuelle, les membres varient. Ce sont parfois des juges des Territoires du Nord-Ouest, parfois des juges du Yukon, ce qui rend la situation un peu délicate.

M. Bebbington: J'attire votre attention sur une autre composante du projet de loi, soit les modifications apportées à la Loi sur les jeunes contrevenants à l'article 86 et aux articles suivants du projet de loi.

Je tiens à signaler que les modifications apportées ici à la Loi sur les jeunes contrevenants ne sont pas fondamentales. Nous ne touchons pas aux questions de politique. Nous n'apportons que quelques changements de nature technique pour adapter la Loi sur les jeunes contrevenants au système judiciaire à palier unique. C'est très différent de la révision exhaustive que pourrait subir prochainement la Loi sur les jeunes contrevenants, mais je n'en dirai pas plus à ce sujet.

D'autres lois fédérales sont mentionnées dans le projet de loi. Les modifications proposées à la Loi sur le divorce, à la Loi sur les douanes, à la Loi électorale du Canada, à la Loi sur les armes et à feu et à la Loi sur les pêches ne visent qu'à changer le nom de la Cour et sont donc de nature purement corrélative.

Exception faite de la dernière disposition, qui porte sur l'entrée en vigueur de la mesure législative, voilà essentiellement ce que vous trouvez dans le projet de loi C-57.

Le sénateur Joyal: Je voudrais revenir à la question soulevée par le sénateur Bryden au sujet de la situation des Dénés dans le nouveau territoire du Nunavut.

Je tente de comprendre ce qui changera dans le nouveau système par rapport au système actuel. Ai-je raison de dire que, dans le cadre du système actuel, la loi adoptée par le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest s'applique à l'ensemble du territoire, ce qui comprendra le Nunavut?

M. Bebbington: Si je vous comprends bien, oui.

Le sénateur Joyal: Tant que nous ne changerons pas la situation en adoptant ce projet de loi, les lois régissant la chasse, le piégeage et la pêche adoptées par le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest s'appliquent au territoire que le nouveau gouvernement du Nunavut régira?

M. Bebbington: Oui, jusqu'à la création du Nunavut le 1er avril, lorsque sa propre assemblée législative assumera le pouvoir de légiférer dans ces domaines.

Comme vous le savez peut-être, la législation des Territoires du Nord-Ouest sera adoptée pour le Nunavut et pourra être remplacée et modifiée si l'assemblée législative du Nunavut le juge opportun.

Le sénateur Joyal: Je tente de comprendre la situation juridique d'un Déné qui est accusé actuellement, devant la cour des Territoires du Nord-Ouest, d'avoir enfreint le règlement de la pêche, de la chasse ou du piégeage et qui prétend posséder des droits de pêche issus d'un traité. Cette personne contestera-t-elle le pouvoir de la cour en soutenant que, selon l'affaire Samuel, la loi ne s'applique pas à elle, qui jouit de certains privilèges issus d'un traité?

Un Déné qui prétend posséder des droits de pêche, de chasse ou de piégeage aux termes des traités 5 et 10 pourrait invoquer que ces droits sont protégés par ces traités, et la cour devra alors trancher, en tenant compte de l'affaire Samuel qui est devant les tribunaux.

Selon votre expérience, quelle décision rendront normalement les tribunaux dans ces circonstances? Se rendront-ils à l'argument des Dénés ou attendront-ils qu'une décision soit rendue dans l'affaire principale Samuel?

M. Bebbington: Je ne veux pas parler au nom de gens qui ne sont pas assis à cette table, mais je crois comprendre que la plupart de ces poursuites ne sont pas menées avec vigueur. Les fonctionnaires des Territoires du Nord-Ouest commencent à s'inquiéter seulement lorsque les inculpés semblent exercer le droit de prédation pour plus que leur consommation personnelle.

Si une cause est portée devant la cour des Territoires du Nord-Ouest, cette cour doit l'entendre. Il serait peu probable que cette cour ajourne la cause en attendant qu'une décision soit rendue dans une cause portée devant la Cour fédérale. Je ne veux pas vous devancer, mais je crois deviner où vous voulez en venir. Je conviens avec vous que, dans un certain sens, la situation ne change pas. La dynamique qui existe actuellement dans les Territoires du Nord-Ouest continuera d'exister au Nunavut.

L'une des différences tiendrait au fait que, au Nunavut, ces causes seraient portées devant une cour supérieure, la Cour de justice du Nunavut, que nous considérons comme notre plus haut niveau d'expertise et notre plus grande instance judiciaire. Les causes seront portées devant cette cour, qui rendra une décision. À ce stade-là, si l'on juge bon de combiner les litiges d'une certaine façon, j'imagine que les cours prendront également les mesures appropriées dans les circonstances.

Le sénateur Joyal: Ce que je retiens, c'est qu'il peut y avoir contradiction entre la loi des Territoires du Nord-Ouest et les traités 5 et 10, tout comme il peut y avoir contradiction entre la nouvelle loi du Nunavut et les traités 5 et 10. J'imagine que les cours adopteront la même position dans les deux cas. Je cherche à savoir si, en adoptant le nouveau système, nous rendons la vie plus difficile aux Dénés ou si nous ne faisons que reproduire les conditions dans lesquelles la cour fonctionnait dans le système précédent.

Comprenez-vous?

M. Bebbington: Oui, et vous avez tout à fait raison.

Le sénateur Joyal: En tant qu'institution, nous cherchons à protéger les minorités. Nous devons remettre en question toute mesure que nous envisageons et qui pourrait modifier le statut des citoyens devant la cour.

Le sénateur Bryden comparait la situation d'un Déné qui conteste la loi des Territoires du Nord-Ouest en invoquant les traités 5 et 10 à la situation qu'il vivrait s'il devait contester la loi du Nunavut en invoquant les traités 5 et 10. Les arguments du Déné seraient les mêmes. Il soutiendrait que la loi ne s'applique pas à lui, parce qu'il possède d'autres droits issus des traités 5 et 10, et la cour devra déterminer les mesures à prendre dans de tels cas.

M. Bebbington: Je n'aurais pas su mieux le dire que vous. Vous avez tout à fait raison.

Les Dénés semblent croire que la Cour de justice du Nunavut est en quelque sorte une cour spécialisée, une cour inuit. Ce n'est pas le cas. C'est une cour identique à tous les autres cours supérieures des autres régions. Elle est indépendante des deux ordres de gouvernement. Elle ne relèvera pas du NTI, qui est chargé de défendre les intérêts des Inuits. C'est une entité indépendante. Elle doit départager entre les deux parties devant elle de façon impartiale et indépendante.

Comme vous l'avez si bien dit, il n'y a rien de différent dans la structure et rien dans les changements que nous apportons à la structure qui influe en quoi que ce soit la dynamique ou la façon dont ces litiges sont réglés.

Le sénateur Joyal: Je voudrais remercier le sénateur Bryden, parce que les réserves que j'avais à propos des mesures que nous envisageons ont été apaisées, dans une certaine mesure, par les témoins que nous avons entendus. Personnellement, je voulais m'assurer que les décisions que nous prendrons ne leur imposeront rien d'inapproprié. La cour se prononcera sur les droits des Dénés avant et après la mise sur pied du nouveau système.

L'hypothèse formulée par le sénateur Bryden m'a amené à penser que ce projet de loi n'apporte aucun changement direct à la situation juridique des Dénés, qui pourront faire valoir leur cause en invoquant pas moins ni plus d'arguments qu'auparavant. Je pense que leur situation demeure exactement la même.

Le sénateur Beaudoin: Vous faites valoir un point important. Si j'étais l'avocat des Dénés, je dirais: «Vous êtes déjà devant la Cour fédérale. Restez-y.» La nouvelle cour dira: «Nous serons la nouvelle cour du Nunavut à partir du 1er avril. Venez plaider votre cause devant nous.» Que faisons-nous dans un tel cas?

Ce n'est peut-être pas possible, mais j'espère que la Cour fédérale rendra une décision avant le 1er avril. Si c'est le cas, un appel pourra être interjeté. L'appel sera probablement porté directement devant la Cour suprême et tout le litige sera réglé.

Je ne veux pas que les Dénés se retrouvent coincés entre les deux systèmes. S'ils sont déjà devant la Cour fédérale, et c'est le cas si je ne m'abuse, pas vrai?

M. Bebbington: Oui, en fait, ils ont choisi cette tribune.

Le sénateur Beaudoin: J'espère que la Cour fédérale ne dira pas: «C'est fini maintenant. Nous n'avons plus de pouvoir sur ce territoire. Portez votre cause devant la Cour du Nunavut.» Je ne crois pas que cela serait juste.

Le sénateur Bryden: Non, ils ne peuvent pas agir ainsi.

M. Bebbington: Rien dans notre projet de loi ne prévoit cela. Les Dénés ont choisi de s'adresser à cette tribune. En tant que demandeurs, ils ont porté leur cause devant la Cour fédérale. Le procès à la Cour fédérale est long, mais cela est en partie attribuable aux Dénés qui n'ont pas fait avancer le dossier avec toute la vigueur possible. Parfois, ils ont accepté de négocier; parfois, ils ont modifié leur déclaration.

On ne peut qu'espérer que le procès se déroulera le plus rapidement possible devant la Cour fédérale. La décision pourra faire l'objet d'un appel, comme vous l'avez signalé, et pourrait fort bien être renvoyée à la Cour suprême du Canada.

Le sénateur Beaudoin: Si les choses se passent ainsi, je ne vois pas de problème. Toutefois, si les parties font traîner les choses au-delà du 1er avril, qu'arrivera-t-il?

M. Bebbington: Dans le cadre de notre système judiciaire, il est possible que des cours différentes soient saisies du même litige. Il se peut aussi que les jugements rendus soient incompatibles.

Le sénateur Beaudoin: Je ne crains pas pour leurs droits fondamentaux. Un jour, ils seront réglés, que ce soit devant la Cour fédérale puis devant la Cour suprême ou devant la Cour du Nunavut puis devant la Cour suprême.

Je ne m'inquiète pas de leurs droits collectifs fondamentaux, mais il y a une question de procédure qui me préoccupe. Les demandeurs pourraient être aux prises avec deux procès en même temps.

Il incombera à la Cour fédérale de régler le problème, puisque les Dénés sont déjà devant elle. Si une nouvelle loi entre en vigueur -- et ce sera le cas, puisque le Nunavut sera créé -- alors, la cour appliquera la loi sous sa forme actuelle. Puisque la mesure législative dont le Sénat est saisi ne change en rien les droits fondamentaux des nations ou des peuples autochtones, ceux-ci n'ont rien à craindre. Ils pourront peut-être trouver la situation un peu compliquée. C'est la vie. En 1867, j'imagine qu'il y avait des problèmes que les gouvernements fédéral et provinciaux ont dû régler.

La présidente: Ils n'auront rien de plus à craindre qu'auparavant.

Le sénateur Beaudoin: Comme leurs droits ne sont nullement impériaux, je suis disposé à appuyer ce projet de loi.

M. Bebbington: Je suis très heureux de vous l'entendre dire.

Nous ne touchons pas du tout à la structure ou à la procédure de la Cour fédérale. Nos travaux portent sur les cours d'une province ou d'un territoire. La Cour fédérale continuera d'exister et entretiendra des relations avec le Nunavut comme elle le fait avec toutes les autres provinces et territoires. Nous ne touchons pas à cet aspect de la question, si certains se posaient la question.

Le sénateur Beaudoin: Votre position est très solide, puisque le droit criminel relève entièrement du gouvernement fédéral. Le fait de créer un territoire et de lui accorder des pouvoirs est une responsabilité qui incombe entièrement au fédéral. Comment pouvez-vous échouer? À moins qu'un tribunal rende une mauvaise décision, mais il est toujours possible de faire appel.

La présidente: Si aucun autre sénateur ne veut intervenir, j'aurais une question à poser.

J'ai encore certaines réserves en ce qui concerne la façon dont fonctionnera le processus d'appel lorsque vous avez trois juges dans le nouveau territoire.

Au début, la cause est entendue par un juge. S'il y a appel, l'affaire est portée devant un deuxième de ces trois juges. Si cette décision-là fait l'objet d'un appel, la question sera renvoyée à un groupe de trois juges, dont deux auront déjà été saisis du litige.

M. Bebbington: La Cour d'appel est une cour distincte de la Cour de justice du Nunavut.

Le point que vous soulevez est juste, puisqu'il peut y avoir chevauchement. Les juges de la Cour d'appel du Nunavut peuvent également siéger à la Cour de justice du Nunavut, mais jamais ils ne seront appelés à présider un appel d'une décision qu'ils auront eux-mêmes rendue.

La présidente: C'est ce qui m'inquiète.

M. Bebbington: À mon avis, cela ne se produira jamais et les juges ne toléreront pas cette situation. Tout est fonction de la nature des poursuites entamées. Toutefois, quand il est question d'une poursuite sommaire, pour laquelle nous avons restructuré le système, si la cause est entendue par la Cour de justice du Nunavut, l'appel sera porté devant un seul juge de la Cour d'appel et non un juge de la Cour de justice du Nunavut. L'appel sera présidé par un juge qui siège à une cour distincte. Ce juge pourra aussi siéger à la Cour de justice du Nunavut, mais ne sera pas le même juge qui aura rendu la décision initiale. De là, la question pourrait être renvoyée à un groupe de trois juges de la Cour d'appel du Nunavut.

La présidente: De là vient tout le problème.

Le sénateur Moore: Je pensais que la question était renvoyée en Alberta.

M. Bebbington: La cour prévue pour la période de transition est bien la Cour d'appel de l'Alberta. La Cour d'appel du Nunavut sera structurée comme la Cour d'appel des Territoires du Nord-Ouest, formée essentiellement du juge en chef Fraser et de la Cour d'appel de l'Alberta, à qui s'ajoutent d'autres juges qui connaissent également la situation dans le Nord. Il y a un juge de la Cour d'appel de la Saskatchewan qui y siège. Encore là, l'appel ne sera pas entendu par les mêmes juges. Le fait qu'il n'y aura en fin de compte que trois juges ne limite pas le nombre de juges qui pourront être appelés à intervenir. La Cour d'appel des Territoires du Nord-Ouest fera appel aux juges de la Cour d'appel de l'Alberta, auxquels se joindront d'autres juges.

La présidente: Outre les trois juges du Nunavut, il y aura d'autres juges qui seront appelés à siéger.

M. Bebbington: Oui, absolument.

La présidente: Cela répond à ma question.

S'il n'y a pas d'autres questions, je vous remercie d'avoir accepté de comparaître devant nous aujourd'hui.

La séance est levée.


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