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Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule 56 - Témoignages


OTTAWA, le jeudi 18 février 1999

Le comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles auquel est renvoyé le projet de loi C-57, Loi portant modification de la Loi sur le Nunavut relativement à la Cour de justice du Nunavut et modifiant diverses lois en conséquence, se réunit aujourd'hui, à 10 h 52, pour examiner le projet de loi.

Le sénateur Lorna Milne (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente: Honorables sénateurs, avant de passer à l'étude article par article du projet de loi, le sénateur Beaudoin veut poser une question aux fins du compte rendu. Nous allons donc demander à M. Bebbington de s'approcher afin que le sénateur Beaudoin puisse poser cette question.

Le sénateur Beaudoin: Je suis complètement d'accord avec ce projet de loi. Toutefois, aux fins du compte rendu, je tiens à être sûr que le système judiciaire dont il est question dans ce projet de loi ne change pas le statu quo en matière de bilinguisme -- c'est à dire le français et l'anglais -- lequel doit être entièrement protégé, et je tiens également à être sûr que ce projet de loi n'a aucun effet sur les lois existantes applicables dans les territoires. Je crois que c'est le cas, mais j'aimerais en avoir une confirmation officielle.

M. Howard Bebbington, avocat, Section de la politique du droit pénal, ministère de la Justice: Sénateur, je suis en mesure de confirmer ce que vous venez de dire. Le projet de loi C-57 ne modifie nullement les langues officielles du Canada, puisqu'elles sont protégées. Comme vous le savez, la législation territoriale s'applique à une région particulière et celle des Territoires du Nord-Ouest prévoit d'autres langues officielles en plus du français et de l'anglais. Cette législation sera reprise au Nunavut.

Ce projet de loi et les lois territoriales ne modifieront pas la protection dont jouissent actuellement le français et l'anglais.

Le sénateur Joyal: Toujours à ce sujet, pouvez-vous confirmer que le statut du français et de l'anglais restera intact dans la nouvelle assemblée législative territoriale?

M. Bebbington: Sénateur, autant que je sache, il le sera. Comme je l'ai déjà dit, ce projet de loi n'apporte aucun changement dans ces domaines et comme je l'ai indiqué hier, je suis spécialisé dans le système judiciaire et en droit criminel. Autant que je sache, le français et l'anglais sont protégés dans tout le pays en vertu de la Constitution. Il n'y a rien, à ma connaissance, qui puisse modifier ces protections dans le nouveau territoire du Nunavut.

La présidente: Merci, monsieur Bebbington.

Nous allons maintenant, sénateurs, passer à l'étude article par article du projet de loi C-57.

Le sénateur Bryden: Madame la présidente, je crois que nous avons tous examiné de près ce projet de loi. À moins d'avoir mal compris mes collègues, je pense que nous sommes d'accord pour l'approuver. Je propose que nous ne procédions pas à l'étude article par article du projet de loi et que nous en fassions rapport au Sénat sans amendement.

Le sénateur Grafstein: Madame la présidente, je n'ai pas pu participer aux dernières séances du comité en raison d'un conflit avec d'autres comités, et je n'ai pas eu la possibilité de lire la transcription de la dernière séance. Je ne sais pas si le point que j'ai soulevé à une séance préalable est toujours en suspens. Nous mettons en place un tout nouveau système. D'après mon expérience à Ottawa, je suis porté à croire que lorsqu'un système est mis en place, il n'est pas nécessairement et rapidement soumis à un examen. C'est ce dont nous nous sommes aperçus à propos du système de justice pénale militaire. Il n'avait pas été soumis à un examen depuis quelque 50 ans.

Les sénateurs se rappellent que nous avons eu un échange très animé au sujet de ce projet de loi. Au bout du compte, nous l'avons amendé afin de prévoir un mécanisme d'examen au bout d'un certain temps.

Est-ce que d'après les autres membres du comité, cela pourrait s'appliquer au cas présent? Je n'ai pas rédigé d'amendement à ce sujet, mais peut-être serait-il semblable à celui que nous avons inclus dans le projet de loi sur la justice militaire. Essentiellement, il prévoirait que, cinq années après la promulgation de la loi, le ministre de la Justice procéderait à un examen et envisagerait des changements législatifs. Cela prévoit donc une période d'essai de cinq ans. La loi peut ensuite faire l'objet d'un examen parlementaire. À ce moment-là, le ministre peut en conclure qu'aucune modification ne s'impose. Cela n'empêche pas que le ministre propose des modifications à n'importe quel autre moment. Nous aurions ainsi un mécanisme d'examen qui semble s'imposer d'autant plus que le processus est entièrement nouveau.

Si d'autres partagent le même point de vue, je vais essayer de préparer rapidement un amendement. Si non, le compte rendu indiquera qu'il est essentiel de le prévoir, selon moi.

J'aimerais soulever un autre point important. Je ne suis pas convaincu que, même si nous avons un processus qui convient, nous disposons des ressources humaines nécessaires pour faciliter l'administration de la justice au Nunavut.

Je veux dire par là qu'à mon avis, nous n'avons pas le nombre de juges de paix qu'il faut, puisque nous sommes passés de cinq à trois juges. Je pense en l'occurrence au taux fort élevé d'incarcération dans le Nord et au Nunavut. D'après les chiffres, le taux d'incarcération dans les Territoires du Nord-Ouest est le plus élevé au Canada.

Cela me laisse supposer que plusieurs choses ne vont vraiment pas, y compris l'administration de la justice. Ce projet de loi ne change pas l'administration de la justice, mais permet de passer de deux paliers de l'administration de la justice à un seul. Il n'y a pas de changements inhérents. Comme l'a fait remarquer le sénateur Beaudoin, nous incorporons la loi telle qu'elle s'applique. Alors que nous faisons un changement important, je me demande s'il n'est pas plus symbolique que réel.

J'ose espérer qu'un examen indépendant permettrait de se pencher non seulement sur la lettre de la loi, telle qu'elle s'applique, mais aussi sur certains des problèmes systémiques que l'on retrouve au Nunavut.

La seule façon, selon moi, de régler la question facilement, consisterait à prévoir un examen tous les cinq ans. Nous devrions indiquer clairement dans notre rapport que les responsables de l'administration de la justice devraient examiner, non seulement la lettre de la loi -- les processus -- mais aussi les problèmes systémiques sur lesquels nous n'avons pas encore eu l'occasion de nous pencher.

La présidente: Sénateur, on nous a dit qu'un processus d'évaluation est prévu et qu'il y aura une conférence en l'an 2001 pour évaluer le système.

Le sénateur Nolin: J'ai appuyé l'amendement dont a fait mention le sénateur Grafstein, c'est-à-dire la proposition que nous avions faite lorsque nous avons traité de la justice criminelle militaire.

Toutefois, dans le cas qui nous intéresse ici, il s'agit de cours de justice. S'il y a véritablement un problème au sujet de l'administration de la justice au Nunavut, nous en entendrons parler, non pas de la part d'un comité d'examen, mais de celle des juges de la Cour suprême. À mon avis, il ne convient pas de proposer un examen tous les cinq ans.

La présidente: Une sauvegarde est prévue.

Le sénateur Andreychuk: Je suis portée à être d'accord avec le sénateur Nolin. Si nous voulons nous pencher sur les vraies questions, comme l'a souligné le sénateur Grafstein, nous le ferons, non pas au cours de notre étude de ce projet de loi, mais plutôt dans le cadre d'une étude de l'administration de la justice et de sa mise en oeuvre. Cela dépasse la portée d'un examen de la loi.

Je ne suis pas en faveur de l'amendement proposé.

Je m'inquiète toutefois au sujet des droits des minorités. Je ne sais pas s'il ne faudrait pas l'indiquer d'une façon ou d'une autre dans le rapport.

Je suis portée à être d'accord avec les principes du projet de loi. Je connais les cours de justice du Nord et je sais que la question de leur amalgamation se pose depuis 30 ans. D'un point de vue purement mécanique, les cours seront plus efficaces. D'un point de vue pratique, la nomination des juges de paix sera l'élément clé. Ils représenteront le système judiciaire quotidien. S'ils sont nommés avec justice et formés correctement, je ne m'inquiéterais pas beaucoup des droits des minorités et de leur respect. Toutefois, si leur nomination -- ou la façon dont les gens perçoivent leur nomination -- est mise en question, ou si tous sont des autochtones et que les minorités ne sont pas représentées, on pourrait avoir l'impression d'un manque de justice dans le système.

En ce qui concerne les préoccupations du sénateur Grafstein au sujet de l'administration du système, peut-être pourrions-nous en parler dans notre rapport au lieu d'approuver le projet de loi avec des réserves.

Le sénateur Beaudoin: Lorsque nous avons discuté du système des cours martiales, aucun autre choix ne s'offrait à nous. Je ne doute nullement que, d'ici cinq ans, une modification soit présentée.

Je ne pense pas que ce soit le cas ici. Il est clair que le Parlement a compétence sur les territoires. Les problèmes habituels entre compétences fédérale et provinciales ne s'appliquent pas dans ce cas-ci. Il s'agit de territoires fédéraux créés par le Parlement du Canada. L'article 96 n'entre pas en jeu et ils peuvent mettre en place le système judiciaire qu'ils veulent.

J'ai demandé au représentant officiel de la Justice d'intervenir il y a quelques instants à cause de mes inquiétudes au sujet de l'application du bilinguisme dans le système fédéral de la justice à l'échelle du Canada. Selon lui, ce projet de loi ne change rien. Par conséquent, le français et l'anglais seront toujours les langues officielles, ce qui permettra d'assurer encore plus la protection des minorités au Nunavut. Ils peuvent toujours ajouter une langue inuit, cela ne me dérange absolument pas.

Étant donné que je n'ai plus d'inquiétude à ce sujet, je peux voter en faveur du projet de loi. L'autre jour, les experts, ainsi que le ministre de la Justice, ont confirmé que les droits prévus à l'article 35 sont protégés. Que nous ayons deux ou trois territoires ne change rien.

Avec toute cette protection, je suis prêt à voter.

La présidente: On m'a fait remarquer que l'administration de la justice est une responsabilité territoriale dans ce cas-là. Appartient-il donc à un comité sénatorial qui fait rapport d'un projet de loi fédéral de faire des propositions au sujet d'un champ de compétence territorial?

Le sénateur Andreychuk: Oui, surtout si cela se rapporte aux droits des minorités.

La présidente: Je suis tout à fait prête, après notre séance de ce matin, à aider le personnel à faire état de ces points dans le rapport.

Ceci étant dit, je dois également vous indiquer qu'après la comparution du NTI devant le comité, j'ai rédigé une lettre à son intention. J'en parlerai avec le comité directeur et je la distribuerai aux membres du comité. Elle propose sans équivoque un plan d'action.

Ceci étant dit, je mets la motion du sénateur Bryden aux voix.

Tous en faveur?

Des voix: D'accord.

Le sénateur Grafstein: Pourriez-vous prendre note de mon abstention, madame la présidente? Je veux réfléchir avant de décider si je vais présenter un amendement au Sénat ou non. Je suis fortement enclin à le faire. Mes collègues essaient de me convaincre de l'efficacité de ce projet de loi, mais je ne suis pas sûr qu'ils ont réussi à apaiser mes inquiétudes. Je tiens à ce que mon abstention soit prise en note de manière à avoir plus de liberté pour traiter de cette question au Sénat.

La présidente: Il est donc accepté, avec une abstention, de faire rapport de ce projet de loi sans amendement.

La séance est levée.


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