Aller au contenu
 

Délibérations du comité sénatorial permanent des Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule 57 - Témoignages


OTTAWA, le lundi 1er mars 1999

Le comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel a été renvoyé le projet de loi C-51, Loi modifiant le Code criminel, la Loi réglementant certaines drogues et autres substances et la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, se réunit aujourd'hui, à 14 h 42, pour en faire l'examen.

Le sénateur Lorna Milne (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente: Je déclare ouverte la séance du comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles.

J'ai été invitée cette semaine, en votre nom, à un déjeuner à Toronto. Vous avez tous copie du communiqué de presse rendu public à ce sujet. La Writers' Union of Canada m'a remis, à l'intention du comité, une attestation encadrée qui dit en substance:

À l'occasion de la Freedom to Read Week, la WRITERS' UNION OF CANADA remercie le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles d'avoir confirmé la liberté d'expression en contribuant à rejeter le projet de loi C-220, Loi modifiant le Code criminel et la Loi sur le droit d'auteur (fruits d'une oeuvre liée à la perpétration d'un acte criminel).

L'attestation porte la signature de William Deverell, président de la Writers' Union of Canada. Maintenant que je vous l'ai montrée, je vais la remettre à notre greffière pour qu'elle l'accroche dans son bureau.

Nous accueillons cet après-midi M. Ralph Mercier, maire de Charlesbourg et ancien président de la CUQ, et M. Marc Gagnon, directeur général de la Société de développement économique du Saint-Laurent.

La parole est à vous.

[Français]

M. Ralph Mercier, maire de Charlesbourg, ancien président de la CUQ: Nous vous remercions d'avoir accepté de nous recevoir et de nous entendre sur ce projet de loi modifiant le Code criminel, particulièrement en ce qui concerne les casinos sur les navires de croisière.

À titre de représentant de la Communauté urbaine de Québec et membre du conseil d'administration de l'Office du tourisme et des congrès, permettez-moi de vous présenter la position de notre organisation et de ses 13 maires, dont je me fais le porte-parole, par trois citations tirées d'études réalisées au cours des 10 dernières années sur les croisières dans le Saint-Laurent.

De l'avis de plusieurs observateurs de l'industrie, si ce n'était de la ville de Québec, il n'y aurait pas d'itinéraires de croisières sur le Saint-Laurent. Si ce commentaire semble exagérer l'importance de Québec comme port de croisières, il témoigne néanmoins de l'expérience unique offerte par cette ville aux voyageurs.

C'est une citation tirée de: «Analyse de l'état de l'industrie des croisières et des excursions sur les Grands Lacs, le fleuve Saint-Laurent et leurs voies navigables de jonction». Il s'agit du Rapport principal -- tome 1: les croisières, à la page 26. Cette analyse a été préparée par The Economic Planning Group pour Tourisme Canada et les provinces de l'Ontario et du Québec en mars 1991. Je cite encore:

Une enquête récente sur les compagnies qui font des croisières au Québec indiquait que c'était là -- les restrictions à l'exploitation des casinos à bord -- le problème numéro un de la navigation de croisière sur le Saint-Laurent et que ce facteur contribuait à freiner l'expansion des croisières (...).

C'est tiré également de: «Analyse de l'état de l'industrie des croisières et des excursions sur les Grands Lacs, le fleuve Saint-Laurent et leur voies navigables de jonction». Nous la retrouvons dans le rapport principal, -- tome 1, les croisières à la page 29 préparé par le même groupe que j'ai indiqué précédemment. Je citerai encore:

Pour un navire de 1 000 passagers en voyage de sept jours de New York à Montréal, il doit fermer de deux à trois jours son casino [...]. Ces pertes sont intégrées dans l'analyse comparative tant pour la zone de déploiement que pour le choix de l'itinéraire. De plus, le fait de fermer les casinos accroît l'importance d'un climat peu hospitalier [...].

C'est tiré de: «Casinos-croisières», un document technique, au chapitre 3.2, lequel a été préparé par la Société de développement économique du St-Laurent (SODES), 1994.

En appui au projet de loi C-51, ces trois citations expliquent en peu de mots pourquoi la Communauté urbaine de Québec, et tous ses partenaires économiques régionaux, appuient sans réserve la modification que veut apporter le projet de loi C-51 au Code criminel du Canada afin de permettre le fonctionnement des casinos sur les navires de croisière jusqu'à une heure avant leur arrivée et après leur départ d'un port.

Tel qu'illustré précédemment, plusieurs études ont démontré que la ville de Québec et sa région présentent un attrait majeur pour les compagnies de navigation désirant exploiter un itinéraire de croisière entre la Nouvelle-Angleterre et l'Est du Canada.

Ces mêmes études ont aussi démontré que les restrictions posées à l'exploitation des casinos à bord par le Code criminel canadien, freine le développement de cette activité économique en réduisant substantiellement les sources de revenus de ces compagnies dès qu'elles entrent dans le Saint-Laurent.

En effet, ces études attribuent à cette contrainte une part importante de la faible croissance observée des croisières océaniques dans le Saint-Laurent, et ce depuis plus de 15 ans.

La Communauté urbaine de Québec investit plusieurs millions de dollars annuellement en développement et promotion touristique; aussi, nous croyons que la présente modification au Code criminel sera de nature à encourager une amélioration importante des croisières océaniques utilisant Québec comme port d'escale.

Les croisières océaniques représentent actuellement un apport important à l'économie de la région de Québec. On peut évaluer, strictement en dépenses touristiques, cet impact à environ cinq millions de dollars annuellement. Toutefois, les croisières océaniques offrent un potentiel de développement futur beaucoup plus important. En voici quelques raisons. L'Office du tourisme et des congrès de la Communauté urbaine de Québec et le port de Québec fournissent depuis plusieurs années des efforts majeurs en matière de promotion touristique, se positionnant, entre autres, comme destination de croisière. L'augmentation de la taille des navires de croisière implique que plusieurs navires terminent leur trajet à Québec, offrant ainsi à la région la possibilité de se développer comme port d'embarquement ou destination. Le secteur des croisières est en profonde mutation alors que de nouveaux produits, comme les croisières en eaux froides, sont en développement, offrant ainsi la possibilité de positionner Québec comme port d'embarquement pour de nouvelles croisières vers le Labrador.

Tous ces commentaires expliquent l'importance pour la région de Québec d'offrir aux compagnies maritimes les conditions essentielles à un partenariat futur dans le développement non seulement des croisières océaniques actuelles, mais de nouveaux produits.

Ces projets représentent des impacts positifs potentiels pour une foule de secteurs industriels et de services sans compter ceux anticipés à l'aéroport international Jean-Lesage, permettant ainsi la consolidation de liaisons aériennes essentielles à l'internationalisation de notre économie.

En conclusion, à plusieurs occasions, la Communauté urbaine de Québec a fait parvenir au gouvernement du Canada son opinion relative à une modification au Code criminel visant à assouplir les conditions d'exploitation des casinos à bord des navires de croisières.

Vous pourrez vous référer à la résolution C-94-231 du conseil de la Communauté urbaine de Québec du 21 juin 1994 appuyant la SODES dans ses démarches à cet effet, à une lettre du 20 novembre 1995 adressée à l'honorable Allan Rock, ministre de la Justice et procureur général du Canada ou encore à une lettre du 14 août 1996 à l'honorable Stéphane Dion, ministre des Affaires intergouvernementales, lui faisant part de notre appui à la présente demande de modification du Code criminel.

Je souhaite sincèrement que l'occasion qui m'est présentée de vous faire part de vive voix de notre appui sans réserve à cette modification du Code criminel sera décisive. Votre geste permettra au gouvernement canadien d'appuyer la région de Québec dans sa volonté de développer non seulement son port, mais l'ensemble de son économie grâce à l'industrie des croisières.

Je vous remercie de l'attention portée à ma démarche et à celle des partenaires régionaux de la Communauté urbaine de Québec dans ce dossier, soit l'Office du tourisme et des congrès de la CUQ, la Chambre de commerce et d'industrie du Québec métropolitain, le port de Québec, l'aéroport international Jean-Lesage et combien d'autres.

[Traduction]

Madame la présidente, j'aimerais conclure ma déclaration dans la langue de Shakespeare.

À un certain nombre d'occasions, la Communauté urbaine de Québec a fait savoir au gouvernement du Canada ce qu'elle pensait des modifications visant à assouplir les dispositions du Code criminel régissant les casinos sur les navires de croisière.

J'aimerais attirer votre attention sur la résolution C-94-231, adoptée le 21 juin 1994 à la réunion du conseil de la Communauté urbaine de Québec, qui appuie la SODES dans ses démarches pour faire modifier la loi, ainsi que sur la lettre du 20 novembre 1995 adressée à l'honorable Allan Rock, ministre de la Justice et procureur général du Canada de l'époque, et la lettre du 14 août 1996, adressée à l'honorable Stéphane Dion, ministre des Affaires intergouvernementales, soulignant que nous approuvons la modification du Code criminel à cet égard.

J'espère sincèrement que l'occasion qui m'est offerte de vous exprimer de vive voix notre appui sans réserve à cette modification saura vous influencer. Votre décision pourrait permettre au gouvernement du Canada d'appuyer la région de la ville de Québec qui compte sur l'industrie des navires de croisière pour consolider non seulement son port, mais toute son économie.

Au nom des partenaires régionaux de la Communauté urbaine de Québec, c'est-à-dire l'Office du tourisme et des congrès de la CUQ, la Chambre de commerce et d'industrie du Québec métropolitain, le port de Québec, l'aéroport international Jean- Lesage et beaucoup d'autres, j'aimerais vous remercier de votre attention.

M. Gagnon a quelques remarques à faire sur la situation.

[Français]

Il vous exposera la position de la SODES, après quoi il nous fera plaisir de répondre à vos questions.

M. Marc Gagnon, directeur général, Société de développement économique du Saint-Laurent: J'aimerais, au nom de la Société de développement économique du Saint-Laurent, vous entretenir aujourd'hui de l'article 7 du projet de loi C-51 concernant une modification au Code criminel. La SODES, au nom de ses membres, appuie entièrement cette modification et j'apprécie l'opportunité que vous m'offrez aujourd'hui de vous présenter les raisons qui motivent cet appui.

La SODES est un organisme sans but lucratif, apolitique et bilingue, représentant la communauté maritime du Saint-Laurent. Nos membres proviennent de tous les secteurs d'activités maritimes sur le fleuve, soit les ports, les armateurs, les arrimeurs, les professionnels, les croisiéristes, les expéditeurs, les municipalités, les organisations et les organismes publics et parapublics. Notre objectif est de favoriser le développement du Saint-Laurent comme voie navigable et comme moteur de développement pour le pays.

Dans le dossier des jeux de hasard à bord des navires de croisière, nous sommes mandatés par le port de Montréal et par le port de Québec, en plus, bien sûr, de recevoir l'appui de tous nos membres.

À l'automne 1989, la SODES a réuni à Montréal tous les intervenants de l'industrie des croisières internationales sur le fleuve. Un constat a clairement été établi: il existait deux freins majeurs à la croissance de cette industrie dans l'Est du Canada, soit le climat et l'interdiction d'exploiter les casinos à bord des navires en eaux canadiennes. Si nous ne pouvions guère agir sur le premier problème, nous nous sommes attaqués au second qui est la raison de notre présence aujourd'hui.

Voilà près de 10 ans que la SODES, appuyée par ses membres et surtout par les communautés portuaires et touristiques de Montréal et de Québec, demande au gouvernement du Canada et au gouvernement du Québec d'appuyer nos efforts de développement économique en modifiant leur loi. Nous avons demandé au ministre de la Justice du Canada d'apporter une modification au Code criminel et, étant donné que l'applicaton du code est faite par les provinces, nous avons demandé au gouvernement du Québec d'adapter ses lois à cette éventuelle modification.

Je vous signale que si cette question est devenue un frein à la croissance des croisières dans le Saint-Laurent, c'est parce que en 1983, la Sûreté du Québec a fait une intervention policière sur le navire de croisière Regina Maris. À partir de ce moment, au niveau mondial, l'industrie des croisières a vu le fleuve Saint-Laurent comme une destination à éviter. Nous avons été en contact avec quatre ministres fédéraux de la Justice, participé à de nombreuses rencontres avec les fonctionnaires, préparé un mémoire détaillé décrivant la situation, participé à des réunions interministérielles, et cetera. Je mentionne ces actions pour mettre en relief la très grande satisfaction que nous avons eue lorsque le projet de loi C-51 a été adopté par la Chambre des communes le 17 novembre dernier.

Lors de nos contacts avec le gouvernement sur cette question, nous avons toujours insisté sur le fait que la modification au Code criminel que nous avons demandée était une mesure purement économique qui ne s'appliquerait vraisemblablement que sur des navires étrangers qui, dans une proportion d'environ 99 p. 100, accueillent des citoyens d'autres pays. Tous les travaux effectués ont démontré qu'il n'y a pratiquement aucun risque d'activités criminelles affectant le Canada. La Sûreté du Québec s'est penchée sérieusement sur la question et a émis un avis favorable à une ouverture des casinos sur ces navires.

De plus, cette mesure, qui ne coûtera strictement rien aux gouvernements, permettra d'augmenter leurs revenus sensiblement.

L'intérêt de la communauté maritime, portuaire et touristique du Saint-Laurent dans ce dossier est clair: augmenter le nombre de visites de navires de croisière chez nous et ainsi profiter des retombées économiques.

Bien que conscients des enjeux importants soulevés par les jeux de hasard au Canada, nous avons présenté notre demande au gouvernement fédéral en ayant l'assurance d'un impact économique positif et de l'absence d'impact social pour le pays.

Le produit de vacances croisière connaît une croissance spectaculaire de popularité partout dans le monde, et particulièrement en Amérique du Nord. En effet, depuis 1970, alors qu'on dénombrait environ 500 000 croisiéristes, l'industrie nord-américaine des croisières a connu une croissance de près de 1000 p. 100. Le taux de croissance annuel moyen de 8 p. 100 par année, de 1980 à 1998, a permis à l'industrie d'atteindre 5,4 millions de passagers en 1998.

La Cruise Line International Association prévoit que la clientèle des croisières devrait atteindre le six millions de passagers cette année. Le potentiel du marché des croisières est donc énorme, en particulier si on tient compte du fait que seulement 11 p. 100 des Américains on déjà fait l'expérience d'une croisière.

Au cours des prochaines années, on estime que ce marché représentera plus de 50 milliards de dollars à l'échelle mondiale.

Le fleuve Saint-Laurent constitue un tronçon clé de la zone de croisière Canada/Nouvelle-Angleterre. Les océaniques y naviguent principalement entre New York et Montréal, sur un circuit de sept jours. Le Saguenay, Québec et Montréal sont les points d'attraction qui déterminent le circuit sur le Saint-Laurent.

On estimait, en 1993, les retombées de l'activité des croisières dans le Saint-Laurent à dix millions de dollars au chapitre des dépenses de passagers et à six millions de dollars au chapitre des dépenses des armateurs. Les coffres gouvernementaux s'enrichissaient de 2,4 millions de dollars pour le gouvernement du Québec et de 1,2 million de dollars pour le gouvernement du Canada. Les emplois ainsi créés se situeraient autour de 320 années-personnes.

Il est essentiel de souligner ici qu'on parle d'injection directe de devises étrangères dans l'économie nationale puisque près de la totalité des passagers des croisières océaniques dans le Saint-Laurent sont des touristes étrangers. Il ne s'agit donc pas de sommes qui seraient de toute façon dépensées dans l'économie du pays, mais bien de l'équivalent de revenus d'exportation. Les emplois créés ainsi doivent être considérés comme des emplois de base.

On évalue que sur dix ans, une modification à la Loi sur l'opération des casinos à bord des navires océaniques générera des retombées minimales pour l'économie locale d'environ 65 millions et d'au plus 215 millions de dollars. Bien entendu, il s'agit d'une estimation. Toutefois, on peut affirmer avec assez de certitude que la réalité se situera entre ces deux bornes.

Il faut insister sur le fait que ces données ne concernent que le Saint-Laurent. Comme les ports des provinces atlantiques sont presque tous liés à la destination du Saint-Laurent, il faudrait ajouter les retombées économiques des provinces maritimes et de Terre-Neuve dans l'équation.

J'aimerais également mentionner le fait que faisant suite à la consultation du ministère de la Justice et à notre intervention directe, le gouvernement du Québec a appuyé notre demande de façon formelle.

De plus, en 1996, il a adopté le projet de loi 129, qui est devenu la Loi modifiant la Loi sur les loteries, les concours publicitaires et les appareils d'amusement relativement aux navires de croisières internationales. Cette loi a été conçue pour adapter les lois provinciales à une éventuelle modification du Code criminel, et prendra effet à la date d'entrée en vigueur de cette modification.

De plus, il semble que le gouvernement du Québec exercerait désormais une tolérance à l'égard des navires de croisières internationales, de l'île d'Anticosti jusqu'à l'embouchure du Saguenay. Cette mesure non officielle serait appliquée à l'instar de la Colombie-Britannique qui tolère, et ce depuis plusieurs années, l'ouverture de casinos sur les navires dès leur départ de Vancouver.

Le développement des croisières internationales sur le Saint-Laurent est intimement lié à celui des provinces atlantiques. La principale route du nord-est de l'Amérique du Nord identifiée sous le terme «Canada-Nouvelle-Angleterre», est un circuit reliant Montréal et New York, avec escales à Charlottetown, Sidney, Corner Brook, Halifax et Saint John. L'accroissement de cette activité dans le Saint-Laurent profitera donc directement aux ports et villes de ces provinces.

De plus, l'adoption du projet de loi permettra à la Colombie-Britannique de régulariser sa situation. Les croisières internationales ont des retombées remarquables pour cette province. Vancouver a accueilli près de 900 000 passagers l'an dernier, pour des retombées de plus de 200 millions de dollars. En comparaison, Québec a accueilli 43 000 passagers et Montréal 35 000 passagers.

La communauté maritime du Saint-Laurent, que nous représentons, appuie sans réserve l'amendement au Code criminel compris dans le projet de loi à l'étude par le comité. Les ports de Montréal et Québec sont assez préoccupés par la situation actuelle pour nous avoir confié le mandat de faire de cette question une priorité. Notre motivation est simple: enlever un obstacle au développement des croisières internationales sur le Saint-Laurent, obstacle identifié par les lignes de croisières elles-mêmes.

La SODES a également l'appui du comité des croisières internationales du Saint-Laurent, dont le mandat est de favoriser une concertation des intervenants impliqués pour promouvoir efficacement l'activité et le développement des croisières internationales sur le fleuve. Le comité est composé des représentants des organismes suivants: port de Québec, port de Montréal, Développement économique Canada, Tourisme Québec, Office des congrès et du tourisme du Grand Montréal, Office du tourisme et des congrès de la Communauté urbaine de Québec, Aéroports de Montréal et Société des casinos du Québec.

La SODES a également l'appui du gouvernement du Québec, notamment de Tourisme Québec, mais également des ministères des Transports, des Finances, du Revenu et de la Sécurité publique. Nous avons bien sûr aussi l'appui de la Communauté urbaine de Québec, de la Communauté urbaine de Montréal et des offices qui en découlent.

Tout en réitérant notre appui au projet de loi, il ne me reste qu'à vous remercier de votre attention et à espérer que le rapport du comité permanent soit favorable à la modification du Code criminel concernant les jeux de hasard sur les navires de croisières, une mesure à caractère économique qui aura des retombées positives pour le développement du Saint-Laurent et les autres communautés portuaires et touristiques du Canada.

Le sénateur Beaudoin: Je désire au départ vous remercier de votre exposé très clair. Sur le plan économique, vous plaidez bien votre cause, il n'y a pas de doute. Je présume que l'étude dont vous parlez est scientifique, qu'elle a été faite selon certains principes. L'aspect du Code criminel m'intéresse beaucoup. Avez-vous dit que ce nouveau projet de loi ne risque pas d'augmenter le nombre d'infractions criminelles sur les bords du Saint-Laurent? Est-ce bien là ce que vous plaidez, que cela n'augmentera pas le nombre d'infractions criminelles et, d'autre part, que cela peut favoriser le tourisme chez nous?

M. Mercier: Oui, c'est exactement, si vous le comprenez de cette façon, ce que l'on indique. Il n'y aura pas d'augmentation au niveau de la criminalité sur le Saint-Laurent ou au niveau des municipalités riveraines du Saint-Laurent.

D'autre part, il faut se rappeler que la Sûreté du Québec est déjà intervenue dans le passé pour faire cesser cette opération que l'on retrouvait sur le Saint-Laurent, à bord de certains navires, parce qu'à ce moment elle était illégale. On ne peut pas avoir une situation de tolérance de la loi nulle part au pays, encore moins au Québec. La Sûreté du Québec était intervenue à l'époque sur le navire dont parlait M. Gagnon tantôt. Jusqu'à maintenant, tout a été fait dans la plus stricte légalité sur les voies navigables du Saint-Laurent et nous osons croire qu'il n'y a pas eu de tolérance ailleurs au pays.

M. Gagnon: J'aimerais rajouter qu'ayant été impliqué dans le dossier depuis 10 ans, nous avons consulté les corps policiers pour s'en assurer, et laissez-moi vous dire que si le ministère de la Sécurité publique du gouvernement du Québec a donné son accord, c'est après plusieurs hésitations, car au départ ils voyaient les casinos comme source d'activités criminelles.

La Gendarmerie royale a été consultée, les douanes ont été consultées, les polices portuaires ont été consultées à l'époque. Selon ces corps policiers, il était impossible qu'il y ait une activité qui puisse affecter les populations, puisqu'elle était confinée aux navires et que c'était des étrangers qui étaient sur ces navires. Il n'y a pas de navires canadiens qui font des croisières, sauf à Kingston, mais c'est l'exception qui confirme la règle.

Le sénateur Beaudoin: Je ne veux pas rouvrir le débat concernant les casinos, c'est autre chose. Le Code criminel a été amendé et prévoit que c'est maintenant possible dans notre pays. Mais avant d'en étendre l'usage, ma seule préoccupation est de faire en sorte que cela n'augmente pas les risques de désordre dans notre société. C'est pour cela qu'on a un Code criminel, pour mettre un peu d'ordre dans une société. Si l'ordre établi ne se plaint pas, si toutes les questions ont été examinées et que cela n'augmente pas le risque d'infractions criminelles, c'est acceptable, car on a déjà accepté ce principe au départ.

Je suis aussi sensible à l'argument touristique. Pour les navires étrangers qui viennent sur le fleuve Saint-Laurent ou dans le golfe du Saint-Laurent, c'est sûrement un aspect important à considérer sur le plan économique, mais ce n'est pas le seul. L'autre est la question du principe du droit criminel. Si la preuve établit clairement que cela n'augmente pas les risques d'infractions, je ne m'y opposerai certainement pas.

M. Mercier: Vous avez certainement raison là-dessus. Je ne pense pas que cela crée de problèmes en raison des analyses des différents corps policiers. Cela crée une nouvelle infusion de fonds au Canada. Ce sont pour la majorité des clientèles américaines ou encore étrangères, donc ce n'est pas une manipulation de sous ou de fonds qui sont déjà à l'intérieur de notre économie, c'est une nouvelle injection de fonds à l'intérieur de notre économie. À ce niveau, avec la venue d'un nombre de navires additionnels, cela peut devenir très intéressant du point de vue économique.

Le sénateur Beaudoin: Vous avez piqué ma curiosité lorsque vous avez dit qu'il n'y a pas de bateaux canadiens qui font cela. J'aimerais savoir pourquoi car cela m'étonne.

M. Gagnon: Au Canada, nous avons une loi protectionniste qui s'appelle la Loi sur le cabotage, qui fait en sorte que pour qu'un navire batte pavillon canadien, il doit être construit au Canada et avoir un équipage canadien.

Or, il est impossible, puisque l'expérience le démontre, de rentabiliser un navire quelques mois par année à cause du climat. Il n'y a pas de navires canadiens à cause de cette loi protectionniste qui fait qu'on ne pourrait pas garder un navire immatriculé au Canada pendant six mois qui serait inutilisé à cause du climat. On ne peut pas importer un navire étranger. On peut le faire selon des dispositions assez complexes et coûteuses.

Le sénateur Beaudoin: Les lois doivent tenir compte de la géographie?

M. Gagnon: Exactement.

[Traduction]

Le sénateur Bryden: Vous avez dit que la ville de Québec attire de plus en plus de navires de croisière par rapport à Montréal. Est-ce exact?

M. Mercier: Oui, selon la taille des navires. Actuellement, Québec est une destination intéressante. La plupart des navires circulent sur le Saint-Laurent au début de l'automne, c'est-à-dire à partir du mois de septembre. Durant l'été, ils vont ailleurs, comme dans les Caraïbes, où il faut beau. Cependant, à l'automne, qui est la saison des tempêtes dans les Caraïbes ou ailleurs, les navires de croisière préfèrent naviguer sur le Saint-Laurent, et ils se rendent en particulier à Québec. Dans certains cas, bien sûr, les navires vont aussi à Montréal.

Si vous avez déjà eu l'occasion de faire une croisière sur le Saint-Laurent, vous savez qu'il y a de belles choses à voir. Québec ne fait pas exception, et Montréal est différente. Les deux villes ont leurs attraits particuliers. C'est ce que nous disons.

Le sénateur Bryden: C'est attribuable surtout au fait que les navires de croisière deviennent de plus en plus imposants et que les gros navires ne peuvent se rendre à Montréal, n'est-ce pas?

M. Gagnon: Il y a quatre navires qui, en raison de leur taille, ne pourront pas se rendre à Montréal en 1999. Ils ne peuvent pas passer sous le pont de Trois-Rivières. Par exemple, le Queen Elizabeth II ne peut aller à Montréal. L'industrie construit des navires de plus en plus gros et certains d'entre eux ne peuvent simplement pas se rendre à Montréal.

Comme M. Mercier l'a dit, Québec est un des attraits touristiques du circuit New York-Montréal.

Le sénateur Bryden: Québec est-elle une destination des bateaux de croisière pour les couleurs automnales?

M. Gagnon: En partie. Cependant, pendant l'été, la plupart des bateaux de croisière circulent en Europe et sur la Méditerranée. Pendant l'hiver, ils vont dans les Caraïbes. Aux autres moments de l'année, ils doivent trouver d'autres destinations.

Le sénateur Bryden: Si c'est seulement pour voir les couleurs automnales, je proposerais de rester dans le Canada atlantique.

M. Mercier: Du navire qui s'approche de Québec, les touristes voient le Château Frontenac et peuvent imaginer qu'il a son châtelain.

Le sénateur Bryden: Je présume que les recettes vont augmenter si on permet l'exploitation de casinos sur les navires de croisière à une distance raisonnable du port. Ces recettes qui profiteront à la région -- c'est-à-dire la région et la province -- proviennent d'activités se déroulant une fois le navire amarré, c'est-à-dire que la région ou la province ne profite pas des produits des casinos qui se trouvent à bord des navires, n'est-ce pas?

M. Gagnon: C'est exact.

Le sénateur Bryden: Je crois comprendre que, si la province en donne l'autorisation, des casinos peuvent être exploités au Québec sans qu'il y ait infraction au Code criminel.

M. Gagnon: Oui, si les casinos sont exploités par la province. Cependant, la province de Québec n'autorise aucune autre entreprise ni aucun autre particulier à exploiter des casinos. C'est un problème au Québec, le fait qu'elle ne le permette pas.

Le sénateur Bryden: Elle pourrait le permettre, toutefois?

M. Gagnon: J'imagine que oui. On ne pourrait pas exploiter de casino sur les bateaux de croisière, toutefois. C'est le problème.

M. Mercier: Pour le moment, Québec limite les endroits où les casinos sont permis. Je ne pense pas que la province permette qu'il y ait des casinos à bord des navires, parce qu'ils entreraient en concurrence directe avec les autres casinos locaux, qui sont situés à des endroits stratégiques. Je ne pense pas que le gouvernement accepterait cette solution, même plus tard.

M. Gagnon: C'est pourquoi nous n'avons pas demandé que tous les bateaux -- comme les bateaux d'excursion -- soient autorisés à exploiter un casino. Nous savions que le gouvernement du Québec ne permettrait pas la concurrence des casinos de ce genre. La situation est toutefois bien différente quand les casinos accueillent des touristes étrangers de passage au Canada.

Le sénateur Bryden: Y a-t-il un ordre de gouvernement ou un organisme qui a effectué une analyse de l'impact social indiquant que la modification de la loi concernant les jeux de hasard à bord des navires de croisière aurait des répercussions négatives sur les habitudes de jeu?

M. Gagnon: Des études ont été effectuées aux États-Unis, où il y a des bateaux-casinos sur le Mississipi mais, encore une fois, la situation est différente. D'après les études, il peut y avoir un impact social. Cependant, les casinos à bord des navires de croisière qu'on trouve au Canada sont considérés davantage comme une des commodités offertes sur le bateau, au même titre que la piscine, le restaurant, le bar ou les boutiques.

Les gens qui partent en croisière iront peut-être faire un tour au casino, mais jouer n'est pas leur but premier. Ils iront au casino un soir peut-être, et le lendemain ils iront voir un spectacle. On ne parle pas ici de bateau-casino. Dans ce cas, il n'y a pas d'impact. Les passagers des bateaux de croisière sont surtout des Américains d'âge moyen qui choisissent ce genre de voyage pour ce qu'ils vont voir et non pour les casinos. L'impact social serait minime pour eux et pour la population canadienne. Faire une croisière coûte beaucoup trop cher pour qu'on prenne le bateau dans le seul but de jouer.

Le sénateur Bryden: D'après ce que je comprends, les modifications empêchent le navire d'embarquer des Canadiens à Montréal et de les amener à Québec. Ces modifications l'interdisent.

M. Gagnon: Oui, non seulement les modifications l'interdisent, mais aussi la loi sur le cabotage. Les navires en sont empêchés; ils doivent faire escale dans un autre port.

La présidente: Oui, mais ils pourraient embarquer des gens à Halifax, par exemple, et faire escale à Saint-Pierre et Miquelon avant d'entrer à Québec.

Le sénateur Bryden: C'est un circuit auquel je n'avais pas pensé.

M. Mercier: La présidente a trouvé une façon de contourner le problème.

Le sénateur Bryden: Ce que je veux dire, c'est que l'argent dépensé dans les casinos à bord des navires de croisière -- dans la mesure où il est interdit de le dépenser dans la Voie maritime du Saint-Laurent -- serait probablement dépensé une fois que le navire aurait levé l'ancre, de toute façon.

Il ne s'agit pas ici de venir sur le Saint-Laurent pour embarquer de nouveaux passagers et, par conséquent, faire des affaires avec des Canadiens.

M. Gagnon: Vous avez raison. Les propriétaires de navire trouvent la loi gênante, parce que, premièrement, ils perdent des recettes. Deuxièmement, il s'agit d'un service habituellement offert aux passagers et ils ne peuvent l'offrir sur le Saint-Laurent. À l'heure actuelle, le casino ferme vers l'île d'Anticosti. Le casino ne peut être exploité dans le golfe, ce qui correspond à près d'un tiers du circuit. C'est donc pendant une période de temps assez longue que l'un des services n'est pas offert.

Le sénateur Bryden: Cela ne va peut-être pas vous surprendre, mais à une époque, le bar des avions au Canada était ouvert en fonction de l'espace aérien traversé et de l'heure de la journée. Il semble que je m'en prenne toujours à l'Ontario, mais à titre d'exemple, si l'avion survolait l'Ontario et «Toronto la pure», le bar était fermé; si l'avion survolait le Québec, le bar restait ouvert jusqu'à 2 heures du matin.

Si je comprends bien, les navires de croisière essayent d'offrir tout un ensemble de services. Si l'un de ces services n'est pas offert pendant une période de temps assez longue, les passagers ne sont pas satisfaits; le service à la clientèle en souffre.

[Français]

Le sénateur Fraser: Jusqu'à maintenant, les croisières ne sont pas des croisières-casinos, elles offrent un casino comme un atout de plus. Avec le changement de la loi, croyez-vous que l'on risque de voir de vraies croisières-casinos faisant appel aux joueurs en leur disant qu'ils vont passer une semaine à bord tout en jouant à longueur de journée, qu'ils feront escale tout en remontant le fleuve soit à Pointe-au-Pic ou à Montréal, où il y a de beaux casinos, créant ainsi une nouvelle industrie avec des problèmes sociaux ou autres que cela entraîne?

M. Gagnon: La crainte du ministère de la Sécurité publique au Québec était que l'on commence à construire ces navires. Nous avons fait la démonstration hors de tout doute qu'il serait impossible de le faire. Il y a deux facteurs à cela. Premièrement, il n'y a pas d'industries de croisières domestiques viables au Canada et, deuxièment, il y a des lois protectionnistes au Canada.

S'il y a des lois protectionnistes au Canada, c'est parce qu'aux États-Unis, on en a enlevé de l'ALÉNA, parce que les États-Unis ont insisté. Cette situation risque de durer pour les 50 prochaines années. Cela nous apparaît totalement impossible d'avoir une industrie viable des croisières domestiques.

Le sénateur Fraser: N'y a-t-il pas de croisières américaines qui viennent ici?

M. Gagnon: Peut-être qu'il y a des gens qui prennent une croisière pour jouer, mais avec la multiciplicité des casinos qui existent en Amérique du Nord maintenant, il n'est certes pas nécessaire de payer de 500 à 1 000 $ par jour par personne pour embarquer sur ces navires à seule fin de jouer. Présentement, ce sont des navires luxueux. D'ailleurs un des problèmes que nous avons dans le Saint-Laurent est d'attirer des bateaux bas de gamme ou un peu mieux pour prolonger la saison, mais cela ne fonctionne pas. L'industrie est faite ainsi.

Nous avons vérifié pour voir s'il n'y aurait pas moyen de rassurer le ministère en question, mais cela coûterait trop cher puisqu'il y a des casinos disponibles un peu partout, que ce soit à Montréal, Windsor, Hull, Charlevoix ou ailleurs.

Le sénateur Pépin: Êtes-vous satisfaits de l'amendement qui est proposé au projet de loi?

M. Gagnon: Nous sommes très satisfaits. Comme disait M. Mercier, c'est de l'injection de monnaie étrangère, de l'exportation. Notre motivation est de développer nos ports afin que les communautés portuaires puissent profiter des avantages qui en résulteraient, tels Vancouver avec 200 millions de retombées ou même Halifax, qui prévoit plus de 100 000 passagers cette année. Cela vaut la peine.

[Traduction]

Le sénateur Wilson: Si je comprends bien, les exemptions contribuent au bien public et le Code criminel a été modifié en 1959 pour permettre des exemptions. Je me demande comment vous pourriez définir l'expression «bien public» dans ce cas précis.

Par ailleurs, si je comprends bien, le droit de la mer est la loi à laquelle sont assujettis les navires en pleine mer -- et non pas la loi d'un pays. Que dire alors du caractère exécutoire et des mesures de contrôle dans ces conditions?

M. Gagnon: Lorsqu'un navire entre dans les eaux canadiennes, il relève de la justice ou du droit canadien.

Le sénateur Wilson: Qu'arrive-t-il s'il enfreint le droit de la mer?

M. Gagnon: Ce n'est pas possible, car lorsqu'un navire entre, par exemple, dans les eaux canadiennes, il relève de la compétence canadienne, et cetera.

Pour ce qui est du bien public, cette question a été soulevée lorsque nous avons communiqué pour la première fois avec les gouvernements fédéral et provincial dans le but de déterminer s'ils pourraient en tirer profit. Nous avons prouvé que c'était impossible sauf si l'industrie touristique et l'industrie portuaire bénéficiaient d'impacts économiques très positifs. Par conséquent, les profits nets réalisés par les lignes de navigation dans les casinos restent privés. Il s'agit d'une industrie internationale et, en tant que telle, on ne peut pas voir comment les provinces pourraient recevoir une part des bénéfices d'un propriétaire de navire qui passe par le Saint-Laurent ou qui arrive au Canada. Ce n'est pas faisable.

Cette activité va prendre de l'ampleur au Canada; nous pensons que cela sera suffisant pour les gouvernements et sera à l'avantage de l'économie en général, sans qu'il n'y ait d'impact négatif.

Le sénateur Wilson: Vous l'évaluez seulement au plan économique?

M. Gagnon: Oui, c'est cela.

M. Mercier: Cette modification permettra d'augmenter le nombre de croisières sur le Saint-Laurent; par conséquent, les gens qui viennent dans ces ports, qu'il s'agisse de Montréal ou de Québec, iront dans les magasins locaux. Cet impact économique est très important, car il peut maintenir des emplois ou en créer de nouveaux.

Le sénateur Wilson: On a demandé plus tôt si des études sur un impact social avaient été faites et vous avez dit que non, ce qui a piqué ma curiosité.

M. Gagnon: C'est exact. Nous ne cherchons pas à savoir si cela a un impact sur les étrangers. Nous parlons d'une industrie dont 99 p. 100 des clients sont des étrangers; 95 p. 100 sont des Américains, essentiellement du Midwest.

Le sénateur Wilson: Votre collègue vient juste de souligner les merveilleux avantages pour les Canadiens.

M. Gagnon: Cet avantage se traduit sous forme d'emplois connexes.

Le sénateur Wilson: Lorsqu'il y a interaction, il y a nécessairement un impact social. Je ne voudrais pas me lancer dans ceci sans savoir clairement ce qui se produit dans d'autres régions et ce qui se passe au Canada, ainsi que ce qui pourrait se passer au Canada.

M. Gagnon: Lorsque je pense aux impacts sociaux, je pense aux impacts du jeu.

Dès le début, nous avons bien dit qu'il ne s'agit pas d'une question de jeu, mais d'une question économique. Cela ne se passe pas au Canada. Cela se passe dans les eaux canadiennes, mais cela n'a pas d'impact sur les Canadiens. C'est ce que déclarent également les forces de police. Lorsque nous leur avons demandé quelle était leur position, elles n'ont pas été d'accord pour commencer; toutefois, après avoir examiné la situation, elles se sont déclarées d'accord, car il n'y a aucun risque de développer une industrie canadienne, il n'y aucun risque que cela ait un impact sur les Canadiens.

La présidente: Monsieur le sénateur, j'imagine que vos questions portent davantage sur l'article 6, qui vise les jeux de dés.

Le sénateur Wilson: Je le sais.

La présidente: Il s'agit essentiellement de jeux d'argent à bord d'un navire immatriculé dans un autre pays. Il s'agit d'encourager les touristes à bord de ces navires à dépenser de l'argent dans les ports canadiens, bien que cela n'introduise pas les jeux d'argent dans les ports canadiens.

Le sénateur Wilson: Avec tout le respect que je vous dois, je veux le vérifier, car je ne crois pas qu'il n'y ait aucun impact lorsqu'un navire de croisière vient dans les eaux canadiennes et qu'il y a interaction avec des Canadiens. Il doit nécessairement y en avoir.

La présidente: Certains des chiffres que vous avez cités ne sont pas clairs. Vous avez parlé de près 2,4 millions de dollars pour la province du Québec, de 1,2 millions de dollars pour le gouvernement fédéral et vous avez ensuite parlé de 65 millions de dollars dans le Saint-Laurent uniquement, et plus tard, de 200 millions de dollars. Peut-être pourriez-vous expliquer de nouveau ces chiffres, au cas où j'aurais mal compris.

M. Gagnon: Nous pensons que l'impact économique sera de 215 millions de dollars sur 10 ans. Je pourrais laisser à la greffière une étude que nous avons faite à ce sujet en 1994; il s'agit des chiffres de 1993, mais rien n'indique qu'ils ont changé.

La présidente: Ce serait à peu près les mêmes.

[Français]

Le sénateur Beaudoin: Si jamais un vaisseau comme celui-là devenait un casino flottant, il faudrait probablement modifier nos lois. Le but que vous poursuivez ne serait probablement pas atteint. Je suis tout à fait d'accord avec le tourisme, à ce que l'on échange nos services et nos produits avec les Américains, les Mexicains, et cetera. Mais vient un moment où notre politique relative au casino entre en jeu. On a déjà eu un débat là-dessus. On permet à ces entreprises d'opérer sous certaines conditions. Cela m'apparaît tout à fait vivable. Si jamais le commerce maritime faisait en sorte que cela serait difficile de demeurer à l'intérieur de cette philosophie, il serait toujours temps de modifier nos lois et vous devrez probablement revenir devant nous à ce moment, si jamais cela arrive.

M. Mercier: C'est un fait qu'il faut traverser le pont lorsqu'on est rendu à la rivière. Si cela avait été une occasion intéressante pour les entreprises établies dans les croisières, probablement qu'il y en aurait déjà beaucoup à l'heure actuelle sur les différentes parties de l'hémisphère, mais je ne pense pas que ce soit le cas.

Le sénateur Beaudoin: On ne sait jamais, il y a des problèmes qui sont soulevés dans les domaines des sports, par exemple. On reste maître de notre culture canadienne. Je ne pense pas qu'elle soit menacée par cet amendement. Si jamais les bateaux étaient transformés en casinos flottants, l'objectif du tourisme ne serait pas atteint. Je serais plus réticent à ce moment. Tant mieux si cela a des retombées économiques et touristiques pour les provinces atlantiques, le Québec, et pourquoi pas, pour le Canada.

[Traduction]

La présidente: Merci beaucoup, messieurs, d'être venus nous parler aujourd'hui.

Lorsque l'on parle d'un navire de croisière, on parle en général de jeux d'argent, de boutiques et de piscines. On ne parle jamais de bibliothèques. Je dois reconnaître que je comprends parfaitement le point de vue du sénateur Wilson.

Mme Bonnie Greene, de l'Église unie du Canada, est notre prochain témoin. Bienvenue, madame Greene, je vous cède la parole.

Mme Bonnie Greene, directrice de l'Église et de la Société, Église unie du Canada: Honorables sénateurs, je représente ici le Conseil général de l'Église unie du Canada pour lequel je travaille. Je suis également le principal auteur d'une importante étude sur l'expansion des jeux d'argent au Canada, effectuée par l'église l'année dernière.

Je veux uniquement parler des articles du projet de loi C-51 qui prévoient légaliser deux autres formes de jeux d'argent, les jeux de dés et les jeux d'argent à bord de navires de croisière. Selon la ministre, il s'agit de petites mesures qui ne vont pas sensiblement augmenter la pratique des jeux d'argent. Nous devons exprimer notre désaccord, en raison de l'importance prise par ces jeux occupent dans l'expansion des jeux d'argent au Canada depuis les quinze dernières années.

Nous vous recommandons fortement de radier ces deux articles et d'indiquer que vous n'envisagerez pas de modification de cette nature tant qu'un examen fédéral indépendant et public n'aura été fait sur les aspects sociaux, économiques et juridiques des jeux d'argent et des jeux de bienfaisance au Canada.

Comme vous le savez, le Code criminel considère que les jeux d'argent sont de nature essentiellement criminelle. Il interdit également les jeux d'argent privés ou à but lucratif. Le boom actuel des jeux d'argent au Canada s'explique par des exemptions dans le Code criminel dont des comités comme le vôtre ont été saisis dans le passé. En vertu du Code criminel, certains jeux d'argent sont licites s'ils sont limités et s'ils servent le bien public. Le code ne précise pas ce qui sert le bien public, mais pose certaines hypothèses en définissant qui peut légalement parrainer ces jeux d'argent, soit les organismes de charité et les gouvernements.

Normalement, la réglementation des jeux d'argent appartiendrait au gouvernement fédéral et la réglementation des intérêts commerciaux aux provinces. Par conséquent, les Canadiens pourraient s'attendre à ce que le gouvernement fédéral soit le protecteur de leur bien-être.

Toutefois, en 1985, les provinces et le gouvernement fédéral ont conclu une entente transférant la réglementation des jeux d'argent aux provinces. En contrepartie, le gouvernement fédéral récupère une petite part des bénéfices -- de l'ordre de 49 millions de dollars, il y a quelques années.

Ces changements ont semblé mineurs à l'époque. Toutefois, le fait est que la réglementation et les questions commerciales sont confiées presque entièrement aux provinces. Cela a créé un grave conflit d'intérêt puisque la réglementation des jeux d'argent et l'interprétation des exemptions du Code criminel relèvent des provinces, dont la dépendance de plus en plus grande à l'égard des recettes des jeux d'argent a fait l'objet de beaucoup de controverse ces quelques dernières années. D'ailleurs, en Colombie- Britannique et en Ontario, le gouvernement provincial a, ces derniers mois, cassé des décisions de conseils municipaux démocratiquement élus pour permettre l'augmentation du nombre de machines à sous afin de répondre aux besoins provinciaux en matière de recettes.

Il n'a pas été prouvé que ces plans d'expansion serviront le bien public. On ne peut les justifier qu'en fonction de leur avantage commercial.

Le boom que connaissent les jeux d'argent depuis dix ans découle de l'interprétation très agressive des exemptions actuelles du Code criminel, ainsi que de l'entrée de tiers dans les jeux d'argent au Canada, c'est-à-dire les entrepreneurs privés des jeux d'argent à but lucratif, les plus importants étant étrangers, essentiellement britanniques ou américains.

Les résultats en sont nombreux. Ceux qui intéressent le plus votre comité sont les suivants: premièrement, les intérêts commerciaux ont éclipsé les intérêts relatifs à la réglementation dans les provinces qui se servent agressivement des jeux d'argent pour développer l'économie. Deuxièmement, les gouvernements provinciaux et les organismes de charité ont servi de paravent pour les sociétés commerciales de jeux d'argent, qui ont ainsi pris pied au Canada, malgré le Code criminel. Troisièmement, une part importante des recettes produites pour le bien public est maintenant détournée vers les intérêts privés, dont certains sont étrangers, avant de servir le bien public par le truchement des dépenses d'ordre social des provinces et des organismes de charité.

Il ne s'agit pas d'entreprises minuscules ni non plus des jeux d'argent familiaux de mon enfance. Grâce à la révolution industrielle dans les jeux d'argent, et à celle qui se profile à l'horizon et dont nous ne connaissons pas vraiment l'ampleur, et grâce aussi à de très modestes changements de la loi, les jeux d'argent représentent l'un des plus grands secteurs de notre économie et l'un dont la croissance est la plus rapide. Entre 1992 et 1996, ce secteur de l'économie du Canada a connu une augmentation de 64 p. 100. Pour certains gouvernements provinciaux, ce pourcentage devrait être plus élevé. Par exemple, l'Ontario a annoncé qu'il prévoit augmenter le nombre de machines à sous qui passerait de 1 800, actuellement, à 20 000, en 2001.

Par voie de conséquence, les gouvernements provinciaux ont des rôles contradictoires. Ils sont à la fois régulateurs, entrepreneurs de jeux d'argent, promoteurs et bénéficiaires. C'est cette nouvelle relation entre le gouvernement provincial et les Canadiens qui a poussé le philosophe canadien John Ralston Saul à écrire dans la revue Canadien FundRaiser:

[...] Je considère les jeux d'argent de l'État comme l'une des plus grandes questions philosophiques de notre temps. Si vos gouvernements s'efforcent activement de vous corrompre, vous avez un problème philosophique fondamental -- si, bien sûr, vous croyez vivre dans une démocratie [...] Je ne fais pas de déclaration puriste ou idéologique. Je parle d'un problème particulier: l'État, en tant qu'organisateur et profiteur des jeux d'argent, l'État finançant le bien public en corrompant le citoyen [...]

Le gouvernement fédéral a la responsabilité de servir le bien public et d'assurer le respect du Code criminel. Malheureusement, en ce moment, le gouvernement fédéral n'a pas les outils nécessaires pour s'acquitter de cette responsabilité. À l'heure actuelle, les décisions relatives à l'ouverture d'une nouvelle exploitation de jeux d'argent ou à l'expansion d'une exploitation existante doivent être justifiées en fonction de plans d'affaires présentés par les exploitants. Certaines municipalités, à l'écoute de leurs électeurs, ont essayé de faire des évaluations sociales, économiques et juridiques dans le cadre de leur processus de prise de décision, ce qui est tout à fait responsable de leur part. Toutefois, cela a été extrêmement difficile. Premièrement, rien n'exige que de telles études soient mises à la disposition des représentants élus dans le processus de prise de décision. Deuxièmement, il n'y a pas de norme pour évaluer les propositions de jeux d'argent et de jeux de bienfaisance, y compris leur impact économique, juridique et social. Troisièmement, nous n'avons même pas de norme ou de modèle commun d'information financière et d'information du public pour l'industrie et n'avons pas non plus de normes communes de surveillance de l'industrie.

Par conséquent, les Canadiens de tout le pays n'ont rien pu faire alors que leurs conseillers municipaux subissaient des pressions non fondées de la part d'exploitants de jeux d'argent et de politiciens provinciaux. C'est la raison pour laquelle les églises du Canada ont demandé à la ministre de la Justice une enquête fédérale publique indépendante, ainsi qu'un moratoire sur l'expansion des jeux d'argent tant que l'enquête ne sera pas terminée. Nous avons pensé au modèle de la National Gambling Impact Study Commission, créée par le gouvernement américain en juin 1996 et qui doit présenter son rapport en juin de cette année. Jusqu'à présent, le ministre a déclaré que ce n'est pas nécessaire. Nous ne sommes pas d'accord.

Votre comité n'examine pas deux petites modifications qui ne contribueront pas vraiment à augmenter la pratique des jeux d'argent au Canada; vous faites deux pas de plus sur une voie menant à la transformation de la relation fondamentale entre les Canadiens et leurs gouvernements.

L'honorable Herb Gray a annoncé l'année dernière qu'il chercherait à faire adopter une loi permettant les jeux de dés de manière que le casino de Windsor puisse soutenir la concurrence avec les nouveaux casinos de Détroit. Au même moment, le porte-parole de Casino Windsor a indiqué que son casino pourrait avoir à demander que les jeux de poker et de Keno soient approuvés pour rester concurrentiel. Vous devriez attendre la présentation de ces modifications. Ce projet de loi n'est pas la fin des soi-disant «petites mesures» qui vont vous être présentées.

Votre comité ne doit pas chercher à savoir si les Canadiens ont besoin de jeux de dés et de jeux d'argent sur les navires de croisière pour améliorer leurs loisirs, mais plutôt à savoir si les Canadiens peuvent se fier au gouvernement fédéral en ce qui concerne la protection du bien public, alors qu'il y a conflit d'intérêt au niveau provincial.

Nous incitons vivement votre comité à radier ces deux modifications du projet de loi C-51 et à indiquer au gouvernement que vous allez refuser d'examiner toute modification de cette nature tant qu'une enquête fédérale publique et indépendante n'aura été faite et tant que ses recommandations n'auront pas été mises en oeuvre.

Le sénateur Beaudoin: Je ne suis pas sûr de ce que vous cherchez. D'un côté, nous savons que le droit criminel relève entièrement du fédéral, si bien que nous pouvons faire ce que nous voulons dans ce domaine. Vous dites qu'il y a un conflit d'intérêt dans les provinces entre les gains économiques qu'elles réalisent et les règlements qu'elles peuvent prendre dans le domaine des jeux d'argent. Il demeure toutefois qu'Ottawa seulement peut légiférer dans le domaine du droit criminel. Ottawa seulement peut modifier le Code criminel. Les provinces ne le peuvent pas.

Si vous avez raison, cela veut dire qu'au niveau fédéral, nous devrions adopter une loi qui limite les jeux d'argent au Canada. C'est un objectif que je respecte certainement. À mon avis, il s'agit d'une question d'équilibre.

Ceci étant dit, certaines provinces peuvent en tirer profit davantage que d'autres. Le fait est que le droit criminel est, essentiellement, uniforme dans tout le Canada.

La question fondamentale qui se pose, c'est de savoir si les jeux d'argent sont bons ou mauvais, et nous pourrions en débattre pendant de nombreux mois. Le fait est que le projet de loi C-51 modifierait le Code criminel et vous dites que ces modifications seraient mauvaises parce que, dans deux domaines particuliers, les provinces en tireraient avantage. Pour moi, la loi est bonne ou mauvaise, indépendamment de ce que font les provinces qui n'ont pas voix au chapitre en ce qui concerne le Code criminel.

Ma question est la suivante: que voulez-vous exactement? Voulez-vous que nous votions contre deux articles du projet de loi? J'aimerais en savoir davantage, car votre opposition semble être fondamentale.

Mme Greene: Ce projet de loi ne vise pas à modifier le Code criminel de manière à supprimer complètement les jeux d'argent. Par conséquent, nous avons choisi de ne parler que des deux modifications qui nous préoccupent.

L'Église unie du Canada considère qu'il ne devrait pas y avoir d'expansion. Il faudrait au contraire faire marche arrière en ce qui concerne certaines formes de jeux d'argent, notamment les jeux d'argent modernes, électroniques, à cause de leur caractère d'exploitation et de leur impact sur l'économie, les collectivités locales, les particuliers et le développement humain et social.

Nous ne disons pas que c'est le Code criminel lui-même qui est le problème. Je ne me considère pas comme spécialiste du Code criminel. N'ayant pas de lignes directrices sur la façon dont les provinces doivent assurer la surveillance en vertu du Code criminel et en faire rapport signifie qu'il y a des abus en ce moment à cause de la tentation des énormes recettes qui reviendront aux provinces. Ce sont des offres qu'il est difficile de refuser.

À l'heure actuelle, les provinces se trouvent dans une position difficile. Elles n'ont pas de directives sur la façon dont le bien public sera servi par les jeux d'argent limités qu'elles se permettent au niveau provincial. Il est impossible de l'évaluer. Nous ne disposons que de l'expérience de nos propres membres et d'autres personnes touchées par le problème. Je veux parler notamment des habitants de Vancouver qui sont en colère parce que la province a cassé leur décision, ainsi que des gens qui ont des problèmes et s'adressent à notre église pour se faire conseiller.

Dans un cas particulier, des habitants de la province de la Saskatchewan se sont tellement inquiétés de voir des agriculteurs vendre des parcelles de leur terre pour payer leurs dettes de jeu, qu'ils ont demandé à la province de renoncer à cette source de production de recettes. La province leur a répondu qu'elle avait trop besoin de cet argent et qu'elle n'y renoncerait pas. Elle n'a pas été sensible aux coûts humains.

Les provinces seront toujours tentées d'aller de plus en plus loin, car leurs besoins financiers deviendront de plus en plus grands.

Le sénateur Beaudoin: Bien que le Code criminel soit une responsabilité fédérale, les provinces s'occupent de l'administration de la justice. Toutefois, elles tirent avantage des règlements. Par conséquent, elles se retrouvent coincées entre l'administration de la justice et les avantages du système. C'est la vie. C'est quelque chose que nous devons évaluer et équilibrer. Puisque l'administration de la justice est de compétence provinciale, certaines provinces peuvent aller trop loin, contrairement à d'autres. Devrions-nous modifier le Code criminel pour cette raison?

Mme Greene: Ce n'est pas ce que je vous demande de faire. La province vous a demandé d'élargir les exemptions du Code criminel. Ce que je vous demande, c'est de ne pas le faire. Vous ne pouvez pas pour l'instant prouver de quelque façon que ce soit que les exemptions actuelles du Code criminel servent le bien public. Vous n'avez pas les outils pour le faire. Par conséquent, il serait imprudent de les élargir davantage sans avoir la preuve de cet effet. C'est la raison pour laquelle les États-Unis ont créé une commission.

Le sénateur Beaudoin: Vous nous demandez de dire «non» aux provinces parce qu'elles en ont déjà trop.

Mme Greene: Oui et parce qu'elles en demandent davantage alors que rien ne prouve qu'elles agissent dans l'intérêt public. Si les Américains ont établi leur commission, c'est parce qu'ils se posaient aussi la question.

Le sénateur Pearson: C'est rare que nous recevions quelqu'un d'aussi renseigné sur un sujet. Cela m'intéresse d'être mise au courant de la situation aux États-Unis lorsque, comme vous le dites, le rapport paraîtra en juin. S'agira-t-il d'une étude importante?

Mme Greene: Oui. Je vais vous laisser un exemplaire de la charte qu'ils ont élaborée pour leur commission nationale d'enquête sur les répercussions du jeu. La commission doit se pencher sur les politiques et les pratiques du gouvernement en matière de légalisation et d'interdiction du jeu de même que de rentabilité, et cetera. Ils doivent aller au-delà de la situation bénéfique à tous d'un entrepreneur qui présente un plan d'affaires.

Le sénateur Pearson: D'après votre expérience, dans quelle mesure les jeunes viennent-ils gonfler les rangs des joueurs?

Mme Greene: D'après un certain nombre d'études canadiennes, le taux de prévalence au jeu est plus élevé parmi les jeunes. Certains organismes autochtones, surtout en Alberta, ont découvert qu'un taux beaucoup plus élevé -- entre 10 et 15 p. 100 -- de jeunes autochtones sont aux prises avec des problèmes de jeu pathologique.

C'est un problème qui se pose chez les jeunes et qui est en partie attribuable aux machines de jeu électroniques que la plupart d'entre nous, en raison de nos pouces arthritiques, ne maîtrisons pas très bien. Ce qui n'est pas le cas des enfants. Ils sont habitués à jouer à des jeux vidéos. C'est un jeu qui s'adresse aux jeunes. Certains jeux entraînent les enfants à jouer avant qu'ils aient l'âge légal de le faire.

Le sénateur Pearson: À quel âge peuvent-ils légalement jouer?

Mme Greene: Je dirais à l'âge de 18 ans. Je me suis rendue dans une ville du nord de l'Ontario et j'y ai découvert qu'une des activités de loisirs consistait à livrer le centre commercial aux jeunes de l'école secondaire, le samedi soir, pour qu'ils jouent à des jeux sans but lucratif. On leur remet des jetons pour jouer et ils apprennent à parier comme des adultes. Il y a aussi une danse et on leur sert à manger. Les entrepreneurs qui organisaient cette activité au centre commercial ont affirmé que c'était l'événement le plus marquant en ville. Ils admettent que leur travail consiste à préparer la nouvelle génération de joueurs. À mon avis, ils préparent des parasites.

Le sénateur Pearson: Les Américains étudieront-ils l'impact du jeu sur les jeunes?

Mme Greene: Oui. Cette question a été leur force motrice.

Le sénateur Bryden: Votre dernière observation me rappelle les audiences du comité dans le cadre desquelles ont comparu des représentants de l'industrie du tabac. Ils ont soutenu que leur publicité ne visait aucunement à inciter les jeunes à fumer. En fait, ils ont affirmé qu'ils ne voulaient pas que les adolescents fument, qu'ils préféreraient qu'ils ne commencent jamais à fumer. Lorsque je leur ai demandé d'où viendraient leurs futurs clients, ils m'ont dit qu'ils ne connaissaient pas la réponse à la question.

Je comprends entièrement votre point de vue. Vous dites que, en rejetant ces amendements, nous ne changerons pas le monde. C'est un peu comme le petit garçon qui met son doigt dans la brèche -- il empêchera peut-être l'eau de couler pendant un certain temps.

Nous sommes devant une situation très difficile. Il aurait fallu se poser une grande question avant que notre société se mette à profiter de la faiblesse des gens pour rechercher du capital. Nous sommes habitués à ce que, à la plupart des paliers, les gouvernements recueillent d'importantes sommes d'argent par l'entremise de ce que nous appelons couramment «les saintes taxes» sur l'alcool et le tabac. La dernière de ces saintes taxes, qu'ils ont appelée une sainte taxe volontaire, s'applique au jeu.

En Amérique du Nord nous avons essayé par le passé d'interdire ces «péchés». Dans le cas de l'alcool, nous l'avons fait au Canada en criminalisant la production et la consommation d'alcool. Dans le cas du tabac, la tentative en vue d'interdire cette substance a consisté à en fixer le prix à un niveau qui aurait dû limiter le nombre d'adolescents qui pouvaient en acheter. Cependant, cela a simplement donné lieu à un nouveau péché, la contrebande grâce à laquelle beaucoup de gens se sont énormément enrichis.

Il est peu probable que nous pourrions à cette étape-ci revenir complètement en arrière en ce qui concerne le dernier péché que le gouvernement peut taxer, c'est-à-dire le jeu. Cependant, j'appuie votre tentative d'obtenir un examen sérieux de toutes les répercussions de cette mesure législative. Vous avez dit que ce qui se passe maintenant n'est que la pointe de l'iceberg. Faisiez-vous allusion au fait qu'il sera possible très bientôt de jouer sur Internet?

Mme Greene: Cela se fait déjà.

Le sénateur Bryden: Comment cela affectera-t-il notre capacité à contrôler le jeu?

Mme Greene: Je ne crois pas que nous ayons pour l'instant de réponses en ce qui a trait à la façon dont nous pourrons réglementer Internet. Cela ne veut pas dire que vous pouvez avoir un casino dans pratiquement tout foyer, pour quiconque est branché. Je suis convaincue que nous aurons un jour ou l'autre des logiciels qui aideront les parents à bloquer les sites de jeu pour que leurs enfants ne risquent pas de famille en accédant à quelque casino en Australie, par exemple, ce qui est très facile à faire.

Quant à la question de savoir s'il s'agit du dernier péché, je réponds oui. Il y a de nombreuses suggestions quant à la façon de limiter la capacité du jeu à des fins lucratives à accaparer le champ au complet et de limiter le tort causé aux particuliers.

La dépendance croisée est un problème grave. Il arrive très souvent que les alcooliques aient aussi une dépendance au jeu. Certaines localités interdisent la consommation d'alcool là où les gens vont jouer et ce, pour essayer d'éviter le pire à la famille. Un document très poussé a été publié sur le sujet et un certain nombre de chercheurs au Canada s'y intéressent également.

Ce qui nous manque pour l'instant, c'est une étude canadienne sérieuse sur la façon d'évaluer l'impact socio-économique de ce genre de proposition sur l'essor économique d'une collectivité. Le fait est que la plupart des gens qui proposent le jeu comme levier de développement économique ne le font pas dans les villes où d'autres emplois sont offerts. Ils vont plutôt là où il n'y a pas d'espoir de faire autre chose. Le nord de l'Ontario grouille de propositions en ce sens pour sauver des petits villages. La même chose est vraie à bien des endroits du pays, et c'est un problème très grave.

Il vous faut savoir quel genre de développement humain favorise cette activité économique. Nous poserions cette question si nous devions réaliser un projet de développement dans un pays du Tiers-Monde. Nous examinerions la nature du projet et nous pencherions sur ses antécédents. Nous voudrions déterminer si cela va améliorer les qualités humaines et amener plus d'argent dans la collectivité et quelles sont les conditions requises pour y parvenir. Cependant, nous ne nous posons de telles questions au Canada et n'avons pas une masse critique d'études qui permettrait aux petites villes de profiter de l'expérience d'autres centres économiquement semblables au Canada. Jusqu'à maintenant, nous ne disposons que d'études américaines. À mon avis, une municipalité est tout à fait justifiée de dire: «Nos conditions ne sont pas nécessairement les leurs. Nous avons besoin d'études.» C'est la raison pour laquelle nous nous adressons à vous pour que vous continuiez à résister. Nous allons exercer des pressions pour que les études soient faites de l'autre côté. Je sais que ce n'est pas nécessairement de votre ressort.

Le sénateur Bryden: Il y a une autre question dont nous devons tenir compte, et c'est celle de l'équité. On nous présente ici des cas très limités pour ce qui est de ces deux amendements.

Dans un premier temps, dans le cas des navires de croisière, on y autorisera les maisons de jeu. Le problème qui se pose c'est que le Code criminel empêche à l'heure actuelle un certain nombre de ces navires de croisière de se rendre dans le golfe Saint-Laurent et de remonter jusqu'à Québec, ce qui constitue un désavantage pour la ville. À ce stade de croissance de l'industrie mondiale du casino, nous devons nous demander pourquoi notre loi devrait exercer une discrimination contre ce port d'escale, avec sa situation économique particulière, alors qu'en fait, cela n'empêchera probablement quiconque veut jouer de le faire de toute manière.

Dans un deuxième temps, il y a la concurrence, c'est ce que je crois comprendre, d'un côté à l'autre des frontières.

D'un côté, on nous demande de mettre le frein, de placer notre doigt dans la brèche. Cependant, de l'autre côté, il faut essayer aussi de tenir compte de l'aspect économique, de la question de la concurrence.

Je voulais simplement mentionner cela pour faire ressortir l'autre côté de la médaille, mais j'ai bel et bien une question. Les exceptions dans le Code criminel se fondent sur les cas où le produit des jeux d'argent ou des jeux et paris serait dans l'intérêt public. Est-ce que cela importe aux églises que les exceptions initiales été faites dans bien des cas pour avantager leurs bonnes oeuvres? Je peux peut-être recourir à une très mauvaise analogie. Alors qu'à ce moment-ci on nous demande de mettre notre doigt dans la brèche, d'endiguer le flot, on peut considérer que ce sont les églises -- et d'autres mais surtout les églises -- qui ont ouvert le robinet il y a longtemps.

Mme Greene: Laissez-moi répondre à cela en premier. C'est une bonne chose que je vienne de l'Église unie. Nous n'avons jamais utilisé ni n'utilisons de l'argent provenant de jeux du hasard. Nous ne recourons pas aux jeux du hasard dans notre église pour recueillir de l'argent. Nous recevons au moins deux ou trois appels par semaine de certaines congrégations qui nous demandent ce que nous pensons l'idée de faire tirer une courte pointe parmi les membres de notre congrégation. Cela montre le sérieux avec lequel les gens considèrent cette question. Lorsque nous avons effectué, 200 groupes au sein de l'Église unie, répartis d'un bout à l'autre du pays, avaient à coeur le bien-être de leur communauté. C'est de cette façon que nous avons obtenu nos données.

Nous nous sommes battus dès le départ contre les amendements au Code criminel. C'est tout simplement que vous n'étiez pas tous là et moi non plus. L'Église catholique, bien sûr, a dépendu des bingos parce que c'était une façon de recueillir de l'argent auprès des plus démunis, des paroissiens très pauvres.

Le sénateur Bryden: N'est-ce pas ce qui se passe à l'heure actuelle avec les casinos? Leur exploitation permet de recueillir de l'argent auprès des gens très démunis, par exemple ceux du Nouveau-Brunswick, dans des provinces très pauvres.

Mme Greene: Sauf que nous avons permis à de grandes sociétés internationales à but lucratif de devenir les partenaires silencieux des entreprises communes. C'est une autre paire de manches. Nous avons des églises partout en Asie qui rassemblent l'information depuis quelques années sur l'effet dévastateur de la venue de sociétés internationales d'opérations de jeu d'argent qui organisent des entreprises communes à l'intention des touristes dans de petits pays pauvres, comme à Goa. En anglais on parle de factory trawling. Elles arrivent tout simplement, aspirent l'argent et s'en vont ailleurs. C'est tout autre chose qu'un bingo organisé par une paroisse catholique.

Le sénateur Bryden: Peut-être en importance, mais je me demande si c'est différent.

Mme Greene: Je suis d'accord. En fait, je n'aurais jamais participé moi-même à un bingo, mais le fait est que les jeux du hasard ont connu une révolution qui a permis de faire circuler l'argent autour du monde -- il n'y a pratiquement aucun État où les jeux de hasard n'existent pas -- et d'en arriver à l'instantanéité. Vous n'avez pas de courrier qui prend vos paris et vous n'attendez pas une ou deux semaines avant d'avoir des nouvelles. Vous en entendez parler dans deux ou trois secondes. C'est différent.

L'Église catholique s'est excusée dans un certain nombre de diocèses, particulièrement aux peuples autochtones, d'avoir introduit les bingos. C'est la raison pour laquelle elle a demandé un moratoire. Elle a demandé qu'on examine la question. Les évêques à Calgary sont tout particulièrement perturbés par ce qui se passe dans cette province. Ils ne ménagent pas leurs efforts pour se rattraper.

Le sénateur Bryden: Nos églises ont de quoi s'excuser auprès de nos collectivités.

Mme Greene: C'est exact. Nous le faisons tous. Nous essayons de ne plus causer de tort.

En ce qui concerne votre observation concernant la concurrence, vous devrez toujours vous battre contre la concurrence. Il y aura toujours un autre concurrent. Si l'on se fonde sur les études qui ont été effectuées aux États-Unis -- et tout le monde connaît celle d'Atlantic City -- il est évident que, dès qu'un casino est construit, il se trouve toujours quelqu'un pour en ériger un plus beau. Vous perdez tout à coup votre avantage concurrentiel. Si vous dépendez sur le jeu pour faire rouler l'économie locale, comptez alors sur de plus en plus d'exceptions pour faire face au prochain concurrent qui s'amènera. C'est dans l'ordre des choses.

C'est important. C'est la raison pour laquelle j'ai dit qu'il y a conflit entre la réglementation et les intérêts commerciaux. À l'heure actuelle, si vous prenez votre décision en ne vous fondant que sur les intérêts commerciaux, vous risquez alors de saborder l'intérêt public.

La présidente: Merci de votre exposé. J'ai tendance à souscrire à tout ce que vous avez dit. Cependant, c'est un peu comme essayer de prendre des précautions une fois qu'il est trop tard. Cela existe depuis des années maintenant.

Mme Greene: Les jeux de hasard électroniques n'existaient pas lorsque le Code criminel a été modifié pour la première fois; des consortiums internationaux n'intervenaient pas comme principaux entrepreneurs ou financiers. Lorsque nous avons commencé, nous venions à peine de sortir de la quarantaine les jeux du hasard au Nevada. Nous n'avions aucun dossier. Ce qui n'est pas le cas maintenant. Beaucoup d'États américains ont refusé de permettre les jeux de hasard. Nous avons parcouru beaucoup plus de chemin au Canada que nos voisins du Sud parce qu'ils se tournent vers cette commission qui fera rapport sur les répercussions sur nos collectivités.

La présidente: Vous dites que cette commission fera rapport en juin. Elle a été établie en 1996, si je ne m'abuse?

Mme Greene: Oui. Ce n'est pas qu'elle soit d'accord avec tout ce que j'ai dit -- en fait ce serait probablement le contraire. Les membres de cette commission ont entendu toutes les parties, y compris l'association des jeux d'Argent, ce qui est tout à fait juste. Il faut étudier tous les aspects de cette question.

Le sénateur Pearson: Lorsque nous ferons rapport au Sénat, croyez-vous qu'il est possible de soulever cette question au sujet de l'étude? Je suis d'accord avec vous. Je crois qu'il s'agit d'un grave problème. Je m'inquiète particulièrement lorsque vous commencez à parler des intérêts commerciaux nationaux qui ont fait leur entrée au Canada.

Je m'inquiète aussi de ce qui se produira sur l'Internet. Nous devrions être prêts lorsque les gens commenceront à utiliser leurs cartes de crédit jusqu'au découvert autorisé. C'est une situation que nous devrions examiner.

La présidente: Nous pouvons bien sûr inclure un paragraphe sur cette question dans notre rapport. C'est un problème. Des agriculteurs ont perdu leur ferme. Je sais que des gens se sont suicidés dans des terrains de stationnement de casinos.

Mme Greene: Dans notre mémoire nous parlons de l'allusion du ministre à la Canada West Foundation qui effectue une étude de base sur le jeu compulsif. Elle ne porte pas sur la totalité du problème, mais il s'agit d'une des études les plus importantes jamais entreprises au Canada. Il ne s'agit pas d'une évaluation des répercussions économiques et sociales. L'organisme qui procède à l'étude n'a reçu aucune aide financière. Les fonds sont provenus directement de sources privées. Cela montre à quel point nous sommes en retard lorsqu'il s'agit de faire des études sérieuses dans ce pays.

Le sénateur Wilson: Est-ce que des municipalités ou des citoyens ont eu leur mot à dire dans l'élaboration de cet amendement qui a été proposé?

Mme Greene: Pas à ce que je sache. Nous avons demandé de rencontrer les membres du comité de la Chambre, comme l'a fait l'Evangelical Fellowship of Canada. Nous n'avons pas été invités à comparaître et j'ai été très surprise lorsque vous nous avez demandé de venir témoigner. Nous vous en remercions. J'ai fait parvenir nos documents au comité en précisant que nous savions que le rapport était presque terminé mais que nous l'exhortions à les distribuer à ses membres. Cependant, nous n'avons pas pu témoigner devant le comité.

Le sénateur Wilson: Ma question va plus loin que cela. Êtes-vous au courant d'un mécanisme par l'entremise duquel les municipalités qui ont peur de ce qui arrivera ont donné leur opinion.

Mme Greene: Non, pas à ce que je sache.

La province d'Ontario aurait sûrement fait appel au ministre pour légaliser les jeux de dés. Je suis certaine que c'est de cette façon que les choses se passeraient. Il est possible que le conseil municipal de Windsor ait demandé la participation de ses citoyens mais je n'en sais rien.

La présidente: Sénateur Wilson, ce serait une bonne question à poser aux hauts fonctionnaires lorsqu'ils comparaîtront devant nous mercredi. Je sais que les villes de Windsor et de Montréal ont exercé des pressions en ce qui concerne l'amendement relatif aux jeux de dés.

Je vous remercie de votre exposé de cet après-midi.

La séance est levée.


Haut de page