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Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule 58 - Témoignages


OTTAWA, le mercredi 3 mars 1999

Le comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, saisi du projet de loi C-51, Loi modifiant le Code criminel, la Loi réglementant certaines drogues et autres substances et la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, se réunit aujourd'hui à 15 h 45 pour examiner le projet de loi.

Le sénateur Lorna Milne (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente: Honorables sénateurs, aujourd'hui nous recevons des représentants du ministère de la Justice, M. Yvan Roy, M. Chris Ram, M. Hal Pruden ainsi que Mme Jodie vanDieen.

Est-ce que vous préférez commencer par une courte déclaration, ou bien passons-nous immédiatement aux questions?

M. Yvan Roy, avocat général principal, Section de la politique en matière de droit pénal, ministère de la Justice: Madame la présidente, nous pouvons passer immédiatement aux questions. Mes collègues sont des spécialistes en la matière, et j'espère que nous serons en mesure de répondre à toutes vos questions.

Le sénateur Bryden: Est-ce que l'un d'entre vous a assisté à nos audiences précédentes?

M. Roy: Sénateur, j'accompagnais la ministre lorsqu'elle a comparu devant le comité. MM. Ram et Pruden ont également eu l'occasion d'accompagner d'autres témoins qui ont comparu devant le comité.

Le sénateur Bryden: Si vous avez assisté à certaines audiences, vous avez dû constater qu'on avait des préoccupations. Pouvez-vous jeter une certaine lumière sur ces préoccupations soulevées par d'autres témoins?

M. Roy: Mes collègues m'ont fait part d'un certain nombre de déclarations et d'arguments présentés devant ce comité en ce qui concerne les jeux de hasard. Si c'est bien ce à quoi vous faites allusion, je peux certainement vous donner des précisions.

En ce qui concerne les jeux de hasard, la ministre a expliqué clairement lorsqu'elle a comparu que ces amendements avaient une portée très étroite et visaient deux types de situations. Pour commencer, les jeux de dés. On a dû vous dire que ce domaine mériterait peut-être plus de réflexion.

Je tiens à préciser que cet amendement a été conçu pour permettre aux provinces, qui détiennent un permis aux termes de l'article 207 du Code criminel, de se livrer à cette activité. Avec cet amendement, les institutions de charité ne sont pas autorisées à se livrer à ce genre d'activité. Par conséquent, les provinces devront décider si elles souhaitent inclure ce type de jeux de hasard avec les autres. Nous savons qu'une province au moins s'intéresse à cette possibilité pour permettre à ses entreprises de concurrencer et d'autres entreprises qui existent ou qui s'installeront de l'autre côté de sa frontière.

Pour être encore plus clair, des casinos doivent être établis dans l'État du Michigan, et en particulier à Detroit, et ils seront en concurrence directe avec les casinos canadiens. Si à cause de ces circonstances la province était dans l'impossibilité de concurrencer les Américains, le gouvernement et la ministre ont pensé que ces amendements étaient justifiés. Mais ce n'est certainement pas obligatoire.

Le ministère estime que ce nouveau type de jeux de hasard ne provoquera pas un regain d'activité dans nos casinos canadiens. En fait, les casinos actuels peuvent déjà faire beaucoup. Toutefois, si nous risquons de perdre des clients à cause de cela, il est juste de donner aux exploitants canadiens les moyens qui les mettront sur un pied d'égalité avec leurs concurrents.

Quant à l'autre amendement relatif aux jeux de hasard, il porte sur les jeux de hasard à bord des navires de croisière internationaux. La ministre et le gouvernement considèrent que cet amendement devrait favoriser le tourisme sur les deux côtes.

Nous pensons que ces effets seront plus considérables sur la côte Est que sur la côte Ouest.

Certains témoins vous ont dit qu'ils étaient en faveur de cet amendement. Ils vous ont expliqué que 99 p. 100 des gens qui profiteront de cet amendement sont des étrangers qui viennent au Canada et qui dépensent de l'argent sur le territoire canadien.

Autrement dit, cela ne poussera pas les Canadiens à jouer plus qu'ils ne le font actuellement, car ce ne sont pas les Canadiens qui sont visés par cet amendement. Comme vous aurez pu le constater, il vise exclusivement les navires de croisière internationaux. Il n'autorise pas les bateaux exploités par des intérêts étrangers et circulant sur le fleuve à organiser des jeux de hasard sur le territoire canadien.

Sénateur, la population visée, ce sont les touristes américains, principalement de la côte Est, qui font un voyage de cinq à sept jours et pénètrent dans les eaux canadiennes, parfois jusqu'à Québec, et même Montréal, pour visiter le territoire canadien. Ces exploitants de bateaux de croisière tiennent absolument à conserver leurs casinos.

Les Canadiens ne sont donc pas visés par cet amendement. Sénateur, j'espère qu'il n'y a aucune ambiguïté dans ce que je vous dis.

Nous sommes au courant des opinions exprimées devant ce comité. Nous avons consulté ces gens-là; nous avons consulté les exploitants de navires de croisière internationaux. Nous sommes certains que l'amendement n'encouragera pas les Canadiens à jouer plus qu'ils ne le font actuellement.

[Français]

Le sénateur Beaudoin: Je viens de lire le mémoire du Barreau canadien. Ils n'ont pas demandé à être entendus, mais ils ont tout de même mis le doigt sur sept, huit ou neuf points, et j'aimerais connaître votre réaction là-dessus étant donné votre expertise dans la matière. Est-ce que certains points vous impressionnent ou d'autres qui ne sont pas tellement pertinents? Quelle est votre réaction globale à cette lettre du Barreau canadien?

M. Roy: Je n'ai malheureusement pas pris connaissance de la lettre en son entier. Je pourrais cependant commenter sur les premiers éléments soulevés par le Barreau canadien, quitte à revenir aux autres une fois que j'aurai eu l'occasion d'y jeter un rapide coup d'oeil.

Relativement à l'article 2 du projet de loi, le changement proposé est extrêmement mineur. Lors de certains amendements, il a fallu repositionner certaines dispositions et c'est tout ce qu'on essaie de faire. Autrement dit, il n'y a rien de neuf dans cette disposition et la crainte du Barreau canadien que certaines expressions soient trop vagues n'est pas nouvelle. Ils avaient cette crainte parce que le texte n'a pas changé.

Quant au caractère vague, sénateur Beaudoin, vous savez mieux que quiconque que la Cour suprême s'est prononcée à quelques reprises sur ce qui peut constituer quelque chose de vague au sens inconditionnel du terme. Essentiellement, le test est de savoir s'il est impossible, avec les mots utilisés, d'avoir un débat juridique raisonnable.

Je vous dirai que les expressions soulevées ici ne m'amènent pas à croire qu'il y ait une difficulté d'ordre constitutionnel quant au caractère vague de ces dispositions. Je vous référerai à l'affaire Nova Scotia Pharmaceutical comme étant la décision de base rendue par le juge Gonthier, qui a par la suite a été suivie dans d'autres affaires, se rendant jusqu'à une décision de Canadian Pacific en 1997. Le test reste le même. À mon avis, on n'a pas de grandes craintes à avoir de ce côté. Encore une fois, le texte qui vous est présenté n'est pas nouveau. C'est du vieux.

Le sénateur Beaudoin: Si jamais ils avaient raison, ce serait dans le droit actuel?

M. Roy: Voilà.

Le sénateur Beaudoin: Ce n'est pas dans le projet de loi devant nous?

M. Roy: Non. Pour ce qui est de l'article 4 en matière d'écoute électronique, je partage les craintes du Barreau canadien, à savoir qu'il faut éviter d'utiliser des techniques d'enquête aussi envahissantes que l'écoute électronique pour tout et pour rien. Cependant, je soumettrai à ce comité que les infractions qui seraient ajoutées par l'article 4 au projet de loi pour permettre l'écoute électronique ont trait à la prostitution dans ses manifestations les plus pernicieuses. Essentiellement, toutes les infractions qui sont là tombent dans le domaine de la prostitution et c'est pour s'attaquer non pas aux personnes qui pratiquent la prostitution, mais plutôt à celles qui la génèrent et la financent. En termes clairs, par ces dispositions, on veut s'attaquer davantage aux proxénètes. Nous croyons que le moyen de s'attaquer à ce phénomène est d'utiliser l'écoute électronique. Pourquoi? Parce que les communications entre ces gens se font par des moyens électroniques. À l'heure actuelle, nous n'avons pas de moyens de nous saisir de ces communications aux fins de s'attaquer au phénomène.

C'est une recommandation qui vient des provinces qui souhaitent, lorsque c'est possible, utiliser cette technique. Elle est limitée à la disponibilité des ressources par l'État -- car ce sont des ressources considérables dépensées lors de l'écoute électronique -- et par le fait que ces demandes doivent être faites à des juges en chef, c'est-à-dire des juges de la cour supérieure dans toutes les provinces et au Québec, aux juges de la cour du Québec. Ces demandes ne sont pas faites à des juges de paix, mais bien à des juges ayant toute la formation voulue pour imposer des conditions à l'État lorsque c'est nécessaire et, évidemment, qui peuvent refuser des demandes non appropriées. Nous sommes d'accord avec la préoccupation. Nous croyons cependant que c'est une ouverture légère et surtout nécessaire pour faire des enquêtes à cet égard.

Quant à l'installation dont on nous parle à l'article 5, il faut souligner qu'il y aurait lieu, dans le texte de loi, de parler de l'installation secrète ou ouverte. Il s'agit d'une technique de rédaction ici. Lorsque nous avons discuté de cette question avec les rédacteurs au moment de la préparation de ce projet de loi, on nous a indiqué bien clairement qu'on fait d'abord une économie de mots et qu'on va généralement au concept le plus restrictif. Le concept moins restrictif est par définition inclus, alors on n'est pas obligé de toujours dire l'un ou l'autre. Lorsqu'on a le concept qui englobe le plus, on s'en satisfait.

Le sénateur Beaudoin: Le plus comprend le moins.

M. Roy: Voilà. Le professeur de droit me ramène aux bonnes vieilles maximes. Pour ce qui est de la prostitution enfantine, on souligne qu'il serait souhaitable d'avoir une sentence maximum inférieure à cinq ans, peut-être que deux ans serait suffisant. La position du gouvernement et de la ministre à l'égard de la prostitution enfantine est que ce phénomène particulièrement grave doit faire l'objet d'une réprobation sérieuse et sévère. Plusieurs nous diraient que cinq ans n'est pas suffisant, que nous devrions avoir quelque chose de beaucoup plus sévère que cela et que ramener cette infraction à une infraction de la nature de la sollicitation, telle que nous la retrouvons à l'article 213 -- la sollicitation au sens général du terme, lorsque ce sont des adultes qui la font ensemble -- nous apparaît comme étant insuffisante. Encore une fois, cinq ans pourrait paraître à plusieurs comme étant beaucoup trop bas.

Je pense que cinq ans est approprié dans les circonstances. On essaie d'établir une adéquation entre le comportement prohibé et la pénalité à y être imposé. En vertu de cette disposition, il est prohibé de communiquer avec quelqu'un aux fins d'obtenir les services sexuels d'une personne de moins de 18 ans. L'obtention de services sexuels d'une personne de moins de 18 ans devrait être punie plus sévèrement que la simple communication. La communication serait punie par cinq ans plutôt que 10 ans, 14 ans ou même la vie. Par ailleurs, descendre cela à deux ans nous semblerait un peu faible: c'est la raison pour laquelle notre proposition serait de le maintenir à ce niveau.

Vous avez les fraudes relatives aux minéraux précieux où on nous indique que le renversement du fardeau de la preuve proposé ici ne serait pas approprié. Mon commentaire là-dessus veut que ce renversement dont on parle est tout à fait conforme à ce que la Cour suprême du Canada a ordonné dans l'affaire Laba. La disposition dont il est ici question faisait l'objet d'une contestation car la disposition intérieure, celle qui doit être remplacée par celle-ci, prévoyait que le renversement du fardeau avait lieu et que l'accusé devait prouver son innocence. La Cour suprême a déterminé qu'une présomption comme celle-là est inconstitutionnelle. Par ailleurs la cour a dit de façon très claire qu'une présomption qui permet de ne pas démontrer un fait mais qui ne crée qu'un fardeau de présentation de preuve et non pas un fardeau de persuasion, qu'une telle présomption serait constitutionnelle. De fait, la cour a proposé une formulation dans sa décision, reprise dans les textes que vous avez ici.

Il s'agit d'un changement à la loi parfaitement conforme à l'édit de la Cour suprême. Vous serez familiers avec la technique du «read in», la cour disant dans cette affaire:

[Traduction]

Si vous ajoutez ces mots-là, la disposition sera constitutionnelle.

[Français]

La disposition que nous vous proposons a ces mots: «read in», donc parfaitement en conformité avec ce que la Cour suprême du Canada a requis dans cette affaire qui date des années 1994-1995.

Le commentaire au sujet de l'article 22 sur les enquêtes sur cautionnement me laisse un peu perplexe parce qu'on nous parle d'un renversement de fardeau à cet article, quand en fait, le changement prévu, à moins que nous ne parlions pas du même article 22. Mais dans le projet de loi que vous avez devant vous, cet article traite de la possibilité pour un juge d'ordonner à quelqu'un de ne pas communiquer avec cette personne en attendant que l'enquête sur cautionnement ait lieu.

Qu'est-ce qui se passe dans la réalité? Une personne est arrêtée et la personne est détenue. La Couronne a trois jours pour présenter cette personne au juge de paix pour une enquête préliminaire. Mais à l'intérieur d'un délai de 24 heures, la Couronne se doit de faire comparaître la personne. Donc vous avez un premier 24 heures et par la suite, 72 heures. La période entre la comparution et l'enquête sous cautionnement n'est pas couverte pour permettre à un juge d'ordonner à quelqu'un de ne pas communiquer avec certains individus.

On pense en particulier aux affaires de violence conjugale où les victimes voudraient bien que l'accusé n'entre pas en communication avec eux. Cette disposition va permettre au juge, lors de cette première comparution, d'ordonner qu'il n'y ait pas de communication, couvrant un trou qui existe dans la loi.

[Traduction]

Le sénateur Beaudoin: Est-ce que M. Ram a quelque chose à dire?

M. Chris Ram, conseiller juridique, Section de la politique en matière de droit pénal, ministère de la Justice: Je ne sais pas si la lettre de l'Association du Barreau canadien se réfère à l'article 22 ou à l'article 23. M. Roy vient de nous expliquer l'article 23. Il s'agit de l'article 22, qui modifie le paragraphe 515(6) du Code criminel.

La présidente: Avant que vous ne continuiez, j'aimerais signaler une erreur dans la numérotation. Ce mémoire est identique à celui qui a été envoyé à la Chambre des communes, et depuis lors on a changé la numérotation.

M. Ram: Je vous en demande pardon. Ma documentation n'est pas à jour; je continue à utiliser l'ancien système. Dans ces conditions, ces deux erreurs s'annulent mutuellement.

Ce dont ils parlent, c'est de l'ancien article 22, qui est maintenant l'article 21 du projet de loi. L'amendement au paragraphe 516(6) supprime simplement une référence au paragraphe 5(4) de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances qui y avait été incluse par inadvertance. La référence à la disposition du Code criminel porte sur des infractions qui sont passibles d'un emprisonnement à vie, et l'infraction prévue au paragraphe 5(4) de la loi réglementant certaines drogues et autres substances est passible d'un maximum de cinq ans. Autrement dit, cette mention était incorrecte. La seule chose qui change dans le paragraphe 515(6), c'est qu'on supprime cette référence inexacte.

Il est possible que le mémoire de l'Association du Barreau canadien s'inquiète de certaines dispositions de l'article 516 qui ne sont pas modifiées par le projet de loi.

M. Roy: Qu'il s'agisse de l'article 21 ou de l'article 22, c'est une préoccupation qui n'a pas de raison d'être. Il n'y a rien là qui inverse le fardeau de la preuve lors des audiences sur le cautionnement. Je ne comprends pas leur position dans ce cas-là.

J'en étais à ce passage-là de la lettre, sénateur Beaudoin, quand vous avez posé la question. Je n'ai pas encore lu le reste.

Le sénateur Beaudoin: Peut-être pourrions-nous laisser les autres sénateurs poser des questions.

Le sénateur Wilson: J'ai des questions au sujet de ce que nous avons entendu hier. À propos des jeux de hasard et de dés, on nous a dit hier que les provinces avaient un conflit d'intérêts très grave, étant responsables à la fois de la réglementation des jeux de hasard et de l'interprétation des exemptions du Code criminel. Toutefois, les provinces comptent de plus en plus sur les revenus qu'elles tirent des jeux de dés. Depuis quelques mois, en Colombie-Britannique et en Ontario, certains conseils municipaux démocratiquement élus ont vu leurs décisions annulées par les provinces, et cela a ouvert la voie à ce type d'expansion.

Qu'en pensez-vous? Les municipalités s'inquiètent des effets que cela aura pour la communauté. Leur a-t-on demandé leur avis avant de formuler ces amendements?

M. Roy: Un des amendements n'a rien à voir avec les communautés, puisqu'il ne vise pas les Canadiens. Il s'agit de l'amendement sur les casinos à bord des bateaux de croisière.

Le sénateur Wilson: Ce n'est pas de celui-là que je parle.

M. Roy: Dans ce cas, il s'agit des jeux de dés. Cet amendement a pour effet de permettre, lorsque c'est justifié -- et la décision doit être prise par les provinces -- les casinos des provinces à concurrencer les casinos de l'autre côté de la frontière.

L'accord sur les jeux de hasard que nous avons actuellement avec les provinces remonte à 1985. En fait, les documents qui ont étayé cet arrangement font partie des archives de cette Chambre. Ce sont des discussions qui ont eu lieu devant ce comité même en 1985.

En fin de compte, c'est aux provinces de décider si elles souhaitent exploiter certaines formes de jeux ou pas. Je ne suis pas d'accord quand vous dites qu'il y a un conflit d'intérêts. Les provinces, tout comme n'importe quel autre gouvernement, sont responsables de leurs actes devant la population. Chaque fois qu'on prend une décision sur la politique à suivre, il faut tenir compte d'intérêts divergents, mais cela ne signifie pas qu'il y ait conflit d'intérêts.

Lorsque cet amendement sera adopté, s'il l'est, les provinces, qu'il s'agisse de l'Ontario, du Québec ou de la Colombie-Britannique, devront déterminer si cela convient à leurs communautés, et pour ce faire elles tiendront compte de l'opinion de la population, de l'opinion de ceux qui sont contre les jeux de hasard et de l'opinion de ceux qui y voient un moyen de recueillir des fonds pour la province. Les provinces qui ont des casinos à proximité de la frontière devront tenir compte également des clients qu'elles pourraient perdre en prenant une telle décision. C'est une des multiples considérations.

Quelqu'un a parlé de conflit d'intérêts. Chaque fois que vous, honorables sénateurs, ou nous, conseillers du gouvernement, prenons une décision sur la politique à suivre, il y a toujours conflit d'intérêts si on interprète le terme d'une façon très large: il y a d'une part un intérêt qui va dans un sens et de l'autre un intérêt qui va dans l'autre sens. En fin de compte, c'est le gouvernement qui devra prendre la décision, et le gouvernement est responsable de cette décision devant son électorat. Cet amendement ne force personne à le faire, mais si vous jugez que c'est justifié, il vous en donne la possibilité.

Le sénateur Wilson: D'une façon générale, les citoyens considèrent que le gouvernement fédéral est le gardien du bien public. On a jugé que les jeux de hasard allaient dans le sens du bien public, et c'est la raison pour laquelle ces exemptions semblent aller dans le sens du bien public. Les régions de Thunder Bay et de Timmins, qui ne sont en concurrence avec aucun État américain, m'ont contactée à ce sujet, car cette politique les affecte également. Vous dites que la décision leur appartiendra. Toutefois, je vous pose la question suivante: si, avant de continuer, ce comité demandait un examen approfondi des répercussions sociales, économiques et juridiques que cela pourrait avoir sur la communauté, qu'est-ce que vous en penseriez? Nous n'avons aucune idée des répercussions sur des communautés isolées et vulnérables. Elles pourraient considérer que c'est une merveilleuse source de revenus sans s'inquiéter des répercussions sociales. Est-ce que de telles études ont été effectuées?

M. Roy: Peut-être M. Pruden, notre expert en jeux de hasard, pourra-t-il vous parler un peu des études qui ont été faites.

Mais vous posez une question plus précise, et je peux vous dire que la ministre n'a certainement pas l'intention, avec cet amendement, de favoriser la prolifération des jeux de hasard dans le pays.

Le sénateur Wilson: Ce n'est peut-être pas son intention; je vous parle des répercussions. Est-ce que nous les avons envisagées?

M. Roy: Nous ne sommes pas certains que les casinos s'agrandiront pour offrir ce type de jeux de hasard. Les exploitants disposent d'un certain espace dans leurs casinos, et ils devront décider d'installer des appareils à sous, d'autres types de jeux de hasard ou des jeux de dés, ou de ne pas le faire. Une fois cette décision prise, ils seront forcés d'éliminer d'autres types de jeux ou de réduire leur nombre.

Vous pensez peut-être que les gens joueront plus s'ils ont la possibilité de jouer aux dés, mais nous n'en sommes pas convaincus. En tout cas, ce n'est pas la raison de cet amendement. Cela dit, ce n'est pas à moi de décider si les jeux de hasard sont une bonne ou une mauvaise chose pour le Canada.

Le sénateur Wilson: Que pensez-vous de l'idée de faire un examen public, fédéral, des répercussions socioéconomiques avant de nous engager?

M. Roy: Puis-je vous demander si cette étude porterait exclusivement sur les jeux de dés?

Le sénateur Wilson: Il faut espérer que cela irait plus loin, mais si on mentionnait les jeux de dés, l'étude irait certainement plus vite.

M. Roy: Si vous parlez uniquement des jeux de dés, je ne pense pas que cela puisse avoir un tel impact. Ce n'est pas possible, parce que le contrôle de la province est considérable.

Le sénateur Wilson: Il faut que cette étude aille plus loin.

M. Roy: Si elle va plus loin, cela remet en question toute la question des jeux de hasard.

Le sénateur Wilson: Je pense en particulier à une communauté isolée dans le Nord.

M. Roy: Avant de se lancer dans une telle étude, je vous inviterais à vous référer aux discussions et aux documents présentés à ce comité en 1985. À l'époque, le Canada et les provinces s'étaient mis d'accord, et de grosses sommes d'argent avaient changé de main. Le Canada avait convenu de déposer un projet de loi et de faire tout son possible pour le faire adopter. C'est le code que nous avons actuellement. Si je ne me trompe pas, il y a dans cet accord une clause dans laquelle les parties s'engagent à ne pas invoquer l'immunité de la Couronne en cas de contestation judiciaire. Autrement dit, c'est une question qui pourrait fort bien aboutir devant les tribunaux.

À mon avis, honorable sénateur, à moins d'avoir de très bonnes raisons de penser que cela pose des problèmes majeurs, nous ferions mieux de laisser cet accord inchangé. Je le répète encore une fois et j'insiste: d'après toutes nos évaluations et projections, tout ce que nous avons examiné nous porte à croire que cela ne poussera pas les gens à jouer plus qu'ils ne le font actuellement. La seule chose, c'est que cet amendement devrait permettre au Canada de concurrencer les autres casinos sur un pied d'égalité.

Peut-être M. Pruden a-t-il quelque chose à ajouter, car c'est un expert.

M. Hal Pruden, conseiller juridique, Section de la politique en matière de droit pénal, ministère de la Justice: Je m'y connais un peu en droit des jeux de hasard, mais je suis loin d'être expert dans les domaines socio-économiques. Cela dit, je sais que certaines recherches ont été effectuées. Je sais par exemple que la province de la Nouvelle-Écosse est la seule province canadienne où une loi exige un rapport annuel sur la situation des jeux de hasard dans la province. Dans ce rapport annuel, on parle de ce qui se passe dans d'autres régions du Canada et également, si je ne me trompe pas, des recherches sociologiques et économiques effectuées.

Il y a d'autres provinces qui n'ont pas de loi dans ce sens, mais qui s'intéressent aux répercussions des jeux de hasard sur les communautés et, en particulier, sur certaines populations. Je crois qu'on cite l'Alberta, où le gouvernement s'est penché sur les répercussions des jeux de hasard sur les Premières nations et les autochtones.

Quant à une étude généralisée, il faut se souvenir que les provinces ont déjà des activités dans ce domaine. Non seulement elles exploitent des casinos, mais également elles réglementent les jeux de hasard des organismes de charité et des organismes religieux. De plus, elles offrent des services aux gens pour qui le jeu est devenu un problème. Les provinces s'intéressent directement à toutes les questions sociales, à la santé, et elles offrent des services aux gens qui ont un problème d'accoutumance. À de nombreux égards, les provinces sont donc directement intéressées, et je pense qu'il serait difficile d'étudier les effets du jeu sans leur participation. En fait, je pense qu'elles seraient très mécontentes si on les écartait d'une telle étude, car elles sont directement concernées, pas seulement lorsqu'il s'agit des casinos et des permis de jeu, mais également pour tout ce qui a trait aux services de santé.

Le sénateur Wilson: Autrement dit, les provinces sont prêtes à recoller les pots cassés lorsque quelqu'un a développé l'accoutumance. Cela ne règle pas le problème de la prévention.

Monsieur Roy, vous avez dit qu'il fallait de bonnes preuves. Ce que je dis, c'est qu'il n'existe pas à l'heure actuelle de mécanisme permettant d'obtenir de telles preuves.

Le sénateur Moore: J'aimerais en savoir davantage sur l'article 9 du projet de loi. Dans la première partie de cet article, on abroge l'article 227 de la loi.

M. Roy: C'est exact.

Le sénateur Moore: Mais ensuite, au paragraphe 9(2), on dit que l'article 227 abrogé s'applique aux cas survenus dans la période d'un an et un jour après l'entrée en vigueur de l'article 9, mais pas aux cas dans lesquels la prescription est expirée.

Si l'article 9 est appliqué de façon rétroactive, cela pourrait probablement être une violation de la Charte. Certains s'inquiéteront peut-être de ce que l'article 9 pourrait être contesté sous le régime de la Charte, si le projet de loi est adopté, en raison de son application rétroactive.

Pourriez-vous expliquer au comité pourquoi, à votre avis, une contestation de cet article proposé sous le régime de la Charte serait déboutée?

M. Roy: D'une façon générale, en droit, les dispositions ne s'appliquent pas de façon rétroactive. Cela signifie que l'on applique l'état du droit au moment où le délit a été commis. Pour faciliter la compréhension, disons par exemple que si l'article 9 proposé entrait en vigueur le 1er juillet, sans l'ajout du paragraphe (2), l'article 227 ne pourrait pas s'appliquer aux infractions commises après l'entrée en vigueur de l'article. À compter du 2 juillet 1999, l'abrogation de l'article ne s'appliquerait que si la victime des faits mourait plus d'un an plus tard.

Compte tenu de l'état actuel de la science, on nous a dit qu'il vaudrait mieux repousser cette date aussi loin que possible afin que les personnes qui commettent de telles infractions soient assujetties, dans toute la mesure du possible, aux dispositions du Code criminel en matière d'homicide. Nous avons étudié la question très sérieusement. Si la disposition ne s'applique pas de façon rétroactive, elle n'entre pas en conflit avec les dispositions de la Charte. Toutefois, le risque augmente lorsque la date est repoussée.

Pour revenir à mon exemple du 1er juillet 1999 et de l'entrée en vigueur de ce projet de loi, si les faits qui ont provoqué la mort avaient été commis en 1997, supposons -- c'est-à-dire avant la fin de la période -- nous estimons que dans un tel cas les risques de contestation sous le régime de la Charte seraient considérables. Pourquoi? Parce que la prescription est écoulée et parce que, compte tenu de la situation, il existerait un droit acquis. Par exemple, supposons que vous avez commis une infraction en 1997; nous sommes maintenant le 2 mars 1998. La prescription est expirée, et vous ne pouvez plus être accusé de meurtre. Cela fait partie des droits acquis.

La situation décrite au paragraphe 9(2) est plus complexe. Ce que l'on dit, c'est que le sort de la personne n'est pas réglé parce que les faits qui ont mené à l'infraction se sont passés cette année-là. Cela signifie qu'il n'existe pas de droit acquis. Pourquoi? Parce qu'avant que le droit soit acquis, le Parlement a décidé que ce droit n'existait plus.

Nous croyons qu'il serait possible d'invoquer de façon valable les dispositions de la Charte en cas de contestation devant un tribunal. Pourquoi? Parce qu'il n'y aurait pas de droit acquis. Le fonctionnement de la loi n'a pas modifié le statut du délinquant. Toutefois, il y a d'autres cas où le statut du délinquant est modifié en raison du fonctionnement de la loi et de la question des droits acquis, et c'est là que pourraient se poser des problèmes importants quant aux dispositions de la Charte. Les problèmes pourraient être si graves qu'il pourrait être difficile pour le gouvernement de défendre le maintien de la mesure, du point de vue constitutionnel. Dans de tels cas, notre ministre a clairement indiqué qu'elle ne veut pas faire adopter de telles dispositions. Par conséquent, nous avons rédigé cette modification qui repousse aussi loin que possible la date, compte tenu de l'état actuel du droit.

Le sénateur Joyal: Permettez-moi de revenir sur la question posée par le sénateur Wilson. Je ne suis pas certain d'avoir bien compris toutes les ramifications de sa question. À la disposition du projet de loi qui traite des jeux de dés, je comprends que cette mesure ne s'appliquerait qu'aux casinos. Comme nous l'a mentionné le sénateur Wilson, une petite ville comme Timmins ou Rimouski, entre autres, n'aurait pas le droit de présenter une demande de permis à la direction des loteries et jeux afin d'organiser un jeu de dés municipal destiné à récolter des fonds pour une activité quelconque. Si j'ai bien compris la mesure législative proposée, seuls pourraient exploiter des jeux de dés les casinos des provinces où on exploite déjà d'autres jeux, comme vous nous l'avez décrit. La province n'aurait pas l'autorisation de permettre aux municipalités ou aux organismes bénévoles de lever des fonds par ce moyen. Je ne crois pas qu'il existe de casinos dans les villes mentionnées par le sénateur Wilson. Existe-t-il des casinos provinciaux dans ces villes?

Le sénateur Wilson: Oui, mais dans la mesure proposée on parle de jeux de dés.

Le sénateur Joyal: D'après ce que je comprenais, le projet de loi limitait cette activité aux casinos exploités par les provinces. Toutefois, d'après ce qu'a dit le sénateur Wilson, je pourrais en conclure qu'une province pourrait accorder à qui bon lui semble la permission d'exploiter des jeux de dés. Je faisais une lecture différente du projet de loi. J'avais l'impression que cela se limitait aux casinos exploités par les provinces. Ai-je tort ou ai-je raison?

M. Roy: Vous avez tout à fait raison. En fait, M. Pruden, notre expert du domaine, peut vous donner une explication plus complète de cette disposition.

En bref, je vous répondrai par l'affirmative. Ce genre de jeu doit être mis sur pied et exploité par les provinces. Il ne sera pas possible d'octroyer des licences à des organismes de charité ou à des organismes religieux pour exploiter ce type d'activité. D'après le libellé de la mesure législative, ce n'est tout simplement pas possible.

M. Pruden: Sous le régime du paragraphe 207(4) du Code criminel, il existe certaines activités de jeux légitimes que la province a le droit d'exploiter, mais qu'elle ne peut permettre à quelqu'un d'autre d'exploiter au moyen d'une licence. Dans la liste de ces activités, il y a les appareils à sous, que l'on trouve dans des casinos exploités par des gouvernements provinciaux et que certaines provinces choisissent d'exploiter à d'autres endroits. Grâce à cet amendement il en ira de même des jeux de dés. Autrement dit, la province pourra exploiter des jeux de dés là où elle le choisit, mais elle ne pourra octroyer de licences à d'autres pour mettre sur pied et exploiter ces jeux de dés.

Le gouvernement provincial pourrait décider -- en consultation avec les municipalités ou selon sa volonté en matière d'exploitation du jeu -- d'exploiter un casino provincial ou un jeu de dés dans un casino caritatif titulaire d'une licence qui exploite des tables de jeux. Mais la province doit tenir compte de l'intérêt de la population de la province.

Cela nous ramène à la question qui a été posée précédemment sur les répercussions que pourrait avoir cette question sur les municipalités.

En fin de compte, il ne faut pas oublier que les municipalités sont, du point de vue légal, des créatures issues de lois provinciales. En Colombie-Britannique, la province est en conflit avec certaines de ses municipalités dans des dossiers, et elle pourrait choisir d'invoquer ses pouvoirs auprès des municipalités pour appliquer une solution qui constitue un juste milieu entre les intérêts de la province et ceux de la municipalité. Par contre, la municipalité pourrait l'emporter sur la province dans son opposition à l'exploitation d'une certaine forme de jeu dans la municipalité. C'est une question d'équilibre pour la province.

Le cas des jeux de dés sera très semblable à celui des appareils à sous. La province peut les exploiter mais ne peut autoriser par licence quelqu'un d'autre à en faire autant.

La présidente: Certaines de nos provinces ne sont pas renommées pour accéder aux voeux de leurs municipalités.

M. Ram: Si vous regardez l'amendement et la disposition du Code criminel où il est incorporé, vous verrez que les jeux de dés passent de l'alinéa 207(4)a), dans lequel se trouve la liste des jeux interdits dans tous les cas, à l'alinéa 207(4)c), dans lequel sont mentionnés les jeux que les provinces peuvent mettre sur pied et exploiter, mais pour lesquels elles ne peuvent délivrer de licences d'exploitation à d'autres. Les mots clés sont «mettre sur pied et exploiter». La province doit exercer un contrôle très fort du jeu.

Le sénateur Joyal: Merci de votre réponse. Je croyais à l'origine qu'on y appliquait le principe voulant qu'une fois que vous avez reçu l'autorisation vous ne pouvez autoriser personne à le faire à votre place.

Compte tenu des répercussions de la réglementation et de la surveillance des jeux de dés, j'aimerais qu'il soit clairement établi qu'une province ne peut autoriser une municipalité à octroyer des licences pour l'exploitation de jeux comme elle le fait pour les loteries caritatives, par exemple, dans les régions où il n'existe pas de casinos et qui ne peuvent, de ce fait, faire concurrence aux casinos des grandes villes. Pour moi, ce sont là deux choses différentes. Je voudrais qu'il soit clair qu'une province ne peut octroyer de licences à personne pour l'exploitation de jeux de dés, tout comme elle ne peut octroyer de licences à l'égard d'appareils à sous ou d'autres jeux qui sont déjà autorisés. Cela changerait tout à fait l'économie de l'autorisation déjà consentie, si l'on adoptait la mesure suggérée par le sénateur Wilson, pour permettre aux municipalités, à un moment donné, d'exploiter ce nouveau moyen de lever des fonds sans faire concurrence aux casinos provinciaux.

M. Roy: Si c'était le cas, cela poserait un problème, de toute évidence. Toutefois, les jeux de dés relèveront de la même catégorie que les appareils à sous et devront, de ce fait, être exploités par la province. Celle-ci ne pourra octroyer de licences à d'autres organisations pour exploiter ces jeux pour elle. C'est ce que prévoit la loi, et c'est l'effet qu'aura cet amendement. Les provinces devront exploiter ces jeux elles-mêmes et ne pourront octroyer de licences à des mandataires.

Le sénateur Bryden: Pourriez-vous relire la partie de l'article que vous avez lue tout à l'heure? Je n'ai pas apporté mon code avec moi.

M. Ram: L'amendement retire les mots «jeux de dés» de l'alinéa 207(4)a) pour les incorporer à l'alinéa 207(4)c). L'article 206 porte, je crois, sur les délits.

Le sénateur Bryden: Cette liste énonce ce que la province peut faire. On y parle entre autres des appareils à sous.

M. Roy: Cette disposition retire les jeux de dés de la liste des jeux interdits.

Le sénateur Bryden: Je comprends. Veuillez lire le libellé de l'article où cela se trouve maintenant. À quoi la province est-elle autorisée?

Le sénateur Joyal: Veuillez relire l'article du Code criminel où l'on trouve les mots «jeux de dés».

M. Ram: On peut lire au paragraphe 207(4):

Pour l'application du présent article, «loterie» s'entend [...]

C'est ce qui fait le lien avec l'exemption à l'article 206. On lit ensuite:

[...] «loterie» s'entend [...]

On donne la liste de certains éléments et on ajoute:

[...] à l'exception de ce qui suit:

a) un jeu de dés, un jeu de bonneteau, une planchette à poinçonner ou une table à monnaie;

Ces quatre éléments sont retirés de l'exemption et ajoutés à la disposition sur les délits.

On dit, à l'alinéa 207(4)c), dans lequel est maintenant ajoutée la disposition sur le jeu de dés:

pour l'application des alinéas (1)b) à f), les jeux, moyens, systèmes, dispositifs ou opérations mentionnés aux alinéas 206(1)a) à g) qui sont exploités [...] au sens du paragraphe 198(3).

Il s'agit du type d'exploitation décrit dans l'un des alinéas 206(1)a) à g), dans lequel se trouve la liste des activités que la province est autorisée à mettre sur pied et à exploiter.

Le sénateur Bryden: «Mettre sur pied et exploiter», voilà où j'en venais.

Le sénateur Joyal: Dit-on clairement dans le Code criminel que les provinces sont les seules autorisées à exploiter ce genre de jeux et qu'elles ne peuvent octroyer de licences à d'autres entreprises pour qu'elles le fassent à leur place?

M. Roy: On ne saurait reprocher à personne ici de ne pas comprendre cette partie du Code criminel, car elle est incompréhensible.

On ajoute, à l'article 6, à la fin de l'alinéa 207(4)c): «un jeu de dés».

M. Pruden pourra répondre aux aspects techniques de votre question.

M. Pruden: Les loteries sont définies au paragraphe 207(4) pour l'application de l'article 207, qui porte sur les exceptions aux infractions énoncées à l'article 206. On dit à l'alinéa 207(4)c): «pour l'application des alinéas (1)b) à f)». Il importe de noter que l'alinéa a) ne se trouve pas inclus dans cette disposition. Cet alinéa porte sur l'exception qui permet à un gouvernement provincial d'exploiter une loterie.

On énonce ensuite au paragraphe 207(4) ce que n'est pas une loterie. Plus loin, à l'alinéa c), on constate que les exceptions à la définition se retrouvent aux alinéas 207(1)b) à f), c'est-à-dire les activités pour lesquelles une province peut octroyer une licence. Les activités énoncées dans ce paragraphe ne peuvent être confiées à d'autres par la province au moyen de l'octroi d'une licence. Sous le régime de l'alinéa b), une province peut octroyer une licence à un organisme caritatif ou religieux. Sous le régime de l'alinéa c), la province peut octroyer une licence à une foire ou à une exposition. Sous le régime de l'alinéa d), elle peut octroyer une licence à un particulier, mais dans des cas très limités.

L'alinéa 207(4)c) définit l'exploitation de dispositifs électroniques de visualisation, d'appareils à sous et, grâce au nouvel amendement, de jeux de dés, comme les activités pour lesquelles la province ne peut octroyer de licences aux personnes décrites aux alinéas 207(1)b), c) et d).

Le sénateur Bryden: D'accord. Puis-aller un peu plus loin? L'article permet à la province de mettre sur pied et d'exploiter ces activités, et j'accepte qu'elle ne peut octroyer de licence à un casino pour le faire. Nous venons d'établir qu'une municipalité est une créature issue d'une loi provinciale. Si une administration municipale mettait sur pied et exploitait des jeux de dés, enfreindrait-elle le Code criminel?

M. Pruden: À mon avis, le Code criminel n'autorise pas une municipalité à mettre sur pied et à exploiter un jeu de dés. Mais ce serait au procureur général de chaque province de décider s'il faut entamer des poursuites.

Le sénateur Bryden: Permettez-moi de poser une autre question à ce sujet. La province n'octroie pas de licence à une entité externe. Elle délègue son pouvoir de mettre sur pied et d'exploiter une loterie à sa propre créature, c'est-à-dire à une administration municipale. Je ne vois pas en quoi ce serait impossible. Il ne s'agit pas d'une sous-délégation, mais plutôt d'une délégation directe d'une activité qui est pour elle légitime. Il ne s'agit pas d'une licence.

Le sénateur Joyal: C'est là qu'est la différence.

M. Roy: Vous êtes bien en train de demander si une province pourrait demander à une municipalité de mettre sur pied et d'exploiter des jeux pour la province, sans que cette dernière ait rien fait pour cela?

Le sénateur Bryden: Oui, ou si la province déléguait simplement son pouvoir d'exploiter ces jeux, sous le régime du Code criminel ou de la loi. Il ne s'agit pas d'une licence. C'est une délégation de pouvoir vers un organisme que la province a créé au moyen d'une loi.

La présidente: Ou peut-être vers un organisme qu'elle n'a pas créé, par exemple la société de jeux Nevada.

Le sénateur Bryden: Non. On ne pourrait octroyer de licence dans ce cas. Je le reconnais. Ce que je veux savoir, c'est si la province pourrait contourner la difficulté, même si ce n'est pas très logique. Dans un endroit comme Timmins, la province de l'Ontario pourrait décider qu'elle a le droit de mettre sur pied et d'exploiter des loteries, mais qu'elle ne peut octroyer de licences à d'autres pour le faire. Elle pourrait se demander si elle n'a pas le droit de déléguer son droit de tenir des jeux de dés à la ville de Timmins, tout comme elle délègue d'autres pouvoirs, par exemple en matière d'aide sociale.

M. Pruden: Permettez-moi de répondre à cette question de façon indirecte. À la lecture de l'alinéa 207(1)b), on constate qu'une province peut octroyer une licence à un organisme caritatif ou religieux aux fins d'exploiter une loterie et que la province peut, par un décret du lieutenant-gouverneur en conseil, préciser quel organisme mettra sur pied et exploitera la loterie. Dans ce cas, le Code criminel envisage directement la participation d'organismes qui ne sont pas nécessairement des provinces. Dans certaines provinces, on peut demander aux municipalités de permettre le jeu à des fins de charité tant que les prix ne dépassent pas un certain maximum. Je ne vois rien de semblable dans l'alinéa 207(1)a), et c'est pourquoi, à mon avis, le Code criminel n'autorise pas une municipalité à mettre sur pied et à exploiter les activités de jeux auxquelles la province est autorisée. C'est la réponse technique que je puis vous fournir.

Il y a également une réponse d'ordre pratique. Les provinces ne semblent pas pressées de permettre aux municipalités d'exploiter des appareils à sous -- et les jeux de dés feraient partie de la même catégorie. Les provinces n'ont pas pris de mesures de ce genre.

Le sénateur Beaudoin: En vertu du droit criminel, je ne vois pas comment une province peut déléguer un pouvoir à une municipalité. Il faudrait un amendement au Code criminel pour le faire. Toutefois, la province n'a pas de pouvoir en droit criminel, si bien que si une province veut déléguer un pouvoir à une municipalité dans un domaine qui relève du droit criminel, ce pouvoir doit lui être conféré dans le Code criminel. Si le Code criminel stipule qu'une province est habilitée à faire quelque chose ou peut déléguer ce pouvoir, c'est évidemment possible.

M. Roy: Très franchement, la proposition de M. Pruden me semble très convaincante. Quand c'est permis, le code est clair et spécifie que le lieutenant-gouverneur en conseil peut le faire. Ici, nous parlons du gouvernement d'une province, et le libellé est clair: «... soit seul, soit de concert avec le gouvernement d'une autre province...» Rien n'indique que quelqu'un d'autre dans la province peut le faire. Au contraire, c'est le gouvernement de la province, et s'il veut le faire avec un autre gouvernement, il faut que ce soit celui d'une autre province.

Lorsque le code indique que cela peut être fait par quelqu'un d'autre, il spécifie que le lieutenant-gouverneur en conseil peut donner la compétence à quelqu'un d'autre dans un autre article. Nous avons toujours considéré que l'alinéa (1)a) signifiait que c'était la province, et personne d'autre, qui était autorisée à mettre sur pied, gérer ou exploiter cela. Le libellé me semblait très clair. Je remercie M. Pruden de son intervention, parce que je crois que cela ne laisse aucun doute. Toutefois, ce n'est pas à moi de décider, mais à vous.

Le sénateur Bryden: Sénateur Beaudoin, si ce n'était du Code criminel, le jeu serait de compétence provinciale.

Le sénateur Beaudoin: Non. Je ne suis pas d'accord.

Le sénateur Bryden: Il s'agit de l'exploitation d'un commerce.

Le sénateur Beaudoin: Ça, c'est provincial.

Le sénateur Bryden: C'est une question de propriété et de droits civils. Une activité normalement une question de propriété de droits civils dans la province, sauf si le Code criminel l'interdit.

Le sénateur Grafstein: Ou s'il s'agit d'un pouvoir spécifique aux termes des dispositions de l'article 91.

Le sénateur Bryden: Oui. Là où je pense qu'il peut y avoir quelques difficultés à dire qu'il s'agit d'une question relevant du Code criminel, c'est que cela supprime l'interférence du Code criminel dans les droits constitutionnels des provinces en matière de propriété et de droits civils.

Le sénateur Beaudoin: C'est possible.

Le sénateur Bryden: Je ne défends pas cela. Il n'est plus question du Code criminel. Cette disposition a été supprimée. Nous sommes revenus à une situation de propriété et de droits civils, ce qui relève entièrement de la compétence provinciale. Elle peut donc faire ce qu'elle veut en matière de propriété et de droits civils, et elle peut ainsi déléguer son droit d'exploiter ce commerce à un organisme de bienfaisance.

Le sénateur Beaudoin: Seulement en droit civil.

Le sénateur Bryden: Non, aussi en common law.

Le sénateur Joyal: Le sénateur Wilson a mentionné un emplacement qui ne se trouverait pas au centre d'une grande ville, mais qu'en est-il des territoires? Le nouveau territoire du Nunavut va exister à partir du 1er avril. Pourraient-ils décider à Iqaluit d'ouvrir un casino et d'exploiter des jeux de dés, des machines à sous, et cetera?

M. Pruden: Il existe déjà un casino d'été à Dawson City, dans le territoire du Yukon. En vertu de la Loi d'interprétation, le terme «province» -- et c'est le terme que nous avons dans le Code criminel -- inclut un territoire. Le territoire du Yukon a un casino de bienfaisance autorisé l'été, et le gouvernement territorial choisit d'installer des machines à sous exploitées et gérées par le territoire au même endroit que les tables de jeux qu'il autorise un organisme de bienfaisance à exploiter. Donc, un territoire tout autant qu'une province peut exploiter et gérer des jeux de dés aux termes des dispositions de cet amendement, ou des machines à sous aux termes des dispositions existantes du Code criminel.

Le sénateur Joyal: Théoriquement, le nouveau gouvernement du Nunavut sera habilité par la Constitution à exploiter et gérer un casino à Iqaluit avec des jeux de dés, des machines à sous, et cetera.

M. Roy: Je ne dirais pas que c'est en vertu de la Constitution. C'est plutôt le droit conféré aux provinces, et donc aux territoires, par le Code criminel. Ils ont les mêmes droits qu'une province, mais ces jeux de dés doivent être exploités et gérés par eux s'ils en ont. Il n'y a pas de différence à cet égard.

Le sénateur Wilson: Je ne voulais pas dire que les municipalités voudraient avoir compétence pour gérer et contrôler les casinos et en percevoir les recettes. Dans certaines municipalités, la population a peur des répercussions sociales de ces jeux. C'est la raison pour laquelle j'ai posé la question sur les études concernant les répercussions sociales. Je sais très bien que les municipalités sont des émanations des provinces. J'ai appris cela au sein d'un groupe d'étude.

Le sénateur Joyal: Je comprends ce que veut dire le sénateur Wilson, mais les autochtones ont beaucoup discuté et ont demandé aux gouvernements provinciaux de les autoriser à mettre sur pied des casinos. Surtout en Ontario et au Québec.

Étant donné que nous parlons ici des provinces et que nous tenons compte du débat qu'a eu notre comité récemment à propos du Nunavut, j'aimerais savoir quelle serait l'incidence socioéconomique et culturelle d'un casino sur Iqaluit. Ce ne serait probablement pas exactement la même chose que s'il s'agissait de Toronto, de Montréal, de Fredericton ou d'ailleurs.

Le sénateur Beaudoin: Les territoires ne disposent que de pouvoirs délégués. Comment peuvent-ils déléguer leurs propres pouvoirs si nous, par le biais d'un amendement à la Loi constitutionnelle, ne donnons pas aux territoires le droit de déléguer? Si nous ne le leur donnons pas, ils ne peuvent déléguer leurs pouvoirs, parce qu'il s'agit déjà de pouvoirs délégués.

Le sénateur Joyal: Je dis qu'ils les exerceront eux-mêmes. Le nouveau gouvernement du Nunavut pourrait décider de mettre sur pied des casinos à Iqaluit avec les mêmes jeux que les provinces.

M. Roy: Tout comme le peuvent le Yukon et les Territoires du Nord-Ouest. Ils ne sont pas différents. C'est exactement la même chose.

Le sénateur Pearson: Ma question porte aussi sur les droits autochtones. Cet amendement permettrait-il par exemple aux casinos de Rama d'exploiter des jeux de dés? Il s'agit d'un casino provincial.

M. Pruden: Oui. Les casinos à Rama, en Ontario, et ceux que nous trouvons à quatre endroits en Saskatchewan -- avec la participation de la Fédération des nations indiennes de la Saskatchewan et d'autres -- sont des casinos qui relèvent de la compétence provinciale. Comme ils exploitent actuellement des machines à sous, ils pourraient aussi ajouter des jeux de dés. Toutefois, ce serait là une décision commerciale. Sur leur marché, ils constateront peut-être que personne ne connaît le jeu ni ne veut l'apprendre.

Le sénateur Pearson: C'est exact. C'est sur des terres de réserve.

Le sénateur Grafstein: Qu'en est-il de la question constitutionnelle?

M. Pruden: Je ne le sais, pas mais le Code criminel autorise les jeux de hasard sur ces terres.

Le sénateur Andreychuk: En Saskatchewan, les autochtones ont mis sur pied des casinos parce qu'ils avaient le droit de le faire. Il y a d'abord eu une confrontation, puis les deux parties se sont mises d'accord, ce qui n'empêche pas les autochtones de maintenir qu'ils ont le droit d'exploiter des casinos.

Le sénateur Pearson: La question n'a pas été réglée.

Le sénateur Andreychuk: Elle l'est aujourd'hui, mais elle pourrait à nouveau se poser.

M. Roy: La question des jeux de hasard autochtones et de savoir s'ils ont le droit constitutionnel d'exploiter ces maisons de jeux a été envoyée à la Cour suprême du Canada. Toutefois, je ne suis pas sûr que nous voulons nous lancer dans une explication exhaustive. Le cas dont parle le sénateur Pearson et le cas dont vous parlez en Saskatchewan reposent sur des ententes en vertu desquelles la province gère et exploite ces opérations. Certaines nations prétendent qu'elles n'ont pas besoin de traiter avec les provinces. Elles estiment qu'elles peuvent, en vertu de l'article 35 de la Charte des droits et libertés, exploiter elles-mêmes ces casinos. C'est une tout autre question. Cet amendement n'a rien à voir avec cela.

Le sénateur Pearson: Je comprends bien cela, mais vous avez dit que la Cour suprême avait été saisie de la question par deux fois.

M. Roy: En effet. La cour s'est d'abord esquivée, puis, il y a environ deux ans, elle s'est penchée sur une cause.

Le sénateur Pearson: Qu'a-t-elle décidé?

M. Roy: Vous préféreriez ne pas le savoir.

M. Pruden: La Cour suprême a été saisie de deux causes. La deuxième fois, il s'agissait d'une question de jeux de hasard concernant les autochtones. Essentiellement, la cour a déclaré que la question des droits autochtones dépendrait d'une situation précise et qu'il devait y avoir suffisamment d'éléments de preuve établissant le droit autochtone. Dans le cas précédent, elle avait déclaré qu'elle n'avait pas suffisamment d'éléments pour dire qu'il existait un droit autochtone qui pouvait, en termes modernes, représenter un grand casino commercial ou un gros bingo commercial. Si une autre Première nation voulait saisir la Cour suprême du Canada d'une question similaire, elle pourrait le faire, sachant qu'elle devrait lui présenter des éléments de preuve très convaincants.

Le sénateur Grafstein: Je lis le projet de paragraphe 207.1. Comment le gouvernement fédéral peut-il avoir compétence là-dessus? C'est international. L'alinéa c) parle d'un rayon de cinq milles marins, mais quelle compétence a le gouvernement canadien au-delà de cette limite?

M. Ram: Vous parlez de la substance du déploiement?

Le sénateur Grafstein: Oui.

M. Ram: Tout d'abord, le gouvernement canadien a compétence dans les eaux territoriales canadiennes, c'est-à-dire jusqu'à une limite de 12 milles aux termes des dispositions de l'article 4 de la Loi sur les océans. Le Canada a également compétence, bien que je ne sache pas en vertu de quelle disposition précise, sur les navires immatriculés au Canada, où qu'ils se trouvent dans le monde. Le Code criminel, en vertu de l'article 6, si je ne m'abuse, s'applique aux deux circonstances. Les infractions concernant les jeux de hasard s'appliquent déjà.

Le sénateur Grafstein: Cela nous ramène à la question générale de compétence, et il faut savoir si nous avons ou non compétence pour inclure ceci dans le code, un point, c'est tout. C'est une question de fond.

L'article 7 du projet de loi C-51 propose l'article 207.1, qui stipule notamment que:

d) selon le cas:

(ii) le navire est immatriculé au Canada ou ailleurs et il est prévu qu'une partie du voyage aura lieu à l'intérieur du Canada [...]

Est-ce ainsi que nous obtenons compétence? Si c'est au-delà des limites territoriales du Canada, je ne suis pas sûr que nous ayons compétence. Si c'est un navire immatriculé ailleurs, comment le Code criminel peut-il s'appliquer?

M. Roy: Il ne s'applique que lorsque ce navire pénètre dans les eaux canadiennes. À ce moment-là, notre compétence territoriale s'applique. Nous essayons de créer une exception pour ce genre de navires, afin qu'ils puissent poursuivre leurs activités de jeux à bord pendant qu'ils sont dans les eaux canadiennes. Sinon, nous n'avons pas compétence. S'ils se trouvent dans les eaux internationales, nous ne prétendons pas avoir compétence sur ces navires; pas du tout.

M. Ram: Essentiellement, cela veut dire que lorsque les conditions sont réunies il n'y a pas d'infraction. S'il ne s'agit pas d'un navire canadien et qu'il est en dehors des eaux canadiennes, il n'y a pas d'infraction, parce que la disposition pertinente, qui n'est évidemment pas dans le projet de loi, ne s'applique pas.

Le sénateur Grafstein: J'ai quelques difficultés avec le libellé proposé pour le sous-alinéa 207.1(1)d)(ii)A), qui stipule que:

d) selon le cas:

ii) le navire est immatriculé au Canada ou ailleurs et

(A) le voyage est d'une durée d'au moins 48 heures, se fait en partie dans les eaux internationales et comporte au moins une escale dans un port non canadien, y compris le port de départ ou de destination [...]

M. Ram: C'est une condition nécessaire à l'exemption. Si le navire poursuit un voyage qui satisfait ces conditions, la partie de ce voyage à laquelle s'appliqueraient normalement les dispositions touchant les infractions serait exemptée. C'est essentiellement l'objet de cette disposition. Il ne s'agit pas d'étendre cette exemption au-delà de la compétence géographique canadienne. Il s'agit simplement de dire que si le navire poursuit un voyage qui présente toutes ces particularités, la partie du voyage qui se fait dans les eaux canadiennes est touchée par le Code criminel. Pour le reste du voyage, il n'est pas commis d'infraction. Il faut lire cela parallèlement aux dispositions touchant les infractions, parce qu'il s'agit d'une exemption.

Le sénateur Grafstein: Je lirai la transcription, parce que ce n'est toujours pas très clair, et je ne veux pas faire perdre du temps au comité.

Le sénateur Beaudoin: Nous avons examiné le mémoire de l'Association du Barreau canadien jusqu'aux pages 3, 4 et 5. Je suis tout à fait satisfait des réponses que vous avez données à ce sujet; toutefois, vous pourriez peut-être répondre aux autres points. J'ai ici le texte français. Y a-t-il aussi un texte anglais?

La présidente: Oui.

Le sénateur Beaudoin: Il reste les questions de transfert, d'amendes, de permis, de sentences avec sursis et l'article 53 sur la fraude dans les opérations de télémarketing. L'Association du Barreau canadien ne va pas comparaître, mais nous a envoyé une note intéressante. Avez-vous eu la possibilité d'examiner ces derniers points?

M. Ram: Je vais commencer par le dernier, la fraude dans les opérations de télémarketing, qui se trouve à l'article 52 du projet de loi. C'était autrefois l'article 53. D'après ce que je vois, ce qui préoccupe l'Association du Barreau canadien, c'est l'infraction concernant le télémarketing trompeur, dont il est question dans le projet de loi C-20. Le comité a-t-il déjà vu ce projet de loi?

La présidente: Je crois qu'il a été renvoyé au comité sénatorial des banques.

M. Ram: Je pourrais en parler aux responsables du Bureau de la concurrence d'Industrie Canada qui sont chargés de ce projet de loi. Dans le projet de loi C-51 qui nous occupe, cette disposition consiste simplement à relier ces nouvelles infractions de télémarketing trompeur au système concernant les revenus tirés d'activités criminelles qui se trouve dans le Code criminel.

Le télémarketing trompeur devient un gros problème. Il semble qu'il s'agisse de plusieurs petites infractions, mais d'un nombre important de victimes, et qu'ainsi les recettes sont copieuses. L'objet de ce projet d'article est de permettre aux procureurs généraux provinciaux de cibler ces recettes, même si les infractions sont considérées comme mineures. C'est là l'objet de cet amendement. Je communiquerai ce point de vue aux responsables du projet de loi C-20. Vous voudrez peut-être en parler au comité concerné.

La présidente: Monsieur Ram, êtes-vous en train de nous dire que nous allons mettre cela dans le Code criminel alors que l'amendement à la Loi sur la concurrence, le projet de loi C-20, qui établira cette infraction, n'a pas encore été adopté?

M. Ram: Permettez-moi de clarifier la chose. C'est un amendement conditionnel. La condition est que le projet d'article soit adopté.

Le sénateur Beaudoin: Devons-nous nous préoccuper pour le moment de l'article 52, ou s'en occupera-t-on plus tard?

M. Ram: À mon humble avis, il ne faut pas vous en préoccuper si un autre comité en est saisi, parce que les questions de fond soulevées par l'Association du Barreau canadien concernent les infractions, et non pas les recettes. Il s'agit du projet de loi C-20, dont je n'ai pas le texte sous les yeux.

Le sénateur Beaudoin: Si cela ne nous concerne pas, laissons tomber.

La présidente: Je lis ici, sénateur Beaudoin, que l'Association du Barreau canadien a préparé un rapport exhaustif sur le projet de loi C-20 à présenter au comité des banques.

M. Roy: Le problème concerne le projet de loi C-20, et non pas le projet de loi C-51, d'après ce que je comprends.

Le sénateur Beaudoin: Qu'en est-il des autres questions?

Mme Jodie vanDieen, conseillère juridique, Section de la politique en matière de droit pénal, ministère de la Justice: À propos du projet d'article 33, du transfert d'ordonnances de probation, le seul amendement important consistait à ajouter le consentement du procureur général du Canada si le procureur général du Canada était le procureur concerné.

Bref, l'ordre de gouvernement qui poursuit le contrevenant a le plus d'intérêt à savoir où sera exécutée l'ordonnance de probation du contrevenant et à surveiller ce dernier. S'il devait par exemple quitter l'Alberta pour aller en Colombie-Britannique, l'agent de probation de l'Alberta veillerait à ce qu'il soit possible de le superviser en Colombie-Britannique. C'est une question d'administration.

Là encore, le seul changement à cette disposition consistait à ajouter le consentement du procureur général du Canada, le cas échéant.

En ce qui concerne la question suivante, c'est-à-dire les amendes, l'article 34 du projet de loi, le seul amendement apporté au paragraphe 734.7 du Code criminel était la nouvelle numérotation des articles en raison des modifications apportées au paragraphe 734.5, lorsque nous avons restructuré la formule pour calculer la période d'emprisonnement en cas de défaut de paiement, afin de la rendre plus facile à lire et plus facile à utiliser par les juges. Il en a résulté l'élimination de l'un des sous-alinéas. C'est le seul changement apporté au paragraphe 734.7.

Ce paragraphe permet aux gouvernements provinciaux de prendre des règlements au sujet des frais et dépenses liés au transport d'un délinquant vers un établissement correctionnel, et cela survient dans des cas où il n'a pas payé son amende. Évidemment, ces frais et dépenses sont spécifiques à chaque gouvernement, et fondés sur les frais liés au personnel des établissements correctionnels, en particulier.

En ce qui concerne l'article 35 du projet de loi, qui concerne les licences, l'amendement ajoutera le pouvoir de suspendre une licence, en plus des pouvoirs déjà prévus au Code de ne pas renouveler ou de ne pas délivrer une licence, un permis ou autre document jusqu'au paiement de l'amende au gouvernement concerné, que ce soit un gouvernement provincial ou le gouvernement fédéral.

Il y a lieu de noter que ce pouvoir est seulement l'un des nombreux moyens qu'ont les gouvernements de percevoir les amendes qui leur sont dues. Parmi les autres méthodes à leur disposition, il y a les mesures civiles pour faire payer les amendes, l'option du service communautaire, en vertu de laquelle une personne peut payer une amende en faisant du travail communautaire, et enfin un processus en vertu duquel un délinquant peut être emprisonné pour n'avoir pas payé une amende.

Le sénateur Beaudoin: Que pensez-vous de la préoccupation du barreau? Êtes-vous d'accord ou non avec ses représentants?

Le sénateur Di Nino: Si l'on suspendait un permis de conduire, ou encore si on ne le renouvelait pas ou ne le délivrait pas, les lois provinciales pertinentes -- par exemple le Code de la route de l'Ontario -- établissent des critères au sujet de ce qui peut se produire. Ces critères sont très limités et très restreints. Ils répondent à des préoccupations de cette nature dans chaque province.

M. Ram: La lettre dit:

Il peut être opportun d'accorder une exemption des rigueurs de cette disposition.

Le libellé de la disposition porte que la personne responsable de la délivrance du permis peut refuser de le délivrer ou peut le suspendre. Le responsable des permis a le pouvoir discrétionnaire de ne pas enlever le permis d'une personne dont le gagne-pain en dépend.

Mme vanDieen: Je suis d'accord avec mon collègue à ce sujet. De plus, lorsqu'un tribunal impose une amende, il évalue la capacité du délinquant de payer l'amende. Un tribunal ne doit pas imposer une amende tellement rigoureuse que le gagne-pain de la personne s'en trouve menacé.

Le sénateur Beaudoin: Vous êtes satisfaite du statu quo.

Il reste une seule question et il s'agit des commentaires contenus dans la lettre au sujet des ordonnances de sursis, dont il est question aux articles 42 et 43 du projet de loi.

Mme vanDieen: Ces commentaires portent sur les ordonnances de sursis. Le premier de ces commentaires concerne la période de 30 jours.

Au sujet de cette question, le code exige actuellement qu'une audience en cas d'inobservation des conditions soit tenue dans un délai de 30 jours suivant l'arrestation du délinquant. Dans l'affaire à laquelle fait allusion l'Association du Barreau canadien, entre autres, on a déterminé que cette disposition signifiait que l'affaire devait être entendue et résolue, ou devait avoir fait l'objet d'un jugement. Ce délai a causé des difficultés dans des endroits éloignés, et il a été difficile de terminer les audiences pour inobservation des conditions dans un tel délai.

Nous avons modifié la disposition afin de dire que l'audience pour inobservation des conditions doit commencer, au lieu d'être terminée, dans un délai de 30 jours, ou le plus tôt possible après ce délai. Nous avons maintenu le délai de 30 jours pour encourager les gouvernements et les tribunaux à régler ces questions dans les plus brefs délais, parce que certaines ordonnances de sursis concernent des peines qui ne sont parfois pas très longues. La durée maximale de la peine pouvant faire l'objet d'une ordonnance de sursis est de deux ans moins un jour. Si un délinquant fait l'objet d'une ordonnance de sursis pour une période de six mois, il est urgent de tenir une audience en cas d'inobservation des conditions.

Le sénateur Beaudoin: Au bas de la page, le barreau recommande qu'on modifie les articles 42 et 43 du projet de loi et qu'on élimine le délai de 30 jours.

Mme vanDieen: Oui, mais il n'y a plus de délai précis de 30 jours; on dit plutôt que l'audience doit avoir lieu dans un délai de 30 jours ou le plus tôt possible après ce délai, de sorte qu'il y a une certaine marge de manoeuvre. Nous parlons spécifiquement des précédents où les tribunaux ont perdu leur compétence à cause de l'expiration du délai de 30 jours.

La présidente: Vous dites en fin de compte que ce projet de loi répond aux préoccupations de l'Association du Barreau canadien.

Le sénateur Beaudoin: Est-ce exact?

Mme vanDieen: C'est exact.

Le sénateur Bryden: Monsieur Roy, vous avez fait une observation très intéressante au sujet de l'accord intervenu entre le gouvernement fédéral et les provinces sur le jeu. C'est un accord. Vous avez dit que les parties avaient convenu de renoncer à l'immunité de la Couronne. Est-ce exact?

M. Roy: C'est ce que j'ai dit, sénateur. J'ai certains documents en main. Je vous renvoie simplement, sénateur, à l'article 7 de l'accord signé le 3 juin 1985.

Le sénateur Bryden: Une renonciation à l'immunité de la Couronne signifie-t-elle qu'il y a immunité en matière de poursuites judiciaires et immunité en matière civile?

M. Roy: La meilleure réponse que je peux vous donner se trouve dans la signification des termes utilisés. On a choisi les mots dans un contexte limité. L'accord stipule que les parties reconnaissent que la teneur de cet accord est de nature commerciale. Les parties en cause s'engagent à ne pas invoquer la prérogative ou l'immunité de la Couronne dans tout différend, y compris dans toute action en justice découlant de l'accord.

Le sénateur Bryden: J'aimerais bien que le sénateur Wilson soit encore ici, car elle a certaines préoccupations, je pense, au sujet des recours concernant la dépendance par rapport à certaines substances à caractère social et des recours en raison d'un dénuement économique. Le fait est qu'aux États-Unis et au Canada, des gens qui comme moi s'adonnent à ce genre de vie sont en mesure d'intenter des recours collectifs contre des compagnies de tabac en les accusant d'avoir détruit notre santé. Cela se fait. On accorde des dommages-intérêts énormes. Le gouvernement de la Colombie-Britannique poursuit l'industrie du tabac pour récupérer les sommes dépensées en soins de santé. Les allégations sont probablement correctes.

Nous connaissons tous des cas où des familles ont subi des dommages financiers irréparables parce qu'un membre de ces familles a utilisé des machines à sous exploitées et gérées par une province. Une telle situation peut faire l'objet de poursuites devant un tribunal civil. Si la province a renoncé à toute immunité de la Couronne, une personne devrait pouvoir intenter une action en dommages-intérêts.

M. Roy: Je n'oserais pas prétendre être ce que je ne suis pas. L'immunité de la Couronne n'est pas l'une de mes spécialités. Si j'ai bien compris, la renonciation concerne les diverses parties à cet accord. Par conséquent, il y a un accord entre les provinces et le gouvernement fédéral selon lequel le gouvernement fédéral proposera une mesure législative et fera de son mieux pour la faire adopter afin que les provinces aient compétence en matière de jeu. C'est fait en échange de considérations financières. Les parties disent que si un problème survient dans le cadre de cet accord, et qu'il faut aller devant les tribunaux, aucune d'entre elles n'invoquera contre les autres l'immunité de la Couronne.

Je ne suis pas certain que la chose aille plus loin. Le texte n'est peut-être pas assez clair pour qu'on puisse dire que des recours collectifs peuvent être pris contre la Couronne, ou que la Couronne n'invoquerait pas son immunité. C'est tout ce que je peux dire.

Le sénateur Bryden: Je n'irai pas plus loin, mais si j'étais avocat, je le ferais.

Le sénateur Moore: Quant à l'exploitation de casinos par les provinces, monsieur Roy, vous avez dit, je pense, qu'en ce qui concerne les jeux de dés le nouvel article permet seulement aux provinces d'exploiter des jeux de dés, mais il ne leur permet pas d'accorder un permis à d'autres pour le faire.

Nous avons un casino à Halifax, en Nouvelle-Écosse, géré par une entreprise du Nevada. Je pense à votre commentaire sur la possibilité de rendre plus concurrentiels les casinos canadiens situés à la frontière. Qui gère le casino de 731E.14 Windsor? Est-ce une entreprise provinciale, ou est-il géré par une entreprise du Nevada? Connaissons-nous la réponse à cela?

M. Roy: Je suis allé au casino de Halifax et je sais qu'il y a là des machines à sous. Vous y êtes allé aussi.

Le sénateur Moore: J'ai regardé en bas du haut de l'escalier et j'ai vu la salle de jeu, mais je n'ai pas traversé ce seuil.

M. Roy: Pour que le casino soit légal il doit être autorisé à «mettre sur pied et ou exploiter...» par le gouvernement provincial. Je ne connais pas de jurisprudence pour interpréter cette disposition.

Le sénateur Moore: Tout tourne autour de cette interprétation.

M. Roy: Je sais que dans certaines provinces, au Québec en particulier, les casinos sont exploités directement par la province. Ils ne sont pas gérés par une entité supervisée par le gouvernement. À Halifax, je crois savoir que c'est ainsi qu'on procède. Pour ce qui est de l'Ontario, je l'ignore.

M. Pruden: D'après ce que je sais, en Ontario, dans le cas des casinos provinciaux du gouvernement à Windsor, Rama, Niagara Falls, le gouvernement fait appel à des cabinets-conseils spécialisés dans le jeu -- de grandes entreprises qui ont acquis de l'expérience aux États-Unis, par exemple. Pour le gouvernement provincial, c'est toujours la province qui met sur pied et exploite la loterie au casino provincial du gouvernement; elle reçoit l'assistance d'une société qui lui fournit de l'aide opérationnelle quotidienne ou des conseils sur la gestion des casinos.

Le sénateur Moore: Des spécialistes du jeu aident le gouvernement à gérer ses installations. C'est ce que je pensais.

M. Pruden: Le Québec suit le modèle du Manitoba, ou vice-versa, selon le point de vue. La Saskatchewan a obtenu le conseil d'experts de sociétés de casinos pour ses casinos de Regina et pour ceux des Premières nations.

Le sénateur Moore: J'étais beaucoup plus à l'aise avant d'approfondir cette question, parce que je n'avais pas mis en doute les propos de M. Roy. Toutefois, il semble que les verbes «mettre sur pied et exploiter» autorisent les provinces à délivrer des permis, dans les faits.

M. Roy: Sauf votre respect, ce n'est pas mon avis. Ce n'est pas parce que vous retenez les services d'experts de l'extérieur que vous ne mettez pas sur pied ou n'exploitez pas la loterie. Le responsable, c'est vous, et personne d'autre. Que vous embauchiez et rémunériez quelqu'un ou que vous reteniez les services d'une entreprise d'experts pour assurer l'exploitation, cela me semble quand même respecter la loi.

Si la province se contentait de livrer un permis en disant: «C'est votre exploitation à vous, et vous êtes responsable de ce qui se passe ici», je serais d'accord avec vous; par contre, je ne pense pas que ce soit le cas.

Le sénateur Moore: Elles ne le feront sans doute pas. C'est tellement lucratif que les provinces voudront que ce soit leur chasse gardée.

M. Roy: Oui.

Le sénateur Moore: Elles doivent toutefois respecter le code.

Le sénateur Grafstein: Pourriez-vous nous parler des dispositions relatives à l'écoute électronique, en particulier des articles 4 et 5, à la page 2, qui portent sur l'autorisation d'entrer dans des lieux pour enlever secrètement un dispositif caché.

M. Roy: C'est bien cela.

Le sénateur Grafstein: J'ai pris connaissance de l'article 186, qui comporte une série très complexe et très détaillée d'étapes qui doivent être franchies pour obtenir cette autorisation et la conserver.

Ce dont il est question ici, et c'est une question de politique générale et de vie privée, ce sont les cas où les autorités peuvent pénétrer secrètement dans l'habitation d'un particulier sur demande écrite ex parte pour enlever un dispositif d'écoute installé secrètement. C'est bien ça?

M. Roy: Oui.

Le sénateur Grafstein: Auparavant, ce pouvoir n'existait pas, je crois. J'ai lu l'article, et je n'ai rien vu de tel.

M. Ram: Actuellement, la loi prévoit que si vous expliquez la situation à un juge et arrivez à le convaincre qu'il y a lieu d'autoriser une surveillance électronique, vous pouvez le faire. D'après la jurisprudence, si vous avez l'autorisation de procéder à l'écoute, il est implicite dans l'autorisation que vous avez le droit d'installer le dispositif. Les corps policiers tiennent pour acquis qu'ils ont aussi l'autorisation implicite d'enlever ces dispositifs. À ma connaissance, le cas ne s'est pas posé dans la jurisprudence.

Les corps policiers ont voulu obtenir un éclaircissement pour deux raisons. D'abord, on pouvait soutenir que l'autorisation permet l'installation et l'usage du dispositif aux conditions posées par le tribunal, puis l'enlèvement de l'appareil. Que se passe-t-il si la surveillance s'effectue pendant six mois et que l'autorisation expire? L'appareil est toujours en place, mais la police n'a pas le temps et ne veut pas risquer de retourner l'enlever parce que l'enquête dure toujours. Peut-être faut-il attendre six mois avant que l'enquête ne soit terminée et que des arrestations soient faites, ou qu'elle finisse autrement. L'autorisation a expiré. Cela permet à la police de retourner plus tard sur les lieux pour enlever le dispositif.

Le sénateur Grafstein: Deux principes sont en cause ici. Il y a d'abord le mécanisme d'installation du dispositif. Le deuxième, c'est qu'à l'expiration de l'autorisation, le dispositif reste là, et la police n'est pas légalement tenue de l'enlever.

Il n'y a pas d'obligation imposée à la police. Il pourrait y avoir plusieurs cas de figure, mais je vais en prendre un qui est clair. La police a des motifs raisonnables et probables. Dans la demande d'autorisation, la police énonce des conditions très strictes, apparemment très bien rédigées, pour pouvoir entrer dans les lieux et installer secrètement le dispositif.

M. Ram: Elle doit aussi informer le tribunal de la nature des lieux, et cetera.

Le sénateur Grafstein: Oui. Je pense que la question de la pénétration dans les locaux est bien couverte. Pour ce qui est de la protection de la vie privée, il y a des motifs raisonnables et probables.

Le temps passe, l'autorisation arrive à expiration, et la police ne peut pas convaincre le tribunal qu'il existe des éléments qui laissent deviner qu'il y a eu infraction. La police a donc deux choix: ou bien elle oublie l'affaire, ou bien elle laisse le dispositif en place pour le réactiver six mois plus tard, peut-être.

M. Ram: Si elle obtient une autre autorisation.

Le sénateur Grafstein: Oui. Autre possibilité, elle peut pénétrer à nouveau dans les lieux, publics ou privés, de façon clandestine pour l'enlever.

Je veux discuter du dernier cas, pas du cas intermédiaire, parce qu'il y a un oubli que je n'ai pas vu lorsque j'ai examiné la disposition.

Pour ce qui est de l'enlèvement, nous avons maintenant autorisé la police à entrer à nouveau secrètement dans la maison d'un citoyen. La police dit soit ne pas avoir besoin des éléments de preuve, soit qu'elle n'a pas pu en rassembler suffisamment pour convaincre le tribunal de poursuivre l'écoute. Pourtant elle aura le pouvoir, en vertu de cette disposition, de récupérer le dispositif. Cela me semble être un pouvoir policier extraordinaire. Le fait de laisser le dispositif en place crée une lacune dans la loi, et il faudrait s'en occuper, parce que la police n'est pas obligée de l'enlever.

Il y a donc deux problèmes. Il y a d'abord l'obligation pour la police d'enlever le dispositif; le deuxième, c'est que s'il faut l'enlever, la police doit procéder à nouveau secrètement.

M. Ram: Je vais d'abord répondre à votre deuxième argument. On en a brièvement parlé plus tôt.

Le sénateur Grafstein: Cela rejoint la discussion que nous avons eue avec le commissaire à la protection de la vie privée. C'est quelque chose de délicat, à mon avis.

La présidente: C'est une question que nous n'avons pas soulevée par le passé, sénateur Grafstein. Il y a un autre problème, à savoir qu'à l'heure actuelle un dispositif d'écoute peut être laissé en place pour toujours.

M. Ram: En ce qui concerne l'enlèvement secret, lorsque nous avons rédigé le texte, nous avons créé le pouvoir légal d'autoriser l'enlèvement secret parce que, dans certains cas, il est certain que ce sera nécessaire. La police voudra protéger la nature de l'écoute et des dispositifs, qui peuvent être très sensibles. La cible habite peut-être toujours les lieux. La police continue peut-être son enquête et ne veut peut-être pas révéler à la cible qu'elle se poursuit. L'opération devra peut-être donc être clandestine.

Trois possibilités sont couvertes ici, et c'est pourquoi on permet au tribunal d'imposer toutes les conditions qu'il juge nécessaires. D'abord, le tribunal peut autoriser la police à pénétrer dans les lieux sans prévenir ou informer l'occupant, l'enlèvement étant entièrement secret, pour les raisons que je viens de donner. Deuxièmement, le tribunal peut autoriser la police à pénétrer dans les lieux avec avis, mais sans consentement. Autrement dit, elle peut se présenter à la porte avec une ordonnance du tribunal qui lui permet d'entrer et d'aller chercher le dispositif. Elle doit dire à l'occupant ce qu'elle fait, mais celui-ci ne peut pas l'empêcher d'entrer pour enlever l'appareil. Troisièmement, le tribunal pourrait en théorie dire que l'enlèvement ne pourrait se faire qu'avec le consentement de l'occupant.

Ce qui préoccupe la police, c'est que ces dispositifs coûtent cher: entre 20 et 20 000 $. De plus, il s'agit de technologie confidentielle. La GRC, en particulier, a consacré des sommes importantes pour créer cette technologie, et elle perdra son investissement si son fonctionnement est découvert. C'est la réponse à la question concernant l'enlèvement secret après l'expiration de l'autorisation, pour créer un nouveau pouvoir pour obtenir une autorisation.

La principale raison pour laquelle on ne fixe pas les mêmes conditions que celles de l'autorisation initiale de procéder à de l'écoute, c'est que le tribunal devait en être convaincu la première fois, sans quoi le dispositif ne serait pas en place. La police a dû convaincre le tribunal de la validité des motifs de l'enquête une fois que le dispositif est en place et qu'il faut le récupérer, ainsi que de la validité des motifs d'enquêter qui existaient au moment où l'écoute a été autorisée la première fois.

Pour ce qui est de l'atteinte à la vie privée, concernant votre autre argument, l'atteinte à la vie privée est-elle plus grande lorsque la police récupère le dispositif dès que cela est raisonnable et pratique dans le cadre de l'enquête ou lorsqu'on laisse tout simplement le dispositif en place? Il ne faut pas oublier non plus que les lieux peuvent être occupés par quelqu'un qui n'a rien à voir avec l'enquête.

Au lieu de prévoir tous ces cas de figure au moment de la rédaction, on a reconnu dans cette disposition que la police disposait de tous les éléments du dossier lorsqu'elle a reçu l'autorisation d'installer le dispositif. Le texte autorise ensuite le tribunal à imposer les conditions qu'il juge appropriées eu égard aux circonstances au moment de l'enlèvement, qui n'étaient peut-être pas les mêmes qu'à l'installation.

Le fait que la loi n'oblige pas à enlever le dispositif constitue une nouvelle question. Ce n'est pas quelque chose que nous avons envisagé au moment de la rédaction. Je le répète, je ne suis pas spécialiste du droit ou de la technologie de l'écoute électronique, mais un des sujets de préoccupation de la police, c'est qu'il existe de nombreux cas où lui imposer de récupérer les dispositifs à un moment donné, quel qu'il soit, compromettrait l'enquête ou les techniques d'enquête.

Le sénateur Grafstein: Il y a une réponse brève à cela.

M. Ram: Je crois savoir que les corps policiers veulent récupérer les dispositifs. Ils ne veulent pas les laisser là où ils pourraient être découverts et détruits. Dans la pratique, la police cherche à récupérer les dispositifs le plus rapidement possible.

Dans la plupart des cas, la question ne se pose pas. À la fin de l'enquête, une arrestation est faite, et la police a accès aux lieux, et c'est à ce moment-là qu'elle enlève les dispositifs. Cela règle le problème des occupants ultérieurs. Une fois les suspects arrêtés, les dispositifs sont enlevés. Il est toutefois possible que cela ne se produise pas.

Le sénateur Grafstein: La réponse brève à cela pourrait être l'obligation de présenter une demande ex parte à un juge pour savoir si la police doit l'enlever. De cette façon, au début et à la fin il serait nécessaire d'obtenir une décision d'un juge indépendant; ce ne serait pas la police qui déciderait. De cette façon, il y aurait une certaine protection de la population, ce qui n'est pas le cas si la décision est laissée à la police.

L'alinéa (5.2)a) se lit comme suit:

selon les modalités qu'il estime opportunes;

Du point de vue de la défense de la vie privée, cela ne donne-t-il pas trop de latitude au juge au lieu d'imposer un critère plus rigoureux?

«Modalités opportunes», c'est bien vague. Ce n'est pas exigeant du point de vue juridique, notamment s'il s'agit de l'intérêt public.

M. Ram: Le libellé provient d'une autre disposition du Code criminel.

Le sénateur Grafstein: Non, si vous consultez l'article 186, on y trouve toute une série de critères, et c'est très bien rédigé. L'autorisation doit indiquer l'infraction, le genre de communications qui pourront être interceptées, l'identité des personnes, une description générale de la façon dont les communications pourront être interceptées, puis, plus loin, «les modalités que le juge estime opportunes dans l'intérêt public». Il y a toute une hiérarchie de critères précis. Je pense que c'est bien rédigé et que le Code criminel offre une bonne protection. On trouve ensuite la disposition générale: «les modalités que le juge estime opportunes dans l'intérêt public».

Tout ce que vous faites lorsque vous enlevez cela, c'est enlever les critères plus précis pour ne conserver que «selon les modalités qu'il estime opportunes». Vous ne retenez que le critère le moins exigeant. Il me semble qu'encore une fois nous parlons d'accès clandestin par la police dans une habitation privée à la fin d'une période où, pour une ou deux raisons importantes, il n'y a pas de preuves ou il n'y a que des preuves insuffisantes, ou la police décide de ne pas aller plus loin, pour quelque raison que ce soit. Je parle de l'ancien critère par opposition au critère plus récent. La police ne trouve rien. Elle retourne sur place. Je suis d'accord avec la première idée, c'est-à-dire d'informer la personne. Si elle est innocente, vous l'informez et vous dites: «Désolés, c'est nous qui avons fait ça. Nous l'enlevons. Nous sommes les bons. Vous n'avez rien fait de mal.»

S'il y a de bons motifs d'intérêt public, par exemple si le suspect est un criminel au casier long comme le bras, je peux comprendre. Ce qui m'inquiète, c'est le cas de la personne innocente qui n'a pas de casier judiciaire. À mon avis, ce critère n'est pas assez exigeant. Je vais en rester là, parce que je vois d'où ça vient, et il est un peu injuste de soulever cette question maintenant. Je vais y réfléchir et peut-être voudrez-vous en faire autant, à moins que vous ne vouliez répondre maintenant.

M. Roy: Je peux faire une ou deux observations. Je vous invite à prendre connaissance des autres dispositions de la partie VI; voyez vous-même si vous êtes d'accord avec ce que je vais dire. La partie VI porte sur l'écoute électronique. Les conditions à remplir en droit pour obtenir une autorisation dépendent du degré d'envahissement de la méthode. Celle dont il est question à l'article 186 est la plus envahissante. C'est pourquoi les critères sont plus exigeants et vous obligent à convaincre le juge d'un certain nombre de choses.

Toutefois, le critère lui-même de l'article 186 se trouve au paragraphe 186 (1). De quoi le juge doit-il être convaincu? Que l'octroi de cette autorisation servirait au mieux l'administration de la justice ou que les autres méthodes d'enquête ont échoué. Autrement dit, l'État s'y est pris autrement et nous disons au juge que nous n'arrivons pas à épingler cette personne. Voilà donc le critère auquel il faut répondre. Sur la foi de cette information, le juge donnera une autorisation qui renfermera les éléments énoncés au paragraphe 4 de l'article 186.

Le sénateur Grafstein: Je conviens qu'il s'agit d'un critère plus exigeant.

M. Roy: Une décision de 1984 de la Cour suprême du Canada donne à entendre que dans le cadre d'une autorisation d'intercepter des communications, l'État a le droit de pénétrer clandestinement et d'installer le dispositif.

Le sénateur Grafstein: Assorti d'un critère plus exigeant.

M. Roy: Ne faisons pas d'amalgame ici. Le principe, c'est qu'il faut surmonter un obstacle plus difficile, non pas parce qu'on installe un dispositif, mais parce que le but est l'interception des communications de quelqu'un. C'est une méthode très envahissante. La vie privée de quelqu'un est envahie pendant les 60 jours que le microphone est dans la pièce. La police sait exactement ce qui se passe chez vous pendant 60 jours. La loi dit qu'il faut donner de très bonnes raisons pour faire cela. Accessoirement, nous allons vous donner le pouvoir de pénétrer dans les lieux pour installer le dispositif.

Ce que l'on dit dans cette disposition, purement et simplement, c'est de ne pas continuer à écouter la personne mais d'aller récupérer ce que vous avez installé chez elle -- rien d'autre. À notre avis, si l'on veut respecter la Constitution et le droit à la vie privée des citoyens, tout ce qu'il faut dans ces circonstances, c'est de dire à un juge: «Nous sommes convaincus d'avoir besoin d'entrer dans les lieux pour récupérer ce dispositif.» Le juge doit soupeser cet argument et le droit à la vie privée de ceux qui occupent l'habitation. Si le juge, ayant été mis au fait de toutes les circonstances -- parce que la common law exige que l'État donne toute l'information au juge -- déclare: «Ces gens-là n'ont rien à voir avec l'enquête que vous menez parce que la maison a été vendue. J'ordonne à la police d'aller à l'intérieur, pas en secret, mais d'aller frapper à la porte et de dire que vous voulez récupérer votre microphone.» Le juge a le droit d'en décider ainsi. Dans bien des cas, je suis certain que c'est ce qu'il fera.

Dans un grand nombre de cas où aucune accusation n'a encore été portée, nous ne sommes pas en mesure de dire à l'intéressé qu'il fait ou qu'il a fait l'objet d'une enquête, mais il faut intervenir pour récupérer le matériel. Nous pensons qu'il serait important que l'État puisse le faire en secret.

Le juge sera en mesure d'en décider en fonction des intérêts de la justice.

Le sénateur Grafstein: Ce n'est pas ce que dit le critère.

M. Roy: C'est «selon les modalités qu'il estime opportunes».

Le sénateur Grafstein: C'est différent de l'autre critère. L'un concerne l'administration de la justice et l'autre des considérations d'opportunité, ce qui est moins strict.

M. Roy: Vous croyez?

Le sénateur Grafstein: Absolument. C'est plus général.

M. Ram: J'aimerais parler de la rédaction de cette mesure. Si vous regardez ce qui fait partie des considérations jugées opportunes au paragraphe 186(4), la plupart de ces dispositions visent à indiquer au tribunal qui s'apprête à installer un dispositif où il doit être installé, de quel genre de dispositif il s'agit et sur quel genre d'infraction porte l'enquête. D'un point de vue strictement pratique, la plupart de ces éléments sont connus. Pour obtenir l'autorisation d'enlever le dispositif, la police va dire: «Il y a un dispositif à un certain endroit. Pouvons-nous le récupérer, s'il vous plaît?» L'infraction ou les motifs de l'installation du dispositif n'ont plus d'importance. Il a été légalement installé. Cela n'est plus pertinent. Le tribunal a simplement besoin de savoir qui est visé par cette atteinte à la vie privée que constitue l'intervention de la police, et de déterminer si cette intervention doit se faire en secret ou au grand jour.

Le sénateur Grafstein: Madame la présidente, je vais devoir travailler de mon côté sur cette question. À la première lecture, cela m'a paru constituer un problème.

Je voudrais dire à notre témoin qu'en un sens, je crois qu'il a raison. J'essaie simplement de proposer le point de vue contraire. Du point de vue de la protection de la vie privée, il y a deux questions bien distinctes. La première concerne l'ingérence dans une communication privée et l'autre, qui va elle aussi à l'encontre de la politique officielle, porte atteinte au principe voulant que charbonnier est maître chez lui. Vous connaissez certainement toutes les règles applicables aux États-Unis en ce qui concerne le droit de recourir à la force pour empêcher quelqu'un d'entrer chez soi. C'est un principe tout aussi absolu. C'est la seule question que je me pose.

Je reviendrai sur cette question et je donnerai aux témoins la chance d'y répondre si j'ai encore un problème.

La présidente: Il faudra faire vite, car nous passons à l'étude article par article à 10 h 45 demain matin.

Je remercie les témoins de nous avoir apporté leur aide.

La séance est levée.


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