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Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule 63 - Témoignages


OTTAWA, le jeudi 18 mars 1999

Le comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, à qui a été renvoyé le projet de loi C-40, Loi concernant l'extradition, modifiant la Loi sur la preuve au Canada, le Code criminel, la Loi sur l'immigration et la Loi sur l'entraide juridique en matière criminelle, et modifiant ou abrogeant d'autres lois en conséquence, se réunit aujourd'hui à 11 h 35 pour examiner le projet de loi.

Le sénateur Lorna Milne (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente: Honorables sénateurs, la séance du comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles est maintenant ouverte. J'aimerais souhaiter la bienvenue à la pièce 257 de l'édifice de l'Est à tous les participants ainsi qu'aux téléspectateurs.

Nous avons eu la chance de pouvoir nous réunir dans cette magnifique salle pour entendre ce que les Canadiens ont à dire relativement à la mesure législative à l'étude par le comité. Cette salle a été construite tout spécialement pour le Sommet économique du G-7 qui s'est tenu ici en juillet 1981. On a par la suite décidé de conserver la salle en souvenir de ce moment historique, et pour commémorer l'événement, on l'a baptisée sous le nom de «Salle du Sommet».

Nous poursuivrons aujourd'hui notre étude du projet de loi C-40 qui vise à créer un plan complet conforme aux principes juridiques modernes et aux développements survenus récemment dans le monde au chapitre de l'extradition. Le projet de loi a été adopté par la Chambre des communes le 1er décembre 1998 et il a été déposé en première lecture au Sénat dès le lendemain. La deuxième lecture a été faite au Sénat le 10 décembre, ce qui signifie que le Sénat a approuvé le projet de loi en principe. Le projet de loi C-40 a par la suite été renvoyé à notre comité pour étude détaillée.

Nous avons entrepris notre étude la semaine dernière et nous avons entendu les témoignages de représentants du gouvernement et d'Amnistie Internationale. Hier, nous avons reçu des représentants de la Criminal Lawyers Association de l'Ontario ainsi que la doyenne de l'Université du Nouveau-Brunswick, Anne La Forest. Nous avons le plaisir de recevoir aujourd'hui la ministre responsable du projet de loi C-40, l'honorable Anne McLellan, ministre de la Justice et procureur général du Canada.

Dès que tous les témoins auront été entendus, nous ferons une étude détaillée du projet de loi, article par article, et le comité décidera alors s'il convient d'adopter le projet de loi tel quel, d'y apporter des amendements ou de ne pas l'adopter. Le comité fera alors part de sa décision au Sénat.

Nous vous remercions, madame la ministre, d'avoir bien voulu comparaître devant nous aujourd'hui. Nous sommes prêts à entendre votre exposé. Par la suite, nous donnerons aux sénateurs la possibilité de poser des questions.

L'honorable Anne McLellan, c.p., députée, ministre de la Justice et procureure générale du Canada: Honorables sénateurs, bonjour. C'est un plaisir pour moi d'être ici ce matin. Mon témoignage aujourd'hui sera fait en mon nom personnel et en celui de mon collègue l'honorable Lloyd Axworthy, ministre des Affaires étrangères.

[Français]

Cet important projet de loi propose une réforme majeure des lois sur l'extradition au Canada. Il remplace des lois de plus 100 ans par un régime d'extradition efficace, complet et moderne adapté à la lutte contre la criminalité au XXIe siècle.

[Traduction]

Notre gouvernement est bien décidé à respecter les obligations du Canada à titre de membre de la communauté internationale et à accorder sa collaboration pour lutter contre la menace croissante de la criminalité internationale. Dans cette optique, nous devons pouvoir compter sur des outils efficaces pour que tous les pays puissent collaborer entre eux et surmonter les difficultés causées par les différences entre les systèmes juridiques.

Bon nombre des partenaires internationaux, y compris nos plus proches alliés, ont fait part de leurs grandes préoccupations relativement à notre processus d'extradition qu'ils considèrent trop rigide et peu approprié compte tenu des crimes et des criminels modernes. Dans un monde où les frontières sont facilement franchissables, il existe un réel danger, en vertu des lois actuelles, que le Canada devienne le pays de prédilection des criminels qui tentent de se mettre à l'abri des poursuites et des autorités. Le gouvernement ne peut sanctionner cela. Les Canadiens non plus. Le ministre des Affaires extérieures et moi-même accordons donc une grande importance au projet de loi C-40.

Le projet de loi C-40 est également important parce qu'il permet au Canada de respecter les résolutions du Conseil de sécurité des Nations Unies qui prévoient la mise sur pied de tribunaux criminels internationaux pour le Rwanda et l'ancienne Yougoslavie. Aux termes de ces résolutions, nous devons offrir notre aide et livrer les fugitifs au besoin. À l'heure actuelle, nous ne respecterions pas nos obligations si des personnes recherchées se trouvaient au Canada et que nous n'étions pas en mesure de les arrêter et de les livrer aux tribunaux.

Comme plusieurs témoins l'ont probablement déjà souligné, nos lois actuelles en matière d'extradition ne nous donnent pas la flexibilité dont nous avons besoin pour extrader un fugitif et le livrer au tribunal qui le recherche. Elles ne nous permettent que de faire des arrangements individuels, ce qui empêche le Canada de respecter ses obligations au niveau international. Le projet de loi C-40 règle ce problème.

J'aimerais traiter de certains points qui intéressent tout particulièrement les membres du comité.

Vous avez entendu des témoins vous affirmer qu'il faudrait amender le projet de loi C-40 pour éliminer le pouvoir discrétionnaire du ministre dans les causes d'extradition qui pourraient mener à l'imposition de la peine de mort, dans le but de forcer le Canada à refuser l'extradition dans les cas de ce genre, à moins qu'il obtienne des garanties. Je ne suis pas du tout d'accord avec cette suggestion, et le gouvernement non plus.

Le projet de loi C-40 confère au ministre de la Justice le pouvoir de décider dans chaque cas s'il convient d'obtenir du pays en cause, la garantie que la peine de mort ne sera pas imposée, ou que si elle l'est, on n'y donnera pas suite. La Cour suprême du Canada, dans les causes Kindler et Ng, a statué que ce pouvoir discrétionnaire était conforme aux prescriptions constitutionnelles. Cette approche avait été incluse dans la mesure législative proposée pour des raisons très sérieuses et pratiques. Si le Canada est obligé de par la loi d'obtenir des garanties contre l'imposition de la peine de mort dans chacun des cas, il deviendra bien vite considéré comme un refuge idéal pour les personnes accusées des crimes les plus horribles et odieux, des meurtres par exemple, qui chercheraient à contourner la rigidité des lois en vigueur dans le pays où les crimes ont été commis.

J'aimerais préciser que je parle ici de personnes que l'on présume avoir commis des crimes horribles. La proximité des États-Unis, où la peine de mort est toujours appliquée dans bon nombre d'États, rend cette mesure très réelle et importante pour nous. En faisant disparaître le pouvoir discrétionnaire du ministre et en rendant les demandes de garanties obligatoires, nous donnerions une bonne raison aux meurtriers cherchant à échapper à la peine de mort de venir au Canada.

Il ne faut pas oublier non plus que si un pays étranger refuse de donner la garantie que la peine de mort ne sera pas appliquée, le Canada sera alors forcé de libérer sur son territoire le fugitif accusé de crimes horribles.

La position d'Amnistie Internationale se base sur l'hypothèse que le pays étranger consentira à fournir les garanties exigées. C'est à mon avis beaucoup trop optimiste, et cela pourra certainement s'avérer impossible dans certains cas, lorsque la peine de mort est obligatoire pour certains actes par exemple. Pour toutes ces raisons, il est très important de maintenir le pouvoir discrétionnaire du ministre dans ce domaine.

Il y a une autre question sur laquelle on devrait logiquement se pencher, et qui se trouve à la base même de la mesure législative proposée, c'est à dire la procédure de la preuve. Le Canada ne devrait pas devenir un refuge pour les meurtriers et pour les fugitifs uniquement parce que leur extradition sera rendue tellement difficile, voire impossible, par des règles qui ne cadrent pas du tout avec celles qui ont cours dans la plupart des pays que nous considérons comme nos alliés et nos partenaires. C'est là le contexte dans lequel s'inscrit la nouvelle approche proposée.

À l'heure actuelle, un pays qui cherche à extrader une personne se trouvant au Canada doit fournir suffisamment de preuves pour que si la conduite présumée avait eu lieu au Canada, la personne accusée serait traduite devant les tribunaux. De plus, et c'est là un changement important, cette preuve doit être produite sous une forme qui respecte les règles canadiennes de la preuve. Cela signifie que les pays étrangers doivent transmettre des déclarations sous serment qui sont faites à la première personne et sous serment et ne devant pas contenir de ouï-dire et qui respectent les normes juridiques canadiennes. Dans certains causes très complexes, des centaines de déclarations de ce genre pourront être transmises. Les fonctionnaires de mon ministère peuvent vous fournir des exemples de causes dans lesquelles il nous a été impossible d'extrader une personne en raison de la complexité de ces règles.

Nous avons souvent entendu parler de ces nombreux pays où la tradition juridique est bien différente de la nôtre et où les concepts des déclarations sous serment et du ouï-dire sont inconnus, mais dont nous respectons tout de même les systèmes juridiques. L'extradition peut alors devenir très difficile et même parfois impossible dans ces cas.

Il faut voir ce qui se passe en réalité. De façon générale, moins de 10 p. 100 des demandes transmises par des pays autres que les États-Unis aboutissent à une extradition à la fin du processus. Cela ne tient pas compte des pays que les embûches contenues dans nos lois actuelles en matière d'extradition rebutent et qui ne transmettent même pas de demande d'extradition.

La Criminal Lawyers' Association estime peut-être que le régime actuel fonctionne bien, mais son évaluation repose uniquement sur les cas qui sont portés devant les tribunaux, et non sur ceux qui ne parviennent jamais à l'opinion publique parce qu'un État n'est pas en mesure ou choisit de ne pas respecter les exigences du Canada en matière de preuve.

Le problème ne se limite pas aux États dotés d'un régime de droit civil. Même dans le cas des États-Unis, nous entendons souvent dire à quel point ils ont du mal à obtenir une extradition depuis le Canada. Les autorités américaines ont fait remarquer que, dans le cas du télémarketing frauduleux et d'autres formes complexes de fraude, notamment, nos lourdes lois sur l'extradition servent de bouclier aux personnes qui décident de se livrer à pareilles activités au Canada. Autrement dit, le Canada est considéré comme un pays où il est possible de préparer et de commettre de tels crimes, le processus d'extradition étant tellement lourd que des États étrangers ne se donnent même pas la peine de demander l'extradition. Est-ce la réputation que le Canada veut acquérir dans la nouvelle ère de mondialisation?

Le projet de loi C-40 examine ce difficile problème d'une manière équilibrée. Au lieu de supprimer la nécessité de produire des éléments de preuve, voie que suivent certains pays, par exemple l'Australie, selon le projet de loi, il y aurait toujours lieu de produire les éléments de preuve nécessaires pour répondre au critère canadien de citation à procès. Cependant, il ne serait plus nécessaire de les produire sous une forme strictement conforme aux règles de preuve canadiennes.

Je tiens à rassurer les sénateurs que le critère de citation à procès demeure le même. J'espère que cet aspect ne prête à aucune confusion. C'est la forme sous laquelle un partenaire présente ses éléments de preuve que nous proposons de modifier, mais il revient toujours à un juge de déterminer si ces éléments de preuve répondent au critère de citation à procès.

Selon le projet de loi, le juge pourrait admettre en preuve des documents contenus dans un dossier d'extradition. Le dossier pourrait renfermer des éléments de preuve recueillis selon les règles et les procédures suivies dans l'État demandeur. Il pourrait contenir un résumé des éléments de preuve disponibles, préparé par le juge ou le représentant étranger compétent. Les éléments de preuve ne peuvent être présentés sous forme d'affidavit et ne sont pas forcément accompagnés d'un serment.

L'objectif consiste à admettre les éléments de preuve sous la forme qu'utilise l'État étranger, le partenaire dans l'extradition. Il revient alors à un juge d'extradition canadien de s'assurer que les éléments de preuve recueillis sous cette forme témoignent d'une conduite criminelle aux termes des lois canadiennes et sont suffisants pour demander une citation à procès.

Ce dossier d'extradition devrait être certifié par les autorités compétentes de l'État demandeur et accompagné d'assurances sur certaines questions, à savoir si les éléments de preuve sont disponibles, s'ils sont suffisants pour justifier une poursuite et s'ils sont exacts.

À notre avis, cet aspect du projet de loi C-40 constitue une composante cruciale d'un régime d'extradition efficace, composante qui établit un juste équilibre entre l'efficacité et des mesures de protection adéquates pour les personnes dont on demande l'extradition.

Permettez-moi de passer à un autre sujet. Des témoins qui ont comparu devant le comité ont critiqué l'article 5, qui traite de la territorialité et de l'extraterritorialité. À mon sens, cette disposition représente une amélioration sensible dans les lois canadiennes sur l'extradition, car elle réduit la possibilité que le Canada devienne un refuge sûr pour de présumés criminels. En fait, cette disposition sera essentielle pour l'extradition de personnes citées à comparaître devant des tribunaux internationaux, car ces derniers ne peuvent exercer une compétence selon la notion traditionnelle de territorialité.

Comme vous le savez tous sûrement, les motifs pour lesquels des États exercent une compétence sur des infractions peuvent varier. Au Canada, nous exerçons une compétence sur des infractions en nous fondant principalement sur le principe de la territorialité, soit lorsque l'infraction a été commise en sol canadien. Cependant, dans bien des pays qui appliquent le droit civil, comme la France et l'Espagne, cette compétence s'exerce souvent en fonction de la nationalité du présumé contrevenant, peu importe le pays où l'infraction a été commise. Il y a également certains États, moins nombreux, qui exercent une compétence sur une infraction dont la victime est un ressortissant.

Selon le projet de loi C-40, le Canada aura le pouvoir discrétionnaire d'extrader en cas d'infractions commises hors du territoire de l'État ou de l'entité qui en fait la demande, et ce, même si le Canada ne pourrait pas exercer une compétence analogue dans les mêmes circonstances. Avec l'insertion de ce pouvoir discrétionnaire dans la loi sur l'extradition, le Canada sera en mesure de décider d'extrader ou non, en tenant compte des circonstances de l'affaire et des intérêts de la justice, au lieu de devoir se limiter aux cas où il y a correspondance technique des compétences.

Un exemple permettrait peut-être le mieux d'illustrer cette situation. Dans l'affaire récente du Maersk Dubai, la Roumanie a demandé l'extradition du capitaine et de l'équipage du navire, qui auraient jeté par-dessus bord, en pleine mer, des voyageurs clandestins de Roumanie. Je sais que tous les sénateurs sont au courant de cette affaire. La presse en faisait état encore cette semaine.

Aux termes du droit roumain, la Roumanie a revendiqué la compétence sur la présumée infraction en raison de la nationalité des victimes, des citoyens roumains qui auraient été jetés par-dessus bord. Le Canada n'exerce pas de compétence sur l'infraction de meurtre selon la nationalité de la victime, de sorte qu'il n'y avait pas compétence correspondante. Selon l'article 5 qui est proposé, l'extradition sera possible dans ces circonstances. À défaut de cet article, le Canada ne pourrait pas extrader des personnes en Roumanie dans un cas semblable à celui du Maersk Dubai.

Malheureusement, nous pouvons prévoir que d'autres situations de ce genre se produiront, des situations pas forcément identiques, mais des situations difficiles dans lesquelles seront engagés plusieurs pays, des ressortissants et des victimes, et qui soulèveront des problèmes de compétence, au fur et à mesure de la mondialisation.

Je souligne que le projet de loi C-40 ne sacrifie pas les mesures de protection et de garantie offertes aux contrevenants, dans le but de doter le Canada d'un processus d'extradition plus efficace. C'est tout le contraire, à mon avis. Ce projet de loi donne une reconnaissance législative aux mesures de garantie et de protection offertes aux personnes dont on demande l'extradition. Par exemple, le projet de loi décrit les procédures d'arrestation et de cautionnement, ce dont il n'a jamais été question auparavant.

Le projet de loi maintient également les procédures importantes et détaillées concernant l'étape d'exécution du processus d'extradition. Comme vous le savez, au cours de cette étape, le ministre de la Justice doit personnellement déterminer s'il y a lieu ou non de délivrer un arrêté d'extradition. Contrairement à la loi actuelle, le projet de loi expose les motifs de refus, qui viseront toutes les demandes d'extradition, et précise ceux qui seront applicables, à moins qu'un traité ne l'indique autrement. Le processus sera ainsi grandement clarifié pour les personnes dont on demande l'extradition.

Je sais que certains d'entre vous ont fait des observations au sujet du rôle du juge et de mon rôle dans l'application de mesures de garantie. Il importe de comprendre que les motifs de refus exposés dans les articles 44 à 47 du projet de loi tiennent compte des relations que le Canada entretient avec d'autres pays et exigent souvent un examen de la nature des systèmes judiciaires étrangers en question.

Dans de telles situations, c'est le pouvoir exécutif qui est le mieux en mesure d'examiner les enjeux avec l'État étranger, ainsi que d'évaluer et de trancher l'affaire. La Cour suprême du Canada a reconnu ce principe à plusieurs occasions. Ainsi, j'estime à propos qu'un ministre de la Justice, avec la consultation d'un ministre des Affaires étrangères, prenne des décisions sur des questions qui touchent directement l'extradition et les relations générales entre le Canada et un autre pays.

Cependant, il importe de noter que je n'envisage ces mesures de garantie qu'après qu'un juge canadien aura déterminé que les éléments de preuve sont suffisants pour citer à procès une personne dont on demande l'extradition. Par la suite, toute décision que je prends peut être examinée par une cour d'appel et, évidemment, dans certains cas, par la Cour suprême du Canada. Autrement dit, la décision du ministre de la Justice n'est pas prise dans un vide juridique. Elle repose sur les renseignements présentés par le fugitif, de même que par l'État étranger, et elle peut être examinée par des cours d'appel du Canada.

Je souligne également, comme Mme la professeure La Forest l'a fait remarquer, il me semble, que l'étape d'exécution du processus d'extradition, qui est maintenue dans ce projet de loi, n'est aucunement une procédure sommaire ou automatique. Avant que toute décision ne soit prise, la personne dont on demande l'extradition a la possibilité de présenter au ministre des instances au sujet de tout aspect qui se rapporte à cette décision. Comme j'ai examiné de nombreux cas d'extradition, je peux vous assurer que, dans chaque cas, ces instances, de même que tous les faits, sont attentivement examinés avant la prise d'une décision.

Comme je l'ai signalé plus tôt, une des raisons très importantes du projet de loi C-40 est d'amener le Canada à se conformer aux résolutions du Conseil de sécurité aux termes desquelles les tribunaux pour l'ancienne Yougoslavie et le Rwanda ont été établis. Vous avez entendu les témoignages des représentants d'Amnistie Internationale, qui ont dit que ce projet de loi contreviendrait à nos obligations internationales. À mon avis, ces opinions ne sont pas fondées, et je suis convaincue que le projet de loi C-40 permettra au Canada de respecter ses obligations envers Conseil de sécurité relativement aux tribunaux pour l'ancienne Yougoslavie et le Rwanda, alors que, comme je l'ai déjà dit, nous n'aurions pas pu satisfaire à de telles demandes d'extradition auparavant.

Le projet de loi C-40 a reçu l'appui de la procureure en chef actuelle, Louise Arbour. Malgré ce que certains ont pu dire, il est clair que l'obligation du Canada envers le Conseil de sécurité est de prendre les mesures nécessaires en vertu de nos lois nationales pour mettre en oeuvre les dispositions de la résolution des Nations Unies et du statut de Rome, y compris l'obligation des États de répondre aux demandes d'aide ou aux ordonnances des tribunaux. Par conséquent, si le tribunal demande au Canada d'arrêter une personne et de lui livrer cette personne pour qu'elle soit traduite en justice, nous devons être en mesure de répondre à cette demande.

Je tiens toutefois à signaler que rien dans la résolution du Conseil de sécurité ou dans le statut de Rome n'empêche un pays de se servir du processus d'extradition pour respecter cette obligation. Même si les lignes directrices élaborées par le greffier, après l'adoption de la résolution, indiquent une préférence pour un processus autre que l'extradition, ces lignes directrices ne sont pas obligatoires et ne font pas partie de la résolution ou du statut, comme en témoigne le fait que les États-Unis, qui sont membres permanents du Conseil de sécurité et qui participent activement à la rédaction des résolutions, utilisent eux-mêmes un processus d'extradition pour livrer des personnes aux tribunaux.

Selon les représentants d'Amnistie Internationale, il devrait y avoir un processus différent pour livrer des personnes aux tribunaux. À mon avis, cette approche est inutile pour respecter notre obligation envers le Conseil de sécurité et est même dangereuse. Elle pourrait poser de sérieux problèmes du point de vue de la Charte. Par exemple, la Cour suprême du Canada, en confirmant la constitutionnalité du processus d'extradition, a signalé l'importance de l'audition judiciaire dans les affaires d'extradition. Si nous choisissions un processus différent à cet égard, celui-ci pourrait fort bien aller à l'encontre des principes constitutionnels.

Pour cette raison, comme il n'est pas nécessaire d'adopter un processus différent pour livrer une personne au tribunal, il semble imprudent de le faire à cause des graves préoccupations que cela soulève du point de vue de la constitutionnalité d'une telle approche.

Deux autres caractéristiques importantes de ce projet de loi sont les nouvelles exigences en matière de preuve et l'adoption d'une nouvelle approche moderne relativement au principe de la sanction réciproque. Ainsi, même si un tribunal au Canada tiendra toujours compte de la preuve et du principe de la sanction réciproque, l'application de ces nouvelles procédures simplifiera le travail des tribunaux.

À notre avis, le projet de loi C-40 est une mesure équilibrée relativement aux tribunaux existants. Il permettra au Canada de respecter son obligation d'une manière qui protège la personne recherchée et qui est conforme aux exigences constitutionnelles canadiennes.

Je vais faire quelques brèves remarques au sujet des modifications proposées à la Loi sur l'immigration dans le projet de loi C-40. Ces modifications visent à éliminer les dédoublements et les retards lorsqu'il y a chevauchement entre une demande d'extradition et une demande du statut de réfugié. Le mécanisme s'appliquera uniquement aux situations où la personne dont l'extradition a été demandée est recherchée pour une infraction plus grave sanctionnée par une peine d'emprisonnement de dix ans ou plus. Il faut se demander si une personne recherchée pour un crime grave devrait être capable de se cacher derrière un processus parallèle afin de retarder le moment où elle devra faire face à la justice pour répondre à ces graves accusations.

Ce qui est le plus important, c'est que le mécanisme prévoit quand même une procédure complète et équitable pour l'examen de la demande du statut de réfugié conformément aux exigences de la convention sur les réfugiés.

Je dois dire, en regardant ces deux derniers points, que je suis frappée par ce qui semble être une contradiction dans les positions qu'Amnistie Internationale a adoptées à cet égard. D'une part, si j'ai bien compris, les représentants de cette organisation ont laissé entendre que, dans les cas où une personne est demandée par un tribunal international pour être traduite en justice en tant que présumé criminel de guerre, on devrait accorder à cette personne seulement une protection minime. Je crois qu'ils ont dit que le processus d'extradition de cette personne devrait se faire le plus rapidement possible. Par contre, dans le cas d'une personne dont l'extradition a été demandée pour une infraction tout aussi sérieuse mais qui revendique le statut de réfugié, il ne peut y avoir aucune variation du processus détaillé de détermination du statut de réfugié prévu dans la Loi sur l'immigration, même si cela crée des dédoublements ou des retards.

Je me demande sérieusement quelle approche ils préconiseraient si le présumé criminel de guerre était aussi un revendicateur du statut de réfugié. C'est quelque chose qui pourrait très bien arriver dans notre pays aujourd'hui dans le cas des personnes venant d'une région déchirée par la guerre civile. Je n'irai pas plus loin, mais nous connaissons tous les exemples où cette situation pourrait se produire dans notre pays.

J'ai un dernier point à soulever. Le paragraphe 46(2) limite de façon législative la définition d'une infraction à caractère politique. Vous avez entendu des témoignages de personnes qui disaient que cette restriction était inutile et que la définition de ce terme devrait être déterminée en vertu de la common law. Je ne suis pas prête à laisser la question de l'extradition de terroristes être déterminée au cas par cas en vertu de la common law. C'est une question à l'égard de laquelle nous, en tant que parlementaires, devons prendre position.

En conclusion, avec l'adoption du projet de loi C-40, le Canada se dotera d'un processus d'extradition exhaustif et moderne conforme à nos engagements envers la communauté internationale. Nous serons en mesure de respecter notre obligation internationale relativement aux tribunaux existants sur les crimes de guerre. Au nom de mon collègue, le ministre des Affaires etrangères, Lloyd Axworthy, je vous exhorte à terminer rapidement l'étude de ce projet de loi afin que nous puissions faire cet important pas en avant pour faire en sorte que le Canada ne soit pas un refuge sûr pour les criminels.

Merci beaucoup. Je serai heureuse d'entendre vos observations et vos questions.

La présidente: Merci, madame la ministre.

Le sénateur Fraser: Madame la ministre, comme vous le savez peut-être, une autre objection soulevée par les criminalistes de l'Ontario concernait l'article 59, qui dit ceci:

[...] le ministre peut, si la demande d'extradition est fondée sur plusieurs infractions, prendre un arrêté ordonnant l'extradition pour toutes les infractions même si elles ne satisfont pas toutes aux conditions énumérées à l'article 3 [...]

Autrement dit, selon les criminalistes, cela compromet le principe de la sanction réciproque. Que dites-vous de cela?

M. Yvan Roy, avocat-conseil général, Secteur de la politique en matière de droit pénal, ministère de la Justice: Du point de vue administratif, l'article 59 donne une certaine flexibilité. Il reconnaît que, dans certains cas, une demande d'extradition peut être fondée sur des infractions plus graves. Par exemple, une personne qui fait l'objet d'une demande d'extradition pour vol peut aussi être recherchée pour une infraction moins grave, par exemple pour manquement aux conditions de probation. Le vol serait une infraction sanctionnée par une peine d'emprisonnement de plus d'un an ou de deux ans, ce qui satisfait aux conditions de l'alinéa 3a) proposé, mais le manquement aux conditions de probation ne satisferait pas à cette condition. Sans l'article 59 proposé, nous ne pourrions pas extrader aussi pour cette infraction moins grave.

Avec l'article 59 proposé, nous extraderons pour l'infraction la plus grave, soit le vol. Par exemple, si la personne est extradée pour cette infraction, nous pourrions aussi l'extrader pour une autre infraction qui ne satisfait pas aux critères établis relativement à la peine, mais qui serait sanctionnée par le droit canadien. Le ministre a la discrétion d'extrader pour l'infraction moins grave s'il s'agit d'une infraction qui serait sanctionnée par le droit canadien et si la personne est extradée pour une infraction plus grave.

M. Jacques Lemire, conseiller juridique, Groupe d'entraide international, ministère de la Justice: Vous devez l'inclure, car une personne ne peut être extradée que sur la promesse qu'elle ne sera jugée que pour l'infraction indiquée dans l'arrêté d'extradition.

Mme McLellan: Nous avons une certaine latitude. Nous pourrions procéder à l'extradition. Il s'agit d'une infraction plus grave et, dans ce cas, une infraction moins grave est en cause. Nous ne voulons pas refuser l'extradition à un État qui le demande et l'empêcher de poursuivre une personne pour une infraction moins grave si cet acte constitue aussi une infraction en vertu du droit canadien.

Le sénateur Grafstein: J'ai consulté mon collègue, le sénateur Bryden et nous sommes tous deux d'avis qu'il pourrait être utile que la ministre et ses collaborateurs répondent par écrit à chacun des arguments d'Amnistie Internationale et de l'association des criminalistes. Je dis cela parce que notre temps est compté et que certaines notions sont très complexes; des questions de formulation se posent également. Cela pourrait nous faciliter l'examen du sujet. Si nous avons d'autres questions par la suite nous pourrons revenir, mais nous pourrions ainsi aborder les questions de principe par opposition à des questions de rédaction précises.

Mme McLellan: Nous serons heureux de répondre.

Le sénateur Bryden: Hier après-midi, nous avons entendu la doyenne La Forest, qui est une spécialiste reconnue dans ce domaine.

Mme McLellan: Je connais la doyenne et j'ai beaucoup d'estime pour elle.

Le sénateur Bryden: De façon générale, je suis raisonnablement satisfait, mais j'aimerais vous citer un extrait de son mémoire, plus précisément le deuxième paragraphe de la page 6:

Aux termes du projet de loi C-40, le juge chargé de l'extradition n'a pas compétence pour examiner la question de l'extradition. Une personne peut être extradée à la demande d'un partenaire qui demande son extradition, peu importe que l'acte commis l'ait été sur son territoire et peu importe que le Canada ait compétence en pareilles circonstances. La seule restriction intervient au niveau ministériel puisque le ministre «peut» refuser de reconnaître la compétence dans les cas où aucun des actes n'a été commis sur le territoire de l'État qui fait la demande d'extradition.

La question qu'il faut se poser, en particulier lorsque le fugitif est un ressortissant canadien, est la suivante: Le Canada doit-il extrader un fugitif vers un partenaire si, dans des circonstances identiques, le Canada n'aurait pas compétence? À mon avis, la réponse est non. Il ne fait aucun doute qu'à une époque, la compétence était interprétée de façon très limitative au Canada et au Royaume-Uni, mais ce n'est plus le cas. Pourrait-on faire valoir que l'impossibilité d'invoquer un argument fondé sur la compétence est contraire à l'article 7 de la Charte? À mon avis, il y a place pour un tel argument, tant à l'étape de l'appel de l'audition d'extradition que de la révision judiciaire.

L'autre point sur lequel Mme La Forest a insisté tout au long de son exposé était qu'au lieu d'expédier le processus, nous pourrions peut-être soumettre toute la question à l'examen des tribunaux dans le cas de ressortissants canadiens, en particulier à la lumière des droits reconnus par la Charte. Je crains que les droits que la Charte reconnaît aux ressortissants canadiens ne soient pas protégés. Je cite, car il semble que Mme La Forest partage cette opinion.

Mme McLellan: Vous soulevez plusieurs questions, dont l'une concerne l'article 5 du projet de loi. Vous soulevez également d'autres questions importantes, et notamment le fait que le Canada doit tenir compte du fait que la criminalité et les criminels ne respectent pas les frontières.

Nous devons accepter le fait que nous vivons dans un monde qui compte une multitude d'États dont les systèmes juridiques, que nous respectons et apprécions, notamment les systèmes français et australien, traitent différemment les questions de compétence. En outre, la compétence peut être fondée sur le territoire, la nationalité et la citoyenneté, comme on peut voir dans le cas de la Roumanie, qui reconnaît l'existence de la victime.

J'espère qu'aucun d'entre nous ne niera aux États le droit de poursuivre des criminels en fuite au nom de leurs victimes.

Il y a donc différentes façons de concevoir la compétence. J'espère que personne ici ne croit que le droit canadien en matière de compétence est supérieur à celui d'un autre pays. Il est tout simplement différent. Il est différent notamment quant aux modalités qui déterminent la décision d'exercer la compétence à l'égard d'une infraction criminelle présumée. En fait, et corrigez-moi si je me trompe, nous nous sommes éloignés de la notion de territorialité, du moins dans le cas des poursuites relatives à des infractions sexuelles commises à l'étranger contre des enfants. C'est tout à fait approprié. Nous devons avoir pour principe général d'accepter l'existence de systèmes juridiques différents, des systèmes remarquables qui traitent la question de la compétence et les questions criminelles différemment. Nous devons également accepter de modifier notre propre façon de traiter avec la réalité de la criminalité mondiale. Les Canadiens détestent la criminalité et veulent le faire comprendre. C'est pourquoi nous avons décidé de modifier nos règles en matière de compétence, par exemple dans le cas où un ressortissant canadien achèterait les faveurs sexuelles d'un enfant de six ans en Thaïlande. Autrement dit, même si l'acte a été commis dans un autre pays, nous pourrions soumettre cette personne au droit canadien. La Thaïlande pourrait elle aussi demander l'extradition de l'individu, si toutes les autres conditions et accords sont respectés. Je ne suggère pas autre chose. Les systèmes de compétence sont multiples et nous sommes en train de modifier notre propre conception à cet égard.

La préoccupation exprimée par la doyenne La Forest relativement au cas d'un ressortissant canadien concerne le fait de savoir si l'individu ou son conseiller juridique pourrait, après la proclamation ou la mise en oeuvre de la loi, invoquer la Charte relativement à la question de la compétence. La réponse est oui, il y a chaque jour au Canada des personnes qui invoquent la Charte. Nous ne pouvons l'empêcher. Après un examen plus approfondi de la question, je crois que, à la lumière des dispositions de la Charte et des précédents où la Cour suprême a interprété la Charte et la législation canadienne en matière d'extradition, cet article du projet de loi résiste à un examen constitutionnel en vertu de l'article 7 de la Charte, ou même de l'article 15, quoique je crois que la doyenne La Forest a fait valoir l'article 7 plutôt que l'article 5, relativement l'application régulière de la loi.

Je suis sûr qu'une fois que le projet de loi aura été adopté, tôt ou tard un avocat contestera cet article au nom d'un ressortissant canadien. Nous nous attendons à ce que cette nouvelle loi soit contestée. Cela ne devra surprendre personne. En fait, nous croyons que la nouvelle loi, en dépit des contestations possibles, contribuera de façon générale à accélérer et clarifier les processus et nous permettra d'avoir un processus d'extradition équitable et rapide.

Je ne suis pas en désaccord avec la doyenne La Forest, dans la mesure où quelqu'un contestera sans doute la compétence. Le contraire m'étonnerait énormément. Cela dit, je crois que cet article est conforme à la Constitution. Je crois qu'il est tout à fait nécessaire dans un environnement mondial où nous devons traiter avec le genre d'activité criminelle dont nous sommes chaque jour témoins.

Le sénateur Bryden: Dans presque tous les cas qui font appel au droit pénal, le ministère de la Justice certifie que tout est conforme à la Constitution et à la Charte. C'est pourquoi il est très étonnant que de nombreux jugements tendent à invalider des dispositions de la loi qui ont été certifiées conformes à la Constitution.

Mme McLellan: Vous êtes légèrement facétieux.

Le sénateur Bryden: Je choisis de vivre au Canada en tant que Canadien, plutôt qu'en Australie ou en France, parce que je bénéficie de la protection de la Charte des droits et libertés, qui appartient aux ressortissants canadiens. Pourquoi, dans ce cas, faudrait-il renoncer aux droits et à la protection reconnus par la Charte pour pouvoir m'extrader vers un autre pays où je serais accusé d'un crime pour lequel je ne serais pas jugé au Canada, par exemple?

Mme McLellan: Oh non. Je crois que votre prémisse est foncièrement fausse.

Le sénateur Bryden: Puis-je reformuler ma question? Je me suis mal exprimé. Je fais allusion aux cas où les tribunaux ne demandent pas à étendre leur juridiction au Canada. Je tiens à m'en tenir à l'argument de la doyenne La Forest. Une personne peut être extradée à la demande d'un partenaire.

La question se pose: lorsque le fugitif est de nationalité canadienne, le Canada devrait-il le remettre à un pays partenaire lorsque, pour le même acte commis dans les mêmes circonstances, le Canada n'intenterait aucune poursuite?

Mme McLellan: C'est une question de juridiction. Il ne s'agit pas de savoir si l'acte commis constitue un crime au Canada au même titre que dans le pays qui demande l'extradition.

Le sénateur Bryden: Je m'étais mal exprimé.

Mme McLellan: C'est un élément fondamental de tout notre système d'extradition. J'espère que tout le monde le comprend. Nous ne parlons pas de cela ici.

Le sénateur Bryden: Même moi je comprends cela, madame la ministre.

Mme McLellan: C'est très important. C'est un principe fondamental de notre système d'extradition: nous ne pouvons pas extrader quelqu'un dans un tel cas.

Il y a également d'autres principes fondamentaux en cause. Nous vivons de plus en plus dans un village planétaire. Prenez le cas du Maersk Dubai. Si un des marins était un citoyen canadien soupçonné d'avoir jeté des ressortissants roumains par-dessus bord et si la Roumanie nous demandait d'extrader ce marin pour être jugé en Roumanie, essaie-t-on de me dire que le Canada, en tant que membre civilisé de la communauté internationale, ne devrait pas l'extrader, toutes les autres conditions étant remplies, parce que la tradition canadienne consiste à exercer sa juridiction sur des bases territoriales plutôt que selon la nationalité de l'accusé ou de la victime?

Cela nous créerait un sérieux cas de conscience en tant que nation. Mon collègue, le ministre des Affaires étrangères, serait mieux placé que moi pour répondre à de telles questions.

Devons-nous faire du Canada un refuge sûr pour des criminels, qu'ils soient de nationalité canadienne ou autre? Nous devons être un membre à part entière de la communauté des pays civilisés.

Nous devons mettre nos valeurs de l'avant de plusieurs façons. Nous pouvons tout d'abord jouer notre rôle en reconnaissant la diversité des systèmes juridiques qui existent dans le monde. Nous devons faire en sorte que, dans toute la mesure du possible, ceux qui tuent, mutilent ou fraudent les autres soient jugés dans le pays où ils ont commis leurs crimes.

Le sénateur Bryden: J'ai cité le titre d'un journal d'hier soir qui disait que le Canada est reconnu pour sa bonne bière et ses sentences légères.

Mme McLellan: J'ai aussi remarqué ce titre hier.

Le sénateur Bryden: Le sénateur Joyal a demandé fort à propos qui pouvait dire que nous avions tort d'imposer des sentences légères?

Quelque chose de fondamental me préoccupe: en nous efforçant d'être un membre exemplaire de la communauté internationale, ne risquons-nous pas de compromettre les droits que les citoyens canadiens ont durement gagnés? Nous ne sommes pas citoyens des États-Unis. Nous ne sommes pas citoyens du Nigeria. Nous sommes citoyens du Canada, avec nos propres habitudes et nos propres systèmes sociaux, économiques et juridiques.

Mme McLellan: Personne ne conteste cela. Ce n'est d'ailleurs pas de cela dont il est question ici. Je suis d'accord avec vous sur tout ce que vous avez dit. Je dirais cependant ceci aux Canadiens: si vous voulez être jugés selon les lois canadiennes, ne quittez pas le Canada. Si vous allez aux États-Unis et tuez un innocent, vous devez savoir que, dans la plupart des cas, vous serez jugés selon les lois en vigueur aux États-Unis. C'est là un principe fondamental de justice et d'équité dans la communauté internationale.

Je suis convaincue que le sénateur Joyal ne voulait pas laisser entendre qu'un Canadien pourrait aller aux États-Unis frauder des milliers de personnes âgées et violer des enfants puis se hâter de retraverser la frontière du Canada et prétendre que, pour une raison ou une autre, il ne doit pas être tenu de rendre compte de ses actes dans le pays où il a fait tant de mal et causé tant de souffrances. Dans la mesure où nous avons déterminé que toutes les conditions sont remplies aux termes de la loi, nous pouvons nous poser les questions fondamentales sur le rôle que nous pouvons jouer dans le monde.

Le sénateur Bryden: Je me rends.

Le sénateur Grafstein: J'aime bien la fougue dont la ministre fait preuve. Je voudrais aborder certains aspects de la politique gouvernementale puis revenir à deux questions qui me préoccupent.

Vous avez fait un exposé très passionné et logique sur le fait que le Canada ne doit pas être perçu comme un refuge sûr pour les criminels. Cependant, dans le cas des criminels de guerre, nous avons justement été perçus, peut-être à juste titre, comme un refuge sûr pour les criminels de guerre.

Mme McLellan: C'est triste, mais c'est bien le cas.

Le sénateur Grafstein: Nous nous efforçons maintenant de nous tourner vers l'avenir plutôt que vers le passé. Le Canada a été le maître d'oeuvre dans la mise sur pied des tribunaux sur les événements au Rwanda et dans l'ancienne Yougoslavie et, plus récemment, du tribunal international. Tournons-nous vers l'avenir et tirons des enseignements de nos erreurs. Nous voulons nous imposer face au monde comme champion de la mise sur pied de tribunaux internationaux légitimes, rapides et justes.

Amnistie Internationale a déclaré que, pour atteindre ce but plus facilement, il conviendrait peut-être d'adopter un système à deux vitesses de telle sorte que -- pour que nos belles paroles soient suivies d'investissements réels -- l'architecture même de notre système judiciaire permette le jugement rapide des criminels de guerre.

Pourquoi ne tirerions-nous pas les enseignements du passé en adoptant une procédure sommaire ou accélérée lorsque le tribunal international, s'appuyant sur des preuves probantes, détermine que nous donnons refuge à un individu ayant commis des crimes contre l'humanité? Nous pourrions alors ne pas nous contenter des normes minimales de Rome, mais adopter des normes supérieures pour accélérer le processus, à la condition que l'individu bénéficie d'une protection suffisante en vertu des lois canadiennes.

Je vous fais une suggestion. Vous nous avez donné un exemple où vous estimez que nous devrions suivre les Américains parce qu'ils n'établissent pas de distinction. Ils possèdent un processus d'extradition et nous devrions avoir le même. En d'autres mots, ils remettent les accusés aux tribunaux internationaux.

Les États-Unis n'ont pas fait partie des maîtres d'oeuvre qui ont créé ces organisations internationales. Pensez au cas du dernier tribunal créé. Les États-Unis ne l'ont pas appuyé. Ils ont choisi de ne pas soutenir la création de ce tribunal. Des raisons liées à leur politique intérieure font qu'ils n'appuient pas, du moins à court terme, la création de ce tribunal.

Notre ministre des Affaires étrangères et notre gouvernement ont bien tenté de les convaincre, mais ils n'y sont pas encore parvenus. Pourquoi devrions-nous présenter les États-Unis comme un exemple à donner au monde et comme un exemple à suivre par le Canada?

Il me semble y avoir une incohérence dans nos objectifs, même si je me réjouis de l'objectif du Canada et si j'appuie l'idée que le Canada ne doit pas être un refuge sûr pour les criminels. Nous avons été un refuge, mais nous tentons maintenant de mettre en place une procédure plus expéditive, au moins pour les auteurs de crimes devant être jugés par les tribunaux internationaux.

Nous avons entendu des porte-parole d'Amnistie Internationale et des avocats de droit pénal. Ils doutent que les contestations fondées sur la Charte soient solides. Ils croient que, si nous avions une procédure accélérée ou sommaire, nous pourrions respecter la Charte et également nous acquitter de nos obligations internationales. Nous pourrions faire oeuvre de pionnier devant la communauté internationale. Nous pourrions faire savoir au monde que le Canada ne veut pas sur son territoire d'individus ayant commis des crimes justifiant leur jugement par des tribunaux internationaux. Si des individus que l'on peut soupçonner pour des motifs évidents d'avoir commis des crimes contre l'humanité arrivaient au Canada par train, ils seraient mis dans le train suivant pour être livrés aux tribunaux internationaux.

Mme McLellan: Sénateur, je ne pense pas que nos opinions divergent quant à l'objectif visé. Là où ma position ne correspond plus à la vôtre et à celle d'Amnistie Internationale, c'est sur le sens que le droit canadien donne à l'expression «protection suffisante» des individus livrés aux tribunaux internationaux. Amnistie Internationale et vous préconisez l'adoption d'une procédure rapide.

J'ai déjà expliqué pourquoi, selon moi, une procédure rapide n'est pas idéale. Cela pourrait nous empêcher d'atteindre les objectifs que nous visons tous en amenant ces individus devant les tribunaux internationaux.

Nous croyons que le processus d'extradition, tel qu'il est défini ici, est expéditif, juste et transparent. En examinant la jurisprudence de la Cour suprême, qui, de toute évidence, n'a pas traité de cette question particulière, nous craignons vraiment qu'un processus qu'on dit accéléré puisse mener à de longs procès devant les tribunaux. Nous croyons donc que la manière prudente de traiter cette question, et la façon responsable de le faire dans le contexte actuel, serait d'avoir un processus d'extradition qui s'appliquerait à toutes les demandes.

Des gens raisonnables et de bonne foi peuvent ne pas être d'accord sur ce qui constitue le meilleur choix entre procédure sommaire et processus d'extradition. Je m'en rends compte. Pour ma part, j'ai expliqué pourquoi je crois que le processus d'extradition serait celui qui convient.

Je ne suis certainement pas ici pour défendre la conduite des États-Unis relativement aux crimes et aux criminels de guerre, mais c'est une question que j'ai traitée dans un contexte délicat, comme l'a fait mon prédécesseur. En tant que nation, nous avons dû surmonter une longue période d'inaction au sujet des allégations de criminalité.

Les États-Unis ont fait un traitement expéditif de bien des questions relatives aux crimes de guerre. Ils ont fini par adopter publiquement une position très claire au sujet des poursuites judiciaires contre les criminels de guerre.

Je ne veux pas condamner le processus d'extradition appliqué par les États-Unis pour les criminels du Rwanda et de Yougoslavie. Notre ministère a beaucoup appris de l'expérience des États-Unis et de leur bureau des enquêtes spéciales relativement aux crimes de guerre et à la façon de traiter ces crimes, soit au pays, soit en extradant les intéressés pour qu'ils soient traduits devant des tribunaux internationaux.

Le sénateur Grafstein: Mon intention n'était pas de critiquer globalement l'attitude des États-Unis à tous points de vue. Je parle surtout des positions de principe qu'ils ont adoptées plus récemment.

Mme McLellan: Vous voulez dire en ce qui a trait au tribunal criminel international.

Le sénateur Grafstein: Je suis particulièrement sceptique au sujet de tout ce qu'ils pourraient dire sur ces enjeux et leur modèle, mais cela ne veut pas dire que nous devions jeter le bébé avec l'eau du bain.

Mme McLellan: Bien sûr, en tant que dernière superpuissance mondiale, les États-Unis ont des préoccupations particulières à l'égard de ce tribunal international. Je sais que mon collègue le ministre Axworthy continuera à en discuter avec son homologue américain.

Je ne crois pas que nous devions juger trop durement le processus d'extradition que nous avons établi ici. Je crois qu'il est rapide et efficace et qu'il résistera à un examen judiciaire. Quand vous parlez de processus sommaire, je rappelle que les tribunaux de notre pays ont dit clairement qu'il devait y avoir un processus judiciaire quelconque. Autrement, ce serait vraiment inquiétant. Par conséquent, nous devons prendre garde de ne pas dépouiller les gens du droit fondamental à un traitement juste et selon les règles de droit régulières que la Cour suprême a établies, même s'ils sont accusés des crimes les plus terribles.

M. Roy: J'ai seulement quelques remarques à faire à l'intention du sénateur Grafstein. Ce que la ministre a dit dans son intervention sur les États-Unis était en réponse à un argument soulevé par certains au sujet des tribunaux pour le Rwanda et la Yougoslavie, selon lequel nous ne pourrions pas utiliser ce processus. Ce qu'elle dit, c'est que les Américains utilisent le processus d'extradition et que cela fonctionne très bien. Il n'y a donc pas de véritable problème. Si nous suivons le processus que nous proposons, nous ne manquons pas à nos obligations internationales.

Ma deuxième observation a trait à l'argument présenté par Amnistie Internationale. Cet argument aurait plus de poids si le processus proposé était semblable à celui qui est déjà en place. Cela signifierait qu'un affidavit officiel serait nécessaire pour extrader quelqu'un. Ce n'est pas ce que propose la ministre.

Selon l'affaire en cause, il serait possible et même, selon nous, probable, que le processus soit accéléré. Prenons 30 secondes pour donner un exemple. Si, au moment présent, vous essayez de trouver des preuves qu'une certaine personne accusée a réellement commis des crimes au Rwanda, vous devez obtenir des affidavits et essayer d'y parvenir. À l'avenir, le dossier de l'affaire sera préparé par les procureurs de La Haye. Le dossier sera présenté à un juge qui n'aura qu'à déterminer d'après ce qu'on lui présente si les preuves justifient un procès. Une fois que ce sera fait, l'affaire sera soumise au ministre de la Justice, qui prendra une décision sur-le-champ. Je ne crois pas qu'on parle d'un processus qui traînera en longueur et qui risque de créer toutes sortes de problèmes. Je pense que le processus proposé dans le projet de loi accélérera les choses. C'est ce que nous voulons aussi, et c'est ce que fera le projet de loi C-40, avec tout le respect que je dois à ses détracteurs.

Le sénateur Andreychuk: Il me semble que si nous acceptons la proposition d'Amnistie Internationale pour l'accélération du processus, nous pourrions avoir l'air de préjuger de l'aboutissement des affaires. Nous pourrions les interpréter un peu différemment.

Nous tentons de renforcer ces tribunaux pour nous assurer que ces présumés criminels aient un procès juste. Il me semble que, si nous abrégions ce processus, nous aurions l'air d'avoir déjà pris la décision. J'appuie donc la position du gouvernement sur cette question.

Toutefois, on a dit beaucoup de choses sur le rôle du Canada face à ces tribunaux et le fait que nous avons été considérés comme des leaders. Si tel est le cas, pourquoi cette mesure législative a-t-elle pris tant de temps à arriver ici? Madame la ministre, c'est ce que je demandais, tout comme les procureurs des provinces, bien avant qu'on vous confie votre portefeuille. Pourquoi a-t-il fallu tellement de temps avant que le Canada réagisse?

Mme McLellan: C'est une excellente question. C'est pourquoi j'encourage tout le monde à se mettre au travail et à faire ce qu'il faut pour faire aboutir le projet de loi C-40, afin que nous ne soyons plus dans cette situation embarrassante.

Les fonctionnaires de mon ministère peuvent peut-être vous renseigner sur la chronologie des faits, à ce sujet. Je sais qu'il y a eu d'autres mesures législatives présentées pour tenter de faire une réforme majeure, et qu'elles n'ont pas eu de suite pour une raison ou une autre. Je ne connais pas les détails.

Le sénateur Andreychuk: On m'a dit que vous refaisiez complètement la loi et que, pour cette raison, cette mesure ne constituerait pas une loi distincte. Tout ce qu'on a pu dire à notre sujet, à savoir que nous sommes des leaders, ne tient plus. Nous n'avons fait que suivre le mouvement. Je le dis notamment au sujet du traité de Rome et d'autres ententes semblables.

Mme McLellan: Nos lois sur l'extradition n'ont pas fait l'objet d'une révision majeure depuis 100 ans. Notre pays a une loi distincte pour les pays du Commonwealth. C'est représentatif d'un état de fait qui avait vraiment de l'importance pour nous, il y a 100 ans, et c'était pertinent, mais le monde a beaucoup changé. Vous avez raison, nous n'avons pas fait de réforme fondamentale, comme d'autres pays l'ont fait, pour tenir compte des circonstances changeantes. Nous le faisons maintenant. Je pense que c'est attribuable au leadership manifesté par mon collègue, le ministre des Affaires étrangères et, jusqu'à un certain point, par certains de ses prédécesseurs, en collaboration avec des ministres de la Justice. Nous nous sommes saisis de la question et nous en sommes arrivés à comprendre, à mesure que nous nous intégrons à la communauté mondiale. À mon ministère, en collaboration avec le ministère des Affaires étrangères, nous avons presque quotidiennement des exemples concrets de situations où nous ne pouvons pas assumer nos responsabilités parce que nous n'avons pas les lois qui nous permettraient de le faire.

C'est donc surtout qu'il est devenu évident et même pressant pour nous, en tant que gouvernement et en tant que ministres, que nous devons maintenant agir. Nous devons agir rapidement pour rectifier la situation que vous avez soulignée avec raison, sénateur. Si mon collègue, le ministre des Affaires étrangères, était ici, il vous dirait à quel point c'est important pour lui. En fait, c'est lui qui a exercé des pressions pour que le ministère de la Justice s'occupe de rédiger un projet de loi, de faire des consultations et de présenter le tout au Parlement. C'est parce qu'il sait encore mieux que moi les pressions qui sont exercées, étant donné qu'il rencontre d'autres ministres des Affaires étrangères et qu'il doit répondre aux préoccupations très pratiques et réelles dont ils lui font part.

Le sénateur Andreychuk: Nous avons discuté du fait que la territorialité était importante. Un canadien qui commet un crime aux États-Unis devra payer pour cela. Les Affaires étrangères essaient toujours d'apprendre cette leçon aux touristes canadiens. Vous dites qu'il a fallu 100 ans avant d'en arriver à présenter cette mesure. Faudra-t-il 100 autres années avant qu'elle change? J'espère que non. La notion de crime évolue tellement que la territorialité et les partages de compétences poseront plus de problèmes. Si vous avez plus d'une demande, avez-vous pensé aux dilemmes qui pourraient s'ensuivre? Vous avez cité l'exemple de Maersk Dubai. Dans le cas de Pinochet, il y a plus d'un pays qui veulent faire des poursuites. À votre avis, madame la ministre, cette mesure législative est-elle assez souple pour durer et couvrir toutes les facettes complexes de ce type de crimes?

Mme McLellan: Je pense que oui, sénateur. Je ne veux pas en dire trop sur la situation particulière à l'affaire Pinochet.

Le sénateur Andreychuk: À compter du 24 mars.

Mme McLellan: Une enquête sur notre rôle dans l'affaire Pinochet est en cours dans ce pays à la suite d'une demande qui nous a été faites.

Sénateur, vous avez raison de signaler que le monde dans lequel nous vivons est de plus en plus multinational et qu'il y aura des situations où plus d'un pays sera intéressé. Je pense que c'est couvert par le projet de loi. Je vais laisser M. Roy vous l'expliquer.

M. Roy: Aux termes du régime que propose Mme McLellan, le processus sera entamé par le ministre de la Justice. C'est le ministre qui décidera quel pays aura la priorité. Je souligne que l'article 5 débute par ces mots: «L'extradition peut avoir lieu». Autrement dit, elle n'est pas obligatoire. Le ministre devra déterminer dans quel forum la personne en question sera le mieux traitée, compte tenu de la nécessité pour le Canada de s'acquitter de ses obligations.

Le sénateur Andreychuk: C'est à cela que je voulais en venir. Ce sera laissé à la discrétion du ministre. Je me demande si c'est la voie de l'avenir. Nous sommes à cours de temps, mais je voulais soulever cette question.

Le sénateur Grafstein: J'aimerais revenir sur un point important.

Je ne veux pas sembler illogique, mais la question du pouvoir discrétionnaire du ministre en ce qui concerne l'extradition vers un pays où existe la peine de mort est difficile. Vous avez choisi, dans le projet de loi, de la laisser à la discrétion du ministre. Je vous ai écoutée et je comprends un peu mieux votre position, mais permettez-moi de vous donner un exemple concret. Si vous faisiez aujourd'hui un sondage au Canada et que vous demandiez si la peine de mort devrait être rétablie, vous obtiendrez une forte minorité, voire une majorité, en faveur de la peine de mort.

Mme McLellan: Oui, fort probablement.

Le sénateur Grafstein: Nous sommes allés à l'encontre de la volonté du peuple pour façonner ce que nous considérons être une société plus humaine. Au fil des ans, nous avons livré cette bataille et c'est une situation qui a été et qui continue d'être difficile. Je pense que nous sommes tous d'accord là-dessus.

Ceci dit, supposons que nous soyons aux prises avec une affaire horrible, par exemple, le cas d'un assassin multiple au Texas. Supposons que cette personne s'échappe et se réfugie au Canada. Le Texas demande qu'elle soit extradée. Si la décision est laissée à votre discrétion, comment conciliez-vous ces deux valeurs sociétales sachant que la peine de mort existe dans cet État? Comment trancher, ne vaudrait-il pas mieux que l'extradition soit obligatoire, ce qui vous faciliterait la tâche?

Mme McLellan: C'est une lourde responsabilité à placer sur les épaules du ministre de la Justice, mais c'est une fonction exécutive qui doit lui revenir.

Comme vous l'avez dit, dans ce pays nous avons choisi d'abolir la peine de mort comme n'étant pas une option possible dans le cadre des poursuites au criminel. C'est une décision que j'appuie sans réserve et qu'un nombre croissant de Canadiens appuient également je pense.

Ceci dit, si quelqu'un dans ce pays commet un crime d'une telle horreur, cette personne sera condamnée à la prison à perpétuité, mais pas à la peine de mort. Par contre, aux États-Unis la peine de mort existe dans au moins 30 États.

Le sénateur Grafstein: Et elle est obligatoire.

Mme McLellan: Effectivement, dans certains cas, elle est obligatoire.

Par conséquent, aux États-Unis, une personne qui commet un meurtre -- c'est-à-dire qui choisit d'ôter la vie à quelqu'un -- sait que les valeurs sociétales sont telles que, dans certaines circonstances, la peine de mort s'appliquera.

Quand il s'agit d'extradition, j'ai la capacité d'exercer mon pouvoir discrétionnaire -- et les cas les plus difficiles et les plus importants dans lesquels je suis appelée à exercer ce pouvoir sont ceux où la peine de mort est une possibilité. Il est approprié que nous imposions notre conception d'une société humaine à un État souverain qui a une conception opposée à la nôtre, dans le cadre des poursuites intentées contre une personne ayant commis un crime dans cet État.

Les principes de l'extraterritorialité ne s'appliquent pas, mais il est normal que nous défendions, protégions et renforcions le concept canadien de société humaine dans le cadre des poursuites au criminel quand, dans notre pays, quelqu'un est victime de crimes. Les gens savent comment ils seront traités s'ils violent la loi. Les gens savent comment ils seront traités aux États-Unis. S'ils se réfugient au Canada après avoir tué quelqu'un, je crois honnêtement que je dois avoir le pouvoir discrétionnaire de les extrader aux États-Unis, même s'ils risquent la peine de mort -- à moins qu'il n'existe des circonstances qui, à mon avis, font que ce serait inapproprié. Je peux également demander l'assurance que la peine de mort ne sera pas appliquée. Si je n'obtiens pas une telle assurance, je dois alors prendre la difficile décision d'extrader ou non.

Il est raisonnable que l'exécutif et le ministre de la Justice de ce pays assument cette responsabilité. S'ils ne le font pas, malheureusement, d'autres Charles Ng chercheront à se réfugier dans notre pays. Aussi difficile que la peine de mort soit pour moi, pour vous et pour de beaucoup d'autres personnes autour de cette table, je ne crois honnêtement pas que nous voulions être décrits par les États-Unis et par d'autres pays comme un refuge pour certains des pires criminels. Dans un certain sens, c'est là qu'est le problème. Ces personnes ont commis des crimes atroces. Charles Ng vient d'être reconnu coupable par l'État de la Californie du meurtre de 11 personnes, qu'il a brutalement torturées. Si nous n'avions pas le pouvoir discrétionnaire de l'extrader et si, par-dessus le marché, nous le laissions se promener en toute impunité au Canada, nos concitoyens réclameraient soit que nous modifiions la Loi sur l'extradition soit, ce qui serait plus tragique, que nous apportions d'autres modifications à la législation pénale.

La présidente: Sur ce, nous allons lever la séance. Je vous remercie beaucoup d'avoir été des nôtres ce matin.

Mme McLellan: Je vous remercie. Tout le plaisir fut pour moi. Je suis toujours contente de venir car nous avons des discussions très stimulantes.

La présidente: Nous vous reverrons très certainement.

La séance est levée.


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