Délibérations du comité sénatorial permanent
des
Affaires juridiques et constitutionnelles
Fascicule 68 - Témoignages
OTTAWA, le jeudi 29 avril 1999
Le comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit aujourd'hui à 12 h 07 pour examiner les Propositions visant à corriger des anomalies, contradictions ou erreurs relevées dans les Lois du Canada et à y apporter d'autres modifications mineures et non controversables ainsi qu'à abroger certaines lois ayant cessé d'avoir effet, et pour étudier le projet de loi S-17, Loi modifiant le Code criminel relativement au harcèlement criminel et à d'autres sujets connexes.
Le sénateur Pierre Claude Nolin (vice-président suppléant ) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le vice-président suppléant: Chers collègues, comme vous pouvez le constater en voyant notre ordre du jour, nous allons nous pencher ce matin sur deux sujets: les propositions visant à corriger certaines anomalies relevées dans nos lois et le projet de loi S-17. Étant donné qu'on a demandé au comité de direction de rouvrir le débat sur l'examen des propositions, je propose que nous abordions ce sujet en premier. Les représentants du ministère de la Justice sont ici dans ce but et, si vous m'y autorisez, je vais les inviter à se présenter.
Des voix: D'accord.
Le vice-président suppléant: La nouvelle proposition qu'on nous soumet vise à modifier la définition de «juridiction supérieure» au paragraphe 3(1) de la Loi sur l'aéronautique. Elle fera l'objet d'un nouveau paragraphe, le paragraphe 4(1).
Je demanderais aux représentants du ministère de la Justice de bien vouloir prendre la parole.
[Français]
Madame Hélène Rodrigue, conseillière législative, ministère de la Justice: Monsieur le président, nous aimerions vous demander l'autorisation de présenter une modification additionnelle aux propositions. Il s'agit, comme vous venez de le mentionner, d'une modification très technique.
Le 9 avril 1999, l'article 8 de la Loi de 1996 sur l'amélioration des travaux est entrée en vigueur. Cet article a pour effet de modifier le nom de la Cour de l'Ontario, division générale, qui devient maintenant la Cour supérieure de justice. Dans notre proposition, au paragraphe 4(1), nous modifions la définition de la juridiction supérieure, au paragraphe 3.1 de la Loi sur l'aéronautique. Nous aimerions présenter une modification pour substituer les mots «Cour supérieure de justice» à l'ancienne appellation du tribunal qui était la cour de l'Ontario, division générale. Nous avons préparé un document qui présente la modification et la motion qui permettrait de modifier cette définition. Je crois que le document vous a été dit distribué.
[Traduction]
Le vice-président suppléant: J'aurais une question. L'automne dernier, nous avons étudié la Loi sur les juges, comme nous le faisons tous les 18 mois, et nous avons justement discuté de cette appellation. Que s'est-il passé entre novembre et avril?
M. Don Macpherson, conseiller législatif, Section de la législation, ministère de la Justice: Monsieur le président, avez-vous modifié cette loi à l'automne en y utilisant la nouvelle appellation, ou l'avez-vous révisée en conservant l'appellation «Cour de l'Ontario (Division générale)»?
Le vice-président suppléant: Nous y avons substitué à l'ancienne appellation celle de «Cour supérieure».
M. Macpherson: Donc, vous étiez en avance sur les rédacteurs de la Loi corrective, qui a pour effet de remplacer l'ancienne appellation d'il y a cinq ou six ans.
Le vice-président suppléant: Par souci de cohérence, nous devrions approuver cette proposition.
M. Macpherson: La seule autre possibilité serait de retirer l'amendement quand nous soumettrons la question à l'autre endroit, mais il serait probablement préférable d'utiliser la bonne appellation.
Le vice-président suppléant: Chers collègues, êtes-vous favorables à l'adoption de cette proposition?
Des voix: D'accord.
Le vice-président suppléant: Il faudrait que quelqu'un propose l'adoption du nouvel amendement présenté par le ministère de la Justice et l'ajout de la motion au rapport du comité.
Le sénateur Moore: Je m'en fais le proposeur.
Le vice-président suppléant: D'accord?
Des voix: D'accord.
[Français]
Le vice-président intérimaire: Je vous invite à continuer l'étude du projet de Loi S-17, modifiant le Code criminel relativement au harcèlement criminel et à d'autres sujets connexes.
[Traduction]
J'inviterais les membres du comité à passer au point 2 de l'ordre du jour, c'est-à-dire à l'étude du projet de loi S-17. Nous entendrons maintenant la représentante de l'Institut canadien des droits humains, Mme Marguerite Ritchie.
Madame Ritchie, je vous cède la parole.
Mme Marguerite Ritchie, présidente, Institut canadien des droits humains: Honorables sénateurs, je tiens à vous dire que je suis très heureuse de comparaître devant votre comité. Si vous me le permettez, je vais d'abord vous dire quelques mots d'introduction, après quoi, par déférence pour le président, je vais utiliser un compte-minutes pour me retenir de parler trop longtemps. Je vais le régler à 10 minutes, si cela vous convient.
Le vice-président suppléant: Nous ne voudrions pas vous obliger à être brève. Nous préférerions que votre exposé soit complet.
Mme Ritchie: Honorables sénateurs, je suis une avocate préoccupée par les causes de ce mal. Je trouve merveilleux que votre comité se penche sur ce problème qui terrorise, paralyse et détruit les familles. À seulement 10 rues d'ici, là où se trouve le monument en hommage aux femmes, on a posé une pierre à la mémoire d'une avocate qui a été harcelée et assassinée sur la rue McLeod; elle a été abattue au moyen d'une arbalète et a connu une mort atroce. On érige de plus en plus de monuments commémoratifs de ce genre au Canada.
Je suis ravie que le Sénat, à qui les journaux ne donnent jamais justice, ait décidé de s'attaquer à cette question. Comme vous le verrez en lisant mon mémoire, je vous exhorte à ne pas vous montrer trop modestes à propos de ce que vous faites.
Mon mémoire s'intitule «La chasse aux femmes -- l'éducation d'un harceleur». Je suis d'avis que certains harceleurs sont des harceleurs nés, mais que d'autres ne cherchent que la publicité et la renommée. En réalité, nos lois y sont pour beaucoup dans le fait que des hommes battent leur femme et que des femmes acceptent de se laisser tabasser par leur conjoint, au point d'être forcées de chercher et souvent de parvenir à s'enfuir, parfois pour le mieux, et souvent pour le pire.
Quand une femme réussit à s'enfuir, si elle le fait tardivement, elle s'expose à connaître le sort même que votre comité craint qu'elle ne soit appelée à subir dans de telles circonstances et à découvrir que le prix à payer pour sa liberté n'est rien de moins que la renonciation à tout ce qui a constitué sa vie jusqu'alors. C'est là un choix que personne ne devrait avoir à faire.
À la première page de mon mémoire, je vous donne un bref aperçu de ce que j'ai fait pour la cause des femmes et des droits de la personne tout au cours de ma carrière. Vous verrez que j'ai accompli une bonne partie de mon travail en ce sens dans le cadre des mandats que j'ai assumés comme avocate. Au ministère de la Justice, j'étais responsable des questions relatives au droit international, aux Nations Unies et à ses conventions. Par exemple, j'ai été chargée de l'examen de la Convention des Nations Unies sur les droits politiques de la femme. Je me suis également occupée de questions relatives aux affaires étrangères et au droit constitutionnel.
Dans l'exécution de mes tâches, j'ai eu la chance d'avoir affaire à l'une des plus merveilleuses sénateurs qu'on puisse imaginer, le sénateur Muriel McQueen Fergusson. Grâce à elle, parce qu'elle a pu faire avancer des idées dans des comités comme le vôtre, et grâce à moi, à cause du travail d'information et de recherche que j'ai accompli au ministère de la Justice et dont elle s'est servie pour jeter des bases solides sur lesquelles elle a pu bâtir, il s'est opéré des changements, dont l'un des plus importants, et qui a d'ailleurs probablement un lien direct avec la question que vous examinez aujourd'hui, est le fait qu'on a inclus dans la Convention des Nations Unies sur les droits politiques de la femme une disposition prévoyant que les nominations à des fonctions officielles doivent se faire dans le respect du principe de l'égalité entre les femmes et les hommes.
J'ai insisté auprès du ministère pour qu'on considère que cette exigence s'applique aussi à la nomination de jurés dans les causes criminelles. Les décideurs du temps n'ont toutefois pas compris l'importance de cette exigence ou n'y ont pas cru, et mes démarches en ce sens ont échoué. Muriel McQueen Fergusson a repris cette cause en main et l'a défendue avec succès au Sénat. Il en est résulté que, à la suite des pressions du Sénat, le Parlement a décidé d'inclure dans le Code criminel du Canada une disposition ayant pour effet d'invalider les lois provinciales qui niaient aux femmes le droit de faire partie d'un jury dans une cause criminelle.
Pourquoi cette décision a-t-elle été importante? Elle l'a été parce que, jusque là, aucune femme n'avait jamais intenté de poursuite devant un tribunal pour avoir été violée ou battue. Essentiellement, les femmes souffraient et mouraient en silence. Grâce au Sénat, la situation a changé.
Dans mon mémoire, j'explique plus en détail ce que j'espère obtenir de votre comité et du Sénat.
Plus loin, je vous donne un très bref aperçu de ce qu'est l'Institut canadien des droits humains. Je vous invite à en faire la lecture plus tard. Ensuite, je vous fais remarquer que vous pouvez, par ce projet de loi, améliorer la qualité de vie de la personne et accroître sa liberté et sa sécurité, au sens de l'article 3 de la Déclaration universelle des droits de l'homme et de l'article 7 de la Charte des droits et libertés. Ce sont là des objectifs et des orientations à propos desquels vous pouvez assumer un leadership.
En ce qui concerne le projet de loi comme tel, j'ai tenté, comme je vous l'ai déjà mentionné, d'imaginer des inconvénients qui pourraient en résulter, mais je n'en ai pas trouvé qui résistent à l'examen. Il est vrai que ses dispositions limiteront la liberté de la personne qui a été reconnue coupable de harcèlement criminel. C'est précisément le message qu'on veut communiquer à ceux qui commettent des actes de harcèlement ou qui songeraient à le faire. Nous avons d'ailleurs eu droit hier à une éloquente illustration du fait que la violence est contagieuse.
Si ceux qui sont condamnés pour harcèlement criminel ont des problèmes de santé mentale, il faudrait évidemment les soigner, mais on ne devrait jamais permettre que des femmes et des enfants, ni même des hommes, menacés par des harceleurs soient réduits à vivre dans la peur ou, comme le sénateur Oliver et d'autres l'ont clairement exprimé, soient forcés de quitter leur foyer et de s'exiler, au Canada ou ailleurs, et de changer d'identité comme des êtres humains traqués.
J'aborde ensuite la question de l'éducation des harceleurs. Comment devient-on harceleur ou assassin de femmes? Ce ne sont pas tous les harceleurs qui cherchent à s'immortaliser temporairement dans les médias en s'attaquant à une célébrité. Comment notre société produit-elle donc des harceleurs et des assassins de femmes? Je ne crois pas qu'il y en ait dans tous les pays du monde.
L'Institut canadien des droits humains considère que c'est au long passé d'inégalité des femmes qu'il faut imputer directement l'existence de la plupart des harceleurs. C'est pourquoi nous espérons saisir la Cour suprême du Canada d'une cause dont l'issue permettrait de vérifier la portée réelle de la garantie du droit à l'égalité dont sont censées jouir les femmes aux termes du paragraphe 15(1) de la Charte des droits et libertés, car, dans le moment, cette garantie ne semble pas se traduire par autre chose que par des mots. Personne n'en a encore vérifié la portée devant la Cour suprême. Nous voulons que la Cour suprême établisse si le droit à l'égalité que possèdent les femmes comporte le droit d'être nommées au Sénat du Canada.
Ce faisant, nous empruntons la même voie que les cinq femmes albertaines qui ont obtenu, en 1929, que le Conseil privé statue qu'il n'existait pas d'obstacles juridiques à la nomination des femmes au Sénat. Ces femmes, il y a soixante-dix ans, ne cherchaient pas à être nommées elles-mêmes; elles voulaient obtenir que les femmes aient voix au chapitre dans l'élaboration des lois votées par le Parlement.
Nous avons des copies de pétitions qui remontent aux environs de 1924, signées principalement par des femmes du Québec, qui réclamaient la nomination de femmes au Sénat, parce que, comme on le mentionnait au haut de chaque feuille de pétition, alors que le Sénat du Canada adoptait des lois qui touchaient les femmes et les enfants, les femmes n'y avaient aucune voix pour faire entendre leur point de vue. Tel était le but de ces pétitions. Chaque sénateur doit se sentir gardien de cette tradition de responsabilité.
Vous n'ignorez sans doute pas que ces femmes n'ont obtenu ni les nominations ni l'écoute qu'elles revendiquaient. Ce n'est que depuis que l'Institut canadien des droits humains a entrepris, en 1985, de demander un renvoi à la Cour suprême du Canada pour vérifier si l'égalité dont sont censées jouir les femmes s'appliquait aux plus hauts échelons de l'appareil gouvernemental qu'on s'est mis à nommer des femmes en nombre important au Sénat.
Nous avons rendu hommage à maintes reprises au premier ministre actuel pour les nominations qu'il a faites. Je tiens à lui témoigner de nouveau ici notre reconnaissance. Il a nommé 20 femmes et 18 hommes au Sénat, si bien que des hommes qui sont membres de l'Institut viennent maintenant me dire qu'ils voudraient bien eux aussi être définis comme égaux. Ils ont raison. L'égalité doit jouer dans les deux sens, et certains d'entre eux sont maintenant plus à même qu'auparavant de comprendre le problème.
Mais il reste que les gains que nous avons réalisés sous ce premier ministre pourraient, en principe, être annulés par son successeur.
Tant qu'on n'aura pas défini la notion d'«égalité» et que la Cour suprême n'aura pas reconnu que ce principe s'applique aux échelons supérieurs de l'appareil d'État, le message qu'on continuera de transmettre aux Canadiennes et aux Canadiens demeurera que les femmes ne sont pas plus égales maintenant que dans le passé. En attendant, elles en sont réduites à devoir s'évertuer, en y allant au cas par cas -- et encore là, pourvu qu'elles puissent réunir les fonds nécessaires --, à vérifier si telle disposition de telle loi garantit bien l'égalité aux femmes.
Comme vous le savez, quand une femme est victime de viol, on prétend officiellement qu'il y a égalité, qu'il y a justice dans le traitement, même si on n'impose pas à la victime et au présumé violeur les mêmes exigences en matière de divulgation. Une fois qu'on a établi que l'acte a été commis, seule l'intention criminelle compte. L'agresseur présumé peut contre-interroger la femme sur n'importe quoi, mais son passé à lui n'est jamais dévoilé. Bien des choses doivent changer.
Cette culture de l'inégalité est à la base de l'éducation du harceleur. On lui enseigne que lorsqu'on perd le contrôle d'une femme, il faut le reprendre; que lorsqu'une femme désobéit, elle doit être punie; et que lorsqu'une femme se fait voler ou s'enfuit, le harceleur a le droit de prendre les mesures qui s'imposent et d'appliquer les sanctions qu'il désire. Voilà dans quel esprit agit le harceleur.
Ce sont là des choses que l'on entend fréquemment. Beaucoup de femmes m'ont dit que leur mari les considère comme sa propriété. Des hommes m'ont avoué que ce qui les fâche le plus, c'est que leur épouse ou leur partenaire ne leur obéisse pas, qu'il leur faille la battre pour la ramener dans le droit chemin. Cette impression de propriété de la femme par l'homme vient de nos anciennes lois. Certains hommes disent qu'ils sont le chef de famille et que leur épouse doit leur demander la permission avant de sortir ou de prendre un emploi. Autrement, ils se mettent en colère. Je le répète, ils ont le sentiment de la posséder.
D'innombrables hommes et femmes se marient dans le cadre d'une cérémonie où la femme promet devant Dieu d'obéir à son mari, et elle le fait. Chez les couples qui vivent en union libre de nos jours, cette conviction n'est pas forcément disparue. Ils ne prêtent peut-être pas serment, mais ils vivent toujours avec ce sentiment qui est fort répandu dans la société.
Cette mentalité ne disparaîtra pas tant que le gouvernement, le Parlement et les tribunaux n'auront pas parlé haut et fort. Ce projet de loi, s'il est adopté, contribuera à civiliser les relations entre les femmes et les hommes, pourvu que son adoption fasse l'objet d'une publicité maximale et continue, que les valeurs qu'il prône soient enseignées dans les écoles et qu'il soit suivi de mesures qui consacrent enfin l'égalité des femmes à tous les niveaux dans notre pays.
Ce ne sera pas facile, j'en conviens, mais il faut en venir là. Autrement, le problème demeurera entier. J'attire votre attention sur le fait que de nouveaux Canadiens nous arrivent des quatre coins du monde; beaucoup d'entre eux sont originaires de pays où la femme est considérée comme ne valant pas cher. Je me suis entretenue avec un certain nombre de néo-Canadiennes à qui j'ai demandé si, avant d'obtenir leur citoyenneté, on les avait informées que, dans notre pays, les femmes étaient les égales des hommes. Jusqu'à maintenant, on m'a toujours répondu que non, on ne leur en avait jamais parlé.
Il n'y a donc pas lieu de se surprendre qu'un résident d'Edmonton, originaire du Moyen-Orient, se soit débarrassé de sa femme en la faisant basculer du balcon du cinquième étage d'un immeuble. À Ottawa, des jeunes filles sont soumises à des mutilations rituelles, même si la loi l'interdit. Encore à Ottawa, une enseignante m'a dit qu'elle n'avait pas le droit de serrer la main à un jeune musulman fondamentaliste. Voilà ce qu'on m'a raconté. Ce sont des choses qu'on vous a sûrement dites à vous aussi.
Les néo-Canadiennes sont menacées, tout comme les Canadiennes de naissance. Une jeune bénévole nous a quitté après être tombée amoureuse d'un musulman fondamentaliste; elle avait pourtant vu comment les choses se passaient dans sa famille. Le premier geste qu'elle a posé a été de couper les ponts avec l'Institut, étant donné que nous croyons à l'égalité des femmes et à l'égalité de tous les individus.
Parlons maintenant un peu des lois qui donnent à croire que la femme est la propriété de l'homme. Les femmes et les hommes qui vivent en couple et qui en viennent à rompre leur relation pour une raison ou pour une autre entrent sur un territoire qui n'est que partiellement cartographié. Chose certaine, ils auront besoin d'aide sur le plan juridique. Or, le premier ministre Harris a fait adopter des mesures qui rendent l'aide juridique difficilement accessible aux Ontariennes dans le besoin. Par définition, une telle rupture du couple plonge forcément la femme dans une situation difficile, car, je le répète, personne n'est conscient de l'égalité entre les hommes et les femmes.
Je suis moins bien placée qu'un avocat du Québec pour traiter de l'historique de cette question dans cette province, mais j'ai l'impression qu'au Québec -- et j'aimerais examiner de près ce volet de la question à une autre occasion --, du moins à une certaine époque, si une femme devait subir une opération, il fallait d'abord qu'elle-même ou son médecin obtienne la permission du mari. Une de mes amies allait avoir un bébé au Québec; son mari, un juge, se trouvant alors en tournée, on ne savait pas s'il serait possible de le joindre, ce qui a créé tout un émoi.
J'aimerais bien savoir comment on en est arrivé là au Québec, car nous savons que, dans le reste du Canada, même si les diverses provinces ont, en cours de route, modifié la loi chacune à sa façon, c'est le droit anglais fondamental qui régissait le mariage, et il en traitait comme je le décris dans mon mémoire.
En vertu des règles de la common law, le mari et la femme étaient considérés comme une seule et même personne, l'existence juridique de la femme mariée étant considérée comme incorporée et unie ou fusionnée à celle du mari. À quelques exceptions près qui apparaissent aujourd'hui sans importance, la femme ne pouvait, sans l'assentiment de son mari, acquérir quelque bien que ce soit, mobilier ou immobilier, ni en avoir la jouissance. C'est ainsi qu'en consultant les anciennes causes en Angleterre, vous verrez les tentatives désespérées que faisaient des pères pour parvenir à transférer de l'argent à leur fille mariée pour lui permettre de quitter son mari sans que celui-ci s'en saisisse. Le mari non seulement contrôlait les biens de sa femme et en était réellement propriétaire, mais, en fait, la personne même de sa femme lui appartenait. C'est d'ailleurs de là que provient cette idée de propriété. La loi permettait au mari de battre sa femme. Si elle mourait sous les coups, c'est probablement qu'elle s'était montrée trop difficile à vivre.
J'ai ici le texte d'un jugement rendu dans une affaire datant de 1840, l'affaire Cochrane, où était en cause une femme qui s'était enfuie pour échapper à l'emprise de son mari. Elle devait avoir obtenu de l'argent de son père, puisqu'elle était allée faire du tourisme en Europe. Son mari était parvenu à la retrouver en faisant appel à un émissaire qui allait se servir du mensonge comme stratégie. À son retour, l'épouse a été arrêtée et incarcérée, puis, en 1840, le tribunal a été appelé à statuer sur la question de savoir si on avait le droit de l'emprisonner. Le juge a établi que oui, on pouvait le faire, sauf si elle s'était enfuie pour une raison majeure, par exemple parce que sa vie était menacée. Son mari pouvait donc la faire emprisonner. Il s'agit là d'un bel exemple d'affaire odieuse.
Poursuivons sur le même sujet. L'enracinement de cette notion de propriété, qui, au Canada, nous vient de la common law, est probablement ce qui explique qu'encore aujourd'hui, nombreuses sont les femmes qui refusent d'avouer que leur mari les bat; elles ont honte. Pourquoi ont-elles honte? À cause de ce qu'on leur a enseigné. Elles ont hérité, presque dans leurs gènes, de la croyance qu'elles sont faites pour appartenir à quelqu'un.
Peut-être que cette attitude tient également à la croyance non moins épouvantable qu'en battant sa femme, un homme lui témoigne son amour. Il nous reste encore beaucoup de travail à accomplir.
Il est probable que nombre de harceleurs, consciemment ou non, croient qu'ils sont dans leur droit. Dans les témoignages qu'a entendus le comité, on a souvent mentionné que, jusque tout récemment, les policiers se montraient réticents à intervenir dans des querelles de ménage ou refusaient carrément de le faire, se disant, naturellement, que le foyer familial était le royaume du mari et que la façon dont il y traitait sa femme et ses enfants ne regardait que lui.
Il y a quelques années, nous avons eu droit à la Chambre des communes à une belle illustration de cette attitude lorsque la députée Margaret Mitchell y a soulevé la question des femmes battues. Son intervention avait déclenché une explosion de rires chez ses collègues masculins, eux qui avaient pourtant été élus pour protéger les intérêts de la population canadienne. Heureusement, les caricaturistes se sont emparés de l'affaire, et l'un d'eux a produit une caricature montrant des porcs vêtus de complets pour hommes, qui riaient scandaleusement en plein Parlement.
Je suis ravie qu'on ait des caricaturistes.
Y a-t-il d'autres façons dont nos lois ont historiquement contribué à assujettir les femmes au contrôle de leur mari, ou de quiconque jouait ce rôle? Oui, d'innombrables façons. On n'a qu'à consulter un ancien Code criminel canadien pour le constater. Par exemple, à l'article 135 du classique Code Martin de 1962, on définissait le viol en ces termes:
135. Une personne du sexe masculin commet un viol en ayant des rapports sexuels avec une personne du sexe féminin qui n'est pas sont épouse,
a) sans le consentement de cette personne du sexe féminin, ou
b) avec le consentement de cette dernière, si le consentement
(i) est arraché par des menaces ou par la crainte de lésions corporelles [...]
À proprement parler, un homme n'était donc pas vulnérable en droit pour avoir violé son épouse. Certes, on a modifié cette règle depuis, mais ce changement n'a été apporté que relativement récemment. Un homme ne pouvait être trouvé coupable d'avoir violé sa femme. Elle lui appartenait, et il pouvait donc en faire ce qu'il voulait.
De nombreux enfants sont nés de mariages sans amour, et j'ai eu l'occasion de m'entretenir avec certains d'entre eux. Nous ignorons quel genre de rapports ces enfants ont eus, en grandissant, avec les personnes de l'autre sexe. Dans certains cas, leurs parents leur ont enseigné ce qu'il ne fallait pas faire, mais dans d'autres, ces enfants ont été amenés à considérer cette attitude de domination comme normale, et leur vie en a été détruite.
Permettez-moi de vous donner un dernier exemple qui illustre à quel point les femmes étaient une marchandise au Canada. Un homme dont l'épouse avait eu des relations sexuelles avec un autre homme pouvait poursuivre ce dernier en dommages-intérêts au civil, car cet étranger avait porté atteinte à sa propriété. J'imagine que ce genre de loi n'a plus cours, bien que je n'aie pas vraiment fait de recherche sur le moment où l'on a aboli cette pratique. Je suppose, en tout cas, que, de nos jours, une telle requête serait jugée irrecevable par les tribunaux et que son auteur serait proprement la risée de tous, mais les archives nous montrent jusqu'où pouvait aller ce sentiment de possession.
Ce sont là des exemples de lois dont la plupart des sénateurs se souviennent sans doute. Elles constituent le fondement sur lequel repose encore aujourd'hui la croyance de bien des hommes qu'ils sont en droit d'exercer un contrôle sur la conduite de toute femme avec qui ils ont vécu, dans les liens du mariage ou autrement. Il demeure fréquent que des hommes considèrent que leur femme leur appartient en propre et qu'ils se doivent de prendre toutes les mesures voulues pour qu'elle demeure en leur possession, quitte à la détruire à défaut de pouvoir la retenir.
Naturellement, la femme d'aujourd'hui -- et cela inquiète beaucoup les hommes journalistes -- va parfois jusqu'à abattre l'homme qui la menace, plutôt que de se résigner à être victime de harcèlement criminel ou d'autres sévices.
Voilà pourquoi le projet de loi S-17 est si important, car il forcerait notre société à évoluer dans le sens d'une plus grande protection de la femme. C'est également pourquoi le projet de loi S-17, en attirant l'attention sur ce problème, peut constituer un moyen privilégié -- qui n'a rien de banal -- d'obtenir qu'au Canada, on en vienne à respecter vraiment le droit des femmes à l'égalité, droit qui leur est, en principe, déjà garanti par la Charte des droits et libertés, et de progresser dans l'établissement d'une société plus sûre et plus conviviale pour tous.
Je tiens à vous lire les deux derniers paragraphes de mon mémoire pour m'assurer qu'ils figureront fidèlement au compte rendu et que les personnes ici présentes seront bien au fait de leur contenu.
J'espère que les sénateurs feront de leur mieux pour susciter l'intérêt des médias -- et j'espère qu'il y a ici des représentants des médias et qu'ils saisiront ce message -- pour le projet de loi S-17 et pour le travail du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles. J'espère que le comité appuiera vigoureusement ce projet de loi.
Et j'espère que vous réussirez à obtenir la modification du Code criminel qui garantira juridiquement cette protection importante aux femmes et aux enfants, ainsi qu'aux hommes qui peuvent être dans la même situation. L'Institut canadien des droits humains est heureux de pouvoir l'appuyer.
Le sénateur Beaudoin: Madame Ritchie, vous nous avez présenté un exposé des plus intéressants. En conclusion, vous vous déclarez vivement en faveur du projet de loi S-17.
Est-ce à dire que vous ne proposez aucun ajout ni aucune modification au projet de loi?
Mme Ritchie: C'est juste. Je me suis demandé s'il créerait des difficultés à une personne -- la plupart du temps un homme -- qui serait injustement mise en accusation. En fait, il est question ici de cas où il y a eu déclaration de culpabilité. Or, on est rassuré à cet égard, car le projet de loi ne vise pas les cas où un homme, pour les raisons habituelles, en serait à une première infraction mineure et serait tout à fait apte à revenir dans le droit chemin. Ce sur quoi il porte, c'est sur les peines à imposer à ceux qui ont été déclarés coupables d'infraction grave. Je ne vois donc ici aucun problème.
Le sénateur Beaudoin: Vous dites espérer que le comité appuiera vigoureusement le projet de loi. Je puis vous assurer que, pour ma part, je suis également fortement en faveur de ce projet de loi.
J'ai été un peu étonné de l'historique que vous avez fait des inégalités entre les hommes et les femmes. Je savais que le bilan avait été négatif, mais pas à ce point.
Le sénateur Fraser: Vous êtes avocat, et vous ne le saviez pas.
Le sénateur Andreychuk: Il est marié, et il ne le savait pas.
Le sénateur Beaudoin: Peut-être, sénateur Fraser, que les tribunaux civils ne sont pas si mauvais.
Le vice-président suppléant: Depuis 1964, les choses se sont considérablement améliorées au Québec.
Le sénateur Beaudoin: Oui. Vous nous avez donné un excellent aperçu de la situation qui existait dans le passé, et je conviens que les choses étaient horribles.
Je me souviens d'avoir lu quelque chose à ce propos quand j'étais à la faculté de droit de l'Université de Montréal.
[Français]
Le premier paragraphe disait qu'un homme pouvait obtenir une séparation de corps de son épouse pour cause d'adultère. Le second paragraphe disait qu'une femme pouvait obtenir une séparation de corps, pour cause d'adultère, de son mari lorsque celui-ci entretenait sa concubine dans la maison commune.
[Traduction]
Ça m'a scandalisé. Sénateur Fraser, il s'agit là d'une chose que je sais depuis près de 50 ans.
J'aurais une question. La divergence entre le droit civil et la common law sur ce point m'étonne un peu. Comment traite-t-on de ces choses en common law? Au Québec, on ne pense plus de cette façon. En est-on encore là dans le common law?
Mme Ritchie: Je dois dire qu'il ne me semble pas qu'on soit à cet égard en présence d'une vision unique. D'abord, j'ai l'impression que, sous le régime de la common law, personne ne sait quelle est la loi, car nous n'avons pas de code civil. En outre, les attitudes varient considérablement selon les régions.
Si vous avez l'estomac solide, je vous suggère de lire, un bon jour que vous n'aurez rien à célébrer au repas du soir, un ouvrage intitulé Life with Billy. J'en ai lu 90 pages, ou au plus 120, et ça m'a gâché le reste de ma semaine. Il m'a même fallu retourner le livre à la bibliothèque. On y raconte l'histoire vécue d'une Néo-Écossaise, ce qu'il lui a fallu subir dans sa vie de mariage et comment elle en est venue à abattre son mari. Elle a fini par avoir l'appui de tout le village. Même la GRC, qui avait été intimidée par cet homme, était derrière elle.
Ce n'est pas seulement qu'il la battait, car des femmes battues, il y en a dans tout le pays. Il y en a ici même à Ottawa. J'ai vu des femmes avec les yeux terriblement pochés. On n'a qu'à vérifier ce qu'il en est auprès des hôpitaux. Ce qui m'a vraiment rendue incapable de poursuivre la lecture de ce livre, c'est la description de la façon dont cet homme avait brisé un vrai mariage antérieur -- il s'agissait cette fois-ci d'une union libre -- et détruit la vie des enfants issus de ce mariage. Son fils se débrouillait de son mieux, volant tout ce qu'il pouvait. J'ai lu que non seulement le garçon du second mariage était terrorisé par son père, mais que son père le forçait à manger même quand il n'en était pas capable. Le livre contient une insoutenable description de la façon dont le père avait pu forcer son garçon à manger du porridge, lui enjoignant constamment de manger de plus en plus vite, alors que le garçon, naturellement, en était devenu incapable. Le père s'était alors emparé de la cuillère et s'était mis à lui fourrer la nourriture dans la bouche afin de l'obliger à l'ingurgiter, pour enfin prendre le plat et le lui lancer à la figure.
Des choses comme ça, il s'en passe, et il s'en passe partout. Ce n'est pas tout le monde qui est aussi civilisé que les sénateurs, car vous venez de milieux privilégiés. Si ce n'est pas votre cas, vous avez au moins eu l'intelligence et la détermination de réussir. Voilà ce que j'entends par origines privilégiées. Ceux qui n'ont jamais eu ce genre d'inspiration, qui n'ont pas eu la chance d'avoir le bon enseignant au bon moment, qui manquent de tout à la maison et qui ne peuvent compter sur aucun appui dans leur famille -- c'est à eux qu'il faut adresser ce message.
Le sénateur Beaudoin: J'en conviens. Nous avons modifié nos lois pour tenir compte de l'article 28 de la Charte de droits, la clause de dérogation, qui dit qu'indépendamment des autres dispositions de la Charte, les lois s'appliquent également aux personnes des deux sexes. En ce sens, nous sommes à l'avant-garde dans le monde pour ce qui est des textes de loi, mais vous avez raison de dire que les mentalités n'ont pas évolué au même titre. Voilà, selon moi, où réside le problème.
À cet égard, le projet de loi S-17 est certes un pas dans la bonne voie. Malheureusement, les mentalités n'évoluent pas aussi rapidement que nos lois. Êtes-vous de cet avis, vous aussi?
Mme Ritchie: Je suis entièrement d'accord avec vous là-dessus. Vous l'avez exprimé très clairement. L'important, c'est qu'on s'y mette. Les gens comptent sur leurs leaders pour changer les choses. Si vous êtes disposés à faire pression sur les médias, je suis prête, de mon côté, à reprocher aux médias de ne pas accorder au Sénat le crédit qu'il mérite.
Le sénateur Beaudoin: Faites-le, je vous prie.
Le vice-président suppléant: Ne vous engagez pas sur ce terrain.
Le sénateur Moore: Merci de votre exposé, madame Ritchie. Dans votre mémoire, vous dites que vous allez chercher à obtenir un renvoi à la Cour suprême du Canada pour vérifier la portée réelle du droit à l'égalité garanti aux femmes aux termes du paragraphe 15(1) de la Charte des droits et libertés, et vous voudriez que la Cour suprême du Canada décide si ce droit à l'égalité des femmes comprend celui d'être nommés sénateurs. Vous mentionnez que tant que les femmes n'obtiendront pas un tel arrêt de la Cour suprême du Canada, la garantie d'égalité ne voudra rien dire.
Si j'ai bien compris, vous ne croyez pas que ce droit à l'égalité est réel actuellement, malgré ce qu'en dit la Charte, n'est-ce pas? Vous demeurez convaincue que ce droit n'existe pas?
Mme Ritchie: Je sais qu'il n'existe pas. Peut-être puis-je vous en fournir une illustration. Du temps où Diefenbaker était premier ministre, il a fait adopter la Déclaration canadienne des droits par le Parlement, mais il lui a fallu s'y reprendre à deux fois. Le Parlement a d'abord rejeté la première version qu'avait préparée le ministère de la Justice, qui a dû en préparer une seconde. Je le sais, car j'étais au service du ministère à cette époque, et c'est moi qui ai fait ajouter dans le texte les éléments tirés de la Déclaration universelle des droits de l'homme.
Officiellement, la Déclaration de droits qu'avait fait adopter Diefenbaker garantissait l'égalité, et nous qui étions à Ottawa à l'emploi du gouvernement, nous nous disions toutes: «Nous avons maintenant l'égalité». Mais après y avoir regardé de plus près, nous nous sommes mises à nous dire les unes aux autres: «Non, toi, tu n'es pas traitée sur un pied d'égalité, alors pourquoi ne déposes-tu pas une plainte?» Chacune de nous observait ce qu'il en était chez ses collègues.
En 1972, deux femmes autochtones ont eu le courage de vérifier si l'égalité censée être garantie dans la Déclaration des droits qu'avait fait adopter Diefenbaker avait vraiment un sens. Elles tenaient évidemment à être traitées sur un pied d'égalité avec leurs frères autochtones, car on les avait exclues de leur réserve au moment de leur mariage. Comment les choses se sont-elles passées quand leur cause a été entendue en Cour suprême? Le gouvernement leur était tout à fait opposé, absolument. On peut le constater en consultant les archives du ministère des Affaires indiennes, qui fit alors parvenir à toutes les réserves, par l'intermédiaire des préposés aux affaires autochtones, un avis les informant que si Jeannette Lovell avait gain de cause, il pourrait en résulter l'abolition des droits issus des traités. Les Affaires indiennes avaient prévu la tenue, à Ottawa, d'une rencontre avec les chefs indiens de tout le pays, rencontre qui, par pure coïncidence, a eu lieu au moment même où la Cour suprême du Canada a entendu la cause. Étant donné que la rencontre englobait une fin de semaine, on avait également prévu, si je ne m'abuse, entre autres choses, d'amener les chefs autochtones en avion à Montréal pour leur permettre d'assister à une partie de hockey. Il n'y a peut-être pas lieu de s'en étonner, mais cette cause sur l'égalité des femmes a été perdue. Elle ne l'a été que par une seule voix de majorité, mais elle ne l'a pas moins été. L'égalité des femmes, qui paraissait si merveilleuse sur papier, ne voulait donc rien dire. En rendant sa décision, la Cour suprême du Canada a torpillé la Déclaration des droits qu'avait fait adopter Diefenbaker, de sorte que, depuis, plus personne ne peut l'invoquer.
La seule façon de savoir si cette égalité veut vraiment dire quelque chose sera de le vérifier auprès de la Cour suprême du Canada. Pour ce faire, il devra s'agir d'une cause-type qui ne soit pas banale. Il ne servirait à rien d'aller demander à la Cour d'établir si les femmes qui sont à l'emploi de Woolworth doivent recevoir la même rémunération que leurs collègues mâles. Ce dont nous avons besoin, c'est d'une cause-type qui soit claire et qui établisse une norme en matière de conditions d'admissibilité. Pourrait-on trouver mieux qu'une cause portant sur l'accessibilité au Sénat, où les conditions d'admissibilité sont: l'âge -- entre 30 à 75 ans, une tranche d'âge qui compte plus de femmes que d'hommes; la citoyenneté -- il s'agit du même groupe; un lieu de résidence approprié -- où vit ou est prêt à s'installer le candidat, une région où il y a un poste vacant; et enfin, la possession d'un immeuble dont la valeur est d'au moins 4 000 $ supérieure aux dettes du candidat au moment de sa nomination. C'est tout, rien d'autre. Ces conditions d'admissibilité peuvent maintenant servir de modèle, de critère pour notre vérification.
Le sénateur Moore: N'est-ce pas actuellement le cas pour tous les Canadiens?
Mme Ritchie: Il y a possibilité de discrimination. Il faut penser à l'avenir. Nous ne voulons pas parler de ce qu'a fait l'actuel premier ministre, qui n'est pas en reste en ce qui touche la nomination de femmes au Sénat -- il s'agit donc du futur. Cette garantie d'égalité signifie-t-elle que les femmes doivent être nommées au Sénat sur un pied d'égalité?
Le sénateur Moore: Voulez-vous parler d'égalité des chances ou plutôt d'égalité en nombre de nominations au Sénat?
Mme Ritchie: Je crois qu'il s'agit d'égalité des chances. J'ai parlé de cette question à un certain nombre de sénateurs; j'en ai discuté longuement avec deux d'entre eux et je suis très heureuse d'avoir leur appui. Le sénateur Kirby est l'un de ceux à qui j'en ai parlé; il s'est montré fort intéressé, car il est l'un des rédacteurs du projet de loi.
Le sénateur Moore: Madame Ritchie, pour faire le lien avec ce que nous faisons ici aujourd'hui concernant le projet de loi S-17, si vous obtenez votre renvoi et avez gain de cause, vos arguments concernant l'attitude que vous dénoncez ici s'en trouveront-ils affaiblis? Cette victoire contribuerait-elle à atténuer le problème du harcèlement criminel?
Mme Ritchie: C'est une bonne question.
Le sénateur Moore: Nous parlons ici de deux choses à la fois. En réalité, ce que vous visez, je crois, c'est l'égalité sur le plan du respect.
Mme Ritchie: Oui, qu'on nous respecte au même titre que les hommes.
Le sénateur Moore: Qu'on respecte votre corps, votre personne et vos biens.
Mme Ritchie: Oui, l'égalité sur le plan du respect.
Le sénateur Moore: Croyez-vous que le fait d'obtenir l'arrêt que vous souhaitez à l'issue du renvoi de votre cause à la Cour suprême du Canada changerait la mentalité des gens qui se livrent à des actes de harcèlement criminel?
Mme Ritchie: Nous sommes constamment témoins de manifestations de la mentalité dont nous voulons parler. L'an dernier, un homme a fait une crise cardiaque sur l'avenue Carling. Sauf erreur, c'était bel et bien sur la rue Carling; l'incident est survenu juste à l'extérieur de la clinique d'une docteure. Elle est sortie avec son stéthoscope pour venir en aide à la victime. Quand les pompiers se sont amenés sur les lieux, ils ont commencé à la contre-interroger. Quand elle leur a expliqué qu'elle était docteure, ils lui ont demandé de leur en fournir la preuve. Ils l'ont tellement harcelée qu'elle, une docteure, a quitté les lieux. Je ne crois pas qu'on ait agi là de façon à aider cet homme à recouvrer la santé.
En fait, le message qu'il faut adresser à ces hommes qui croient que leur virilité repose d'une manière ou d'une autre sur la violence envers autrui doit venir d'en haut. Certes, il me semble que nous constatons actuellement une évolution pour le mieux, et il m'apparaît évident que nous avons ici une bonne occasion de faire avancer les choses en ce sens, en amenant le Sénat à émettre un message du genre «Nous reconnaissons les femmes au sommet». Ce que je vois ici, ce sont des femmes et des hommes qui s'assoient ensemble, collégialement, pour discuter de problèmes. Un tel message sera important pour des hommes qui travaillent, par exemple, dans des ateliers de carrosserie. Je crois que le message sera entendu. Cet exemple sera repris dans toutes les couches de la société. Les hommes observeront le Sénat et diront: «Vous voyez, ces hommes se sentent parfaitement en sécurité. Ils ne sont pas ébranlés du fait que les femmes obtiennent justice».
Soit dit en passant, ça m'amuse énormément de voir que des hommes qui croient que la violence est signe de virilité puissent se joindre à une équipe de hockey comme les Mighty Ducks ou l'appuyer. Je m'y perds.
Quoi qu'il en soit, le coup d'envoi a été donné ici, et les médias devraient être vos partenaires dans cette cause.
Ma réponse vous satisfait-elle? Je crois qu'une telle action aurait une énorme influence.
Le sénateur Moore: Oui, je vous en remercie.
Le sénateur Grafstein: Madame Ritchie, bienvenue à notre comité. Je connais votre institut, mais peut-être pas autant que je ne le devrais. Vous avez exprimé votre appui général à ce projet de loi, mais vous n'avez formulé aucune recommandation précise visant à modifier, étoffer ou adoucir l'un ou l'autre de ses articles.
Si je comprends bien, vous adoptez une approche globale; vous avez lu le projet de loi et vous y souscrivez en général, mais vous n'en avez pas analysé les détails article par article. Auriez-vous des recommandations à nous soumettre, que ce soit pour garder le projet de loi tel quel ou pour le renforcer ou l'adoucir?
Mme Ritchie: J'appuie le projet de loi tel quel. Je l'ai lu d'un bout à l'autre. J'étais ici quand les sénateurs Oliver et Buchanan ont fait leurs exposés, et j'ai ensuite assisté à la période de questions. J'ai également lu le compte rendu des audiences. J'ai grandement confiance dans les membres du Sénat.
Le sénateur Grafstein: Hier, un de nos témoins s'est dit d'avis que le projet de loi devrait être modifié afin de préserver la vie privée de la victime quand l'affaire est entendue par un tribunal, de manière à ce qu'on ne force pas la victime à revivre à répétition l'incident. On nous a fait cette recommandation hier, et nous avons entendu d'autres commentaires à ce sujet.
Permettez-moi de vous interroger sur le fond de votre mémoire et sur les observations que vous avez formulées. J'aimerais d'abord parler de l'appui de votre organisme, qui repose sur la Déclaration universelle des droits de l'homme, un document auquel, bien sûr, nous souscrivons tous. Ai-je raison de dire que votre appui à ce projet de loi est inspiré de la Déclaration universelle des droits de l'homme, en particulier de son article 3?
Plus loin l'article 5 dit:
Nul ne sera soumis à la torture, ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.
Je présume que l'une des raisons pour lesquelles vous préconisez que la Déclaration universelle soit incorporée dans notre législation nationale, c'est que, dans cet article, il est fait référence à ces traitements dégradants...
Mme Ritchie: Je conviens qu'il s'agit là sans contredit d'un élément tout à fait pertinent. Je vous suis reconnaissante de nous renvoyer à des articles comme celui-là.
Le sénateur Grafstein: L'article 12 dit:
Nul ne sera l'objet d'immixtions arbitraires dans sa vie privée, sa famille, son domicile ou sa correspondance, ni d'atteintes à son honneur et à sa réputation. Toute personne a droit à la protection de la loi contre de telles immixtions ou de telles atteintes.
Je suppose que, dans la version anglaise, «his privacy» signifie «his or her privacy» et que «his honour and reputation» veut dire «his or her honour and reputation». À l'époque où la Déclaration universelle a été adoptée, on n'était pas aussi sensible qu'aujourd'hui aux questions de genre. En fait, cet article porte sur la dignité et le respect de la vie privée des individus, hommes ou femmes. Il y a peut-être d'autres articles qui sont pertinents, mais je me dis que c'est principalement sur la base de ces deux articles que vous nous demandez d'appuyer ce projet de loi et d'inclure ces éléments dans notre législation nationale; est-ce le cas?
Mme Ritchie: Je n'ai pas examiné tous les articles de la Déclaration universelle se rapportant à cette question, car j'étais consciente des limites de ce que je voulais dire. J'avais des contraintes d'espace et de temps, mais je suis ravie que vous nous reportiez à ces autres articles, et je le vois comme une illustration du rôle que peut jouer le Sénat. Il est important que les principes contenus dans la Déclaration universelle, qui ont également été repris dans la Charte, soient renforcés dans ce projet de loi. Le point que vous soulevez est extrêmement important, sénateur.
Le sénateur Grafstein: Vous avez fait référence à l'article 135 du Code criminel Martin, qui date de 1962. Si je me souviens bien, cet article a été modifié au début des années 80; cet élément pour ainsi dire discriminatoire de notre droit pénal a été supprimé. En réalité, nous nous sommes quelque peu modernisés, mais je n'en crois pas moins, comme vous, qu'il nous reste encore beaucoup de chemin à parcourir.
Mme Ritchie: Je me suis vraiment attachée à montrer d'où nous venons, plutôt qu'à décrire l'évolution des dernières années.
Le sénateur Grafstein: Allons à la deuxième page de votre mémoire, si vous le voulez bien, car, à mon sens, c'est là que se trouve votre argument central à l'appui de ce projet de loi. Vous intitulez cette section «L'éducation d'un harceleur». Vous y dites:
Comment les harceleurs et les assassins de femmes sont-ils élevés? Tous ne sont pas en quête d'une immortalité médiatique temporaire en visant une personne connue. Comment notre société produit-elle des harceleurs et des assassins de femmes?
L'Institut canadien des droits humains considère que c'est au long passé d'inégalité des femmes qu'il faut imputer directement la présence de la plupart des harceleurs.
Récemment, notre comité s'est penché sur la question des sans-abri à Toronto. Nous avons constaté qu'au moins 67 p. 100 d'entre eux avaient des antécédents d'instabilité émotive. Dans le même ordre d'idée, allons maintenant à la section suivante, où vous dites que le premier ministre Harris s'est arrangé pour que les femmes dans le besoin aient de la difficulté à obtenir de l'aide juridique en Ontario.
Je n'avance pas ici un argument de basse politique; je cherche plutôt à faire valoir un argument de haute politique. Dans les milieux politiques à Toronto, on a soutenu que, du fait que les gouvernements fédéral, provincial et municipaux se sont tour à tour délesté de leurs responsabilités, de nombreuses personnes souffrant d'instabilité émotive, qui auraient normalement dû être gardées dans un établissement de santé ou être prises en charge par un organisme communautaire, ont été abandonnées à elles-mêmes. Il en est résulté une situation problématique au coeur de laquelle on trouve l'instabilité émotive.
En ce qui touche les harceleurs, ceux que visent ce projet de loi, il s'agit la plupart du temps d'hommes -- il y a très peu de harceleuses --, dont un bon nombre ont des troubles d'instabilité émotive. Je ne suis donc pas sûr que l'expression «éducation d'un harceleur» soit d'une portée suffisamment large. Peut-être devrait-on plutôt parler d'«éducation et traitement d'un harceleur».
Seriez-vous de cet avis si vous étiez sociologue ou analyste des problèmes sociaux? Nous, comme sénateurs, sommes ici pour traiter de dangers manifestes et immédiats. En d'autres termes, nous sommes ici pour adopter des lois. On nous a dit, et je ne le conteste pas, que les harceleurs présentent un danger manifeste et immédiat pour la société. Nous nous devons donc d'adopter des lois pour enrayer ce danger manifeste et immédiat. Encore nous faut-il, bien sûr, être raisonnablement certains qu'il existe un tel danger manifeste et immédiat, et je crois que la plupart des sénateurs en sont convaincus.
Par conséquent, la question qu'il nous faut nous poser est la suivante: Quelle est la nature de ce danger manifeste et immédiat et y a-t-il intention criminelle? Dans l'affirmative, nous pourrions être amenés à écrouer bien des gens sans vraiment nous attaquer aux causes profondes du phénomène du harcèlement criminel.
Pouvez-vous nous aider à cet égard? Vous êtes-vous penchée sur cet aspect en relation avec le présent projet de loi? Cet aspect a aussi un lien avec la question de l'égalité.
Mme Ritchie: Je crois qu'il est de notoriété publique que ce que vous avez décrit s'est produit, et ce, dans de nombreuses provinces canadiennes -- dans toutes, j'imagine. Je souhaiterais vivement qu'on apporte la modification que vous proposez. C'est de toute évidence de traitement qu'il s'agit ici. Je souscris sans hésiter à vos propos.
Le sénateur Grafstein: Enfin, il y a un autre aspect du harcèlement que j'aimerais aborder, et il ne me vient pas d'exemple précis pour illustrer ce que je veux avancer. Cependant, je songe au fait que les médias ont fait grand écho de cas où des femmes avaient harcelé des célébrités masculines. Or, vous présentez le problème comme une question d'égalité entre les sexes. Tout en supposant que ces cas sont marginaux, comment les concilier avec l'approche que vous utilisez, qui est axée sur l'égalité des sexes?
Mme Ritchie: J'essaie de ne pas aborder ces choses sous l'angle de l'égalité entre les sexes, car, comme je l'ai déjà mentionné, le principe de l'égalité doit s'appliquer à tous. Je suis consciente qu'il y a aussi des hommes qui sont victimes de harcèlement. Je ne puis que présumer des causes de ce phénomène. Les femmes copient ce qui se passe dans la société. Plus que jamais auparavant, des crimes de violence sont aujourd'hui perpétrés par des femmes, parfois même par des écolières. Une affaire comme celle de Reena Virk aurait difficilement été imaginable jadis.
Quand les hommes, les leaders, établissent le modèle, presque toute la société, y compris les femmes, suit. Il en va d'ailleurs de même dans les autres pays. Quand j'étais au Maroc, j'ai vu une vieille femme qui, assise à l'entrée d'une mosquée, faisait savoir aux femmes touristes qu'il ne leur était pas permis d'y entrer. Pourtant, elle était elle-même privée de ce droit.
Voilà pourquoi je considère l'éducation comme essentielle. Tant les hommes que les femmes devront savoir que le principe de l'égalité des personnes vaut dans tous les cas, et non uniquement entre les sexes. Les gens apprendront que l'égalité est un droit qui s'applique à tous. Le message que véhiculera ce projet de loi, tout comme le message qu'enverra votre comité sénatorial, sera comme une pierre lancée dans l'étang. Les cercles s'étendront d'une façon dont vous tirerez fierté.
Le sénateur Fraser: Madame Ritchie, j'aimerais, en misant sur votre longue expérience de la rédaction des projets de loi, que vous nous disiez ce qui, selon vous, se produira dans la vraie vie.
Un certain nombre de témoins nous ont semblé -- à moi et, je crois, à certains autres collègues sénateurs -- si impatients qu'un message soit transmis aux harceleurs et au milieu judiciaire en général qu'ils voyaient dans le fait que ce projet de loi soit porteur d'un message sa principale vertu. Ils semblaient prêts à se contenter de n'importe quel message. Nous nous entendons tous sur l'importance d'envoyer un message, mais je me demande si ce projet de loi, dans son libellé actuel, représente le message plus efficace que nous puissions transmettre.
Certains témoins nous ont dit croire, par exemple, qu'étant donné qu'actuellement, les juges imposent rarement la peine maximale prévue par la loi, le fait de hausser cette peine maximale risque, en pratique, de ne pas avoir grand effet. Ils ont exprimé l'avis qu'il serait peut-être préférable d'imposer une peine minimale obligatoire aux récidivistes, ainsi qu'aux harceleurs qui ne respectent pas un engagement de ne pas troubler l'ordre public ou une ordonnance d'interdiction de communiquer.
Par ailleurs, en écoutant un groupe de témoins hier, ils m'ont donné l'impression qu'ils trouvaient au moins aussi, voire plus important, d'inclure dans le Code criminel, juste avant l'article en question, un préambule qui expliquerait aux divers intervenants de notre système de justice pourquoi le contenu de cet article revêt de l'importance et quels résultats on peut espérer tirer de son application.
D'après votre expérience, quelle est la façon la plus efficace d'envoyer un message par voie législative? Est-ce en haussant les peines maximales? Est-ce en imposant une peine minimale obligatoire? Peut-on atteindre le même but en insérant un préambule dans la loi, ou y aurait-il d'autres façons de communiquer un tel message?
Mme Ritchie: Je ne crois pas qu'il y ait une façon qui l'emporte nécessairement sur les autres. Cela dépend beaucoup de la nature du problème qu'on veut résoudre. Dans les questions compliquées, un libellé complexe accroîtra le risque de dérapage.
La question des juges me préoccupe toutefois moins, car je crois qu'ils continueront de toute façon d'agir comme ils le font, sans se soucier du contenu de la loi. S'ils croient que tout ne tourne pas rond, ils trouveront bien un moyen d'arranger les choses. Le problème, c'est qu'ils s'inspirent des perceptions prédominantes dans la société en général -- perceptions qui remontent à l'époque où les policiers disaient aux conjoints de régler leurs querelles entre eux, ou bien sortaient le mari des lieux, l'épouse prenant alors la part de son époux, convaincue que la famille mourrait de faim s'il était incarcéré.
C'est pourquoi le message devrait rappeler clairement et simplement que les femmes et les hommes sont égaux, que les femmes ne sont plus la propriété des hommes -- ou vice versa, bien sûr.
Le sénateur Fraser: Vous estimez donc que l'option proposée, qui consiste à s'en tenir à hausser la peine maximale, constituerait le message le plus clair à envoyer?
Mme Ritchie: Je le crois, étant donné que les juges ne sont de toute façon pas tenus d'imposer la peine maximale. Cet aspect est laissé à leur discrétion. Certains juges continueront sans doute d'opter pour la plus grande clémence. Il nous faut garder à l'esprit qu'il y a même des juges qui croient qu'il est tout à fait normal que les hommes traitent les femmes comme ils le veulent bien. Souvenez-vous du juge qui a dit que les règles, comme les femmes, sont faites pour être violées.
Bref, je crois que les juges feront ce qu'ils veulent, mais on doit leur transmettre un message clair. Pour ce qui est d'un préambule, je ne suis pas sûre que ceux qui rédigent les lois y recourent fréquemment, mais ils le devraient.
Je souhaite vraiment que le Sénat envoie un message montrant qu'il est préoccupé par ces problèmes. Indépendamment et en plus des mesures que le gouvernement prend de son côté, il me semble que le Sénat devrait prouver qu'il se préoccupe du sort des gens.
Le sénateur Andreychuk: Le sénateur Grafstein a affirmé qu'en refilant ses problèmes financiers au gouvernement provincial du premier ministre Harris, le fédéral avait privé ce gouvernement de ressources sur lesquelles il comptait pour venir en aide aux victimes. Il a également fait remarquer que de nombreux harceleurs sont instables sur le plan émotif.
Dans les années 70, nous avons effectué un virage au Canada. Jusqu'alors, nous placions en établissement tous nos malades mentaux et nos handicapés physiques. Puis, nous nous sommes mis à leur faire réintégrer la collectivité, mais sans prévoir les services de soutien suffisants pour les aider à se débrouiller dans la société.
J'étais alors à la tête d'un établissement qui a renvoyé 3 000 personnes dans la collectivité. Nous présumions que leur famille s'occuperait d'elles et que si elles avaient besoin de services de soutien, elles pourraient faire appel aux organismes de services sociaux. Le bien-être de ces personnes a donc été doublement mis en péril, à savoir par le manque de services de soutien dans la collectivité et par le délestage de responsabilités d'un palier de gouvernement à l'autre.
Je crois que c'est aux procureurs généraux des provinces, ceux-là mêmes qui sont chargés de faire appliquer la loi, qu'il serait le plus indiqué de transmettre ce message. Hier, j'ai donné l'exemple de la police qui ne prenait pas au sérieux les agressions physiques au sein du couple. Les procureurs généraux, après avoir constaté, à l'occasion de leurs rencontres, à quel point cette question revêtait de l'importance, ont émis, à l'intention de tous les procureurs et de la police, des lignes directrices à ce sujet, et on a noté par la suite un véritable changement d'attitude dans ces milieux. C'était la meilleure forme d'éducation possible à donner à ces gens.
Dans ce cas-ci, l'adoption d'un projet de loi comme le S-17 est-elle la meilleure solution ou ne serait-il pas plus efficace de saisir de nouveau de la question les procureurs généraux des provinces -- ou les solliciteurs généraux, selon le nom qu'on leur donne -- et de les presser de prendre ces problèmes au sérieux et d'émettre des lignes directrices en conséquence?
Mme Ritchie: Je souhaiterais ardemment qu'on adopte d'abord ce projet de loi, car il sera beaucoup plus difficile de changer la loi que la mentalité d'un procureur général qui, à son retour au tribunal après s'être querellé avec son épouse à la maison, décidera de ne pas partager ce point de vue. À mon sens, ce projet de loi est essentiel. Par ailleurs, ce que vous avez dit, sénateur Andreychuk, à propos du fait qu'on renvoie des gens dans la collectivité sans s'assurer qu'ils y disposent de services de soutien appropriés m'intéresse au plus haut point. Cette situation me préoccupe depuis qu'elle a commencé à exister.
Quant à votre idée d'intervenir auprès des procureurs généraux pour les sensibiliser au problème qui nous occupe, elle m'apparaît fort opportune. Je crois toutefois qu'il serait possible à la fois d'adopter ce projet de loi et d'intervenir auprès des procureurs généraux, l'un n'excluant pas l'autre.
Vos observations à propos des conséquences dévastatrices de la réinsertion de malades dans la collectivité sans qu'on ait prévu les services de soutien nécessaires revêtent une extrême importance et rejoignent nos préoccupations.
Le sénateur Moore: Le sénateur Fraser a avancé l'hypothèse d'un préambule. Sauf erreur, on peut insérer un préambule dans un projet de loi, mais pas dans la loi elle-même. Il ne serait pas reproduit dans le Code criminel.
Mme Ritchie: C'est juste.
Le sénateur Moore: En ce qui a trait à votre mission de transmettre aux intervenants des milieux concernés un message percutant et au fait que le renvoi de votre cause-type contribuera à envoyer message encore plus fort, j'aimerais revenir sur ce que le sénateur Fraser a dit à propos de l'imposition d'une peine minimale. Comme vous l'avez expliqué, les juges vont agir comme ils l'entendent, indépendamment de la peine maximale qu'on aura établie. Si nous entendons faire comprendre que le harcèlement ne sera pas toléré, ne serait-il pas indiqué, à votre avis, d'envisager d'établir une peine minimale que les juges seraient tenus d'imposer dans des cas s'apparentant à ceux que le sénateur Fraser a donnés en exemple?
Mme Ritchie: Je conviens que ce serait, sans contredit, la meilleure façon d'envoyer un message. Je souscris entièrement à cette vision, car, comme nous avons été à même de le constater, sans ce type de message, sans l'imposition d'une peine minimale, on se retrouve dans l'épouvantable situation que nous connaissons actuellement. Oui, je crois que c'est très important.
Le sénateur Grafstein: Pourriez-vous simplement nous renseigner un peu plus avant sur l'Institut canadien des droits humains? S'agit-il d'un organisme national?
Mme Ritchie: J'ai été à l'origine de la constitution de cet organisme en personne morale. Je l'ai fondé après avoir quitté le ministère de la Justice, pendant que j'occupais le poste de vice-présidente du Tribunal antidumping fédéral. Il a été constitué en société en 1974, peu après mon entrée en fonction au sein de cet organisme, et nous nous y sommes employés à effectuer des recherches. Je dis «nous», car une personne y faisait des travaux de recherche dans divers domaines d'importance, mais ce n'est que vers 1980-1981 que l'organisme s'est mis à accueillir des membres, après que j'ai cessé d'être à l'emploi du gouvernement. En réalité, l'organisme avait pour but de mener des recherches, mais ces recherches portaient essentiellement sur ce dont j'avais été témoin du temps où je travaillais au ministère de la Justice, où nous recevions des lettres des quatre coins du pays à propos de problèmes liés à nos lois.
Le sénateur Grafstein: De quelle époque s'agit-il? Au cours de quelles années y avez-vous travaillé?
Mme Ritchie: J'imagine que vous n'allez quand même pas insister sur ce point.
Le sénateur Grafstein: Vous pouvez toujours glisser votre réponse à l'oreille de quelqu'un d'autre. Laissez-moi vous dire pourquoi je vous pose cette question. Entre 1968 à 1972, j'ai passé quelque temps comme conseiller auprès du ministère de la Justice. Je conviens avec vous qu'à cette époque, on avait un préjugé au ministère de la Justice à propos du besoin de réforme concernant ces questions, et ce préjugé était fortement négatif. Vous avez raison de dire que ce préjugé était entretenu de haut en bas, mais, depuis, la plupart des ministres de la Justice qui se sont succédé ont tout fait pour tenter de venir à bout de ce préjugé bien ancré. Il a fallu beaucoup de temps pour changer les mentalités. Je dois d'ailleurs dire qu'encore aujourd'hui on en observe des vestiges.
Mme Ritchie: J'ai été au ministère à partir de 1968. Chose certaine, j'y étais au cours de la période dont vous parlez. Deux courants d'idées se chevauchaient alors. D'après ce que j'ai pu y observer, l'évolution des choses dépendait entièrement de la personne qui occupait le poste de sous-ministre de la Justice.
Quand je suis entrée au ministère, il s'y trouvait un homme du nom de Varcoe, un spécialiste du droit constitutionnel. On me confiait les travaux qui n'étaient pas jugés suffisamment importants pour les hommes, dont ceux qui portaient sur les questions relatives au droit international, aux Nations Unies, au droit constitutionnel -- bref, sur les sujets de préoccupation qui sont à l'origine de ce qui nous apparaît si important aujourd'hui. Ainsi, quand le ministère des Affaires extérieures, comme on l'appelait à l'époque, faisait parvenir des documents au ministère de la Justice en signalant que le Canada souhaitait ratifier telle ou telle convention, c'était à moi qu'on demandait de revoir en conséquence nos lois et nos politiques. Les recommandations que je soumettais au sous-ministre ou au ministre, selon le cas, étaient acceptées à 100 p. 100, sauf s'il s'agissait de questions touchant les femmes. Dans ce dernier cas, ma moyenne au bâton était d'environ 75 p. 100. Il demeure que d'importants changements ont pu être observés au sein de l'appareil gouvernemental grâce à ces conventions, notamment.
Malheureusement, les successeurs de M. Varcoe n'avaient pas la même tournure d'esprit que lui. M. Varcoe était ouvert aux nouveautés. S'il aimait un point de vue, s'il y voyait un sens, il y adhérait, mais les autres, eux, étaient très conservateurs, très étroits d'esprit. Au moins un d'entre eux était un impérialiste qui se préoccupait principalement de rassembler sous l'autorité du ministère de la Justice les divers services juridiques des autres ministères.
Quand j'ai créé l'Institut, j'ai apporté avec moi tout ce que j'avais vu dans ce ministère. J'y ai concentré mes recherches. J'ai appris comment mener des recherches vraiment au plus haut niveau; j'avais bien sûr eu l'occasion de le faire quand je relevais de M. Varcoe.
Par ailleurs, j'ai toutefois remarqué que, lorsque des gens écrivaient au ministère pour se plaindre d'une loi, ils avaient souvent de très bonnes idées, mais on se contentait de leur répondre pour la forme, après quoi leur lettre, qui contenait pourtant de si bonnes idées, prenait le chemin de la salle des dossiers, et on n'en entendait jamais plus parler. Il me semble qu'il ne nous sert à rien d'avoir le droit de vote si on ne nous donne pas la possibilité de connaître en toute objectivité la portée exacte des lois, et c'est précisément la mission que s'est donnée l'Institut. Eugene Forsey a été l'un de ceux qui nous ont apporté le plus de soutien.
Il ne s'agit pas d'un organisme imposant. Nous n'obtenons pas de financement gouvernemental. À propos de cet aspect, je vous signale que j'ai réellement cessé de faire autre chose, car je suis on ne peut plus convaincue que l'édification de notre pays doit se faire sur la base de l'égalité des hommes et des femmes et de la reconnaissance des droits de toute personne. La cause-type dont je vous ai parlé, le renvoi que nous souhaitons obtenir, est ce qui me préoccupe le plus actuellement.
Nous acceptons les dons. Ils sont déductibles du revenu imposable, et plus ils sont importants, mieux c'est.
Le sénateur Grafstein: Merci, madame Ritchie, pour votre réponse éloquente. Peut-être que vos propos nous amèneront à effectuer une étude sérieuse des préjugés qui subsistent encore au sein du ministère de la Justice.
Le vice-président suppléant: Peut-être devrais-je vous signaler, madame Ritchie, que les représentants du ministère ont été invités à comparaître devant nous à la fin de nos audiences sur ce projet de loi. Je suis sûr qu'ils liront et reliront avec un vif intérêt votre témoignage d'aujourd'hui.
[Français]
Le sénateur Pépin: J'étais présidente du Conseil canadien lorsqu'on a publié Une femme sur dix est battue au Canada. Je me souviens de cette esclandre survenue à la Chambre des communes lorsque Mme Mitchell a fait des déclarations à ce sujet, où tous les députés se demandaient combien de leurs membres avaient battu leur femme cette journée-là.
Depuis, il y a eu des changements avec l'enchâssement du droit des femmes dans la Constitution. Des lois ont été modifiées, mais aussi il y a eu des changements d'attitude. On sait pertinemment que cela peut prendre cinq ans pour créer une loi, mais que les changements d'attitude peuvent prendre jusqu'à dix ans.
En lisant le projet de loi S-17, que vous appuyez, on s'aperçoit qu'on y précise des points litigieux de façon à rejoindre plus facilement les gens qui interprètent la loi. Je me suis laissée dire que lorsque les juges sont nommés, il existe une institution à Ottawa où ils doivent suivre des cours de formation sur la violence et l'agression sexuelle. J'ai demandé si cela ne devrait pas être obligatoire pour tous les juges d'assister à ces cours? On m'a répondu que c'était laissé à la discrétion des juges eux-mêmes d'en évaluer la nécessité.
Le sénateur Beaudoin: Ce n'est pas obligatoire.
Le sénateur Pépin: Alors il y en a plusieurs qui ne les suivent pas. Le projet de loi S-17 aidera peut-être à rafraîchir les idées à plusieurs.
[Traduction]
Le vice-président suppléant: Madame Ritchie, merci beaucoup de votre témoignage d'aujourd'hui.
Mme Ritchie: J'ai été fort honorée de comparaître devant vous. Si j'ai pu vous être utile de quelque façon, j'en suis très heureuse.
Le vice-président suppléant: Chers collègues, mercredi prochain, nous entendrons le procureur général de la Colombie-Britannique sur le projet de loi S-17, et nous pourrons le questionner à propos de la lettre qu'il nous a fait parvenir et de ses préoccupations concernant ce projet de loi. Nous nous réunirons également jeudi matin. Comme je l'ai indiqué il y a un moment à Mme Ritchie, les représentants du ministère de la Justice comparaîtront devant nous à la fin de notre étude de ce projet de loi, je ne sais trop à quel moment.
Comme vous le savez, compte tenu des nombreuses ramifications qu'aura le projet de loi S-17, notre comité de direction a décidé que nous l'examinerions à fond. Nous entendons faire comparaître tous les témoins dont il nous semblerait indiqué de connaître le point de vue, pour pouvoir prendre une décision en toute sagesse comme le souhaite Mme Ritchie.
La séance est levée.