Délibérations du comité sénatorial permanent
des
Affaires juridiques et constitutionnelles
Fascicule 69 - Témoignages
OTTAWA, le jeudi 6 mai 1999
Le comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel a été renvoyé le projet de loi S-17, Loi modifiant le Code criminel relativement au harcèlement criminel et d'autres sujets connexes, se réunit aujourd'hui à 10 h 54 pour étudier ledit projet de loi.
Le sénateur Lorna Milne (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente: Chers collègues, nous reprenons notre étude du projet de loi S-17 et accueillons notre premier témoin, qui représente la Criminal Lawyers' Association of Ontario.
Vous avez la parole, monsieur Neville.
M. Mike Neville, directeur de la région d'Ottawa, Criminal Lawyers' Association of Ontario: Honorables sénateurs, l'association que je représente juge important que votre comité, dans son étude de la modification proposée, ne perde surtout pas de vue le fait que nous ayons ici affaire au droit pénal. Au cours des 15 dernières années, on semble avoir pris l'habitude de recourir au droit pénal et à sa mise en application pour essayer d'apporter des changements sociaux. Eh bien, nous estimons que cette stratégie est mal pensée, parce que le droit pénal est un instrument par trop grossier.
C'est par le biais d'une meilleure éducation et en conférant plus de visibilité à ces problèmes qu'on parviendra à apporter des changements sociaux à longue échéance, notamment à faire fléchir des comportements antisociaux comme la violence familiale et la violence faite aux enfants ainsi que le harcèlement criminel. Pour le contrevenant, l'application du droit pénal est lourde de conséquences; il y a aussi de répercussions sur le plan social, mais elles sont cachées. On oublie souvent une chose. Quand on utilise le droit pénal en tant qu'outil de changement social, par exemple pour lutter contre la conduite en état d'ébriété et les autres comportements que je viens de citer, le coupable se voit imposer des sanctions et il subit en plus des conséquences qui vont souvent beaucoup plus loin que le simple emprisonnement. Il n'est pas rare qu'une personne reconnue coupable d'un acte criminel perde tous ses moyens d'existence, même si elle n'est pas emprisonnée, parce que le fait d'avoir un casier judiciaire compromet fortement ses chances d'avoir un emploi. Les inconvénients sociaux que représente cette perte des moyens d'existence, surtout si l'intéressé est le principal soutien financier de la famille, peuvent largement l'emporter sur les avantages à court terme que présente sa condamnation ou son emprisonnement. Gardons-nous de penser qu'une loi pénale -- surtout si elle est forte -- puisse avoir un effet correcteur sur le plan social.
Le projet de loi en question préconise le recours plus fréquent aux peines d'emprisonnement plus longues en cas de condamnation pour «harcèlement criminel». Toutefois, cette approche nous semble tout à fait déphasée par rapport aux récents amendements apportés à la partie XXIII du Code criminel en matière de détermination de la peine, de même que par rapport aux récentes décisions de la Cour suprême du Canada, notamment dans l'arrêt Gladue.
Les modifications qui ont été apportées à la partie XXIII, y compris en ce qui concerne les peines d'emprisonnement avec sursis selon l'article 742.1, sont le résultat du rapport Archambault de 1987. Eh bien, pendant vos délibérations, je vous exhorte à relire ce rapport ou du moins à en relire une grande partie. L'une de ses principales recommandations -- concernant ce que le comité a baptisé de «sanctions communautaires» -- a en effet été reprise dans les modifications apportées par la suite. Pour bien illustrer ce qu'ils entendaient par-là, les auteurs de ces recommandations ont insisté sur les amendes et le dédommagement. Cependant, pour ce qui est de l'application, le Parlement a ajouté la possibilité d'imposer des peines avec sursis. À partir d'une masse d'études réalisées par des criminologues, des pénologues, des sociologues, des chercheurs en science politique et des avocats, ce rapport et d'autres qui l'ont précédé concluent qu'on a très nettement surestimé l'effet dissuasif de l'incarcération et que, dans bien des cas, celle-ci est même nuisible.
L'emprisonnement est la sanction ultime. Dans son jugement de l'affaire Gladue, et même si celui-ci touche essentiellement à la question de la détermination de la peine dans le cas de délinquants autochtones, la Cour suprême va en fait très loin. Ce jugement du plus haut tribunal du pays est important en ce sens que, même s'il concerne surtout une peine imposée à une autochtone, il confirme que les changements apportés à la partie XXIII, notamment en matière de condamnation avec sursis, constituent ce qu'on appelle en théorie du droit des «dispositions réparatrices».
Cela nous ramène donc à la différence qu'il y a entre une loi de codification et une loi réparatrice. La première ne fait que reformuler sous forme législative des principes juridiques existants. La loi réparatrice, quant à elle, est destinée à corriger un problème. Le problème qui nous intéresse était celui du recours excessif à l'incarcération, de façon générale et pas uniquement dans le cas des autochtones.
Voici ce qu'on peut lire à la page 36 du jugement Gladue:
Ainsi, il appert que même si l'emprisonnement vise les objectifs traditionnels d'isolement, de dissuasion, de dénonciation et de réinsertion sociale, il est généralement admis qu'il n'a pas réussi à réaliser certains d'entre eux. Le recours excessif à l'incarcération est un problème de longue date dont l'existence a été maintes fois reconnue sur la place publique mais que le Parlement n'a jamais abordé de façon systématique. Au cours des dernières années, le Canada, comparativement à d'autres pays, a enregistré une augmentation alarmante des peines d'emprisonnement. Les réformes introduites en 1996 dans la partie XXIII, et l'al. 718.2e) en particulier, doivent être comprises comme une réaction au recours trop fréquent à l'incarcération comme sanction, et il faut par conséquent en reconnaître pleinement le caractère réparateur.
Selon la Loi d'interprétation fédérale, cela revient à dire qu'il faut interpréter la loi de manière large, libérale et juste afin de réaliser l'objectif qui sous-tend l'amendement.
La cour insiste, en général mais surtout en ce qui concerne les autochtones, sur les alinéas 718.2d) et e) que je vous lis:
d) l'obligation, avant d'envisager la privation de liberté, d'examiner la possibilité de sanctions moins contraignantes lorsque les circonstances le justifient;
Ce qu'on qualifie euphémiquement de «principe de dernier recours».
e) l'examen de toutes les sanctions substitutives applicables qui sont justifiées dans les circonstances, plus particulièrement en ce qui concerne les délinquants autochtones.
Dans ces deux alinéas, la peine d'emprisonnement est considérée comme une mesure de dernier recours, mesure connue en théorie juridique sous le nom de principe de retenue.
Je fais ici référence à l'un des plus récents jugements du plus haut tribunal, puisqu'il date du 23 avril 1999.
La cour attire aussi notre attention sur le fait qu'afin de réaliser les objets de la Loi portant modification, il faut accorder à ces articles de la partie XXIII -- concernant l'application des peines -- l'interprétation libérale que nous impose la Loi d'interprétation, surtout quand on est en présence d'amendements nouveaux, comme c'est le cas des alinéas d) et e) et des dispositions relatives aux peines avec sursis.
Le comité a eu l'avantage d'entendre le point de vue de ce qu'on appelle généralement des groupes d'intérêt, surtout de ceux qui représentent les victimes. Le plus souvent, ces groupes font du très bon travail au nom de ceux et de celles qu'ils représentent. Sans entrer dans les détails, reconnaissons que les mémoires qu'ils vous ont soumis, même s'ils obéissent à de bonnes intentions, revendiquent systématiquement un durcissement des lois pénales et un recours accru aux peines d'emprisonnement. Ces groupes sont souvent cités dans les médias, par la voix de leurs représentants, quand ils s'opposent à des décisions judiciaires qu'ils jugent systématiquement trop indulgentes, même quand elles sont solidement motivées.
J'ai lu, dans les procès-verbaux de certaines de vos séances antérieures, que le projet de loi du sénateur Oliver ne prévoit pas -- du moins pas pour l'instant et sous réserve d'amendements éventuels -- l'imposition de peine minimale contrairement à ce que certains ont suggéré lors des débats sur le sujet. Justement, la notion de peines minimales est violemment critiquée dans le rapport Archambault. Il faut y voir l'antithèse même de la discrétion judiciaire. À cause d'elles, les tribunaux se retrouvent souvent pieds et poings liés face à des contrevenants de ce type, surtout celui des auteurs de harcèlement, qui sont en fait mentalement dérangés ou qui ont besoin d'une aide quelconque.
Par exemple, il convient de remarquer que la loi ne prévoit pas de sursis pour les infractions sanctionnées par une peine minimale. Si l'infraction doit donner lieu à une peine minimale obligatoire, le sursis ne peut même pas être consenti pour des mesures réparatrices, comme une peine d'emprisonnement, même si celle-ci est communautaire.
Dans les motifs de l'arrêt Gladue, et de façon encore plus détaillée dans le rapport du comité Archambault, il est clairement énoncé que la prison ne favorise pas la réhabilitation. Les prisons ne sont que des entrepôts d'êtres humains. Le plus souvent, elles enseignent aux gens comment commettre davantage de crimes ou de meilleurs crimes, le terme meilleur devant être ici en fonction des critères de cette grande école du crime.
Cela tient en grande partie au fait que, pour notre société, l'emprisonnement comme mode de réhabilitation n'est finalement qu'un voeu pieux. On ne peut réhabiliter personne en prison si l'on ne finance pas suffisamment les programmes de réhabilitation. Se pose également le problème de la coexistence en détention de catégories très diverses de criminels.
Je vous garantis que cette notion de réhabilitation est reléguée au second plan dans la plupart des établissements pénitenciers. Quand on y voit des psychiatres, ceux-ci ne viennent qu'une fois par mois. La prison n'est tout simplement pas suffisamment financée pour justifier son rôle de lieu de réhabilitation. Il faut la voir telle qu'elle est: un lieu d'exclusion et de châtiment.
Le projet de loi du sénateur Oliver propose notamment d'insérer l'article 264 dans les dispositions sur les délinquants dangereux, c'est-à-dire l'article 752, si je ne m'abuse. Entendons-nous bien: cette disposition prévoit une peine d'emprisonnement à perpétuité. Il s'agit d'une peine de durée indéterminée. En toute déférence pour l'opinion contraire, nous estimons que c'est là une mesure beaucoup trop draconienne pour corriger ce problème. D'ailleurs, cette peine pourrait être considérée comme un châtiment cruel et inhabituel et, à ce titre, faire l'objet d'une contestation en vertu de l'article 12 de la charte.
Il est bien connu -- et il serait d'ailleurs facile de le confirmer -- qu'en vertu des dispositions antérieures relatives aux repris de justice, certaines provinces ont abusé de cet article. La Colombie-Britannique, en vertu de ces anciennes dispositions, avait de loin le plus grand nombre de personnes emprisonnées au pays.
Certains procureurs se sont servis de ces dispositions comme d'un outil dans les années 50 et 60, et au début des années 70. Pour ainsi dire, le détenu est laissé à la discrétion, si ce n'est à la merci du procureur ou du procureur général, ce qui peut évidemment donner lieu à des inégalités marquées. L'administration de la justice relève des provinces. Eh bien, si un procureur général ou un procureur local dans une grande ville obtient des résultats probants en appliquant cet article, maintenant connu comme une disposition relative aux délinquants dangereux, vous assisterez, dans ces villes ou provinces, à une très forte augmentation du pourcentage d'inculpés condamnés à des peines de prison à perpétuité, que dans des provinces voisines.
À la lecture des procès-verbaux de vos réunions précédentes, j'ai constaté que certains ont exprimé des réserves au sujet du libellé de l'article 264, surtout en ce qui concerne la notion de mens rea. N'oublions pas, comme je le disais au début, que nous avons affaire à un véritable crime. Or, pour qu'il y ait crime véritable, la Cour suprême a stipulé qu'il fallait la véritable mens rea.
Vous devez savoir qu'à toutes fins utiles, la notion d'«insouciance» constitue une norme objective en fonction de laquelle est défini l'état d'esprit d'une personne. Cette norme comporte une composante subjective limitée: il y a lieu en effet de juger différemment l'individu atteint d'une incapacité qui l'empêche de se rendre compte qu'à sa place, une personne ordinaire agirait autrement. D'une façon générale, l'insouciance revient à ne pas reconnaître l'évidence.
Autrement dit, l'accusé possède l'élément moral exigé lorsqu'une personne raisonnable, placée dans la même situation, se rendrait compte que sa conduite est contraire à la loi. La connaissance n'est pas exigée et cette norme n'est pas particulièrement exigeante. L'individu en question serait reconnu coupable si le même comportement répétitif devait être considéré comme anormal par une personne raisonnable, en pleine possession de ses moyens. Le critère de l'insouciance est donc beaucoup moins exigeant que celui de la connaissance, qui est l'un des critères de l'élément moral exigé. Soyons donc bien conscients que nous sommes en présence d'une norme moins exigeante qui, dans la majorité des cas, est évaluée de façon objective en regard du critère de la personne raisonnable.
En fait, on trouve dans notre droit un grand nombre de recours juridiques permettant de corriger ce genre de conduite, et je sais d'ailleurs que mon collègue, Me Korpan, en parlera sans doute plus en détail dans le contexte du droit matrimonial. Quoi qu'il en soit, sur un plan pratique, nous savons qu'à l'exception peut-être du cas du harceleur déséquilibré -- celui d'Anne Murray, par exemple -- ou de celui qui est obsédé par une célébrité, le plus souvent, ce genre de comportement intervient quand le harceleur et la victime sont en relation directe ou, même si c'est plus rare, quand elles entretiennent un rapport employeur-employé.
Dans le contexte d'un mariage ou d'un compagnonnage, ce genre de problème ne se pose par définition ou presque qu'après une rupture. Cela étant, on peut toujours commencer par imposer des ordonnances de non-communication que l'on peut faire respecter sous peine d'outrage au civil. Les tribunaux peuvent également se prévaloir des dispositions de l'article 810 du Code criminel, qui visent l'obligation ou l'engagement de ne pas troubler l'ordre public.
À remarquer qu'en cas de violation d'une ordonnance en vigueur, et même si l'article en question ne prévoit pas de peine minimale obligatoire, le juge doit considérer que cette violation est une circonstance aggravante dans l'établissement de la sentence. En cas de violation d'une ordonnance antérieure -- comme il en est question dans certains de vos comptes rendus de séances -- et entraînant une poursuite pour violation d'une ordonnance émise en vertu de l'article 810, constitue légalement une circonstance aggravante dont le juge doit tenir compte. Ainsi, la loi telle qu'elle se présente actuellement tient bel et bien compte de ce cas de figure.
Dans vos comptes rendus de séances il est aussi question de cautionnement. D'ailleurs, voici ce que précise le paragraphe 515, 4.2 du Code criminel, qui traite des facteurs à prendre en compte pour la mise en liberté de l'accusé.
Le juge de paix qui rend une ordonnance en vertu du paragraphe (2) dans le cas d'une infraction visée à l'article 264 ou d'une infraction perpétrée avec usage, tentative ou menace de violence doit considérer s'il est souhaitable pour la sécurité de toute personne d'assortir l'ordonnance de la condition selon laquelle l'accusé doit s'abstenir de communiquer avec les témoins ou les personnes qui y sont expressément nommés ou d'aller à un endroit qui y est expressément nommé.
D'ailleurs, nous avons déjà des articles de nature préventive permettant de moduler dans une certaine mesure les peines imposées. Ainsi, en cas de violation d'une ordonnance ayant donné lieu à une nouvelle inculpation, il est obligatoire d'appliquer cette disposition. S'il y a infraction, la partie plaignante a évidemment la possibilité d'appeler la police. Le libellé de l'engagement de ne pas troubler l'ordre public est clair. Le délinquant pourrait être arrêté puis être tenu de démontrer pourquoi il devrait être libéré. Il existe en fait toute une gamme de pouvoirs assez impressionnante, allant de l'outrage civil à diverses sanctions pénales qui, comme je le disais, peuvent être imposées sans pour autant recourir de façon excessive l'incarcération. Ces sanctions ont également pour effet d'atténuer les répercussions de la peine, pas uniquement sur le délinquant, mais aussi sur ses dépendants.
J'ai la très nette impression qu'on a surtout voulu régler le problème de l'application de la loi par les services chargés des poursuites, comme en témoigne sans doute dans une grande mesure l'exposé qu'a fait le sénateur Oliver quand il a soumis son projet de loi au comité. Personnellement, j'ai l'impression que cela ne se ramène pas à une question de texte juridique mais plutôt d'application de la loi et d'administration de la justice. Cela m'étonne, mais le sénateur pourra peut-être nous présenter des éléments, que j'ignore pour l'heure, pour étayer ce point de vue. L'Ontario, province où je pratique, applique le principe de la tolérance zéro à un grand nombre d'infractions, pas uniquement dans celles qui concernent les situations familiales.
Qui dit tolérance zéro dit transmission de directives aux services de police et aux procureurs par le ministère du Solliciteur général. À Ottawa, par exemple, on a spécialisé des tribunaux dans les causes de droit familial. On y traite les infractions de façon différente, plus rapide et beaucoup plus rigoureuse qu'au criminel. On y trouve des procureurs et du personnel de soutien spécialisés, si bien que les causes arrivent normalement beaucoup plus vite devant le tribunal.
En fait, ce n'est pas vraiment d'un changement législatif dont nous avons besoin, si le problème existe ailleurs, comme l'affirme le sénateur Oliver. Il suffirait peut-être simplement de rappeler à l'ordre ces autres services. Je serais surpris que les bureaux des poursuites au Canada se montrent indifférents au problème ou en minimisent la gravité. Si la mesure proposée est effectivement aussi déphasée que je le pense dans le cas de l'Ontario, je ne peux que me demander si le problème est généralement aussi grave que cela.
À vrai dire, ce n'est pas le seul type d'infraction sous lequel ploient les procureurs. Ceux-ci recourent parfois à la négociation de plaidoyer, mais d'après ce que j'ai vu, c'est rarement sans raison. Ils ne le font généralement pas pour accélérer les choses ni par indifférence.
Sur ce, je cède la parole à M. Korpan.
M. James Korpan, président, Section de la justice criminelle de la Saskatchewan, Association du Barreau canadien: C'est à titre de criminaliste que je viens témoigner devant vous aujourd'hui. Je pratique également le droit familial, ce qui m'a donné l'occasion de représenter aussi bien les personnes qui ont déposé des plaintes aux termes des dispositions du Code criminel relatives au harcèlement criminel que celles qui sont visées par ces plaintes.
Je remercie le comité de me donner l'occasion de comparaître et de présenter mon point de vue. J'insiste sur le fait qu'il s'agit de mon point de vue personnel. Je fais partie de plusieurs organisations mais je ne suis pas mandaté pour parler en leur nom. Je suis venu présenter un point de vue fondé sur mon expérience.
Je dois signaler dès le départ que je ne suis pas en faveur des modifications que propose le projet de loi S-17 et j'ai adopté cette position pour quatre raisons. La première, et c'est peut-être la principale, est celle que mon collègue, M. Neville, a exposée en détail. Je souscris à tous ses commentaires, parce qu'ils reflètent précisément mon point de vue. Cela dit, je vais néanmoins présenter mes observations, parce que je pense qu'il s'agit là d'une question extrêmement importante que vous devez avoir à l'esprit au moment où vous vous apprêtez à examiner ces modifications.
Au Canada, nous emprisonnons beaucoup trop de gens, et cela est mauvais. Notre taux d'incarcération est une honte nationale. Vous n'êtes pas obligés de me croire sur parole. La Cour suprême du Canada a récemment prononcé une décision solidement motivée qui porte sur ce point; il s'agit de l'arrêt R. c. Gladue, la décision qu'a citée mon éminent collègue.
Les juges Cory et Iacobucci, parlant au nom de la cour, ont consacré une section entière de leurs motifs à ce qu'ils appellent «le problème du recours excessif à l'incarcération au Canada». C'est effectivement un problème.
Mon collègue a cité la conclusion de cette décision. Elle contient deux autres paragraphes qui méritent d'être rappelés au comité, à partir du paragraphe 52, et qui énoncent:
Le Canada fait figure de chef de file mondial dans de nombreux domaines, et particulièrement en matière de politique sociale progressiste et de droits de la personne. Malheureusement, notre pays se distingue aussi, à l'échelle mondiale, par le nombre de personnes qu'il met en prison. Bien que les États-Unis, avec plus de 600 détenus pour 100 000 habitants, aient de loin le plus haut taux d'incarcération parmi les démocraties industrialisées, le taux au Canada est d'environ 115 à 130 détenus pour 100 000 habitants, ce qui le place au deuxième ou au troisième rang [...] Qui plus est, le taux d'incarcération par les tribunaux canadiens s'est accru considérablement au cours des dernières années, avec cependant une légère baisse récemment. Ces statistiques relatives aux taux d'incarcération n'inspirent aucune fierté.
La cour cite ensuite le juge Vancise, de la Cour d'appel de la Saskatchewan, dans l'arrêt McDonald, dans lequel il déclare:
Nombre d'enquêtes et de commissions ont été tenues dans ce pays pour examiner, entre autres choses, l'efficacité du recours à la peine d'incarcération. Depuis 1914, chaque décennie a vu au moins une commission ou une enquête sur le recours à l'emprisonnement [...]
[...] Une constante se dégage de l'examen des recommandations de ces rapports: il faut éviter l'emprisonnement autant que possible et réserver cette sanction pour les infractions les plus graves, particulièrement les infractions avec violence. Tous recommandent que l'incarcération soit utilisée avec retenue, reconnaissant que la prison n'a pas permis de réduire le taux de criminalité et qu'on ne devrait y recourir qu'avec prudence et modération.
Mon collègue a fait remarquer que le législateur a déjà tenté d'améliorer la situation en modifiant le Code criminel pour favoriser les mesures de rechange communautaires par rapport aux approches traditionnelles consistant à essayer de régler les problèmes en renforçant la répression et en envoyant les gens en prison. Les condamnations avec sursis reflètent clairement cette attitude. Il y a également l'alinéa 718(2)e) qui énonce que le tribunal est tenu d'examiner toutes les sanctions substitutives accessibles et applicables à tous les délinquants dans les circonstances.
Permettez-moi de vous signaler qu'une initiative qui préconiserait l'incarcération des condamnés irait contre ces changements progressistes. Les initiatives qui favorisent l'incarcération constituent un recul et un retour au principe traditionnel selon lequel l'incarcération est une formule magique qui permet de régler des problèmes sociaux complexes en accentuant la répression et en emprisonnant davantage de personnes pour des périodes de plus en plus longues.
Je vous invite à suivre la Cour suprême lorsqu'elle affirme que la répression et l'incarcération ne sont pas des solutions. Je vous invite à réfléchir longuement avant de donner suite à une initiative qui a pour effet d'augmenter à la fois le nombre des détenus et la durée des peines d'emprisonnement. Nous l'avons fait et cela n'a rien donné.
Ma deuxième préoccupation vise ce projet de loi particulier. Il paraît inquiétant que l'on demande d'aggraver la sanction d'un comportement qui n'est incriminé que depuis six ans. Toute expansion du droit pénal constitue une intrusion de l'État dans la vie des citoyens. Un casier judiciaire et le stigmate qui lui est associé sont des marques qui ne s'effacent jamais. Stigmatiser davantage un comportement qui n'était même pas illégal il y a six ans et le réprimer avec la même sévérité que des actes aussi horribles que l'exploitation sexuelle, l'agression sexuelle grave, l'agression sexuelle armée, serait vraiment prématuré. Encore une fois, il y a six ans, ces actes que l'on veut aujourd'hui réprimer aussi sévèrement n'étaient même pas contraires à la loi. Nous voulons maintenant les réprimer aussi sévèrement que ces autres actes horribles. J'estime que cette mesure est tout à fait prématurée et qu'il faudrait plutôt voir comment évolue le comportement incriminé avant même d'envisager de le réprimer de cette façon.
Si l'on évalue les avantages et les inconvénients, sur le plan concret, des amendements proposés, on constate que les sanctions envisagées sont beaucoup trop sévères pour les avantages obtenus, par rapport à nos objectifs officiels. Cela m'amène à vous présenter mes troisième et quatrième préoccupations.
Ma troisième préoccupation est que les amendements proposés ne sont pas nécessaires et n'auront aucun effet pratique. Les contrevenants vraiment dangereux qui se comportent de cette façon sont presque tous coupables d'infractions plus graves, réprimées plus sévèrement, même sans tenir compte de la peine dont est punissable le harcèlement criminel.
Mon collègue a énuméré les autres solutions, qui sont nombreuses. J'ai pu prendre connaissance des comptes rendus des séances du comité qui ont été tenues jusqu'ici et il semble en ressortir que les policiers et les poursuivants ne comprennent pas la dynamique de ce type d'infractions et qu'ils ne possèdent pas les connaissances et les ressources qui leur permettraient d'identifier les contrevenants qui sont vraiment dangereux. Ce n'est pas ce que j'ai constaté lorsque j'ai représenté les personnes inculpées aux termes de ces dispositions. L'on procède habituellement à une évaluation du risque avant de libérer l'accusé sous caution avant la détermination de la peine. Bien souvent, si la Couronne ne le demande pas, le juge demande que l'on prépare un rapport prédécisionnel qui comprend, le plus souvent, une évaluation psychiatrique. On s'efforce également d'identifier les personnes vraiment dangereuses qu'il convient d'incarcérer et de les distinguer des autres personnes moins dangereuses qui font ce genre de choses.
Si la répression de ces infractions soulève un problème, comme mon collègue l'a fait remarquer, je suggère que l'on essaie de le régler en modifiant l'administration de la justice et le déroulement des poursuites. Ce n'est pas en aggravant les peines que l'on résoudra le problème. L'aggravation des peines ne va pas sensibiliser les procureurs de la Couronne à la dynamique que reflète ce type d'infractions. Si c'est là l'origine du problème, c'est à ce niveau qu'il conviendrait d'affecter nos ressources pour le régler.
Nous ne pourrons pas régler ce problème dans le cadre de notre système de justice pénale. Il s'agit de sensibiliser et de former les policiers, les juges et les poursuivants. Pourquoi ne pas faire la même chose pour les familles, les médecins, les conseillers, et les prêtres? Ce sont les personnes de la collectivité qui peuvent faire quelque chose, qui peuvent régler ces problèmes dès le début et veiller à ce qu'on prenne des mesures, lorsque la situation l'exige, plutôt que d'attendre six mois après les événements alors que la situation est déjà devenue incontrôlable. Là encore, il faut partir du principe que les problèmes sociaux doivent se résoudre au niveau de la collectivité. Lorsqu'on les confie au système de justice pénale, c'est que nous avons déjà échoué.
Ma quatrième préoccupation porte sur cette question, à savoir, axer davantage sur la collectivité notre façon d'aborder ce problème. La grande majorité des personnes qui sont accusées de harcèlement ne sont pas des Paul Bernardo, ni des délinquants dangereux qui se retrouvent régulièrement en prison depuis leur adolescence. Ce ne sont pas eux qui ont harcelé Anne Murray. La plupart des personnes qui ont été inculpées aux termes de ces dispositions sont des Roméo transits, inoffensifs, des gens ordinaires qui cherchent un peu trop à découvrir pourquoi, après 15 ans de mariage, leur conjointe leur a dit qu'elles ne pouvaient plus vivre avec eux et qu'ils ne verront plus leurs enfants tous les jours.
Bien souvent, leurs actes ne représentent qu'une réaction bien compréhensible à un événement très difficile à vivre, à savoir, la fin d'une longue relation. Ce sont des gens qui n'ont habituellement aucun antécédent judiciaire et qui n'auront aucun autre contact avec le système de justice pénale, après cette infraction.
J'ai moi-même constaté tout ce que les parties pouvaient retirer d'une rencontre structurée qui montre au contrevenant que la relation est véritablement terminée. Bizarrement, ce n'est pas dans le cadre du système pénal que j'ai vu ceci, mais plutôt dans celui du droit familial et des affaires de divorce. En Saskatchewan, les tribunaux obligent les parties à une instance de divorce à assister à des séances de médiation. Lorsque des poursuites pénales ont été déclenchées parallèlement, ou si l'on soupçonne qu'il y a eu maltraitance, pas nécessairement physique mais émotive ou psychologique, la plaignante a toujours la possibilité de refuser d'assister à ces séances. Personne ne peut obliger la victime à rencontrer la personne qui la harcèle et je souligne que ce n'est pas du tout ce que je propose. Vous seriez toutefois surpris du nombre des femmes qui veulent pouvoir rencontrer leur ex-conjoint, avec l'auteur du harcèlement, si je peux m'exprimer ainsi, dans un milieu sécuritaire pour pouvoir lui dire: «Il faut que tu comprennes que c'est terminé.»
Certaines de mes clientes m'ont déclaré que ce genre de rencontres, bien encadrées et tenues dans un milieu sécuritaire, leur avaient permis de «reprendre la situation en main».
Elles ressortent souvent de ces séances de médiation en disant: «Je ne pense pas que la médiation me convienne. Je préférerais négocier par l'intermédiaire des avocats les questions de partage des biens, de garde et d'aliments pour les enfants; si nous ne pouvons pas nous entendre, je suis prête à aller devant un juge mais je suis heureuse d'avoir été à cette séance de médiation parce qu'il a finalement compris que c'était terminé. Ne serait-ce que pour cela, cela valait la peine.» C'est une possibilité que le système pénal n'offre même pas. Ce genre de rencontres est possible lorsqu'une instance a été instituée parallèlement devant les tribunaux de la famille. Lorsqu'il est clair que la relation est vraiment rompue, le harcèlement et les comportements inacceptables cessent.
Les mesures de rechange conviennent particulière à ce type d'infractions, en particulier dans un cas de violence familiale où la victime accepte d'y participer. Là encore, j'insiste sur cet aspect.
Bizarrement, le code prévoit le recours à des mesures de rechange à l'article 717. Cependant, il n'est pas possible d'utiliser les mesures de rechange dans un contexte pénal, lorsque les faits se rapportent à une situation familiale. Certains considèrent que ce mécanisme ne fait que prolonger l'agression et qu'il ne faut donc pas mettre la victime en présence de la personne qui la harcèle. Là encore, je ne pense pas que personne ait proposé que l'on oblige qui que ce soit à participer à ce genre de séance mais vous seriez surpris du nombre des femmes qui sont prêtes à rencontrer leur ex-conjoint.
J'estime qu'il faudrait pouvoir utiliser ces mesures de rechange pour les infractions de moindre gravité, et bien sûr, lorsque la victime accepte d'y participer.
J'ai pu lire le compte rendu des audiences précédentes. Le 21 avril, le sénateur Fraser se demandait pourquoi 50 p. 100 seulement des accusations de harcèlement donnaient lieu à un procès et que 27 p. 100 seulement de ces procès débouchaient sur des condamnations. Cela me semble plutôt montrer que la situation est tout à fait normale. Cela démontre que les services des poursuites ont utilisé leur pouvoir discrétionnaire pour régler ces problèmes. D'après moi, il est probablement arrivé que le seul fait de porter des accusations a entraîné un changement de comportement de la part de l'accusé qui a cessé son harcèlement, le seul résultat que voulait obtenir la victime. Au lieu de condamner cet exercice discrétionnaire et légitime des pouvoirs de poursuite, il faudrait plutôt l'aménager et le renforcer en prévoyant des mesures de rechange adaptées à ce type d'infraction.
Cela me paraît particulièrement important lorsqu'il y a des enfants. La façon dont les parties se comportent entre elles au cours des mois qui suivent la rupture d'une relation matrimoniale détermine, dans une large mesure, le genre de relations que ces personnes vont conserver jusqu'à ce que leurs enfants soient adultes. J'ai utilisé le mot «relations». Ces personnes ne vivront plus ensemble et l'ex-conjoint ne communiquera pas avec l'autre conjoint tous les jours. Ce n'est toutefois que dans des situations exceptionnellement graves que la loi supprime tout contact entre un parent et ses enfants. C'est une chose que la Loi sur le divorce interdit dans la mesure où elle énonce qu'il est dans l'intérêt de l'enfant d'avoir autant de contacts que possible avec ses deux parents. Sauf conduite inqualifiable, les tribunaux n'interdisent jamais à un parent de voir son enfant.
La relation n'est plus celle qui existe entre mari et femme mais ces personnes vont devoir continuer à se parler pour le bien des enfants. Lorsque les parties sont agressives dès le début ou lorsque l'on rejette la culpabilité sur l'autre, nous savons très bien comment cela se termine. Ce n'est pas très agréable. Il y aura de la haine, de l'amertume et du ressentiment, sentiments qui vont tous nuire aux enfants.
Dans les cas qui s'y prêtent, il serait souhaitable de ne pas avoir recours au système pénal et de lui préférer une approche plus axée sur la solution de problèmes, peut-être une séance de médiation où il ne s'agit pas de trouver des coupables mais plutôt de résoudre les problèmes et de modifier des comportements; tout cela ne peut qu'améliorer la relation entre les ex-conjoints. Cela ne peut être que profitable aux enfants, en particulier lorsqu'ils vivent une période difficile, la séparation de leurs parents.
Voilà mes observations.
Le sénateur Andreychuk: J'aimerais faire deux commentaires. J'appuie entièrement ce que vous avez dit et je suis heureuse de vous voir ici, non pas uniquement à cause de ce projet de loi mais parce que vous avez déclaré une nouvelle fois que les problèmes communautaires ne devraient pas être confiés aux tribunaux. Nous avons trop tendance à nous en remettre aux tribunaux. Une bonne partie de ces problèmes sont de nature communautaire et ils devraient se régler par les autres moyens qu'offre la collectivité.
Les auteurs de harcèlement sont souvent des gens qui cherchent à comprendre pourquoi leur relation s'est terminée. Ils continuent à se demander ce qu'ils auraient dû faire pour que la relation se poursuive. Ils cherchent à la conserver alors qu'elle est terminée. Voilà ce que m'ont appris les 12 années que j'ai passé devant le tribunal de la famille. De temps en temps, il y a un contrevenant dangereux parmi ces gens-là. Ne pensez-vous pas que le système pénal devrait offrir un moyen d'identifier ces personnes et d'ainsi protéger le public?
Vous dites que nous nous en remettons trop souvent aux tribunaux. Je sais que la plupart des auteurs de harcèlement sont des hommes et je m'en suis souvent occupé. Il m'a semblé que ces hommes ne s'étaient pas aperçus qu'il y avait des problèmes dans leur relation. Lorsque celle-ci se termine, ils font alors toutes sortes de bêtises pour essayer de poursuivre la relation. Je ne pense pas que ces gens devraient être traduits devant les tribunaux. Je préférais voir prendre à leur égard des mesures de déjudiciarisation.
Parmi ces gens, il y en a qui commettent des actes de violence sous l'effet de la passion. Pourquoi est-ce que les maris tuent leur femme et les femmes tuent leur mari? À part adopter ce projet de loi, pensez-vous que l'on pourrait apporter d'autres modifications au Code criminel pour que le harcèlement ne débouche pas sur une mort, comme cela se produit parfois?
M. Neville: Il y aura toujours des criminels dans notre société. Si nous n'avions pas besoin du Code criminel, les 10 commandements nous suffiraient. Je pourrais fort bien gagner ma vie en tant que criminaliste en défendant les personnes qui n'ont pas respecté les 10 commandements, dont l'un est «Tu ne tueras point». Il y aura toujours des cas extrêmes. Je ne pense pas que le droit pénal ou n'importe quel groupe de gens qui souhaitent vivre dans une société civilisée, va empêcher que l'on commette des crimes. Il y aura toujours certains membres de la société qui auront un comportement inacceptable. Je ne pense pas que le droit pénal et des peines draconiennes puissent changer cela.
Il est possible d'envisager d'autres solutions. J'ai comparu un peu plus tôt cette année devant un comité de la Chambre des communes pour témoigner au sujet d'un projet de modification des règles relatives à la conduite en état d'ébriété et l'on m'a posé une question semblable. Même avec des peines aggravées en cas de récidive et des peines d'emprisonnement obligatoires, il demeure que le comportement des conducteurs qui persistent à conduire en état d'ivresse ne change pas parce qu'il résulte d'un problème personnel. Ce sont des malades et des alcooliques. La plupart des gens qui commettent les actes de violence les plus horribles contre un ancien partenaire vont les commettre quelles que soient les dispositions du Code criminel. Cela fait partie de l'existence et nous ne devrions pas espérer que le droit pénal puisse empêcher ce genre de choses.
Les dispositions relatives au harcèlement donnent à la Couronne une certaine latitude. Dans le cas d'une infraction particulièrement grave, qui ne constitue pas un homicide, bien sûr, infraction qui est visée par d'autres articles du code, on ne peut pas dire qu'une peine d'emprisonnement de cinq ans soit une courte peine de prison. Cette peine est purgée dans un pénitencier fédéral.
Il existe en matière de peine un principe voulant que le juge n'inflige la peine maximale, ou une peine qui s'en rapproche, que lorsque l'infraction commise est une des plus graves de sa catégorie et que le contrevenant est particulièrement dangereux. En fait, dans les circonstances appropriées, si la poursuite procédait par voie de mise en accusation, je dirais qu'une peine de pénitencier de près de cinq ans démontrerait à la plupart des gens qu'il s'agit d'un cas grave. Si ce n'est pas le cas, je dirais que la nature humaine et la société étant ce qu'elles sont, je ne vois pas ce que l'on pourrait faire d'autre.
C'est peut-être parfois une simple question d'application de la loi et d'insuffisance des preuves. Lorsque le comportement imputé est particulièrement dangereux, la Couronne peut procéder par voie de mise en accusation et non par poursuite sommaire.
M. Korpan: Je signalerais dans le même sens qu'en Saskatchewan, la peine moyenne pour l'homicide involontaire coupable, une infraction très grave, est de six à sept ans d'emprisonnement. Nous avons là une peine qui se rapproche de celle qui est habituellement infligée lorsque l'accusé a pris la vie d'une autre personne. Un emprisonnement de cinq ans n'est pas une peine légère.
En ce qui concerne ce que les tribunaux pourraient faire d'autre, je commencerais par signaler ce qui est actuellement possible. Tout d'abord, lorsqu'un délinquant primaire est inculpé de cette infraction, la poursuite a toujours la possibilité de s'opposer à ce que cette personne soit remise en liberté et de demander un rapport sur la mise en liberté sous caution, qui peut parfois se combiner à une évaluation psychiatrique. Cela permet parfois d'identifier les personnes les plus dangereuses.
Lorsque l'accusé est condamné, on prépare habituellement un rapport prédécisionnel et l'on peut alors demander une évaluation beaucoup plus détaillée qui permettra de savoir si l'accusé mérite une longue période d'incarcération ou s'il fait partie des contrevenants pratiquement inoffensifs.
Que pourrait-on faire? On pourrait consacrer davantage de ressources aux services des poursuites, dans le but de donner aux procureurs une formation sur la dynamique du phénomène et les signes qui permettent de faire la différence entre la personne qui cherche trop à poursuivre une relation et celle qui est vraiment dangereuse. On pourrait peut-être transférer du côté de l'administration de la justice l'expertise qui existe dans le système correctionnel, où l'on procède à des évaluations du risque détaillées avant d'accorder la libération conditionnelle. On pourrait sans doute mieux utiliser ces ressources.
Je pense que nous avons en fait tout ce dont nous avons besoin. Il s'agit simplement d'utiliser tout ce que nous avons. La seule autre solution consisterait à emprisonner toutes les personnes qui ont été accusées de cette infraction de peur que l'une d'entre elles aille un jour un peu trop loin. Bien entendu, cela n'est pas possible.
M. Neville: Dans les observations que j'ai présentées tout à l'heure, au début en fait, j'ai parlé des peines minimales et du fait que selon la loi, on ne pouvait prononcer une peine avec sursis lorsqu'il y avait une peine minimale. Cet aspect n'est pas dénué d'importance. Avec les dispositions du code en matière de condamnation avec sursis, le juge peut obliger l'accusé à participer à un programme de traitement approuvé par la province, celui-ci étant, en cas de refus, incarcéré pour purger intégralement sa peine.
Selon la jurisprudence, la probation vise la réinsertion sociale et il n'est pas possible d'obliger un contrevenant à suivre un traitement. Avec les condamnations avec sursis, ce type de traitement peut être imposé au condamné, parce qu'on y voit un type d'incarcération communautaire comportant donc un aspect punitif et non lié à la réinsertion sociale. C'est l'interprétation qui a été donnée. En fait, la condamnation avec sursis peut être assortie d'un programme de counselling ou combinée à une intervention psychiatrique, avec des sanctions prévues par le code en cas de refus de participer à ce traitement.
Il n'est pas possible d'imposer une peine avec sursis lorsque l'infraction est sanctionnée par une peine minimale. En sanctionnant le harcèlement par une peine minimale, on interdirait l'utilisation des condamnations avec sursis et on supprimerait la possibilité d'obliger les contrevenants à suivre un traitement. Permettez-moi de vous dire que cet argument justifierait parfaitement, tant sur le plan pratique que juridique, la décision de ne pas s'engager sur la voie des peines minimales. Ces peines ont pour effet de supprimer une possibilité fort intéressante qui peut être imposée au contrevenant.
La présidente: Je signalerais que le projet de loi présenté par le sénateur Oliver ne contient pas de disposition prévoyant une peine minimale.
M. Neville: J'en ai parlé parce qu'en lisant le compte rendu des témoignages, j'ai cru comprendre que le comité avait manifesté un certain intérêt pour cette solution, qui effectivement nécessiterait que l'on modifie le projet de loi. Le sujet a été exploré et a semblé intéresser le comité. Je signale que cet aspect a des répercussions juridiques très importantes. En fait, cette solution pourrait aller à l'encontre du but recherché par les peines.
La présidente: Avant d'aller plus loin, je vous informe que nous allons distribuer à tous les membres du comité l'arrêt Gladue pour que nous puissions l'examiner.
Le sénateur Nolin: Je comprends ce que vous dites et j'essaie de concilier votre témoignage avec les autres témoignages d'après lesquels l'infraction n'est pas définie de façon suffisamment précise. Êtes-vous toujours prêt à dire que la définition actuelle de cette infraction est satisfaisante?
Je n'ai pas les chiffres mais je ne pense pas que l'on inculpe très souvent les auteurs de harcèlement. J'ai entendu ce que vous avez répondu à cela, monsieur Korpan, et vous ne m'avez pas tout à fait convaincu. J'aimerais entendre les opinions d'autres spécialistes.
M. Neville: Dans mon premier commentaire, j'ai parlé plus précisément de l'élément moral ou de l'élément intentionnel de cet article, qui consiste à incriminer le comportement du point de vue du suspect. Je disais que l'article parle de deux types d'élément moral, la «connaissance» et l'«insouciance». Il est important que les membres du comité sachent que l'insouciance est une norme qui n'est pas très difficile à établir pour la Couronne. L'insouciance s'évalue selon le critère de la personne raisonnable qui se trouverait dans les mêmes circonstances.
On vous a dit que l'ébriété ou la consommation d'alcool ne s'appliquait pas lorsqu'il y avait insouciance. En droit, le contrevenant en état d'ébriété n'est pas une personne raisonnable parce que les personnes raisonnables ne s'enivrent pas. Le critère de l'insouciance consiste à évaluer objectivement le comportement tel que l'aurait vu une personne raisonnable. Si une personne raisonnable suivait ou surveillait constamment une autre personne, elle aurait beaucoup de mal à se faire acquitter.
Du point de vue de la plaignante, la prétendue victime, je crois comprendre d'après ce qu'on dit les autres intervenants que certains se posent des questions au sujet du sens de la phrase suivante «l'acte en question a pour effet de lui faire raisonnablement craindre, compte tenu du contexte, pour sa sécurité ou celle d'une de ses connaissances.» Là encore, c'est le critère du caractère raisonnable de la crainte. Il s'agit d'éviter que l'on puisse condamner quelqu'un à la suite d'une plainte non fondée. Le projet de loi doit essayer d'introduire un certain équilibre. Il ne devrait pas être possible pour une femme de déclarer qu'elle a peur parce qu'elle voit son ex-conjoint passer régulièrement dans la rue près de chez elle, peut-être parce qu'il habite dans le quartier dans une situation de garde partagée. Cela n'est pas raisonnable et cette formulation vise à introduire un certain équilibre.
Si une personne en suivait une autre constamment, comme le comprendrait, je crois, la plupart des juges et des gens ordinaires, je ne crois pas que le juge hésiterait beaucoup pour en conclure que la présumée victime a une crainte raisonnable. Cet article permet uniquement au juge du fait de tenir compte de toutes les circonstances telles que les a vues l'accusé, qui doit de son côté respecter le critère de la personne raisonnable, qui se trouverait toutefois dans la situation de la plaignante. Cela permet d'écarter les plaintes frivoles.
Je peux vous dire que, pour ce qui est des allégations d'avoir reçu des menaces, soit dans le cadre de l'article sur les menaces ou dans celui d'allégation d'agression dans le cas de l'article sur l'agression par un membre de la famille, il existe manifestement une tendance à porter de fausses accusations lorsqu'il y a une bataille judiciaire au sujet de la garde des enfants ou au sujet du partage des biens et de la garde des enfants. Cela n'est pas rare. Il serait peut-être bon que vous entendiez à ce sujet des spécialistes du droit familial.
Il est déjà arrivé que l'on porte des accusations criminelles pour des raisons tactiques. Il faut que cette disposition contienne une expression qui empêche ce genre d'abus et qui introduise un certain équilibre. C'est une question de preuve.
Le sénateur Nolin: Vous ne pensez pas que toutes les plaintes qui ne débouchent pas sur une accusation sont frivoles?
M. Neville: Non.
Le sénateur Nolin: Comment conciliez-vous alors cela avec le reste?
M. Neville: Voilà ce qui m'inquiète.
Lorsque je lis les observations des intervenants qui m'ont précédé, et Mme McPhedran est peut-être une des principales intervenantes, ils semblent inviter le comité à examiner des dispositions législatives. Je crois que Mme McPhedran a expressément déclaré que le comportement de l'auteur du harcèlement devrait s'apprécier uniquement en fonction de l'état d'esprit de la victime présumée. Si celle-ci déclare «J'ai eu peur et je ne me suis pas sentie en sécurité», cela devrait suffire pour établir cet élément de l'infraction. La loi affirme que cela est un point de départ mais que si la personne déclare se trouver dans cet état d'esprit, il faut ensuite démontrer que cet état d'esprit est raisonnable.
Le sénateur Nolin: C'était peut-être là son intention mais ce n'est pas ce que j'ai compris. Cela n'est pas ce qu'elle a dit. Il faut tenir compte de l'état d'esprit de la victime et de celui de l'auteur du harcèlement, du présumé auteur.
M. Neville: Elle a déclaré à la page 18 de son mémoire:
Il est important de ne pas oublier que c'est parce que la victime a déposé une plainte à la police et qu'elle a décrit le harcèlement dont elle a fait l'objet que la police a porté des accusations. C'est pourquoi nous estimons qu'il conviendrait de supprimer le mot «raisonnablement». Lorsque ce qu'a vécu la victime l'a décidée à se rendre au poste de police et à demander l'aide du système judiciaire, il importe moins d'essayer de déterminer exactement quel effet ce comportement a pu avoir sur elle que de répondre au fait que la victime s'est dérangée et qu'elle a subi des menaces.
Elle propose donc que l'on supprime le mot «raisonnablement».
Le sénateur Nolin: Personne ne m'a jamais harcelé mais on pourrait dire que faire des clins d'oeil, de façon répétée, à quelqu'un d'autre pourrait constituer du harcèlement.
M. Neville: Cela ne constituerait pas le fait de suivre quelqu'un, de surveiller une maison d'habitation, de communiquer avec quelqu'un de façon répétée, ou d'adopter un comportement menaçant, à moins que l'on puisse dire qu'un clin d'oeil est un geste menaçant.
Le sénateur Nolin: Il faudra donc tenir compte de l'état d'esprit de la victime et de l'ensemble des circonstances.
M. Neville: Exactement, ce qui n'est pas rare en droit pénal ou même dans d'autres domaines du droit.
Le sénateur Nolin: Bien sûr. C'est la nature humaine.
Ma question demeure la même: Comment expliquer que plus de la moitié des plaintes ne donnent pas lieu à un procès? Est-ce parce que, comme le suggère M. Korpan, les accusations amènent l'auteur du harcèlement à cesser ses activités, à changer d'attitude et que tout le monde est satisfait? Ou est-ce parce que le procureur de la Couronne estime que cette infraction est trop difficile à prouver et qu'il se dit: «J'ai déjà trop de travail et je ne veux pas m'occuper de cela.»
M. Korpan: Il y a toujours plusieurs raisons. C'est habituellement une combinaison de facteurs. D'après mon expérience, il y a souvent le fait que ce comportement est tout juste criminalisé par les termes utilisés dans cet article. Il est souvent à la limite de ce que l'on pourrait appeler le harcèlement criminel. Le comportement a cessé. Pour rassurer la victime, on fait signer à l'accusé un engagement de ne pas troubler l'ordre public et celle-ci s'en satisfait. Le procureur de la Couronne utilise ainsi le droit pénal pour obtenir une ordonnance qui interdit à cette personne de communiquer avec la victime. De cette façon, la Couronne n'a pas à aller en procès, avec les risques d'échec que cela comporte, opération qui obligerait aussi le présumé auteur du harcèlement à dévoiler sa vie privée. Le problème est résolu, point final.
Le sénateur Nolin: Lorsqu'un engagement de ne pas troubler l'ordre public a été contracté, cela veut dire qu'une instance a été introduite. La difficulté est qu'il y a des événements qui ne permettent pas d'entamer des poursuites. C'est ce que nous ont dit des témoins.
M. Neville: Cela s'applique à pratiquement toutes les accusations pénales. C'est une question de preuve et de définition des éléments de l'infraction. Si les éléments de preuve ne permettent pas d'établir les éléments constitutifs de l'infraction, les procureurs de la Couronne ne peuvent procéder.
Je crois que vous faites allusion à un autre problème, dont a parlé M. Korpan. Dans ces situations, lorsqu'il existe un lien personnel entre les parties, on peut choisir une autre solution.
Les gens qui citent ces chiffres le font pour que l'on adopte le principe de la tolérance zéro. Mon expérience à l'égard de la tolérance zéro est que c'est un principe dangereux qui ne convient pas à un système aussi lourd et destructeur que le droit pénal.
Je suis membre du barreau depuis 1972. Au cours des 15 dernières années, le système de justice pénale a évolué dans une direction particulièrement dangereuse, à savoir le recours à ce droit pour réaliser des objectifs sociaux. Cela est nocif parce qu'on porte aussi atteinte à deux éléments que l'on doit retrouver dans un bon système de justice pénale, les pouvoirs discrétionnaires et le jugement. Si vous retirez cela aux policiers et aux poursuivants, et que vous ajoutez des peines minimales pour retirer ces pouvoirs aux juges, le message qui est transmis est le suivant: «Ne passez pas par la case go, ne recevez pas 200 $ et allez directement en prison.» Je ne pense pas que ce genre d'attitude soit souhaitable dans un système judiciaire et c'est là que nous amène la tolérance zéro.
Je ne vais pas décrire au comité des cas particuliers mais je peux vous dire qu'en tant que criminaliste, et je suis convaincu que les autres criminalistes vous diraient la même chose, nous avons connu beaucoup de cas où les allégations d'agression dans la famille étaient sans rapport avec ce qui s'était véritablement passé. Les allégations étaient motivées par d'autres considérations et utilisées dans un but détourné. J'ai eu des policiers d'expérience qui m'ont dit en privé qu'ils avaient connu des cas qui ne méritaient pas que l'on porte des accusations mais étant donné les directives qu'ils avaient reçues, ils avaient été contraints d'en porter.
Dans la plupart des cas, lorsque la police intervient dans une querelle domestique, elle ne demande même pas au présumé contrevenant, habituellement l'homme, de fournir sa version des faits. Ils ne lui demandent même pas de faire une déclaration. Ils ne s'intéressent pas à sa version des faits. Leur position est la suivante: vous raconterez tout cela au juge. Voilà où nous amène la tolérance zéro. Cela entraîne des poursuites frivoles et très préjudiciables.
Je vais vous donner un bref exemple. J'ai eu un cas où la plaignante affirmait que mon client avait eu un certain comportement. Elle a présenté sa version des faits dans un affidavit dans le cadre d'un litige familial. Nous avons interrogé les voisins et avons réussi à convaincre la Couronne que les allégations qu'elle avait présentées dans son affidavit étaient fausses. Nous avons prouvé qu'elles étaient fausses.
Le sénateur Oliver: Avez-vous porté des accusations de parjure?
M. Neville: Connaissez-vous le nombre des plaignants qui sont accusés de parjure? Il n'y en a pratiquement pas. C'est une des infractions pénale du Code criminel qui n'est pratiquement jamais utilisée. On a même découvert que des policiers s'étaient parjurés et ils n'ont même pas été poursuivis. Les personnes qui déposent des plaintes ne sont jamais poursuivies lorsqu'elles font de fausses allégations. C'est un mécanisme destiné à redresser les injustices qui est très peu utilisé. Demandez à Donald Marshall.
Le sénateur Grafstein: Le témoin précédent a abordé la question dont je voulais parler et il l'a fait de façon intéressante. En fait, les témoignages que nous avons entendus jusqu'ici concernaient la question que vous avez soulevée, à savoir la nature du système de justice pénale. Autrement dit, dans quel cas la société doit-elle avoir recours au système de justice pénale, l'arme la plus puissante que possède l'État, pour priver un individu de sa citoyenneté? Cela revient en fait à le priver de certains droits parce qu'il possède un casier judiciaire. Le droit pénal doit être utilisé comme dernier recours et c'est un instrument, comme vous l'avez dit, grossier.
La semaine dernière, nous avons entendu au moins un témoin qui disait qu'il fallait envoyer un message clair. Vous soutenez, je crois, que la meilleure façon de le faire n'est peut-être pas d'utiliser le Code criminel.
Affirmez-vous que c'est à ceux qui veulent modifier le Code criminel de convaincre le législateur que tous les moyens utilisés pour mettre fin à un comportement déviant, si c'est comme cela qu'il faut le définir, n'ont rien donné?
Je vais vous donner un exemple. Il y a le système de justice civile et le système de justice pénale. Il y a les injonctions pénales et les injonctions civiles. Il y a le tribunal de la famille et le tribunal des enfants. Nous avons décidé de ne pas utiliser le système de justice pénale pour les enfants, si ce n'est avec des restrictions et des garanties.
Affirmez-vous qu'il incombe à celui qui propose de modifier le Code criminel, l'instrument le plus grossier que nous puissions utiliser, de nous convaincre que les autres mesures n'ont pas réussi à supprimer ce comportement déviant?
M. Neville: En un mot, je dirais que la réponse est «oui.»
Le sénateur Grafstein: Permettez-moi d'examiner cela de plus près.
M. Neville: Je vais compléter ma réponse. On a jugé que le harcèlement était un comportement déviant, ce qui est tout à fait juste et il y a eu une réaction. On a modifié le code en 1993 pour y ajouter cet article. Cet article est trop récent pour que l'on commence à le modifier.
Le sénateur Grafstein: J'ai entendu le témoignage de M. Korpan à ce sujet et je comprends son point de vue. Il affirme qu'il faut donner aux dispositions pénales le temps d'être appliquées, il faut du temps pour voir si elles vont modifier les comportements sociaux. Cela ne se produit pas du jour au lendemain. Le Code criminel ne constitue qu'une première étape.
Je crois que vous dites également, et nous l'oublions parfois, que chaque fois que l'on ajoute une nouvelle fonction au système de justice pénale, cela a pour effet indirect de réduire d'autres fonctions, parce que les ressources qui lui sont consacrées sont limitées. Pour supprimer ce problème, nous mettons les gens en prison et le Canada a le taux d'incarcération le plus élevé du monde occidental.
Permettez-moi de parler des étapes préliminaires ou intermédiaires qu'il faut suivre. Monsieur Korpan, vous avez dit que la médiation était une méthode appropriée pour modifier ce qu'on appelle un comportement déviant, un comportement qui est peut-être déviant mais pas nécessairement criminel. Avez-vous pensé à des choses comme un mécanisme non pénal de mise à l'épreuve qui permettrait au tribunal pénal de dire: «Nous allons vous mettre à l'épreuve mais vous ne serez pas poursuivi pénalement.» Serait-ce une bonne façon de procéder?
M. Neville: C'est ce qui se passe avec l'article 810. C'est exactement cela. C'est exactement l'effet de l'engagement contracté aux termes des articles 810, 810.1 ou 810.2. La personne visée par l'engagement est placée sous le contrôle du tribunal sans qu'elle ait été déclarée coupable.
Le sénateur Grafstein: Permettez-moi de revenir sur cet aspect. Les dommages-intérêts constituent un autre mécanisme qui a été créé par la common law. Nous sanctionnons les personnes qui ont un comportement privé déviant en mettant en jeu leur responsabilité civile. Les tribunaux imposent également des dommages et intérêts pénaux mais cela est très rare. Quelles sont, d'après vous, les solutions de rechange aux mesures privatives de liberté?
M. Neville: Eh bien, le rapport Archambault traitait des sanctions communautaires et les deux mesures qui ont été examinées en détail étaient les amendes et le dédommagement. Je crois que le terme dédommagement convient davantage que celui de dommages et intérêts mais c'est en effet ce que c'est. C'est un dédommagement financier.
Le sénateur Grafstein: Vous pourriez peut-être dire quelques mots au sujet de la façon dont cela fonctionne, d'après vous.
M. Neville: Pour l'essentiel, il faut que la victime soit en mesure de mettre un chiffre sur le préjudice économique qu'elle a subi, un chiffre relativement exact.
Le sénateur Grafstein: Est-ce que cela représente les douleurs et souffrances?
M. Neville: La notion de douleurs et souffrances, qui fait partie des dommages généraux en responsabilité civile, est étrangère au droit pénal parce qu'elle est un peu nébuleuse. Pour qu'il y ait dédommagement, il faut être en mesure de quantifier le préjudice de façon plus précise. Je suppose qu'en pratique dans le cas du harcèlement, si l'on réfléchissait suffisamment, on pourrait sans doute penser à des situations qui ont entraîné un préjudice pécuniaire direct. Si la personne qui était harcelée réduisait ses contacts sociaux ou ses heures de travail au point de subir une perte, la diminution de ses revenus donnerait un chiffre que l'on pourrait utiliser. Si cette personne avait peur au point de s'arrêter de travailler pendant trois mois, on pourrait sans doute dire qu'elle a subi une perte égale à trois mois de salaire.
Le sénateur Grafstein: D'après votre expérience, a-t-on déjà utilisé dans ce genre d'affaire l'injonction pénale que prévoit le code actuel et non la probation? Ce serait le cas où le juge dirait: «Il vous est interdit de communiquer directement ou indirectement avec la victime et de vous trouver à moins de «X» mètres d'elle.» A-t-on déjà utilisé une telle mesure?
M. Neville: Oui, c'est là l'effet de l'ordonnance de l'article 810.
Le sénateur Grafstein: Cela a-t-il donné de bons résultats, d'après ce que vous savez?
M. Neville: Trois avocats de notre cabinet ont eu des clients qui ont fait l'objet d'une ordonnance rendue aux termes de l'article 810. Je ne me rappelle pas qu'aucun de ces clients ait été récemment poursuivi pour avoir violé ce type d'ordonnance.
Le sénateur Grafstein: Vous affirmez donc que le code actuel prévoit des recours appropriés et que le problème vient du fait que les tribunaux n'utilisent pas toujours les recours appropriés.
M. Neville: Oui. Avec le mécanisme de l'article 810, le tribunal a en fait le pouvoir de restreindre les déplacements de la personne visée et de lui interdire de se rendre dans certains secteurs. Le tribunal peut interdire au défendeur de se trouver dans un lieu défini dans l'engagement ou à une certaine distance de celui-ci; il peut également l'empêcher de communiquer, directement ou indirectement, avec la personne pour laquelle la dénonciation a été déposée. L'ordonnance peut contenir des restrictions géographiques et en matière de communication, tout cela est prévu, les violations de cette ordonnance pouvant entraîner des poursuites.
La violation de l'engagement peut donner lieu à une poursuite par voie de mise en accusation ou par procédure sommaire, et dans le premier cas, elle est punissable d'une peine d'emprisonnement de moins de deux ans.
Le mécanisme existe. La restriction géographique existe. Il est possible de rédiger ces ordonnances en choisissant des termes qui permettront d'obtenir ce résultat. Cela constitue en effet une injonction de nature pénale.
M. Korpan: La majorité des personnes qui contractent un engagement de ne pas troubler l'ordre public le font volontairement. Il n'est pas nécessaire de tenir une audience, même s'il est possible d'imposer ce genre d'engagement lorsque la personne visée par celui-ci s'y oppose. Ce n'est pas ce qui se passe habituellement. Habituellement, cette personne contracte l'engagement volontairement.
D'après mon expérience, et là encore ce ne sont que des cas particuliers, la plupart des gens qui contractent ce type d'engagement l'exécutent intégralement et ne commettent généralement pas de violation. Lorsque la personne visée accepte ce genre de restriction, il est beaucoup plus fréquent qu'elle la respecte que lorsqu'on la lui impose.
Le sénateur Grafstein: En résumé, l'objectif que recherche ce projet de loi est déjà réalisé avec le code actuel. La difficulté ne vient-elle pas du fait que les tribunaux, pour une raison ou pour une autre, n'utilisent pas tous les moyens qu'ils ont à leur disposition?
M. Korpan: Tout à fait.
Le sénateur Beaudoin: Monsieur Korpan, vous dites qu'il y a déjà trop de détenus et vous avez peut-être raison. Il est cependant parfois nécessaire de créer de nouvelles infractions. Le droit pénal évolue constamment.
Cette affaire en est un exemple. Notre comité a longuement débattu de la question de savoir s'il fallait être plus sévère ou moins sévère. On peut penser à la question des jeunes contrevenants. Nous allons devoir examiner ce problème très prochainement.
Au Québec, la position face à cette question n'est pas la même que dans les autres provinces. Je respecte tout à fait cette opinion.
Je ne comprends pas pourquoi vous vous opposez à ce projet de loi. Il faut prendre ce type d'infraction très au sérieux. J'ai tendance à penser que le traitement accordé à cette infraction dans le projet de loi est équitable. Est-ce une question de principe, nous avons trop de gens dans les prisons, et il ne faudrait donc pas aggraver la situation? Ou devrions-nous apporter une solution individuelle à ces problèmes?
M. Korpan: Il faudrait leur apporter une solution individuelle. Mes trois derniers commentaires portaient sur des aspects plus particuliers de ce projet de loi. D'une façon générale, à titre de principe, il faut tenir compte de ce que nous avons réussi à obtenir au Canada grâce à l'incarcération. Avons-nous atteint les objectifs recherchés? La Cour suprême a examiné cette question de façon beaucoup plus approfondie que je pourrais le faire et elle a déclaré que cela n'avait pas donné les résultats escomptés. Nous jetons en prison beaucoup trop de gens. Ce seul fait devrait nous inciter à examiner de très près les propositions qui ont pour effet d'élargir le recours à l'incarcération. Ce projet de loi va-t-il vraiment avoir le résultat souhaité? Je pense que cela ne sera pas le cas.
Le sénateur Beaudoin: Ce n'est donc pas la bonne solution, compte tenu des circonstances?
M. Korpan: Exact.
Le sénateur Beaudoin: Ce serait peut-être une bonne solution dans un autre contexte, mais pas dans celui-ci, est-ce bien cela?
M. Korpan: De toute façon, je me méfierais des suggestions qui tendent à augmenter le nombre des détenus, en particulier dans le cas du harcèlement criminel.
M. Neville: Je pense qu'il serait bon que le comité demande à tous les procureurs généraux du pays de témoigner, si cela est possible.
J'ai été fort surpris que certains pensent, même si ce n'est pas la réalité, que les services des poursuites des provinces et territoires ne prennent pas cette infraction suffisamment au sérieux. Cela ne concorde pas avec mon expérience personnelle, au moins dans cette province.
Même si vous recevez des mémoires, vous devriez entendre les procureurs généraux, les responsables de l'application de la loi. Il n'y en a que 11.
La présidente: Nous leur en avons fait la demande et nous avons commencé à recevoir des réponses. Nous avons reçu des réponses de la Saskatchewan, du Manitoba et de la Colombie-Britannique.
M. Neville: Je crois qu'ils seraient surpris, voire choqués, d'entendre dire qu'ils n'accordent guère à cet aspect , qui est en fait un domaine connexe à l'agression en milieu familial. J'ai été très surpris d'entendre cela.
Le sénateur Fraser: Je ne comprends pas très bien vos arguments. Nous sommes tous d'accord pour dire qu'il ne faut pas abuser des peines d'emprisonnement. Nous ne sommes pas non plus en faveur d'enfermer des gens qui sont encore un peu trop amoureux, qui ne comprennent pas la situation et qui essaient de faire quelques appels pour voir s'ils ne pourraient pas arriver à s'entendre. Ce qui a amené le sénateur Oliver à présenter ce projet de loi, ce ne sont pas ces gens-là. Ce sont les autres, une minorité certes, mais dangereuse qui vont beaucoup plus loin.
Vous savez tout comme moi qu'il y a des gens, pour la plupart des femmes, qui sont tués chaque année au Canada par des gens qui ont commencé par faire des appels téléphoniques et à rôder autour de l'endroit où elles travaillent.
Ce projet de loi n'entrerait en jeu qu'une fois l'accusé déclaré coupable. Les peines minimales proposées par Mme McPhedran et d'autres témoins ne s'appliqueraient qu'aux récidivistes ou en cas de violation d'un engagement de ne pas troubler l'ordre public.
Je viens de Montréal. Nous avons trop vu de cas où des maris n'ont pas tenu compte des ordonnances des tribunaux qui leur interdisaient de harceler leur femme. L'élaboration d'une orientation pose toujours un véritable dilemme.
Je ne comprends pas très bien pourquoi vous vous opposez si vivement à l'idée qu'une peine d'emprisonnement est justifiée lorsque l'accusé a été déclaré coupable et qu'il s'agit d'un récidiviste. Nous parlons des situations qui n'ont pu être réglées par la discussion.
M. Neville: La loi, même dans son état actuel, prévoit en fait une peine d'emprisonnement, six mois par voie de la déclaration sommaire de culpabilité ou cinq ans par acte d'accusation. La peine de prison existe. Nous discutons comme si la possibilité de prononcer des peines d'emprisonnement n'existait pas. C'est le dernier recours une fois que l'on est passé par la mise à l'épreuve et autres solutions de ce genre, mais cette possibilité existe. On peut y recourir lorsque cela s'impose.
Il m'apparaît qu'il suffit que l'on apporte les preuves ou éventuellement que le procureur de la Couronne le demande. Le système est accusatoire. Il a pu se faire que dans certains cas l'accusé soit bien défendu et se soit vu infliger une peine inférieure à ce qu'elle aurait été autrement. C'est une autre question qui relève du système accusatoire et de la procédure pénale dans notre système de justice, mais il n'en reste pas moins que les peines d'emprisonnement existent chez nous.
Par définition, le principe d'une peine d'emprisonnement minimum retire toute discrétion et surtout empêche que l'on soumette l'accusé à un traitement obligatoire dans le cadre d'un régime de condamnations à l'emprisonnement avec sursis. Le juge ne peut pas rendre ce traitement obligatoire aux termes d'une simple mise à l'épreuve mais il peut le faire dans le cadre d'une condamnation à l'emprisonnement avec sursis. Toutefois, on ne peut pas prononcer une condamnation à l'emprisonnement avec sursis si l'on impose une peine minimale.
Vous enlevez ainsi une possibilité. Si l'on part du principe que dans bien des cas de ce genre l'auteur de l'infraction est «dérangé», cela signifie qu'il peut être atteint de troubles qui vont du dérangement maniaco-obsessif jusqu'à la personnalité psychopathe. Si cette personne a besoin d'une intervention professionnelle, on peut la lui imposer avec ce type de sentences. On ne peut pas le faire autrement. Il y a des risques cachés dans les peines minimales et elles nous retirent des possibilités susceptibles d'être utiles.
Le sénateur Fraser: Savez-vous si l'on ordonne fréquemment des traitements?
M. Neville: Non, je ne peux pas vous le dire précisément. Cela pourra vous être communiqué éventuellement par la Section des statistiques sur la justice pénale de Statistique Canada. Elle consigne les renseignements de ce type et pourra vous dire combien de fois on a recours à la disposition rendant obligatoire un traitement. C'est une disposition relativement nouvelle. On n'a commencé à l'utiliser qu'en septembre 1996. Ce régime n'est en vigueur que depuis deux ans et demi. Je ne sais pas si l'on a étudié quelle a été sa fréquence d'utilisation et avec quels résultats. Les responsables sont probablement en train d'accumuler les données à l'heure actuelle et ils pourront probablement vous informer.
Le sénateur Fraser: D'après ce que je peux savoir, les prisons de ma province sont surpeuplées alors que le système judiciaire consacre encore moins de ressources aux traitements. On n'y a absolument pas recours, même lorsqu'il est ordonné.
M. Neville: J'ai le sentiment que l'incarcération, ne serait-ce que pour une durée fixe, n'est rien d'autre qu'une revanche alors que l'intervention professionnelle peut donner des résultats.
Le sénateur Fraser: Si on peut en bénéficier, oui.
M. Neville: Le tribunal peut demander une intervention des services correctionnels en prononçant une peine d'emprisonnement avec sursis.
La présidente: Nous essaierons de fournir ces renseignements aux membres du comité.
Le sénateur Bryden: On peut dire qu'aux États-Unis, on a tendance à faire des procès alors qu'au Canada, on a tendance à légiférer. La loi est la réponse à tous les problèmes sociaux. Vous nous avez dit que bien souvent, le Code criminel n'est qu'un instrument grossier lorsqu'il s'agit de résoudre les problèmes sociaux.
C'est non seulement un instrument grossier à mon avis, mais c'est aussi une béquille pour la société. Le Code criminel donne à notre société la possibilité de ne pas faire face aux véritables problèmes sociaux et de ne pas mettre en place les structures qui s'imposent.
Quelles sont les structures ou les domaines que l'on pourrait améliorer afin que l'on puisse remédier à nos grands problèmes sociaux?
M. Korpan: Je représente des victimes en droit familial et les gens viennent me voir parce qu'ils sont allés chez leur médecin et qu'ils ont lu l'affiche sur les murs de son cabinet: «Si vous êtes maltraité, venez me parler.»
Les médecins commencent à mieux connaître désormais les problèmes que les gens éprouvent chez eux, non pas seulement pour ce qui est du harcèlement, mais aussi pour tout type d'infraction qui a lieu à domicile et même parfois pour ce qui est de comportements qui ne constituent pas une infraction mais qui n'en restent pas moins intolérable.
Parfois, le médecin ne traite pas seulement la victime, mais aussi le mari. J'ai vu des médecins agir en tant que médiateurs dans certains cas. En tant qu'avocat j'ai souvent pu compter sur l'aide des médecins pour résoudre les situations dans lesquelles se trouvent les gens alors qu'ils en sont au premier stade, très lourd et très contentieux, de la rupture du mariage, lors des premières semaines lorsque tout peut basculer. En faire une question de santé est certainement une façon d'aborder le problème.
Il faudrait aussi donner une formation aux membres du clergé et aux conseillers et faire en sorte qu'il y ait davantage de conseillers disponibles, qui oeuvrent en compagnie de groupes communautaires comme le YWCA et le YMCA pour que le message passe bien. Une campagne de sensibilisation est menée en Saskatchewan au sujet de la violence faite aux femmes et du fait qu'on ne peut plus continuer à se taire.
Il y a dix ans, lorsque l'on entendait les voisins se disputer et faire une scène, on se disait que c'était leur affaire. Peu de gens prennent ce parti aujourd'hui. La plupart d'entre eux appellent le 911 comme ils le feraient s'ils voyaient deux hommes se battre dans la rue devant chez eux.
Je ne sais pas si ça fonctionne. On peut penser que oui en voyant certaines affaires. Je sais que le fait d'envoyer des gens en prison ne donne aucun résultat, et notre Cour suprême le sait elle aussi.
M. Neville: Je commencerai par reprendre l'affaire que vous avez soulevée au début, celle de la tragédie de l'Alberta. L'une des suites de cette affaire qui m'a particulièrement frappé, c'est la réaction du père de l'enfant qui a été tué. On parle souvent, surtout dans les groupes de défense des victimes, de tourner la page, de guérir, et cetera. Bien souvent, en présence de gens qui s'affrontent, j'ai toujours pensé que lorsqu'on continuait à alimenter la flamme -- celle de la revanche, de la rancoeur, de la punition -- on ne pouvait pas guérir. Je crois qu'il doit y avoir une période de tristesse, de deuil, et qu'il faut ensuite tourner la page. La réaction de ce père à la mort de son fils, qui est allé prier pour l'âme du garçon qui a tué son fils, est l'une des plus positives et l'un des meilleurs moyens de guérison que j'ai jamais vu.
Toutefois, cela n'inspire pas certains groupes qui ont comparu devant vous. Je regrette d'avoir à dire que leur programme est la revanche et je ne pense pas que cela donne des résultats. Je considère que c'est la sensibilisation et la prise de conscience du public qui donnent des résultats.
La conduite en état d'ivresse nous en a donné un bon exemple ces 15 dernières années. Mes enfants ont pris conscience, grâce aux programmes d'information organisés dans les écoles et ailleurs, des méfaits de la conduite en état d'ivresse. Dans ma jeunesse, au cours des années 50 et 60, tout le monde riait lorsque quelqu'un nous disait: «J'avais tellement bu, je me demande comment j'ai réussi à rentrer chez moi.» Très peu de gens pourraient parler ainsi aujourd'hui parce que c'est inacceptable sur le plan social. Nos enfants et les générations qui suivent apprennent qu'il y a des comportements socialement inacceptables parce qu'on leur en expose les conséquences et les méfaits.
Bien souvent, la confrontation et les accusations, par opposition à la réparation, causent plus de bien que de mal.
Mon ami, M. Korpan, est originaire de la Saskatchewan, où l'on considère que la réparation, dans le cadre de la justice autochtone, est une façon positive de remédier à des maux sociaux. La communauté est considérée comme une partie de la solution. On ne demande pas à l'auteur de l'infraction de rendre des comptes à la communauté mais de travailler au sein de la communauté pour en devenir un membre dynamique.
La question de la réparation est abordée jusqu'à un certain point dans l'arrêt Gladue. Cela figure dans les modifications. On le trouve à l'article 718 sous la rubrique «Objectifs de la détermination de la peine». Il y a deux des objectifs répertoriés qui sont de réparer le préjudice causé aux victimes ou à la collectivité en insufflant un sens des responsabilités aux auteurs des infractions, et de reconnaître le préjudice causé aux victimes et à la collectivité.
On n'incite pas normalement les gens à la réparation si on les sanctionne trop lourdement. Généralement, il leur faut surmonter leur problème avant de comprendre qu'ils ont de plus grandes responsabilités envers eux-mêmes, ceux à qui ils ont causé un préjudice, et leur collectivité. Il m'apparaît qu'une justice faisant appel à la réparation, associée à la prévention, donnera de meilleurs résultats qu'un pis-aller comme la prison. Nous avons vu que ce n'est pas une solution.
Le sénateur Nolin: Merci de votre comparution.
Un document a été élaboré pour le compte du ministère de la Justice en 1996. Le ministère ne lui a pas donné son aval, mais il a été élaboré à son intention. Il s'agit d'une étude de l'article 264. Y avez-vous accès?
M. Neville: On en parle dans votre procès-verbal, mais je ne l'ai pas consulté.
Le sénateur Nolin: Je vais vous lire certaines de ses conclusions, à la page 67:
Le nombre d'accusations de harcèlement criminel retirées ou suspendues par la Couronne, et le nombre d'accusations retirées en échange d'un engagement de bonne conduite, est très élevé comparativement à l'ensemble des accusations portées au titre du Code criminel et pour la plupart des catégories déterminées d'infractions. Lorsque 60 p. 100 des accusations de harcèlement criminel sont retirées ou suspendues, on ne peut pas dire que l'on cherche à se montrer ferme comme cela a été prévu par la prétendue loi contre le harcèlement. Le fait que 75 p. 100 des personnes reconnues coupables de harcèlement criminel ne se soient vu infliger qu'une mise à l'épreuve ou une peine avec sursis traduit par ailleurs l'application d'un traitement moins sévère que pour la plupart des autres catégories d'infractions. L'expérience qui a été faite jusqu'à présent nous enseigne que les auteurs des infractions, dans la grande majorité des cas, s'en tirent sans condamnation et que même lorsqu'ils sont reconnus coupables, la justice se contente d'une légère admonestation. Il n'est absolument pas garanti que la justice va sévir davantage lorsque l'accusé a un casier judiciaire, lorsqu'il a déjà fait preuve de violence à l'encontre de la même femme ou d'autres encore, ou lorsqu'il a déjà enfreint des ordonnances de protection judiciaire.
Vous n'êtes peut-être pas d'accord avec cette conclusion, mais je ne peux rester insensible à cette lecture. Doit-on faire quelque chose? Vous nous dites que le problème ne relève pas du Code criminel, que les autres juridictions doivent s'efforcer par ailleurs de résoudre le problème. Je pense qu'il est toujours dans l'intention du Parlement de faire du harcèlement une infraction grave que nous ne voulons pas tolérer.
Au vu de la conclusion que je viens de vous lire, ne devrions-nous pas faire quelque chose au sujet du Code criminel ou doit-on laisser aux provinces le soin de s'en charger?
M. Korpan: Je vais vous expliquer pour quelle raison les ordonnances de bonne conduite sont appliquées plus souvent dans ce type d'infractions que pour les autres infractions pénales en général. J'ignore dans quelle mesure on a anormalement recours aux ordonnances de bonne conduite en cas de harcèlement, comparativement aux cas où les accusations portent sur des infractions telles qu'agressions familiales, menaces dans le cadre de la famille ou toute autre infraction commise en permanence contre une personne. On n'a pas recours aux ordonnances de bonne conduite en cas de conduite en état d'ivresse parce que cela ne serait pas logique. Il n'y a aucun lien rationnel entre une ordonnance de bonne conduite et des infractions comme la conduite en état d'ivresse ou la toxicomanie.
Je conteste les statistiques qui nous révèlent que cinq pour cent seulement de l'ensemble des accusations sont remplacées par des ordonnances de bonne conduite alors que ce pourcentage est bien plus élevé en cas de harcèlement. C'est en raison de la nature de l'infraction et parce qu'une autre solution rationnelle existe dans le Code criminel pour résoudre les problèmes posés par ce type d'infractions. Il est possible qu'on s'alarme inutilement en se référant à ces statistiques.
Le sénateur Nolin: Je poursuis par la lecture de la quatrième conclusion:
La grande majorité des accusés sont relâchés avant le procès; nombre d'entre eux ont déjà un casier judiciaire, n'ont pas respecté par le passé des ordonnances judiciaires et sont fichés pour avoir été déjà violents avec leurs partenaires par le passé.
M. Korpan: Je ne suis pas en mesure de contester ces statistiques. Je peux vous dire toutefois en tant qu'avocat de la défense que lorsque quelqu'un vient me voir dans mon bureau ou, plus vraisemblablement, appelle de sa cellule alors qu'il est inculpé de harcèlement et qu'il possède un casier judiciaire ou qu'il a déjà auparavant agressé une femme, je l'avertis qu'il va être très difficile de le faire libérer sous cautionnement. Je sais que la Couronne ne me fera aucun cadeau. Elle exigera au minimum un rapport présentenciel, et même si la Couronne ne l'exige pas, le juge le fera d'autorité. Il va falloir me battre pour faire sortir cette personne de prison. Je suis surpris par ces statistiques.
Je récuse l'idée selon laquelle une personne qui a un casier judiciaire ne risque pas davantage d'être mise en prison ou de se voir infliger une peine plus dure que lorsqu'il s'agit d'une première infraction.
M. Neville: Il est difficile de répondre à cette étude sans préavis. Si je comprends bien, elle a été rédigée en 1996. J'imagine que ce travail a été fait en fonction de statistiques recueillies en 1994 et en 1995, selon le mois de l'entrée en vigueur de cet article en 1993. Il peut y avoir jusqu'à un certain point un problème d'échantillonnage.
Toutefois, en la feuilletant, je vois qu'à la page 39 l'auteur semble répertorier une série de facteurs qui atténuent la portée des accusations. Ce sont les suivants: le désir exprimé par la victime de poursuivre ou de ne pas poursuivre; la solidité du dossier, notamment lorsqu'il semble que la victime hésitera à témoigner ou ne sera pas un bon témoin; la charge de travail de la Couronne et le fait qu'on a tendance alors à éviter de traduire en justice des affaires lorsque d'autres solutions sont possibles, surtout si elles sont acceptées par la victime; le fait qu'un verdict de culpabilité se traduira vraisemblablement par une mise à l'épreuve et non pas par un emprisonnement, sauf dans les cas très graves, ou lorsque l'accusé a un lourd casier judiciaire; les avantages qui résulteront vraisemblablement de l'allégement de la procédure pour l'accusé; enfin, le fait de pouvoir s'entendre avec l'avocat de la défense. Ces éléments ne sont pas pour nous surprendre. Ce sont ces mêmes facteurs qui viennent jouer dans pratiquement toutes les accusations pénales, sauf les plus graves, tels que les homicides. Nous voyons constamment des affaires se régler sans passer par un procès pour ce type de raisons. Ce sont les facteurs qui doivent s'appliquer en l'espèce, ils ne sont pas exceptionnels.
C'est tout à fait représentatif des poursuites en matière pénale. Vous relevez que dans bien des cas, le dénominateur commun semble être la volonté de la personne qui porte plainte, décrite ici comme étant la victime, d'accepter cette solution. Si nous voulons aller plus loin et étudier les raisons de l'acceptation de la victime -- exercice de pressions, de menaces ou autres -- nous n'en finirons plus. Toutefois, dans la majorité des cas, il semble que des solutions de rechange dans lesquelles la personne qui porte plainte, ou la victime, a véritablement son mot à dire, puissent être appliquées. Ce n'est pas par hasard et ce n'est pas exceptionnel.
C'est particulièrement vrai dans les cas de harcèlement, par exemple, où par définition il n'y a plus de relations permanentes. Ce sera plus rare lorsqu'il y a eu une réconciliation et un rétablissement de la relation. J'irais jusqu'à dire que dans bien des cas la personne qui porte plainte se satisfait des recours disponibles, notamment sur le plan matrimonial, par exemple. Excusez-moi, mais je ne vois là rien de surprenant.
Le sénateur Oliver: J'allais demander aux témoins s'ils avaient lu le rapport du ministère de la Justice qui analyse l'article 264, mais cette question a déjà été posée. En lisant notre procès-verbal, on saura que c'est non, qu'aucun d'entre eux ne l'a lu.
Avant de faire mes observations, je tiens à dire que je suis très heureux que vous ayez pris le temps tous deux, alors que vous êtes très occupés, de rédiger un mémoire, de venir le présenter ici et de répondre à nos questions. Votre intervention nous permettra de mieux débattre de ce projet de loi, que je juge important.
Je ne suis pas un avocat criminaliste. Je suis un avocat de droit civil qui pratique depuis 35 ans. J'ai pratiqué exclusivement le droit pénal au cours des trois premières années de ma carrière, et j'ai aussi donné des cours de droit pendant 14 ans. Je m'occupe d'affaires civiles et je ne vais donc pas débattre du droit pénal avec vous-même si je suis tenté de le faire.
Je dirai tout d'abord que le système n'a pas répondu aux attentes des victimes de harcèlement criminel. Si vous aviez lu le rapport, vous sauriez qu'on y dit dans l'introduction que les statistiques portant sur le sort réservé aux affaires nous révèlent que la plupart des gens interrogés estiment qu'à l'heure actuelle notre justice n'appuie pas résolument le message qui avait présidé à l'adoption de l'article 264, en l'occurrence que le harcèlement est une infraction grave que l'on ne doit pas tolérer.
Vous avez commencé votre exposé en disant que l'on ne doit pas se servir du droit pénal comme outil de changement social. Je ne suis pas ici aujourd'hui en tant qu'avocat mais en tant que législateur. Un projet de loi récemment déposé au Parlement parle des «droits des victimes». On y traite du recours éventuel aux déclarations des victimes concernant les séquelles qu'elles ont subies. La question relève ici des politiques publiques. Il nous faut mieux protéger les victimes. Il nous faut leur donner la possibilité de faire connaître leur point de vue avant que les peines soient prononcées. C'est dans ce sens que s'oriente le droit pénal. Il ne s'agit pas simplement de jeter les gens en prison.
Ensuite, en écoutant votre exposé, il m'est apparu clairement que vous aviez en fait le sentiment qu'il n'y a ici aucun problème à régler. Je reprends en fait votre formulation et vous nous dites que les peines proposées dans le projet de loi qui nous est présenté sont trop sévères compte tenu du «problème qui est perçu». Vous évoquez un problème qui est «perçu», ce qui indique que dans votre esprit nous perdons notre temps parce qu'il n'y a aucun problème qu'il convient de corriger ou de régler. C'est regrettable. Si vous aviez pu prendre connaissance de l'évaluation de ce problème par le ministère de la Justice, dans le cadre de l'interprétation et de l'application de l'article 264, vos conclusions auraient pu être différentes.
À bien des égards, vous nous avez fait tous deux une très brillante apologie du statu quo. Autrement dit, vous nous dites qu'il faut laisser la loi en l'état. Il est trop tôt pour procéder à des modifications. Cela ne tient pas compte, toutefois, du problème qui existe à la base. C'est en quelque sorte une théorie conçue à partir d'une tour d'ivoire, qui ne tient pas compte de ce qui se passe sur le terrain.
Il ne s'agit pas seulement de problèmes familiaux qui mettent aux prises des conjoints qui se querellent, qui se séparent, et cetera. Le rapport du ministère de la Justice fait part de sa surprise en constatant que dans la plupart des cas le harcèlement ne met pas aux prises un homme ou une femme qui s'est séparé de son conjoint. Contrairement à ce que vous avez dit tous deux -- il s'agit essentiellement de conjoints qui se sont séparés, qui sont en colère l'un contre l'autre et qui cherchent une confrontation qui peut être résolue au moyen d'une médiation -- ce n'est pas ce que les faits nous réservent. Je considère en fait que votre exposé se présente sous la forme d'un syllogisme. Si la prémisse principale de votre syllogisme s'appuie sur certains faits connus et si les faits connus nous sont révélés par le ministère de la Justice alors que vous n'en avez pas connaissance, votre prémisse principale est donc erronée et la conclusion de votre syllogisme l'est aussi.
J'espérais que vous auriez pu nous apporter une réponse aujourd'hui et je vais vous demander votre avis maintenant: en supposant un instant qu'il y ait un problème concernant l'application des dispositions régissant le harcèlement dans le Code criminel, avez-vous quelque chose de positif à nous recommander pour que nous puissions aider les victimes qui sont constamment harcelées et suivies par des gens qui menacent de les tuer un jour ou de leur causer de graves dommages physiques? Avez-vous quelque chose de positif à nous proposer pour renforcer le projet de loi afin que nous puissions mieux protéger les victimes?
M. Neville: Il m'apparaît, sénateur, que c'est une question d'application de la loi. Autrement dit, la loi existe. Laissez-moi quand même vous dire pour ma propre défense que le Parlement a fait de ce comportement une infraction pénale. C'est symptomatique. C'est une infraction criminelle depuis le mois d'août 1993. Par la voie démocratique, le Parlement s'est penché sur ce comportement social et en a fait un acte criminel.
Nous nous demandons si au stade de l'application, qui est du domaine provincial et non pas fédéral, on procède comme on l'avait prévu au départ en faisant intervenir le Code criminel. Excusez-moi, mais je ne vois pas comment votre comité pourrait résoudre ce problème.
Je me ferai un plaisir d'essayer de lire ce rapport en détail et de revenir vous voir, si cela peut être d'une utilité quelconque. Je ne sais pas toutefois quelles sont les conclusions exactes que l'on peut en tirer. On trouve à la page 26 un tableau visant à illustrer, si je comprends bien, la relation qui existe entre la personne qui porte plainte et l'accusé. On y trouve un certain nombre de catégories.
L'échantillon ne porte que sur 599 affaires, ce qui ne me semble pas très élevé pour un échantillon national. Si je comprends bien, cette situation s'est produite dans 57 p. 100 des cas environ entre deux partenaires ou ex-partenaires; dans 4,7 p. 100 des cas entre amis; dans 20,7 p. 100 des cas entre connaissances, selon la définition qu'on veut bien donner à ce terme; enfin, dans 11,7 p. 100 des cas entre deux étrangers. C'est ce qui ressort pour moi du tableau. Il se peut que je l'interprète mal ou que je le sorte de son contexte, mais je vois ici que seuls dans 70 cas sur 599, soit dans 11,78 p. 100 des cas, on a affaire à de purs étrangers.
Si vous considérez les cinq premières catégories, partenaires actuels, anciens partenaires, amis, compagnons de travail et connaissances, il y a un lien direct entre l'auteur de l'infraction et sa victime dans quelque 85 p. 100 des cas. Il semble ressortir de la propre analyse des consultants qu'il y a un lien personnel direct entre l'auteur de l'infraction et sa victime dans environ 85 p. 100 des cas.
Je réfute votre critique, si vous me le permettez, même si je n'ai pas eu l'occasion de lire le rapport. Le harcèlement ne se produit pas simplement entre deux partenaires, et je ne l'ai jamais prétendu. J'ai mentionné l'importance du lieu de travail, même si l'on nous dit ici que ça n'arrive que dans 2,78 à 3 p. 100 des cas. Il n'en apparaît pas moins que dans 85 p. 100 des cas il y a une certaine relation personnelle entre l'auteur de l'infraction et sa victime.
Dans une large mesure, c'est pourquoi les mesures de substitution auxquelles on a recours -- les ordonnances de bonne conduite et autres -- sont aussi élevées. C'est dû à la nature personnelle des relations. Si les facteurs relevés par les auteurs pour expliquer le fait que la Couronne renonce au procès sont ceux que je peux voir sur une autre page, il m'apparaît que pour l'essentiel on choisit une mesure de rechange parce que la victime est d'accord d'une façon ou d'une autre.
Dans une relation familiale qui se poursuit, il y a une préoccupation légitime. Je suis moi-même préoccupé lorsque je défends un accusé et que la personne qui l'accuse se rétracte. Y a-t-il une certaine forme de chantage, pour employer un mot courant, de pression économique ou autre?
Lorsqu'il y a harcèlement, en général il n'y a pas de possibilité de réconciliation. On ne peut pas rester ensemble, ou du moins l'un des deux ne le veut pas, de sorte que cette dynamique est absente. On ne peut pas commettre un abus ou manquer à l'application de la loi si la victime, selon les critères que l'on a pu voir ici, a son mot à dire, tout particulièrement, si j'interprète bien les pourcentages, lorsque dans quelque 85 p. 100 des cas, il y a une relation personnelle.
Il se peut que la victime, étant donné que les mesures de substitution lui confèrent la protection dont elle a besoin ou parce qu'elle veut faire preuve de mesure, se rend compte que l'application pleine et entière de la loi est trop sévère. Elle peut se rendre compte que cela causera un préjudice supplémentaire à l'intéressé, en lui faisant par exemple perdre son emploi. Une mesure de substitution n'entraînant pas une condamnation pénale est acceptable lorsque les autres moyens de protection sont en place. J'imagine que c'est ce qui se passe.
Je reste sceptique au sujet de la valeur d'une étude portant sur des statistiques recueillies dans les deux ans de l'adoption de la loi. Selon ces statistiques, comme l'on pouvait s'y attendre, il y a une forte composante personnelle au sujet de ces poursuites. L'élément étranger est très faible, un peu moins de 12 p. 100. Pour ce qui est du «public» le chiffre est de 0,7 p. 100; pour les «autres», de 1,8 p. 100; enfin pour les «parents», de 1 p. 100. Ce tableau nous indique par conséquent que dans 85 p. 100 des cas il y a une certaine relation, qu'elle soit intime, professionnelle, amicale ou qu'elle s'applique à certaines connaissances.
Étant donné la forte incidence des liens personnels dans les poursuites, compte tenu de ce que l'on nous indique, j'imagine que l'accusation tient compte des désirs des victimes. S'il en est ainsi, c'est une bonne chose. Si cela était dû à d'autres motivations, un laisser-aller ou une surcharge de travail, ce serait mauvais. Il s'agit d'y consacrer des ressources suffisantes. C'est pourquoi j'invite le comité à entendre les représentants de l'application de la loi, les procureurs généraux. J'imagine qu'ils vous diront, c'est peut-être leur intérêt, qu'ils ne prennent pas l'affaire à la légère.
Le sénateur Oliver: Vous avez déjà avancé cet argument. Je vous répondrai en disant que ce projet de loi ne nous tombe pas du ciel. Il a été rédigé après consultation des procureurs de la Couronne, des criminalistes avec lesquels j'ai pu parler dans tout le Canada et des bureaux des procureurs généraux, tels que le procureur général de la Colombie-Britannique, qui souhaite comparaître devant notre comité pour défendre ce projet de loi. En fait, des spécialistes qui travaillent au ministère de la Justice dans tout le Canada ont participé à la rédaction de ce projet de loi. Ils ont effectivement été consultés. Je voulais qu'il en soit pris acte dans notre procès-verbal.
M. Neville: Je comprends cela en relisant les observations que vous avez faites devant le comité le premier jour. Mon expérience d'avocat de la défense me fait dire que ceux qui sont chargés de poursuivre cherchent à faire appliquer vigoureusement la loi et considèrent généralement que les peines de prison sont la meilleure solution.
Je ne partage pas cette philosophie. Elle est erronée, elle est inefficace, mais elle existe. Je ne suis pas surpris d'entendre que les personnes chargées des poursuites vous disent qu'il faut davantage de poursuites et davantage de peines d'emprisonnement. C'est leur mentalité. Ce n'est pas la mienne. Je ne partage pas du tout cette philosophie. Je vous ferai remarquer très respectueusement qu'elle est contraire aux modifications apportées à la partie XXIII du Code criminel, aux modifications sur la détermination de la peine et aux décisions de la Cour suprême. Ce n'est pas, pour l'instant, vers cela que nous semblons nous orienter. C'est une mesure rétrograde. De plus, étant donné la composante très personnelle de ces affaires, une peine d'emprisonnement de dix années contre cinq par voie d'accusation criminelle, ou une peine de 18 mois d'emprisonnement contre six par voie de déclaration sommaire de culpabilité, ça ne va pas franchement faire une grande différence.
J'incite fortement le comité à refuser une démarche ou une modification susceptible de mettre en oeuvre des peines minimales. J'ai exposé les dangers que cela pouvait entraîner sur le plan de la procédure et de la détermination de la peine et la gêne que cela pourrait causer aux tribunaux qui cherchent à remédier utilement au problème. Lorsque vous entendez les procureurs généraux, le meilleur message à leur donner c'est peut-être de leur rappeler que cette affaire est grave. Je serais surpris s'ils vous disent qu'ils ne s'en sont pas rendu compte.
M. Korpan: Je me fais l'écho de tout ce que vient de dire mon collègue et je ne le répéterai pas. Le discours à la mode porte en grande partie sur des choses que l'on pourrait régler par l'entremise du bureau du procureur de la Couronne.
Je comprends que l'on sente le besoin de faire quelque chose pour les victimes lorsqu'elles sont harcelées par un fou. Après avoir lu certaines transcriptions des audiences précédentes, il m'apparaît que l'on a en quelque sorte perdu de vue la cause des témoins ou des victimes; un témoin qui ne comprend pas la procédure et qui ne sait pas exactement quels sont les recours que lui offre le droit pénal. Pour tous les types d'infractions pénales, on entend parler en général des préoccupations des victimes et des témoins. Quelle est l'étape suivante? Qu'est-ce qui va se passer? Qu'arrivera-t-il lorsqu'il va se présenter devant le tribunal? Une fois qu'il est au tribunal: est-ce sa première comparution à un procès? Va-t-il témoigner? Ces préoccupations de la victime sont décuplées lorsque le danger est permanent et lorsque le fou est toujours en liberté.
Le ministère de la Justice de la Saskatchewan offre des services aux victimes. J'imagine que c'est une initiative du gouvernement provincial. Je ne sais pas dans quelle mesure cela existe dans d'autres provinces. Un avocat préposé à la défense des victimes est assigné à la personne qui porte plainte, particulièrement dans des cas de ce genre, et il se charge de démystifier la procédure. Toutefois, les avocats préposés à la défense des victimes n'ont qu'un temps et des ressources limités. Ils ne peuvent pas faire visiter la salle d'audience et le tribunal et montrer aux victimes à quoi cela ressemble pour qu'elles puissent assister à un autre procès et voir ce qui se passe lorsqu'on témoigne à la barre. Ils n'ont pas le temps de présenter une demande pour que les victimes puissent témoigner derrière un écran afin de ne pas avoir à confronter directement l'accusé. Les avocats préposés à la défense des victimes se tiennent souvent derrière celle-ci dans la salle d'audience pour les appuyer et leur éviter en partie d'être intimidées.
Toutes ces affaires sont bien difficiles à plaider du point de vue de la défense. On peut contre-interroger un témoin mais j'aime à penser que l'on ne verra aucun avocat de la défense chercher à intimider la personne qui témoigne alors qu'elle est déjà intimidée par le fou qui la harcèle.
Toutes ces mesures prises pas la Saskatchewan sont tout indiquées pour apaiser un certain nombre de ces préoccupations. Il faudrait peut-être que les provinces discutent entre elles de ce qui fait un bon programme de services d'aide aux victimes. Il convient d'insister sur la nécessité de disposer de programmes de services d'aide aux victimes dans ce genre d'affaires. Cela pourrait peut-être remédier à un grand nombre de préoccupations et nous permettre d'intenter avec succès des poursuites lorsqu'une personne se désiste parce qu'elle a peur, ce qui met fin à l'affaire.
Je ne veux pas dire par là que ce n'est pas une bonne raison pour que l'on abandonne l'accusation. Dans d'autres situations, il se peut qu'il soit préférable d'arrêter la procédure parce que l'on peut résoudre le problème d'une autre façon. Si toutefois l'intéressée cesse les poursuites parce qu'elle a peur, il y a un autre moyen de régler le problème que de modifier le droit pénal.
Le sénateur Oliver: Voilà qui est très utile.
Le sénateur Bryden: J'aimerais faire deux choses. Tout d'abord, j'aimerais donner la possibilité aux témoins, étant donné qu'ils n'ont pas eu l'occasion de lire ce document, de nous fournir par écrit leurs observations ou les réponses qu'ils n'ont pas pu donner aujourd'hui en toute connaissance de cause. Le comité leur en serait très reconnaissant.
Vous avez consacré beaucoup de temps à votre préparation et à votre comparution. Je ne pense pas qu'il faille vous imposer une quelconque obligation. Si vous voulez nous donner ce genre de réponse, je suis sûr que le comité sera heureux de la recevoir.
Par ailleurs, je n'avais moi non plus pas vu ce document étant donné que j'ai manqué quelques audiences. Il est intéressant d'observer, et c'est peut-être déjà dans notre compte rendu, que ce document a été remis au ministère de la Justice par deux cabinets de consultation: Alderson-Gill & Associates Consulting Inc., et Datalex Socio-legal Research and Consulting Ltd. Au dos de la première page, on peut lire en bas:
La présente étude a été financée par la Section de recherche et de statistiques du ministère de la Justice du Canada. Les opinions exprimées par les auteurs ne sont pas nécessairement celles du ministère de la Justice du Canada.
Je ne sais pas si cela figurait dans le procès-verbal.
Le sénateur Nolin: Je l'ai mentionné.
Le sénateur Bryden: Je tiens aussi à relever que j'ai eu l'occasion de jeter un rapide coup d'oeil sur le résumé analytique. On peut y lire:
Il est recommandé dans le rapport que l'on prenne les mesures suivantes en fonction des conclusions de ce premier examen de l'application de l'article 264:
On y dresse alors la liste de neuf recommandations. Aucune d'entre elles ne préconise un alourdissement des peines prononcées. On ne peut certainement pas justifier un alourdissement dans ce projet de loi des peines prononcées en se réclamant des recommandations qui sont faites dans ce document. Cela ne veut pas dire pour autant qu'il n'y ait pas d'autres raisons très valables de le faire.
J'englobe dans cette analyse le fait d'alourdir les peines au point de faire de quelqu'un un délinquant dangereux ou habituel.
Je tenais à le préciser.
La présidente: Merci, sénateur. Je tiens à remercier nos deux témoins. Vous avez fait face à un véritable barrage de questions aujourd'hui et vous nous avez présenté des exposés très bien structurés.
Le comité lève la séance.