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Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule 72- Témoignages


OTTAWA, le mercredi 9 juin 1999

Le comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles auquel a été renvoyé le projet de loi C-79, Loi modifiant le Code criminel (victimes d'actes criminels) et une autre loi en conséquence, se réunit aujourd'hui à 15 h 50 pour étudier ledit projet de loi.

Le sénateur Lorna Milne (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente: Mesdames et messieurs les sénateurs, nous recevons cet après-midi la ministre de la Justice.

L'honorable Anne McLellan, ministre de la Justice et procureure générale du Canada: C'est un plaisir pour moi de comparaître aujourd'hui devant le comité au moment où vous entreprenez l'examen du projet de loi C-79. Ces modifications du Code criminel, destinées à améliorer la situation des victimes à l'occasion de poursuites pénales, sont le produit de plus de deux ans de consultations et d'examens. Lorsque je suis devenue ministre de la Justice, j'ai déclaré qu'une de mes priorités était d'améliorer le système de justice pénale pour rétablir la confiance de la population du Canada dans la justice canadienne, à commencer par les victimes de crimes.

[Français]

Je suis convaincue que l'étude menée par ce comité permettra d'examiner de nouveau les modifications proposées. Permettez-moi toutefois de vous assurer que ces modifications ont été proposées par des défenseurs des droits de victimes, des fournisseurs de soins aux victimes, des universitaires, des avocats, des policiers et par mes collègues provinciaux qui appuient la mise en oeuvre de réformes nécessaires depuis plusieurs années.

[Traduction]

Les modifications que l'on retrouve dans le projet de loi C-79 font suite aux recommandations du rapport du comité permanent de la justice et des droits de la personne intitulé Les droits des victimes -- Participer sans entraver. Elles reprennent également les recommandations d'un groupe de travail fédéral-provincial- territorial sur les victimes qui comprend tous les directeurs provinciaux et territoriaux des services d'aide aux victimes. Elles répondent également aux préoccupations que m'ont exprimées en tête à tête des victimes et leurs défenseurs. La nécessité d'apporter des modifications au Code criminel et les dispositions du projet de loi C-79 ont également fait l'objet de discussions à plusieurs reprises avec les procureurs généraux des provinces.

Le comité permanent de la justice et des droits de la personne a procédé à un examen préliminaire au printemps de 1997 pour étudier notamment l'idée d'une déclaration nationale des principes fondamentaux de justice relatifs aux victimes. Dans son rapport, le comité a recommandé la tenue de consultations nationales élargies sur une plus vaste gamme de questions.

Le printemps dernier, le comité a examiné la place de la victime dans le système de justice pénale. Un document de réflexion a été envoyé à plus de 60 associations. Le comité a tenu des audiences en mai et juin et a organisé un colloque national le 15 juin, où se sont rencontrés des fournisseurs de services d'aide aux victimes, des défenseurs des victimes, des universitaires, des praticiens de la justice réparatrice, des policiers, des avocats de la défense ainsi que des procureurs de la Couronne, entre autres. De plus, plusieurs parlementaires ont tenu des assemblées publiques pour s'assurer que le comité tienne bien compte des sujets d'intérêt et d'inquiétude des électeurs.

Le comité a déposé son rapport, qui comportait des recommandations précises de modifications du Code criminel, en octobre 1998. Le rapport porte bien son nom: Les droits des victimes--Participer sans entraves. Le rapport et ses recommandations favorisaient une formule équilibrée vis-à-vis des victimes, c'est-à-dire qui ne repose pas sur la vengeance et ne dépouille pas l'accusé de ses droits.

La réponse du gouvernement a été déposée en décembre 1998. Celui-ci faisait siennes les recommandations du comité et se disait prêt à les mettre en oeuvre. Le projet de loi C-79 est la première phase de cette mise en oeuvre.

Comme je l'ai déjà dit, le processus d'amélioration de la justice est un processus permanent. Ces amendements ne marquent ni son début ni sa fin. Le Code criminel comprend déjà de nombreuses dispositions ayant pour but d'alléger le fardeau des victimes. Ces modifications ajoutent aux dispositions existantes et en créent de nouvelles. Je suis attachée à l'examen permanent de notre droit criminel. Si d'autres réformes sont nécessaires plus tard, nous les réexaminerons sérieusement.

Comme je l'ai déjà dit également, un des principes directeurs de l'élaboration de ces modifications est la nécessité de trouver le juste milieu entre les droits de la victime, des témoins et des accusés. Les modifications accroîtront le rôle de la victime sans enlever aux droits de l'accusé. Ce principe est énoncé dans le préambule et le corps du texte.

Je n'ai pas l'intention aujourd'hui de décrire le projet de loi C-79 en détail. J'aimerais toutefois m'attarder sur quelques dispositions majeures. Je suis heureuse de répondre à vos questions. Mes collaborateurs comparaîtront également plus tard cet après-midi et pourront vous donner des précisions sur les diverses dispositions et leur application.

Les modifications répondent à plusieurs sujets de préoccupation des victimes d'actes criminels et des fournisseurs d'aide aux victimes. Elles donnent plus d'importance aux déclarations de la victime, améliorent la protection des victimes et des témoins pour faciliter leur participation, veillent à ce que les préoccupations des victimes et des témoins pour leur sûreté soient prises en compte lorsque se pose la question de savoir si l'accusé doit être libéré sous caution et apportent des révisions aux dispositions relatives à la suramende compensatoire. Les modifications augmenteront et amélioreront les possibilités pour les victimes de criminalité de faire une déclaration et précisent la manière dont la déclaration peut être faite.

Le juge qui impose la peine doit, entre autres renseignements pertinents, tenir compte de la déclaration de la victime. Il s'agit de la description du préjudice ou de la perte subis par la victime. Autrement dit, ces torts subis par la victime exprimés par elle.

Les modifications préciseront bien qu'il appartient à la victime de déterminer si elle veut ou non lire sa déclaration. Les dispositions actuelles du Code, je le rappelle, obligent le juge à tenir compte de la déclaration écrite de la victime qui figure au dossier. Cela continuera d'être le cas. Autrement dit, lorsque la victime décide de ne pas faire sa déclaration de vive voix, le juge reste tenu de tenir compte de la version écrite. Il appartient toujours à la victime de préparer ou non une déclaration. Certaines victimes préfèrent ne pas le faire.

Les modifications exigeront également que le juge, après la déclaration de culpabilité et avant le prononcé de la peine, demande si la victime a été informée qu'elle pouvait préparer une déclaration. La plupart du temps, c'est au procureur de la Couronne que la question sera posée, lequel est censé connaître l'usage qui a cours dans sa province pour informer la victime des déclarations qu'elle peut faire. Dans certaines provinces, la police doit remettre une carte à toutes les victimes avec lesquelles elle a traité. Cette carte indiquera à la victime où elle peut s'adresser pour obtenir des services d'aide ou pour savoir s'il y a un programme d'aide aux victimes. Ou encore, le procureur de la Couronne pourra avoir une note au dossier indiquant que la victime a été informée.

La modification a pour but de contrôler une dernière fois que la victime a bien reçu l'information voulue. Il n'est guère utile pour la victime de pouvoir préparer et remettre une déclaration si elle ignore qu'elle peut le faire.

On a également apporté des changements importants aux dispositions sur la suramende compensatoire. Le nouveau régime précisera que c'est l'accusé qui est tenu de verser la suramende compensatoire. Le juge qui prononce la peine ne sera plus tenu de rendre une ordonnance particulière. Le montant de la suramende sera fixe ou obligatoire. Toutefois, le juge aura la faculté d'imposer un montant supplémentaire lorsque les circonstances le justifient ou d'en dispenser le contrevenant si celui-ci démontre que cela lui causerait un préjudice injustifié.

Les recettes provenant de la suramende sont versées à la province ou au territoire, dans un fonds distinct servant à financer les programmes et les services essentiels d'aide aux victimes de la criminalité. Les suramendes devraient permettre d'augmenter de façon considérable les crédits des provinces et des territoires destinés à venir en aide aux victimes. Élément tout aussi important, la suramende compensatoire obligera le contrevenant à dédommager, ne serait-ce que de façon minime, les victimes de la criminalité. Je précise, mesdames et messieurs les sénateurs, qu'il s'agit d'une des dispositions et d'un des changements que soutiennent le plus vigoureusement mes collègues des provinces et des territoires.

Le projet de loi C-79 comporte également des dispositions destinées à faciliter la participation des victimes et des témoins aux instances. Ces modifications élargissent des dispositions qui se trouvent déjà dans le code. Par exemple, les modifications accorderont aux victimes de crimes sexuels ou avec violence âgées de 18 ans les protections qui limitent le contre-interrogatoire par les accusés qui se défendent eux-mêmes. Des dispositions prévoient la désignation d'un avocat pour mener le contre- interrogatoire. Comme certains d'entre vous le savent peut-être déjà, la disposition actuelle ne s'applique qu'aux victimes et aux témoins âgés au plus de 14 ans. Nous portons l'âge à 18 ans.

Nous autoriserons la victime ou le témoin qui a une déficience physique ou mentale à être accompagné d'une personne de confiance pendant son témoignage. La disposition actuelle ne s'applique qu'aux victimes et aux témoins de moins de 14 ans.

Nous permettrons au juge de limiter la publication de l'identité d'un éventail plus vaste de victimes ou de témoins lorsque la victime ou le témoin justifie la nécessité de l'ordonnance et lorsque le juge estime cela nécessaire pour la bonne administration de la justice. La disposition codifiera la jurisprudence établie par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Dagenais et respectera intégralement la nécessité d'équilibrer les droits de la victime, de l'accusé et de la population.

Je sais que vous entendrez des témoins qui s'opposeront au nom des médias à la codification de l'interdiction discrétionnaire de publication de l'identité de la victime ou du témoin. Je vous prie de ne pas oublier que la modification que nous proposons correspond à la pratique actuelle quotidienne des tribunaux. Les juges ont la faculté d'interdire la publication de l'identité d'une victime ou d'un témoin, dans quelque procédure que ce soit, lorsque la nécessité de l'interdiction est établie en conformité avec un équilibre soigneux de droits parfois contradictoires énoncé dans la Charte. Je souligne que nous codifions la common law actuelle comme l'a définie la Cour suprême du Canada dans l'affaire Dagenais.

La modification codifiera le pouvoir d'appréciation que je viens de décrire, mais il s'agit d'un pouvoir d'appréciation que pourra exercer le juge en conformité avec la Charte et guidé par les critères énoncés dans la loi. L'interdiction de publier constituera l'exception, et non la règle, et il faudra que la partie qui demande l'interdiction, la victime ou le témoin, présente une demande qui expose les motifs sur lesquels elle se fonde pour justifier l'ordonnance. N'oubliez pas non plus que seule sera interdite l'identité -- le nom de la personne -- et non son témoignage.

[Français]

La proclamation et la mise en oeuvre de ces modifications permettront d'améliorer sensiblement les expériences vécues par les victimes au sein du système de justice pénale. Comme je l'ai répété à plusieurs reprises, les victimes ont besoin de se faire entendre et méritent d'être respectées. Ces modifications leur fournissent un moyen concret et pratique d'y parvenir.

[Traduction]

La proclamation et la mise en oeuvre des modifications que j'ai brièvement exposées pour vous aujourd'hui amélioreront considérablement le sort des victimes dans notre système de justice pénale.

Pour conclure, madame la présidente, j'ajouterai que tous ceux d'entre nous qui ont soit travaillé avec des victimes ou ont parlé avec elles ou ont peut-être été elles-mêmes des victimes comprennent le sentiment d'exclusion du système de la justice pénale -- un sentiment que quelque chose de terrible leur est arrivé sans qu'elles y soient pour quoi que ce soit. Elles n'ont pas demandé à faire partie du système de justice pénale. Les circonstances qui les ont amenées à y être mêlées sont parfois parmi les plus tragiques et les plus horribles qui se puissent imaginer.

Dans mes rapports avec les victimes et les associations de victimes, et vous entendrez certaines d'entre elles cet après-midi, j'ai été frappée par leur besoin d'être traitées avec respect et dignité et de se sentir incluses. Elles veulent un système qui reconnaisse qu'elles, victimes de la criminalité, ont leur mot à dire -- que ce soit au juge, au procureur, à la police ou au jury. J'ai également été frappée par le fait que celles qui sont des victimes et celles qui travaillent avec elles, dans l'immense majorité des cas, sont des êtres raisonnables qui ne sont pas assoiffés de vengeance. De fait, comme je l'ai dit il y a quelques instants, elles souhaitent le respect, la dignité et l'inclusion.

Dans une société comme la nôtre, où nous mettons notre point d'honneur à nous considérer comme une société empreinte de civilité, il est temps de reconnaître l'exclusion virtuelle des victimes de notre système de justice pénale et de lancer un signal pour montrer que, dans toutes les parties de notre système de justice, les victimes ont le droit d'être entendues et d'être traitées avec respect et dignité. C'est tout ce qu'elles demandent. C'est ce qui en fin de compte explique le titre du rapport du comité: «Participer sans entraver».

Merci beaucoup, madame la présidente. J'attends avec plaisir vos questions, vos observations et la possibilité d'échanger des vues avec vous.

[Français]

Le sénateur Beaudoin: Je dois dire dès le départ que je suis tout à fait d'accord avec les buts de ce projet de loi. Il est grand temps qu'on se penche sur les victimes de crimes.

[Traduction]

Ma question porte sur la suramende compensatoire. Celle-ci est déjà prévue à l'article 737 du Code criminel. D'après le texte dont nous sommes saisis, cette suramende deviendra obligatoire à moins que l'accusé puisse démontrer qu'une exception puisse être faite.

Mme McLellan: C'est juste.

Le sénateur Beaudoin: Comme on disait en français:

[Français]

Le fardeau de la preuve est renversé. Le fardeau de la preuve repose sur les épaules de l'accusé. Cela ne veut pas dire que cela va à l'encontre de la Charte canadienne des droits et libertés. Plusieurs arrêts de la Cour suprême disent que cela ne va pas nécessairement à l'encontre de la Charte canadienne des droits et libertés que de mettre sur les épaules de l'accusé le fardeau de la preuve.

En quoi ce projet de loi est-il vraiment différent de ce que nous avons déjà dans le Code criminel et en quoi respecte-t-il la Charte canadienne des droits et libertés?

[Traduction]

Mme McLellan: La principale différence en ce qui concerne la suramende c'est qu'elle est maintenant obligatoire. Les procureurs généraux des provinces vous diront que l'imposition de l'amende n'est pas systématique partout. Pour dire la vérité, certains juges sont très consciencieux tandis que d'autres l'oublient parfois. Ce n'est pas un complot, seulement un oubli. Nous avons décidé que cette suramende sera imposée d'office.

Le sénateur Beaudoin: Elle sera imposée d'office et sera obligatoire.

Mme McLellan: Oui. Nous faisons passer la suramende à 50 $ dans le cas de culpabilité par procédure sommaire et à 100 $ dans le cas de culpabilité par mise en accusation.

Comme je l'ai dit dans mon texte, le juge peut majorer ce montant dans des circonstances exceptionnelles, réduire le montant ou dans le cas de préjudice injustifié, ne pas imposer d'amende.

Vous avez raison d'invoquer la Charte. Il est clair d'après la jurisprudence qu'il ne s'agit pas là d'une atteinte à la Charte car il n'est pas question de culpabilité ou d'innocence. Elle vient s'ajouter à la peine qui sera imposée, à l'amende, à la peine d'emprisonnement ou à toute autre peine. C'est tout.

Nous appelons cela une suramende parce qu'elle vient s'ajouter à la peine imposée par le juge. À notre avis, cela ne porte pas atteinte à la Charte. De plus, nous estimons que la jurisprudence confirme notre position et ne crée aucun doute raisonnable à ce propos. Il nous semble important de bien montrer que lorsqu'un préjudice est causé, on s'attend à ce que la victime ait la possibilité de profiter un tant soit peu de ces suramendes. Il n'y a aucune dissension entre nous et les provinces puisqu'elles nous garantissent, en vertu de l'accord conclu avec nous, que ces sommes financeront les services destinés aux victimes.

Partout au pays on observe une multiplication des services offerts aux victimes maintenant que la société a reconnu qu'il faut les aider à réparer le tort qu'elles ont subi, à se remettre et à refaire leur vie. Les provinces sont les principaux fournisseurs de services aux victimes. Notre aide sert surtout à faciliter, dans les provinces, la fourniture de ces services financés par la suramende compensatoire imposée par les tribunaux. Cela nous semble approprié et juste. De plus, nous n'estimons pas que cela porte atteinte aux droits conférés par la Charte, contrairement à ce que l'accusé peut prétendre.

Le sénateur Beaudoin: Autrement dit, cela ne modifie pas le fardeau de la preuve.

Mme McLellan: Absolument pas.

Le sénateur Beaudoin: Cela n'a rien à voir avec la culpabilité ou l'innocence.

Mme McLellan: Absolument pas.

Le sénateur Beaudoin: Ce n'est que lorsque l'accusé est trouvé coupable que la suramende est imposée, n'est-ce pas?

Mme McLellan: C'est bien ça. En vertu des modifications, seule la personne trouvée coupable et condamnée se voit imposer une suramende -- 50 $ dans le cas de la procédure sommaire et 100 $ dans le cas de la mise en accusation.

Mme Catherine Kane, conseillère juridique, Section de la politique en matière de droit pénal, ministère de la Justice: Je préciserai que la suramende était obligatoire dans le code actuel. Toutefois, comme la ministre l'a dit, même si elle était obligatoire, il arrivait souvent qu'elle ne soit pas imposée par ordonnance. Grâce à cette disposition, elle ne sera plus seulement obligatoire mais sera imposée quasiment d'office, quoique le juge dispose toujours d'un pouvoir d'appréciation qui lui permet d'accorder une exception si elle cause un préjudice injustifié.

Le sénateur Beaudoin: Le fait qu'elle soit imposée d'office ne change rien à son caractère.

Mme Kane: Cela ne change rien à son caractère comme élément de la peine.

[Français]

Le sénateur Nolin: Je vous remercie de votre disponibilité. Je veux que l'on note au procès-verbal de cette réunion que vous et vos fonctionnaires démontrez une disponibilité exemplaire pour répondre à nos questions et pour nous fournir toutes les précisions nécessaires à nos travaux.

[Traduction]

J'ai deux séries de questions à vous poser: la première porte sur ce que vous avez dit à propos de la réponse du gouvernement au rapport et la deuxième portera davantage sur le projet de loi. Je précise que je suis ici le porte-parole de ma collègue, le sénateur LeBreton, qui, comme vous le savez, fait partie du conseil national de MADD. J'ignore si vous avez pris connaissance de l'intervention qu'elle a faite hier pendant la deuxième lecture. Elle porte sur le centre que le gouvernement a l'intention de créer.

Mme McLellan: Le centre stratégique, oui.

Le sénateur Nolin: D'après le communiqué qui figure sur le site Web de votre ministère en date du 16 décembre 1998, le centre semble en préparation. Existe-t-il déjà?

Mme McLellan: Lorsque nous avons rendu publique notre réponse au rapport du comité, en décembre, j'ai indiqué que le travail en vue de la création du centre stratégique au ministère de la Justice allait commencer. Mme Kane est le maître d'oeuvre du Centre stratégique pour les victimes. Elle pourra vous en dire davantage sur son plan de travail, son effectif et d'autres choses de ce genre.

Le centre stratégique existe au ministère de la Justice. Évidemment, nous voulons collaborer avec les provinces, les associations de victimes, les territoires et d'autres pour élaborer un plan de travail qui réponde aux besoins des victimes et à ceux de leurs associations tout en respectant les compétences provinciales. Par exemple, mon collègue de l'époque, Serge Ménard, qui est très en faveur de notre travail en général, m'a dit qu'il s'attendait à ce que le centre stratégique ne fasse pas double emploi avec ce qui se fait dans les provinces. Nous tenons à créer un système sans discontinuité où le gouvernement fédéral joue son rôle dans son domaine de compétence et les provinces en font autant dans le leur. Un élément de ce système sans discontinuité de services, de programmes, de recherche, d'information et de sensibilisation sera le travail réalisé par le Centre stratégique fédéral du ministère de la Justice.

Le sénateur Nolin: Si vous me le permettez, je vais vous citer les observations du sénateur LeBreton à ce propos:

J'invite le comité à tenir compte de ces critères quand il se penchera sur le projet de loi et à obtenir de la ministre les garanties suivantes:

Premièrement, les besoins des victimes ne se limitent pas à un centre de référence et de ressources. Le bureau devrait être un point de communication entre les victimes et le gouvernement, qui pourrait lui donner les moyens nécessaires pour s'y retrouver dans le labyrinthe administratif et venir à bout des diverses procédures à suivre.

Deuxièmement, le bureau devrait agir comme chien de garde des activités gouvernementales ayant pour objet de faire valoir les droits de la victime tout au long des procédures gouvernementales. Le bureau devrait être établi de manière à servir de source d'information sur les droits des victimes d'actes criminels pour les ministères et les organismes gouvernementaux.

Enfin, le bureau doit servir de liaison entre le gouvernement et les organismes de défense des victimes. Le bureau devrait favoriser la tenue d'une table ronde annuelle sur le droit des victimes d'actes criminels où serait établi et maintenu un dialogue officiel avec les intervenants nationaux et les organismes nationaux de défense.

J'aimerais vos commentaires là-dessus. Je vais vous remettre le texte.

Mme McLellan: Je n'ai aucune hésitation à adopter ces éléments. De fait, du moins en ce qui concerne les éléments des trois points, c'est exactement ce que nous allons faire.

Il est vrai qu'il faut que ce soit davantage qu'un centre de référence et de ressources. Ce doit être le point d'entrée à l'administration fédérale; c'est essentiel. Encore une fois, il faut respecter le fait qu'il existe des organismes parallèles dans les provinces.

Si les provinces estiment que nous offrons un point d'accès à leurs programmes et à leurs initiatives, cela pourrait créer de la confusion et des problèmes. Toutefois, je pense que le centre stratégique pourra jouer un rôle important de point d'accès au système fédéral. Par exemple, si quelqu'un veut communiquer avec la Commission nationale des libérations conditionnelles, qui relève de la compétence fédérale, le centre pourrait être l'endroit où téléphoner ou le site Web pourrait être l'endroit où obtenir l'information voulue. Dans certains cas, il pourrait s'agir tout simplement du nom de la personne à qui il faut téléphoner dans la région quand on sait que quelqu'un est admissible à la libération conditionnelle et que l'on veut savoir si soi-même ou les membres de sa familles peuvent assister à l'audience. Je pense qu'il nous faut ce genre de point de communication.

Devrions-nous être des chiens de garde vigilants? Oui, absolument. J'en ai déjà parlé. Le centre doit constituer ce que nous appelons l'optique des victimes pour toute la législation, les programmes et les initiatives de l'administration fédérale. Tout comme nous avons au ministère un service de l'égalité des sexes, qui examine toutes les lois, toutes les politiques et tous les programmes pour vérifier qu'ils n'ont aucune incidence délibérée sur un sexe par rapport à l'autre, nous voulons avoir la même approche en passant au crible toutes les lois, toutes les politiques et tous les programmes fédéraux pour en examiner les répercussions sous l'angle des victimes. De cette façon, on poserait des questions essentielles comme celle-ci: cette mesure tient-elle compte du point de vue des victimes? Dans l'affirmative, le fait-elle d'une manière appropriée, respectueuse des victimes?

Tout cela fait absolument partie des fonctions d'éducation, d'information et de liaison. En fait, le cas échéant, nous serons aussi en mesure d'aider les organisations à se mettre en rapport avec les provinces. Là encore, on donnera aux victimes et aux groupes de victimes la possibilité d'avoir accès aux services fournis par les provinces. Cela servirait dans certains cas de liaison ou d'organe de facilitation entre les victimes et les provinces, qui assument en fait la prestation de la plupart des services aux victimes au Canada.

Le sénateur LeBreton a soulevé des arguments valables. Ce sont des points dont nous prenons bonne note. C'est justement le travail que nous attendons du centre.

Mme Kane est en première ligne; j'ose dire qu'elle constitue l'essence même de notre centre. Madame Kane, voulez-vous ajouter quelque chose, maintenant que je vous ai attribué tout ce travail?

Mme Kane: Je répète que nous avons déjà amorcé le travail. Depuis que la réponse du gouvernement a été déposée, la ministre a dit clairement que la première priorité du centre sera la mise en oeuvre du projet de loi C-79. C'est jugé prioritaire. Nous travaillerons de concert avec nos collègues provinciaux pour nous assurer que la mesure sera mise en oeuvre dans tous les détails et dans les plus brefs délais.

Les recommandations du sénateur LeBreton sont tout à fait conformes au mandat tel que nous le percevons. Je signale d'ailleurs que l'on a convoqué pour la semaine prochaine une réunion ici à Ottawa avec nos collègues provinciaux et territoriaux et, tous les directeurs des services aux victimes. L'un des principaux points à l'ordre du jour de cette réunion est de savoir comment obtenir l'adhésion à ce processus des groupes de défense des victimes. Nous cherchons particulièrement à obtenir la participation des groupes que nous ne connaissons peut-être pas, afin d'organiser une table ronde, comme il a été recommandé de le faire. Nous devons travailler tous ensemble pour créer le réseau voulu afin que l'on sache où obtenir l'information dont nous avons besoin et vers qui aiguiller les gens. Nous devons établir de bonnes relations de travail afin de travailler à l'unisson et non pas de façon disparate. Il y a place pour un grand effort de collaboration dans ce dossier.

Le sénateur Nolin: Je suis certain que ma collègue sera très contente d'entendre votre réponse.

La présidente: J'espère, sénateur Nolin, que vous montrerez le compte rendu de la réunion au sénateur LeBreton.

Le sénateur Nolin: Je n'y manquerai pas.

Je voudrais maintenant aborder le projet de loi comme tel et en particulier le paragraphe 17(3). Vous modifiez la définition de «victime» qui figure au paragraphe 722(4) du Code criminel. Je n'ai pas ici la version française du Code criminel, mais j'ai la version anglaise. Vous remplacez «the person» par «a person». C'est le changement de fond.

Y a-t-il un amendement correspondant en français? En français, c'est «la personne». Il y a une différence entre «a person» en anglais et «la personne» en français.

Je ne veux pas couper les cheveux en quatre, mais je veux m'assurer que plus d'une personne peut être considérée comme victime. La victime, ce n'est pas seulement la personne à qui un tort a été causé, c'est aussi tous ceux qui peuvent avoir subi une perte physique et affective. Il peut y avoir plus d'une personne. La version anglaise nous donne satisfaction à cet égard, mais en français, quand vous dites «la personne», c'est restrictif. En anglais, on dit que la cour peut entendre toute déclaration, ce qui veut dire qu'il peut y avoir plus qu'une victime. Compte tenu de l'expression «la personne», cela pourrait être interprété différemment en français.

Qu'en pensez-vous, monsieur Roy?

M. Yvan Roy, avocat général principal, Section de la politique en matière de droit pénal, ministère de la Justice: Je crois comprendre que l'amendement avait pour objet d'ajouter en français «matériels, corporels ou moraux». C'était dans l'ancienne version.

[Français]

Dans la partie française de l'article 722 tel qu'il existe présentement, vous n'avez que les «dommages-matériels, corporels ou moraux». Cela pouvait-il viser les dommages subis par la personne? La version anglaise ne pose pas un tel problème puisqu'on disait «suffered physical or emotional loss».

On a voulu améliorer la version française en ajoutant ce mot de manière à couvrir complètement la situation qu'on avait à l'esprit. Je ne suis pas convaincu que la différence entre «et» et «le» dans le contexte global de l'article fasse une différence.

Le sénateur Nolin: Je ne suis pas un expert. Ceux qui en font une pratique plus régulière pourrait nous corriger. Je veux juste être sûr que ce n'est pas interprété de façon restrictive et que les tribunaux ne ramènent pas finalement la possibilité d'une déclaration à une seule personne.

Mme McLellan: C'est exact.

Le sénateur Nolin: C'est ouvert?

M. Roy: Je ne crois pas qu'une interprétation comme celle-là soit ouverte dans la cadre de la définition de victime. Ce projet de loi amende la définition du terme «victime» à l'article 1. Dans ce contexte, je n'ai pas de crainte que ce soit restreint à une toute autre catégorie de personnes. Bien candidement, je n'ai pas cette crainte.

[Traduction]

Le sénateur Bryden: Je veux poser des questions assez fondamentales sur des points que je suis probablement le seul au monde à ne pas comprendre. Quelle est la raison d'être de la déclaration de la victime en ce qui a trait à la détermination de la peine?

Mme McLellan: Il s'agit de donner à quelqu'un qui a subi une perte, un dommage, un tort, ou une souffrance physique ou émotive l'occasion de faire part de tout cela durant la partie du procès qui est consacrée à la détermination de la peine. Je tiens à préciser que cela a lieu au moment de la détermination de la peine, après le verdict de culpabilité ou d'innocence. Cela permet à la victime, en son nom personnel et au nom de sa famille et parfois même dans certains cas, dans de petites localités, au nom de personnes amies, de décrire au tribunal et à la personne accusée quelles ont été les conséquences des actes de l'accusé sur la vie de la victime et des autres personnes en cause.

Par ailleurs, la rédaction de cette déclaration a souvent une valeur thérapeutique. Ce n'est évidemment pas la principale raison pour laquelle la possibilité d'une déclaration de la victime est prévue au Code criminel, car il y a d'autres méthodes permettant d'atteindre cet objectif thérapeutique. Toutefois, quand les victimes ou les membres de la famille se réunissent pour rédiger une déclaration décrivant la douleur, le tort, la souffrance et les conséquences que le crime qui a été commis leur a infligés, cela a souvent un effet thérapeutique.

Des victimes m'ont raconté leur rencontre avec leur famille en vue de préparer une déclaration et m'ont dit que cela avait été pour eux, pour leur famille, un point tournant dans le processus de l'affliction, surtout quand quelqu'un a perdu un être cher à cause d'un meurtre ou de la conduite en état d'ébriété ou quoi que ce soit. Les membres de la famille se réunissent et ont l'occasion, tout au moins tel que la Loi le stipule actuellement, d'obtenir que le tribunal lise cette déclaration, en espérant qu'il en retienne quelque chose pour tenir compte du point de vue de la victime, de ses sentiments, de l'expérience qu'elle a vécue.

Nous proposons de donner à la victime la possibilité -- et ce ne seront pas toutes les victimes qui choisiront de le faire, car c'est extraordinairement difficile et douloureux pour la plupart d'entre elles -- de rédiger une déclaration écrite et de la lire devant le tribunal. S'il y en a parmi vous qui craignent qu'une victime ne puisse prendre la barre et en profiter pour faire des déclarations qui n'ont rien à voir avec ce qui lui est arrivé, ne craignez rien, cela n'arrivera pas parce que la victime lira une déclaration rédigée à l'avance. On donne simplement à la victime la possibilité de lire à haute voix ce texte rédigé par la victime et par les membres de sa famille.

Pour certaines victimes, c'est un élément très important qui reconnaît leur rôle dans le système de justice. Ces personnes sont sur place, il leur est arrivé quelque chose, elles comptent pour quelque chose et elles doivent être entendues. Malheureusement, notre système de justice pénale oublie trop souvent de tenir compte des personnes humaines dont la vie peut avoir été profondément bouleversée. Le procureur représente l'État et l'avocat de la défense représente l'accusé. Trop souvent, rien ni personne ne nous rappelle, en tant que société, qu'il y a une victime.

Le sénateur Bryden: N'est-il pas possible pour le procureur, et ne le fait-il pas déjà au moment de la détermination de la peine, d'expliquer à l'intention de la Cour les conséquences que l'acte criminel a eues pour les personnes en cause?

Mme McLellan: Non seulement c'est possible, mais cela se fait. Notre système a évolué, même avant ces amendements, dans la mesure où l'on reconnaît au moins qu'il est important que le système de justice pénale permette aux victimes d'expliquer dans leurs propres mots ce qui leur est arrivé.

Le sénateur Bryden: Cela me trouble sur le plan philosophique, si l'on peut dire. La condamnation a eu lieu. La poursuite a représenté l'État et l'avocat de la défense a représenté l'accusé, lequel a été reconnu coupable. Il est actuellement possible -- nous n'ajoutons pas cela -- pour la victime de prendre la parole et de lire sa déclaration écrite. Dans l'intérêt de l'équité, même si l'accusé n'a pas témoigné pour sa propre défense, ne serait-il pas possible de lui permettre de lire une déclaration relativement à la peine qu'on s'apprête à lui imposer? Je ne parle pas de l'avocat de la défense, mais de l'intimé lui-même.

Mme McLellan: Je pense que rien ne l'empêche de le faire. Les juges peuvent s'adresser à l'accusé au moment de la détermination de la peine et lui demander s'il a quelque chose à dire. Ils le font.

Par ailleurs, sénateur, il peut y avoir contre-interrogatoire au sujet de la déclaration de la victime.

Le sénateur Bryden: Vous avez dit tout à l'heure que pendant très longtemps, pendant que s'élaboraient le droit pénal, la common law, et cetera., les victimes ont été exclues du système de justice pénale. Y a-t-il une raison à cela?

Mme McLellan: Si l'on remonte à trois ou quatre siècles en arrière, alors que s'élaborait la common law au Royaume-Uni, on a abandonné les poursuites individuelles et personnelles et orienté les procès dans l'optique que le crime avait été commis contre l'ensemble de la société et non pas seulement contre les personnes visées. C'était une transition importante. Je n'ai pas entendu les victimes laisser entendre d'une façon ou d'une autre qu'elles sont le moindrement en désaccord avec cette transformation importante du système de justice pénale voulant que les procureurs, représentant l'État et l'ensemble de la société, en notre nom à tous, poursuivent une personne pour un acte ou un crime qu'on lui reproche. Notre système continue de reconnaître dans le Code la possibilité de poursuites personnelles ou privées.

Dans le contexte des victimes, nous disons qu'il faut reconnaître le fait qu'il y a trois parties dans notre système de justice pénale. Une fois qu'on a fait cette transition en direction de la poursuite par l'État, laissant de côté la poursuite privée, pendant trop longtemps, nous avons oublié qu'il y avait une victime qui avait subi un tort, une personne qui devait supporter des souffrances, une perte ou même un deuil, en plus de l'infraction perpétrée contre l'ensemble de la société.

Comme nous vivons dans une société civile, nous nous attendons à ce que chacun respecte la loi. Dès qu'il y a violation des dispositions du code, nous nous attendons, en tant que société, à ce que des mesures soient prises pour défendre les intérêts de la société. Nous disons qu'il y a une troisième partie et que celle-ci est exclue depuis trop longtemps de notre système de justice. On peut en donner des raisons.

Partout dans le monde, surtout dans les démocraties occidentales, et le tout a probablement commencé dans les pays scandinaves, on reconnaît l'importance de donner voix au chapitre aux victimes dans le système de justice pénale. Ils sont en avance sur nous dans le domaine de la recherche sur les victimes et peut-être même du point de vue des services qu'ils offrent. Nous faisons un peu de rattrapage au Canada en reconnaissant un changement important qui a déjà eu lieu dans la plupart des pays démocratiques occidentaux et en redonnant une place à cette troisième partie dans notre système de justice pénale.

Le sénateur Bryden: Dans quelle mesure la valeur de la déclaration de la victime réside-t-elle dans l'aide qu'elle apporte au tribunal pour ce qui est d'établir la peine appropriée, par opposition à la valeur thérapeutique, comme vous l'avez dit vous-même? De plus, notre système de justice pénale doit-il être utilisé à des fins thérapeutiques?

Mme McLellan: Je le répète, c'est une considération secondaire pour ce qui est de la rédaction de la déclaration et de sa présentation devant le tribunal. Personnellement, j'estime que c'est important. On vous donne le droit, en tant que membre d'une collectivité, de prendre la parole au tribunal, à cette tribune publique, pour partager votre douleur et décrire le tort qui vous a été causé. Ce n'est pas seulement une thérapie pour certains, quoique pas pour tous, c'est aussi la reconnaissance de leur rôle dans le système de justice pénale.

M. Roy pourra peut-être répondre mieux que moi à la première partie de votre question.

M. Roy: Certainement pas mieux; je peux toutefois faire des observations sur cette question.

Il est utile de rappeler aux membres du comité qu'en 1995, le Parlement a adopté une nouvelle section du code traitant de la détermination de la peine, qui est entrée en vigueur en 1996. En particulier, j'attire votre attention sur l'article 718 du code, qui traite des objectifs fondamentaux des peines dans notre pays, qui explique ce que nous essayons de faire quand nous infligeons une peine à quelqu'un. Manifestement, nous essayons notamment de dissuader les gens de commettre des crimes. La dénonciation est un autre aspect.

Je vous demande toutefois de ne pas perdre de vue et même, si vous en avez l'occasion, je vous invite à lire les alinéas e) et f), parce qu'ils traitent directement de ce que nous espérons réaliser en ce qui a trait aux victimes. Voici donc les objectifs et principes fondamentaux du prononcé des peines: assurer la réparation des torts causés aux victimes et à la collectivité; et f) susciter la conscience de leur responsabilité chez les délinquants, notamment par la reconnaissance du tort qu'ils ont causé aux victimes et à la collectivité. Si ces questions ne sont pas présentées directement au juge, il est clair -- tout au moins, il est clair pour moi -- que nous ne pourrons pas atteindre ces objectifs fondamentaux.

Si vous me dites, sénateur Bryden, que vous ne voulez pas que la victime puisse en profiter pour réclamer vengeance, amenant les tribunaux à tenir compte de cet aspect et à imposer une peine plus lourde que nécessaire, alors je suis absolument d'accord avec vous. Nous sommes d'ailleurs en bonne compagnie puisque la Cour suprême du Canada nous a dit, dans une décision rendue il y a deux ou trois ans et appelée la décision MCA, que la rétribution est assurément l'un des objectifs de la peine, mais que la vengeance ne l'est certainement pas. Si les tribunaux profitaient de cette disposition pour infliger des peines trop lourdes, les cours d'appel interviendraient; elles interviennent d'ailleurs à cette fin.

Tout ce que l'on demande, c'est que la cour soit saisie des renseignements voulus et qu'elle prononce la peine qui convient dans les circonstances. Comme la ministre l'a fait remarquer, la personne qui dépose une déclaration de victime, ou encore, si ces modifications sont adoptées par le Parlement, si la personne lit cette déclaration devant le tribunal, elle peut faire l'objet d'un contre-interrogatoire. On s'attend d'ailleurs à ce qu'il y ait un plus grand nombre de contre-interrogatoires, étant donné que les victimes seront plus nombreuses à comparaître en cour, et c'est bien ainsi, car il faut aussi que l'accusé soit protégé dans ce processus.

Le sénateur Bryden: Vous avez dit que certaines victimes pourraient choisir de ne pas faire de déclaration. Cela aurait-il des conséquences négatives pour le prononcé de la peine?

Mme McLellan: Non. En fait, c'est un choix purement individuel. Vous entendrez d'ailleurs aujourd'hui des victimes et des organisations de défense des victimes. Celles-ci seront beaucoup mieux en mesure de vous expliquer pourquoi certaines victimes choisissent de ne même pas rédiger de déclaration, sans même songer à la lire, comme il leur sera possible de le faire quand la nouvelle loi sera adoptée. Cela n'aura absolument aucune conséquence négative.

Le sénateur Bryden: Ma dernière question porte sur la suramende compensatoire, laquelle est de 15 p. 100 de l'amende, avec un minimum de 50 $ pour une déclaration sommaire de culpabilité et de 100 $ dans le cas d'un acte criminel. Cet argent est versé aux provinces qui, je le suppose, s'en servent pour mettre sur pied des programmes d'aide aux victimes.

Mme McLellan: Absolument. L'argent est versé intégralement aux provinces et territoires.

Le sénateur Bryden: C'est probablement une comparaison boiteuse, mais on a toujours dit que quiconque commet un crime se retrouve derrière les barreaux. Voilà maintenant qu'au lieu de cela, on impose un ticket modérateur. Je vais vous donner un exemple. J'habite dans un village de pêcheurs. Il fut un temps où nos impôts servaient à entretenir les quais et à draguer le chenal. Aujourd'hui, si l'on veut accoster, il faut payer des frais, et il faut payer aussi pour le dragage. Il semble que le système de justice se dirige vers une sorte d'impôt indirect servant à financer des programmes qui devraient probablement être financés ou qui pourraient être financés d'une autre manière.

Mme McLellan: La suramende compensatoire n'est pas nouvelle en droit criminel. Nous ne proposons rien de nouveau; c'est déjà obligatoire. Tout ce que nous faisons, c'est de la rendre automatique. Les tribunaux ont examiné la question et ont jugé que cela ne causait aucun problème constitutionnel. Vous avez dit que quiconque commet un crime se retrouve derrière les barreaux. Eh bien, dans notre système de justice comme dans la plupart des autres pays du monde, l'imposition d'une suramende compensatoire fait partie de la peine infligée aux délinquants.

Le sénateur Bryden: J'étais au courant de l'existence de la suramende compensatoire; je me demandais toutefois si c'est un mode de financement raisonnable.

Mme McLellan: Nous croyons, à l'instar des procureurs généraux des provinces et des territoires, que cela fait partie du processus de détermination de la peine. Cela fait partie de la peine.

Cette suramende reconnaît le fait que le crime nuit non seulement à la société, mais qu'il nuit aux individus, qui peuvent par exemple avoir besoin de counselling, de thérapie, de soins psychologiques pendant des années, sinon pour le reste de leur vie, et qui n'ont pas demandé à être visés par le système de justice pénale. Les victimes n'ont pas demandé que cette chose épouvantable leur arrive, à elles ou à leurs enfants, et en conséquence, en tant que société soucieuse de compassion, nous -- je veux dire les gouvernements fédéral et provinciaux -- et, je crois, la grande majorité des Canadiens, croyons qu'il est important d'aider ces gens-là à surmonter leurs épreuves, en partie en infligeant des amendes à ceux qui ont causé la peine et les souffrances.

Le sénateur Carstairs: Nous entendrons tout à l'heure les représentants de CC et de l'Association des journaux canadiens. Ils font bien sûr des recommandations et proposent des amendements. Ils pensent que les ordonnances d'interdit de publication qui pourraient être imposées limiteraient leur liberté de parole. Je voudrais savoir ce que vous en pensez.

Mme McLellan: Premièrement, comme les sénateurs le savent probablement, la Cour suprême du Canada a confirmé une ordonnance d'interdit de publication à l'égard des victimes d'agressions sexuelles et des victimes de 18 ans et moins.

Le sénateur Pépin et d'autres autour de la table qui ont déployé tellement d'efforts pour défendre les droits de la femme et lutter contre la violence familiale et les agressions sexuelles dans les familles ont contribué à faire insérer ces dispositions dans le Code criminel afin d'encourager les victimes d'agressions sexuelles ou d'actes de violence à dénoncer leurs agresseurs. Nous sommes maintenant tous bien au fait, ce qui n'était pas le cas il y a 25 ou 30 ans, des aspects psychologiques particuliers des agressions sexuelles. Par conséquent, le Code criminel prévoit qu'il est automatiquement interdit de divulguer l'identité des victimes d'agressions sexuelles et la Cour suprême du Canada a confirmé cette disposition.

Je tiens à être bien claire. Les ordonnances d'interdiction de publication ne sont pas nouvelles. Certaines de celles qui existent déjà ont été confirmées par la Cour suprême du Canada.

Nous étendons le pouvoir discrétionnaire à cet égard au-delà du domaine des infractions sexuelles et des témoins de 18 ans et moins. Pardon, je retire mes paroles, ce que je viens de dire n'est pas exact. Nous n'étendons pas le pouvoir discrétionnaire. Le tribunal lui-même, dans l'affaire Dagenais, a étendu la portée de son pouvoir discrétionnaire et a fixé les critères dans le cadre desquels il peut exercer ce pouvoir discrétionnaire afin de protéger l'identité d'une victime ou d'un témoin dans des circonstances autres que l'agression sexuelle ou de témoins autres que ceux qui ont 18 ans et moins, pour lesquels l'interdiction est obligatoire.

Nous codifions simplement la jurisprudence établie par la décision Dagenais, qui est d'ailleurs appliquée tous les jours par les tribunaux de notre pays. Nous codifions cela parce que nous avons amorcé il y a quelques années le processus de codification, dans toute la mesure du possible, des principes de la common law établis par la Cour suprême en ce qui a trait à la détermination de la peine. Il y a déjà dans le Code criminel plusieurs dispositions en ce sens relativement au prononcé de la peine. Une grande partie de cela n'est que la codification de la jurisprudence établie. Nous poursuivons maintenant ce processus en codifiant les principes de la décision Dagenais et les critères que la Cour suprême du Canada a établis dans la décision Dagenais.

Je comprends les préoccupations des médias. Ils cherchent, à juste titre, à établir un juste équilibre en leurs droits et les droits à la vie privée des victimes et des témoins. Je crois qu'il s'agit de mettre dans la balance ces droits garantis par la Charte et qui sont apparemment contradictoires.

Les tribunaux le font tous les jours partout au Canada. Ils le font en se fondant sur Dagenais. Nous voulons codifier les principes de la décision Dagenais dans nos dispositions sur le prononcé de la peine et nous avons déjà codifié une bonne partie de ce que la Cour suprême a dit à cet égard.

S'il faut imposer une interdiction de publication, il faut que la victime ou le témoin en fasse la demande. Il incombe à la victime ou au témoin de démontrer au juge que l'interdiction est nécessaire pour assurer une bonne administration de la justice. De plus, l'interdiction s'applique seulement à l'identité de la personne et non pas aux détails de la preuve. Par ailleurs, les tribunaux peuvent assortir l'interdiction de limites géographiques ou autres, s'ils le jugent bon, et c'est probablement ce qui se passera.

La Cour suprême s'est prononcée. Nous codifions ce que la Cour suprême a dit, et la Cour suprême reconnaît, comme nous tous, qu'il s'agit d'équilibrer des intérêts contradictoires. Les tribunaux sont bien placés après avoir entendu la preuve et après avoir entendu la demande de la victime ou du témoin pour se livrer à ce travail d'équilibrage.

Le sénateur Carstairs: Dans les amendements qu'elle a proposés, la SRC indique que l'ordonnance de non-publication devrait être abrogée au moment du décès de la personne visée. Je dois dire que je ne suis pas de cet avis; j'estime que la personne visée est une victime et que les membres de sa famille peuvent certainement être des victimes longtemps après son décès. Je voudrais toutefois entendre ce que vous avez à nous dire, madame la ministre, quant à la raison précise pour laquelle vous avez opté pour une ordonnance de non-publication qui ne serait pas automatiquement abrogée au moment du décès de la personne visée.

Mme McLellan: Je crois, madame le sénateur, que vous venez de répondre vous-même à votre question. Voilà la raison. Le décès ne devrait pas à lui seul donner automatiquement lieu à l'abrogation de l'ordonnance. Cependant, il se peut bien que de nouvelles circonstances surviennent qui permettraient facilement aux médias de retourner devant les tribunaux. C'est leur droit. Les médias pourraient dire que la victime ou qu'une des victimes -- car il y a la personne à qui le tort a été causé et il y a aussi sa famille -- est morte et qu'ils demandent donc respectueusement au tribunal d'étudier la possibilité de lever l'ordonnance de non-publication. Le tribunal tiendrait compte des nouvelles circonstances pour décider s'il y a lieu de lever l'ordonnance. Je ne crois pas que cela devrait se faire automatiquement, car, comme vous l'avez si bien fait remarquer, il pourrait bien y avoir d'autres victimes.

La présidente: Si vous le permettez, j'ai une petite question à poser qui fait suite à celle du sénateur Carstairs. Est-il parfaitement clair que la victime qui serait âgée d'au moins 18 ans pourrait renoncer à l'ordonnance de non-publication si elle décidait de rendre l'affaire publique?

Mme McLellan: Oui. La victime ou le témoin serait tenu de demander l'ordonnance. Si la victime ou le témoin ne s'oppose pas à ce que son identité soit révélée, il ou elle ne demanderait pas une ordonnance de non-publication.

La présidente: Nous sommes en train d'anticiper une bonne part du témoignage que nous présentera tout à l'heure la SRC.

Merci, madame la ministre, de votre présence ici aujourd'hui.

Mme McLellan: Je suis heureuse d'avoir pu venir vous parler de ces importantes questions et d'avoir pu participer au débat. Les honorables sénateurs sont toujours bien préparés. Merci beaucoup.

La présidente: Les groupes suivants sont le Centre canadien de ressources pour les victimes de crimes et le CAVAC. Vous avez la parole.

[Français]

Mme Marthe Vaillancourt, directrice, Centre d'aide aux victimes d'actes criminels: Je suis contente de me présenter devant vous aujourd'hui. Je suis de la région du Saguenay- Lac-Saint-Jean, de Chicoutimi plus précisément. Il y a nombre d'années que je travaille auprès des victimes d'actes criminels.J'ai d'abord travaillé à la Sûreté du Québec, ensuite dans un CLSC, un Centre local de services communautaires et depuis dix ans, je travaille dans un CAVAC, un Centre d'aide aux victimes d'actes criminels.

L'an dernier, j'ai été la récipiendaire du Prix de la justice à cause du travail effectué par ce CAVAC et grâce au militantisme et à l'engagement de toutes les intervenantes.

J'ai beaucoup de documents, malheureusement, ils ne sont pas traduits en anglais. J'ai rédigé cela en fin de semaine. J'ai essayé de vous livrer le plus de contenu possible, y compris le fameux projet sur lequel nous avons tant travaillé et qui vise au respect des victimes.

Au tout début, j'ai voulu faire une petite synthèse de nos écrits parce que j'étais aussi coprésidente du comité national sur la violence faite aux femmes. Les groupes de femmes et les groupes voués à la défense des victimes ont largement fait état du sort des personnes qui se retrouvent laissées sans protection, marginalisées et à nouveau lésées lorsqu'elles se retrouvent devant l'appareil judiciaire.

Certaines victimes sont encore plus vulnérables en raison de discrimination, de préjugés racistes, de handicaps physiques ou intellectuels. Je siège présentement à une table de concertation où nous tentons de rendre plus correct -- c'est le seul mot que je pourrais employer -- le fait que des victimes avec des handicaps physiques ou intellectuels se présentent à la cour.

La justice a des critères restrictifs pour définir le bon témoin qui serait, par exemple, une personne blanche, de la classe moyenne, non handicapée, hétérosexuelle, menant une vie rangée, témoignant avec célérité, justesse et sans oubli. Cela fait plusieurs fois que vous entendez cela. C'est toujours d'actualité. Quiconque ne correspond pas à cet idéal est perçu comme moins crédible et cette perception joue contre les femmes surtout, dans tous les cas, qu'elles soient victimes ou criminelles. Ainsi une femme qui a des démêlés avec la justice et qui ferait preuve d'un comportement violent serait en rupture avec l'image populaire de la femme idéale et sera traitée différemment. De même, une femme agressée qui ne correspondrait pas à l'idéal serait souvent accusée de s'être mise elle-même en situation de victime.

Combien de fois ai-je entendu dire que le système est totalement déséquilibré et qu'on ne pourra jamais redresser la balance en apportant des petits changements ponctuels? Seule une modification en profondeur serait efficace.

On en a déjà parlé, il faut respecter les droits des accusés dans une société démocratique mais ces droits ne devraient jamais primer sur les droits individuels de la victime, ni sur le droit de la société d'assurer sa sécurité. L'absence de politique garantissant la sécurité des victimes soulève des difficultés, bien sûr.

Par exemple, on peut dire que les femmes victimes de violence peuvent se réfugier dans les centres d'hébergement sauf que là aussi, il y a des difficultés. Si une femme handicapée vit dans un logement adapté à elle, ce n'est pas facile de quitter. Il faudrait réfléchir à des mesures pour que ce soit quelqu'un d'autre qui quitte, en l'occurrence l'agresseur.

Déjà, au comité, on était très préoccupé par cette interdiction de communiquer faite à l'agresseur. Quand on dit qu'il ne doit pas entrer en contact avec sa victime, cela doit être appliqué avec rigueur, si on veut garder une certaine crédibilité envers le système et que des situations de violence soit dénoncées.

Quant à la présence à la cour, j'y travaille depuis dix ans. Je vous assure que cela ne change pas vite. Dispose-t-on dans chaque palais de justice d'une salle pour les victimes et les témoins? On en parle depuis si longtemps. Les ministres de la Justice qui se succèdent au Québec disent que c'est une politique, qu'il y aura une salle pour les victimes et les témoins. On pourrait les compter sur le bout de nos doigts ces réalisations. Au Québec, il y a maintenant 11 centres d'aide aux victimes d'actes criminels qui jouent un rôle important auprès des victimes compte tenu qu'elles ont besoin d'être aidées, soutenues et informées sur la procédure et le fonctionnement des tribunaux, sur ce qu'elles doivent attendre d'un procès, sur leurs droits en tant que victimes et témoins.

Les victimes sont déçues des remises en liberté quand il s'agit d'un agresseur qui a déjà enfreint une ordonnance de garder la paix ou d'interdiction de communiquer. J'imagine que vous vous êtes déjà rendus compte du désarroi et de l'incompréhension des victimes qui constatent que les procureurs de l'accusé et de la Couronne négocient le plaidoyer et la sentence sans consulter la victime. Les victimes ne comprennent pas comment cela se passe et pourquoi cela est permis et se fait. Ne pourrait-on établir des lignes directrices ou des protocoles concernant les négociations de plaidoyer?

Quoi que plus stressant pour les victimes que des procureurs de la Couronne surchargés de travail qui n'assurent pas la continuité de leur dossier, c'est-à-dire qu'en cours de route, vous pouvez avoir deux ou trois procureurs différents, avec qui les victimes ont des entretiens d'une durée très limitée, sans compter que parfois, les entretiens ne sont même pas possibles. Les avocats de la défense ont beaucoup de temps pour préparer leur dossier. Sous prétexte de procurer la meilleure défense possible, ils ne se gênent pas pour recourir à des tactiques de harcèlement, d'humiliation de la victime pendant le contre-interrogatoire. Ceci aggrave les préjudices déjà subis. On a tous en mémoire les effets de toge, les tons haussés, les attitudes péremptoires et catégoriques, on s'approche à quelques pouces de la victime et on pose toutes les questions insidieuses et imaginables. Même si le juge dit : vous allez trop loin, vous ne pouvez pas, une fois que la question est posée, la victime est déstabilisée. J'en ai quand même cité deux ou trois sur l'habillement des victimes, la façon de marcher et «que faisiez-vous, madame, sur la rue à 9 heures du soir?»

Si les intervenants du système judiciaire étaient davantage sensibilisés à la dynamique de la «victimisation», ils connaîtraient les enjeux et seraient en mesure de conduire les procès en fonction des intérêts des victimes.

On a bien essayé de travailler sur le délai entre l'accusation et la fin des audiences. La lenteur de la justice et l'ajournement des procès causent des problèmes aux victimes. Récemment, j'accompagnais un groupe de femmes victimes de harcèlement sexuel par un employeur. La première fois qu'elles sont venues à la cour, cela faisait un an que la plainte avait été portée. Après cela, on s'attend à ce que la victime répète correctement tout ce qui s'était passé et s'il y a une divergence, on dit que ce n'est pas correct, que c'est de sa faute, qu'elle n'a pas bien relaté ce qu'elle avait déjà dit au policier. Un an plus tard, c'est difficile.

Le barreau de chaque province et territoire a un rôle important à jouer pour rendre la profession juridique davantage responsable de ses actes. Malheureusement, on ne considère pas encore que l'égalité des femmes et la sécurité des victimes doivent être prioritaires.

Le pouvoir absolu que détiennent les juges leur permet souvent de laisser libre cours à leurs préjugés et à leurs idées préconçues qui englobent maintes attitudes discriminatoires, on l'a souvent démontré. Quand le juge accorde à l'avocat de la défense toute latitude pour harceler la personne qui témoigne, celle-ci est «revictimisée». On ferait un pas important envers une magistrature éclairée en leur dispensant une formation adéquate afin de remettre en cause toute leurs idéologies, tous les préjugé bien enracinés concernant le sexe, la race et la classe sociale au Canada. Les programmes de faculté de droit ne témoignent pas d'une réelle prise de conscience de ces questions. Comme tous les juges et les procureurs ont des formations en droit, il est indispensable que les facultés revoient leur programme de formation.

Je reviens au traumatisme subi par les victimes. Je dis que le projet de loi C-79 a été qualifié par plusieurs journalistes d'appel à un changement de culture dans notre système judiciaire de manière à ce que les victimes et aussi les témoins soient traités avec plus de compassion et de respect.

Ce projet de loi veut corriger certaines anomalies. À mon avis, c'est un pas dans la bonne direction qu'il faut maintenant accentuer. Il faut faire un effort de développement et de perfectionnement pour rejoindre les besoins minimaux des victimes.

Considérées, point par point, toutes ces recommandations s'inscrivent dans une démarche tout à fait logique dont on peut se demander pourquoi elle a tant tardé et auquel le sens commun invite à souscrire sans réserve.

Je vais reprendre quelques points. À l'article 2.3, il est dit que l'accusé ne peut procéder lui-même au contre-interrogatoire d'un témoin âgé de moins de 18 ans au moment du procès ou de l'enquête préliminaire.

Je suis la présidente d'une table de concertation qui essaie d'agir contre la violence, les abus et la négligence faite aux aînés. Nous nous sommes prononcés catégoriquement contre le fait que l'accusé puisse se défendre seul dans les causes qui concernent les femmes victimes de violence ou d'agression sexuelle et les causes où des aînés sont victimes de la violence de leurs enfants, en vertu des raisons suivantes : l'ampleur du traumatisme amplifié par le lien particulier existant entre la victime et l'agresseur, la vulnérabilité des aînés, l'allongement des procédures vu l'inhabileté de celui qui se défend seul et qui ne connaît pas les règles de fonctionnement et le stress et l'angoisse causés par les habitudes de vie commune. Imaginez un parent qui porterait plainte contre son fils et qui serait questionné par son fils qui a décidé de se défendre seul?

Dans le contexte de l'autodéfense, maintenir la participation, la collaboration de la victime tout au long du processus judiciaire demandera du courage et de l'énergie qui ne serait pas à la portée de toutes les victimes, surtout si elles ont un certain âge.

On devrait restreindre l'autodéfense dans les cas d'infractions d'ordre sexuel, dans les cas d'infractions qui utilisent la violence contre une personne et dans les cas d'infractions où les aînés risquent le contre-interrogatoire de leur enfant.

Je suis d'accord, et vous comprendrez pourquoi, avec toute ordonnance limitant la publication du nom d'un plaignant. L'interdiction de communiquer doit être respecté intégralement.

Quant à la déclaration de la victime, il y a bien longtemps que les intervenants auprès de la victime en tiennent compte. J'applaudis à cette mesure. Il est important que la victime qui a subi des dommages matériels, corporels ou moraux, par suite de la perpétration d'une infraction, puisse les faire connaître et soit assurée que cette déclaration revêt un caractère de crédibilité, de confiance et de sérieux.

Je me dis que dans le centre que je dirige, on aide beaucoup les victimes à remplir cette déclaration de la victime. J'entendais Mme la ministre dire que parfois, elle ne veut pas la faire. Je pense qu'il faut soutenir les victimes. Il ne faut pas rédiger à sa place, il faut lui laisser l'entière liberté de ce qu'elle a à dire, mais il est nécessaire de la soutenir dans ce processus. J'ai eu connaissance à quelques reprises que l'on escamotait le fait de verser une «suramende» compensatoire. Donc ce renforcement, dans le projet de loi C-79, vient clarifier l'imposition de la «suramende», compte tenu de la capacité de payer du contrevenant.

On peut aller plus loin en réglementant de la même façon les dons auxquels on astreint certains accusés. Il est assez odieux de penser à ce qui se passe dans certaines causes où l'abuseur va verser un don à un organisme de charité ou même à un CAVAC avant de se présenter à la cour. Ceci lui permet d'avoir un reçu de charité. Je n'ai pas vérifié s'il y a possibilité d'avoir un reçu. Il en retire tous les bénéfices et je trouve cela inadmissible. Les dons devraient aller à des organismes qui aident les victimes. Il se fait un lobby très puissant auprès des juges. On constate ainsi des dons à toutes sortes d'organismes qui n'ont pas de rapport avec la justice alors que pour nous, c'est notre seule source de revenus très souvent. Il faut bien penser que le bureau d'aide aux victimes est financé par la «sur-amende» compensatoire et par des dons.

Les intervenantes des centres d'aide aux victimes reçoivent une formation adéquate pour intervenir auprès des victimes. Il faut reconnaître leur expertise et les autoriser à accompagner toutes les victimes lorsqu'elles en manifestent le besoin.

Quand je travaillais à la Sûreté du Québec, il n'y avait aucun problème pour assister à un procès à huis clos. Quand je suis devenue une intervenante sociale d'un CLSC, ce n'était plus possible à moins que le juge ne le permette. Mon statut a changé à partir du moment où je n'étais plus membre de la Sûreté du Québec. Il faut que je vous dise que je n'étais pas policière. J'étais une intervenante sociale dans le système.

L'État doit s'assurer que les victimes disposent de toute l'information sur les étapes du processus judiciaire, sur les raisons pour lesquelles les accusations n'ont pas été portées, sur ce qui se produit une fois le procès terminé, sur les libérations conditionnelles, bref sur tout ce qui concerne les victimes et leur sécurité.

On aurait intérêt à dépoussiérer et à clarifier le Code criminel si on veut vraiment aider les victimes.

Dans un effort de clarification, le CAVAC et certains organismes d'aide aux personnes âgées ont demandé d'inscrire le terme de viol collectif avec une peine minimale et on n'a pas reçu de réponse satisfaisante. Les choses qui ne sont pas nommées explicitement n'ont pas d'existence réelle ou tombent dans de telles ambiguïtés qu'elles n'ont plus de signification. Il faut nommer les choses comme elles s'appellent, un viol collectif, c'en est un. Ce n'est pas comme c'est écrit à l'heure actuelle, une ou deux personnes. Il faut nommer les choses, il faut donner une peine minimale.

Des victimes se plaignent d'être victimes de traque abusive. Je n'ai pas trouvé un mot français pour remplacer ce mot. Ce sont toutes les communications importunes d'une personne abusive envers une autre. Il s'agit d'une forme de nuisance qui laisse les victimes en proie à la peur et à la frustration. Ce pourrait être une des tâches du bureau d'aide aux victimes d'essayer de voir comment cela se passe dans les questions de harcèlement sexuel et de cette fameuse traque abusive qui fait que des victimes sont poursuivies, harcelées et qu'il est difficile parfois de faire intervenir les policiers parce que c'est fait de façon très subtile. Il nous a fallu plusieurs crimes et bien des larmes versées pour réussir à obtenir ce projet de loi qui permettra de reconnaître certains droits aux victimes.

Dans le projet que je vais vous faire connaître tantôt, on avait trois éléments principaux pour développer des attitudes et des comportements orientés vers le respect des victimes, pour réduire les délais de procédure et pour améliorer les conditions de témoignage. Dès la création du CAVAC, on a disposé d'une salle assez convenable au palais de justice.

Les projets les plus efficaces, les plus belles initiatives en faveur des victimes ne trouveront une réponse que par le soutien de l'ensemble de l'appareil judiciaire.

Le bureau d'aide aux victimes qui est proposé verra-t-il à consulter les intervenants sur le terrain, à évaluer les initiatives intéressantes, à renforcer les mesures d'aide aux victimes et ce, dans le respect des mesures déjà existantes dans les provinces? Verra-t-on à organiser autrement les convocations à la cour? Un article d'un sous-ministre de la Justice du Québec mentionne qu'il est stupide de convoquer tout le monde à 9 heures à la cour. Si vous allez chez votre dentiste, tout le monde n'est pas convoqué à 9 heures. Ce n'est pas comme cela que cela se passe. À la cour, tout le monde est convoqué à la même heure. Il y a des remises, on a dérangé bien du monde. Ce n'est pas grave, ce sont seulement des victimes et des témoins. On peut se le permettre.

À plusieurs reprises, les différents ministres de la Justice qui ont eu connaissance du projet de Chicoutimi m'ont demandé de les faire évaluer par leur ministère. À ce moment, cela ne me plaisait pas tellement mais si le bureau d'aide aux victimes évaluait les projets déjà existants, il y en a au Manitoba, en Colombie-Britannique, cela pourrait être intéressant de voir ce qu'on peut faire dans l'ensemble du Canada pour aider les victimes.

En conclusion, j'ai ces deux articles de La Presse. Celui qui est le plus intéressant est celui de Michel Bouchard. J'en ai certaines copies où il dit que si les avocats n'agissent pas autrement, il va y voir personnellement. Il y a aussi une juge qui a pris position lors de ce fameux congrès du barreau et qui n'est pas fière du système de justice.

On nous enseigne dès notre plus jeune âge que nous pouvons faire appel à l'appareil judiciaire pour obtenir justice et sécurité. L'agent de police est votre ami, la justice a le bras long, la justice aura le dernier mot. Hélas, comme on l'a maintes fois répété, ce n'est pas toujours la réalité.

Les composantes du système des tribunaux, des commissions des libérations conditionnelles, des services de police, du législateur, des facultés de droit ne peuvent être considérées isolément les uns des autres. Tous ceux qui participent au fonctionnement de notre appareil judiciaire doivent décider en tant qu'individu et en tant que professionnel oeuvrant au sein de nos institutions s'ils appuient ou non les objectifs fondamentaux d'égalité et de sécurité pour tous les citoyens. Tel est l'engagement qu'ils doivent prendre si nous voulons que nos institutions judiciaires puissent être qualifiées d'un vrai système de justice.

C'est le projet de Chicoutimi élaboré à partir de la loi qui créait les centres d'aide aux victimes d'actes criminels. Nous avons tout un processus de travail. J'en ai aussi quelques exemplaires, en français, malheureusement.

Le sénateur Nolin: Vous savez, cela nous arrive souvent d'avoir les documents seulement en anglais. Sentez-vous bien à l'aise.

Mme Vaillancourt: Il y a eu en fait trois ou quatre ateliers lors d'un colloque organisé par la Chambre des notaires et la FTQ. Il y a plein de recommandations là-dedans. De quoi parlaient-ils ces gens? De la lisibilité du Code criminel, de l'incompréhension du système de justice, du besoin d'information. Si on avait le temps et que je reprenais ce document de 1999, cela ne remonte pas au déluge du Saguenay ni à celui de Noé, vous verriez un besoin dans la population d'assurer le respect des victimes, la compréhension des termes employés, la lisibilité du Code criminel. J'ai aussi la déclaration de M. Ménard et des juges du Québec lorsque j'ai reçu le Prix de la justice.

Le sénateur Nolin: Vous pourriez terminer votre présentation, si vous avez autre chose à nous dire.

Mme Vaillancourt: Je vais donc terminer là-dessus. Je suis disponible pour répondre à quelques questions. Mais je ne suis pas juriste, je vous le rappelle, juste une intervenante sociale qui a consacré sa vie aux victimes.

[Traduction]

M. Steve Sullivan, directeur exécutif, Centre canadien de ressources pour les victimes de crimes: Honorables sénateurs, je vous ai fait remettre un document traitant de diverses questions relatives aux droits des victimes, notamment des questions d'ordre provincial, des questions relatives aux libérations conditionnelles et d'autres questions. Le chapitre 4 traite précisément des questions que nous abordons aujourd'hui.

C'est le même document que j'ai remis au comité de la justice et des droits de la personne de l'autre endroit quand il a fait son examen exhaustif des questions relatives aux victimes et du système de justice pénale. Vous constaterez que certaines de nos recommandations ont été reprises dans le projet de loi.

Je tiens tout d'abord à souligner l'important travail qu'a fait ce comité pour nous amener à l'étape où nous en sommes aujourd'hui. Le projet de loi s'inspire du rapport de ce comité. Je tiens tout particulièrement à souligner le dévouement de la défunte Shaughnessy Cohen. Je sais, pour en avoir discuté avec elle, que c'est quelque chose qui lui tenait à coeur. Elle s'est occupée avec diligence de ce dossier, et son dévouement mérite d'être reconnu.

Il convient aussi de reconnaître le travail qu'a fait la ministre pour donner rapidement suite aux recommandations contenues dans le rapport et d'avoir su faire avancer le projet de loi à l'étude aussi rapidement qu'elle l'a fait.

J'ai eu l'occasion, depuis que le projet de loi a été présenté, d'en parler avec des victimes et des groupes de victimes de toutes les régions du pays, et je peux vous dire que le projet de loi recueille de nombreux appuis, de la part notamment des victimes d'actes de violence, de CAVEAT et aussi de MADD, dont on a parlé. Ce qui est encourageant par ailleurs pour ces groupes, et pour nous aussi, c'est ce qu'a dit la ministre au sujet du fait que le processus ne s'arrêtera pas là. On reconnaît que le projet de loi répond à bien des préoccupations des victimes et des groupes de victimes, mais il ne s'agit pas du tout de la fin du processus et il sera peut-être nécessaire de proposer de nouvelles modifications. Ma collègue a fait état de certaines des questions qui ne trouvent pas réponse dans le projet de loi. Le projet de loi constitue toutefois un important premier pas et nous l'appuyons sans réserve.

Ce n'est pas la peine que je passe en revue tout le projet de loi. La ministre a très bien fait cela, et je sais que tous les sénateurs connaissent bien ses dispositions. Je tiens à préciser que les dispositions concernant les déclarations des victimes, aux audiences de détermination de la peine et aux audiences de révision judiciaire aux termes de l'article 745, répondent à une demande de longue date des victimes. Le fait que l'existence de l'article 745 soit signalée aux audiences de détermination de la peine des auteurs de meurtres au premier et au deuxième degré répond à une autre demande de longue date des victimes; ainsi, il n'y a pas de surprise quand il y a une audience de révision judiciaire après 15 ans. Les victimes en ont été prévenues.

L'élargissement des mesures de protection des témoins est important. Les modifications visant à uniformiser les suramendes compensatoires dans toutes les régions du pays sont aussi importantes, car elles permettront de s'assurer que les provinces ont les fonds voulus pour offrir aux victimes un certain niveau de service.

Les dispositions concernant la mise en liberté provisoire par voie judiciaire et le cautionnement constituent aussi un progrès important. Ces diverses mesures contribuent à faire en sorte qu'il soit tenu compte des préoccupations et de la sécurité, non pas seulement du grand public, mais de la victime au moment de décider de la mise en liberté. Les dispositions établissent les conditions à imposer à la personne qui est mise en liberté.

Quand nous avons témoigné devant le comité de la Chambre des communes sur le projet de loi à l'étude, nous avions proposé des améliorations sur le fond et la forme du projet de loi. Je ne vous proposerai pas d'améliorations aujourd'hui. Le projet de loi est bon, et nos recommandations ne visaient qu'à améliorer ce qui était déjà un bon départ. Nous sommes réalistes et nous souhaitons que le projet de loi devienne loi le plus rapidement possible.

Permettez-moi de revenir à ce qu'a dit la ministre au sujet du fait que ce n'est pas la fin du processus. Elle est déterminée à faire avancer le dossier. Bien que nous ne sachions pas à quoi ressemblera au juste le centre stratégique pour les victimes d'actes criminels, je crois qu'on est déterminé à nous permettre de travailler avec ce centre et à améliorer le projet de loi au fur et à mesure que les lacunes se manifesteront et que se manifesteront aussi d'autres problèmes. Nous exhortons simplement le comité à adopter rapidement le projet de loi C-79. Nous considérons qu'il s'agit d'un bon projet de loi.

Pour ce qui est des observations que vous entendrez plus tard de la part d'autres groupes sur la question des ordonnances de non-publication, j'aurais quelques mots à vous dire à ce sujet. Comme l'a dit la ministre, le projet de loi ne prévoit rien de nouveau quant aux ordonnances de non-publication. Chose certaine, ces ordonnances existent depuis déjà un certain nombre d'années pour les victimes d'agressions sexuelles. Elles sont maintenues. La ministre a évoqué la common law relativement aux autres types de témoins. Là encore, il n'y a certainement rien de nouveau dans le projet de loi. Je ne crois pas que les préoccupations dont on vous fera part aient l'appui de la majorité des victimes et des groupes d'aide aux victimes, elles n'ont pas l'appui en tout cas des victimes ou des groupes d'aide aux victimes avec lesquels nous travaillons. Nous n'appuyons pas la recommandation voulant que les ordonnances de non-publication soient levées au moment du décès de la personne visée.

Le projet de loi vise à donner le choix aux personnes qui ont été victimes d'actes criminels. Si elles décident qu'elles ne veulent pas être identifiées, leur choix devrait être respecté après leur mort. Nous respectons leur capacité à faire le choix qui leur convient.

Le projet de loi C-79 reconnaît au juge un pouvoir discrétionnaire en ce qui a trait aux ordonnances de non-publication. La victime est toutefois tenue de présenter une demande d'ordonnance par l'entremise de la poursuite. Nous pensons que toutes ces mesures tiennent bien compte des préoccupations des victimes et des groupes d'aide aux victimes et qu'elles assurent une protection suffisante.

Je m'arrête là. Je le répète, il ne nous arrive pas souvent de venir ici pour appuyer un projet de loi. C'est toutefois ce que nous voulons faire aujourd'hui.

Je répondrai volontiers à vos questions.

[Français]

Le sénateur Beaudoin: Je vous remercie, Mme Vaillancourt; je suis d'accord avec à peu près tout ce que vous dites. Maintenant, si cela peut vous réconforter, j'ai passé une partie de ma vie dans les facultés de droit. Nous avons de plus en plus de femmes dans nos facultés de droit. Nous apprenons aux avocats et aux avocates à plaider. On a un tribunal école et maintenant, il y a une majorité de femmes dans les facultés de droit. Un jour, cela va se répercuter dans le nombre de femmes nommées à la magistrature. Cela va sûrement améliorer notre système judiciaire parce que ce sera plus représentatif de notre société.

Ceci étant dit, qu'est-ce que vous pensez du projet de loi? On peut évidemment améliorer toutes les choses sur lesquelles vous avez mis le doigt et vous avez raison. Il y a beaucoup d'abus, la société n'est pas parfaite. Cela est sûr. Mais êtes-vous contente de ce projet de loi? Est-ce que vous pensez que cela peut faire avancer les choses? Est-ce que vous pensez que c'est un pas dans la bonne direction?

Mme Vaillancourt: C'est un pas dans la bonne direction mais à mon âge, je suis très anxieuse de voir l'autre pas. Il faut plusieurs pas, il faut continuer.

Lorsque dans le projet de loi on parle de la sécurité de la victime, est-ce que c'est seulement au moment où elle est au palais de justice? Qui va s'en préoccuper? Assurer la sécurité de la victime se résume souvent à quelques mots, mais il n'est pas facile de la réaliser. Plusieurs facteurs entrent en ligne de compte dans le projet de loi.

Par exemple, sera-t-on sensible aux communautés culturelles et aux différences? La justice n'est pas du tout sensible aux personnes différentes. Lorsque je dis que la justice existe pour une personne de classe moyenne et de race blanche, ce n'est pas un sophisme; c'est une réalité. La victime doit faire abstraction de toute émotion et dire les choses de telle ou telle façon. Dans l'état où elle se trouve, est-ce que la victime peut le faire?

Pour ce qui est de la présence des femmes dans les facultés de droit, les femmes n'ont pas encore imposé leur vision. On n'en est pas au point où il y a de gros changements. Bien sûr, la société évolue. Je ne peux pas vous dire que les choses ne changent pas.

Concernant les avocats, je me sens à l'aise d'en parler. L'article du journaliste Bouchard que je vous ai remis est très vindicatif envers les avocats. Si j'étais avocate et que je lisais les propos de la juge, je me sentirais très mal. Est-ce que la recherche de la vérité nécessite tout ce qui se passe à l'heure actuelle?

Je connais de jeunes avocats qui peuvent établir des preuves et obtenir la vérité sans pour autant insulter la victime. Ils ne vont pas la torturer pendant des heures.Ce genre d'avocat est souvent très recherché. Cette façon abusive de procéder devrait être réglementée.

Je vous assure que si je citais des noms, vous comprendriez ce que je veux dire. J'ai vu des victimes qui ont été carrément abattues, des jeunes filles qui ne pouvaient plus circuler au cégep à cause de questions abusives de la part du procureur de l'accusé. Bien sûr, le juge peut être sensible et l'arrêter. Mais une fois que les questions insidieuses ont été posées, c'est fini, la victime est déstabilisée.

C'est parfois d'une telle vulgarité que je ne pourrais pas le répéter devant vous. Cela existe et il ne faut pas croire que la ville de Chicoutimi est différente de ce qui se passe partout ailleurs. Les avocats ont tous la même formation et savent comment aller chercher des clients en faisant beaucoup d'effets de toge et de démolition de victimes.

Le sénateur Beaudoin: Vous touchez plusieurs sujets et je vous en suis reconnaissant. Il y a beaucoup de vérité dans tout ce que vous dites. De par mon naturel un peu optimiste, je crois que la situation s'améliore.

Les facultés ont d'autres préoccupations aujourd'hui et comme il y aura plus d'avocats et plus de femmes juges, c'est sans doute un pas dans la bonne direction. La société changera pour le mieux.

On a un projet de loi qui m'apparaît très bien. L'administration de la justice n'est pas uniquement fédérale; elle est aussi provinciale. Les palais de justice sont créés et payés par les provinces. On n'est pas tout seuls dans le bateau et les provinces doivent également faire leur examen de conscience. Je suis d'accord avec ce que vous dites et je pense qu'il est bon de l'entendre.

Mme Vaillancourt: Avec tout le respect que je vous dois, je vous dirai qu'il ne faut pas laisser aux femmes seules l'obligation de changer les facultés de droit et le barreau. On nous dit que les choses vont changer lorsqu'il y aura des femmes au sein de l'Église. Il ne faut pas laisser seulement aux femmes la responsabilité de corriger ce qui est en place depuis 2000 ans.

Le sénateur Beaudoin: On verra un juste équilibre à un moment donné.

Le sénateur Nolin: Madame Vaillancourt, vous nous donnez une perspective qu'on n'entend pas souvent. L'administration de la justice n'est pas de notre ressort. Par contre, ce qui est de notre ressort, c'est la nébulosité du Code criminel. On a pris bonne note de votre déclaration. Chaque fois qu'on examine le code, on tente de l'éclaircir et de le rendre beaucoup plus palpable et plus compréhensible.

Lorsque la ministre a été interrogée, elle a parlé d'un centre stratégique pour les victimes. Vous avez bien compris qu'elle entendait ne pas seulement regrouper les efforts fédéraux mais aussi tenter de coordonner et de participer à l'effort, tant provincial que fédéral, en matière d'aide aux victimes. Avez-vous des commentaires à faire à ce sujet?

Mme Vaillancourt: Je sais que beaucoup de députés se sont opposés à la création de ce bureau. Si la ministre pense qu'elle doit le faire, elle doit le faire. Par contre, il ne faut pas créer un bureau pour simplement créer un bureau.

Ce bureau verra-t-il les intervenants? Va-t-il étudier les projets qui sont présentement en cour? Si ce bureau est détaché de ce qui se passe sur le terrain, on n'en a pas besoin. Si ce bureau tient compte du travail qui se fait, examine les projets mis en place, et se rapproche des victimes, je dis bravo. Tout dépendra de l'orientation qu'on voudra donner à ce bureau et du travail qui s'y fera.

Un de ses premiers travaux serait de regarder comment les nouvelles dispositions du projet de loi C-79 seront vécues par les victimes. Il y a parfois des urgences et il faut en tenir compte. Il faut revoir la question des libérations conditionnelles, du témoignage des victimes et la question de leur sécurité. Comment va-t-on assurer la sécurité des victimes?

Le sénateur Nolin: Toutes les provinces canadiennes ont la responsabilité de gérer la justice criminelle. D'après les déclaration de la ministre, il y a une recherche de coopération entre les différentes juridictions.

Mme Vaillancourt: Je pense, oui.

Le sénateur Nolin: J'essaie de voir si vous sentez la même chose que moi.

Mme Vaillancourt: Je sais très bien que l'administration de la justice appartient aux provinces. Je me suis tellement battue pour l'établissement de ce fameux projet. Je sais ce qu'il en coûte et je sais combien c'est difficile.

Le gouvernement fédéral peut jouer un rôle de leadership et de coordination avec les ministres provinciaux de la justice. Il y aura certainement encore des rencontres interprovinciales entre les ministres de la justice. Le gouvernement fédéral peut jouer ce rôle puisqu'il propose des changements au Code criminel.

La question de la «suramende» compensatoire me préoccupe parce qu'elle sert au financement des centres d'aide aux victimes. Lorsque le juge n'accorde pas la «suramende», on sourit en coin. C'est pour nous une source de financement.

Le sénateur Nolin: C'est un bon point en faveur du projet de loi C-79. Vous devriez y être favorable.

Mme Vaillancourt: Je suis aussi favorable à la déclaration de la victime. Les victimes se préoccupaient de faire des déclarations très justes. Je dois vous dire que celles que j'ai lues ne contenaient pas de grandes exagérations. Les victimes s'en tenaient à que ce qu'elles avaient vécu et comment elles l'avaient vécu.

Il n'y a rien de plus frustrant que de se retrouver devant un juge ou des procureurs qui ne tiennent pas compte de ces déclarations qui ont été rédigées avec la plus grande justesse possible.

Y a-t-il d'autres questions?

[Traduction]

La présidente: Je n'ai pas d'autres intervenants sur ma liste.

Merci, monsieur Sullivan, pour votre présence ici aujourd'hui. C'est la première fois que nous avons droit à des félicitations de votre part; je ne m'attends toutefois pas à ce que cela dure.

M. Daniel Henry, premier conseiller juridique, Société Radio-Canada: À la SRC, nous avons des préoccupations bien précises dont nous tenons à vous faire part. Nous estimons que ces préoccupations ne sont pas en contradiction avec les grands principes du projet de loi et qu'elles peuvent obtenir une réponse rapidement et d'une façon qui satisfasse, dans une certaine mesure, les groupes comme celui de M. Sullivan. J'ai parlé brièvement à M. Sullivan qui m'a expliqué sa position.

Pour la première proposition que je vais vous faire, nous avons obtenu l'appui d'un certain nombre de victimes. Vous avez les lettres de quatre victimes. Il y a une cinquième victime qui pourrait peut-être vous envoyer une lettre d'ici demain. Je crois que le groupe de M. Sullivan appuie aussi notre proposition. Je crois également que la ministre et le gouvernement appuient l'idée que les victimes puissent «participer sans entraver». Ainsi, nous proposons comme premier point que les victimes puissent participer si elles le veulent. C'est assez simple.

Le sénateur Carstairs a demandé à la ministre si les victimes pouvaient maintenant renoncer à ce droit si elles ne voulaient pas l'exercer. La ministre a répondu que, comme la victime doit demander une ordonnance de non-publication, elle a manifestement le choix. Le problème que nous voulons régler par notre proposition tient à la disposition dont la ministre a dit qu'elle avait été maintenue par la Cour suprême du Canada et qu'elle ne voulait donc pas y toucher. Il s'agit toutefois des mêmes personnes; il s'agit des victimes. Les victimes qui nous intéressent sont celles qui n'ont pas la possibilité de se faire entendre: ce sont les victimes d'agressions sexuelles et les témoins dans les affaires d'agressions sexuelles qui sont maintenant visés par les ordonnances de non-publication obligatoires. Pourquoi ne devraient-elles pas avoir les mêmes droits que les autres victimes qui sont principalement visées, à notre avis, par l'élargissement, ou comme l'a dit la ministre, la codification, du principe de Dagenais? Pourquoi n'auraient-elles pas le même traitement? Elles devraient avoir le même droit.

Si vous vous reportez à la page 2 de notre mémoire, nous disons que les amendements que nous proposons permettraient de faire en sorte que le système de justice pénale traite les victimes et les témoins adultes en adultes, capables d'exercer leur droit à la liberté d'expression sans l'intervention des tribunaux.

Ce qui fait problème -- et cela arrive assez souvent --, ce sont les ordonnances de non-publication qui sont imposées à l'insu de la victime, sans qu'elle ait pu participer à la décision, sans qu'elle ait pu donner son consentement. La victime apprend après coup que l'ordonnance a été émise. La victime doit alors demander une autorisation.

La ministre soutient qu'elle ne fait qu'essayer de codifier le droit existant dans le Code criminel. Or, il n'est pas question de codifier le principe voulant que le juge puisse abroger une ordonnance de non-publication. La disposition du Code criminel qui traite de ces ordonnances ne précise pas la durée de l'ordonnance ni la marche à suivre pour l'abroger.

Ainsi, les victimes, celles que le Parlement cherchait à protéger en premier lieu, se trouvent maintenant reléguées au deuxième rang, si vous voulez, et cela est inacceptable. Elles devraient toujours être au premier rang pour ce qui est de leurs préoccupations.

Selon nous, chaque victime devrait avoir le droit d'être consultée au préalable avant l'imposition d'une ordonnance de non-publication de leur identité. La personne devrait avoir le droit de demander une ordonnance de non-publication ou de renoncer à l'imposition d'une ordonnance. Elle devrait avoir le droit de renoncer à la protection offerte par une ordonnance existante en y renonçant tout simplement, sans avoir à en demander l'autorisation à un juge.

C'est là un problème bien réel pour la télévision et la radio, car nous présentons des reportages où nous interviewons des gens. Si une personne vient nous voir et que nous l'interviewons à la télévision, on la voit. Certains diront peut-être: Pourquoi ne montrez-vous pas sa silhouette? Le fait est qu'on ne peut retenir l'attention de l'auditoire que pendant un court laps de temps quand on ne présente que la silhouette de la personne qui parle. Par ailleurs, le reportage n'est pas aussi convaincant qu'il le serait si la personne pouvait raconter elle-même son histoire et qu'on pouvait voir ses réactions, surtout quand elle veut être identifiée.

Nous proposons l'amendement que vous trouverez à la page 7 de notre mémoire. En voici le texte:

(4.10) Nulle ordonnance en vertu du paragraphe (3) ou (4.1) ne peut être prononcée [...]

La disposition s'appliquerait ainsi aussi bien aux victimes d'agressions sexuelles qu'aux autres victimes.

Voici la suite du texte de l'amendement:

a) sans avoir avisé chaque plaignant, victime ou témoin qu'une telle ordonnance est envisagée, sauf s'il est impossible de l'en aviser;

b) sans avoir donné une chance à chaque plaignant, victime ou témoin d'indiquer au tribunal s'il désire ou non l'ordonnance de non-publication envisagée ou de satisfaire au tribunal que ce choix ne peut être exercé ou qu'il a été refusé; et

c) par rapport à l'identité d'un plaignant, une victime ou un témoin si cette personne renonce à l'ordonnance, ou si elle est âgée de moins de 18 ans, si son parent ou tuteur renonce à l'ordonnance.

L'amendement que nous prononçons semble logique. Une des personnes qui nous appuient a eu la possibilité de renoncer à une ordonnance de non-publication et dit que c'est ce qu'exige le bon sens. C'est essentiel. Pour que la victime puisse décider de son destin, il faut qu'elle ait ce droit. Il y a une dame qui avait un problème parce que le Leader-Post, quotidien de Regina, avait pour règle de ne pas identifier les victimes. Même si elle n'avait pas obtenu d'ordonnance de non-publication, le quotidien refusait de l'identifier. Elle a persuadé les dirigeants de modifier leurs règles pour que la victime qui veut être entendue puisse l'être.

Le deuxième problème qui ne trouve pas de codification dans la loi est la durée des ordonnances. S'applique-t-elle pour toujours? Il y a des milliers de ces ordonnances qui sont imposées. Cinquante ans ou 100 ans plus tard, l'ordonnance devrait-elle toujours être en vigueur?

Le sénateur Carstairs pense que l'ordonnance de non-publication ne devrait pas être levée au décès de la personne parce que la famille pourrait vouloir être protégée, et la ministre a confirmé que c'était effectivement pour cette raison qu'on n'avait pas prévu l'abrogation automatique de l'ordonnance. Les médias peuvent toujours aller devant les tribunaux pour en demander l'abrogation. L'ordonnance ne vise à protéger personne d'autre que la victime. Voilà ce qu'elle vise. Elle a pour objet de protéger la victime. Il se peut toutefois que la victime veuille être identifiée après sa mort.

Nous avons un exemple à l'appui. Il s'agit du cas d'une dame des Territoires du Nord-Ouest qui avait déposé une plainte d'agression sexuelle. Elle avait témoigné à une enquête préliminaire. Elle était déprimée à cause de sa situation, et elle est allée chez un journaliste pour parler de son cas. Malheureusement, le journaliste n'était pas chez lui. Elle s'est alors saoulée et a été emmenée par la GRC et mise dans une cellule de détention provisoire pour la nuit. On l'a laissée sans surveillance, et elle s'est suicidée dans la cellule de détention de la GRC. Le coroner a donc décidé de tenir une enquête. La SRC était d'avis qu'elle devait faire rapport de l'enquête et du décès de cette femme. C'est ce que nous avons fait. Elle était une des nombreuses victimes d'un individu en particulier. Nous avons décidé que, maintenant que la victime était morte, l'ordonnance ne s'appliquait plus puisqu'elle avait pour objet de protéger la vie privée de la victime. Nous l'avons identifiée dans un rapport sur le prononcé de la sentence de l'accusé, qui avait à ce moment-là été reconnu coupable. Bien d'autres victimes étaient toujours vivantes, mais nous ne les avons pas identifiées. Parce que nous avons identifié la victime qui était morte, nous avons été poursuivis et reconnus coupables.

Quand nous avons fait rapport de l'enquête du coroner sur son décès, enquête qui est censée être publique, nous avons aussi été poursuivis. Nous faisons toujours l'objet de poursuites pour le reportage que nous avons fait sur l'enquête du coroner sur le décès de cette femme.

Le coroner ne s'opposait pas du tout à ce que nous fassions ce reportage. La famille de la femme ne s'y opposait pas non plus; sa mère a témoigné pour nous. Nous ne devrions pas être reconnus coupables parce qu'il ne devrait pas y avoir d'ordonnance de non-publication.

Quand quelqu'un veut écrire un ouvrage historique, a-t-il l'obligation de vérifier s'il y a des ordonnances de non-publication? L'histoire, c'est l'histoire. Si l'un ou l'autre d'entre nous meurt, exception faite de cette ordonnance de non-publication, on peut dire tout ce qu'on veut à notre sujet. Aucune poursuite pour diffamation ne peut être intentée de manière générale. Pourquoi doit-on prévoir une exception aussi précise à cause d'une ordonnance de non-publication obligatoire émise par un tribunal sans discussion préalable?

Voilà l'essentiel de notre proposition. Nous formulons, à la page 7, un amendement pour remédier au problème. En voici le texte:

(4.11) Nulle ordonnance rendue en vertu du paragraphe (3) ou (4.1) ne demeure en vigueur

a) si la personne dont l'identité est protégée, ou le parent ou le tuteur de la personne de moins de 18 ans dont l'identité est protégée, renonce à la protection accordée par l'ordonnance;

b) si elle est abrogée par un juge ou un juge de paix, à la demande d'une personne intéressée;

c) si la personne dont l'identité est protégée est décédée.

C'est logique selon moi.

Pour ce qui est de savoir pourquoi il est important d'identifier les personnes, Esther Enkin pourra vous parler de cela.

L'idée de donner aux victimes d'agression sexuelle ou aux témoins dans les cas d'agression sexuelle le choix d'être identifiés ou de ne pas l'être est le seul sujet dont le comité de l'autre endroit a discuté à l'étape de l'étude article par article. Derek Lee a posé des questions aux fonctionnaires du ministère de la Justice. Les fonctionnaires ont présenté huit ou neuf points auxquels je serai ravi de répondre. Après la discussion, M. Lee a dit: «Je ne suis pas Salomon. Je n'ai pas la sagesse voulue pour élaborer une solution à un problème de ce genre.» M. Lee a reconnu l'existence du problème.

Nous témoignons devant vous aujourd'hui parce que nous espérons que vous saurez être Salomon dans les circonstances. Les modifications que nous demandons peuvent être faites et devraient l'être. Il n'y a aucune raison valable de ne pas permettre aux victimes d'agression sexuelle et aux témoins dans les affaires d'agression sexuelle d'avoir les mêmes droits que les autres victimes.

Mme Esther Enkin, directrice de la rédaction et journaliste principale, radio anglaise de Radio-Canada: Je veux vous expliquer pourquoi il est important pour nous d'obtenir les changements que nous demandons d'un point de vue journalistique. Bien souvent, dans les cas où nous avons reçu des lettres d'appui, ce n'est pas l'acte criminel comme tel qui fait problème. La ministre a dit qu'il était possible de donner les détails de l'acte criminel. Bien souvent, quand une victime se présente à nous et souhaite être identifiée, c'est parce qu'elle a des préoccupations en ce qui a trait au système de justice pénale ou d'autres préoccupations quant à la façon dont on s'est occupé de son cas. Il y a donc une question d'intérêt public très importante qui est en jeu.

Je tiens à assurer aux honorables sénateurs que nous avons une politique très claire sur les questions en cause. En temps normal, nous ne voulons pas nommer les victimes d'agression sexuelle. Si nous le faisons, nous en discutons de façon très approfondie. Nous ne voulons toutefois pas faire d'accusations ni soulever de questions d'intérêt public importantes sans pouvoir identifier la personne en cause. C'est d'ailleurs une pratique que nous réprouvons, à moins qu'il n'y ait des preuves concrètes de l'existence d'un danger ou d'un tort qui pourrait être causé.

Comme l'a dit M. Henry, à la radio et à la télévision on peut masquer la voix ou montrer seulement la silhouette de la personne. Il ne s'agit pas d'une question d'esthétique. Il s'agit d'une question de crédibilité, quand on ne peut pas mettre son nom et sa réputation en jeu.

La récente série de reportages sur un cercle de pédophiles à Cornwall est un bon exemple. Quand nous avons commencé à faire nos recherches, les gens se présentaient eux-mêmes pour parler aux journalistes. Nous ne les avons toutefois pas identifiés par leur nom à cause de l'ordonnance de non-publication. Ces personnes étaient si préoccupées par diverses questions relatives à l'affaire -- pas tellement l'affaire en tant que telle, mais la façon dont on s'en était occupé -- qu'elles sont venues d'elles-mêmes nous parler. Ce n'est pas nous qui les avons persuadées de nous parler ou qui avons voulu exploiter leurs faiblesses.

Il est important de pouvoir soulever des questions importantes et de donner une voix aux victimes, qui parfois se sentent deux fois victimes quand, en raison d'une ordonnance de non-publication, elles ne peuvent pas parler de certains aspects de l'affaire ou de questions qu'elles croient pertinentes à leur cas.

Il n'est pas aussi facile de faire lever une ordonnance qu'on l'a laissé entendre. Une des victimes a dit: «J'ai demandé que l'ordonnance soit levée, et elle l'a été.» Étant diligents, nous avons vérifié. Nous n'avons rien pu trouver dans le dossier du tribunal. Il semble qu'il n'existe pas de procédure simple pour obtenir l'abrogation d'une ordonnance. Il est important de rester fidèles à nos principes quand nous pesons le pour et le contre. Nous devons rester fidèles à nos principes, qui exigent que nos reportages se fondent sur de bonnes sources. Il est tout aussi important de veiller à ce que les personnes qui soulèvent ces questions soient identifiées.

[Français]

M. Marc-André Charlebois, président-directeur général, Association canadienne des journaux: Mon rôle se limite à présenter mes collègues, qui sont éminemment compétents pour parler de nos problèmes avec certains aspects du projet de loi. Vous avez M. Stuart Robertson, le conseiller juridique de l'Association et M. Russ Mills, éditeur du Ottawa Citizen.

[Traduction]

M. Russ Mills, président, Association canadienne des journaux; éditeur, The Ottawa Citizen: Merci, honorables sénateurs, de me donner l'occasion de comparaître aujourd'hui pour vous exposer mon point de vue concernant les questions que vise le projet de loi C-79.

L'Association canadienne des journaux représente toutes les provinces du Canada et 102 quotidiens canadiens publiés en anglais ou en français. Les membres de notre association sont, pour les Canadiens et les Canadiennes, la source essentielle de renseignements sur les lois canadiennes et l'administration de la justice au Canada.

Les membres de notre association sont appelés couramment à reconnaître l'existence des lois qui ont une incidence éventuelle sur la liberté d'expression, le rôle des journalistes et le contenu des articles de journaux.

Les tribunaux canadiens sont, il est vrai, ouverts au grand public, mais peu de Canadiens ont le temps ou la possibilité de suivre le grand nombre d'affaires qui y sont entendues quotidiennement. Les journaux et les autres médias sont sur place et sont les yeux et les oreilles des citoyens, ce qui permet de garantir que la justice est rendue en public, comme l'exige notre Constitution.

L'Association canadienne des journaux adhère à l'objectif du projet de loi C-79 et à la plupart des modifications au Code criminel qui y figurent. Nous adhérons au principe énoncé dans le préambule du projet de loi, à savoir que les victimes et les témoins d'infractions devraient être traités avec courtoisie, compassion et respect.

Ce sont les articles du projet de loi C-79 qui semblent menacer la liberté d'expression garantie par la Constitution et par les décisions de la Cour suprême qui ont défini ce droit capital de notre Charte qui nous inquiètent.

La plus importante de ces décisions de la Cour suprême était celle de l'affaire Dagenais c. Canadian Broadcasting Corporation, en 1994, dans laquelle la Cour suprême a déclaré que le droit à la liberté d'expression garantie par la Constitution peut être aussi important que le droit garanti à un procès libre. L'arrêt de la Cour suprême prévoit des lignes directrices à l'usage des tribunaux appelés à se prononcer sur une demande d'interdiction de publication.

Nous avons écouté l'exposé de la ministre McLellan, mais nous ne pouvons pas reconnaître avec elle que ce projet de loi codifie l'arrêt Dagenais. Au contraire. L'arrêt Dagenais précise les conditions très limitées où le tribunal peut envisager une interdiction de publication.

Essentiellement, la Cour suprême a décrété qu'un juge doit envisager toutes les autres solutions qui permettraient d'éviter une interdiction de publication qui ne peut être prononcée que si force est de constater qu'il n'y a pas d'autre solution raisonnable. Le juge doit également songer à toutes les autres façons possibles de limiter la publication.

La Cour suprême semble avoir reconnu que la meilleure garantie possible pour que la justice suive son cours, c'était de tenir le public au courant. À défaut de cela, le Canada ne peut pas prétendre avoir un appareil judiciaire véritablement intégré et accepté par ses citoyens.

Plusieurs articles du projet de loi C-79 limitent la liberté d'expression et ne sont pas rédigés avec toute la rigueur que la Cour suprême exige. Par exemple, le projet de loi ne contient pas de définition de «victime».

Quand il a été question de victime, au moment où la ministre McLellan était ici, c'était dans le contexte de l'article qui prévoit une déclaration de la victime.

Le fait que le mot «victime» ne soit pas défini permettra de ratisser très large, et on pourrait inclure dans son interprétation tous ceux et celles qui sont indirectement touchés par un crime, à savoir les membres de la famille, les personnes décédées, voire une société. La succursale d'une banque dévalisée peut-elle réclamer une protection en tant que victime?

Deuxièmement, le projet de loi dresse la liste des critères que le juge doit prendre en compte avant de rendre une ordonnance d'interdiction de publication de l'identité de la victime ou d'un témoin, mais ces critères ne sont pas assortis de lignes directrices sur leur importance relative.

Deux des critères qui figurent sur cette liste, le droit à un procès public et équitable et la liberté d'expression, sont des garanties constitutionnelles. Toutefois, on ne leur accorde pas plus de poids qu'aux autres critères, ce qui semble ouvrir la voie à des contestations.

Troisièmement, le projet de loi prévoit que, outre l'ordonnance d'interdiction d'identification d'un témoin ou d'une victime, l'interdiction s'étend aux délibérations mêmes au cours desquelles l'interdiction a été prononcée.

Nous croyons fermement que si des instances doivent être tenues à huis clos, alors que couramment elles sont tenues en public, la raison qui sous-tend une telle décision doit être communiquée au grand public, notamment pour garantir que les gens qui sont privilégiés et bien nantis ne sont pas traités différemment des gens dont les moyens sont plus modestes.

Très respectueusement, nous disons que l'article 2(3) du projet de loi C-79 -- celui qui traite de l'article 486(5) du Code criminel -- ne semble pas avoir été rigoureusement rédigé et prête le flanc à des contestations juridiques longues et coûteuses. Si le projet de loi est adopté sans amendements, il est certain que dès qu'un membre de la famille d'une victime, une société ou une personne décédée sera reconnue comme victime, certains des membres de l'association des autres médias vont contester cela.

Dès que l'on constatera qu'une interdiction de publication semble ignorer l'arrêt Dagenais, qu'elle ne donne pas assez d'importance à la liberté d'expression garantie par la Constitution, certains de nos membres vont la contester.

Dès que l'on nous empêchera de dire au public pourquoi il y a interdiction de publication de l'identité d'un témoin ou d'une victime, certains de nos membres le contesteront.

Nous proposons que ces définitions, ces directives et ces limites soient précisées par le législateur et figurent dans le projet de loi; qu'on ne compte pas sur tout un groupe de décisions des tribunaux pour les éclaircir après bien des années.

Très respectueusement, nous proposons que le Sénat exerce ses droits et insiste pour que ces quelques articles du projet de loi C-79 soient peaufinés. On ne devrait pas laisser ces quelques articles mal rédigés ternir cet objectif fort louable de traiter les victimes et les témoins d'infractions avec courtoisie, compassion et respect.

Si le Sénat exige que ces quelques articles soient rédigés plus soigneusement, le public canadien s'épargnera des années de contestations coûteuses sans toutefois que l'objectif plus général de la loi en souffre.

M. Stuart Robertson, conseiller juridique, Association canadienne des journaux: Honorables sénateurs, un peu plus tôt cet après-midi, la ministre McLellan a déclaré que les articles concernant l'interdiction de publication qui figurent dans ce projet de loi visaient à codifier l'affaire Dagenais. On fait savoir qu'il s'agit de l'affaire dans laquelle des frères des Écoles chrétiennes étaient poursuivis devant divers tribunaux et dans diverses régions de l'Ontario parce qu'on alléguait qu'ils avaient commis diverses infractions à l'endroit de jeunes gens. Il existait une ordonnance interdisant la publication de tous les renseignements concernant les poursuites en cours, et ce, jusqu'à ce qu'elles soient terminées. Notamment, cela visait une dramatique de la SRC qui portait sur la question générale de l'Église vis-à-vis des jeunes gens et de la protection des jeunes gens.

La Cour suprême a été pour la première fois très claire sur la question de l'importance relative du droit à un procès équitable par rapport au droit de renseigner la population sur ce procès. Jusque-là, on pensait que le droit à un procès équitable supplantait le droit de renseigner les gens sur ce procès.

La Cour suprême a décidé qu'il n'en était rien. Elle a reconnu qu'il était d'une importance capitale que le processus soit ouvert et que le droit de renseigner les gens sur un procès était tout aussi important dans notre pays que le droit à un procès équitable.

C'était une décision importante. Comme M. Henry l'a dit, les juges doivent prendre en compte divers critères quand il s'agit d'envisager la possibilité d'un huis clos quelconque lors des instances. Les éléments à prendre en compte figurent pour ainsi dire dans cet article. Les honorables sénateurs verront tout de suite l'influence de l'affaire Dagenais dans la rédaction de cet article.

Toutefois, il y a des éléments substantiels qui rendent cet article précaire. Tout d'abord, on ne trouve rien dans le projet de loi qui permette au juge de porter un jugement sur les divers critères énumérés dans cet article. Certains sont-ils plus importants que d'autres? Un critère peut-il en annuler un autre? Sous quel angle voir les choses?

Il a été bien précisé dans l'affaire Dagenais, comme par notre Cour suprême dans un certain nombre de cas, que le principe primordial veut que les tribunaux soient ouverts à moins qu'il y ait une raison convaincante justifiant qu'ils ne le soient pas. Ce qui ne se trouve pas ici.

Je crois que l'affaire Dagenais n'a absolument pas été codifiée, du moins en ce qui concerne cet aspect des plus essentiels.

La ministre a dit qu'il y aurait probablement peu d'interdictions, qu'il s'agirait d'une mesure exceptionnelle. M. Henry a dit avec raison qu'il y avait des milliers d'interdictions faites chaque année. Je ne crois pas qu'il y en aura moins par suite de ce processus, qui est en train d'élargir la portée des ordonnances de non-publication pour la multitude d'infractions prévues par le Code criminel, qui n'étaient pas visées auparavant par ce genre de mesures.

La ministre a dit de ne pas s'inquiéter, qu'il appartenait à la personne qui demande l'ordonnance de justifier l'ordonnance de non-publication. Cela bien sûr a été un facteur très important dans l'affaire Dagenais. La disposition constitutionnelle prévoit que toute demande d'exception à la règle doit être justifiée d'une certaine façon. Le présent projet de loi indique simplement qu'il faut énoncer les motifs pour lesquels on demande l'ordonnance. Il ne prévoit pas que le demandeur doive convaincre le tribunal ou qu'il lui appartient de justifier sa demande. À cet égard, ce projet de loi de toute évidence ne codifie pas la loi actuelle.

Je ne critique pas la position adoptée par la ministre, mais j'y réagis. La ministre a dit que si les circonstances changent et qu'une ordonnance n'est plus nécessaire, il serait possible de comparaître à nouveau devant un juge, et cela permettrait de corriger la situation. Cela témoigne d'une lacune de ce libellé particulier. Il n'existe aucune disposition qui donnerait à un juge le pouvoir d'entendre ce genre de demande.

De même, il n'existe aucune disposition dans ce projet de loi qui permettrait de faire appel de toute ordonnance discrétionnaire qui serait rendue.

M. Henry avait raison lorsqu'il a dit qu'une fois qu'une ordonnance est rendue, elle est rendue. Il n'y a pas grand-chose que l'on peut y faire. Je ne crois pas que les témoignages que nous avons entendus plus tôt correspondent nécessairement à ce que nous croyons être le cas.

Je tiens simplement à bien préciser aux honorables sénateurs que cette question en particulier comporte deux aspects qui nous préoccupent beaucoup. Le premier concerne les dispositions relatives à l'ordonnance obligatoire qui modifieraient la loi actuelle, qui existe depuis environ une douzaine d'années, en ajoutant quelques infractions criminelles plus précises. Dans ces cas précis, un témoin ou un plaignant -- pas une victime -- ou l'avocat peut demander une ordonnance. M. Henry a décrit de façon éloquente un cas où le témoin ou le plaignant ne sont même pas au courant qu'une ordonnance a été rendue. L'ordonnance a été rendue parce qu'on l'a demandée, et la partie lésée n'en savait rien.

Nous sommes d'accord avec l'argument de M. Henry, mais la disposition relative à l'ordonnance obligatoire ne nous pose pas vraiment problème.

Ce qui nous pose problème, ce sont les dispositions des paragraphes 486(4.1) à (4.9). Il s'agit des ordonnances discrétionnaires, où on utilise le mot «victime», que nous considérons comme imprécis. C'est la source de la disposition qui empêche de même faire rapport de la demande d'une telle interdiction.

Pour reprendre la proposition de M. Mills, c'est uniquement en ce qui concerne le deuxième aspect -- c'est-à-dire l'ordonnance discrétionnaire -- que le présent projet de loi nous pose problème.

Le sénateur Beaudoin: Ma question porte sur l'affaire Dagenais. La ministre de la Justice a dit que l'objet du projet de loi dont nous sommes saisis est de codifier l'affaire Dagenais. Si je comprends M. Mills et M. Robertson, vous dites exactement le contraire. Autrement dit, le projet de loi C-79 n'est pas une codification de l'affaire Dagenais, mais un texte de loi qui ne respecte pas le principe de l'affaire Dagenais.

M. Mills: C'est exact.

Le sénateur Beaudoin: J'aimerais savoir exactement ce que vous voulez. Vous ne vous opposez qu'à un seul article du projet de loi. Est-ce exact?

M. Robertson: Nous nous opposons aux dispositions des paragraphes 486(4.1) à (4.9) du projet de loi.

La présidente: Vous vous opposez à chacune de ces dispositions?

M. Robertson: Oui.

Le sénateur Beaudoin: Habituellement, la liberté d'expression est interprétée de façon large par la Cour suprême. Nous en avons de nombreuses indications. Comme vous le savez, la cour n'est pas toujours unanime. Nous avons quatre ou cinq grands cas relatifs à la liberté d'expression, mais aujourd'hui la tendance est d'interpréter cette notion de façon large.

Certains des juges dissidents ne font plus partie de la cour. Nous avons de nouveaux juges et nous ne savons pas exactement de quel côté ils se rangeront.

À votre avis, les paragraphes proposés 4.1 à 4.9 enfreignent-ils l'article 2 de la Charte relatif à la liberté d'expression et sont-ils impossibles à justifier dans une société libre et démocratique? Est-ce ce que vous soutenez?

M. Robertson: Oui. Une ordonnance qui interdit la publication va à l'encontre de la liberté d'expression. Nous considérons qu'elle pourrait être contestée en vertu de l'article 1 de la Charte. C'est exactement ce que nous sommes en train de dire.

Le sénateur Beaudoin: Il peut s'agir d'une violation prima facie. Nous nous entendons là-dessus.

M. Robertson: Oui.

Le sénateur Beaudoin: La question, c'est le critère. C'est une chose de violer la liberté d'expression. C'est une autre chose de dire que cela n'est pas justifié dans une société libre et démocratique. Vous dites que c'est là la lacune des dispositions en question du projet de loi.

Quel était en premier lieu l'objectif de l'interdiction en ce qui concerne les jeunes? C'est probablement une question de protection, parce qu'ils sont jeunes. Ils n'ont pas la même protection qu'un adulte. C'est pourquoi nous avons prévu dans notre législation une forme quelconque d'interdiction. Vous dites que nous vivons dans une société démocratique et que cette interdiction va trop loin. Vous dites que la liberté d'expression devrait prévaloir.

C'est tout à fait discutable, j'en conviens totalement, mais où doit-on fixer les limites? Vous ne vous opposez pas à un certain type d'interdiction.

M. Robertson: Non, pas du tout. Ce qui nous préoccupe, c'est surtout le raisonnement par lequel le juge arrive à cette décision. Ce que nous disons -- et nous considérons que l'affaire Dagenais est très claire à ce sujet -- c'est qu'il faut partir du principe que le processus est ouvert. Cela doit être la position de départ. Il incombe alors au demandeur d'exposer les raisons pour lesquelles ce processus ne devrait pas être ouvert. Il faut qu'il présente ses arguments. Nous considérons que c'est la position qui a été adoptée dans l'affaire Dagenais. Mais ce n'est pas ce que prévoit le projet de loi. Le projet de loi prévoit qu'un juge peut envisager toute une série de choses, et c'est tout ce que prévoit le projet de loi.

Notre objection n'est peut-être pas aussi importante qu'elle le semble à première vue. Il s'agit d'un problème qui peut être réglé en disant exactement ce que je viens de dire. Le processus doit être ouvert, à moins qu'il n'existe des arguments convaincants soutenant le contraire. Cela aidera certainement les juges à décider s'il existe des motifs qui justifient la non-publication. Cela dépend simplement de la façon dont on aborde cette question.

Les choses vont se passer comme l'a dit M. Mills. C'est-à-dire que lorsqu'une ordonnance sera rendue qui ne semblera pas basée sur une forme quelconque de présomption d'ouverture, des demandes seront présentées. C'est à ce moment-là que les dispositions proposées seront examinées.

Je crois qu'au bout du compte on donnera raison à la ministre. La Cour suprême aura probablement une autre affaire Dagenais. La cour déclarera qu'en ce qui concerne cette loi, si vous prévoyez la présomption, tout ira bien. Si vous ne prévoyez pas la présomption, les tribunaux seront libres de décider des motifs qu'ils accepteront.

Je conclurai en disant qu'il y a eu un gagnant dans l'affaire Dagenais, et que ce gagnant a été la SRC. Je m'incline devant le gagnant.

M. Henry: Je dois signaler deux choses. J'étais avocat dans l'affaire, mais je n'ai pas plaidé. Un certain M. Binnie a plaidé pour nous. Il est maintenant juge de la Cour suprême du Canada. Cela a été une importante victoire pour les médias. Les tribunaux avaient l'habitude de considérer que lorsqu'il fallait décider entre un procès équitable et la liberté d'expression, c'était toujours le procès équitable qui l'emportait. La décision rendue dans l'affaire Dagenais a apporté un changement très clair à cet égard. Elle a indiqué qu'il faut établir un équilibre entre la liberté d'expression et un procès équitable; ces deux aspects sont égaux. À l'heure actuelle, nous publions beaucoup plus d'informations au sujet de procès qu'auparavant, en sachant que nous avons la protection de l'affaire Dagenais.

Je crois que ce que mes collègues disent, c'est que la ministre indique qu'elle est en train de codifier le projet de loi. Si cela était supprimé, selon le raisonnement de la ministre, rien ne serait perdu, parce que Dagenais existerait toujours et que cette protection demeurerait.

De toute évidence, il se passe quelque chose qui va au-delà de la codification. La ministre s'est échappée à un certain moment et a dit qu'il s'agissait d'un élargissement -- et je ne devrais peut-être pas l'obliger à s'y tenir. Elle s'est reprise et a dit qu'il s'agissait d'une codification de la loi existante. Je pense qu'une interprétation juste de cette disposition, c'est qu'elle va au-delà de Dagenais et ne respecte pas la décision rendue dans l'affaire Dagenais.

J'ai discuté de cette question avec mes collègues de la Justice, et je sais qu'ils sont d'un avis différent. Je vous laisse le soin d'en décider. Examinez la décision Dagenais, si vous le souhaitez. Lisez les principes. Mon collègue en a fait une bonne analyse. Vous avez devant vous un mémoire d'un groupe d'avocats des médias d'un bout à l'autre du Canada, le groupe Ad Idem. À la page 7 de leur mémoire, vous pourrez prendre connaissance d'une autre analyse de la décision Dagenais et de cette disposition et de la raison pour laquelle cette disposition laisse à désirer selon les principes énoncés dans l'affaire Dagenais.

Je pense que vous pourriez dire ce qui suit: la ministre considère que cela fait partie d'un processus. Vous pourriez dire à la ministre: «Éliminons cette disposition. Au fur et à mesure que se déroule le processus, revoyons cette disposition et rédigeons-la d'une manière qui soit conforme à la décision Dagenais, parce que ce que nous tâchons de faire, c'est de codifier la loi existante.» Ce serait une option raisonnable, parce que la ministre dit que tout ce que nous tâchons de faire, c'est de codifier la décision Dagenais.

Bien entendu, ce qui n'est dans l'intérêt de personne, qu'il s'agisse des victimes ou des médias, c'est d'avoir d'innombrables procès inutiles -- ce qui n'est bon ni pour les victimes ni pour personne -- pour régler une question qui pourrait être résolue grâce au dialogue et au débat. Alors nous pourrions nous entendre sur une disposition qui respecte peut-être les principes énoncés dans Dagenais. Cela est possible.

Le sénateur Beaudoin: Le problème de notre comité, c'est que si effectivement le projet de loi codifie l'affaire Dagenais, la question est close. Nous sommes satisfaits du projet de loi parce qu'il s'agit d'une codification d'une affaire.

Le sénateur Nolin: Il n'y a rien de mal à en faire plus. Ce projet de loi continuerait de toute façon à exister.

Le sénateur Beaudoin: C'est exact. Cependant, si ce projet de loi codifie Dagenais, la décision de la Cour suprême, il n'y a rien de mal là-dedans. Ce n'est pas ce que vous êtes en train de dire. Vous êtes en train de dire: non, cela va plus loin; il s'agit plus que d'une codification de l'arrêt Dagenais. Si vous avez raison, il nous incombe d'examiner cette situation de très près et de nous demander si ce projet de loi est conforme à la décision rendue par la cour.

Bien entendu, il est toujours possible d'apporter des améliorations. Un projet de loi peut être plus précis et détaillé qu'une décision de la cour. Ce n'est toutefois pas ce que vous dites. Vous ne dites pas que le projet de loi améliore l'arrêt Dagenais. Vous dites que le projet de loi ne codifie pas l'arrêt Dagenais. Selon vous, c'est là le problème.

Je comprends exactement ce que vous dites. La raison pour laquelle vous arrivez à cette conclusion, c'est que cela ne peut pas être justifié dans une société libre et démocratique où la liberté d'expression doit faire l'objet d'une interprétation libérale. C'est là votre argument.

M. Robertson: Je tiens à préciser que ce qui permettrait de régler le problème et de rendre cette disposition conforme à la position adoptée selon nous par la Cour suprême consisterait à prévoir en ce qui concerne l'ordonnance discrétionnaire, c'est-à-dire les dispositions 4.1 à 4.9, la présomption selon laquelle le système judiciaire est ouvert à moins qu'il n'existe des arguments convaincants permettant de soutenir le contraire.

Je tiens à insister sur le fait qu'il s'agit d'un problème qui peut être réglé. Il s'agit simplement de décider d'ajouter ou non cette présomption. Si on ne le fait pas, cela soulèvera un problème à la Cour suprême. Si on le fait, je crois que cela sera acceptable pour la Cour suprême.

Le sénateur Beaudoin: Proposez-vous un amendement?

Le sénateur Nolin: Monsieur Robertson, le paragraphe (4.7) du projet de loi C-79 comprend une liste de critères. Il y a une gradation de a) à h). On pourrait soutenir que les critères énoncés à l'alinéa a) sont plus importants que ceux énoncés à l'alinéa b), et ainsi de suite. Même si nous tâchons de codifier Dagenais, cette décision continuera d'exister. La cour pourra nous dire: «Bon, vous vous êtes essayés. Très bien, mais notre décision est toujours en vigueur.»

Si la transparence d'un procès est le principe fondamental et que nous adoptons le projet de loi C-79 tel qu'il est libellé à l'heure actuelle, cela demeurera le facteur primordial dont tiendra compte le juge lorsqu'il rendre une décision. N'êtes-vous pas d'accord? Le juge dira: «Le projet de loi C-79, oui; je n'en dois pas moins tenir compte de Dagenais.»

M. Mills: Vous vous trouvez alors à inviter les tribunaux à rédiger les lois au lieu des législateurs. Pourquoi ne pas le faire maintenant?

[Français]

Le sénateur Nolin: Non, je comprends qu'on ne commencera pas ce débat. Je vous dis qu'on n'essaiera pas de faire une loi parfaite, c'est impossible. On a déjà essayé et les tribunaux nous ont dit que c'était impossible. Par contre, lorsque le ministère nous dit qu'il tente de codifier, je ne pense pas que la ministre croit fondamentalement que cette loi nous permettrait de nous éloigner de la jurisprudence établie dans la décision de Dagenais. Je suis certain que ce n'est pas ce qu'elle voulait dire. Si l'arrêt Dagenais établit l'ordre de priorité, vous parlez d'une présomption. La règle de base dit que le procès est public. Le projet de loi ne prévoit pas cela. Cette présomption va toujours exister. Je n'abdique pas mon pouvoir parlementaire. Au contraire, je pense que le projet de loi et la liste de critères me semblent un bon encadrement au pouvoir discrétionnaire du juge. Je ne repousse pas votre argument. On va le considérer et on veut aussi entendre vos collègues du ministère de la Justice.

[Traduction]

M. Mills: Le problème, comme M. Robertson l'a dit, c'est que cela ne donne pas vraiment beaucoup d'indications au juge sur la façon d'envisager ce genre de choses. La liberté d'expression, qui, selon l'affaire Dagenais, a autant d'importance que le critère énoncé à l'alinéa a), se trouve à l'alinéa g) sur cette liste. Il s'agit donc d'un établissement implicite des priorités.

Le sénateur Nolin: C'est un argument que l'on pourrait faire valoir, mais ce n'est pas un bon argument.

M. Mills: Il s'agit de deux droits constitutionnels, et la liberté d'expression a fait l'objet de cet arrêt récent de la Cour suprême. Il doit donc exister une présomption selon laquelle les tribunaux sont transparents. Cet élément doit être reconnu. Les autres critères, à savoir l'intérêt de la société à encourager la dénonciation des infractions et ce genre de choses, sont également des choses dont on peut tenir compte. Cependant, la présomption de base devrait être que le système de justice est transparent et que tous les Canadiens devraient savoir autant que possible ce qui se passe dans leurs tribunaux. Et je ne crois pas que ce soit le cas ici.

Le sénateur Beaudoin: Je suis d'accord avec vous lorsque vous dites que la justice est transparente. Il y a la célèbre affaire Sussex de 1924, qui dit que non seulement la justice doit être rendue, mais doit être considérée comme étant rendue.

C'est habituellement l'affaire invoquée par les médias, bien entendu, mais je suis sûr qu'il faut appliquer de nombreux droits en même temps: le procès équitable, la liberté d'expression et d'autres droits. Ils sont tous importants. Pour moi, il s'agit d'une question d'équilibre. Au bout du compte, qu'est-ce qui est acceptable dans une société libre et démocratique? C'est là le problème. Vous dites que l'article 4 tel qu'il est libellé n'est pas conforme à ces principes.

M. Mills: Oui.

Le sénateur Beaudoin: J'y réfléchirai.

Le sénateur Pearson: Je ne suis pas une spécialiste de la rédaction des lois, bien que j'en aie appris beaucoup depuis que je suis ici. Je suis certainement consciente de la différence qui existe dans la version anglaise entre le mot «may» et le mot «shall». Le fait que dans la version anglaise de la disposition 4.7 on utilise «shall» signifie que le juge doit prendre en compte tous ces principes. Il n'est pas important de savoir lequel a priorité, étant donné que chacun d'entre eux doit être pris en compte.

Bien entendu le mot «peut» au paragraphe 4.1 est discrétionnaire, ce qui à mon avis semble résulter de l'hypothèse selon laquelle les procès sont transparents, sauf -- et c'est là que le mot «peut» intervient -- en cas d'ordonnance de non-publication, et pour rendre une telle ordonnance le juge doit prendre en compte tous ces critères.

Contrairement à vous, je ne considère pas qu'il s'agit d'une liste vague. Elle me semble très claire. Tout juge qui agit dans le cadre de la Charte des droits et libertés est conscient de tous ces différents critères. Il est impossible qu'il ne s'assure pas de les prendre tous en compte. Le premier principe est le droit à un procès public et équitable. Cela ne me pose aucun problème. Vous devriez me convaincre que cela pose problème.

M. Mills: Je vais laisser M. Robertson en parler également. Mais je dirais que les juges sont tous différents. Ce sont des êtres humains ayant différents antécédents personnels. Avec certaines indications, une simple liste, certains d'entre eux accorderont une importance différente à ces principes ou à ces critères, et les décisions varieront en fonction des juges, et ces décisions seront contestées et feront l'objet de longs procès pour essayer de régler la question.

Le sénateur Nolin: Nous vous reverrons dans deux ou trois ans et nous nous inclinerons devant vous et nous vous dirons: «Vous aviez raison.»

M. Robertson: Nous ne pensons pas que vous voulez en arriver là. C'est la raison pour laquelle nous sommes ici maintenant: nous tâchons avec beaucoup de respect de vous signaler le problème. Il s'agit d'une brûlante question de droit qui pourrait fort bien au bout du compte être jugée par la Cour suprême conformément à l'arrêt Dagenais. Cependant, d'ici là, il y aura des centaines, voire des milliers, de causes dans tout le Canada dont l'issue variera, et les gens essayeront de s'en servir pour tâcher de trouver dans la loi un moyen d'en appeler. Il y aura des procès à n'en plus finir. Dans deux ans vous direz: «Vous aviez raison, mais n'est-ce pas dommage?» De nombreuses victimes auront dépensé beaucoup d'argent.

Le sénateur Nolin: Mais qu'est-ce qui vous préoccupe vraiment? Quel est le noeud du problème? Est-ce un conflit entre les critères a) et b)? Est-ce que vous avez des objections à ce qu'un juge soit chargé d'évaluer le conflit?

M. Robertson: Absolument pas. Je n'ai pas d'objection à ce qu'un juge prenne cette décision. Cela est conforme à l'arrêt Dagenais. La question est la suivante: est-ce que le juge parcourra la liste de principes parce qu'il doit prendre en compte tous les critères qui y figurent?

Le sénateur Nolin: Il pourrait même inclure quelque chose que nous avons oublié, comme à l'alinéa h). Je pensais que vous alliez soulever cet aspect.

M. Robertson: Nous attaquons simplement la ministre, pas les juges. Non. Il faut que le juge parcoure la liste et examine les divers principes. La question consiste à déterminer comment on les évalue. Après les avoir tous pris en compte, comment les évaluez-vous? La Cour suprême nous dit que la façon de procéder, c'est de commencer par le principe de la transparence. C'est tout ce que nous proposons.

Vous avez raison. Si vous n'agissez pas maintenant et que ce projet de loi est adopté tel quel, la Cour suprême finira, après de nombreux procès coûteux, par dire: les juges sont liés par l'arrêt Dagenais, et la cour fera de son mieux pour tâcher de déterminer comment interpréter l'ordre d'importance de ces sept principes, et c'est le genre de jeu que l'on jouera. C'est la raison pour laquelle nous sommes ici. Nous ne vous encourageons pas à dire: «Ne laissez pas les juges le faire; ne prévoyez pas d'ordonnances discrétionnaires.» Nous vous demandons de leur fournir la méthode. Que l'on commence par le principe de la transparence et qu'on établisse ensuite les priorités en conséquence. C'est une simple question de libellé. En examinant cette question, ils devront prendre en compte ces sept critères.

M. Henry: En réalité, si c'est véritablement la codification de Dagenais, elle protège ainsi les victimes et les témoins. Ils peuvent invoquer la liste des principes de l'arrêt Dagenais, en tirer ces arguments et obtenir ces interdictions sans la codification, sans les problèmes associés à son interprétation et sans avoir à dire s'il s'agit d'une loi parfaite ou imparfaite. Voilà ce qu'on peut faire actuellement. Si cette mesure n'ajoute aucune protection qui ne figure déjà dans Dagenais, comme l'affirme la ministre, pourquoi nous condamner tous à passer par ce contentieux? Voilà la question. La ministre n'a pas dit que cette disposition était urgente. Il a dit: «Ce n'est pas urgent, puisqu'il s'agit d'une codification.»

Le sénateur Beaudoin: Pour le Parlement du Canada, il est avantageux d'occuper son propre terrain et de dire: «Voici la loi telle que nous la concevons.»

J'ai toujours considéré que parfois le Parlement n'a pas assez de bravoure et de courage pour légiférer. La Cour suprême elle-même invite de temps en temps le Parlement à légiférer. S'il s'agit là d'un point de vue sur l'arrêt Dagenais, eh bien, ce n'est pas mauvais. Je pense qu'il est bon que le Parlement se prononce. La loi indique que nous sommes tous d'accord sur ce qu'a énoncé la Cour suprême dans cet arrêt. Rien ne s'oppose à ce qu'une loi codifie l'arrêt Dagenais, mais il y a une controverse. Certains prétendent qu'il ne s'agit pas d'une codification de l'arrêt Dagenais. Évidemment, cet arrêt reste en suspens jusqu'à ce que la Cour suprême se prononce. Vous vous souvenez de l'affaire Oakes, où il était question de l'article 1 de la Charte. Plusieurs arrêts ont été rendus dans cette affaire, et tous les étudiants en droit du Canada les ont analysés.

Nous sommes en présence d'une affaire très délicate où l'on trouve un juste procès, des audiences publiques, la liberté d'expression, la protection de la vie privée, la sécurité; tout y est. Évidemment, il faut appliquer tous ces principes de façon équilibrée. Il n'y a pas d'autre solution. Vos conclusions ne seront pas nécessairement les nôtres, mais, en définitive, c'est la Cour suprême qui va trancher. Je suis d'accord avec vous, notre devoir est d'étudier la question en fonction de nos connaissances.

Le sénateur Nolin: En ce qui concerne l'alinéa b), qui porte sur le droit de la victime ou du témoin et le préjudice éventuel, le projet de loi dont nous sommes saisis comporte des réserves. Il n'est pas question d'un préjudice «prétendu». Il faut un risque réel et fondamental, ainsi qu'un préjudice important. Le juge doit en être convaincu.

Nous ne sommes pas parfaits, même si nous essayons de l'être. Vous avez votre opinion; nous avons la nôtre.

M. Robertson: Je ne pense pas que d'après cette disposition le tribunal doive être convaincu qu'il existe un risque important que la victime ou le témoin subisse un grave préjudice en cas de divulgation de son identité. Ce n'est que l'un des problèmes du projet de loi, que le juge devra régler. Il n'a pas à être convaincu qu'il y aura préjudice.

Le sénateur Nolin: Il devra quand même en tenir compte.

M. Robertson: Oui, mais il n'est pas obligé.

La présidente: Il n'y a pas vraiment lieu de considérer la question à moins que cela ne nous amène à une conclusion.

M. Mills: L'autre élément de l'arrêt Dagenais, c'est qu'une éventuelle interdiction doit être minime et limitée. Il ne peut exister aucune autre solution pour atteindre l'objectif de préservation de la sécurité du témoin. Le juge doit envisager toutes les autres possibilités et prononcer l'interdiction la plus étroite possible pour atteindre cet objectif. Je ne pense pas que ce soit ce qu'on trouve dans la loi.

Le sénateur Nolin: Vous avez parlé de délai. C'est un sujet qui me préoccupe, mais nous pouvons aussi énoncer des critères, et Dagenais ne disparaîtra pas du jour au lendemain. Si nous nous trompons et que nous entrons en concurrence avec l'arrêt Dagenais, qui va l'emporter la moitié du temps, à votre avis?

Le sénateur Beaudoin: Quand on parle de liberté d'expression, il faut faire très attention. La cour n'aime pas l'interdiction totale. Nous l'avons constaté dans l'affaire RJR-MacDonald. Elle est d'avis que si l'interdiction n'est pas totale, elle peut être conforme à la Charte.

Dans cette situation-ci, les choses sont plus difficiles. Il y a de nombreux droits dont il faut tenir compte en même temps. Ce projet de loi-ci traite des jeunes. C'est un objectif précis.

Il y a 350 causes qui se rapportent à la Charte, avec bien des décisions qui ont reçu une majorité ferme et parfois une majorité forte, même si ce n'est pas très souvent.

Comment s'assurer que le projet de loi C-78 respecte la Constitution? On peut toujours se poser la question.

La présidente: Je vous remercie d'être venus témoigner. Vous avez certainement stimulé la discussion.

Le groupe suivant vient du ministère de la Justice. Monsieur Roy et madame Kane, veuillez reprendre vos places. Monsieur Roy, avez-vous des réponses à certaines de ces questions controversées qu'on nous a posées?

M. Roy: Honorables sénateurs, je ne sais pas si j'ai des réponses, mais j'ai certainement des commentaires à faire, et je peux vous faire part de mes réflexions.

Je conviens avec M. Henry et M. Robertson que la décision dans l'affaire Dagenais insistait sur l'importance d'équilibrer des intérêts -- dans ce cas-ci des intérêts constitutionnels -- qui ne sont pas toujours convergents. L'enjeu de l'affaire Dagenais est généralement reconnu. C'est ainsi que nous l'interprétons, et cela correspond à l'interprétation du droit constitutionnel avant Dagenais.

D'autres causes impliquent certaines dispositions de la Constitution susceptibles d'être interprétées comme contraires à la Charte. D'après la Cour suprême, dans ces cas nous ne devrions pas essayer de voir de contradiction entre les dispositions de la Constitution, mais nous devrions plutôt essayer de les concilier. Dans l'affaire Dagenais, ils ont donc dit que les droits constitutionnels ne seraient pas convergents. Ils se posent donc la question de savoir s'il existe une hiérarchie parmi ces droits, et la cour a clairement répondu par la négative.

Je ne suis pas d'accord avec l'interprétation de M. Robertson et M. Henry selon laquelle les paragraphes 486(4.1) à 486(4.9) ne constituent pas une bonne codification de la décision Dagenais. Avec tout le respect que je dois à ces éminents juristes, j'ai une interprétation complètement différente du paragraphe 486(4.7). Cela se trouve au coeur de cette discussion.

Dans ce paragraphe proposé, à la page 5 du projet de loi, se trouvent énumérés les critères que la cour doit prendre en compte lorsqu'elle évalue les intérêts en jeu. Plusieurs de ces intérêts sont basés sur la Constitution. Je vous signale l'alinéa proposé 486(4.7)a), le droit à un procès public et équitable. Cela s'applique à l'article 11d) de la Charte canadienne des droits et des libertés.

Passons maintenant à l'alinéa proposé (4.7)b):

le risque sérieux d'atteinte au droit à la vie privée de la victime ou du témoin si leur identité est révélée;

En français, c'est encore plus clair, puisque le mot anglais «privacy» est traduit par «vie privée». Cela se rapporte à l'article 8 de la Charte des droits et des libertés.

C'était le fond du problème dans l'affaire Dagenais. D'un côté, les médias prétendent jouir d'un droit d'expression reconnu par la Constitution. La liberté de la presse est effectivement reconnue par la Constitution. L'autre intérêt en jeu, c'est la vie privée des personnes qui comparaissent devant la cour. Cet intérêt est également protégé par la Constitution, et c'est reflété dans ce projet de loi.

L'alinéa proposé (4.7)c) parle de:

la nécessité d'assurer la sécurité de la victime ou du témoin [...]

Cela se rapporte à l'article 7 de la Charte, où il est question du droit à la sécurité de la personne, cette sécurité étant protégée par l'État.

Je vous signale ensuite l'alinéa proposé (4.7)d), qui encourage la dénonciation des infractions. Cet alinéa relève plutôt d'un bon principe. Je ne vais pas vous dire qu'il est consacré par la Constitution, parce que ce n'est pas le cas.

Passons ensuite à l'alinéa proposé (4.7)e):

l'existence d'autres moyens efficaces permettant de protéger l'identité de la victime ou du témoin;

M. Mills et M. Robertson ont soutenu que nous n'avons pas suffisamment envisagé la possibilité d'autres moyens avant d'ordonner la non-publication. C'est justement là la raison d'être de l'alinéa e).

Je vous fais remarquer ensuite l'alinéa f), qui oblige le tribunal à prendre en compte les effets bénéfiques et préjudiciables de sa décision. Nous en avons déjà énuméré plusieurs. Le tribunal doit être convaincu que les effets bénéfiques de la non-publication sont plus importants que les effets préjudiciables. Il y aura des effets préjudiciables, car s'il y a non-publication, cela signifie que la liberté de la presse et la liberté d'expression auront été atteintes d'une certaine façon. Cela ne fait aucun doute.

Le tribunal doit tenir compte de tous ces éléments. Si, en fin de compte, il détermine qu'il faut une interdiction, il ne faut pas oublier que c'est une interdiction de portée limitée. Il s'agit de la non-publication de l'identité de la personne concernée. Il ne s'agit pas d'interdire l'accès à la salle d'audience. Il ne s'agit pas d'interdire la publication de ce qui s'est passé au cours du procès. Il s'agit simplement de ne pas donner des renseignements qui permettent d'identifier la victime.

Si cela est anticonstitutionnel, nous avons un problème. Il est possible que certains juges ne donnent pas suffisamment de poids à certains de ces facteurs. Je ne partage pas l'avis selon lequel la liberté de la presse doit l'emporter sur tous les autres droits dont il est question ici.

Je croyais que la décision Dagenais établissait bien qu'il n'y avait pas d'ordre hiérarchique. En fin de compte, le juge doit en arriver à une décision. Si les facteurs n'ont pas été bien évalués, la Cour suprême du Canada, dans l'arrêt Dagenais, offre une possibilité d'en appeler de ces décisions.

Vous vous posez peut-être la question de savoir pourquoi nous n'avons pas codifié ces aspects de la décision Dagenais dans le projet de loi. La raison, c'est que nous voulions que le projet de loi soit consacré aux victimes. Un de ces jours, moi-même ou quelqu'un d'autre du ministère de la Justice va venir vous présenter un projet de loi qui va réorganiser toute la question des appels et des recours dans un contexte beaucoup plus large que celui de la décision Dagenais. Lorsque cela se fera, il faudra le faire de façon détaillée. Ce projet de loi n'est pas l'instrument approprié.

À mon sens, ces facteurs ne sont rien d'autre que les critères dont il faut tenir compte pour en arriver à une bonne décision. Je suis tout à fait d'accord avec le sénateur Beaudoin et le sénateur Nolin pour dire que Dagenais, pour ce qui est du genre de poids à donner à ces différents facteurs, continue à influencer la décision des juges concernant les ordonnances de non-publication. Cela fait encore partie de notre droit.

Ce projet de loi-ci établit le cadre. Il ne précise pas quel poids il faut donner aux différents facteurs, car le droit dans ce domaine, comme dans d'autres, évolue toujours. Jusqu'ici nous n'avons pas cherché à cristalliser ni à arrêter l'évolution du droit concernant cette question. Je sais que Mme Kane voudra intervenir.

Mme Kane: J'ai deux petites observations à faire. Concernant le commentaire selon lequel il n'y a pas de disposition qui cherche à limiter cette interdiction autant que possible, nous précisons bien ici que l'ordonnance de non-publication qui est imposée peut être sujette à toutes les conditions décidées par le juge. Elle pourrait se limiter à une certaine région; il pourrait y avoir des limites temporelles, et cetera. Tout cela est clair. Le juge dispose de toute la souplesse voulue pour déterminer quel genre d'ordonnance doit s'imposer.

J'aimerais faire une précision, puisqu'on a parlé de codification de l'affaire Dagenais. Je pense qu'il faudrait plutôt parler d'une codification des principes de l'affaire Dagenais, car il est souvent impossible de codifier la décision de la cour dans le Code criminel. Il faut faire les adaptations imposées par le libellé du code, et, dans ce cas, nous parlons de la non-publication de l'identité des victimes et des témoins. Dans l'affaire Dagenais, c'est l'accusé qui demandait la non-publication et non pas seulement par rapport à son identité. Il cherchait à obtenir une ordonnance interdisant totalement la radiodiffusion d'un feuilleton particulier. La portée de l'interdiction était donc beaucoup plus grande. Le tribunal a établi tous les facteurs dont il faut tenir compte. Lorsque nous nous sommes inspirés de ces facteurs pour dans la rédaction de ce projet de loi, ce sont les principes que nous y avons incorporés. Il a été rédigé avec grand soin.

Personnellement, je suis très inquiet d'entendre dire publiquement que les médias vont contester cette mesure, parce que ceux qui vont en souffrir, ce seront les victimes, qui ont besoin de l'interdiction. À notre époque, tout le monde s'attend à ce que des lois soient contestées. Nous allons nous préparer à défendre celle-ci.

[Français]

Le sénateur Nolin: Vous avez soulevé la question temporelle. La notion de temps me préoccupe un peu. Je comprends que le juge peut assortir sa décision de toutes conditions qu'il juge nécessaires. Vous avez lu les mémoires. Quels sont vos commentaires là-dessus? Il peut arriver qu'un juge n'impose pas de limites ou que personne ne lui demande d'en imposer. On se retrouve dans une sorte de zone imprécise.

M. Roy: Il est important de noter, quant aux limites, le commentaire fait par la ministre lorsque la question lui a été posée par le sénateur Carstairs. Cela fait partie du dossier.

À cet égard, il est important pour les victimes ou les témoins qu'il y ait une certitude relativement aux ordonnances judiciaires. Il est arrivé des cas dont un qui s'est rendu à la Cour suprême du Canada, impliquant un certain Adams, où le juge avait imposé une ordonnance de non publication comme celle-là; entendant le procès, ce juge vient à la conclusion qu'il ne croit plus la victime. Pour punir la victime, il décide de lever l'ordonnance de non publication pour que le nom de cette personne soit rendu public.

Vous aurez noté que l'un des buts visé se retrouve dans le préambule et à l'alinéa (4.7)d). On cherche à encourager la dénonciation des infractions. S'il est possible qu'un juge, parce qu'il décide de le faire, peut lever une ordonnance comme bon lui semble, on a un problème sérieux. Lorsqu'un juge, qui par voie législative se fait dire: vous pouvez poser des conditions comme une limite dans le temps, cela m'apparaît comme étant une indication claire que cela peut être fait. Si ce n'est pas fait, c'est parce qu'un juge aura pris en considération les autres intérêts reconnus à l'alinéa (4.7).

Est-ce qu'il devrait y avoir moyen de lever automatiquement une ordonnance parce que la victime est décédée? Il y a des victimes et des familles impliquées là-dedans. On dit dans le projet de loi qu'une victime est définie comme une personne qui a subi. Il y a des concepts plus larges. Il y a des familles qui doivent être protégées. Ces considérations devraient faire l'objet d'examen par le juge au moment où il rend sa décision. Si la décision n'est pas suffisamment bien soupesée, il y a des appels possibles.

[Traduction]

Nous devions apporter cette précision pour le comité après le commentaire de la ministre.

Mme Kane: Il faut tirer au clair la question de la levée de l'interdiction. M. Roy a cité l'arrêt Adams de la Cour suprême du Canada, qui évoque la façon dont une interdiction automatique peut être rescindée ou révoquée. La cour affirme clairement que la façon de rescinder l'interdiction dépend de sa nature. Dans le cas d'une interdiction automatique imposée en vertu de la loi, il faut que la personne qui a demandé l'interdiction initialement et celle qui en a profité présentent conjointement une demande à un tribunal pour la faire révoquer.

Dans certaines circonstances, lorsqu'une interdiction est imposée en vertu d'une disposition discrétionnaire, une formule plus souple peut être envisagée. On peut mentionner des changements de circonstances par rapport à la situation qui existait au moment où l'interdiction a été demandée. Par exemple, disons qu'une personne demande l'interdiction parce qu'elle ne peut accepter la perspective du procès, et que par la suite elle change d'avis et décide de raconter son histoire, ou qu'après le procès elle décide de divulguer ce qui lui est arrivé. Au cours du procès, elle pourra soulever la question auprès du juge, qui décide de la procédure qu'il va suivre et qui peut rescinder une ordonnance qu'il a lui-même prise. Si le procès est terminé, cette demande pourra être présentée devant le juge d'une cour supérieure sous la forme d'une demande présentée conjointement par la personne qui a demandé l'interdiction, par exemple la Couronne, et par la victime.

On peut y voir un inconvénient pour la victime qui veut raconter son histoire par la suite et qui doit tout d'abord présenter une demande à la cour. Cependant, du point de vue de l'équilibre entre les droits protégés précédemment et le changement ultérieur des circonstances entourant la victime, la présentation d'une demande au juge ne représente pas un fardeau insurmontable.

Nous ne voulons pas envisager de codifier une disposition qui révoque une interdiction, parce que plusieurs y verraient l'indication que l'interdiction n'est que provisoire et qu'elle peut être révisée par la suite. De nombreux justiciables ont besoin de certitude avant d'accepter de participer pleinement à la justice pénale.

La présidente: De surcroît, que se passera-t-il si la victime qui souhaite obtenir une limitation de l'interdiction ne réussit pas à trouver l'autre personne qui est avec elle à l'origine de la demande d'interdiction? Le procureur peut être à l'autre bout du pays.

Mme Kane: Dans la plupart des circonstances, c'est la Couronne. Ce ne doit pas nécessairement être le procureur qui a assuré la poursuite dans cette affaire. La demande initiale a vraisemblablement été faite dans un cas d'agression sexuelle où la Couronne a profité de la première occasion pour demander l'interdiction. Idéalement, la Couronne doit consulter la victime. Bien souvent, si elle n'a pas eu l'occasion d'en discuter à fond avec la victime, elle va demander l'interdiction à la première occasion pour ne pas manquer sa chance et pour obtenir que l'identité de la victime ne soit pas divulguée, avant même d'avoir consulté la victime.

Comme je l'ai dit, idéalement, lorsque la Couronne a consulté la victime et que celle-ci n'a pas exprimé le désir d'obtenir une interdiction de publication, les comparutions ultérieures devant le tribunal seront autant d'occasions, pour la victime, de réviser son point de vue. La Couronne et le plaignant sont présents pour prendre les mesures nécessaires. Le juge doit être convaincu que c'est bien véritablement ce que souhaite la victime, qu'elle n'a pas subi de pressions ou qu'on ne lui a pas fait croire que le procès allait se dérouler comme un charme. La plupart des plaignants et des victimes n'ont aucune idée, au début du procès, de ce qui va se passer, et dans quelle mesure ils souhaitent peut-être éviter la publicité ou la stigmatisation que comportent des poursuites pour agression sexuelle.

La présidente: À l'époque, j'en suis certaine, mais cinq ans plus tard ils auront peut-être repensé à l'affaire et vouloir que ce soit connu du public alors ça devient beaucoup plus complexe.

Le sénateur Lewis: Il y a toujours un remède.

Mme Kane: C'est vrai. Il y a toujours un remède. Ces dispositions existent depuis 1988 dans le Code criminel pour protéger ceux qui se plaignent d'une agression sexuelle. À notre connaissance, aucun plaignant n'a jamais été poursuivi pour avoir violé une ordonnance de non-publication rendue en sa faveur.

La présidente: C'est une bonne réponse. Je présume que certaines des personnes dans cette salle écoutent.

M. Roy: J'aimerais dire quelque chose qui aidera peut-être M. Robertson et M. Henry ou d'autres avocats dans l'avenir. Il n'y a pas d'ordre précis pour les facteurs qui se trouvent au paragraphe 486(4.7). Si certains estiment que la référence à la liberté d'expression qui se trouve à l'alinéa g) constitue un ajout après coup, ce n'est pas le cas.

Encore une fois, c'est peut-être une évidence, mais le tribunal doit peser ces facteurs. Étant donné notre compréhension de chacun de ces facteurs, la liberté d'expression est très importante. Nous ne doutons pas que les tribunaux continueront de lui accorder une grande importance. Il ne faut rien présumer concernant l'ordre de ces facteurs dans le paragraphe 486(4.7). Ce n'est pas le cas.

Le sénateur Pearson: J'ai appris que ces modifications constituent un projet de loi, mais, en fait, il faut connaître tout le Code criminel pour savoir comment tout cela fonctionne. Ce qui n'est pas dans le projet de loi peut être dans le code.

Il s'agit de l'ordonnance de non-publication pour les personnes de moins de 18 ans. C'est obligatoire.

Mme Kane: Cette disposition s'applique lors de poursuites pour infractions d'ordre sexuel lorsque le plaignant et les témoins ont moins de 18 ans. Dans ces circonstances, c'est automatique.

Le sénateur Pearson: En fait, ce seront les procureurs de la Couronne qui vont demander une ordonnance de non-publication pour les personnes autres que celles qui ont moins de 18 ans.

Mme Kane: C'est exact. Cela s'est passé dans quelques cas. Il y a eu l'affaire Paterson devant la Cour d'appel de la Colombie-Britannique. Trois témoins ont demandé que leur identité soit protégée. Ils avaient été témoins d'un meurtre. C'était des homosexuels qui ne voulaient pas que ce soit rendu public parce que cela pouvait nuire à leur vie professionnelle. La Cour d'appel de la Colombie-Britannique a confirmé l'ordonnance de non-publication de leur identité en disant que le tribunal avait pesé tous les facteurs dont on avait fait état dans Dagenais, et avait dûment équilibré ces facteurs pour décider que l'ordonnance constituait une limite raisonnable à la liberté d'expression, et que le juge avait utilisé son pouvoir discrétionnaire d'une façon conforme aux dispositions de la Charte. Le résultat serait le même si l'on invoquait cet article du code plutôt que le common law.

Le sénateur Pearson: En pratique, comment cela passerait-il si quelqu'un qui avait alors moins de 18 ans voulait aujourd'hui son histoire? Il a maintenant 30 ans, et il veut écrire une autobiographie.

Mme Kane: Il veut divulguer qu'il a été victime d'une agression sexuelle. Il va falloir qu'il s'assure de ne pas violer l'ordonnance de non-publication qui le protégeait et qui protégeait aussi d'autres personnes, parce que souvent les affaires impliquant de jeunes personnes impliquent aussi les membres de la famille. Lorsqu'il s'agit d'abus commis dans une institution, d'autres personnes dans l'institution sont impliquées. Il faut faire très attention de ne pas violer la protection de ces autres personnes.

Il devrait demander la révocation de l'ordonnance. Il faudrait faire une demande faisant état de nouvelles circonstances. La maturité serait une nouvelle circonstance. Au moment de l'application de l'ordonnance, il était jeune. Maintenant, il est prêt à assumer les conséquences.

Le sénateur Pearson: Votre bureau peut-il devenir un point d'entrée pour ces jeunes? Disons qu'ils déménagent ailleurs et ne savent pas quoi faire. Vers qui peuvent-ils se tourner?

Mme Kane: Nous pouvons leur fournir des renseignements sur le déroulement approprié du processus. Au-delà de cela, la question relève des tribunaux. Ils devront à ce moment-là présenter une demande. C'est certainement au-delà de la capacité de ce que peut faire le bureau fédéral. Nous ne procurons aucune aide juridique aux particuliers. Nous ne le faisons pas actuellement dans quelque contexte que ce soit. Nous fournirions de l'information d'ordre général qu'ils pourraient utiliser pour trouver le bon correctif.

Le sénateur Lewis: Ensuite, c'est entre les mains des avocats.

Le sénateur Pearson: Il semble y avoir beaucoup de cas où les gens ont écrit sur les expériences qu'ils ont vécues pendant leur enfance. Est-ce qu'ils sont tous passés par le processus visant à faire lever l'interdiction de publication?

Mme Kane: Il est tout à fait possible qu'ils n'aient pas été assujettis à une ordonnance de non-publication au départ, parce que ces cas-là n'ont peut-être pas été devant les tribunaux. Très souvent, les gens qui écrivent leurs mémoires ne sont pas considérés comme des plaignants dans une poursuite criminelle. Le contrevenant n'a peut-être pas été accusé ou poursuivi.

Comme je le disais tantôt, nous ne sommes pas au courant de circonstances où une personne a été accusée d'avoir transgressé sa propre ordonnance de non-publication.

Le sénateur Pearson: Est-ce que vous allez surveiller cela? De plus en plus de gens racontent leur histoire. On ne veut pas qu'un jeune se retrouve dans une situation où il aurait transgressé une ordonnance dont il ignorait l'existence. C'est une question de partage d'information.

Mme Kane: Oui.

Le sénateur Beaudoin: J'ai une question pour M. Roy. Je suis d'accord pour dire qu'il n'y a pas de hiérarchie des droits et libertés en jeu ici. La Cour suprême l'a dit assez souvent. Maintenant que vous avez vu les deux côtés de la médaille, croyez-vous toujours qu'il s'agit dans une certaine mesure d'une codification? Je suis d'accord pour dire que ce n'est pas une codification comme telle, madame Kane. On a inclus dans le projet de loi les principes établis dans l'affaire Dagenais.

Les témoins précédents ont proposé deux amendements. Je crois que vous n'avez pas changé d'idée et que vous continuez de croire que ces amendements ne sont pas nécessaires dans ce cas-ci.

M. Roy: Oui. Vous avez lu mes pensées.

La présidente: C'est une des réponses les plus brèves qu'on ait entendues de la part de M. Roy.

M. Roy: Je peux en rajouter. Plus tôt aujourd'hui, Mme Vaillancourt a parlé de l'importance de comprendre ce que contient le code. En fait, le sénateur Nolin me regardait directement lorsqu'il pensait comme elle que c'était nécessaire. Je suis au courant de ce besoin.

Pensez aux gens ordinaires, aux Canadiens ordinaires qui veulent une ordonnance de non-publication et qui se font demander d'essayer de comprendre ce que la Cour suprême du Canada a peut-être dit ou non dans une affaire intitulée Dagenais, dont ils n'ont peut-être jamais entendu parler, et qui figure dans un livre qu'ils ne peuvent pas trouver dans leur bibliothèque locale. La ministre de la Justice est très nettement en faveur d'avoir une disposition dans la loi qui donnerait une certaine indication aux Canadiens plutôt que de les forcer à se fier à une jurisprudence qu'ils ne pourront peut-être pas trouver et comprendre.

Le sénateur Beaudoin: C'était effectivement l'objectif de cette disposition. Évidemment, le Parlement peut le faire.

M. Roy: Je suis d'accord.

Le sénateur Beaudoin: Ce sera peut-être controversé, parce qu'on peut toujours trouver quelqu'un dont la pensée est différente. C'est inévitable.

Le sénateur Nolin: Je veux revenir sur la définition de «victime». Je crois déjà connaître la réponse, mais je veux que ce soit clair. La définition de «victime» n'est pas limitée. Elle inclut ce qui apparaît ici. Vous allez probablement me dire que nous devrions garder à l'esprit la définition contenue dans l'amendement proposé à l'article 722.

Mme Kane: La définition contenue dans l'article proposé ne touche que la déclaration de la victime. Elle précise qui peut préparer la déclaration de la victime. Je pense que nous nous entendons tous pour dire que la définition générale n'est pas vraiment une définition. Elle sert seulement à assurer que le mot «victime» comprend la victime d'une infraction présumée dans toutes les situations décrites dans le code où le mot «victime» apparaît.

Nous ne voulons pas qu'on fasse valoir l'argument selon lequel vous ne pouvez pas être une victime avant qu'il y ait déclaration de culpabilité. Dans plusieurs dispositions, nous demandons au tribunal de tenir compte des intérêts de la victime lors du cautionnement et à d'autres étapes avant la déclaration de culpabilité. Il est clair que vous pouvez être une victime, que la personne soit trouvée coupable ou non du crime dont elle a été accusée. Les deux notions peuvent exister indépendamment l'une de l'autre.

Le sénateur Nolin: Pour en revenir à ma question, une personne peut être définie comme victime selon l'article proposé 722 là où il se trouve dans le code.

Mme Kane: Je n'irais pas aussi loin. Nous avons laissé la définition de «victime» ouverte afin que le bon sens et les décisions des tribunaux puissent décider qui est victime. Les articles du Code criminel utilisent le mot «victime» là où la définition dans l'article proposé 722 n'est peut-être pas appropriée. Elle est soit limitée, soit trop vaste. Le bon sens déterminera qui est victime. Il ne fait aucun doute dans l'esprit des gens qui est la victime d'une agression ou d'une introduction par effraction.

Le sénateur Nolin: Je ne pense pas uniquement à la victime directe; je pense à la famille, aux parents. La mère d'une fille qui a été agressée sexuellement est-elle une victime?

Mme Kane: Oui, cette personne peut être une victime, mais lorsque vous interprétez les dispositions voulant qu'on tienne compte de la sécurité de la victime lorsqu'on prend une décision sur un cautionnement, la cour va s'en doute considérer la personne qui a été la victime directe, et non pas tous les membres de sa famille. Cette définition serait trop large dans ces circonstances-là. C'est pourquoi nous avons laissé cela comme non-définition. C'est une notion dont les juges seront saisis au cas par cas. Nous leur faisons confiance pour le faire dans l'esprit de ces amendements.

Le sénateur Lewis: Le juge peut dire: «Vous n'êtes pas une victime.» Ce sera au juge de décider.

Mme Kane: Il peut le faire, mais il faudrait que ce soit un cas assez clair.

Le sénateur Lewis: Je faisais allusion aux autres cas.

Mme Kane: Certainement.

La présidente: Merci beaucoup.

S'il n'y a pas d'autres questions, nous allons passer au huis clos pour quelques minutes.

La séance se poursuit à huis clos.


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