Délibérations du comité sénatorial permanent
des
Affaires juridiques et constitutionnelles
Fascicule 75 - Témoignages
OTTAWA, le mercredi 16 juin 1999
Le comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel a été renvoyé le projet de loi C-82, Loi modifiant le Code criminel (conduite avec facultés affaiblies et questions connexes), se réunit aujourd'hui à 10 h 08 pour entreprendre son étude.
Le sénateurLorna Milne (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente: Honorables sénateurs, je constate qu'il y a quorum.
La ministre McLellan comparaît aujourd'hui devant nous relativement au projet de loi C-82, Loi modifiant le Code criminel (conduite avec facultés affaiblies et questions connexes).
Madame McLellan, vous avez la parole.
L'honorable Anne McLellan, ministre de la Justice et procureur général du Canada: Honorables sénateurs, je suis heureuse de prendre la parole devant vous ce matin pour appuyer le projet de loi C-82.
Comme vous le savez peut-être, cette mesure législative est le fruit des travaux du comité permanent de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes. Il est juste de dire que l'expérience des parlementaires reflète celle de la société canadienne en ce qui a trait à la conduite avec facultés affaiblies. En effet, des membres des deux chambres ont été touchés directement ou indirectement par des tragédies provoquées par la conduite en état d'ébriété. Je tiens à souligner l'engagement personnel de ces personnes afin d'améliorer la situation.
J'ai déclaré publiquement que je considère la conduite avec facultés affaiblies comme un fléau au sein de notre société. Le droit pénal a un rôle à jouer dans le cadre de l'approche intégrée qui doit être adoptée face à ce problème. Je me suis engagée à faire en sorte que les lois pénales remplissent leur rôle en envoyant un message clair portant que la conduite avec facultés affaiblies ne sera pas tolérée.
Cela dit, je ne suis pas naïve au point de croire que le droit pénal en soi éliminera le problème. Dans la lutte menée pour éliminer le problème de la conduite avec facultés affaiblies, il est essentiel d'avoir des mesures d'exécution, de s'occuper de la délivrance des permis de conduire, de traiter les dépendances, de sensibiliser le public et de prendre d'autres mesures préventives. Les gouvernements, les organismes publics et privés, les familles et les particuliers ont tous un rôle à jouer afin que nos routes deviennent plus sécuritaires.
Malgré les progrès importants accomplis depuis une douzaine d'années, il reste encore beaucoup à faire. En 1997, il y a eu environ 1 300 décès attribuables à la conduite avec facultés affaiblies au Canada. Ces 1 300 pertes de vie survenues sur les routes à cause de conducteurs en état d'ébriété représentent plus que le double du nombre de décès causés par des meurtres, dans une année donnée, au Canada.
Les personnes qui conduisent en ayant les facultés affaiblies par l'effet d'une drogue ou de l'alcool se tuent et tuent aussi leurs passagers et d'autres usagers de la route qui ne se doutent de rien.
[Français]
En dépit de programmes importants au cours des 12 dernières années en matière de conduite avec facultés affaiblies, il reste beaucoup à faire pour enrayer ce problème. En 1997, environ 1 300 personnes ont perdu la vie en raison de la conduite avec facultés affaiblies. En plus de se tuer eux-mêmes, les conducteurs sous l'influence de stupéfiants ou de l'alcool tuent leurs passagers ainsi que d'autres automobilistes.
[Traduction]
Le comité permanent de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes a entrepris ses audiences sur le dossier de la conduite avec facultés affaiblies en décembre 1998 et a déposé son rapport le 25 mai 1999. Le rapport du comité renfermait 17 recommandations proposant des mesures législatives et autres. Un avant-projet de loi annexé au rapport du comité comportait neuf propositions de modification du Code criminel. Ces propositions reflétaient neuf des recommandations formulées dans le rapport.
Le gouvernement voulait s'occuper sans tarder de cet important dossier et répondre rapidement aux recommandations du comité permanent qui étaient renfermées dans le projet de loi proposé par ce dernier. C'est ce qui explique que le projet de loi C-82 ait été déposé le 7 juin 1999 et qu'il reflète l'intention énoncée dans la mesure législative proposée par le comité.
Le 9 juin 1999, avec l'accord des leaders de tous les partis à la Chambre, la Chambre des communes, qui siégeait en comité plénier, a décidé de faire rapport du projet de loi C-82 avec un amendement supprimant la disposition en vertu de laquelle la peine maximale pour la conduite avec facultés affaiblies causant la mort serait passée de 14 ans d'emprisonnement à l'emprisonnement à perpétuité. Cette disposition a été présentée dans une mesure législative distincte, soit le projet de loi C-87, le 10 juin 1999. Le fait d'enlever du projet de loi original la disposition relative à l'emprisonnement à perpétuité dans le cas d'une personne qui cause la mort d'une autre personne alors qu'elle conduit un véhicule avec facultés affaiblies et de déposer cette disposition au moyen d'un projet de loi distinct donnait une meilleure chance de discuter de tous les aspects de la question, tout en permettant d'adopter de façon accélérée les autres dispositions à l'égard desquelles il y avait consensus.
Dans sa forme actuelle, le projet de loi C-82 renferme une disposition qui modifierait une disposition du Code criminel sur la procédure d'enquête afin d'aider les agents de la paix dans certains cas de conduite avec facultés affaiblies, et sept dispositions qui modifieraient les dispositions du Code criminel portant sur la peine, de façon à exercer une plus grande influence préventive et à faire en sorte que les peines correspondent à la gravité de l'infraction commise.
En vertu des dispositions existantes du Code criminel sur les procédures d'enquête, un agent de la paix qui a des motifs raisonnables de croire qu'une personne a commis une infraction en conduisant un véhicule en état d'ébriété peut lui ordonner de fournir un échantillon d'haleine dans un instrument approuvé ou, dans certaines circonstances, un échantillon de sang afin de déterminer le taux d'alcool présent dans le sang. Le projet de loi C-82 portera à trois heures la période de temps pertinente, de façon à fournir une plus grande souplesse aux policiers lorsqu'une situation d'urgence retarde le prélèvement d'échantillons.
En ce qui a trait aux dispositions sur les peines, le projet de loi C-82 modifie les dispositions actuelles de l'article 252 du Code criminel, qui portent sur le délit de fuite. À l'heure actuelle, une peine d'emprisonnement de cinq ans est la peine maximale prévue pour cette infraction.
Le projet de loi C-82 maintient la même peine d'emprisonnement maximal de cinq ans lorsque l'infraction n'entraîne pas des lésions corporelles. Lorsqu'une personne quitte les lieux d'un accident en sachant que des lésions corporelles ont été causées à une autre personne, la peine maximale prévue est 10 ans d'emprisonnement. Lorsqu'une personne quitte les lieux d'un accident en sachant qu'une autre personne est morte ou que des lésions corporelles ont été causées à une autre personne, que la personne ne se soucie pas que la mort résulte de celles-ci et qu'il y a effectivement décès, la peine maximale prévue est l'emprisonnement à perpétuité.
Même si certaines personnes qui quittent les lieux d'un accident sont des conducteurs en état d'ébriété, il y en a qui ne le sont pas et qui quittent les lieux pour d'autres motifs. Quoi qu'il en soit, le fait de quitter les lieux d'un accident, particulièrement lorsqu'il y a décès ou blessures, est en soi une conduite tout à fait répréhensible, et c'est le message envoyé par le projet de loi C-82.
Une autre disposition du projet de loi portera de deux ans à cinq ans d'emprisonnement la peine maximale imposée pour conduite d'un véhicule durant une interdiction. Le conducteur visé peut s'être vu interdire de conduire par suite d'une déclaration de culpabilité liée à la conduite avec facultés affaiblies ou pour d'autres motifs. La nouvelle disposition incitera les conducteurs visés par une interdiction à ne pas prendre le volant.
Les cinq autres dispositions sur les peines renfermées dans le projet de loi C-82 sont des changements apportés aux dispositions du Code criminel sur les peines visant la conduite avec facultés affaiblies. L'amende minimale pour une première infraction passera de 300 $ à 600 $. La dernière législature avait relevé ce minimum en 1985, et il convient d'envoyer le message que la conduite avec facultés affaiblies est visée par une amende minimale importante.
Le projet de loi C-82 relève aussi les interdictions minimales obligatoires imposées suite à une déclaration de culpabilité pour avoir conduit avec les facultés affaiblies. L'interdiction de conduire renfermée dans le Code criminel est distincte de la suspension du permis de conduire qui peut être imposée par une province en vertu des lois provinciales. L'interdiction de conduire prévue dans le Code criminel s'applique partout au Canada.
À l'heure actuelle, dans le cas d'une première infraction, la période minimale d'interdiction est de trois mois et la période maximale est de trois ans. La période maximale demeurera la même, mais la période minimale sera portée à un an.
Toutefois, dans une province ayant institué un programme d'utilisation d'antidémarreurs, l'interdiction de conduire dans le cas d'une première infraction pourra être ramenée à une période minimale de trois mois si le juge rend une ordonnance prévoyant l'utilisation d'un tel système d'antidémarrage.
Le système d'antidémarrage avec éthylomètre empêche le véhicule de démarrer avant que le conducteur n'ait fournit un échantillon d'haleine dans le dispositif intégré au véhicule. Ce dispositif détermine si la personne peut prendre le volant, selon la lecture faite de l'échantillon d'haleine. Sauf erreur, il y a actuellement deux provinces qui font un usage assez répandu de ce dispositif, soit le Québec et l'Alberta. Cela dit, je m'attends à ce que les provinces fassent de plus en plus appel à ce dispositif et à d'autres, au cours des mois et des années à venir.
Dans le cas d'une deuxième infraction, la période minimale d'interdiction de conduire passera de six mois à deux ans, tandis que la période maximale passera de trois ans à cinq ans. Pour chaque infraction subséquente, la période minimale d'interdiction passera d'un an à trois ans, tandis que la période maximale passera de trois ans à une interdiction à vie. L'interdiction obligatoire de conduire sera imposée en plus d'une amende et de la période d'emprisonnement prévue, lorsqu'il y a lieu.
Le projet de loi C-82 imposera au juge qui détermine la peine à infliger de tenir compte du fait qu'une concentration d'alcool dans le sang supérieure à 160 milligrammes d'alcool par 100 millilitres de sang est réputée être une circonstance aggravante. Cette disposition codifiera ce qu'un grand nombre de juges font déjà. Elle établira un niveau uniforme auquel une concentration élevée d'alcool dans le sang entraînera une peine plus sévère. Une nouvelle disposition permettant au juge qui détermine la peine à infliger de rendre une ordonnance de probation exigeant que le délinquant utilise un antidémarreur pourra être invoquée lorsque la province applique un programme provincial d'antidémarrage.
Une étude menée en Alberta par la Fondation de recherches sur les blessures de la route au Canada a révélé que les conducteurs condamnés qui se servaient d'un antidémarreur étaient moins susceptibles de récidiver et avaient eu un taux de survie plus élevé au cours de la période à l'étude que les conducteurs condamnés qui ne s'étaient pas servis d'un tel dispositif d'antidémarrage.
Le projet de loi C-82 permet aussi au juge qui détermine la peine à infliger d'exiger qu'un délinquant participe à un programme d'évaluation et de cure de désintoxication. Un juge ne pourra imposer cette peine que dans les provinces où un tel programme existe. Les provinces ne sont pas tenues de fournir ce genre de programmes. Prises ensemble, les dispositions du projet de loi C-82 envoient un message clair à ceux qui, malgré toutes les initiatives prises par un grand nombre d'intervenants au pays, choisissent encore de conduire un véhicule en ayant les facultés affaiblies. La société canadienne ne devrait pas -- et en fait ne peut pas -- tolérer la conduite avec facultés affaiblies. Le droit pénal, qui impose les sanctions les plus sévères prévues par la société, sera amélioré de façon à avoir un effet encore plus dissuasif.
Combinés aux autres mesures, notamment celles qui ont trait aux permis de conduire délivrés par les provinces et aux frais d'assurance, les changements proposés dans le projet de loi C-82 enverront un message clair portant que nous sommes déterminés à éliminer la conduite avec facultés affaiblies et ses conséquences tragiques dans notre pays.
[Français]
Je suis maintenant prête à répondre à vos questions.
[Traduction]
Je sais que vous avez tous eu l'occasion de lire ou d'étudier le rapport du comité permanent de la justice et des droits de la personne. Ce rapport est remarquable à plus d'un égard. Il reflète une tendance que nous constatons de plus en plus au sein du Comité permanent de la justice et des droits de la personne, à savoir la capacité de ses membres de mettre de côté les considérations partisanes et de travailler en faisant abstraction de la ligne de parti afin de trouver une solution à un problème qui, de toute évidence, préoccupe la société en général, et non seulement en ce qui a trait à cette question précise.
La semaine dernière, je suis venue vous entretenir des droits des victimes. Le comité permanent de la Chambre des communes a déposé un rapport qui faisait pratiquement l'unanimité, confirmant ainsi le bon travail de ses membres et leur capacité de s'entendre lorsqu'ils se penchent sur des questions qui préoccupent l'ensemble de la société. Même si je me trouve devant le comité sénatorial ce matin, je tiens à souligner l'important travail accompli par le comité permanent de la justice et des droits de la personne à cet égard. Je sais que cette question intéresse et préoccupe grandement votre comité.
La présidente: Je tiens à souligner que, la plupart du temps, le Sénat travaille en faisant abstraction de la ligne de parti.
Mme McLellan: Vous avez raison. C'est tout simplement plus exceptionnel à la chambre basse.
Le sénateur Carstairs: Madame la ministre, mes questions n'ont pas tellement à voir avec les dispositions du projet de loi, mais sont plutôt de nature philosophique.
L'un des problèmes relevés à maintes reprises est l'insouciance manifestée par ceux qui ont fait l'objet d'une interdiction de conduire par les tribunaux et qui estiment avoir quand même le droit de conduire une automobile. Je suis consciente du fait que nous imposons un plus grand nombre d'interdictions et que celles-ci visent des périodes plus longues, mais je me demande comment nous appliquerons les nouvelles peines. Comment empêcherons-nous les jeunes hommes et femmes -- malheureusement, il s'agit surtout de jeunes hommes -- qui veulent conduire leur véhicule dans un monde qui, à leurs yeux, leur appartient? Même si ces personnes ont été trouvées coupables d'avoir consommé 16 bières et que leur permis de conduire a été suspendu par les tribunaux pour une période de trois ou même cinq ans, ces personnes prennent quand même le volant.
Mme McLellan: Madame le sénateur, vous venez de faire allusion à un défi très important pour nous tous. Comme je l'ai dit au début de mon exposé, aucun d'entre nous ne saurait prétendre que les interdictions prévues dans le Code criminel ou la suspension du permis de conduire provincial vont être la solution miracle au problème qu'est l'irresponsabilité fondamentale de certains membres de notre société. Les lois ne seront jamais efficaces pour ce qui est de rendre responsables des personnes irresponsables. Les dispositions du Code criminel visent à envoyer un message très clair afin de dire ce que la société civile pense de tels actes irresponsables. C'est très important.
Si une personne insiste pour conduire après avoir fait l'objet d'interdictions et de suspensions de permis et que cette personne est incarcérée pendant un certain temps, il va de soi qu'elle ne sera pas sur les routes. Nous espérons que cette personne bénéficiera d'un traitement et d'une thérapie pour l'aider à régler les causes profondes, notamment la dépendance, qui ont entraîné les actes irresponsables.
Comme je l'ai mentionné, le Code criminel n'est qu'un élément d'une stratégie à volets multiples. Nous avons besoin de meilleurs programmes d'éducation et d'information. Il importe, dans nos familles et nos collectivités, de faire plus pour aider les jeunes, en particulier, à comprendre qu'il y a certaines choses qu'un membre responsable d'une société civile ne fait tout simplement pas. Si, à titre de membre d'une société civile et organisée, une personne fait ces choses irresponsables, elle doit s'attendre à en assumer la responsabilité et les conséquences.
Je ne dis pas que cette mesure va résoudre tous les problèmes, et personne ne devrait croire que ce sera le cas. Nous avons besoin d'une stratégie qui commence par l'amélioration de la recherche, de l'éducation et de l'information, et par une plus grande participation des familles et des collectivités pour ce qui est de repérer les jeunes qui peuvent être en difficulté, que ce soit en raison d'une dépendance à la drogue ou à l'alcool, ou d'autres problèmes qui peuvent entraîner un comportement aussi irresponsable.
Ma belle-fille n'a que 18 ans, et elle va parfois au bar du coin avec ses amis. Ce qui me frappe, c'est le sens des responsabilités de ces jeunes, qui s'assurent toujours que l'un d'entre eux ne boit pas, qui prennent un taxi ou qui appellent un ami resté à la maison pour venir les chercher. Nous devons faire en sorte qu'un plus grand nombre de personnes, les jeunes en particulier, comprennent que c'est là un comportement responsable. C'est ce que nous attendons de tous les Canadiens, qu'ils aient 18, 28 ou 48 ans. Nous avons tous un rôle à jouer à cet égard.
Le Code criminel sert à envoyer un message très clair et direct à ceux qui persistent à agir de façon irresponsable. Tôt ou tard, ces personnes auront des comptes à rendre.
Le sénateur Carstairs: À titre de personne ayant passé 20 ans dans l'enseignement au niveau secondaire, je sais que les jeunes sont maintenant beaucoup plus responsables à cet égard que nous ne l'étions. Ils ont des conducteurs désignés. Or, je ne souviens pas que quelqu'un de ma génération ait jamais eu recours à ce système. C'est une très bonne chose. De nos jours, un plus grand nombre de jeunes apprennent aussi à conduire en suivant des cours de conduite ce qui, selon moi, est mieux que de se faire montrer à conduire par un parent. Cela dit, je ne pense pas que l'on consacre suffisamment de temps dans les écoles secondaires ou dans les cours de conduite automobile à renseigner les jeunes sur les dispositions du Code criminel, en particulier celles qui ont trait à la conduite avec facultés affaiblies. Le ministère fédéral de la Justice prend-il des mesures dans ce sens? Je sais que l'éducation est une compétence provinciale, mais il y a des façons de contourner cette réalité.
Le gouvernement fédéral prend-il des mesures pour encourager les 10 provinces et les territoires à appliquer des programmes d'antidémarrage?
Mme McLellan: Il est juste de dire qu'il faut laisser les efforts d'éducation dans ce domaine, particulièrement en ce qui a trait aux drogues et à l'alcool, aux provinces et aux corps policiers locaux, qui appliquent divers programmes. Ceux-ci vont dans les écoles et montrent des vidéos aux étudiants. Ils emmènent des victimes et des membres de la famille de victimes d'accidents causés par l'ivresse. Ils emmènent aussi certaines personnes qui ont été condamnées pour conduite en état d'ébriété afin qu'elles fassent part de leur expérience et de la tragédie qu'elles ont causé dans la vie d'une autre personne.
Ces initiatives sont surtout prises par les corps policiers locaux, par la GRC là où elle est présente, ainsi que par les provinces. Nous fournissons à ces intervenants toute l'information et les données de recherche dont nous disposons, afin de les aider à faire leurs exposés. Toutefois, nous ne faisons pas nous-mêmes beaucoup de présentations semblables. Il y aurait peut-être lieu de voir comment nous pourrions travailler plus étroitement avec les provinces et les corps policiers locaux dans ce domaine.
Comme vous le savez tous, l'éducation est un secteur que les provinces protègent jalousement, ce qui est leur droit. Toutefois, je pense qu'il peut être possible de travailler plus étroitement avec les autorités chargées de l'application de la loi et avec les provinces, afin de mieux aider les jeunes à comprendre les conséquences liées au fait de conduire avec les facultés affaiblies et à voir comment ceux-ci pourraient dorénavant être traités en vertu de la loi, s'ils sont condamnés pour conduite en état d'ébriété.
Nous voulons encourager d'autres provinces à adopter ces programmes, notamment le programme d'antidémarrage. Mon sous-ministre doit rencontrer ses homologues d'ici quelques semaines, et je lui ai demandé d'aborder avec eux la possibilité que leur province, exception faite du Québec et de l'Alberta, adopte une telle initiative, compte tenu de la mesure législative proposée.
Certaines provinces sont en train de prendre d'autres initiatives. À 11 heures 30 ce matin je rencontre le procureur général du Manitoba, et cette question est à l'ordre du jour. Le Manitoba a adopté une approche différente et très sévère. Si je ne m'abuse, les véhicules des conducteurs en état d'ébriété seront saisis sur-le-champ.
M. Yvan Roy, avocat général principal, Section de la politique en matière de droit pénal, ministère de la Justice: Oui, sur-le-champ.
Mme McLellan: Les provinces adoptent diverses approches, mais ce que nous voulons, en tant que gouvernement fédéral, c'est que cette question soit discutée par tous nos homologues provinciaux et territoriaux, afin de voir si l'on peut avoir une approche mieux coordonnée. Le Code criminel ferait partie de cette approche visant à s'occuper de ce problème malheureux qui, malgré 20 ans d'efforts de la part de nombreux intervenants au Canada, ne semble pas se résorber.
Le sénateur LeBreton: Madame la ministre, comme je l'ai fait au Sénat hier, je vous félicite, vous et votre gouvernement, de votre initiative.
D'aucuns pourront croire que le sénateur Carstairs et moi-même sommes de connivence, étant donné que celle-ci a soulevé certaines des questions que j'avais en tête.
En ce qui a trait à l'application des dispositions législatives, le juge qui a prononcé la peine dans le cas qui nous touchait personnellement a dit quelque chose de très profond. Il a dit qu'une automobile était un objet très beau, mais qu'elle devenait une grenade meurtrière entre les mains de la mauvaise personne.
Vous venez de dire quelque chose de très important. Vous avez parlé d'une «approche mieux coordonnée». Je travaille depuis trois ans et demi avec l'organisme Mothers Against Drunk Driving, et j'ai constaté que c'est là un problème auquel cet organisme s'efforce de trouver une solution. Il semble exister un incroyable manque de coordination entre les diverses compétences. Les changements proposés au Code criminel dans le projet de loi C-82 inciteront les provinces et les territoires à examiner leurs systèmes judiciaires.
Ma question a trait à l'éducation, non pas celle de nos étudiants, mais plutôt celle des personnes qui travaillent dans nos tribunaux -- les juges, les avocats de la Couronne et les divers intervenants au sein de l'appareil judiciaire. L'une des raisons pour lesquelles j'appuie tant ce projet de loi est qu'il comporte des peines minimales. Si l'on regarde certaines peines imposées à des conducteurs ivres, on constate que les peines minimales infligées pour avoir causé des lésions corporelles graves ou la mort sont plus clémentes que les peines minimales proposées dans les modifications au Code criminel.
Comment vous, la ministre de la Justice, le ministère de la Justice et le gouvernement fédéral, allez-vous faire passer le message dans le système, aux divers tribunaux? Je sais que les intervenants sont des juristes et qu'ils vont certainement lire les nouvelles exigences, mais il y a encore des personnes dans nos tribunaux, dans nos assemblées législatives et parmi le public qui ne considèrent pas la conduite en état d'ébriété comme une infraction criminelle. Elles estiment qu'il s'agit plutôt d'un problème social. Avez-vous des plans afin d'éduquer les divers intervenants qui travaillent dans nos tribunaux, de façon que ceux-ci comprennent que ces actes doivent être considérés comme des infractions criminelles?
Mme McLellan: Vous soulevez un point très important. Il faut changer les attitudes en général, et ceci vaut pour les membres de la magistrature et du barreau.
Comme c'est le cas relativement à toute nouvelle mesure législative, divers programmes d'éducation sont élaborés. Ces initiatives sont dirigées par les juges eux-mêmes, mais ceux-ci sont, selon mon expérience, toujours très disposés à collaborer étroitement avec nous et avec nos homologues provinciaux pour élaborer des programmes qui aident tant les nouveaux juges que ceux qui sont déjà en poste à comprendre les changements apportés à la loi, la raison pour laquelle ceux-ci ont été apportés, et la raison pour laquelle nous pensons que ces changements reflètent les points de vue et les valeurs de la société canadienne à un moment donné. Cela dit, en bout de ligne, c'est au juge qui voit l'accusé, qui entend le plaidoyer de la Couronne, qui écoute les victimes et les familles des victimes, qu'il appartient de déterminer si la personne accusée est innocente ou coupable, puis d'imposer une peine.
Nous avons effectivement prévu dans le projet de loi des peines minimales relativement à certaines circonstances. Je pense que ces peines aideront à envoyer le message selon lequel nous prenons cette question très au sérieux.
Nous allons travailler avec les procureurs généraux des provinces. Nous allons collaborer, chaque fois que c'est possible, avec les juges, par l'entremise de l'Institut national de la magistrature, qui est le principal organe d'éducation dans le secteur judiciaire au pays. Nous allons aussi travailler avec les juges provinciaux et leurs associations, afin de les aider à comprendre pourquoi nous prenons ces mesures.
Des changements importants sont survenus au cours des 20 dernières années. Comme nous l'avons mentionné plus tôt en réponse à la question du sénateur Carstairs, la plupart des jeunes gens agissent de façon très responsable. Ils ne prennent pas le volant après avoir pris quelques consommations dans un bar. Ils font appel à un conducteur désigné, prennent un taxi ou trouvent une autre solution. On commence à constater cet important changement d'attitude au sein de la société, ainsi qu'une réprobation des actes irresponsables. Je pense qu'au fil des années cette attitude va aussi se refléter chez les avocats et les juges.
Au cours des 20 dernières années, nous avons assisté à une transformation importante de la façon dont la conduite en état d'ébriété est perçue. Cela dit, il reste encore du chemin à parcourir. Des programmes permanents d'éducation doivent être en place afin de s'assurer que les juges et les avocats, en particulier, comprennent qu'il s'agit d'un problème très sérieux. Il ne s'agit pas seulement d'un problème social. Ce peut l'être dans certains cas, mais dans d'autres c'est un problème de santé. C'est une question de dépendance, mais cela peut aussi être dans bien des circonstances un acte criminel qui doit être sanctionné par le droit pénal, au nom de la société. Nous devons toujours insister sur ce point et aider ceux qui interprètent les lois et qui administrent la justice dans notre pays à comprendre que nous pensons que ces changements reflètent le point de vue de la société face aux tragédies et aux pertes de vie inutiles qui découlent de l'acte irresponsable qui consiste à boire et à ensuite conduire un véhicule.
M. Roy: Je pense que le seul fait de discuter de cette question ce matin en présence des médias est extrêmement utile.
Cela fait huit ou neuf ans que je rédige des lois. Ma mère ne fait pas partie du groupe MADD, mais elle m'a demandé deux fois depuis que je fais ce travail de parler à la ministre afin d'essayer de faire en sorte qu'une telle mesure législative soit adoptée avant l'été. Les gens lisent les journaux et savent ce qui se passe.
En ce qui a trait aux peines minimales, nos études montrent que l'élément le plus dissuasif est la certitude que nous allons attraper les délinquants. Le sénateur Carstairs a parlé des personnes qui continuent de conduire un véhicule même si elles sont sous le coup d'une interdiction, ce qui peut leur valoir une peine d'emprisonnement. La meilleure façon de dissuader ces personnes d'agir de la sorte est de leur faire savoir que nous allons les attraper.
D'une façon générale, nous faisons du meilleur travail en ce qui a trait aux infractions liées à la conduite avec facultés affaiblies que dans le cas d'autres infractions, mais nous au niveau fédéral pensons qu'il est possible de faire mieux. C'est la raison pour laquelle nous rencontrons régulièrement nos homologues des provinces, afin de les inciter à adopter les mesures d'exécution qui enverront un tel message. Une fois qu'une personne est dans le système, celui-ci est efficace. Comme la ministre l'a mentionné, cette question a une dimension sociale et une dimension criminelle. Le Parlement et la ministre de la Justice s'efforcent d'équilibrer le système de telle sorte qu'il soit possible pour les juges, les procureurs et les avocats de la défense de trouver une solution adaptée à chaque cas.
Une fois qu'une personne est dans le système, celui-ci est efficace. Comme la ministre l'a mentionné, cette question a une dimension sociale et une dimension criminelle. Le Parlement et la ministre de la Justice s'efforcent d'équilibrer le système de telle sorte qu'il soit possible pour les juges, les procureurs et les avocats de la défense de trouver une solution adaptée à chaque cas.
Cela dit, il importe avant tout d'attraper les délinquants et d'envoyer le message que nous allons y parvenir. Des progrès ont été accomplis. En effet, les statistiques révèlent que le nombre de cas de conduite en état d'ébriété a diminué depuis 1985. Nous n'avons pas encore atteint notre but, mais nous progressons dans la bonne direction. Si les mesures incluses dans le projet de loi C-82 font l'objet d'une publicité appropriée, comme nous sommes en train de le faire, et si les provinces appuient nos efforts, et je pense que c'est le cas, notre démarche va s'avérer utile.
Le sénateur LeBreton: Le fait que ce projet de loi ait franchi les étapes de façon accélérée au Parlement a envoyé un message très important, surtout à cette période cruciale de l'année, soit juste avant l'été et l'obtention des diplômes d'études secondaires.
Je prends la parole dans des écoles secondaires et je suis d'accord avec le sénateur Carstairs lorsqu'elle dit que la plupart de nos jeunes sont responsables. Les étudiants du niveau secondaire sont nos futurs avocats, juges et procureurs.
Il est évident que l'on ne parviendra pas à éliminer complètement le problème. Il y aura toujours des imbéciles qui ne se soucient pas de la société et de ses lois.
Votre remarque portant qu'il importe d'abord d'attraper les délinquants est un bon point d'introduction à ma deuxième question. Je sais qu'une grande partie de cet aspect relève de la réglementation provinciale et non du Code criminel comme tel. Je songe en particulier aux antidémarreurs. Comme la ministre l'a mentionné, les statistiques démontrent que ces dispositifs donnent de bons résultats en Alberta. Ces systèmes sont maintenant utilisés au Québec et au Manitoba. En outre, des véhicules sont confisqués, même s'ils appartiennent à d'autres personnes. Ainsi, la notion de responsabilité ne s'applique pas seulement à ceux qui consomment de l'alcool et qui conduisent leurs propres véhicules, mais aussi à ceux qui permettent à d'autres de conduire leurs véhicules.
Je pense que le fait d'imposer ces nouvelles peines minimales aura pour résultat d'empêcher un grand nombre de personnes en état d'ébriété de prendre le volant.
Un bon nombre de nouvelles technologies sont maintenant disponibles. Par exemple, les capteurs passifs d'alcool permettent aux policiers de détecter la présence d'alcool dans un véhicule tout simplement par une fenêtre ouverte. Le gouvernement fédéral peut-il prendre l'initiative et encourager les provinces à se servir de ces technologies? Tous se préoccupent des droits individuels, mais si un policier soupçonne quelqu'un d'avoir consommé de l'alcool, les droits des personnes que cet individu peut tuer l'emportent sûrement sur le droit de ne pas se soumettre à un alcootest.
Lorsque cette question sera à l'ordre du jour de vos rencontres avec vos homologues des provinces et des territoires, allez-vous leur donner des conseils pour ce qui est d'attraper les délinquants avant que ceux-ci ne tuent quelqu'un?
Mme McLellan: La stratégie du gouvernement fédéral consiste à travailler le plus étroitement possible avec nos collègues des provinces, qui sont en première ligne. Ce sont les provinces qui administrent le système de justice pénale. Ce sont elles qui sont responsables des services de police dans leur territoire et dans les collectivités locales.
Lorsque la GRC assume cette responsabilité, elle le fait à contrat pour la province. Par conséquent, c'est la province qui détient la compétence dans ce domaine. Ce sont les provinces qui sont en première ligne et nous respectons le fait qu'elles doivent assumer les pressions quotidiennes liées à la façon d'appliquer les lois pour attraper les délinquants. Les organismes d'application de loi dans les provinces doivent composer avec des questions liées aux ressources, à l'éducation et à une foule d'autres aspects au moment de s'assurer que les lois adoptées par le gouvernement fédéral sont appliquées.
Comme je l'ai dit, si le projet de loi est adopté par le Sénat, dès que mon sous-ministre rencontrera ses homologues des provinces, nous commencerons à travailler avec eux afin de définir les secteurs dans lesquels nous pouvons les encourager à aller de l'avant. Par exemple, nous devons faire savoir aux provinces qui n'ont pas recours à un programme d'antidémarrage qu'un tel programme est un moyen d'empêcher les gens de boire et de conduire. Il est très difficile pour les personnes qui ont consommé de l'alcool de conduire un véhicule doté d'un tel dispositif. Il arrive souvent que cela soit suffisant en soi pour les convaincre de marcher, d'appeler un taxi, de prendre l'autobus ou de recourir à un autre moyen de transport.
Il faudra collaborer étroitement avec les provinces, tout en tenant compte du fait qu'elles sont en première ligne et qu'elles doivent composer avec les pressions liées à l'application de la loi et aux poursuites.
Comme vous le savez probablement, sénateur LeBreton, il existe une stratégie appelée STRIDE, qui est l'acronyme de Strategy to Reduce Impaired Driving. M. Pruden pourrait peut-être vous entretenir de cette initiative.
M. Hal Pruden, conseiller juridique, Section de la politique en matière de droit pénal, ministère de la Justice: En 1990, les ministres des Transports des gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux se sont rencontrés et ont décidé que le Conseil canadien des administrateurs en transport motorisé devrait élaborer une stratégie pour réduire le nombre de cas de conduite avec facultés affaiblies. Le conseil a mis sur pied un groupe de travail formé de représentants de Transports Canada, des ministères provinciaux, de sociétés d'assurances, d'organismes de sécurité et de corps policiers.
Au fil des années, ce groupe a formulé des recommandations et des suggestions, dont un bon nombre ont été mises en oeuvre par la majorité des provinces, tandis que d'autres l'ont été par quelques provinces. Ces recommandations encouragent les provinces à élaborer des mesures correctives qui, au fil des années, ont fait leurs preuves en ce qui a trait au problème de la conduite avec facultés affaiblies.
La stratégie a été renouvelée en 1995. Sauf erreur, elle continuera d'être appliquée jusqu'en 2001. L'objectif est de réduire le nombre de cas de conduite en état d'ébriété. Le groupe de travail estime que les mesures proposées ont donné de bons résultats. Ce groupe n'a pas formulé de suggestion proposant l'utilisation de capteurs passifs d'alcool. Les corps policiers au Canada pourraient envisager la possibilité de se servir de cet outil sans une modification au Code criminel. C'est une possibilité. Je pense qu'on a fait un certain usage de ces dispositifs aux États-Unis.
Vous avez aussi parlé de nouvelles technologies. Si j'ai bien compris les experts en criminalistique qui ont conseillé la ministre relativement aux appareils de détection et aux alcootests approuvés, la nouvelle technologie numérique est utilisée dans certains alcootests approuvés qui sont déjà employés en vertu du Code criminel. On s'attend que, au fur et à mesure que d'autres instruments et dispositifs feront leur apparition, certains d'entre eux seront utilisés. Bref, la technologie est disponible et elle est utilisée à certains endroits.
Le sénateur LeBreton: Merci, madame la ministre. Ce projet de loi est une mesure législative très importante.
Le sénateur Grafstein: Je suis curieux. Pourquoi avoir un préambule et pourquoi parler d'effet dissuasif accru dans le Code criminel. Je pensais que, de par sa nature, le Code criminel avait un effet dissuasif. En d'autres mots, c'est là une belle déclaration politique, mais je croyais que le Code criminel était censé laisser de côté les questions politiques et traiter plutôt des valeurs sociales intrinsèques.
Mme McLellan: M. Pruden me dit que la formulation employée ici est celle de la motion qui a été envoyée au comité.
Le sénateur Grafstein: Je vois. Cela ne va-t-il pas à l'encontre de la perception que les Canadiens ont toujours eu du Code criminel, à savoir que c'est un document libre de tout discours politique. Le Code criminel est avant tout un outil de dissuasion.
Mme McLellan: Le Code criminel est fondamentalement un outil de dissuasion. Il sert fondamentalement à définir dans une société civile les actes qui devraient faire l'objet de sanctions pénales et de peines.
Il est juste de dire que, dans ce cas-ci, le préambule fait ressortir le fait que la conduite avec facultés affaiblies est perçue par la Chambre des communes et par le comité permanent comme une grave menace face à laquelle la société, comme le sénateur LeBreton l'a mentionné, n'a peut-être pas accompli les progrès souhaités afin de bien comprendre qu'il s'agit d'un acte tout à fait inacceptable.
Le sénateur Grafstein: Toutes les infractions visées par le Code criminel sont inacceptables.
Mme McLellan: En effet, mais comme le sénateur LeBreton l'a dit, il y a encore des personnes qui, pour une raison ou une autre, continuent de penser que la conduite avec facultés affaiblies n'est pas une infraction aussi grave. Ces personnes croient que si vous tuez quelqu'un en conduisant un véhicule alors que vous êtes ivre, cela est moins grave que si vous tirez sur quelqu'un au cours d'un vol de banque et que vous tuez cette personne. Je pense que la plupart des Canadiens vous diront qu'ils ne voient pas une grande différence entre les deux situations.
Le sénateur Grafstein: Permettez-moi de discuter de la notion que j'ai du Code criminel en tant qu'instrument ultime mais néanmoins important en matière de conduite sociale. J'ai toujours tendance à considérer les modifications au Code criminel comme des mesures ultimes. Les mesures prises par la société doivent être progressives. Si nous avons épuisé tous les autres recours raisonnables, le Code criminel entre en jeu, parce que nous ne croyons pas à la criminalisation excessive. Nous sommes d'accord là-dessus.
Mme McLellan: Oui.
Le sénateur Grafstein: Madame la ministre, faisons une brève revue de la question, parce que je note une certaine incompatibilité entre votre témoignage et celui de vos associés.
Cette disposition particulière n'a pas été modifiée depuis 1985. Vous dites que depuis cette date les statistiques font état d'une baisse du nombre d'incidents. Le seul chiffre mentionné dans votre exposé est celui des 1 300 décès causés par la conduite avec facultés affaiblies en 1997. La situation s'est-elle améliorée ou a-t-elle empirée depuis 1985, sans que le Code criminel n'ait été modifié? Si oui, pourquoi? Si non, pourquoi? Je fais allusion aux statistiques.
Et pour compliquer la question, madame la ministre, pourriez-vous nous dire dans quelles provinces et dans quelles régions la situation est meilleure ou pire? Y a-t-il des régions qui éprouvent des problèmes plus graves, afin que l'on puisse voir s'il est nécessaire, comme le suppose la prémisse du projet de loi, de renforcer l'effet dissuasif?
Mme McLellan: Je tiens à rassurer les sénateurs en disant que des modifications ont été apportées à ces dispositions depuis 1985. Le montant des amendes n'a pas changé, mais des changements ont été apportés à ces articles du Code criminel depuis 1985.
Vous soulevez un point important. Même si le nombre de personnes tuées et blessées sur nos routes par des conducteurs en état d'ébriété a diminué, il n'a pas baissé autant que beaucoup l'espéraient, compte tenu du travail intensif de sensibilisation et d'information des 20 dernières années par un grand nombre d'intervenants canadiens, notamment des compagnies d'alcool, des entreprises de distillation, des brasseries, des groupes comme MADD, PAID et SADD, et les procureurs généraux aux niveaux fédéral, provincial et territorial.
Nous déplorons encore 1 300 décès. En plus de la tragédie que constituent les blessures et les mutilations causées, 1 300 personnes meurent à chaque année dans des accidents qui sont tout à fait évitables.
La Chambre des communes a décidé que le moment était venu -- malgré les soi-disant «améliorations», et il y en a eu -- de prendre position face à un crime qu'il est tout à fait possible de prévenir. Aux yeux d'un grand nombre, ce crime témoigne d'un niveau d'irresponsabilité difficile à accepter.
Le sénateur Grafstein: Je comprends votre point de vue. Vous l'avez bien présenté. Je veux prendre quelques instants pour faire valoir un autre aspect. Il y a au Canada une autre question sociale connexe à laquelle nous ne nous arrêtons pas. Je ne me suis pas penché sur ce dossier récemment et j'essaie simplement de mener mes propres recherches, mais le Canada a probablement le taux d'incarcération le plus élevé du monde occidental. Nous augmentons le nombre d'infractions visées par le Code criminel; nous imposons des peines plus sévères; nous emprisonnons les coupables et nous semblons croire que nous réglons des problèmes sociaux intrinsèques en prenant toutes ces mesures.
En réponse aux questions du sénateur LeBreton, vous avez parlé d'une chose qui me semble être une question très délicate. Je fais allusion aux autres tests préventifs et techniques modernes pouvant être utilisés.
Hier soir, j'ai regardé la télévision pendant quelques heures. Je me suis amusé à passer d'un canal à l'autre, comme nous le faisons tous. J'ai vu quatre messages publicitaires sur la bière qui disaient essentiellement que c'est fantastique que d'être ivre. Ces messages montraient des personnes complètement excitées qui célébraient la consommation de bière. J'ai vu cinq publicités qui glorifiaient la conduite d'autos roulant à des vitesses plus élevées que la moyenne. J'ai vu deux séquences au réseau des sports dans lesquelles on montrait une auto de course démolie dans un accident qui avait de toute évidence fait une victime.
À titre de ministre fédérale, vous avez indirectement le pouvoir de contrôler la publicité faite à la télévision au Canada. Je suis frappé par le manque de cohérence. Nous voulons nous servir du Code criminel pour mettre un frein aux tragédies, pour envoyer un message clair, mais vous avez dit, en réponse aux questions du sénateur LeBreton, que vous n'aviez pas d'autorité en raison du partage de compétence. Le gouvernement fédéral a compétence en ce qui a trait à la publicité à la télévision. Pourtant, c'est ce que j'ai vu hier soir. Lorsqu'une personne ivre monte dans un véhicule, celle-ci est de toute évidence influencée par ce qu'elle a vu au petit écran.
Il me semble y avoir un manque de cohérence entre, d'une part, la volonté d'incarcérer les délinquants afin de régler un problème social et, d'autre part, le manque de coordination entre les instruments disponibles pour promouvoir davantage l'éducation, tant au niveau fédéral qu'en ce qui a trait, comme le dit fort à propos le sénateur LeBreton, à l'utilisation des outils numériques modernes au niveau provincial.
Dans l'ensemble, lorsque j'écoute vos propos, en particulier le témoignage de M. Pruden, je constate que des progrès remarquables ont été accomplis.
Mme McLellan: Oui, nous faisons des progrès.
Le sénateur Grafstein: J'ai une opinion tout à fait contraire en ce qui a trait aux cas où le Parlement adopte à toute vapeur une modification au Code criminel. Je pense qu'il faut étudier un tel changement plus en profondeur et en prenant le temps voulu, nonobstant les propos très émotifs et touchants formulés hier par le sénateur LeBreton, que j'admire beaucoup pour ce qu'elle a fait. Cela dit, notre rôle consiste à prendre du recul et à se demander pourquoi une modification fait l'objet d'un processus accéléré.
Les modifications proposées jouissent de l'appui général, mais cela ne devrait pas être notre principal critère de changement. Il faut se pencher sur des valeurs sociales intrinsèques. Compte tenu de nos taux d'incarcération, je suis d'avis que le fait d'envoyer 1 000 délinquants de plus en prison ne va pas nécessairement résoudre le problème.
Mme McLellan: Je vais laisser à M. Roy le soin de répondre à certaines de vos observations, mais permettez-moi d'abord de dire que personne ici ne laisse entendre que le Code criminel en soi, et l'incarcération en tant que peine possible, sont la solution au problème de la conduite avec facultés affaiblies. J'ai dit très clairement dès le début que le ministère de la Justice estime que ce problème doit faire l'objet d'une approche à plusieurs volets. Le Code criminel est, en fin de compte, l'outil le plus sévère dont dispose la société pour envoyer un message clair relativement à ce qui est inacceptable.
Je suis d'accord que la meilleure façon de relever le défi posé par la conduite avec facultés affaiblies est de prévenir ce problème, ce qui est aussi vrai pour tous les autres crimes. Cela nous ramène à ce dont nous parlions plus tôt, à savoir la recherche, l'éducation, l'information, la famille, le soutien au sein des collectivités et le dépistage rapide des personnes qui éprouvent des problèmes de dépendance afin de les faire bénéficier de programmes de traitement. Toutes ces approches donnent de meilleurs résultats que le Code criminel, pour la simple raison que lorsque vous invoquez les dispositions du Code c'est qu'une personne a été blessée, voire tuée et que les membres de sa famille resteront à jamais marqués par cette tragédie. Par conséquent, nous voulons aussi faire appel à toutes ces autres mesures. Le Code criminel est un instrument de dernier recours, particulièrement dans des cas comme ceux dont nous discutons, où toute dépendance devrait être décelée et traitée avant qu'une personne ne soit autorisée à conduire un véhicule.
Je ne dis absolument pas que nous considérons l'incarcération comme la solution simple au problème de la conduite avec facultés affaiblies. Il appartiendra toujours au juge de décider quelle période d'incarcération est appropriée et même, dans certains cas, de décider si celle-ci est indiquée. En fait, tous les juges auront le pouvoir d'ordonner que les délinquants se soumettent à des programmes de traitement curatif. Ils auront aussi le pouvoir d'ordonner que des antidémarreurs soient installés lorsque des programmes pertinents existent. Cela dit, cette question relève de la compétence des provinces. Nous avons déjà fait part de notre volonté de travailler avec les provinces afin de faire en sorte que ces programmes soient plus répandus.
Vous soulevez des points importants en ce qui a trait aux messages envoyés aux jeunes par la télévision, la publicité, les revues, les vidéos et autres véhicules semblables.
Le sénateur Grafstein: Ce ne sont pas seulement les jeunes qui reçoivent ces messages.
Mme McLellan: Le problème est généralisé. À l'heure actuelle, il existe des règles et des règlements qui limitent ce que les entreprises de distillation et les brasseries peuvent présenter, ainsi que le genre de messages qu'elles peuvent envoyer à leurs auditoires. Nous travaillons de concert avec les brasseries. Des représentants de ces compagnies ont comparu devant le comité permanent et ont parlé du genre de programmes qu'ils ont mis sur pied. Les brasseries sont conscientes du défi qu'elles doivent relever au sein de la société, elles comprennent ce défi, et elles veulent agir de façon responsable. Cela dit, il peut fort bien y avoir des choses que nous devrions faire avec les brasseries pour s'assurer qu'elles font un meilleur travail pour ce qui est d'envoyer leur message, qui est: «Oui, nous vendons un produit et nous souhaitons que vous achetiez ce produit, mais celui-ci ne devrait être consommé que dans certaines circonstances.» Les brasseries ont essayé d'envoyer ce message, mais je suis certaine qu'elles conviendraient qu'elles peuvent faire plus.
Les brasseries adoptent maintenant une approche très proactive, du moins dans certaines provinces comme la mienne, en se rendant dans les écoles pour sensibiliser les jeunes au problème de la conduite avec facultés affaiblies et pour leur faire prendre conscience de l'importance, s'ils choisissent de boire, de le faire de façon responsable.
Le point que vous soulevez a été récemment abordé par le président des États-Unis, suite aux événements tragiques qui sont survenus à l'école secondaire Columbine, au Colorado. Le président a directement demandé à Hollywood de participer à des discussions sur le genre de message que l'industrie cinématographique envoie aux jeunes par l'entremise des films et des programmes de télévision, à savoir la glorification de la violence.
Il est vrai que, dans notre société, par l'entremise des films et de la publicité, mais probablement surtout des films, nous glorifions les belles voitures et les poursuites à haute vitesse, les sorties et les consommations, ainsi que l'idée d'ensuite monter à bord d'un beau véhicule puissant.
Nous devons tous faire beaucoup plus pour reconnaître qu'il existe ici une question de censure. Par ailleurs, il ne faut pas prendre à la légère les arguments fondés sur la liberté d'expression, qui est l'une de nos valeurs politiques fondamentales.
En fin de compte, il s'agit de demander aux gens d'être responsables et d'agir de façon responsable, et ceci inclut ceux qui produisent des films, des revues, des vidéos et des annonces publicitaires à la télévision. Même si dans bien des cas il est difficile d'établir un lien direct de cause à effet, nous savons que tous ces facteurs ont une incidence.
Je ne suis pas en désaccord avec vous, sénateur. Le défi consiste à faire en sorte que nos jeunes, en particulier mais pas seulement eux, reçoivent des messages équilibrés et aient la possibilité de disséquer cette information et de comprendre ce qui est une valeur et ce qui n'en est pas une.
Le sénateur Grafstein: À Toronto, le programme RIDE, qui n'est appliqué que durant un mois, a un impact plus grand que tous les autres programmes que je connais, relativement au problème de la conduite avec facultés affaiblies.
Mme McLellan: Vous avez absolument raison. C'est une question d'exécution.
Le sénateur Grafstein: Oui, et cela se passe sans modification au Code criminel.
Mme McLellan: Cette initiative s'inscrit dans le cadre d'une stratégie intégrée d'exécution.
Le sénateur Beaudoin: Le problème c'est que le droit pénal est de compétence fédérale, tout comme la procédure, mais que l'administration de la justice relève des provinces. Nous devons composer avec cette réalité, ce qui ne me pose aucun problème. On pourrait discuter à n'en plus finir de la question de savoir si nous allons trop loin. Nous sommes tous d'accord que nous ne pouvons régler tous les problèmes en les assujettissant au droit pénal. La question n'est pas seulement liée au droit pénal, mais aussi à la société, à l'éducation et ainsi de suite. À mon avis, au Canada c'est le cas d'un grand nombre d'infractions visées par le Code criminel, même si c'est plus évident dans le dossier qui nous occupe.
Nous sommes toujours confrontés au même dilemme. Les provinces ne sont pas sur la même longueur d'ondes, mais elles ont pleine compétence. C'est de cette façon que la Constitution est rédigée. C'est à nous qu'il incombe de trouver une solution à ce problème.
Chaque année, en août, les provinces tiennent une conférence interprovinciale au cours de laquelle tous les procureurs généraux des provinces se rencontrent pour discuter de divers dossiers.
Mme McLellan: Nous les rencontrons aussi une fois par année. Nous avons une rencontre fédérale-provinciale-territoriale annuelle. Celle-ci se tiendra à l'automne.
Le sénateur Beaudoin: C'est la tribune où ces questions devraient être abordées. Nous travaillons dans le domaine du droit pénal, mais d'autres aspects de la vie interviennent, qu'ils soient liés à la société, à l'éducation ou à d'autres secteurs, et ceux-ci doivent aussi être pris en compte. Selon moi, le caractère criminel de cette question n'est qu'un élément du problème. J'ai été surpris d'entendre dire que certains juges considèrent qu'il s'agit uniquement d'un problème de société. Même si ce peut être un problème de société, c'est aussi un problème du point de vue de l'administration de la justice.
Mme McLellan: Oui. Je ne pense pas que nous soyons en désaccord avec vous. Il y a beaucoup à faire. Je vais m'assurer que cette question sera à l'ordre du jour de la réunion de l'automne des procureurs généraux du fédéral, des provinces et des territoires. Je suis convaincue que mes homologues des provinces auront des remarques à formuler quant aux répercussions de ces modifications sur leurs activités en matière d'exécution de la loi et de poursuites. Au cours des prochaines semaines, mon sous-ministre abordera cette question avec ses homologues des provinces.
M. Roy: En ce qui a trait aux autorités -- et cela est aussi vrai aux niveaux supérieurs -- les provinces ne sont pas réticentes à travailler avec nous. Elles sont parfaitement conscientes du problème et nous collaborons très étroitement avec elles. Les modifications proposées ont été acceptées par les provinces, qui veulent travailler avec nous.
Cela dit, la question des moyens financiers nécessaires pour mettre en oeuvre certaines des mesures que nous aimerions voir en place intervient à un moment donné. C'est là une toute autre question. Les provinces sont d'accord et elles veulent travailler avec nous. Je veux m'assurer que cette considération est bien comprise et qu'elle est notée, parce qu'elle est très importante.
Le sénateur Beaudoin: C'est une bonne nouvelle.
Le sénateur Fraser: J'ai une question et une observation relativement à la publicité. J'aimerais revenir sur un point que vous avez fait valoir, à savoir que la publicité est un volet de la liberté de parole. La Cour suprême a confirmé ce point et a dit qu'il fallait respecter la liberté de parole, qui est déjà visée par certaines restrictions.
Dans le cas qui nous occupe, je vois un parallèle possible avec l'interdiction qui frappe la publicité sur le tabac et qui est en vigueur depuis un bon bout de temps. Or, le pourcentage de jeunes qui fument a augmenté, au lieu de diminuer. Je ne suis pas certaine que cibler la publicité soit la meilleure façon de s'attaquer au problème.
Je m'intéresse à la disposition relative aux traitements curatifs. Pouvez-vous nous dire combien de provinces ont des installations de traitement, ce qui se fait actuellement, et s'il y a des données disponibles sur tout suivi effectué après ces traitements, c'est-à-dire relativement aux ordonnances de traitement qui sont actuellement rendues? Les personnes visées suivent-elles vraiment le traitement prescrit et celui-ci donne-t-il de bons résultats?
Mme McLellan: M. Pruden peut peut-être vous dire quelles provinces ont des programmes de traitement. Je sais que la Saskatchewan et le Manitoba en ont.
M. Pruden: Les provinces pour lesquelles le paragraphe 255(5) du Code criminel a été promulgué auront des programmes de traitement curatif.
Le sénateur Fraser: Savez-vous quelles sont ces provinces?
Mme McLellan: Oui. La disposition a été promulguée pour l'Alberta, le Nouveau-Brunswick, le Manitoba, la Saskatchewan, le Territoire du Yukon et les Territoires du Nord-Ouest.
M. Pruden: Même certaines des provinces où la disposition n'a pas été promulguée auront un programme de traitement. Par exemple, l'une des suggestions faites aux provinces est que le permis de conduire délivré par la province soit rétabli après avoir été suspendu pour un cas de conduite en état d'ébriété lorsque la personne a été évaluée et traitée. Nous sommes en train de proposer à un bon de nombre de provinces d'orienter leurs démarches dans ce sens, par l'entremise de la Stratégie pour diminuer les incidences de la conduite avec facultés affaiblies, communément appelée STRIDE.
Le sénateur Fraser: Il s'agit d'initiatives gouvernementales relativement nouvelles pour lesquelles nous n'avons pas de données conjoncturelles.
M. Pruden: Le programme de traitement curatif est en place tant pour les provinces où le paragraphe 255(5) est en vigueur que pour les autres. Certaines des provinces où la disposition n'est pas en vigueur ont déjà pris des mesures en vue d'offrir un programme d'évaluation et de traitement. Certaines provinces ont décrété qu'un tel traitement était obligatoire avant qu'un délinquant puisse ravoir son permis de conduire.
Le sénateur Fraser: Pourriez-vous nous fournir d'autres renseignements ou données sur cette question? C'est un dossier qui m'intéresse et qui touche aussi d'autres travaux.
M. Pruden: Je n'ai pas de données, mais peut-être que Transports Canada peut nous en fournir.
Le sénateur Bryden: Je trouve difficile de contester les principes qui sous-tendent cette mesure législative, puisque j'appuie sans réserve l'objectif de limiter, sinon d'éliminer la répétition de la terrible tragédie vécue par l'une de nos collègues. Cela dit, j'ai certaines réserves qui ne sont pas liées à cet objectif. Je me demande si, dans certains cas, le recours au système de justice pénale est la meilleure façon d'atteindre cet objectif.
Qu'est-ce qui prouve que le fait de relever les peines maximales prévues pour ce genre d'infractions entraînera une diminution de leur nombre?
Mme McLellan: Je vais laisser à M. Roy le soin de répondre à cette question mais, d'une façon générale, dans le contexte du Code criminel, on peut faire valoir que le relèvement des peines maximales illustre à quel point nous, en tant que société, prenons au sérieux ce genre de conduite. Si nous imposons une peine maximale de 14 ans plutôt qu'une peine de deux ans moins un jour, nous envoyons un message clair relativement à la position adoptée par les membres de la société civile -- c'est-à-dire les Canadiens -- face à cette conduite, et relativement à la façon dont cette conduite sera sanctionnée si elle est adoptée par une personne et qu'elle entraîne des blessures à d'autres personnes.
Par conséquent, je suis d'avis que les peines maximales ont cet effet important, en ce sens qu'elles aident tous les Canadiens à bien comprendre, on l'espère, la gravité relative de certains actes.
Le sénateur Bryden: Avons-nous des données selon lesquelles le fait de relever les peines, disons de cinq ans d'emprisonnement ou d'interdiction de conduire à dix ans ou même à perpétuité, réduit le nombre d'incidents que vous essayez de prévenir?
M. Roy: Comme l'a mentionné la ministre, le message envoyé est que le Parlement juge l'infraction plus grave qu'auparavant. En soi, ce changement envoie aux tribunaux le message que ceux-ci doivent imposer, le cas échéant, la peine appropriée. Si vous me demandez s'il existe des preuves scientifiques qui établissent nettement une corrélation parfaite entre les deux éléments, la réponse est non. Comme je l'ai dit plus tôt, le plus important, selon les études effectuées, c'est la capacité de l'État d'attraper les délinquants.
Le sénateur Bryden: Tout à fait. Il existe des preuves que la certitude de se faire prendre élimine pratiquement la commission de cette infraction et d'autres aussi. Cela a été prouvé dans d'autres pays.
J'ai deux préoccupations. L'une est que le fait de recourir au Code criminel et de relever les peines au-delà du point où les gens reçoivent le message qu'une telle conduite est répréhensible et pénalisera le délinquant en tant qu'individu sert en quelque sorte de fausse excuse aux membres de notre société, qui se disent que s'ils commettent cette infraction, ils seront emprisonnés à perpétuité. M. Roy, j'ai appris il y a longtemps que ce que vous avez dit, à savoir que «Nous vous attraperons», est le moyen de dissuasion le plus efficace.
Mon autre préoccupation est que pratiquement tous les projets de loi, tant d'intérêt privé que public, dont notre comité a été saisi récemment et qui traitent du Code criminel, proposent un relèvement des peines. La solution prônée semble être de relever les peines. Ma préoccupation découle du fait que les États-Unis ont réduit leur taux de criminalité en construisant des prisons et en les remplissant. Les Américains ont dépensé des milliards de dollars pour construire des prisons. Celles-ci sont surtout peuplées de jeunes Noirs, hispaniques et représentants d'autres minorités. Tous ces individus vont bientôt commencer à retrouver leur liberté. Les prisons vont se vider de leur population actuelle et accueillir de nouveaux arrivants. Si quelqu'un s'intéresse à ce dossier, celui-ci est traité dans les deux derniers numéros de la publication Atlantic Monthly. On parle maintenant de «complexe de construction de prisons», la plus importante industrie aux États-Unis.
Cette situation est le résultat de nombreux facteurs, mais elle est surtout attribuable à un mouvement vers la droite, vers la loi et l'ordre, et le Canada s'en va dans la même direction. Nous en voyons déjà toutes sortes de manifestations. Si vous jetez un coup d'oeil à notre population carcérale, vous verrez que, proportionnellement, les minorités, notamment les autochtones, sont surreprésentées.
C'est ce qui me préoccupe, et je dis ceci au sénateur LeBreton: je suis d'accord que nous voulons mettre un frein à cette conduite, mais nous devons le faire de la meilleure façon possible, sans imiter les États-Unis.
Mme McLellan: C'est un très bon point. Il s'agit d'une question complexe sur laquelle nous devons tous nous pencher de façon plus poussée. Cela dit, nous ne construisons pas plus de pénitenciers. Notre population carcérale diminue. À cet égard, la Cour suprême du Canada a récemment envoyé un message très important dans l'affaire Gladue, concernant le recours excessif à l'incarcération dans le cas d'autochtones qui n'ont pas commis des crimes de violence, mais plutôt des infractions sans violence, notamment contre des biens, et qui n'ont pas les moyens de payer l'amende imposée, de sorte qu'ils se retrouvent en prison.
Une importante partie de la législation sur la justice pour les jeunes consiste à faire en sorte que tous les jeunes qui commettent des infractions sans violence, relativement mineures et ayant trait à des biens, ne soient pas incarcérés mais fassent plutôt l'objet de sanctions communautaires au lieu de purger une peine de quatre à six semaines, ce qui est la sentence moyenne dans un centre de détention pour les jeunes.
Le message a été reçu par la majorité des Canadiens, et certainement par nous. Certains semblent croire que le seul fait de durcir les dispositions du droit pénal et d'emprisonner un plus grand nombre de personnes pour une période plus longue va régler certains problèmes très difficiles et souvent déchirants d'ordre, social, économique et, somme toute, juridique. Nous savons qu'il n'y a pas de solution simple à ces questions complexes.
Le sénateur LeBreton et moi ne sommes pas en train de dire qu'il existe une solution simple. Ce que nous disons c'est que le Code criminel fait partie d'une stratégie intégrée pour s'occuper de l'acte criminel qui consiste à conduire en état d'ébriété. Comme je l'ai dit plus tôt, en tant que société, il nous incombe avant tout d'empêcher que le nombre de décès et de victimes n'augmente. Cela signifie qu'il faut consacrer beaucoup de temps à la prévention. Si nos efforts dans ce sens sont fructueux, nous n'aurons pas besoin d'appliquer aussi souvent le Code criminel.
Cela dit, il faut avoir la possibilité d'imposer des peines d'emprisonnement. Lorsque toutes les autres mesures ont échoué et qu'une personne ivre prend le volant et tue quelqu'un, il faut s'en remettre au droit pénal.
Le sénateur Bryden: Nous ne construisons pas plus de prisons et c'est une bonne chose. Ce que je dis c'est que depuis ma nomination ici, qui ne date que de cinq ans, j'ai constaté que des pressions considérables sont exercées de la part de la société pour que l'on impose des peines minimales et maximales plus sévères, et cette tendance se reflète dans le système judiciaire. Je pense que notre société est influencée par ce qui se passe aux États-Unis, ainsi que par d'autres facteurs.
Mme McLellan: Je veux souligner l'inclusion de la condamnation avec sursis dans notre Code criminel, par mon prédécesseur, Allan Rock. La condamnation avec sursis est une reconnaissance du fait qu'il existe de meilleures solutions, notamment la surveillance communautaire, que d'emprisonner les personnes qui ont commis certaines infractions sans violence.
Toutefois, il y a eu des problèmes au niveau de l'imposition des condamnations avec sursis, parce que certains juges ont infligé de telles sentences à des auteurs de viol et d'homicide involontaire coupable, ce qui n'a jamais été l'intention du gouvernement, ni de mon prédécesseur.
Nous espérons que la Cour suprême du Canada va guider les autorités judiciaires à cet égard. Le mois dernier, celle-ci a entendu cinq causes qui traitaient de cette question.
C'est toujours une question d'équilibre. Oui, certaines lois sont rendues plus sévères, parce nous constatons que certains crimes deviennent plus fréquents et plus courants, notamment la pornographie juvénile et l'incitation à la haine. Ce facteur peut constituer une circonstance aggravante dans certaines situations, parce qu'un message est envoyé quant au genre de société que nous voulons. Nous n'allons pas tolérer l'incitation à la haine contre des personnes de couleur, d'origine ethnique ou de langue différente.
Cela dit, nous reconnaissons qu'il faut prendre d'autres mesures, comme par exemple la condamnation avec sursis. La décision rendue par la Cour suprême dans l'affaire Gladue est un autre exemple. Je compte sur votre comité pour nous garder dans la bonne voie.
Le sénateur Andreychuk: Je serais portée à appuyer le point de vue du sénateur Bryden relativement à toutes les questions, en particulier en ce qui a trait aux dispositions législatives visant les jeunes contrevenants. Toutefois, je me souviens lorsque la première mesure législative visant les conducteurs dont le permis est suspendu avait été intégrée au Code criminel. Les fonctionnaires du ministère à l'époque -- c'était il y a 30 ans -- faisaient valoir qu'il s'agissait d'un crime exceptionnel et différent de tous les autres, parce que le Canadien moyen percevait la consommation d'alcool différemment de celle de drogues ou d'autres crimes.
La sentence minimale nous envoie un signal à tous et elle a un effet déterminant pour beaucoup de monde. Ai-je raison de croire que le problème se pose toujours?
M. Roy: Tout à fait.
Le sénateur Andreychuk: Les gens n'ont-ils pas encore compris le message au sujet de la conduite en état d'ébriété?
M. Roy: Des progrès ont été faits, assurément, et nous devrions nous en réjouir, mais il reste encore beaucoup à faire.
Ce projet de loi et les autres mesures dont a parlé M. Pruden nous permettront de progresser encore.
Le sénateur Andreychuk: À l'époque où les autorités retiraient le permis de conduire, cette mesure constituait le meilleur moyen d'éduquer les gens. Elle s'est révélée des plus efficaces pour la majeure partie des gens. C'est à ce moment qu'à été lancé le concept de chauffeur désigné.
Le relèvement de la norme enverra un message au consommateurs d'alcool, c'est-à-dire à une bonne partie des Canadiens. On ne peut en dire autant dans le cas de la cocaïne et de la marijuana.
Cela constitue une exception à ce qui m'apparaît comme un problème fondamental. C'est pourquoi je ne partage pas le point de vue du sénateur Bryden à se sujet, quoique je suis d'accord avec lui pour le reste.
M. Roy: Il y a des raisons précises pour lesquelles certaines des peines prévues dans la loi sont modifiées ici. En fait, la seule peine minimale qui est alourdie et passe de 300 $ à 600 $ est entrée en vigueur en 1985. C'est l'amende que devra payer l'auteur d'une première infraction de conduite avec facultés affaiblies et d'autres infractions connexes. La peine minimale est accrue uniquement dans ces cas, et cela pour faire en sorte que ce qui constituait une sentence sévère en 1985 demeure une peine aussi lourde en 2000.
En ce qui a trait aux autres modifications, je pourrais commenter encore les raisons pour lesquelles le gouvernement, et bien entendu le comité qui a rédigé le projet de loi, ont jugé nécessaire, dans les circonstances, de les proposer.
Je suis on ne peut plus d'accord avec le sénateur Bryden.
Le sénateur Moore: Monsieur Roy, la ministre a déclaré que les infractions de conduite avec facultés affaiblies causent chaque année la mort d'environ 1 300 personnes. Y a-t-il une répartition de ce nombre entre les chauffeurs de véhicules familiaux et les chauffeurs de véhicules commerciaux? A-t-on envisagé de faire subir des tests au hasard aux conducteurs de véhicules commerciaux pour détecter la consommation de drogues ou d'alcool?
M. Pruden: La Fondation de recherches sur les blessures de la route au Canada, dont le siège social se trouve à Ottawa, tient une base de données sur les conducteurs tués dans des accidents de la route.
À ma connaissance, il n'existe pas de données distinctes selon qu'il s'agit de passagers, de conducteurs ou d'autres utilisateurs de la route.
Le sénateur Moore: À quoi correspond le nombre de 1 300?
M. Pruden: Il comprend les conducteurs avec facultés affaiblies, leurs passagers et les autres utilisateurs de la route, comme les cyclistes, les personnes à bord d'autres véhicules et les piétons.
Le sénateur Moore: Est-ce qu'on sait qui a causé ces 1 300 décès, s'il s'agit de conducteurs de véhicules familiaux ou de véhicules commerciaux?
M. Pruden: J'ignore si nous avons des statistiques concernant les passagers de conducteurs avec facultés affaiblies ou d'autres utilisateurs de la route et je n'ai pas les chiffres exacts concernant les conducteurs avec facultés affaiblies décédés dans des accidents de la route.
Le sénateur Moore: Pouvez-vous me donner un nombre approximatif?
M. Pruden: Le nombre de véhicules commerciaux est relativement faible. Je crois me souvenir, selon un rapport publié en 1996 ou 1997 par la Fondation de recherches sur les blessures de la route au Canada, que le nombre de conducteurs de véhicules commerciaux était proportionnellement moins élevé qu'on ne s'y serait attendu, compte tenu de l'opinion que les gens ont généralement des conducteurs de véhicules commerciaux.
Le sénateur Moore: J'aimerais avoir des chiffres précis. Pouvez-vous me donner un pourcentage précis?
M. Pruden: Je n'ai pas le rapport sous les yeux.
Le sénateur Moore: Pouvez-vous nous obtenir ce renseignement?
M. Pruden: Certainement.
Le sénateur Moore: Quant à ma seconde question, est-ce qu'on envisage de soumettre les conducteurs de véhicules commerciaux à des tests au hasard pour dépister la consommation de drogues ou d'alcool?
M. Roy: Cela dépend de ce qu'on entend par «test au hasard». À l'heure actuelle, c'est possible. Nous nous sommes probablement déjà tous retrouvés dans ce genre de situation où la police procède à des vérifications auprès des automobilistes pour voir si leurs facultés sont affaiblies par la consommation d'alcool ou d'autres substances. Il est assurément possible de faire ce genre de vérification auprès des personnes dont vous parlez.
Le sénateur Moore: Est-ce qu'on le fait?
M. Roy: Si on veut aller plus loin, certaines questions de droit constitutionnel risquent de se poser. La Cour suprême du Canada a jugé constitutionnels les programmes que nous connaissons bien. Elle a fait l'impossible pour que l'État puisse effectuer ces tests, pour la même raison que celle pour laquelle nous avons besoin de ce projet de loi, à savoir le problème causé par la conduite avec facultés affaiblies et la difficulté pour l'État de trouver les personnes qui commettent ce genre d'infraction.
Le sénateur Moore: Il y a souvent des arrêts obligatoires inopinés en fin de semaine ou à l'approche de la fin de semaine. Est-ce que la police effectue aussi ce genre de vérification auprès des conducteurs de véhicules commerciaux?
M. Roy: Je l'ignore.
Le sénateur Moore: Pouvez-vous vous informer?
M. Roy: Oui.
Le sénateur Bryden: Monsieur Pruden, vous disiez que l'on tient des statistiques sur le nombre de conducteurs avec facultés affaiblies qui sont tués dans des accidents de la route. Pourriez-vous nous donner des précisions?
M. Pruden: La Fondation de recherches sur les blessures de la route au Canada reçoit de tous les gouvernements au Canada des renseignements concernant les décès de conducteurs avec facultés affaiblies. La fondation reçoit les rapports sur tous les décès de conducteurs de véhicules et elle peut ensuite établir le nombre de décès attribuables à la conduite avec facultés affaiblies. Il est également possible d'établir le nombre de conducteurs qui avaient un taux d'alcoolémie supérieur à 80 milligrammes, ce qui constitue le niveau au-delà duquel il y a infraction.
Le sénateur Bryden: Parlez-vous des conducteurs décédés?
M. Pruden: Oui.
Le sénateur Bryden: Je crois vous avoir entendu dire que le nombre de conducteurs de véhicules commerciaux décédés alors qu'ils conduisaient avec des facultés affaiblies est moins élevé que les conducteurs d'autres types de véhicules décédés de même cause. Est-ce parce qu'ils conduisent de gros camions?
M. Roy: Probablement.
M. Pruden: C'est possible.
Le sénateur Bryden: Au Nouveau-Brunswick, on entend souvent parler de collisions frontales entre une fourgonnette et un poids lourd, où les passagers du premier véhicule sont tous décédés alors que le chauffeur du camion s'en tire avec des blessures légères.
Il doit y avoir une autre façon de compiler les statistiques.
M. Pruden: Le rapport de la fondation comporte peut-être une analyse de ces statistiques qui permettra de répondre à ces questions. Par exemple, les exigences d'un emploi peuvent faire en sorte qu'une personne a moins de chances de conduite son gros camion en état d'ébriété que ce ne serait le cas si elle conduisait son véhicule familial à des fins autres que professionnelles.
Le sénateur Bryden: Je sais qu'il est maintenant possible de scanner électroniquement les véhicules commerciaux, sans les faire arrêter, pour voir s'il y a quelque chose qui ne va pas dans les roulements à billes, dans les pneus, dans un joint universel où ailleurs, qui puisse représenter un risque pour la sécurité. Peut-être serait-il possible d'améliorer la technologie d'un cran afin de savoir si le conducteur est plein de bière.
Dans ma province, les véhicules commerciaux font fréquemment l'objet de contrôles de marchandises, pour s'assurer qu'ils n'endommagent pas les routes. On pourrait peut-être permettre au personnel qui effectue ce genre de vérification de faire souffler les conducteurs dans de petits ballons pour savoir s'ils ont consommé trop d'alcool.
Le sénateur Lewis: Le premier article du projet de loi concerne l'article 252 du Code criminel relatif au défaut d'arrêter lors d'un accident. Le Code criminel emploie le mot accident. La ministre a employé le même mot aujourd'hui. Qu'est-ce qui constitue un accident? Un accident peut être le résultat d'un cas fortuit. Y a-t-il une définition de ce qu'est un accident? Un tribunal s'est-il déjà prononcé à ce sujet?
M. Roy: La terminologie du projet de loi C-82 n'est probablement pas différente de celle qui se trouve actuellement dans le Code criminel.
Le sénateur Lewis: Je le sais.
M. Roy: Cette terminologie a fait l'objet d'une interprétation approfondie par les tribunaux. Un accident est facile à reconnaître et l'obligation de le rapporter s'ensuit tout aussi facilement. Heureusement, les représentants de l'État, c'est-à-dire les procureurs et les policiers, ne portent pas des accusations toutes les fois que se produit un accrochage sur la route et que les intéressés ne restent pas sur les lieux pour dire ce qui s'est passé. En général, aucune accusation n'est portée dans ce genre de cas.
Un accident est simplement défini comme le contact entre deux choses, en l'occurrence des véhicules motorisés, habituellement des automobiles, ce qui suffit à déclencher l'obligation juridique de rapporter la chose, peu importe la gravité de l'accident. Cela dit, le code de la circulation routière de chaque province contient une disposition semblable et les autorités peuvent choisir de porter des accusations en vertu de l'un ou l'autre texte législatif ou de ne porter aucune accusation.
Le modification proposée dans le projet de loi vise à accroître la peine maximale lorsqu'une partie a connaissance de circonstances particulières, peu importe qu'elle soit responsable de l'accident ou qu'elle en soit la victime. La loi ne fait pas de distinction à cet égard. Il n'est pas nécessaire qu'il y ait eu négligence ou qu'une des personnes impliquées ait été en état d'ébriété. Le fait qu'il y ait accident oblige la personne qui en est témoin à le rapporter.
Le sénateur Lewis: Je pense que nous croyons tous connaître la signification du mot «accident». Vous parliez d'un véhicule qui entre en contact avec quelque chose, mais s'il s'agit d'un véhicule qui capote? Je ne cherche pas à ergoter, je pose simplement la question par curiosité. La chose a sûrement fait l'objet d'interprétations au fil des ans car le code en a toujours fait état.
M. Roy: On peut trouver une jurisprudence très abondante dans des tribunaux de tous genres. À ma connaissance cependant, la Cour suprême ne s'est jamais prononcée là-dessus. C'est une question de faits et, en définitive, de circonstances propres à chaque cas. À mon avis, une voiture qui capote, c'est un accident et une personne qui serait témoin de l'accident et ne le rapporterait pas s'exposerait aux rigueurs de l'article qui est déjà en vigueur. Je devrai vérifier le droit jurisprudentiel pour savoir s'il existe des précédents.
Le sénateur Grafstein: Avez-vous une ventilation, par province, des 1 300 cas?
M. Pruden: Je n'ai pas les chiffres ici, mais je pourrais les obtenir si la Fondation de recherches sur les blessures de la route est en mesure de me les fournir.
Le sénateur Grafstein: Je suppose que les données seront classées par province.
M. Pruden: Les données sont fournies par les provinces, aussi je suppose qu'il devrait y avoir des données pour chacune d'entre elles.
Le sénateur LeBreton: J'ai les statistiques de la Fondation de recherches sur les blessures de la route au Canada,
Le sénateur Grafstein: Quelles sont les données pour chaque province?
Le sénateur LeBreton: Les chiffres sont les suivants: 560 en Colombie-Britannique, 434 en Alberta, 179 en Saskatchewan, 1 164 en Ontario, et deux membres de ma famille font malheureusement partie de ces chiffres, 900 au Québec, 120 au Nouveau-Brunswick, 111 en Nouvelle-Écosse, 17 dans l'Île-du-Prince-Édouard, 33 à Terre-Neuve et Labrador, 14 au Yukon et 5 dans les Territoires du Nord-Ouest, soit 3 684 en tout. Ces données datent de 1995.
M. Pruden: Ces cas ne sont pas tous reliés à la consommation d'alcool.
Le sénateur Grafstein: Cela fait beaucoup plus que 1 300.
Le sénateur LeBreton: Je m'excuse, je regardais le nombre total de décès. Leur nombre a atteint 1536 en 1995, soit 274 en Colombie-Britannique, 210 en Alberta, 83 en Saskatchewan, 64 au Manitoba, 481 en Ontario, 299 au Québec, 48 au Nouveau-Brunswick, 59 en Nouvelle-Écosse, 10 dans l'Île-du-Prince-Édouard, 15 à Terre-Neuve et Labrador, 2 au Yukon et aucun dans les Territoires du Nord-Ouest.
Je regardais les chiffres l'autre jour et j'ai constaté que même si le nombre d'accidents causés par des chauffeurs avec facultés affaiblies a diminué, le nombre de décès et de cas de blessures graves n'a pas baissé sensiblement. Il reste donc de toute évidence un grave problème à régler.
M. Pruden: Vos statistiques indiquent-elles le nombre de décès où la conduite avec facultés affaiblies est en cause ou seulement le nombre de conducteurs et de collisions?
Le sénateur LeBreton: Le nombre de décès, suivi du pourcentage de ces décès liés à la consommation d'alcool.
M. Pruden: Je crois que le nombre de 1 300 correspond au nombre de conducteurs dont le taux d'alcoolémie dépassait 8,0, et non pas les accidents ou l'alcool est en cause. Le nombre de 1 300 concerne une année différente.
Le sénateur Moore: Pouvez-nous nous communiquer les données par province?
M. Pruden: Ces données proviennent de la Fondation de recherches sur les blessures de la route. L'organisme les a peut-être tirées de se basse de données. Je signale également qu'en 1987 le nombre de conducteurs décédés qui avaient un taux d'alcoolémie supérieur à 8,0 représentait 43 p. 100 du nombre total de conducteurs décédés, que leur décès soit relié ou non à la consommation d'alcool. En 1996-1997, ce pourcentage est tombé à 34,9 p, 100, ce qui représente une baisse sensible. La tendance a subi un changement marqué durant les années 80 et au début des années 90.
Certains diront que cela est attribuable à la meilleure qualité des routes et des hôpitaux et à une meilleure conception des voitures, mais les conducteurs qui ne consomment pas d'alcool bénéficient de ces trois facteurs autant que ceux qui consomment de l'alcool. Nous devons donc attribuer cette baisse de pourcentage aux mesures de contrôle qui ont été mises en place par les gouvernements et organismes.
Le sénateur Grafstein: Le pourcentage de décès chez les conducteurs qui avaient consommé de l'alcool a-t-il baissé en nombre absolu par rapport au nombre total de décès sur les routes attribuables à toutes les autres causes? Je ne saisis pas clairement le sens des statistiques.
Monsieur Roy, il est important pour nous de pouvoir nous fonder sur des statistiques vérifiables dans le cadre de l'examen de modifications du Code criminel. Les statistiques sont de toute évidence contestables et peuvent être fondées sur des jugements de valeur. La première chose que nous devons nous demander est si les statistiques posent un problème. Je ne parle pas des tragédies individuelles, auxquelles je suis tout aussi sensible que n'importe qui. J'aborde la question en tant que problème national qui exige un texte de loi d'application nationale.
J'ai encore des doutes quant à la signification de ces statistiques.
M. Pruden: Je crois que la ministre a dit que même si la situation s'est améliorée, le nombre de décès demeure inacceptable.
Le sénateur Grafstein: J'accorde beaucoup d'importance à ce qu'ont dit le sénateur Bryden et d'autres sénateurs au sujet de la façon de s'attaquer au fond du problème. Une solution consiste à «attraper» les contrevenants, mais quelle est le meilleur moyen de le faire?
À l'instar du sénateur Bryden, je crois qu'un des moyens les plus efficaces contre les coupables est de leur servir un avertissement sérieux lorsqu'ils commettent une première infraction. Nous n'avons peut-être pas accordé suffisamment d'importance à la première infraction dans le projet de loi. Pourquoi ne pas prévoir une amende de 2 000 $ au lieu de 600 $? Ce serait une façon de faire comprendre aux contrevenants la gravité de leur acte.
Je reviens à ce que disait le sénateur Andreychuk et je suis d'accord avec elle. L'alcool est un sujet à part parce que nous en consommons tous. C'est, du moins, ce qu'indiquent les statistiques. Tout le monde consomme plus ou moins d'alcool. La question est de savoir à partir de quand une personne qui en a consommé doit s'abstenir de conduire un véhicule automobile.
Le programme RIDE, à Toronto, est efficace parce qu'on sait qu'entre le 1er novembre et le 31 décembre, les personnes qui ont pris part à des fêtes ou à d'autres activités durant le temps des Fêtes se sont fait conduire ou se sont déplacées en taxi. Chacun peut trouver une solution efficace.
La peine en cas de première infraction, c'est-à-dire l'amende, constitue-t-elle un moyen efficace de réduire la tendance? La loi devrait peut-être prévoir une amende de 2 000 $ plutôt que 600 $. Cela enverrait un message clair à l'auteur d'une première infraction. Dans mon cas, je sais qu'une amende de 600$ n'aurait pas d'effet dissuasif, mais ce serait autre chose si je devais payer une amende de 2 000 $.
M. Roy: Le montant de 600 $ a été décidé par le comité de l'autre endroit. Le montant de l'amende était de 300 $ à l'origine et, comme je le disais, il est demeuré le même depuis 15 ans.
On ne peut pas imposer une peine, monétaire ou autre, que les gens seront incapables de payer. Les prisons se retrouveront une fois de plus remplies parce que des contrevenants n'auront pas payé leur amende. Nous devons éviter de prévoir des amendes que les gens n'auront pas les moyens de payer.
Deux mesures se sont révélées efficaces. La première est la suspension du permis de conduire. Une personne qui se voit contrainte de laisser son automobile au garage pendant un an y réfléchira à deux fois avant de conduire avec des facultés affaiblies. Je ne crois pas qu'une amende de 600 $ sera très efficace dans son cas.
L'autre chose à laquelle de nombreuses personnes accordent une grande importance est le montant de l'amende à payer. Dans de nombreuses régions, une amende de 600 $ représente une grosse somme. Il n'est pas facile de trouver un juste milieu.
J'estime qu'un montant de 600 $ est juste parce qu'il tient compte d'une hausse de 5 p. 100 par année. Le montant a doublé durant cette période. Ce montant représentait une lourde amende en 1985 et elle doit conserver le même poids en 1999-2000, sans pour autant inciter les gens à contester autant qu'ils peuvent devant les tribunaux ou à se retrouver en prison parce qu'ils n'ont pas les moyens de payer. Ce n'est pas le but visé dans le projet de loi.
Le sénateur Bryden: Nous essayons d'encourager les jeunes à ne pas agir de la sorte. L'imposition d'une interdiction de conduire un véhicule dès la première infraction constitue sans doute le meilleur moyen de dissuader les gens de conduire en état d'ébriété.
Le sénateur Carstairs: Dans le cas d'un jeune de 19 ans, oui, assurément.
Le sénateur Grafstein: C'est une bonne idée, mais la question est de nature statistique. Combien compte-t-on de jeunes parmi les 1 300 ou 600? Quelle est la répartition des groupes d'âges?
Avez-vous ces renseignements, sénateur LeBreton?
Le sénateur LeBreton: Je n'ai pas les chiffres ici. Fait intéressant, je crois savoir que le groupe le plus nombreux est celui des jeunes hommes de 22 à 25 ans et non pas celui des adolescents.
Le sénateur Grafstein: Quel pourcentage cela représenterait-il par rapport au nombre total de 1 300?
M. Pruden: Je puis trouver ce renseignement dans notre information. On a signalé que les jeunes de 18 ans et moins n'étaient pas surreprésentés compte tenu de leur pourcentage par rapport à l'ensemble de la population. Certains jeunes conduisent en état d'ébriété, mais ils ne constituent pas un nombre disproportionné par rapport à l'ensemble des personnes qui conduisent avec des facultés affaiblies.
Le sénateur Grafstein: Quels sont les groupes d'âges de ces 1 300 personnes? Si nous pouvons obtenir ce renseignement, nous saurons au moins quelles personnes sont visées par les peines prévues.
Je suis d'accord avec le sénateur Bryden: pour un jeune de 17 ans, la perte du permis de conduire est comme une peine de prison à vie, alors que pour une personne de 25 ans, ce ne sera peut-être pas un problème.
Le sénateur Andreychuk: Parmi tous les hommes qui ont comparu à mon tribunal, les hommes de 25 ans tenaient toujours davantage à leur voiture que ceux de 18 ans. Les jeunes de 18 ans ne possèdent pas de voiture, ils doivent emprunter celle de papa.
Le sénateur Grafstein: Combien, parmi ces personnes, ont 50 ans et plus?
M. Pruden: Relativement peu. Leur nombre tombe sensiblement après 45 ans.
Le sénateur Grafstein: Il s'agit d'un problème de jeunes.
M. Pruden: Environ 90 p. 100 des personnes accusées de conduite avec facultés affaiblies au Canada sont des hommes. Le pourcentage est comparable dans le cas des décès.
Le sénateur Grafstein: Quelle est la moyenne d'âge?
M. Pruden: Je crois que l'âge moyen va de 19 ou 20 ans à 45 ans. Ce groupe représente la majorité des conducteurs avec facultés affaiblies.
Le sénateur LeBreton: Ils sont plus nombreux entre 22 ans et 25 ans. Ces statistiques sont très intéressantes, mais le projet de loi n'en tient pas compte.
La présidente: L'article 1 du projet de loi stipule:
Commet une infraction quiconque, ayant la garde, la charge ou le contrôle d'un véhicule, d'un bateau ou d'un aéronef [...] impliqué dans un accident [...]
En passant, le bétail semble avoir une cote plus élevée que les moutons ou les chevaux. L'article 5 du projet de loi stipule:
[...] avait la garde ou le contrôle d'un véhicule à moteur, d'un bateau, d'un aéronef ou de matériel ferroviaire [...]
Pourquoi le «matériel ferroviaire» n'est-il pas mentionné à l'article 1?
M. Pruden: N'oublions pas que le projet de loi C-82 reflète l'avant projet de loi du comité.
La présidente: En tenez-vous la Chambre des communes responsable?
M. Pruden: Ce que je dis, c'est que le comité a décidé de reprendre dans son projet de loi la terminologie du Code criminel. Lorsque le matériel ferroviaire a été ajouté aux dispositions relatives à la conduite avec facultés affaiblies, à la fin des années 80, les dispositions concernant le défaut d'arrêter sur les lieux d'un accident n'ont pas été modifiées en même temps.
La présidente: Aux termes de l'article 1, commet une infraction quiconque, ayant la charge d'un bateau [...] où ce bateau est impliqué dans un accident, soit avec une autre personne, un véhicule, un bateau, un aéronef, soit avec du bétail. Est-ce dire que la loi ne s'appliquerait pas à un capitaine ivre qui ferait échouer son navire contre un récif et causerait ainsi un déversement de pétrole sur la côte de la Nouvelle-Écosse?
Le sénateur Carstairs: D'autres dispositions du Code criminel s'appliqueraient probablement dans ce cas.
Je me demande aussi pourquoi le projet de loi mentionne le bétail, mais non les chevaux. C'est sans doute ce que la loi prévoyait à l'origine.
Le sénateur Grafstein: Pour plus de clarté, la ministre a-t-elle dit que le préambule ne venait pas du ministère, mais de l'autre endroit? Le préambule vous satisfait-il?
M. Roy: Les préambules font partie des lois. Je me permets de dire que ce préambule ne dit guère plus que ce qui se trouve déjà dans le Code criminel. Le préambule a un but dissuasif, ce qui est déjà le cas de l'article 718. Le préambule fait également référence à l'imposition d'une peine proportionnelle à la gravité de l'infraction commise. Le Code criminel contient déjà des dispositions en ce sens.
Les tribunaux sauront néanmoins, lorsqu'ils auront à interpréter cette loi, quelle était l'intention du législateur. Le préambule ne se trouvera pas dans les exemplaires du Code criminel que nous avons tous, mais il fait certainement partie de la loi.
Le sénateur Grafstein: Madame la présidente, si nous décidions de supprimer le préambule, faudrait-il renvoyer le projet de loi à l'autre endroit?
La présidente: Oui, car il s'agirait d'un amendement.
Les honorables sénateurs désirent-ils maintenant passer à l'étude article par article du projet de loi?
Le sénateur Carstairs: Honorables sénateurs, si personne n'a d'objection au sujet d'aucun article du projet de loi, je propose que le comité se dispense de l'étude article par article et que nous fassions rapport du projet de loi sans proposition d'amendement.
La présidente: Est-ce d'accord, honorables sénateurs?
Des voix: D'accord.
La présidente: Adopté.
Le sénateur LeBreton: Je remercie tous les sénateurs de leur soutien, ainsi que tous ceux de l'autre endroit, sauf un. Merci beaucoup.
La séance est levée.