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SOCI - Comité permanent

Affaires sociales, sciences et technologie

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule 7 - Témoignages du 24 mars 1998


OTTAWA, le mardi 24 mars 1998

Le comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd'hui, à 10 heures, pour examiner la mise en oeuvre et l'application du cchapitre 1, Loi modifiant la Loi sur le divorce, la Loi d'aide à l'exécution des ordonnances et des ententes familiales, la Loi sur la saisie-arrêt et la distraction de pensions et la Loi sur la marine marchande du Canada, et des lignes directrices qui s'y rapportent, soit les lignes directrices fédérales sur les pensions alimentaires pour enfants.

Le sénateur Lowell Murray (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Nous avons le quorum. Permettez-moi de vous rappeler que demain à 15 h 30 le comité se réunira ici conformément à son ordre de renvoi sur le projet de loi S-8. Nous entendrons demain l'Association pour les droits des non-fumeurs ainsi que le parrain du projet de loi, notre ancien collègue, l'honorable Stanley Haidasz, c.p.

Aujourd'hui, nous tenons notre sixième réunion conformément à notre mandat d'examiner la mise en oeuvre et l'application des lignes directrices fédérales sur les pensions alimentaires pour enfants. Nous allons d'abord entendre une porte-parole de l'Association nationale de la femme et du droit et une représentante de Support for Children: An Organization for Public Education, SCOPE.

L'Association nationale de la femme et du droit est un organisme à but non lucratif qui a pour mandat de faire du lobbying afin que des changements soient apportés et des politiques adoptées dans l'intérêt des Canadiennes. L'ANFD est composée d'avocats, d'enseignants, d'étudiants et de militants répartis dans tout le Canada. Depuis sa création en 1974, l'ANFD a présenté des centaines de mémoires écrits et oraux devant tous les paliers de gouvernement sur un grand éventail de questions touchant les Canadiennes. Depuis sa création, voici maintenant 20 ans, l'Association est active dans le domaine du droit familial. On a toujours reconnu que les éléments du droit familial qui touche les femmes sont fondamentaux, surtout pour le bien-être économique des femmes au Canada.

SCOPE est un organisme à but non lucratif qui compte environ 3 000 membres et qui s'intéresse à la modification des attitudes concernant les responsabilités des parents après une séparation. Allez-y, madame Curtis.

Les témoins n'ont pas remis leurs mémoires à l'avance, mais nous en avons des exemplaires.

Mme Carole Curtis, avocate en droit de la famille, membre du groupe de travail en droit de la famille, Association nationale de la femme et du droit: Je suis avocate en droit de la famille et je pratique à Toronto. Je m'intéresse donc tout particulièrement aux lignes directrices sur les pensions alimentaires pour enfants. Nous avons remis notre mémoire il y a une semaine environ et je vous présente mes excuses si vous ne l'avez pas reçu. Il est très détaillé et je ne vous présenterai ce matin que les points saillants.

Je vais parler des objectifs que visent les lignes directrices, de la structure de celles-ci, de la définition de «revenu» et de «garde partagée», ainsi que de la mise en oeuvre des lignes directrices.

Les objectifs des lignes directrices sont énoncés à l'article 1. L'ANFD constate avec inquiétude qu'il y manque ce que nous appelons «un principe directeur», c'est-à-dire que ces lignes directrices doivent aboutir à des pensions alimentaires qui répondent aux besoins des enfants. Ce n'est pas la même chose que ce qui figure au paragraphe 1a) des lignes directrices, où il est question du critère de la norme équitable.

Ces objectifs ont été modifiés de manière à inclure un critère qu'avait précédemment demandé l'ANFD, celui du traitement uniforme des conjoints et des enfants qui se trouvent dans des circonstances semblables. C'est aussi un critère important.

Quand j'explique les lignes directrices à mes clients, depuis un peu plus d'un an qu'elles sont en vigueur, je leur explique qu'elles sont constituées de deux parties. Il y a le montant de base que l'on trouve dans les tables et qui doit varier annuellement selon le revenu du payeur. Celui-ci est tenu de divulguer son revenu chaque année. Il y a ensuite les ajouts que prévoit l'article 7 et qui sont partagés proportionnellement en fonction du revenu des deux parties. Ces montants-là aussi changent chaque année. Pour certaines familles, ils pourraient être nuls. Ils sont censés couvrir les frais relatifs à l'enfant qui ne sont pas compris dans le montant de base.

Ces lignes directrices ne sont pas simples, malgré ce qu'a pu prétendre le gouvernement au moment de leur introduction. Malheureusement, c'est un autre message qui parvient aux Canadiens. Le calcul de la pension alimentaire aux enfants conformément aux lignes directrices est peut-être encore plus compliqué maintenant qu'avant, surtout en cette période de transition. On a tort de vouloir faire croire aux Canadiens que le calcul de la pension alimentaire aux enfants n'est pas un problème ou une affaire juridique. C'est une affaire juridique qui a des conséquences à long terme pour les parents et leurs enfants, et dans bien des cas il est nécessaire d'obtenir des conseils d'un professionnel. Par exemple, dans les familles où le payeur est un travailleur indépendant, il est important d'obtenir des conseils juridiques et comptables. Si je vous donne cet exemple, c'est pour donner une idée de la complexité de la chose.

J'ai reçu récemment le guide qu'a publié le gouvernement fédéral sur les lignes directrices. J'incite vivement le comité à en prendre connaissance. Il compte 200 pages et s'intitule: Lignes directrices fédérales sur les pensions alimentaires pour enfants: Guide complet. Il en existe une version abrégée de 50 pages que j'ai également lue. Malheureusement, je n'ai pas son titre en tête. Je l'ai trouvée difficile à comprendre et je suis pourtant experte en la matière. Le contact qu'auront les Canadiens moyens avec cette initiative de réforme juridique se fera soit par ce livre soit par la brochure de 50 pages que j'ai trouvé compliquée.

Le sénateur Cools: Quand a-t-elle été publiée?

Mme Curtis: En novembre 1997. La version abrégée est celle que verront la plupart des Canadiens. La majorité de mes clients ne liront pas le document de 200 pages et beaucoup d'entre eux ne le comprendraient pas.

Les ajouts constituent un problème distinct. Ils font l'objet de l'article 7. Dans les lignes directrices, on parle de dépenses «spéciales ou extraordinaires», description qui peut être trompeuse et inexacte. Un examen attentif de ces catégories permet d'y trouver la garde des enfants, les dépenses scolaires, ce qui pourrait inclure les services d'un répétiteur. Ce ne sont pas là des dépenses extraordinaires pour la famille canadienne moyenne, même pauvre ou à revenu modeste. Combien d'enfants canadiens jouent-ils au hockey ou au soccer, ou reçoivent-ils des leçons de gymnastique ou de piano?

Il y a trois problèmes de ce point de vue là. Premièrement, le fait que ces ajouts soient considérés comme extraordinaires. Ils devraient être obligatoires et non pas discrétionnaires. Deuxièmement, les tribunaux donnent à cet article des interprétations très différentes. Certains estiment que les activités parascolaires doivent être incluses, d'autres trouvent qu'elles ne doivent s'ajouter au montant de base que si l'enfant a des chances d'obtenir une médaille olympique, par exemple. C'est un très large éventail.

Le président: Ils ont tous ce potentiel, n'est-ce pas?

Mme Curtis: C'est ce que les parents aiment à croire, mais ce juge-là en particulier n'était pas de cet avis et il n'a donc pas inclus le montant.

Le troisième problème est relié à l'enseignement postsecondaire. Ces lignes directrices ont une approche totalement différente de ce qui se faisait auparavant. L'éducation postsecondaire doit être incluse. Il y a en common law un vaste corpus de jurisprudence indiquant que les enfants doivent recevoir une aide financière jusqu'à la fin de leurs études collégiales ou universitaires. Cette aide doit être disponible aux enfants comme si leur famille n'était pas divisée.

L'ANFD propose le critère suivant: quelles étaient raisonnablement les attentes de la famille avant la séparation? L'éducation est une valeur que les Canadiens respectent, partagent et appuient. Nos lois doivent en tenir compte.

Comme nous l'avions prévu, la définition de «revenu» continue de poser un problème. La divulgation financière nécessaire présente également un problème. En prenant comme définition de «revenu» celle qu'on utilise pour l'impôt sur le revenu, on s'éloigne considérablement de ce qui était la pratique avant l'adoption des lignes directrices. Le revenu n'est pas simple à calculer. Encore une fois, les travailleurs indépendants doivent faire appel à des comptables et à des avocats.

La divulgation, indispensable à tout accord, ne se déroule pas selon le scénario prévu par les lignes directrices. C'est encore un domaine où les payeurs et leurs avocats peuvent faire obstruction et ils ne s'en privent pas. Ils s'en servent comme d'une tactique. Je sais que les lignes directrices prévoient des sanctions, mais elles ne sont pas strictement appliquées. Cette disposition-là ne fonctionne pas comme le gouvernement fédéral l'avait prévu. Or elle est essentielle au bon fonctionnement des lignes directrices.

La définition de «garde partagée», à l'article 9, est erronée pour plusieurs raisons. Je recommande l'élimination des 40 p. 100 du temps, qui présentent des problèmes pour trois raisons. Tout d'abord, cela suppose que les ententes de garde partagée sont statiques, qu'elles sont arrêtées une fois pour toute. Les parents savent bien que ce n'est pas le cas. Les dispositions prises concernant la garde des enfants sont fluides et changeantes et il faut pouvoir les adapter à l'âge des enfants, ou encore à la situation des parents ou de l'enfant.

Deuxièmement, cet article a en fait causé des litiges, et je suis sûre que ce n'était pas là l'intention du gouvernement fédéral. Il a suscité des litiges concernant la garde, et le sens à donner aux 40 p. 100 du temps. Comment calculer les 40 p. 100? Faut-il compter les repas? Les nuitées, les journées d'école? Cette disposition a suscité beaucoup trop de litiges.

Troisièmement, le test devrait être fondé sur un partage égal du temps, partage calculé en fonction du temps de l'enfant et non de celui des adultes.

Parlons maintenant de la mise en oeuvre. L'accès aux tribunaux reste difficile, et continue de présenter un problème dans le contexte des lignes directrices. Les tribunaux ont été submergés de demandes de modification d'ordonnance. C'est qu'il n'y a pas d'avocats disponibles pour la majorité des gens qui n'ont pas les moyens d'en retenir un eux-mêmes. Les compressions subies un peu partout au pays dans les services d'aide juridique pour le droit de la famille ont pratiquement détruit ces programmes. L'aide juridique n'existe presque plus, et l'on assiste à une augmentation marquée du nombre de parties non représentées devant les tribunaux.

Quelles sont les conséquences de cet état de choses devant les tribunaux? Un système qui était prévu en fonction de parties représentées par des avocats n'est plus en mesure de faire face. Bien des parties me demandent, ainsi qu'à d'autres avocats, de porter leur cause en appel parce qu'elles estiment que le procès était une catastrophe, pour toutes sortes de raisons.

La disposition prévoyant la divulgation annuelle obligatoire de la part des payeurs est une excellente idée en principe, mais il faudrait qu'elle soit accompagnée d'une procédure administrative simple qui permette d'obtenir l'information. Les conjoints ne souhaitent pas avoir ce type de contact, même si l'obtention de l'information est nécessaire pour faciliter les ajustements annuels au montant de base.

Les tables mêmes doivent être révisées chaque année, ou au moins tous les deux ans. La révision quinquennale est insuffisante. Les montants actuels ont été fixés en 1996 ou 1995 et ils sont déjà dépassés.

Mme Judy Poulin, présidente, Support for Children: An Organization for Public Education (SCOPE): SCOPE est un organisme à but non lucratif dont le personnel est bénévole. Nous sommes tous des parents célibataires qui n'ont pas le temps de préparer des mémoires. Je représente ici plus de 3 000 membres du Canada tout entier, principalement des femmes qui travaillent, parfois à deux emplois en même temps, et qui ont la garde de leurs enfants. Elles n'ont généralement pas le temps de participer à ce type d'audience. Et c'est une des raisons de l'existence de SCOPE.

Notre principal message, c'est que nos membres nous disent qu'il est trop difficile d'avoir accès aux lignes directrices. Tous nos membres ont obtenu des ordonnances avant l'introduction des nouvelles lignes directrices et beaucoup d'entre eux, après bien des efforts et après mûre réflexion, ont contribué aux lignes directrices originales. Malheureusement, ils n'ont simplement par l'argent pour y avoir accès.

Le sénateur Jessiman: Pouvez-vous nous expliquer cela?

Mme Poulin: Nos membres n'ont pas les moyens d'aller devant les tribunaux afin d'obtenir une modification d'ordonnance. Et c'est ce qu'il faudrait faire pour bénéficier des lignes directrices. Pour obtenir une modification, il faut avoir les moyens de prendre un avocat.

Le président: Permettez-lui de finir sa déclaration.

Le sénateur Jessiman: Mais vous ne vous plaignez pas des lignes directrices mêmes?

Mme Poulin: Non, je dis simplement qu'elles sont trop difficiles d'accès et que c'est là le principal problème. Nous recommandons qu'on prévoie des fonds, par l'entremise de l'aide juridique ou autrement, pour régler ce problème. Nous n'avons pas toutes les réponses. Nous avons soulevé le problème durant les consultations, avant la mise en oeuvre des lignes directrices, et le gouvernement fédéral nous avait assuré qu'il y songerait. Je suis vraiment convaincue que ces lignes directrices s'appliquent aux nouvelles ordonnances et que l'on n'a pas vraiment tenu compte des ordonnances existantes. Il faut faire quelque chose pour changer cela.

Le président: Merci beaucoup, madame Poulin.

Madame Curtis, en tant qu'avocate active, avez-vous, ou votre association a-t-elle, un avis à propos de la recommandation qui nous a été présentée il y a quelques semaines, suggérant que les organismes provinciaux d'exécution des pensions alimentaires pour enfants aient accès aux déclarations d'impôt des parents?

Mme Curtis: Oui, j'ai un avis, et mon association aussi. Nous estimons qu'ils devraient y avoir accès.

Le sénateur Jessiman: Madame Poulin, vous dites que les personnes qui ont obtenu des ordonnances avant l'introduction des lignes directrices sont soumises à l'ancien régime. Supposons que la somme de 300 $ était déductible de l'impôt et n'était pas incluse dans le revenu du payeur. Elle était calculée dans le revenu du bénéficiaire. Ces personnes-là n'ont pas demandé de modification aux tribunaux parce qu'elles n'ont pas les moyens de prendre un avocat. Est-ce qu'il faut aller devant un tribunal pour prouver que ces 300 $ ne font pas partie du revenu?

Mme Poulin: Par exemple, d'après les tables, j'aurais droit à davantage d'argent, mais je serais déjà contente de ne pas avoir à payer d'impôt sur la somme que je reçois actuellement. J'ai demandé trois fois à mon ex-conjoint de remplir et de signer un formulaire qu'a préparé Revenu Canada à cette fin. C'est très simple. Il suffit de le remplir. Le montant ne changera pas, mais je n'aurai plus à payer d'impôt. Il refuse de signer.

Le sénateur Jessiman: Est-ce qu'il peut continuer de déduire la somme?

Mme Poulin: Oui. Tant qu'il ne signera pas le formulaire, je devrai déclarer cet argent. La procédure est censée être simple, mais il doit signer le formulaire. Il refuse de le faire. Le seul moyen d'en sortir, ce serait d'aller devant un tribunal, mais je n'en ai pas les moyens. Ces situations sont fréquentes. Je ne demande pas une somme différente, je veux simplement ne pas avoir à payer l'impôt.

Le sénateur Jessiman: Les payeurs peuvent déduire cet argent en vertu de l'ancien système. S'ils ne pouvaient plus déduire ces sommes, ils demanderaient peut-être une révision puisqu'en fait, selon leur palier d'imposition, cela pourrait leur coûter le double, même si le montant n'a pas changé.

Mme Poulin: Un tribunal me donnerait probablement gain de cause, mais je n'ai pas les moyens d'aller au tribunal. Il faut avoir un avocat et un avocat vous demande un acompte de 500 $.

Le sénateur Jessiman: Je prends ma retraite le 5 juin et je suis très compétent.

Mme Poulin: Les lignes directrices ne sont pas accessibles.

Mme Curtis: Il est important de noter qu'elles ne sont pas accessibles parce que le gouvernement pensait que les Canadiens n'auraient pas besoin de recourir à des avocats. Ils devaient pouvoir s'entendre autour de la table de cuisine. C'est l'image qui nous a sans cesse été répétée. Mais un système qui demande 200 pages d'explications n'est pas adapté à la table de cuisine.

Le sénateur Cools: J'ai toujours estimé que l'affaire était terriblement compliquée et qu'on nous induisait en erreur.

Mme Curtis: C'est exactement ce qu'a dit l'ANFD il y a un an devant ce comité. Nous estimions que le système était trop compliqué. Nous n'avons pas changé d'avis.

Le sénateur Jessiman: Personne ne vous dira le contraire. Mais il arrive que des gens règlent leurs problèmes autour de la table de cuisine, sans l'aide d'un avocat. Ils n'ont pas besoin de mon avis. D'après ce que d'autres témoins nous ont dit et ce que j'entends dans mon propre cabinet de gens qui travaillent dans ce domaine, les lignes directrices ont eu une certaine utilité. Toutefois, on concède que les décisions des tribunaux sont variables. Je le reconnais. La loi finira par être appliquée uniformément. Il ne fait aucun doute que ces lignes directrices constituent un progrès et que les deux parties finiront par les comprendre.

Mme Curtis: Il est dangereux de penser que tout peut être réglé en appel, car peu d'affaires du droit de la famille arrivent en cour d'appel. La plupart des citoyens n'ont pas les moyens de se payer un avocat, encore moins d'aller en appel. La première affaire de ce type qui est allée en cour d'appel en Ontario concernait un certain M. Baker qui avait une valeur nette de 78 millions de dollars et un revenu annuel de 980 000 $. Cela n'est pas très utile pour mes clients. Cela ne nous aidera pas beaucoup à mieux comprendre la loi. Et la décision n'a aucune valeur de précédent. Six pour cent seulement des Canadiens gagnent plus de 150 000 $.

Le sénateur Jessiman: Nous savons comment la common law et les tribunaux ont interprété l'article concernant l'enseignement postsecondaire. Ils ont jugé que le terme «autres» comprend l'invalidité, la maladie et tout autre coût, y compris l'enseignement secondaire. Vous dites que les parents séparés doivent avoir les mêmes obligations envers leurs enfants que s'ils étaient encore mariés. Seulement, ils ne prennent pas les décisions ensemble comme s'ils étaient mariés. Vous dites que le parent qui n'a pas la garde doit être contraint à payer, même s'il n'y serait pas nécessairement obligé si le couple était encore uni. C'est cela le problème du parent qui n'a pas la garde. Les tribunaux ont confirmé cette obligation du parent qui n'a pas la garde.

Si vous êtes mariés et que vous avez une différence d'opinion sur l'éducation postsecondaire de vos enfants, la solution logique serait de divorcer, et il n'y aurait plus de problème puisque les tribunaux vous donneraient raison.

Mme Curtis: Nous ne disons pas le contraire. Ce que nous proposons c'est de déterminer quelles étaient les attentes raisonnables de la famille avant la séparation. Si la famille s'attendait à ce que les enfants fréquentent l'université, c'est le critère qui devrait être appliqué après la séparation. Tous les enfants ne doivent pas nécessairement, en toute circonstance, avoir accès à de l'argent pour aller à l'université. La question est de savoir s'il est raisonnable dans le cas de cet enfant, compte tenu des attentes que pouvait avoir sa famille, de recevoir de l'aide pendant ses études universitaires.

Le sénateur Cools: Je crois que personne ne serait en désaccord. Évidemment, lorsque les parents en ont les moyens, il leur incombe d'envoyer leurs enfants à l'université ou de les aider pendant leurs études. Le différend découle de la question suivante: à qui doivent être versées ces sommes? À l'enfant adulte, ou même à l'établissement d'enseignement?

Le sénateur Jessiman: Qu'en pensez-vous?

Mme Curtis: Je n'ai pas d'avis. Ça ne pose pas de problème puisque les répercussions fiscales n'entrent plus en ligne de compte. Le père ne pourra de toute manière pas déduire la somme. Auparavant, la Loi de l'impôt sur le revenu était structurée de telle manière que si la somme était versée à l'enfant le père ne pouvait pas la déduire. Maintenant que les considérations fiscales n'entrent plus en ligne de compte, peu m'importe à qui l'argent est versé, tant que l'enfant reçoit une aide dans les cas où il pouvait raisonnablement s'attendre à poursuivre des études universitaires.

Le sénateur Jessiman: J'ai entendu des gens se plaindre du fait que si l'argent était versé au parent qui a la garde, elle pouvait dépenser l'argent pour elle-même et non pour l'enfant.

Mme Curtis: Il faut voir cela du point de vue de l'enfant. C'est tout ce qui compte pour les études universitaires.

Le sénateur Cools: Madame Curtis, vous défendez l'idée que des parents divorcés doivent une aide aux enfants d'âge universitaire et vous estimez qu'il n'appartient pas aux tribunaux d'en décider.

Mme Curtis: Non. Avant les lignes directrices, la loi prévoyait que les enfants pouvaient avoir droit à une aide financière pour leurs études postsecondaires si leur famille en avait les moyens et si cela était raisonnable. C'est la position que nous défendons.

Le sénateur Jessiman: Ne pensez-vous pas que cette obligation doive être partagée entre le parent qui a la garde et l'autre?

Mme Curtis: Conformément à la loi, ce serait considéré comme un ajout, ce qui veut dire que la somme serait partagée en proportion du revenu de chaque parent et fluctuerait annuellement conformément aux variations dans leurs revenus. C'est un ajout aux termes de l'article 7, frais relatifs aux études postsecondaires.

Le sénateur Cohen: Madame Poulin, j'ai vu avec plaisir que vous recommandiez que l'on prévoie des fonds supplémentaires pour l'aide juridique. En tant que militante dans la lutte contre la pauvreté, je sais que c'est une tragédie que des femmes ne puissent pas avoir accès à des avocats parce qu'elles n'en ont pas les moyens. J'espère que ce comité prendra votre recommandation très au sérieux.

J'aimerais aussi dire quelques mots à propos de l'examen quinquennal des lignes directrices. Lorsque nous avons étudié le projet de loi C-41, notre comité avait dit publiquement qu'une période de cinq ans serait trop longue et que la révision devait avoir lieu tous les deux ans. Nous n'avons pas changé d'avis.

Récemment, un de nos témoins suggérait que les ajouts soient limités à trois domaines particuliers: la garde des enfants, les frais médicaux importants et les études postsecondaires, tandis que tous les autres frais médicaux, dentaires, primes d'assurance, dépenses relatives aux études primaires ou secondaires et aux activités parascolaires devaient être éliminés. Le témoin disait également que les montant des pensions alimentaires devaient être augmentés en conséquence, disant que cela réduirait les causes de litiges entre les conjoints. Qu'en pensez-vous?

Mme Curtis: Je ne sais pas si nous avons une position là-dessus. Les catégories prévues dans la loi ne sont peut-être pas parfaites, elles méritent peut-être quelques ajustements, et peut-être qu'il serait bon d'en avoir moins, mais puisqu'elles sont là, nous voudrions qu'elles soient obligatoires plutôt que discrétionnaires.

Le problème des ententes faites autour d'une table de cuisine -- et il y en a, comme il y en avait avant les lignes directrices -- c'est qu'elles ne tiennent pas compte des ajouts. En général, les gens s'assoient et fixent la table. Ils ne peuvent rien faire de plus, car tout cela est très complexe et la plupart des gens n'ont pas accès à l'information. C'est même compliqué pour la plupart des avocats. Il est faux de penser que tout le monde obtient des ajouts. S'ils étaient obligatoires, ce serait beaucoup plus équitable dans tous les cas. Cela voudrait dire que les familles -- les parents et enfants qui se trouvent dans des circonstances semblables -- auraient un traitement semblable.

Le sénateur Cools: Je trouve extraordinaire que vous disiez que les ajouts doivent être obligatoires. Voulez-vous dire que le montant de base devrait être plus clairement défini? Il est tout à fait extraordinaire de dire que les ajouts doivent être obligatoires. Nous avons entendu ici que si les ajouts causent tant de difficultés et de querelles, c'est parce que personne ne sait exactement ce que comprend le montant de base. Peut-être pourriez-vous m'expliquer cela. Vous ne pouvez pas avoir un montant de base obligatoire et des ajouts qui seraient également obligatoires.

Mme Curtis: Nous avions déjà recommandé à ce comité, il y a un an, que les ajouts soient obligatoires. La loi comporte deux éléments distincts. Il y a le montant de base indiqué dans les tables, qui varie annuellement en fonction du revenu du payeur, et il y a les ajouts. Les ajouts sont partagés en proportion du revenu de chacun des parents et, pour beaucoup de familles, le montant pourrait être nul. Il pourrait s'élever à 5 000 $ une année et tomber à zéro l'année suivante parce que les dépenses varient. L'enfant pourrait fréquenter une école privée une année et ne plus y aller la suivante. Le montant de base ne peut jamais être nul, mais les ajouts pourraient certainement l'être à divers moments.

Le sénateur Cools: Bien souvent les ajouts ont pour effet d'annuler l'objectif même des lignes directrices qui était la «certitude». Nous pouvons maintenant être certains que les choses seront incertaines.

En vous écoutant aujourd'hui je me dis que bon nombre de ces commentaires auraient dû être faits l'an dernier, car nous étions nombreux à prédire que ces lignes directrices ne seraient pas très utiles.

Si elles sont censées nous donner une indication du montant, on ne peut pas éliminer la discrétion du juge sur le montant de base et lui laisser entière liberté pour les ajouts. C'est schizophrène.

Mme Curtis: Vous avez décrit la situation actuelle sous le régime de cette loi. Il y a deux éléments importants lorsqu'on considère ce que comprend le montant de base. Tout d'abord, la loi et les règlements ne nous disent pas ce qui est compris dans ce montant, mais ils donnent la liste des ajouts. Pour les avocats, cela signifie que tout est inclus dans le montant de base sauf les frais spécifiquement mentionnés. Il est toutefois évident que certains frais ne devraient pas être inclus dans le montant de base. Les frais relatifs à la garde des enfants, aux soins médicaux et dentaires, aux études postsecondaires sont clairement exclus des montants de base. Nous espérons que c'est ainsi que le comprennent les juges. C'est clair dans la loi.

Mais la difficulté qui se pose au magistrat découle du paragraphe 7(1) qui dit «...compte tenu de leur nécessité par rapport à l'intérêt de l'enfant et de leur caractère raisonnable...». Et c'est là qu'ils doivent décider: Est-ce que cet enfant peut espérer une médaille olympique? Est-ce que c'est le seul critère qui doive entrer en jeu? Je prétends que la confusion provient en partie de l'utilisation des adjectifs «spéciales» ou «extraordinaires» dans le titre de l'article. Pour la famille canadienne moyenne, il ne s'agit pas là de dépenses spéciales ou extraordinaires. La garde des enfants n'est certainement pas une dépense spéciale. Une excursion scolaire à Niagara Falls, à New York ou ailleurs ne devrait pas non plus être considérée comme une dépense spéciale.

Le sénateur Cools: La semaine dernière, on nous a parlé d'une décision du juge Moreau qui disait exactement ce que vous venez de dire. Il est évident qu'il va falloir préciser cet article car la question des ajouts revient sans cesse.

Le sénateur Jessiman: Vous avez dit, je crois, que ces ajouts devaient être obligatoires et partagés. Ce que je reproche aux lignes directrices fédérales c'est qu'elles ne tiennent compte que du revenu du parent qui n'a pas la garde. Tous les parents qui sont dans cette situation ont aussi du mal à comprendre.

Au Québec on tient compte des deux revenus et on aboutit presqu'au même résultat. Mais si on ne le fait pas, le parent qui n'a pas la garde ne peut jamais savoir ce que gagne l'autre parent. Si elle gagne à la loterie ou hérite d'une somme importante, on n'en tient pas compte. Il y a là un effet psychologique, même si ça ne fait pas une grosse différence dans le résultat. Auriez-vous des objections à ce qu'on adopte le modèle québécois?

Mme Curtis: Comme je ne le connais pas, je préfère ne pas me prononcer. Les lignes directrices reposent sur l'hypothèse que le parent qui a la garde contribue, à égalité ou autrement.

Le sénateur Jessiman: Je le comprends, mais beaucoup qui n'ont pas la garde trouvent cela injuste et préféreraient nettement connaître le revenu du parent qui a la garde. Ils paieront peut-être autant ou plus, mais psychologiquement se serait très important pour eux.

Ce n'est pas une question d'argent. Les lignes directrices sont probablement équitables. Auriez-vous des objections, même si cela n'avait que des conséquences psychologiques pour les parents qui n'ont pas la garde? Comme vous l'avez dit, vous souhaitez que les ajouts soient obligatoires et partagés. S'ils sont partagés, il faudra obtenir des renseignements financiers. Pourquoi ne pas prévoir la divulgation dès le départ?

Mme Curtis: Vous avez vous-même répondu à la question. Il n'est pas vraiment juste de dire que les lignes directrices ne tiennent pas compte du revenu du parent qui a la garde. Dans l'un des éléments de la structure, le revenu doit être divulgué et il est pris en compte. Je ne partage pas votre point de vue selon lequel la loi devrait prendre en compte des considérations psychologiques. Le législateur n'a pas pour responsabilité de s'assurer que les gens se sentent à l'aise face aux pensions alimentaires. Sa responsabilité est de mettre en place un régime bien structuré et qui prévoit des prestations appropriées. Nous n'avons pas les mêmes priorités.

Le sénateur Jessiman: La divulgation est obligatoire dans l'un des éléments, mais pas dans l'autre. Les chiffres ne changent pas d'un élément à l'autre. Nous essayons de trouver la meilleure solution pour les Canadiens. Ceci n'aurait aucune incidence sur les enfants. Je ne pense pas que le parent qui a la garde y verrait une objection.

Mme Curtis: Quand vous considérerez ce qui est dans l'intérêt des Canadiens, j'espère que vous tiendrez compte des recommandations que nous vous avons présentées ici, et qui, selon nous, représentent l'intérêt des Canadiens.

Le sénateur Jessiman: À propos de la garde partagée, quel pourcentage de temps faudrait-il fixer? Quand un enfant dort, il y a peu d'interaction avec le parent.

Mme Curtis: Les parents qui doivent se lever au milieu de la nuit parce que leur enfant vomit ne partageraient pas votre point de vue.

Le sénateur Jessiman: Il n'y a pas beaucoup de responsabilité parentale quand l'enfant est à l'école.

Mme Curtis: Avez-vous fait les muffins pour le déjeuner? Avez-vous cousu le costume d'Halloween?

Le sénateur Jessiman: Ce travail-là n'est pas fait pendant que les enfants sont à l'école.

Mme Curtis: Ce sont des responsabilités.

Le sénateur Cools: Vous soulevez des questions importantes. Je pourrais vous prendre à partie sur beaucoup d'entre elles. Que signifie «être parent»?

Mme Curtis: Précisément.

Le sénateur Cools: Pourquoi est-ce qu'il serait plus important de faire des muffins pendant que l'enfant est à l'école que de les faire en fin de semaine avec le parent non gardien? Nous pourrions avoir là-dessus toute une discussion. Vous prétendez que votre définition du rôle du parent prime sur toutes les autres.

Mme Curtis: Pas du tout. J'étais au contraire de votre avis, sénateur Cools.

Le sénateur Cools: Une chose est certaine: il n'y a que 24 heures dans une journée. Quand on détermine où sont les enfants, il faut prendre en compte toute la période de 24 heures.

Mme Curtis: C'est exactement ce que l'on fait. On n'essaie pas de compter les repas, les heures de sommeil, ou autres. On compte les jours. Il est regrettable que l'on doive compter les jours.

Le sénateur Cools: Précisément.

Mme Curtis: Quand je lis les cas qui sont portés devant les tribunaux à ce propos, je ne suis pas fière d'être Canadienne.

Le sénateur Cools: Nous savons, vous et moi, que si les gens comptent les jours et les heures, c'est que le système tout entier est injuste.

Mme Curtis: Je vois la chose différemment. Ils comptent les jours et les heures parce qu'ils veulent payer le moins de pension alimentaire possible.

Le sénateur Cools: Gardez vos affirmations discriminatoires pour vous. Je les ai tolérées il y a quelques jours, mais si un homme venait devant notre comité parler des femmes comme vous avez parlé des hommes la semaine dernière... C'est assez. Soyons justes.

Le sénateur Cohen: Dans sa recommandation 17, l'Association nationale de la femme et du droit propose que l'article 9 des lignes directrices fédérales sur les pensions alimentaires pour enfants soient modifiées de manière à éliminer les «40 p. 100 du temps» et de définir la garde partagée comme «une situation où l'enfant partage son temps également entre les deux parents». Sans parler de mois, de jours, de semaines. Rayez le pourcentage. C'est à envisager.

Mme Curtis: Merci, madame le sénateur.

Le sénateur Cools: Je comprends, madame Curtis, que vous êtes fermement convaincue de ce que vous dites et je le respecte.

La semaine dernière, des témoins ont parlé de l'affaire Jones c. Jones. Cela avait trait au problème qu'a mentionné Mme Poulin disant que les membres de son groupe n'ont pas accès aux lignes directrices parce qu'ils n'ont tout simplement pas les moyens de faire appel à un avocat pour demander une modification d'ordonnance à un tribunal.

L'an dernier, lorsque nous étudiions le projet de loi, on nous avait dit qu'il était peu probable que les gens demandent une modification d'ordonnance et que cela ne poserait donc pas de problème. Dans Jones c. Jones, un parent qui n'a pas la garde demandait au tribunal une modification d'ordonnance conformément aux lignes directrices car elles réduiraient considérablement le montant à payer. Apparemment, le juge a refusé la modification. Je ne sais pas si l'aide juridique constitue la solution au problème, même si le sénateur Jessiman offrait ses services. Que pensez-vous de l'affaire Jones?

Mme Curtis: Je ne peux pas me prononcer sur ce cas particulier. Je peux vous dire cependant que les gens qui, comme moi, travaillent dans ce domaine tous les jours essaient de se tenir au courant de toutes les décisions; et actuellement, nous voyons de tout. Je ne suis pas étonnée que quelqu'un ait cité un cas où la décision paraît absurde. Il y a des décisions absurdes. Et je ne veux pas par là manquer de respect aux magistrats. Le sujet est extrêmement complexe et la confusion règne. On n'est pas très sûr des intentions du gouvernement, même si celui-ci a eu amplement le temps d'informer le public. Dans bien des cas, les résultats sont contraires à ce qu'on espérait et il n'y a pas de solution. L'expérience a démontré que nous avions raison à propos de la mise en oeuvre des lignes directrices.

Le sénateur Cools: L'an dernier, le comité voulait avoir le temps d'examiner convenablement la question. Le gouvernement, en citant des gens comme vous, nous a répondu que tout le monde avait été consulté depuis cinq ans et que le gouvernement faisait face à une date butoir, le 1er mai. Peut-être qu'à l'avenir nous devrions résister encore plus vivement lorsque le gouvernement nous impose ce type de délai.

Nous avons rarement l'occasion de revenir sur un sujet quelques mois plus tard seulement, comme nous le faisons ici. Ce que les témoins, y compris Mme Curtis, nous disent très clairement, c'est que nous sommes allés trop vite.

Le président: Je remercie Mme Curtis et Mme Poulin pour une discussion stimulante et intéressante.

Nous avons maintenant 45 minutes environ pour entendre les porte-parole de FatherCraft Canada et de l'Alliance nationale des organisations pour l'entraide des parents non gardiens. Je les invite à prendre place à la table.

Les deux témoins ont des déclarations liminaires. Ils ont également présenté au comité des mémoires dont vous avez reçu ou recevrez copie. Ils ne seront cependant pas annexés au compte rendu. Ils sont en effet très longs car ils contiennent des transcriptions textuelles. Leur annexion au compte rendu entraînerait pour le comité des coûts prohibitifs.

M. W. Glen Cheriton, directeur, FatherCraft Canada: Je vais d'abord faire une déclaration, puis je parlerai du cas Cavanaugh c. Cavanaugh. Mon mémoire contient un certain nombre de recommandations, mais je ne les mentionnerai pas ici.

Le comité devra tôt ou tard se prononcer sur la question des pensions alimentaires pour enfants. Il devra soit assumer la pleine responsabilité pour tous les détails du régime des pensions alimentaires -- et j'imagine que vous finirez par obtenir un texte aussi compliqué que la Loi de l'impôt sur le revenu, qui est épaisse -- soit prendre en considération d'autres modèles, parmi lesquels le modèle britannique. En Grande-Bretagne, 95 p. 100 des cas sont réglés en dehors des tribunaux et les parties sont libres de décider elles-mêmes. Vous finirez par avoir à faire ce choix.

J'aimerais parler du parti pris des juges dans l'interprétation des lignes directrices sur les pensions alimentaires pour enfants. Il est évident à mes yeux que cela va devenir un problème important. Le parti pris est un outil extrêmement puissant. Mis entre les mains d'une magistrature qui a essentiellement un préjugé défavorable face aux pères, dans ce domaine d'où ils ont été traditionnellement exclus, on peut s'attendre à voir de plus en plus de décisions défavorables et de plus en plus de pères chassés du monde quotidien de leurs enfants.

Prenez, par exemple, le cas d'un agriculteur qui avait la garde de deux de ses trois enfants. Il devait payer 1 300 $ par mois de pension alimentaire. Comme il ne pouvait pas payer, il a été mis en prison. Lorsque le juge a revu le dossier en 1997, il s'est aperçu que cet agriculteur avait en fait un revenu négatif. Il avait enregistré des pertes de 16 000 $ et de 20 000 $ pendant ces années-là. Mais il a quand même fait de la prison. Voilà un exemple du parti pris de la justice. Le juge a décidé que le revenu n'était pas réellement négatif comme l'indiquaient les déclarations d'impôt. Il a attribué un revenu et n'a tenu aucun compte du fait qu'il était de facto le parent gardien.

Ce n'est qu'un exemple, mais il est révélateur de nombreux problèmes.

Je crois que vous avez une copie de l'étude Gardiner publiée en 1997. Nous savons qu'en 1991 les tribunaux accordaient la garde des enfants aux pères dans environ 11 p. 100 des cas. Si nous nous fions aux chiffres que donne Gardiner, ce nombre est tombé à 4,6 p. 100, ce qui montre que plus l'instrument est puissant et moins les juges sont disposés à considérer équitablement le rôle du père dans la vie des enfants. Durant cette même période, le docteur Leroy Stone montre que la participation du père dans la vie de l'enfant a augmenté, tout comme le nombre de pères qui sont les principaux prestataires de soins.

On a pu constater qu'au cours des années la tendance au partage des responsabilités parentales s'est accentuée et affermie, mais Gardiner indique une chute importante -- de 11 ou 12 p. 100 en 1991 à 3,4 p. 100 environ en 1997. Que se passe-t-il? On exclut les pères de l'univers de leurs enfants. C'est une évidence. Plus l'instrument est puissant, plus les juges hésitent à l'utiliser contre les femmes.

Si l'on mesure le succès d'une loi au montant que l'on peut obtenir de quelqu'un, il est évident qu'aux yeux des juges il est plus facile d'obtenir de l'argent du père que de la mère. La dernière fois que je suis venu devant votre comité, nous avons comparé le montant des pensions alimentaires que paient les pères, qui était en hausse de 7 p. 100, tandis que leurs revenus augmentaient de 3 p. 100. Avec une telle formule, nous allons droit à la catastrophe. Parallèlement, les pensions alimentaires versées par les mères diminuaient d'environ 17 p. 100 par an.

Venons-en maintenant à Cavanaugh c. Cavanaugh, dont je parle dans mon mémoire. M. Cavanaugh connaît bien le droit et il n'a pas pris d'avocat. Il a deux enfants, dont l'un est auprès de lui de 50 à 60 p. 100 du temps. L'autre passe de 50 à 60 p. 100 de son temps avec sa mère. M. et Mme Cavanaugh ont des revenus comparables, ou le revenu de madame est plus élevé.

Le juge, appliquant les lignes directrices, a décidé que M. Cavanaugh paierait le montant total de la pension à l'enfant qui est avec sa mère, mais que Mme Cavanaugh paierait sa part pour l'autre enfant en tenant compte du temps où elle a la garde partagée. C'est donc un traitement totalement différent dans les deux cas. Le juge calcule ensuite la différence et applique une formule mystérieuse qui aboutit à une pension alimentaire à peu près égale à ce qu'elle était au départ, lorsque la mère était censée avoir toute la responsabilité. Nous avons là encore un exemple du parti pris des juges.

Le but semble être d'obtenir le plus d'argent possible; la solution à la pauvreté des enfants c'est de soutirer le plus d'argent possible aux pères. C'est comme si dans le cas des pêches l'on décidait que puisque que les Maritimes ayant de toute évidence besoin d'un milliard de tonnes de poissons, on va fixer le quota à ce niveau-là, même s'il n'y a que 10 millions de tonnes de poissons dans l'océan. Vous pourrez aller à la pêche autant que vous voudrez, mais quand il n'y aura plus de poissons il n'y en aura plus. Aucune loi ne pourra rien y changer.

Il y a un danger à vouloir se montrer trop sévère. Si les tribunaux ordonnent un paiement insuffisant, on peut toujours l'augmenter. Mais une ordonnance trop élevée peut avoir des résultats catastrophiques. Prenez, par exemple, le cas d'un travailleur indépendant. À partir du moment où il est en défaut de paiement, il lui devient pratiquement impossible de survivre. Il ne peut pas emprunter. Il ne peut pas s'adresser à une banque. Il ne peut pas rouvrir une marge de crédit. Il est ruiné. Et je ne parle pas d'une faillite. Je dis que cette personne est ruinée à tout jamais. Il n'y a pas de pardon.

Je vous suggère de prendre connaissance de la décision Cavanaugh c. Cavanaugh. Le juge demande, par exemple, pourquoi la mère devrait-elle être pénalisée du simple fait que la loi a changé? On ne tient aucun compte des besoins des enfants lorsqu'ils sont chez leur père. On a simplement donné aux tribunaux, qui ont traditionnellement un préjugé défavorable envers le père, un instrument très puissant.

Il faut bien comprendre les conséquences de cette loi. Si les enfants ont des contacts avec leur père, si celui-ci joue un rôle dans leur vie, ils profitent du revenu total du père, pas seulement de ce qu'établissent les lignes directrices. Généralement, les pères n'abandonnent pas leurs enfants, et une garde partagée permet donc d'éviter que les enfants ne tombent dans la pauvreté. De la même manière, les mères n'abandonnent pas leurs enfants, à moins d'avoir un problème psychologique ou de traverser une crise financière grave.

Il faut, au-delà du problème de la pension alimentaire pour enfant, aller à la question essentielle: le gouvernement entend-il contribuer à protéger les mariages, qui sont dans l'intérêt de l'enfant, et le contact des pères avec leurs enfants?

M. L. Jason Bouchard, coordonnateur, Alliance nationale des organisations pour l'entraide des parents non gardiens: Je voudrais commencer par vous rappeler -- puisque dans ces questions ont fait souvent une distinction en fonction du sexe du parent, et que M. Cheriton a exprimé des préoccupations réelles -- qu'environ un parent non gardien sur cinq est une femme, dépendant des statistiques que vous prenez. Il est important d'examiner les partis pris en fonction des sexes et de considérer la structure tout entière lorsqu'on essaie de s'en défaire. Les deux sexes ont des perspectives différentes qui sont toutes deux très importantes.

Nous vous remercions de nous avoir invités. Nous sommes ravis que le comité examine à nouveau les lignes directrices.

La ministre de la Justice a rencontré les groupes de femmes, je présume pour parler des besoins des mères gardiennes, mais elle n'a rencontré ni les pères gardiens ni les parents non gardiens en général. Par conséquent, les gens qui contrôlent les règlements ont encore tendance à ne pas écouter tous les sons de cloches.

Les objectifs des lignes directrices, telles qu'énoncées, sont de réduire les conflits en rendant le calcul plus objectif, d'améliorer l'efficacité du processus en établissant des niveaux logiques et d'assurer un traitement uniforme dans des situations semblables. Nous estimons que la plupart des lignes directrices correspondant à ces objectifs, mais qu'il y a des lacunes importantes dans leur application et leur traitement par les tribunaux.

Nous avons une objection du même type en ce qui concerne les montants prévus dans les lignes directrices puisque même lorsque celles-ci sont bien appliquées, les montants sont parfois très élevés dans certaines situations, et bien que les juges puissent les réduire en cas de difficulté de paiement, ils le font rarement, comme nous le savons d'après les statistiques de M. Gardiner, lesquelles indiquent qu'en Alberta, 1,4 p. 100 seulement des demandes de révision à la baisse ont été approuvées. C'est minime.

Comme on l'a dit, nous ne savons pas actuellement, et les juges ne savent pas, ce qui est compris dans le montant fixé par les lignes directrices. Ceci vient du fait que le modèle n'est pas fondé sur des recherches. D'autres modèles qui avaient été préparés à l'intention du comité fédéral-provincial-territorial ont tous été rejetés. Ils avaient été élaborés par des économistes et des comptables et s'appuyaient sur des chiffres et des modèles réels. On n'a pas expliqué ce rejet. Nous ne pouvons que supposer -- et c'est certainement la supposition qu'ont faite bien des gens -- que les modèles ne permettaient pas d'obtenir des montants suffisants pour satisfaire les groupes que Justice Canada a choisi d'écouter.

Nous avons donc un modèle selon lequel si un parent a besoin d'un dollar, un parent et un enfant ont besoin de 1,40 $ et un parent avec deux enfants a besoin de 1,70 $. Personne ne sait d'où sortent ces chiffres, mais nous savons qu'ils sont plus élevés que ceux de tous les autres modèles.

Cela cause des problèmes aux juges. Lorsqu'ils doivent décider les ajouts ou trancher une situation spécifique, ils ne savent pas d'où proviennent les données.

Lorsque les juges sont confrontés à une nouvelle loi, ils tiennent souvent compte de l'intention du législateur. Dans ce cas-ci, ils l'ignorent puisqu'aucun calcul ne vient étayer ces chiffres.

Le comité que j'ai mentionné avait ajouté une formule pour les faibles revenus qui augmente le pourcentage que devront payer les payeurs dont le revenu est inférieur à 20 000 $. C'est un système étrange où les plus pauvres paient le plus. C'est ce que nous avons au Canada. Bien entendu, ils n'ont droit qu'à un montant de subsistance d'environ 6 700 $ avant que la formule ne soit appliquée. Par exemple, un payeur en Ontario qui a un revenu de 10 000 $ devra payer 120 $ par mois pour deux enfants, soit 1 400 $ par an. Ça peut paraître modeste, mais n'oubliez pas que cette personne ne gagne que 10 000 $. C'est tout ce qu'elle a pour vivre et pour faire vivre les enfants qui sont avec elle. Concrètement, cette personne verse presque la moitié de son revenu au-delà du niveau de subsistance en pension alimentaire.

Le fait est qu'une personne qui a un enfant en Ontario et qui reçoit le bien-être social, ce qui en théorie devrait constituer son revenu total, reçoit 1 400 $, net d'impôt. La personne qui gagne 10 000 $, imposables, paie la pension alimentaire au gouvernement puisque l'autre personne reçoit le bien-être social et donc ne verra jamais l'argent. C'est la moitié de son revenu au-delà du niveau de subsistance. Cela n'a aucun sens.

On peut faire valoir que tout parent doit essayer de payer une pension à ses enfants, quel que soit son salaire, c'est logique, mais demander aux pauvres de subventionner le gouvernement, cela n'a aucun sens.

Dans ce type de situation, il ne faut pas s'étonner que le taux de défaut de paiement augmente. Autrefois, les médias s'amusaient à les publier, et les gens les interprétaient comme ils voulaient. Avec le nouveau régime, quels que soient les chiffres réels, ils augmenteront probablement car personne ne peut payer à ce niveau-là.

Comme je l'ai dit, une personne qui gagne 10 000 $ devra payer la moitié de son revenu au-delà du niveau de subsistance. En plus, elle devra avoir les enfants en fin de semaine, avoir un endroit où ils peuvent dormir, les nourrir, s'occuper d'eux. Comment pouvez-vous avoir vos enfants en visite lorsque vous logez dans une pension? Ils peuvent peut-être venir en visite si vous logez dans le sous-sol de vos parents, comme cela arrive maintenant fréquemment.

Ce qui nous inquiète surtout ce sont les gens qui ont des revenus faibles. Les revenus élevés peuvent faire face, quel que soit le degré d'injustice des lignes directrices. Mais en dessous de 20 000 $, la marge de manoeuvre est très limitée. Les chiffres de M. Gardiner indiquent qu'une part importante de la population entre dans cette catégorie-là. Qu'ils soient divorcés ou en union de fait, ils représentent à peu près un tiers du total.

Lorsque la ministre de la Justice a rencontré les organisations féminines il a été question -- c'est un renvoi à la présentation qu'a fait M. Herman le 16 décembre -- du faible montant des ordonnances lorsque le revenu du payeur était inférieur à 40 000 $. On envisage d'augmenter ces ordonnances, encore une fois sans avoir une preuve matérielle que ces chiffres sont effectivement fondés sur les besoins des enfants. Est-ce qu'ils se fondent sur des désirs plutôt que sur des besoins? La différence est énorme.

On a déjà parlé ici de la règle des 40 et 60 p. 100. Ceux d'entre nous qui étaient présents à l'époque savaient combien il avait été difficile d'arriver à la proposition précédente selon laquelle si la garde était partagée à 50-50, il fallait tenir compte des deux revenus. Sinon, tant pis.

Nous estimons que si les parents doivent prendre en charge les frais correspondant à leurs responsabilités, c'est-à-dire fournir des chambres à coucher, des repas, des vêtements, des vélos, il est normal que l'on considère les deux revenus. Nous avons des objections à opposer au modèle du revenu unique que nous avons actuellement, mais si nous devons nous en accommoder, au moins que l'on considère les deux revenus lorsque la garde est partagée à peu près également.

Dans la plupart des cas, l'entente prévoit des visites en fin de semaine. Le parent qui n'a pas la garde voit ses enfants toutes les deux fins de semaine, et peut-être quelque fois pendant la semaine ou en soirée. Cela doit représenter environ 25 p. 100 du temps, afin que le parent ne soit pas obligé d'avoir une chambre à coucher pour l'enfant et tout ce qui s'impose lorsque les enfants demeurent plus longtemps.

Toutefois, si les enfants restent un peu plus longtemps, ils devront aller à l'école à partir de l'habitation du parent non gardien. Si les enfants vont à l'école, ils ne peuvent pas dormir sur le sofa. Il faut tenir compte de leurs besoins. On peut avancer que 40 p. 100 est une proportion assez élevée de partage lorsqu'un parent doit engager tous ces frais.

La magistrature a un parti pris. C'est peut-être une légère exagération, mais elle a certainement tendance à négliger tout ce qui pourrait justifier une réduction de la pension alimentaire. Dans certains cas, les juges ont fait de véritables acrobaties pour ne pas réduire le montant de la pension en dessous des lignes directrices. Nous ne sommes pas du tout en faveur d'une plus grande discrétion des juges car depuis l'entrée en vigueur des lignes directrices, leurs décisions sont tout à fait imprévisibles. Les juges ont besoin des lignes directrices pour justifier leurs décisions.

On peut avancer qu'un parent qui a ses enfants pendant un tiers du temps a besoin de chambres à coucher, de vélos, de vêtements, de repas à mettre dans la boîte à lunch, y compris ces fameux muffins dont on nous parle sans cesse. C'est une réalité. Mais 40 p. 100, c'est un compromis raisonnable entre le camp des 50-50 et ceux qui estiment que ce devrait être bien inférieur. C'était un bon point de référence pour les juges.

Quand on en arrive au point de discuter de la différence entre 38 et 42 p. 100 -- et cela arrive -- il faut commencer à penser aux coûts. Devrez-vous louer un appartement de trois chambres plutôt qu'une chambre pour recevoir les enfants? Le logement devient important. Je dirais que la règle des 40 p. 100 résout une bonne partie du problème, et c'est très important.

L'intention était en partie de laisser moins de marge aux juges, car nous avons vu par le passé que cela pouvait présenter des problèmes. Les ordonnances n'étaient pas toujours logiques.

Le président: Si vous n'en venez pas à votre conclusion, il nous restera peu de temps pour les questions.

M. Bouchard: Nous en avons un bon exemple dans les dépenses extraordinaires. Si vous considérez les chiffres de l'Alberta, la moitié des cas ont des dépenses extraordinaires qui font monter l'ordonnance en moyenne de 30 p. 100 par rapport au montant de base. Une dépense à laquelle doit faire face la moitié de la population du Canada n'est plus une dépense extraordinaire.

J'ai déjà dit qu'il était devenu très difficile d'obtenir un allégement en cas de «difficultés excessives». Dans notre mémoire, nous parlons des ordonnances pour les études postsecondaires. Nous estimons que les parents ne devraient pas être obligés de faire quelque chose qui normalement devrait être décidé d'un commun accord. Les parents ont un certain contrôle sur ce qu'ils décident de donner à leurs enfants pour les études postsecondaires. L'enfant est alors plus motivé pour bien travailler et répondre aux attentes. Si un tribunal vous dit que vous devez verser de l'argent à votre enfant pour qu'il poursuive des études universitaires, dans n'importe quelles circonstances, c'est très discutable.

Nous mentionnons ici également la question du loco parentis, qui pose de plus en plus de problèmes lorsque les enfants ont deux ou trois belles-familles. Il y a de toute évidence manque de consultation.

Nous mentionnons également l'aspect fiscal, qui a essentiellement été imposé au Parlement sans véritable consultation. Je crois que cela en dit long sur les véritables intentions.

Le sénateur Jessiman: J'aimerais que M. Cheriton nous explique en quoi consiste le modèle britannique dont il a parlé.

M. Cheriton: Sauf erreur, les Britanniques, à l'époque de Margaret Thatcher, ont essayé exactement le même système que nous avons ici. Ils ont dépensé un milliard de dollars pour un système informatique qu'ils ont fini par abandonner. Ils insistaient beaucoup sur l'application des ordonnances. Ils ont engagé pour cela des hordes de bureaucrates. Mais le résultat c'est que beaucoup de pères se sont suicidés parce qu'ils étaient harcelés; ça ne les a pourtant pas découragés. Ils ont mis en prison les pères et leur ont retiré leur passeport. Cela n'a pas suffit à dissuader le gouvernement.

Puis ils se sont soudainement rendu compte qu'il y avait de plus en plus d'enfants pauvres. Mais ça ne les a pas arrêtés. Ils ont vu que le coût du bien-être social augmentait. Ils se sont dit: «Si cela continue, le gouvernement va être en faillite.»

C'est alors qu'ils ont changé leur modèle, qu'ils ont renoncé au système judiciaire et qu'ils ont fait intervenir les médiateurs; 95 p. 100 des cas ne sont plus traités par un juge, mais par les parents eux-mêmes. Cela présente plusieurs avantages. D'abord, les enfants voient que leurs parents sont capables de régler leurs problèmes. Les enfants ont l'impression que leurs parents sont capables de maîtriser quelque chose: «Je ne suis pas obligé de voir un avocat, d'aller au tribunal et de demander l'intervention du gouvernement et des lois. Je peux m'arranger seul.» Autrement dit, ils ne dépendent pas de quelqu'un d'autre.

Les parents sont traités en personnes responsables. Ils ont peut-être constaté qu'il y avait 5 p. 100 de cas réfractaires, qui doivent passer par les tribunaux, mais les coûts sont très nettement réduits. La pauvreté parmi les enfants a diminué. En fait, les enfants voient leurs deux parents. Cela me paraît être un modèle raisonnable à envisager à la place de celui que nous avons ici.

Le sénateur Jessiman: Je voudrais vous lire le résultat de la recherche de notre attaché de recherche: «Les concepts de résidence et de contact adoptés au Royaume-Uni ont été repris en Australie et ont le même sens dans les deux lois britanniques. On insiste également sur le partage de la responsabilité parentale et l'on encourage les parents à s'entendre à l'amiable.»

C'est bien de cela que vous voulez parler?

M. Cheriton: C'est cela.

Le sénateur Jessiman: Nous parlions de parti pris. Je sais, pour avoir parlé à bien des gens de cette question, qu'il y a effectivement un parti pris. Il existe depuis des années. Il ne disparaîtra pas du jour au lendemain.

Notre attaché de recherche, dans son étude, mentionne également deux articles du Code californien, les articles 308.0 et 308.9: «En accordant la garde à l'un ou l'autre des parents, le tribunal doit considérer lequel des deux facilitera plus probablement le contact avec l'autre et ne devra pas donner préférence à l'un ou l'autre en fonction de son sexe.» Je présume que c'est le genre de texte que vous souhaitez voir adopter au Canada.

M. Cheriton: Si je comprends bien la règle du «parent accommodant», c'est ce que nous avons déjà. J'irais plus loin, et je demanderais non seulement le critère du «parent accommodant» et pas seulement une loi interdisant le préjugé en raison du sexe; il faut aussi prendre en compte les services à la disposition des mères. Elles peuvent avoir de la formation, recourir à toutes sortes de services de soutien à leur centre communautaire. Santé Canada a des guides de formation destinés aux mères. On encourage les femmes qui travaillent. On ne les entend jamais parler des pères qui travaillent. Ils devraient avoir accès à la même formation.

De plus, à qui le juge accordera-t-il la garde s'il doit choisir entre un père qui lui dit «J'ai besoin d'un service de garderie pour pouvoir travailler quand j'ai mon enfant avec moi» et une mère qui dit «J'ai aussi besoin de service de garderie afin de pouvoir travailler quand mon enfant est avec moi, mais à Ottawa-Carleton je peux obtenir ce service dès demain car les places sont réservées pour les mères célibataires». Le père célibataire, lui, devra attendre deux ans. À qui le juge confiera-t-il la garde? Il faut considérer tous les obstacles que rencontrent les pères dans leur rôle de parent.

Le sénateur Cools: Toute cette question du parti pris en fonction du sexe commence à devenir évidente pour nous, membres du Parlement. Si vous prenez les prestations de bien-être social et les prestations familiales, dans le contexte du bien-être, par exemple, en Ontario les hommes célibataires n'ont que depuis peu le droit de recevoir des prestations au titre de la famille. Le concept est nouveau, et je vous remercie d'avoir mentionné ce point en particulier.

Le sénateur Johnstone: Monsieur Cheriton, vous avez fait un excellent exposé, sauf pour une chose. Vous avez dit que les pères n'abandonnent pas leurs enfants. Je connais très bien un cas en Nouvelle-Écosse d'un père qui a complètement abandonné ses enfants. Ce n'était pas une question de revenu. Il avait une fortune de plusieurs centaines de milliers de dollars. Il avait aussi un revenu considérable; son problème était peut-être psychologique, mais il ne donnait pas cette impression. Il est simplement parti et il a abandonné sa famille.

Le sénateur Cools: Le témoin a dit «en général».

M. Cheriton: Je reçois pas mal d'appels de femmes qui élèvent seules leurs enfants. Elles me demandent comment elles peuvent amener leur ancien mari, le père de leurs enfants, à s'occuper de ces derniers? Nous y travaillons. Je ne me suis pas arrêté sur l'autre aspect. Il faut trouver le moyen de montrer aux pères que leur rôle est important. Je travaille sur les deux tableaux.

D'une part pour permettre aux pères d'être de véritables parents pour leurs enfants. Le principal problème de ce point de vue là, ce sont les obstacles que nous plaçons entre les pères et leurs enfants. Il y a aussi le coeur des hommes. Ce n'est pas de cela que je parle ici. Je passe beaucoup de temps à parler à des hommes et à leur faire comprendre combien il est important qu'ils assument leurs responsabilités de pères envers leurs enfants; plus ils le feront, et plus les hommes en profiteront également.

Je fais souvent la comparaison suivante: quand on a retiré les enfants de leur milieu autochtone, ces collectivités se sont désintégrées. La raison d'être d'une collectivité, ce qui incite les hommes à construire des parcs, à assurer la sécurité de leur quartier, c'est leurs enfants. Une société commence à construire des collectivités quand les gens ont des enfants. Ils sont la raison d'être de la collectivité, sa motivation. Je vois le changement qui s'opère chez les hommes lorsqu'ils prennent conscience de l'importance du père. C'est quelque chose qu'ils apprennent d'autres hommes. C'est quelque chose qui ne peut pas leur être appris par des femmes.

Vous avez raison. Ce type dont vous avez parlé est un nul à mon avis, mais ce n'est pas le cas de la grande majorité des hommes.

M. Bouchard: Un des problèmes que nous avons devant les tribunaux, c'est que nous faisons face à ce type de stéréotype: les hommes sont indifférents et les mères qui n'ont pas la garde ne sont pas de bons parents. On peut toujours trouver des exemples horribles de mauvais parents. Par exemple, malheureusement, dans ce pays, la majorité des enfants qui meurent de la main de leurs parents sont tués par leur mère. Bien entendu, ce n'est pas la norme. Bien entendu, cette personne a besoin d'une formation sérieuse.

Jusqu'à il y a 20 ans, notre société estimait que le rôle du père consistait à aller gagner le pain de sa famille, d'aller à la guerre, de mourir pour sa famille, mais pas de rester au foyer pour prendre soin d'elle. Nous avons ensuite passé des années à encourager les pères à s'occuper davantage de leurs enfants, et maintenant nous leur disons: «Oui, mais si vous divorcez, disparaissez». Nous revenons à un stéréotype qui est nocif pour tous.

Le sénateur Johnstone: Une fois qu'un homme atteint l'âge de 35 ans, je ne sais pas si les autres hommes peuvent encore lui apprendre grand-chose. Il a atteint la maturité et il ne changera plus beaucoup.

Le sénateur Cools: C'est très simple, il faut simplement s'abstenir de suivre l'exemple de ceux qui disent que les hommes doivent apprendre à être humains.

Selon les recherches du docteur Edward Crook, qui enseigne dans une université de la Colombie-Britannique, plus le père est proche de son enfant, plus il risque d'être exclu de sa vie. Pour l'exemple que le sénateur Johnstone a donné, nous pourrions en donner beaucoup de la situation inverse. Je pourrais vous donner de nombreux exemples d'enfants qui ont été abandonnés par leurs mères, aussi.

Le fait est que la société commence à peine à se pencher sur les problèmes sociaux que suscitent les conflits au sein de la famille et qui poussent le père à se détourner. Un psychiatre américain, le docteur Gardiner, travaille énormément sur ce sujet. Il est l'auteur d'un livre intitulé: Parental Alienation, dans lequel il décrit des cas extrêmes du syndrome de l'aliénation parentale. Il s'agit de cas extrêmes où l'enfant est engagé dans la lutte contre l'autre parent, qu'il repousse alors avec haine.

L'important à retenir ici, c'est que personne ne peut approuver la délinquance parentale quelle qu'elle soit. Nous devons admettre qu'il y a du vice et de la vertu dans les deux sexes; le vice et la vertu ne sont pas la panache d'un seul sexe.

Le président: Je ne vois pas ce qu'il y aurait à ajouter à cela, sauf nos remerciements, messieurs.

M. Bouchard: Malheureusement, c'est le type d'attitude qu'ont souvent les tribunaux; et c'est un des problèmes. C'est bon que des organisations comme l'ANFD aient fait comprendre aux tribunaux les problèmes de la violence conjugale ou autre. C'est important. Mais cela nourrit un certain parti pris. Il faut aussi parler de l'importance des pères et du rôle qu'ils jouent, de l'importance des deux parents, sans tenir compte du sexe. Il faut éduquer la population et les tribunaux.

On peut dire que les juges passent le plus clair de leur temps loin de leurs enfants et qu'ils auraient sans doute du mal à comprendre qu'une autre personne, qui est le principal gagne-pain dans une relation, ne souhaite pas en faire autant.

La séance est levée.


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