Délibérations du comité sénatorial permanent
des
Transports et des communications
Fascicule 8 - Témoignages
OTTAWA, le mardi 24 mars 1998
Le comité sénatorial permanent des transports et des communications se réunit aujourd'hui à 15 h 35 pour étudier le projet de loi C-17, Loi modifiant la Loi sur les télécommunications et la Loi sur la réorganisation et l'aliénation de Téléglobe Canada.
Le sénateur Lise Bacon (présidente) occupe le fauteuil.
[Français]
La présidente: Nous reprenons l'étude du projet de loi C-17, Loi modifiant la Loi sur les télécommunications et la Loi sur la réorganisation et l'aliénation de Téléglobe Canada. Aujourd'hui, nous avons comme témoins des membres du Bureau de la politique de la concurrence: M. Konrad von Finckenstein, directeur des enquêtes et recherches, et M. Robert Lancop, sous-directeur adjoint aux affaires civiles.
[Traduction]
M. Konrad von Finckenstein, c.r., directeur des enquêtes et recherches, Bureau de la politique de concurrence, Industrie Canada: Merci, madame la présidente, de m'inviter à vous faire part de mes observations concernant la Loi sur les télécommunications. Comme vous le savez, le Bureau a souvent témoigné à titre d'intervenant devant le CRTC en faisant toujours la promotion de la concurrence sur le marché canadien des télécommunications. Nous avons accompli beaucoup de progrès au Canada sur le marché des télécommunications, notamment sur les marchés des services interurbains et sans fil. Le projet de loi C-17 que vous avez maintenant devant les yeux traite de la libéralisation des échanges internationaux à ce chapitre.
Le projet de loi tient compte du fait qu'on ne saurait passer d'un marché réglementé à un marché entièrement libéralisé d'un seul coup. Il doit y avoir une période de transition. Ce dont nous allons traiter aujourd'hui, c'est de la période de transition.
L'accord de l'OMC négocié à Genève renferme un ensemble de principes de réglementation reconnaissant clairement que tout pays devrait, ou pourrait, appliquer un régime d'octroi de licences. Toutefois, les régimes d'octroi de licences ne doivent pas être discriminatoires. Les parties adhérant à l'accord sur l'OMC reconnaissent la nécessité des régimes d'octroi de licences dans le secteur des télécommunications internationales.
La raison est simple: il s'agit de protéger les marchés nationaux. Lorsqu'un marché est libéré et que l'autre demeure réglementé, on peut éprouver des difficultés: distorsion des échanges, déséquilibre du règlement des comptes, et cetera.
Nous préférons habituellement que les forces du marché jouent le plus librement possible; par conséquent, c'est avec une certaine réticence que nous acceptons ici la nécessité d'établir un régime d'octroi de licences des télécommunications internationales. Nous y voyons une méthode de transition seulement, qui vaudra jusqu'à ce que les marchés soient entièrement libérés. Nous croyons que le CRTC devrait mettre en place le régime d'octroi de licences le moins restrictif possible.
Comme vous le savez, le CRTC tient actuellement des audiences à propos de la forme que devrait prendre un tel régime d'octroi de licences. Nous allons comparaître devant le CRTC pour lui présenter des observations, lui révéler jusqu'à quel point ce régime devrait être libre de restrictions, selon nous. Les restrictions devraient y être bien orientées, bien ciblées, mais elles devraient réglementer seulement dans la mesure où elles sont nécessaires pour assurer une transition sans heurts.
Nous estimons aussi qu'elles devraient être ciblées car, en général, lorsqu'une activité économique est réglementée, la Loi sur la concurrence ne s'applique pas. Toutefois, qui dit octroi de licences ne dit pas réglementation. C'est seulement en rapport avec les modalités des licences attribuées que le CRTC a préséance sur la Loi sur la concurrence; la Loi sur la concurrence s'appliquera toujours à l'ensemble des activités qui ne sont pas prévues dans les conditions d'attribution des licences que prescrit le CRTC. Il est donc nécessaire que les licences aient une portée limitée, qu'elles soient bien ciblées.
Je crois savoir qu'une disposition de temporisation a été évoquée devant vous. Cette loi devrait-elle prévoir une disposition de temporisation? Eh bien, du point de vue purement théorique, on pourrait croire qu'une telle disposition s'imposerait, car il s'agit après tout d'une mesure de transition. Toutefois, personne ne sait combien de temps durera exactement la transition. Trois ans? Cinq ans ou plus? Nous sommes rassurés par le fait que le conseil dispose du pouvoir d'empêchement et que, par le passé, il s'est servi de ce pouvoir.
Vous vous rappellerez le fait que, sur le marché de l'interurbain, le conseil a commencé par réglementer la société établie, mais en ne réglementant pas les nouveaux arrivants. Il s'est retiré depuis, et le marché de l'interurbain n'est plus réglementé; il y a donc des antécédents à cet égard au CRTC, une tradition -- de la réglementation à la déréglementation, et nous nous attendons à ce que le conseil fasse de même ici. À mesure qu'il se convainc du fait que le marché des communications interurbaines à l'échelle internationale est concurrentiel et libre, il cessera de réglementer le secteur et laissera les forces du marché moduler les arrangements nécessaires.
Par ailleurs, comme vous le savez, le gouvernement dispose en application de l'article 8 de la Loi sur les télécommunications du pouvoir de fixer les orientations générales du CRTC. C'est une sorte de dispositif de protection ultime. Si le CRTC ne suit pas sa politique classique qui consiste à favoriser la concurrence, alors il est possible de lui donner des instructions.
Je crois savoir que vous avez aussi demandé pourquoi un régime d'octroi de licences est nécessaire et pourquoi la Loi sur la concurrence à elle seule ne suffirait pas à traiter de ces questions. Pour être franc, il y a trois raisons. La première concerne la «preuve». La preuve de tout abus des règles régissant les communications interurbaines internationales se trouvera à l'étranger. Il sera extrêmement difficile, sinon impossible pour nous de l'obtenir, surtout si l'auteur de l'abus est un monopole d'État à l'étranger. Les autorités étrangères n'auront pas du tout intérêt à nous livrer une preuve susceptible de nuire à l'une de leurs «sociétés d'État».
Ensuite, il y a la question du recours. Quel serait le recours indiqué? Contre qui faut-il l'intenter? Comment le fait-on respecter, surtout si l'auteur de l'abus est un autre pays?
Enfin, il y a la question du temps. Il faut beaucoup de temps pour obtenir une telle preuve et, ensuite, beaucoup de temps encore pour passer par les tribunaux ou par le Tribunal de la concurrence pour obtenir réparation. Dans l'intervalle, des participants canadiens sur le marché en souffriraient, ils en souffriraient énormément.
Pour toutes ces raisons, je crois que la Loi sur la concurrence ne suffit pas, pour l'instant, à traiter des problèmes susceptibles de survenir lorsqu'il y a un marché réglementé d'un côté et un marché libre de l'autre et qu'il est question de communications internationales.
Comme vous le savez, nous administrons ici une législation- cadre qui traite de l'activité économique et qui essaie de prendre en charge les cas d'abus. Nous n'avons pas le mandat voulu pour traiter d'autres questions qui relèvent de la Loi sur les télécommunications, notamment lorsqu'il s'agit de garantir le bon équilibre des comptes entre les sociétés de téléphonie ou encore de veiller à ce qu'il n'y ait pas de distorsion des échanges.
En bref, nous estimons que le projet de loi que vous avez devant vous est nécessaire pour une courte période, pour la période de transition, pour régler les problèmes qui se présentent lorsqu'on passe d'un marché réglementé à un marché libre. Lorsqu'il y a interaction entre les deux, il faut appliquer cet octroi de licences jusqu'à ce que l'autre marché soit déréglementé.
Une fois qu'il est déréglementé, nous croyons que le CRTC exercera son pouvoir d'empêchement et que nous, qui sommes responsables de la concurrence, prendrons le dossier en charge.
À la Chambre des communes, la portée de ce projet de loi a été restreinte, et les licences s'appliquent maintenant particulièrement aux services de communications internationales. Nous croyons que cette limitation se révèle très utile. Nous espérons et nous croyons que la loi, sous sa présente forme, permettra d'accomplir ce qu'il faut pour assurer une transition sans heurts.
Voilà donc mes observations préliminaires, madame la présidente: je serai heureux de répondre à toute question.
La présidente: Merci beaucoup, monsieur von Finckenstein. Sénateurs, avez-vous des questions? Sénateur Oliver.
Le sénateur Oliver: Merci de nous présenter cet intéressant exposé, monsieur von Finckenstein. Dites-moi: y a-t-il des domaines où les compétences du CRTC et celles de votre bureau se chevauchent?
M. von Finckenstein: Il n'y a pas de chevauchement. Nous travaillons en parallèle. Le CRTC est l'autorité de réglementation, dans la mesure où il a le mandat de réglementer, ce qu'il fait d'ailleurs. C'est un domaine dont nous sommes exclus. Dans la mesure où il existe des domaines dans lesquels le CRTC n'est pas compétent pour réglementer, cela relève de la Loi sur la concurrence. C'est nous qui avons alors à en traiter.
Le sénateur Oliver: Si je comprends bien, la principale raison pour laquelle le régime d'octroi de licences a été établi dans le projet de loi C-17, c'est de contrer toute conduite anticoncurrentielle. Or, qui dit «anticoncurrentiel» me semble parler du «bureau de la concurrence». C'est pourquoi j'ai de la difficulté à comprendre pourquoi il ne s'agit pas ici d'une affaire qui relève du Bureau de la concurrence; votre propre ministère, Industrie Canada, dit: «nous nous soucions surtout d'agissements anticoncurrentiels. Nous ne savons pas très bien quelle forme ces agissements pourraient prendre, mais c'est la raison pour laquelle nous croyons qu'il est nécessaire d'instaurer un régime d'octroi de licences.»
S'il est question d'atteinte à la concurrence, pourquoi alors ne pas ajouter à la loi qui régit votre bureau des dispositions pour contrer les agissements anticoncurrentiels? C'est ce à quoi vous me paraissez avoir affaire, pour la plus grande part. Comme vous l'avez dit aujourd'hui, vous traitez de l'activité économique et des abus qui portent atteinte à la concurrence. Pourquoi ne traiteriez-vous pas de cette question?
M. von Finckenstein: Je serais heureux de le faire si j'en avais la capacité, mais, comme je vous l'ai dit, il est difficile d'obtenir des éléments de preuve. Comme vous le savez, le système des communications internationales en entier repose sur un procédé selon lequel c'est la fin de la communication, et non pas le lancement, qui donne lieu au paiement.
Présumons qu'il y a à un bout une compagnie canadienne, et à l'autre, une société réglementée qui détient un monopole; c'est cette dernière qui met fin à la communication, si l'appel va du Canada au pays en question. La plupart du temps, les difficultés surviennent dans le cas des pays sous-développés où un monopole d'État dirige la société de téléphonie. Les appels du Canada à ce pays seront plus nombreux que les appels de ce pays au Canada, de sorte qu'il y a déséquilibre du nombre d'appels et du nombre de paiements faits à l'autre pays.
En outre, comme il s'agit là d'un monopole, l'autre pays peut pratiquer de la discrimination pour ce qui est du tarif imputé aux gens qui mettent fin à l'appel là-bas, alors que les appels qui viennent vers le Canada trouvent un marché concurrentiel et non discriminatoire, et ils se feront au meilleur tarif possible. Il y a là un déséquilibre que l'autre peut exploiter pour obtenir des avantages déloyaux, mais je ne peux en établir la preuve. Je n'ai aucune façon d'obtenir la preuve qu'il applique des taux différents pour la fin d'une communication.
Même si j'obtenais la preuve en question, comment pourrais-je m'adresser à un tribunal pour obtenir réparation? Quelle sorte d'injonction devrais-je essayer de faire établir? Quel genre d'amende devrais-je essayer de faire imposer? Qui paierait l'amende, étant donné que l'autre société n'a pas de présence au Canada?
Même s'il s'agit d'agissements anticoncurrentiels, nous ne savons pas encore quelle forme cela prendra. Nous avons été témoins de quelques exemples à cet égard, et il y en aura d'autres à l'avenir, sans aucun doute.
Le sénateur Oliver: Pourriez-vous me donner quelques exemples à ce chapitre? J'ai posé la question à de nombreux témoins et, pour être franc, les réponses n'ont pas été d'une très grande utilité. Pourriez-vous me donner des exemples d'agissements anticoncurrentiels que permettrait de contrer, selon vous, ce nouveau régime d'octroi de licences?
M. von Finckenstein: Mon collègue, Bob Lancop, vous parlera de l'exemple de Hong Kong.
M. Robert Lancop, sous-directeur adjoint des enquêtes et recherches, Affaires civiles, Bureau de la politique de concurrence, Industrie Canada: C'est un exemple dont nous sommes bien au courant.
Le sénateur Oliver: Nous savons ce qui se passe à Hong Kong, nous avons déjà reçu des témoignages à cet égard. Pouvez-vous me donner d'autres exemples?
M. Lancop: Je crois qu'il pourrait y avoir des exemples de tarifs différents de fin de communication entre un fournisseur exerçant un monopole dans un pays étranger et un fournisseur canadien ici. Si, par exemple, le tarif du pays «M», celui qui a le monopole, est de 1 dollar -- je crois qu'il y a des chiffres précis dans le dossier présenté -- dans un cas où il y a deux fournisseurs qui ont le monopole, présumément, il y aurait équilibre entre les tarifs de règlement, entre les tarifs de fin de communication, un dollar au Canada et un dollar dans le pays «M». Sur un marché concurrentiel, le tarif de fin de communication serait présumément concurrentiel, et il serait beaucoup moins élevé que le dollar en question.
Lorsque la fin de la communication est faite au Canada à un tarif nettement moins élevé que dans l'autre pays, cela crée un déséquilibre des paiements et un déséquilibre des échanges. La seule façon d'y remédier consiste à appliquer un régime qui permet au Canada de traiter directement avec ce genre de situation. Ce que l'on a trouvé, c'est un régime d'octroi de licences qui permet au Canada de traiter directement avec cela et de s'assurer que les sociétés qui mettent fin aux communications au Canada respectent les conditions d'attribution de la licence, pour qu'il n'y ait pas cette forme de discrimination.
Le sénateur Oliver: Avez-vous parlé au CRTC depuis que le projet de loi a été renvoyé au Sénat pour discuter de la position que vous faites valoir aujourd'hui? Pouvez-vous nous dire si vous en avez discuté avec l'avocat du ministère de l'Industrie avant de venir ici et de nous présenter vos observations aujourd'hui?
M. von Finckenstein: Je n'ai pas parlé au CRTC. Comme je vous l'ai mentionné, je lui présenterai des observations. Le CRTC est un organisme quasi judiciaire. L'article 125 de la Loi sur la concurrence me donne le droit de lui présenter des observations, droit que j'entends exercer.
Le sénateur Oliver: Vous ne l'avez pas encore exercé dans le cas de ce projet de loi.
M. von Finckenstein: Non. Je lui ai signifié un avis, pour utiliser le jargon juridique. J'ai enregistré une comparution. Je présenterai des observations plus tard, cette semaine. Je déposerai un mémoire qui se veut le reflet fidèle de ce que je vous ai dit aujourd'hui -- c'est-à-dire que je vois le régime d'octroi de licences comme étant nécessaire pour que la période de transition se déroule sans heurts, mais que le CRTC devrait adopter le régime le moins restrictif possible, le plus ciblé possible, et qu'il devrait se servir dès que possible de son pouvoir d'empêchement.
Le sénateur Oliver: Avez-vous parlé au conseil d'Industrie Canada avant de venir ici aujourd'hui pour présenter vos observations? Par «conseil» j'entends l'«avocat».
M. von Finckenstein: Je suis moi-même avocat; je suis donc conscient du terme qui convient. Je ne sais pas de qui vous parlez exactement. Je dispose d'une section juridique spéciale qui me conseille, à titre de Directeur des enquêtes et recherches, c'est-à-dire une division distincte à Industrie Canada. Les personnes qui s'y trouvent me prodiguent justement des conseils quotidiennement, notamment en rapport avec des questions touchant aux observations que je peux présenter au CRTC.
Le sénateur Oliver: Avez-vous discuté de la preuve que d'autres témoins ont présentée à notre comité au sujet du projet de loi C-17, la semaine dernière?
M. von Finckenstein: J'ai assisté à des séances d'information concernant les préoccupations du comité, ce dont j'ai essayé de traiter dans ma déclaration préliminaire.
Le sénateur Oliver: Qu'est-ce qui, dans le projet de loi C-17, permettrait au CRTC de surmonter les trois difficultés que vous avez évoquées en ce qui concerne le Bureau de la concurrence: la preuve relative aux cas d'abus, le recours et le temps?
M. von Finckenstein: Pour ce qui est des recours, il aurait clairement le pouvoir de suspendre ou de révoquer une licence; par conséquent, le fournisseur en question ne pourrait faire affaires au Canada. Il faut détenir une licence ici.
Quant à la preuve en la matière, je présume qu'il s'agit des cas où la personne victime des abus en question nous fera comparaître devant le CRTC, qui tiendra alors une audience. Il entendra évidemment les allégations -- disons qu'elles sont portées contre le pays «M», fournisseur exerçant le monopole dans le pays «M». Il demandera au fournisseur monopolistique en question, celui du pays «M», de contester ou de réfuter les allégations. Je n'ai pas moi-même le pouvoir de le faire. Je ne peux instaurer des audiences de cette nature. Le monopole «M» ou son affilié comparaîtra, car s'il ne comparaît pas, il court le risque de perdre sa licence.
Quant au temps, le CRTC structurera les audiences comme il lui semble indiqué de le faire, évidemment, pour veiller à l'application régulière de la loi, mais en sachant aussi que le temps, c'est de l'argent, qu'il peut contrôler son propre horaire. Je suis moi-même assujetti à l'horaire des tribunaux et des causes qui s'y trouvent. Je dois obtenir la preuve, ce qui prend beaucoup de temps, puis je suis assujetti aux aléas du rôle.
Pour répondre à vos trois questions, voilà pourquoi je crois que le CRTC est beaucoup mieux placé pour régler rapidement et efficacement ces questions, lorsqu'elles surviennent. Le seul fait qu'il y ait un octroi de licences suffira peut-être à empêcher quiconque de s'adonner à de telles pratiques.
Le sénateur Poulin: Merci, Messieurs von Finckenstein et Lancop, de l'excellent exposé que vous avez présenté. Avez-vous eu l'occasion de lire le mémoire de M. Colville la semaine dernière? M. Colville est commissaire du CRTC.
M. von Finckenstein: Non, malheureusement pas. Selon ce que j'en sais, il vous a fait part de son intention d'instaurer un régime d'octroi de licences peu restrictif. De ce point de vue, il est donc à espérer que notre mémoire trouvera là un terrain très fécond.
Le sénateur Poulin: C'est aussi la conclusion à laquelle je suis arrivée après son exposé. Je crois que votre exposé et votre mémoire au CRTC seront très bien accueillis.
Le sénateur Forrestall: Ils avaient besoin de temps pour collaborer, ce qu'ils ont fait.
Le sénateur Oliver: Il n'y a pas de doute là-dessus.
Le sénateur Bryden: Y-a-t-il un quelconque lien entre le CRTC et votre bureau? Si vous interjetez appel d'une décision, le faites-vous en application d'une disposition spéciale?
M. von Finckenstein: La Loi sur la concurrence prévoit que le directeur peut intervenir dans toute action en justice, notamment devant un tribunal fédéral, pour faire progresser un dossier relevant de la politique de concurrence. C'est mon droit d'intervenir dans toute action relevant du CRTC pour faire valoir mon point de vue sur toute question relative à la concurrence.
Visiblement, dans le cas qui nous occupe -- il doit y avoir une audience concernant l'octroi de licences des télécommunications internationales -- , l'aspect «concurrence» est très présent. J'exerce donc ce droit. Je signifie au CRTC que je vais intervenir et présenter un mémoire pour lui proposer une façon d'instaurer ce régime d'octroi de licences.
Le sénateur Bryden: Cela ne le lie en rien.
M. von Finckenstein: Ce ne sont que des observations. Toutefois, en règle générale, du moins par le passé, le CRTC et d'autres organismes ont porté un grand intérêt à nos observations. Ils les ont jugées utiles, car nous ne représentons pas une seule partie. Nous n'avons d'autre objectif que de faire progresser le système concurrentiel. Nos observations reçoivent donc habituellement beaucoup d'attention.
Le sénateur Forrestall: Ne fût-ce que pour cette raison, on voit la nécessité pour le Bureau de la concurrence d'intervenir dans la plupart de ces dossiers. Il est temps que le CRTC s'en aille, qu'il trouve un travail utile à ces gens intelligents et qu'il laisse le tribunal poursuivre la mise en ordre du processus que nous étudions aujourd'hui.
Comme les autres, je suis heureux d'avoir assisté à votre exposé, mais, par ailleurs, je n'ai pas de question.
M. von Finckenstein: Merci.
La présidente: Avez-vous quelque chose à ajouter, Monsieur von Finckenstein?
M. von Finckenstein: Non, merci, Madame la présidente.
La présidente: Je vous remercie beaucoup de l'exposé que vous nous avez présenté.
[Français]
La présidente: Nous reprenons l'étude du projet de loi C-17. Je vous souhaite la bienvenue, monsieur le ministre.
[Traduction]
Nous sommes très heureux de vous avoir parmi nous.
[Français]
M. John Manley, ministre de l'Industrie: Je vous remercie madame la présidente. J'aimerais tout d'abord vous remercier de m'avoir donné l'occasion de comparaître devant votre comité aujourd'hui afin d'appuyer ce projet de loi C-17. Je sais que l'horaire du comité durant cette session est un peu chargé. Apparemment, le mien aussi. Je veux donc vous remercier d'avoir accordé la priorité à ce projet de loi.
Le comité a entendu plusieurs témoins et a eu l'occasion d'examiner en profondeur les dispositions du projet de loi. Pour ma part, j'aimerais insister sur le contexte de cette loi et sur les raisons pour lesquelles elle est si importante et opportune pour nous.
[Traduction]
Le programme du gouvernement, tel qu'il est décrit dans le discours du Trône, énonce les mesures que le gouvernement entend prendre pour faire en sorte que le Canada réussisse dans l'économie mondiale du savoir au XXIe siècle.
Nous visons en priorité à faire du Canada la nation la plus branchée du monde et à nous assurer que tous les Canadiens auront accès d'ici l'an 2000 à l'inforoute et à l'économie fondée sur l'information. À cette fin, nous avons pour principe de favoriser la concurrence, l'innovation et la croissance par une libéralisation de notre marché.
Cette libéralisation a débuté il y a plus de 10 ans par l'attribution de licences de téléphonie cellulaire en régime de concurrence et elle s'est poursuivie par la privatisation de Téléglobe et de Télésat, l'arrivée de la concurrence dans les services téléphoniques interurbains et l'adoption de la Loi sur les télécommunications en 1993.
Ces deux dernières années, nous avons attribué des licences à des fournisseurs de nouveaux services, dont des services de communications personnelles et des services de télécommunications multipoints locaux. Nous avons également étendu ces programmes de libéralisation à l'échelon international.
Le projet de loi que nous étudions aujourd'hui ouvre la voie à la mise en oeuvre de la récente entente visant à intégrer les services de télécommunications de base à l'Accord général sur le commerce des services. Soixante-neuf pays représentant plus de 90 p. 100 du marché mondial des télécommunications, dont la valeur s'établit à 880 milliards de dollars, sont signataires de cette entente sous l'égide de l'Organisation mondiale du commerce.
Grâce à cette entente, nos sociétés de télécommunications auront un accès plus sûr aux grands marchés étrangers comme ceux des États-Unis, de l'Union européenne et du Japon de même qu'aux marchés en développement d'Asie et d'Amérique latine.
En vertu de cette entente, nous procéderons à quelques changements qui profiteront aussi aux Canadiens. D'abord, nous permettons aux Canadiens de tirer pleinement parti de tous les services mobiles par satellite, nouveaux et proposés, qui que soient les propriétaires des satellites. Nous mettrons fin au monopole de Télésat sur les services par satellite géostationnaire. Nous mettrons un terme aussi au monopole de Téléglobe Canada sur les câbles transocéaniques et les stations terrestres. Nous autoriserons les entreprises étrangères de télécommunications à avoir l'entière propriété des câbles sous-marins internationaux atterrissant au Canada. Toutefois, nous conserverons notre réglementation générale sur les investissements étrangers pour que les réseaux nationaux continuent d'appartenir à des intérêts canadiens.
Le projet de loi que vous étudiez aujourd'hui accroîtra aussi notre capacité de suivre le rythme rapide des changements à l'environnement des télécommunications. Le CRTC aura le pouvoir d'adopter un régime d'attribution de licences lui permettant d'imposer les mêmes règles à tous les fournisseurs de services internationaux.
Le CRTC tient des audiences publiques sur l'ensemble de la question des services internationaux, dont l'attribution de licences. Le projet de loi doit être adopté pour que le CRTC puisse terminer ces audiences et appliquer les nouvelles règles d'ici le 1er octobre 1998. Le projet de loi modifie aussi la Loi sur la réorganisation et l'aliénation de Téléglobe Canada pour abroger les dispositions relatives à la propriété spéciale et à la fin du monopole de Téléglobe. Téléglobe sera en conséquence régie par les règlements sur la propriété qui s'appliquent à toutes les autres entreprises canadiennes de télécommunications.
Les avantages qui découleront de l'entente relative à l'AGCS sont importants. Nous nous attendons à ce que les entreprises et les consommateurs canadiens aient accès à un large éventail de services de télécommunications de classe internationale, à des prix concurrentiels. Les fournisseurs canadiens de services de télécommunications pourront pénétrer de nouveaux marchés, et les fabricants du secteur des télécommunications verront apparaître, alors que les exploitants de télécommunications du monde entier se préparent à une concurrence acharnée, une demande nouvelle de leurs produits à la fine pointe de la technologie.
L'arrivée de la concurrence dans le secteur des services de télécommunications représente un élément important de la stratégie canadienne de développement de l'économie fondée sur l'information. Nous savons que la meilleure façon, et la plus rapide, d'ériger une infrastructure économique fondée sur l'information consiste à libérer l'énergie innovatrice et concurrentielle que recèle le secteur privé au Canada.
Je sais qu'un grand nombre de témoins ont déjà comparu devant vous. On m'a indiqué les commentaires qu'ils ont formulés. J'ai par ailleurs appris que le secteur privé, dont j'ai rencontré bon nombre de représentants, appuie l'adoption du projet de loi.
Même si je crois comprendre que certains témoins ont proposé d'apporter des modifications mineures, la majeure partie des témoins prônent une adoption rapide du projet de loi sous sa forme actuelle.
[Français]
Madame la présidente, j'aimerais me joindre à la majorité et demander au comité de traiter rapidement le projet de loi, tel qu'il est proposé.
Je veux remercier à nouveau le comité sénatorial et tous les sénateurs d'avoir examiné à fond toutes les conséquences possibles du projet de loi sur les consommateurs canadiens et sur les fournisseurs de services de télécommunications qui composent l'industrie des télécommunications, ici au Canada, et de m'avoir permis de prendre la parole aujourd'hui. S'il y a des questions, je suis prêt à répondre.
[Traduction]
Le sénateur Rompkey: Je tiens à souhaiter la bienvenue au ministre. Ses commentaires sur le projet de loi m'ont intéressé. Dans ceux-ci, il a affirmé que nous devrions nous préoccuper du contexte, ou que nous devrions y être sensibilisés, et qu'il avait pour objectif de faire du Canada le pays le plus branché du monde ainsi que d'encourager la concurrence.
J'aimerais l'amener à se projeter dans le temps, à aller au-delà du présent. Nous avons fait des progrès sur la voie de la libéralisation, et nous avons fait des progrès sur la voie du ralliement de certains pays à l'OMC. J'aimerais l'interroger en particulier sur la Chine de demain. À son avis, quand la Chine sera-t-elle associée à ce régime particulier? J'aimerais qu'il se projette dans le temps par rapport au moment présent, du point de vue de l'avenir de la libéralisation et du ralliement d'un nombre encore plus grand de pays, dans le contexte qu'il a évoqué.
M. Manley: C'est une bonne question. Dans la République populaire de Chine, par exemple, on installe chaque année une quantité de nouvelles lignes téléphoniques, égale à l'ensemble du réseau canadien. Essentiellement, ils aménagent chaque année notre réseau téléphonique complet.
Voilà qui représente un débouché pour les entreprises canadiennes. La société Nortel est présente en Chine et y fabrique des produits, en plus de s'approvisionner auprès d'autres sources. La société Newbridge y est aussi présente, et d'autres entreprises canadiennes du secteur des télécommunications font de même.
La Chine, tout comme d'autres pays en voie de développement, représente un débouché considérable. Quand on pense que la moitié des habitants de la planète n'ont pas encore effectué un appel téléphonique, sénateur Rompkey, on constate que le potentiel d'expansion du marché des produits et des services des télécommunications est franchement énorme.
En ce qui concerne l'OMC, bien entendu, les Chinois aimeraient beaucoup adhérer à l'Organisation. Il ne fait aucun doute que leur voeu sera un jour exaucé. Entre-temps, ils ont introduit en Chine un climat concurrentiel. Il existe à la fois un réseau téléphonique d'État et un réseau téléphonique indépendant, qui assure, à un niveau quelque peu rudimentaire, un cadre concurrentiel. Dans le contexte de l'accord, je m'attends à ce que de plus en plus de pays adoptent cette formule comme moyen d'assurer des services téléphoniques à leurs citoyens, le plus rapidement possible et au meilleur prix possible.
Le sénateur Rompkey: Disposons-nous d'une stratégie pour encourager ce phénomène, pour encourager la Chine à adopter un tel régime?
M. Manley: Au niveau bilatéral, il existe certes de nombreux contacts entre le Canada et la Chine qui ont trait au secteur des télécommunications. Nous fournissons de l'aide aux deux sociétés qui y font des affaires, mais nous avons également fourni, de gouvernement à gouvernement, des conseils sur notre régime, nos procédures de réglementation et la façon dont nous avons structuré notre marché au fil de sa croissance.
Les défis sont relativement différents. Dans bon nombre de pays moins industrialisés, le défi consiste à assurer un service de base, ce qui est très différent.
Au Canada, chaque foyer qui le souhaite dispose d'un téléphone, de sorte que nous avons un taux de pénétration de 99 p. 100. Dans des pays comme la Chine, où il n'y a peut-être pas de téléphone dans un village, et encore moins dans chaque foyer, la situation est relativement différente. Les défis à relever sont relativement différents de ceux auxquels nous sommes confrontés, mais ils sont à la mesure de la stratégie industrielle et commerciale que nous observons, stratégie qui pourrait avoir pour effet de stimuler la participation du Canada à l'expansion de ce marché.
Le sénateur Bryden: Monsieur le ministre, j'aimerais revenir sur une chose que vous avez dite en réponse au sénateur Rompkey, à savoir que la moitié des habitants du monde n'ont jamais effectué un appel téléphonique. Foncièrement, il s'ensuit que le débouché qui s'offre à nous est énorme. Je pense que tout le monde en convient.
M. Manley: Je pense que l'autre moitié des habitants de la planète m'ont laissé un message, mais je n'en suis pas certain.
Le sénateur Bryden: Cette situation m'a rappelé un article que j'ai lu dans notre journal local, à Bayfield, au Nouveau-Brunswick. C'était une mise en garde. Apparemment, des gens personnes avaient reçu des appels téléphoniques d'une personne qui prétendait représenter une des compagnies de téléphone -- je pense que c'est AT&T. Cette personne disait vérifier la qualité du service offert. À ce titre, elle demandait à ses interlocuteurs de bien vouloir appuyer sur les touches 9, * et #. Je pense que c'était cela. La plupart des personnes à qui on a demandé d'agir de la sorte ont obtempéré. Si vous agissez de la sorte, il semble toutefois que tous les appels interurbains de la personne qui vous téléphone sont imputés à votre numéro de téléphone.
Curieusement, un bon nombre des appels émanent de prisons ou de centres de détention. Étant donné le système que nous avons, je ne suis pas du tout surpris que cela soit possible au Canada, mais j'ignore si c'est vrai ou non. Tout ce que je sais, c'est que j'ai lu un article de journal à ce sujet.
Voici où je veux en venir: si une personne a trouvé le moyen d'imputer à un autre numéro de téléphone les appels interurbains effectués à partir d'une cabine téléphonique, par exemple, de sorte qu'elle n'a pas à utiliser sa carte de crédit ni à assumer autrement les coûts de l'appel, nous devrions, sur la scène intérieure, être en mesure de pallier ce problème. Après tout, nous avons été en mesure, d'une façon ou d'une autre, de remédier au problème des appels obscènes et pornographiques en Amérique du Nord. Cependant, est-on en mesure de maîtriser la situation à l'échelle internationale? Que se passe-t-il si l'appel effectué à une telle fin émane de l'extérieur du Canada?
Comme je l'ai déjà mentionné aux membres du comité, il est très rassurant, lorsqu'on se trouve à l'extérieur du pays, d'entrer les six bons numéros et de s'entendre dire: «Bienvenue au Canada. Pour le service en anglais, faites le 1. Pour le service en français, faites le 2.»
Si, disons, l'appel émane du Zaïre ou de la Belgique, comment pourrait-on intervenir? Existe-t-il un organisme international ayant pour mandat de prévenir ce genre de situation? Existe-t-il un mécanisme quelconque? À l'heure actuelle, ces appels transitent par des câbles sous-marins appartenant à des intérêts privés ou financés par eux. Existe-t-il, sur la scène internationale, un organisme apparenté au CRTC auquel un consommateur peut se plaindre de ce que des appels émanant du Zaïre sont imputés à son numéro de téléphone, ou quelque chose du genre?
M. Manley: Sénateur Bryden, je n'ai jamais entendu parler de ce genre de problème, ce qui ne veut pas dire qu'il ne se pose pas. Essentiellement, le consommateur d'un service téléphonique est lié par contrat au fournisseur, qu'il s'agisse de l'une des entreprises du groupe Stentor ou de l'un de ses concurrents dans le créneau des appels interurbains. De plus, il ne fait aucun doute que les consommateurs du marché local peuvent aussi bénéficier des services d'un concurrent. Les consommateurs ne sont pas responsables des appels imputés par erreur à leur compte. Dans de tels cas, ils sont entièrement fondés à refuser de payer.
Le CRTC a été appelé à intervenir dans le cas des plaintes concernant le comportement d'exploitants licenciés. Dans un marché de la téléphonie concurrentiel comme celui que nous avons, il arrive parfois, par exemple, que des plaintes soient déposées à propos de fournisseurs de services interurbains qui abonnent certaines personnes à leur insu, les harcellent ou d'autres problèmes du genre. Dans de tels cas, le CRTC effectue un suivi.
Foncièrement, je pense que la situation est un peu la même que si quelqu'un utilise votre numéro de carte de crédit pour imputer des frais à votre compte. Votre contrat ne vous oblige pas à payer les articles que vous n'avez pas achetés, et vous n'êtes pas non plus tenu d'assumer les frais des appels téléphoniques de quelqu'un d'autre.
Le sénateur Bryden: Ce n'est peut-être plus le cas aujourd'hui, mais il fut un temps où l'abonné qui n'acquittait pas sa facture se faisait couper le téléphone. On ne m'empêche pas d'acheter des choses parce que quelqu'un a imputé des frais à ma carte de crédit. Dans un tel cas, je suppose que deux recours s'offrent à moi. Je peux m'adresser aux tribunaux pour obtenir le rebranchement de mon téléphone ou, avec un peu de chance, m'adresser au CRTC pour me plaindre du traitement que m'a réservé mon fournisseur de services.
Ma question est la suivante: si, dans le contexte du régime international en voie d'émergence, un tel problème se pose, existe-t-il un organisme auquel une personne lésée puisse s'adresser, hormis l'organisme de réglementation de son propre pays?
M. Manley: Nous nous trouvons ici dans la sphère de l'hypothétique, mais la relation est toujours nationale. Vous avez toujours le droit de vous plaindre auprès du fournisseur de services téléphoniques du Nouveau-Brunswick auquel vous êtes lié par contrat, et ce dernier demeure supervisé par le CRTC. Même si, au moyen d'un curieux tour de passe-passe technologique, on a imputé un appel international à votre compte, vous avez toujours le droit de refuser de payer au motif que l'appel vous a été incorrectement facturé.
Vous avez raison de dire que certaines questions touchant le règlement de différends risquent d'aggraver la situation mais, en cas de problème constant, il apparaît clairement que la partie à laquelle, en dernière analyse, incombe la responsabilité du coût -- dans ce cas-ci, on peut imaginer qu'il s'agit de votre compagnie de téléphone -- voudra se donner les moyens d'empêcher une telle pratique à l'avenir.
Il n'existe pas, sur la scène internationale, d'organisme s'apparentant au CRTC, mais le problème que vous avez décrit est à caractère technologique, et on peut supposer qu'il existe une solution technique.
Le sénateur Bryden: J'ai une question à propos de la propriété à 100 p. 100 des câbles sous-marins. Pourquoi autoriserait-on la propriété étrangère à 100 p. 100 de câbles sous-marins, tandis qu'on impose toutes sortes d'autres interdictions? Ma préoccupation, une fois de plus hypothétique, tient au fait qu'il n'y aurait pas, je suppose, de limites quant au nombre de câbles sous-marins rejoignant le Canada que l'intéressé pourrait posséder.
M. Manley: Non.
Le sénateur Bryden: En fait, un propriétaire ou un fournisseur de câbles sous-marins pourrait, de façon directe ou à la suite de fusions et d'acquisition, en venir à posséder et à contrôler tous les câbles sous-marins qui aboutissent au Canada et en partent. Si tel est le cas, ne courons-nous pas un risque? Ne sommes-nous pas dès lors à la merci d'un tel fournisseur, qui pourrait choisir de nous isoler? Ce n'est peut-être pas le cas, mais vous pourriez nous éclairer sur ce point.
M. Manley: D'abord, en cas de concentration complète de la propriété, la première préoccupation tiendrait non pas au risque d'interruption de services, mais bien plutôt au coût. Comme, dans le domaine des appels internationaux, la concurrence est de plus en plus vive, on aura accès à d'autres mécanismes d'acheminement; en d'autres termes, les appels internationaux et les appels transatlantiques n'ont pas à passer par des câbles sous-marins aboutissant au Canada. En cas de comportements comme ceux que vous décrivez, on pourrait s'en remettre à d'autres modes d'acheminement qui existent déjà. Il y a des câbles qui aboutissent directement aux États-Unis.
Le sénateur Bryden: La difficulté que j'ai, c'est que nous nous lançons tête baissée dans la mondialisation avec la conviction que tout ce qui a pour effet de nous lier davantage au reste du monde est avantageux. Ce que je crains, c'est que, une fois que nous y serons parvenus, nous n'ayons à nous en repentir. Ne peut-on craindre que les consommateurs directs ne puissent faire l'objet d'abus à l'échelle internationale? Le cas échéant, que peut-on faire pour y remédier? Nous ne nous attendons pas à ce que vous soyez un spécialiste de cette question, et vous avez fait ce que vous avez pu pour répondre.
Nous pouvons bien avoir la conviction que le fait d'ouvrir des marchés au secteur privé stimulera la concurrence et débouchera sur de meilleurs prix. C'est ce que nous avions prévu dans le secteur des banques, et nous nous retrouvons aujourd'hui face à deux grandes banques qui souhaitent fusionner leurs activités. D'ailleurs, il n'y a aucune raison de croire que les choses s'arrêteront là: nous nous retrouverons peut-être avec cinq banques ou avec une seule banque aux dimensions colossales.
Ce que je dis, c'est qu'on souhaite aussi tenir compte de l'envers de la médaille.
M. Manley: Je n'entrerai pas dans le débat sur les banques, mais je pense que, dans le marché des télécommunications, nous avons été témoins d'une baisse des prix. En 1971, j'étudiais en Europe. Pendant l'année que j'ai passée en Europe, je n'ai téléphoné à la maison qu'à deux reprises parce que c'était coûteux de sorte que, avant d'effectuer un appel transatlantique, il fallait y penser à deux fois. Aujourd'hui, il suffit de se pencher sur les écarts de prix. Actuellement, les appels transatlantiques coûtent ce que coûtaient autrefois les appels interurbains intérieurs. Dans tous les secteurs où on a créé un marché concurrentiel, les prix ont baissé. Le phénomène s'explique en partie par la concurrence, mais aussi en partie par la technologie.
On observe le même phénomène dans tout le secteur des télécommunications, où la puissance de l'informatique augmente de façon exponentielle et où les prix diminuent. Il s'agit d'un facteur qui contribue directement à la diminution des coûts dans les télécommunications. Ici, nous allons au devant d'une situation toute différente: comme certains analystes l'ont mentionné, nous sommes témoins de l'abolition de la distance. Dans les communications, la distance entre deux points ne sera plus un facteur de coûts.
La différence a donc trait à la qualité; pour que l'entreprise réussisse, on trouve les moyens d'ajouter de la valeur au service offert. Voilà où je compte sur les entreprises canadiennes pour paver la voie à l'établissement des meilleurs types de service possibles, offerts aux meilleurs prix possibles, et pour ajouter de la valeur à leurs produits, comme il faudra le faire pour réussir dans ce marché en expansion.
Le sénateur Bryden: En ce qui concerne la situation actuelle, je suis d'accord avec tout ce que vous dites. Je viens d'un endroit tout petit, et j'ai été témoin de la chute spectaculaire du prix de toutes sortes d'articles, notamment les produits d'épicerie, en raison de l'arrivée dans la collectivité de fournisseurs nettement plus grands et plus efficients. En fait, les prix ont chuté tant et si bien que les épiciers locaux ont été acculés à la faillite. Une fois les épiciers locaux en faillite, nous avons aussi constaté que les prix ont cessé de baisser. En fait, ils ont commencé à augmenter.
Ce que je crains, c'est que personne ne semble envisager la possibilité que la conjugaison de la connectivité et des communications mondiales avec la mondialisation des conglomérats de même qu'avec d'éventuelles fusions, et cetera, ne permette à une quelconque grande société de s'arroger le contrôle principal de presque tout -- pas nécessairement dans ce secteur précis, mais dans l'un ou l'autre de ces secteurs -- auquel cas elle pourrait obliger un grand nombre de pays à payer le tarif qu'elle juge bon d'imposer, la concurrence ayant été supprimée ou absorbée.
M. Manley: Sur le plan économique, vous décrivez l'émergence d'un monopole et, dans la quasi-totalité des pays industrialisés, il existe divers types d'organismes qui ont pour mandat de s'occuper de la concentration de la puissance économique dans un monopole. Pour le moment, on est témoin non pas de la diminution, mais bien plutôt de la multiplication du nombre de concurrents. De nouveaux intervenants font leur apparition à un rythme accéléré, et sur une grande échelle. Il existe des sociétés comme Worldcom dont ni vous ni moi n'avions entendu parler il y a deux ans. Soudainement, elle possède l'une des plus importantes sociétés de télécommunications du monde.
Il en va de même pour les technologies de l'information: le secteur évolue si rapidement que de nouveaux intervenants émergent et que de nouvelles alliances se forgent pour créer de nouvelles tensions concurrentielles plutôt que, pour le moment du moins, une tendance à la concentration. Il y a tout lieu de croire que le phénomène se poursuivra puisque, en réalité, le défi que doivent relever les entreprises consiste, comme je l'ai dit, à augmenter la valeur ajoutée.
Par le passé, c'est de la location et de l'infrastructure de base que les compagnies de téléphone, en réalité, tiraient leurs recettes. Une fois les lignes installées et tout le monde branché, les abonnés payaient leur compte chaque mois, un point c'est tout. Les tarifs étaient réglementés, et les compagnies, constituées en monopole réglementé, ne pouvaient pas perdre.
Avec le déclin du coût de la connectivité, et la chute du coût de la fibre, les entreprises ne pourront tirer des revenus considérables de leur infrastructure. Elles devront s'orienter plutôt vers la prestation de services à valeur ajoutée. Il est beaucoup plus facile de faire son entrée sur le marché qu'à l'époque où il fallait trouver le moyen de brancher tous les foyers. C'est une constante. Les fils sont là, et les entreprises continueront de les perfectionner, et on les dédommagera pour ce faire.
N'importe qui peut mettre au point une nouvelle approche de la prestation de services ou de l'augmentation de la valeur ajoutée de services donnés. On en est témoin au Canada. Des compagnies de câbles font leur entrée sur le marché, sortent de nouvelles idées quant au moyen d'assurer non seulement les services qu'elles offrent traditionnellement, mais aussi des services de téléphonie de base. Les compagnies de téléphone recourent à des marchés-tests pour assurer des services de câblodistribution, secteur jusque là essentiellement réservé à l'industrie de la câblodistribution, et l'informatique vient s'y ajouter. Voilà ce qu'on entend par la convergence. De nouvelles entreprises de logiciel mettent au point de nouvelles applications.
Il me semble donc que le marché va se diversifier plutôt que se concentrer, parce qu'aucune grande organisation n'aura la capacité de concevoir toutes les nouvelles applications. En fait, plus elles sont grosses et plus, d'une certaine façon, elles sont lentes et plus elles ont du mal à innover.
Le sénateur Bryden: Déjà, le Sénat des États-Unis tient des audiences avec Bill Gates et Microsoft parce que, dans ce secteur des plus novateurs, on accuse Microsoft de constituer un monopole ou de se livrer à une concurrence déloyale aux États-Unis. Il n'existe probablement pas de secteur où l'innovation est plus grande que celui dans lequel évolue Microsoft.
Voici où je veux en venir: si, tandis que nous en sommes au stade embryonnaire d'un formidable effet de prolifération, cette industrie parvient à maturité, comme l'est manifestement le Microsoft de M. Gates, où est le comité du Sénat qui obligera ce conglomérat à rendre des comptes sur la scène internationale? Si je comprends bien, il n'y en a pas.
Il y a bien l'Organisation mondiale du commerce, ou je ne sais trop quoi, mais elle ne compte pas un tel tribunal, n'est-ce pas?
M. Manley: L'application internationale du droit de la concurrence en est vraiment à un stade précoce, et, en fait, il s'agit d'une question intéressante à laquelle votre comité ou un autre comité du Sénat pourrait s'intéresser, peut-être dans le cadre d'une série d'audiences parallèles. Le comité pourrait notamment se demander ce qu'il convient de faire au chapitre de l'application si, de fait, il en vient à la conclusion que la domination de Microsoft, par exemple, pose un problème.
Je n'ai pas d'opinion à formuler à propos de cette société en particulier, si ce n'est que, une fois de plus, on a affaire à une entreprise qui n'existait pas il y a 20 ans. Elle a été fondée par un jeune décrocheur universitaire de 19 ans. Les obstacles à l'entrée ne sont pas donc bien grands. Est-il bien propriétaire d'un monopole mondial? Qui peut affirmer qu'il n'y a pas, à l'Université de Waterloo, un brillant étudiant de 19 ans qui arrive avec un produit qui le délogera de son piédestal?
Voilà un secteur où la situation évolue à un rythme extrêmement rapide, et je pense qu'on est fondé à craindre, dans le contexte de la technologie, qu'une plate-forme, lorsqu'elle est fournie par Microsoft, bénéficie d'une concentration et d'une omniprésence telles qu'elle permet de vendre d'autres produits. Si, en même temps, cette plate-forme devient un bien commun comme les câbles et les lignes téléphoniques, tout le monde peut s'en servir pour bâtir.
Je pense que vous soulevez une question importante quant à savoir à qui revient le mandat d'agir comme chien de garde de la concurrence à l'échelle de la planète. Je suis tout à fait d'accord avec vous pour dire qu'on doit, à notre époque, faire preuve d'une plus grande vigilance. Je puis vous assurer qu'il existe une diversité d'accords, en particulier entre notre Bureau de la concurrence et les autorités américaines qui assument des responsabilités parallèles, grâce auxquels nous pouvons échanger de l'information et entreprendre des poursuites communes. En d'autres termes, nous sommes en mesure de poursuivre lorsqu'une partie de l'infraction est commise dans l'autre administration. Voilà le genre de structure à partir duquel il convient de résoudre les problèmes de cette nature.
Le sénateur Forrestall: Mon observation tient simplement à ceci: tout ce qu'on vient d'entendre montre bien que le moment est aujourd'hui venu d'abolir le CRTC et de mettre à niveau le Bureau de la concurrence. Depuis combien de temps ce problème se pose-t-il? Six ans? Nous sommes en 1998. Depuis le début des années 1990, ce problème s'est posé de multiples façons, mais nous n'avons pas été en mesure de le résoudre. Comment allez-vous le résoudre?
M. Manley: À quel problème faites-vous référence?
Le sénateur Forrestall: À ce que vous cherchez à accomplir au moyen de ces modifications.
M. Manley: Essentiellement, nous donnons suite à certains des engagements que nous avons contractés dans le cadre de la ronde de négociations de l'OMC qui a abouti à l'accord sur les communications.
Le sénateur Forrestall: N'y avait-il pas un moyen plus rapide de parvenir au même résultat?
M. Manley: Si vous faites référence à l'abolition du CRTC comme moyen plus rapide d'y parvenir, je ne le crois pas.
Le sénateur Forrestall: Je ne fais par référence à l'abolition du CRTC dans ce sens. Je veux dire qu'on doit s'en débarrasser. Un jour, on en viendra là. Le Conseil est trop lent. Il se traîne sur une route de campagne. Il est d'une lenteur consternante.
Adopter une loi pour modifier la Loi sur les télécommunications afin de donner suite à certains engagements que le Canada savait devoir tenir -- il le savait déjà il y a environ six ans, si ma mémoire est bonne -- , c'est faire preuve d'un peu de lenteur. Voilà le seul point que je veux soulever. N'y-a-t-il pas moyen d'accélérer les choses? Qu'a fait l'industrie pour devoir attendre une réponse pendant quatre, cinq ou six ans? Simplement au vu de la situation actuelle, le gouvernement a-t-il le droit de commencer à bouger, probablement en nous soumettant un autre projet de loi, sans autorisation parlementaire ni législative? Telle n'est pas non plus la bonne marche à suivre. Pourquoi ne pas confier ces questions au Bureau de la concurrence?
M. Manley: Je pense que l'organisme de réglementation et le Bureau de la concurrence ont des rôles différents à jouer. N'oubliez pas que la décision d'introduire la concurrence dans le marché des interurbains a, de fait, été prise par l'organisme de réglementation. Elle a été entérinée par le gouvernement dans la mesure où ce dernier aurait pu envisager de porter la question en appel, mais la décision de 1992, qui s'est soldée par l'introduction de la concurrence dans le marché des interurbains, a été prise par le CRTC.
Je dirige ce portefeuille depuis 1993. Tout ce temps, nous avons cherché à accroître la libéralisation et à introduire la concurrence dans un marché au préalable dominé par un monopole réglementé, et c'est ce qui s'est produit dans toutes les administrations où on a adopté cette approche. Il faut faire preuve d'une certaine prudence. Si on se contente de dire: «Très bien, nous allons aujourd'hui ouvrir toutes les cages du zoo et laisser sortir tous les lions», ces derniers mangeront tout ce qui se trouve autour d'eux.
Si l'objectif est la concurrence, on doit fixer des règles, particulièrement dans un marché comme celui des télécommunications, où la force d'inertie est très grande; on doit fixer des règles pour permettre à la concurrence d'évoluer. Un jour, on réduira les restrictions et, progressivement, on laissera agir les forces habituelles du marché.
Je pense qu'à l'heure actuelle, nous avons parcouru une partie du chemin. Nous ne sommes pas encore arrivés à destination. Je pense que les concurrents du secteur de la téléphonie en conviendraient; ils ne voudraient pas qu'on abolisse tout le cadre réglementaire parce qu'ils craignent que, dans un tel cas, les compagnies de téléphone profitent de l'occasion.
Nous progressons dans la direction où nous souhaitons aller.
Le sénateur Oliver: Monsieur le ministre, j'ai une question. Elle n'est pas de moi; en fait, elle a été préparée pour le comité, mais, si vous n'y voyez pas d'objection, j'aimerais sincèrement vous entendre à ce sujet. Je vais lire la question telle qu'elle a été préparée.
Le projet de loi confère au CRTC le pouvoir d'obliger les fournisseurs de services de télécommunications à cotiser à un fonds qui sera utilisé pour subventionner les services de téléphonie locale dans un marché concurrentiel. Aux États-Unis, on met également sur pied un fonds destiné à assurer l'universalité du service, afin de subventionner les services téléphoniques dans les régions rurales et éloignées de même que les services destinés aux personnes qui vivent dans la pauvreté. Le fonds canadien s'inspirera-t-il du modèle américain? Quelles sont les similitudes et les différences? Plus important encore, quelles sont vos intentions à cet égard?
Voilà ce que j'aimerais savoir.
M. Manley: Dans le projet de loi, nous avons prévu un organisme qui aura pour mandat de superviser certains des accords de contribution et dans ce sens, il existe, oui, un parallèle. Depuis le tout début, on craint, comme vous le savez, que le fonctionnement général du système ne s'assortisse d'un certain nombre de modes d'interfinancement inhérents qui, au fil du temps, ont été cachés. Au fur et à mesure que nous évoluons vers la concurrence, on élimine l'interfinancement parce que, dans un climat de concurrence, on doit obtenir les meilleurs tarifs possibles; par conséquent, les subventions cachées sont inefficientes.
Voilà qui soulève une préoccupation différente: comment peut-on s'assurer que le service de base demeure abordable?
Le sénateur Oliver: Cette question concerne les personnes qui vivent en milieu rural.
M. Manley: Elle concerne les personnes qui vivent en milieu rural, dans les régions éloignées et même celles qui, vivant dans des régions métropolitaines, ont des moyens limités. Voilà ce que la mesure vise à accomplir.
Le CRTC tient également des audiences détaillées sur cette question. Tandis que le processus de rééquilibrage des tarifs s'est poursuivi, nous avons eu à coeur de veiller à ce que des mesures soient prises. Quant à savoir dans quelle mesure le régime s'apparentera à celui des États-Unis, cela reste à voir. Tout dépend des conclusions que le CRTC tirera du processus amorcé.
Le sénateur Oliver: Plus tôt, vous avez fait une comparaison entre les taux de pénétration en Chine et au Canada. Étant donné la doctrine de l'universalité, quelles orientations, le cas échéant, avez-vous données à ce fonds? Quels sont vos souhaits? Pouvez-vous nous dire dans quelle direction va votre ministère?
M. Manley: La question n'a pas trait qu'au seul service téléphonique de base. L'une des recommandations du comité consultatif sur l'autoroute de l'information est qu'on doit continuer d'assurer un service accessible à tous. Voilà qui, bien entendu, soulève un certain nombre de questions: quel service? Quel niveau de service? À quel prix? J'espère que vous pourrez tirer des audiences du CRTC certaines pistes qui pourront vous aider à répondre à ces questions.
À titre d'information, on pourra comparer notre tarification ou nos coûts à ceux qui sont en vigueur dans d'autres pays, en particulier les États-Unis. De plus, on doit tenir compte du fait que certaines collectivités sont très éloignées et que les coûts de la prestation de services peuvent s'y révéler plus élevés, du moins au stade initial, jusqu'à ce que les installations et les équipements soient en place.
L'objectif consiste à faire en sorte que tous les Canadiens aient accès à un service raisonnablement abordable.
Le sénateur De Bané: Monsieur le ministre, vous avez mentionné que la compétitivité est l'objectif principal du projet de loi, et que ce dernier offre des avantages à la fois à l'industrie et aux consommateurs. Vous avez fourni certaines explications à propos de l'octroi de licences, mais ne pensez-vous pas que, en dernière analyse, l'octroi de licences produit l'effet exactement contraire à celui recherché par la création d'un climat de compétitivité?
S'il est vrai que la compétition fait que, chaque jour, des milliers d'entreprises ferment leurs portes et que des milliers d'autres sont créées, ne pensez-vous pas que, en disant à une industrie: «Eh bien, votre concurrent devra obtenir une licence avant de faire face à la concurrence», on maintient, jusqu'à un certain point, un oligopole réglementé composé d'intervenants différents? Y-a-t-il d'autres moyens d'arriver aux fins que vous poursuivez?
Comme vous le savez, l'Union européenne a décidé, plutôt que d'établir des critères communs, qu'une entreprise licenciée dans son propre marché national est automatiquement autorisée à faire des affaires dans les autres pays membres de l'Union. Bien entendu, les forces du marché jouent un rôle, et on fait confiance au jugement du consommateur. C'est ma première question.
La deuxième est la suivante: dans la première version du projet de loi, tous les fournisseurs de services de télécommunications devaient obtenir une licence. Aujourd'hui, seuls les fournisseurs internationaux sont visés. N'y-a-t-il pas d'autres moyens de préserver ici certaines mesures protectionnistes? D'autres pays ne seront-ils pas tentés d'utiliser ce modèle pour protéger leur propre marché en établissant des régimes différents pour l'activité intérieure et l'activité internationale?
M. Manley: À mon avis, il s'agit de deux questions connexes. L'octroi de permis peut être un obstacle à la concurrence, mais pas nécessairement. Les divers ordres de gouvernement exercent des pouvoirs liés à l'octroi de licences dans une vaste gamme d'activités commerciales. Dans ce cas en particulier, nous avons limité ces pouvoirs. Comme vous le dites, la mesure visait la prestation de services internationaux, et, à la Chambre des communes, on a fait valoir qu'on ajoutait en fait une exigence là où il n'y en avait pas auparavant.
En fait, nous cherchons à ouvrir notre marché aux fournisseurs de services internationaux, à condition qu'ils se procurent une licence. On peut faire une barrière de cette condition. Nous n'avons toutefois pas l'intention de le faire. En fait, nous avons plutôt l'intention d'assujettir tous les nouveaux venus à des dispositions communes touchant l'octroi de licences.
À la lumière de nos intentions et de ce que le CRTC a déclaré devant un comité parlementaire, je m'attends à ce que les exigences soient plutôt légères. Je pense qu'on a utilisé l'expression «réglementation le moins stricte possible». En d'autres termes, nous voulons être en mesure de faire respecter certaines conditions. Nous voulons pouvoir assujettir le marché à certaines règles appropriées, mais, en même temps, encourager la concurrence.
Je ne pense pas qu'il s'agira d'un obstacle, et on ne prévoit pas que des dispositions différentes s'appliqueront aux fournisseurs de services étrangers par rapport aux fournisseurs de services nationaux.
[Français]
Le sénateur Poulin: Monsieur le ministre, j'aimerais commencer par vous remercier parce que nous savons que cette législation, qui apporte des amendements à deux lois importantes, est très technique et très complexe. Votre personnel a été d'un professionnalisme et d'une disponibilité vraiment extraordinaires. Certains des membres du comité voulaient avoir des réunions d'information particulières, et le sénateur Oliver et moi avons pu profiter d'une telle réunion où des membres de votre personnel ont pu nous éclairer sur cette question.
Ceci dit, vous savez probablement qu'au comité permanent, nous avons un sous-comité sur les communications. Depuis un an, nous étudions toute la question des communications, à savoir ce que le Canada doit faire pour demeurer vraiment à la fine pointe des communications, de la technologie, des ressources humaines, de la culture et du commerce en l'an 2000.
Ce qu'on a entendu ici à l'occasion des discussions sur le projet de loi C-17 et ce que j'entends au sous-comité, c'est que les gens de l'industrie apprécient énormément le fait que les compagnies canadiennes sont reconnues au niveau international et que les consommateurs ont accès à un service de première qualité à un coût abordable. Comment le projet de loi C-17 assurera-t-il la continuation de cet équilibre entre la facilitation des questions commerciales internationales, et la protection du rapport qualité/prix pour le consommateur?
M. Manley: Je vous remercie pour les remarques au sujet des fonctionnaires qui sont vraiment des missionnaires. Cette idée -- le pays le plus branché du monde -- vient d'un groupe de fonctionnaires qui participent à un projet de mission. Nos fonctionnaires sont élus au niveau international dans les ITU. Également, j'ai pu le constater au niveau des relations avec des gens de tous les coins du monde qui viennent ici pour considérer non seulement nos politiques, mais notre système de réglementation et nos idées. Vous avez vu que nous ayons établi l'objectif de brancher des écoles au Canada en 1998, le président Clinton a annoncé ce même objectif pour l'an 2000. Le premier ministre Blair a annoncé aussi un projet pour brancher toutes les écoles pour l'an 2002. Je donne beaucoup de crédit aux fonctionnaires qui sont vraiment dédiés à ces projets.
[Traduction]
J'aimerais revenir sur la question de l'accès international de l'industrie canadienne découlant de l'accord de l'OMC auquel nous sommes liés. Il s'agit d'un aspect très important de notre stratégie globale. L'accord nous a ouvert des marchés plus vastes, mais, fait plus important encore, il a créé un cadre international assorti d'un mécanisme de règlement des différends inhérent, qui garantit que l'ouverture des marchés qu'il s'est engagé à libéraliser se poursuivra.
[Français]
Cela est très important pour le Canada. Parlant de stratégie industrielle, 25 p.100 de notre recherche et développement industriels est fait par une seule compagnie, la compagnie Nortel. Elle engage environ 25 p. 100 de nos ingénieurs du Canada, souvent de nouveaux diplômés. C'est une compagnie très importante. Nous sommes en train d'en créer d'autres, basées au Canada, comme Newbridge qui n'existait pas il y a 10 ans. Maintenant, ces compagnies ont environ 4 000 employés. La compagnie internationale Ericson, qui n'existait pas au Canada avant 1984 environ, a maintenant 1 500 ingénieurs à Montréal. Ceux-ci font de la recherche pour le monde dans certains secteurs de Ericson. Alors c'est important pour nous d'avoir une loi qui nous donne accès au marché mondial. Nortel est une compagnie très importante; un grand pourcentage de leurs produits sont vendus partout au monde. Fondamentalement, c'est un compagnie d'exportation.
Pour le Canada, la façon la plus efficace d'assurer que nous ayons les meilleurs produits aux meilleurs prix, c'est d'avoir de la concurrence ici. Nortel est une très bonne compagnie, mais il faut qu'elle soit pressée par les autres. Les compagnies téléphoniques nous ont donné de très bons services pendant presque 100 ans, mais il faut qu'elles donnent encore un meilleur service. La compétition est la meilleure façon, non seulement pour assurer que nos citoyennes et citoyens reçoivent le meilleur service, mais aussi pour assurer que nos compagnies auront accès au marché international, ce qui est tellement important pour les emplois au Canada.
La présidente: Je vous remercie, monsieur le ministre de votre disponibilité.
[Traduction]
La présidente: Y-a-t-il d'autres questions, sénateurs? Merci.
M. Manley: Merci, madame.
La présidente: Merci beaucoup.
Maintenant que nous avons entendu des groupes et des particuliers à propos du projet de loi C-17, êtes-vous d'accord, sénateurs, pour que le comité examine le projet de loi C-17 article par article, ou avez-vous besoin d'un peu de temps pour y réfléchir?
Des voix: D'accord.
La présidente: Les articles 1 à 5 sont-ils adoptés?
Des voix: D'accord.
La présidente: Adopté. Les articles 6 à 10 sont-ils adoptés?
Des voix: D'accord.
La présidente: Adopté. Les articles 11 à 24 sont-ils adoptés?
Des voix: D'accord.
La présidente: Adopté. Le préambule est-il adopté?
Des voix: D'accord.
La présidente: Adopté. Le titre est-il adopté?
Des voix: D'accord.
La présidente: Adopté. Les sénateurs sont-ils d'accord pour que je fasse rapport du projet de loi au Sénat?
Des voix: D'accord.
La présidente: Merci beaucoup.
Le comité suspend ses travaux.