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Délibérations du comité sénatorial permanent des
Transports et des communications

Fascicule 12 - Témoignages pour la séance de l'après-midi


OTTAWA, le lundi 27 avril 1998

Le comité sénatorial permanent des transports et des communications, à qui a été renvoyé le projet de loi C-9, Loi favorisant la compétitivité du réseau portuaire canadien par une rationalisation de sa gestion, prévoyant la création des administrations portuaires et l'aliénation de certains ports, régissant la commercialisation de la Voie maritime du Saint-Laurent et des traversiers et des questions connexes liées au commerce et au transport maritime, modifiant la Loi sur le pilotage et abrogeant et modifiant certaines lois en conséquence, se réunit aujourd'hui à 13 h 05 pour étudier le projet de loi.

Le sénateur Lise Bacon (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le sénateur Bacon: Bon après-midi, sénateurs. Nos premiers témoins aujourd'hui sont les Commissaires du havre de Toronto. Veuillez commencer.

Le sénateur Forrestall: Madame la présidente, en parcourant la liste des témoins, je me suis dit que nous aurions avantage à poser les questions urgentes dès qu'elles se présentent, mais, de façon générale, que nous devrions attendre que tous les témoins aient parlé avant de poser nos questions. Au moment voulu, peut-être à 16 heures, nous pourrions rappeler les porte-parole pour une série générale de questions. Ce n'est là qu'une suggestion.

La présidente: Certains des témoins peuvent devoir partir pour rentrer chez eux, alors nous allons tenter d'en tenir compte aussi. Merci de votre suggestion. Nous tenterons d'être aussi souples que possible sans dépasser le temps qui nous est imparti.

M. Harold Peerenboom, président, Commission portuaire de Toronto: Honorables sénateurs, merci de nous avoir invités à venir vous parler de la Loi maritime du Canada. J'ai été élu président de la Commission portuaire de Toronto par mes collègues commissaires. Je suis ici aujourd'hui pour vous donner l'heure juste en ce qui concerne le secteur riverain de Toronto. Mes trois sujets sont les suivants: l'historique de la Commission portuaire de Toronto, les occasions de croissance économique et les raisons pour lesquelles nous avons besoin de votre soutien.

Durant la plus grande partie du XXe siècle, le gouvernement du Canada a eu une présence très positive dans le secteur riverain de Toronto. J'aimerais vous faire faire une tournée imaginaire de certaines des choses que le gouvernement du Canada a réalisées par l'entremise de la Commission portuaire de Toronto.

En 1911, une loi du Parlement créait la Commission portuaire de Toronto afin d'administrer le port, qui devait être la source d'avantages économiques pour Toronto. En quelques mois, un plan directeur pour le secteur riverain a été formulé. La Commission portuaire de Toronto a fait draguer le port peu profond jusqu'à une profondeur de 27 pieds et a utilisé les matières recueillies pour des travaux de remplissage, qui ont permis de créer plus de 2 000 acres de terrain. La carte que voici illustre tout le terrain récupéré par la Commission portuaire de Toronto, grâce au financement du gouvernement du Canada pour la Ville de Toronto, et qui a permis de donner au port sa forme actuelle. On a agrandi les îles de Toronto. De plus, des plages de plusieurs milles ont été créées. Au cours des années 1920 et 1930, la Commission portuaire de Toronto a exploité le parc d'attraction Sunny Side, surnommé la «Riviera des pauvres». Ce secteur est surligné sur le côté droit de ce diagramme en bleu; les plages, qui sont du côté gauche, sont aussi en bleu.

La Commission portuaire de Toronto a également bâti la flèche littorale de la rue Leslie, que chérissent maintenant les amis de la faune. Toutes les plages de l'ouest, depuis la rivière Humber jusqu'au port, ont été cédées à la municipalité de Toronto par la Commission portuaire de Toronto. Toutes les terres qui forment la façade portuaire ont été créées par la Commission portuaire de Toronto, par l'entremise de son bienfaiteur, le gouvernement du Canada.

La Commission portuaire de Toronto a bâti deux aéroports, celui des îles de Toronto, qu'exploite toujours la Commission portuaire de Toronto, et l'aéroport Malton, devenu l'aéroport international Pearson.

La Commission portuaire de Toronto a créé des centaines d'acres de terres urbaines riveraines, parmi lesquelles on retrouve certains des terrains dont la valeur immobilière est la plus élevée dans le centre-ville de Toronto. Quinze mille personnes vivent sur ces terres, et des milliers d'autres y travaillent, dans des centaines de bureaux et de petites entreprises qui sont le moteur de l'économie torontoise.

Ces terres accueillent des industries qui dépendent du transport par bateau, comme Redpath Sugar, des hôtels, des immeubles de grande hauteur ainsi que la Toronto Fire Academy. L'édifice du Toronto Star est situé sur un terrain créé par la Commission portuaire de Toronto, tout comme Ontario Place. Le marbre du terrain de base-ball du Skydome se trouve aussi sur un terrain créé par la Commission portuaire de Toronto.

La Ville de Toronto recueille chaque année des millions de dollars en taxes foncières des occupants des terrains de la Commission portuaire de Toronto. Nous avons tenté d'en obtenir le chiffre officiel, en vain. Nous avons fait environ un huitième des évaluations foncières et sommes arrivés à un chiffre tout juste inférieur à 10 millions de dollars.

Au cours des décennies, la Commission portuaire de Toronto a créé des terres qui ont permis d'injecter des centaines de millions de dollars dans le trésor de la Ville de Toronto. Au fil des ans, j'ai fait faire deux évaluations des terres et de l'infrastructure créée par la Commission portuaire de Toronto. Il s'agit de la première évaluation officielle jamais faite à Toronto. Le tout vaut entre 1,25 et 1,45 milliards de dollars.

Le sénateur Forrestall: Avez-vous dû les payer?

M. Peerenboom: En dollars d'aujourd'hui, le gouvernement du Canada devrait débourser environ un milliard de dollars pour créer ces terres.

Le sénateur Forrestall: Faites-vous allusion à l'acquisition des terrains?

M. Peerenboom: Au dragage et à la construction du quai massif, oui.

Le sénateur Forrestall: Cet argent a-t-il été récupéré?

M. Peerenboom: La commission portuaire l'a récupéré, oui.

Ces évaluations, que je vous laisserai aujourd'hui, ne comprennent pas les plages, les espaces verts, les terrains de l'île, l'aéroport, la marina extérieure, les plans d'eau, l'aéroport du centre-ville de Toronto, Exhibition Place et les terrains résidentiels de l'île de Toronto, ainsi que les autres parties qui ont été cédées à la Ville de Toronto ou au gouvernement de l'Ontario. Le chiffre de 1,2 milliard de dollars représente le minimum absolu pour le terrain créé par le gouvernement du Canada.

Les plages, les aéroports et le port sont situés sur des terres qui génèrent des millions de dollars chaque année. C'est le leadership manifesté par le gouvernement du Canada qui a permis tout cela.

À compter de 1991, le conseil municipal de Toronto a commencé à piller les actifs et le trésor de la Commission portuaire de Toronto. Le conseil d'administration de celle-ci comptait cinq membres. Trois étaient nommés par la Ville de Toronto, un autre était nommé à la recommandation des membres de la Chambre de commerce et le cinquième, par décret.

La municipalité a abusé de sa majorité au conseil de la Commission portuaire de Toronto pour la dépouiller de ses actifs clés. En dépit des objections des membres nommés par le gouvernement fédéral, des centaines d'acres de terrain créés par la Commission portuaire de Toronto lui ont été soustraits.

Je vais vous donner cinq exemples des injustices relatives au secteur riverain de Toronto qui ont mené à l'inclusion de Toronto dans la Loi maritime du Canada.

La première est la suivante: la Ville, en vertu de sa majorité au conseil, a pris 29 acres de terrains réservés à des chemins de fer et à des installations hydroélectriques, qu'elle a évalués à 20 millions de dollars. Elle a fait une offre de 20 millions de dollars. Il n'y a eu aucune évaluation indépendante, et il n'y a pas eu d'arbitrage. La Ville a versé un acompte de 225 000 dollars pour ce terrain. Plus tard, au lieu de verser le solde de 19,8 millions de dollars à la Commission portuaire de Toronto, la Ville lui a remis la marina Spadina, d'une valeur de 4,5 millions de dollars. Cela a donc mené à un manque à gagner de plus de 15 millions de dollars. Par la suite, la Ville a refusé de céder la marina. Ainsi donc, le gouvernement a reçu au total 225 000 dollars pour les terrains en question.

Le sénateur Forrestall: Par la faute de qui?

M. Peerenboom: Par votre faute, sénateur. Vous comptez trois personnes qui, à la Commission portuaire de Toronto, contrôlent les deux votes du fédéral. J'aborderai cette question un peu plus tard.

Deuxième injustice: votre comité devrait savoir que l'ancien conseil municipal de Toronto a obligé les personnes nommées à la Commission portuaire de Toronto à signer au moment de leur nomination une lettre de démission non datée, de façon à conserver un ascendant sur eux. Cette situation créait un conflit d'intérêts, parce que tous les commissaires doivent aussi signer un serment professionnel et assumer la responsabilité fiduciaire de la Commission portuaire de Toronto. Ainsi, lorsque la Ville a ordonné à ses trois membres titulaires de transférer 318 acres de terre de la Commission portuaire de Toronto à la Ville, ils étaient prêts à le faire, mais ils voulaient que la Commission portuaire de Toronto obtienne une rémunération équitable pour ces terres.

La Ville a convenu d'embaucher le cabinet de consultants Booz Allen Hamilton et de lui confier la tâche de fixer un loyer annuel équitable pour ces terrains du secteur portuaire. Le cabinet de consultants a recommandé un paiement de transfert de 6 millions de dollars, devant remplacer les loyers que génèrent les terres. Cependant, après avoir reçu le rapport, la Ville a refusé de verser les 6 millions et a porté la question en arbitrage. Le conseil d'arbitrage comprenait trois membres nommés: l'un l'était par la Ville de Toronto, un autre par la TEDCO, c'est-à-dire la Toronto Economic Development Corporation, et le dernier, par la Commission portuaire de Toronto.

Ainsi, la Ville contrôlait deux des trois votes. Malheureusement pour elle, le conseil d'arbitrage a convenu à l'unanimité d'appuyer le paiement de 6 millions de dollars.

Faisant fi des accords proposés par les consultants et le conseil d'arbitrage, la Ville a décidé de ne verser que 1,5 million de dollars par année à la Commission portuaire de Toronto. Les personnes nommées par la Ville se sont acquittées de leurs responsabilités fiduciaires et ont refusé de réduire l'obligation de la Ville de 6 à 1,5 millions de dollars. Ces conseillers ont été congédiés sans autre forme de procès par la Ville de Toronto et remplacés par des bureaucrates municipaux complaisants, qui ont effectivement transféré les terres pour 1,5 million de dollars en remplacement du loyer perçu. La Ville s'est donc trouvée à verser la somme pharamineuse de 10 $ pour ce terrain. Nous en sommes maintenant rendus à 347 acres de terrain volé, et ça continue.

Plusieurs anciens commissaires, qui ont connu cette époque, m'accompagnent aujourd'hui, dont l'ex-commissaire portuaire Howard Joy. M. Joy est aussi ex-vice-président de la Commission portuaire de Toronto. En outre, l'ex-conseiller Steve Ellis est ici. M. Ellis est l'une des trois personnes qui ont été limogées par la commission.

Ces deux hommes ont été placés dans une position intenable où ils devaient choisir entre le serment professionnel de la Commission portuaire de Toronto et les directives qu'ils avaient reçues de la Ville de Toronto. Il est admirable de voir à quel point ils se sont tenus droit durant cette comédie, faisant fi des pressions du conseil municipal et de leur lettre de démission. M. Joy n'a pas été congédié, mais M. Ellis l'a été.

Charles Parmelee et Gary Reid y étaient aussi à l'époque. Ils ont été présents à la table et peuvent vous dire ce qui s'est passé. Je ne fais que documenter l'histoire.

La troisième injustice me rappelle un dicton que j'ai entendu plusieurs fois: «Loin des yeux, loin du coeur.» En d'autres termes, «le pouvoir corrompt et le pouvoir absolu corrompt absolument.»

Quoi qu'il en soit, ces trois bureaucrates travaillent à la Commission portuaire; ils en ont le contrôle. Ils ont examiné les cartes et trouvé 294 autres acres de terrain. Ils s'en sont emparés. Ces zones figurent en vert dans le diagramme.

Ils avaient les votes et ont pris les terrains. Sans entente officielle, sans évaluation ni arbitrage, ils ont décidé de verser 10 $ pour le terrain et de verser un paiement annuel de 1,3 million de dollars tenant lieu de loyer. Dans le cas qui nous occupe, la Ville n'a même jamais versé les 10 $ pour les 294 acres de terre riveraine de première qualité qu'elle a soustraites à la Commission portuaire de Toronto. Nous en sommes maintenant à 641 acres de terrain de grande qualité dans le centre-ville. Tom Jakobek est ici aujourd'hui. Chef du budget de l'ancienne Ville de Toronto, ainsi que de la nouvelle Ville de Toronto, il était responsable de ses funestes actes de transport. Il est aussi membre du conseil de la Commission portuaire de Toronto. Au conseil municipal, il a dit:

Nous en sommes venus à avoir deux administrations [...] L'une crève de faim et l'autre a dû la subventionner. C'est totalement illogique.

Cette déclaration fait allusion à TEDCO et à la Commission portuaire de Toronto.

M. Jakobek est ici aujourd'hui, et vous pourrez lui parler.

La justice est une bien drôle de chose. Parfois, elle est contenue dans des sous-dispositions d'ententes et de documents juridiques. J'aimerais vous lire une disposition de l'entente qui transférait à la Ville les terres de la Commission portuaire de Toronto:

[...] sous réserve que la Ville veille à ce que la CPT continue de recevoir une subvention annuelle suffisante pour soutenir la restructuration de ses activités.

Cette déclaration est contenue dans le document, et M. Jakobek pourra vous dire comment elle y est arrivée. La Ville a essentiellement signé un chèque en blanc pour couvrir à tout jamais les coûts déboursés par la CPT pour le terrain, soit plus de 6 millions de dollars par année en excédant de trésorerie. Évidemment, un accord a été rédigé, mais la Ville pensait qu'elle exercerait toujours un contrôle sur le conseil de la Commission portuaire de Toronto. La Loi maritime du Canada remplace le contrôle exercé par la Ville sur le port par un contrôle exercé par les citoyens, et l'ancienne Ville est remplacée par la nouvelle. J'ai l'intention de travailler à établir un accord juste et équitable qui mettra fin aux obligations financières illimitées de la Ville.

On m'a dit, avant que je vienne ici, que M. Jack Layton allait venir cette semaine. À deux occasions, dont lundi dernier à mon domicile, il m'a dit qu'il ne viendrait pas comparaître. Jack ne s'y connaît pas tellement en chiffres, alors je vais vous en donner quelques-uns avant que vous le rencontriez.

Le terrain produisait plus de 6 millions de dollars en recettes, et il nous ont donné 1,5 million de dollars. Ils ont donc conservé un excédent de 4,5 millions de dollars. Ils se sont ensuite emparés d'une autre parcelle de terrain, nous remettant de 1,3 à 1,5 million de dollars, environ. Ce terrain leur rapporte actuellement de 8,5 à 10 millions de dollars, outre plus de 6 millions de dollars par année en revenu de location versé par les locataires recrutés par la CPT. C'est donc dire qu'ils ont perçu 30 ou 40 millions de dollars depuis que cela s'est produit.

De plus, la CPT a permis à Imperial Oil de se retirer de l'emplacement qu'elle occupait, même si elle avait un bail avec nous. La CPT avait intégré dans son contrat une disposition selon laquelle si Imperial Oil souhaitait ne pas reconduire le bail, elle devait procéder à des travaux de restauration et à des réparations pour remédier aux dommages écologiques attribuables au déversement. TEDCO a pris un chèque et a libéré Imperial Oil de cette obligation.

J'aimerais maintenant aborder l'injustice numéro quatre. Si la Ville vient ici vous demander des réductions, sachez qu'elle a retiré beaucoup d'argent de vos terrains. En 1995, un plan a été établi, et la commission a réduit sa taille de 30 p. 100 -- pour une économie annuelle de 1,5 million de dollars. Elle a établi un programme d'améliorations aéroportuaires pour remplacer le traversier, qui perd de l'argent, par un lien fixe. Elle a aussi permis un genre d'équipement différent: des avions. Ces mesures étaient destinées à remplacer une perte par un profit annuel de 5 millions de dollars. La Ville n'a pas perdu une occasion de s'opposer à nous. Jusqu'à présent, la CPT a perdu 10 millions de dollars en profit, et ça continue. Pour se rendre à l'aéroport, il faut toujours prendre le traversier, ce qui entraîne des pertes de plus de 500 000 dollars par année.

Doug Young, alors ministre des Transports, est venu à Ottawa pour résoudre l'impasse. Il a conclu avec le maire une entente visant la mise en oeuvre d'un programme d'amélioration aéroportuaire, mais il a fallu que quelqu'un d'Ottawa vienne à Toronto. J'étais présent à la table avec la province et la municipalité pour établir cette entente devant permettre à la CPT de cesser de perdre de l'argent.

La cinquième injustice est probablement le motif de notre présence ici aujourd'hui. En 1996, le conseil de la CPT a recommandé une deuxième proposition. J'ai personnellement rencontré la mairesse Hall, et elle a convenu de rendre certaines terres nécessaires aux opérations portuaires, ainsi que de chercher à faire modifier la Loi sur la Commission portuaire de Toronto pour réduire la représentation de la ville au conseil d'administration de la CPT. Cependant, elle n'a pas donné suite à ses engagements, et trois mois plus tard, rien ne s'est encore produit. Je l'ai rencontrée de nouveau à la Tour du CN avec le ministre des transports de l'époque, David Collenette. La mairesse nous a dit qu'elle présenterait le plan au conseil dans quatre semaines, mais elle ne l'a pas fait. J'ai appris plus tard qu'elle était venue à Ottawa pour obtenir des garanties de la part de M. Anderson, le ministre des Transports, selon lesquelles Toronto ne serait pas incluse dans la Loi maritime du Canada. C'était le plan que nous entendions utiliser pour ramener la logique au port.

J'ai communiqué avec les députés Dennis Mills et Tony Ianno, et j'ai rencontré les membres du conseil municipal de Toronto à la Tour du CN. Ils ont fait preuve de leadership et ont eu la sagesse d'amener Toronto à désigner une administration portuaire, réaffirmant de ce fait l'engagement du gouvernement du Canada à renouveler l'économie de Toronto. C'est comme ça que cela a été intégré.

Ce n'est pas la première fois que la Ville de Toronto et la commission portuaire ont des problèmes. Leur conflit en 1920 a donné naissance à une célèbre commission royale. Le juge Denton, qui dirigeait la commission, déclarait ce qui suit en 1926:

Chaque membre de la commission portuaire doit être libre d'exercer son jugement sans influence d'entités extérieures qui pourraient chercher à le diriger ou à le contrôler.

Le juge a également dit que l'enquête avait clairement révélé qu'aucun membre du conseil municipal ne devrait aussi être membre du conseil portuaire. Dans la Loi maritime du Canada, nous apportons finalement une solution efficace à ce problème, 72 ans plus tard. La Loi maritime du Canada protège l'indépendance et l'intégrité des membres du conseil de l'administration portuaire de Toronto et fait en sorte que des particuliers, et non pas des politiciens ou des bureaucrates rattachés à d'autres organismes, exploitent le port. Le port de Toronto est ainsi doté de solides assises administratives. Ce sont là les faits.

Cependant, l'un des aspects les plus déplaisants de l'odieux coup de force et du dépouillement des actifs de la Ville est la narration incessante de contes de fées par certains conseillers municipaux. L'an dernier, nous avons tous entendu tellement d'histoires de ce genre que j'aimerais réagir à certaines d'entre elles.

Un conseiller a dit que chaque pied carré de terrain repris de la CPT par la Ville est maintenant en voie d'être aménagé ou donné en location et que les entreprises recommencent à embaucher dans le centre-ville de Toronto. L'allégation selon laquelle la Ville a loué tous les terrains du port est pure fiction. La plupart des terrains sont vacants, comme le prouvent ces photographies.

L'ex-conseiller Leckie vous a également parlé le printemps dernier. Il a qualifié l'administration portuaire de Toronto d'«organisme qui n'a aucun lien avec nos autorités municipales et nos collectivités». La vérité, c'est que la collectivité aura une majorité avec quatre membres. En avons-nous besoin d'un cinquième de la Ville? Tous les membres, y compris les membres provinciaux et fédéraux, participeront aux activités de la municipalité comme à celle de la collectivité, de sorte que le contrôle est fondamentalement remis entre les mains de la collectivité. Cependant, les membres ne seront pas directement rattachés à des groupes d'intérêt particulier. Je vous rappelle la mise en garde du juge Denton contre un contrôle de la CPT par le conseil. Cette enquête a montré clairement qu'aucun membre du conseil municipal ne devrait être membre de l'administration portuaire.

Lorsque M. Leckie a comparu devant vous l'an dernier, il a dit que le port de Toronto ne se comparait pas favorablement au port de Hamilton. J'aimerais examiner certains faits plus en détail, quoique je ne veuille pas dire quoi que ce soit contre le port de Hamilton. C'est un excellent port. Ce que je veux, c'est montrer à quel point les détracteurs se trompent lorsqu'ils utilisent des statistiques soigneusement choisies pour en minimiser l'ampleur; je veux aussi expliquer pourquoi le port de Toronto ne devrait pas être visé par la Loi maritime du Canada.

J'ai un tableau à vous montrer. Hamilton a une capacité de 12 millions de tonnes et Toronto, de 1,3 million de tonnes. Cependant, les revenus montrent autre chose. Les activités productrices de revenu à Hamilton sont de 3.1 comparativement à 2.1 pour Toronto. J'utilise les statistiques de 1995.

Au cours des deux dernières années, nous avons accru nos revenus et nos profits de façon substantielle, mais je n'ai pas les chiffres du port de Hamilton pour 1996 et 1997.

La différence des recettes entre 3.1 et 2.1 est principalement attribuable au transport général de marchandises par la voie maritime. Ce genre de transport et, de façon générale, l'entreposage perfectionné de conteneurs génère des recettes de 2,4 millions de dollars. À Hamilton, les 11 millions de tonnes du secteur de l'acier rapportent environ 700 000 $. Cela explique la différence.

Le port de Hamilton est-il plus gros que celui de Toronto parce qu'on y traite un tonnage neuf fois plus important, ou le port de Toronto est-il plus gros que celui de Hamilton parce qu'il produit 48 p. 100 de recettes de plus? Selon moi, la valeur en dollars de ce qui est traité au port de Toronto est un fait révélateur.

Selon certaines personnes, les recettes totales du port de Hamilton sont supérieures à celles du port de Toronto. Cependant, Hamilton a fait plus de cinq fois plus d'argent en revenu de location de terrain qu'en manutention de marchandise, puisqu'il a perçu 7,4 millions de dollars en loyer, ce qui représente 70 p. 100 des recettes totales du port. Les gens qui utilisent ces statistiques gonflées par les loyers pour présenter le port de Toronto sous un mauvais jour sont les mêmes qui conspirent pour étrangler la Commission portuaire de Toronto en lui retirant la location des terrains.

Si nous utilisons simplement les 6 millions de dollars -- oubliez les 10 millions de dollars consentis sur la première parcelle -- nous aurons une comparaison judicieuse. Les recettes de la Commission portuaire de Toronto sont de 14 millions de dollars, et celles de la Commission portuaire de Hamilton, de 9,7 millions de dollars. Et voilà pour la fiction. Ce sont là des faits, et ces faits sont contenus dans des documents publiés chaque année par les deux commissions.

En 1911, lorsque les législateurs d'Ottawa ont créé la Commission portuaire de Toronto, la ville comptait 375 000 habitants. À présent, le port est situé au coeur d'un secteur urbanisé et industrialisé où vivent 4,5 millions de personnes.

Le Sénat a l'occasion de mettre un terme à l'impasse dans laquelle se trouvait le secteur riverain de Toronto. Le Sénat peut donner à l'administration portuaire de Toronto l'occasion de devenir un centre intermodal de distribution de marchandises et un centre économique où les marchandises en conteneur arrivent par navire, par camion et par train, tous modes de transport que l'on peut accueillir ici à Toronto.

Les conteneurs dont nous parlons sont empilés, ouverts, triés, remplis, entreposés et acheminés. C'est pourquoi le plan de distribution est une initiative de modernisation très importante, mais qui ne va absolument nulle part pour l'instant en raison de l'incertitude et de la mauvaise gestion politique auxquelles la Loi maritime du Canada est censée mettre un terme.

La situation que je décris, où la fiction est le fondement d'actions destructives, où les politiques locales et les groupes d'intérêt particulier ont préséance sur le bien de tous, ne doit pas se poursuivre. La Loi maritime du Canada met un terme à cette époque de politiques mesquines et destructives. Elle rétablit une gestion saine de la zone riveraine de Toronto et libère le port de Toronto pour procurer des avantages économiques au sud de l'Ontario.

La Loi maritime du Canada joue un rôle important dans l'infrastructure commerciale unique qu'on appelle le port de Toronto. Elle nous permet d'être compétitifs, efficients et axés sur le commerce, ce que nous ne pouvons faire à l'heure actuelle.

Ce projet de loi a été examiné de près par deux comités en 1997. Le 16 avril, la Loi maritime du Canada a été adoptée. Le projet de loi est mort au Feuilleton à un moment donné, puis il y a été réinscrit. Voici les votes.

Comme pour ces votes, la Loi maritime du Canada a été soumise directement aux électeurs de Toronto au cours de la dernière élection municipale, non pas par le gouvernement fédéral, mais par deux conseillers locaux, le conseiller Layton et la conseillère Chow. Ils ont fait campagne sur cette question. Dennis Mills et Tony Anno se sont présentés contre eux à l'appui de la Loi maritime du Canada.

Le peuple a parlé le 2 juin. MM. Mills et Anno ont tous deux été réélus, et les deux conseillers, M. Layton et sa femme, Mme Chow, ont tous deux perdu. Voilà donc la position des citoyens de Toronto au sujet de la Loi maritime du Canada.

Nous avons réalisé certains progrès depuis trois ans. Avec la participation de M. Joy et de M. Charles Parmelee, conservateurs de longue date qui se sont joints à moi, candidat libéral, dans une coalition visant à expliquer la situation, la Commission portuaire de Toronto a axé depuis trois ans ses capitaux limités et ses activités de marketing sur l'expansion de la valeur commerciale, et elle en récolte les fruits. Le tonnage total a augmenté de 33 p. 100 depuis deux ans. Le transport de marchandises de grande valeur par la voie maritime, le trafic de conteneurs et l'entreposage ont augmenté de 34 p. 100 au cours des deux dernières années. Les revenus ont augmenté de 32 p. 100 depuis deux ans. En même temps, nous avons réduit les coûts de plus de 1,5 million de dollars.

Cependant, le port de Toronto a un potentiel beaucoup plus grand. Si on le libère de son carcan, le port pourra devenir une précieuse infrastructure commerciale qui soutiendra la croissance économique, non seulement à Toronto et dans le grand Toronto, mais dans tout le sud de l'Ontario. C'est le rôle que le gouvernement du Canada avait prévu pour lui dans la première Loi sur les commissions portuaires de 1911.

En conclusion, je vous ai parlé de l'historique de la Commission portuaire de Toronto et de sa productivité, elle qui a établi le secteur riverain. Vous pouvez voir sur la carte jaune à quel point Toronto a profité de votre engagement.

J'ai parlé des problèmes récents, de la façon dont les intérêts étroits des politiques locales ont entravé la Commission portuaire de Toronto et la façon dont la Loi maritime du Canada règle ces problèmes.

J'ai parlé des débouchés de croissance économique, qu'une administration portuaire gérée comme il se doit peut concrétiser et de la façon dont la Loi maritime du Canada y est propice.

Je prie vivement chacun d'entre vous d'appuyer la Loi maritime du Canada et de veiller à ce qu'il n'y ait plus de fourberie dans le secteur riverain, plus de ponctions dans la poche du fédéral, plus de pratiques répréhensibles. Par-dessus tout, ce que je veux, c'est fermer la porte à l'opportunisme. La Loi maritime du Canada nous permettra de le faire. Je vous prie instamment de l'utiliser.

J'ai amené avec moi aujourd'hui des témoins qui étaient présents lorsque ces terrains nous ont été enlevés. Il s'agit du directeur général actuel, du vice-président actuel, de l'ex-président, du chef du budget de la Ville de Toronto et du chef du budget antérieur. Ils pourront vous expliquer pourquoi ces choses se sont produites. Je vous implore de leur poser la question directement.

Le sénateur Roberge: Avez-vous rédigé un énoncé des répercussions économiques concernant le port de Toronto pour les cinq prochaines années, établies en fonction du projet de loi?

M. Peerenboom: Concernant les orientations futures ou ce que nous faisons actuellement?

Le sénateur Roberge: Les orientations futures.

M. Peerenboom: Nous allons faire entre 5 et 8 millions de dollars par année.

Le sénateur Roberge: Au cours des cinq prochaines années.

M. Peerenboom: Oui. Le programme d'amélioration aéroportuaire produira à lui seul des profits de 5 millions de dollars plutôt qu'une perte. Cette prévision est établie en fonction de 600 000 passagers.

M. Tom Jakobek, conseiller municipal, Ville de Toronto, quartier 26, Toronto Est: Même si la commission portuaire fonctionne d'une façon très comparable à celle d'une entreprise et qu'elle dispose d'un plan quinquennal ainsi que d'un budget d'immobilisations et d'exploitation pour cinq ans, comment pouvez-vous planifier un budget lorsque vous ne savez pas si quelqu'un -- dans le cas qui nous occupe, la Ville de Toronto -- peut vous tirer le tapis de sous les pieds à n'importe quel moment en vous retirant plus de terrain ou en vous refilant des factures, en négligeant de satisfaire à ses engagements quant à la réparation du quai massif, tandis que vous fonctionnez avec un déficit?

Comment pouvez-vous établir un plan budgétaire quinquennal lorsqu'au moment où vous décidez de mettre en marché les terres de grande valeur, on vous les enlève ou on les grève à tout moment parce que l'une des parties a trois des cinq votes? Tout le problème est là.

Le sénateur Roberge: Je suis sûr qu'il a dû être difficile, dans le passé, d'établir adéquatement des budgets, des prévisions et des projections. Cependant, nous avons reçu des indications de la présidente selon lesquelles vous avez fait des projections pour les cinq prochaines années qui laissent voir une augmentation du tonnage et des revenus. C'est à ça que j'essayais d'en venir. Si vous pouviez nous remettre quelque chose d'écrit à ce sujet, nous vous en saurions gré.

M. Jakobek: La commission aura cette année un déficit d'environ 2,5 millions de dollars, qui est attribuable aux actions antérieures de la Ville. Sous la direction de M. Peerenboom, la commission a pris des mesures draconiennes qui élimineront ce déficit. Cependant, le divorce entre la commission portuaire et la Ville n'est pas chose faite. La Ville a adopté la position du comité du budget, que je représente, selon laquelle on procédera au divorce et nous récupérerons une partie des terrains afin de mettre un terme aux obligations financières futures de la Ville. Cela reste à faire. Nous pensons qu'il s'agit d'un objectif réalisable. Nous pensons que cela permettra à la commission portuaire de réaliser ses objectifs des années avant que nos assises se soient de nouveau solidifiées.

La commission portuaire a un plan financier spécial qu'elle peut mettre à votre disposition. Cependant, tant que le projet de loi ne sera pas adopté, le plan ne peut être défini, parce que nous ne savons pas ce que l'autre partenaire entend faire.

Je siège à la commission. C'est l'une de mes fonctions favorites. Lorsque le projet de loi sera adopté, je ne serai plus membre de la commission. Pourtant, je pense qu'il est important que le projet de loi soit adopté.

M. Steve Ellis, commissaire du havre de Toronto: Je suis ex-président du comité d'utilisation des terrains de la Ville de Toronto et ex-vice-président de la commission portuaire. J'ai été congédié sans cérémonie de la commission parce que je me suis prononcé en faveur de la présence fédérale à Toronto. Selon moi, il est très important que le gouvernement du Canada continue de participer. Il y a beaucoup de choses que le gouvernement du Canada peut faire dans la zone portuaire et sur les terrains de la ville de Toronto.

En ce qui concerne la question budgétaire, une grande part de la question tient à l'immobilier. Lorsque toutes les terres qui produisaient des revenus de location par l'entremise des industries ont été retirées à la commission portuaire, l'argent a été soustrait directement de l'encaisse de la commission. J'ai participé à l'engagement de la firme Booz-Allen, qui sont des experts-conseils américains du Maryland. Booz-Allen Consultants sont des chefs de file reconnus dans le monde entier pour ce qui concerne l'exploitation des ports. Ils ont procédé à une étude exhaustive et ont déterminé une somme qui devait être versée par la Ville de Toronto au nom de la justice et de l'équité. La Ville de Toronto a choisi de ne pas tenir compte de ce rapport. Elle avait tort à l'époque et elle a toujours tort maintenant.

Sans terrains producteurs de revenu, il est difficile d'établir des prévisions pour l'avenir.

Le rapport Booz-Allen mentionnait également que, pour la plupart, les ports du monde ne peuvent faire de profit si on leur retire leur terrain et qu'ils ne peuvent percevoir de loyers. Le rapport mentionnait que s'ils se limitaient à l'expédition de marchandise, la plupart des ports, et particulier ceux des Grands Lacs en raison de la nature de la voie maritime, ne pouvaient générer de profit, parce qu'ils doivent être entourés de terrain pour subventionner le reste des activités. Ils ont besoin de l'aéroport et de revenus de location.

C'est pourquoi il est si important que le projet de loi soit adopté pour permettre à la commission portuaire de faire ce qu'elle fait le mieux, c'est-à-dire de créer des emplois et de l'activité économique dans le secteur riverain.

La présidente: Votre port devra verser des subventions tenant lieu de taxes et un dividende au gouvernement fédéral. En tant qu'administration portuaire, y voyez-vous des problèmes?

M. Peerenboom: La situation actuelle est celle-ci: je ne veux pas ravoir les terrains s'il me faut payer des taxes.

Le mois dernier, nous avons comparu devant l'OMB et avons fait réduire nos taxes de plus de 95 p. 100 sur 57 acres de terrain. La cotisation est maintenant de 57 000 $ l'acre, plutôt que de 1,3 million de dollars. Nous travaillons là-dessus.

Est-ce un problème? Nous pouvons nous en occuper. À eux seuls, les revenus fonciers nous procurent 6 millions d'excédent. Nous estimons que la taxe est de 4 millions de dollars. Nous allons régler cette question à notre satisfaction.

M. Jakobek: Un changement s'est produit en 1991. Nous avons séparé la commission portuaire, dans la forme où nous la connaissons aujourd'hui, en deux organismes: la commission portuaire, dépouillée de toutes ses précieuses terres, et la Toronto Economic Development Corporation, qui a repris les meilleurs terrains. Nous avions une commission portuaire qui fonctionnait avec un profit et avait réalisé beaucoup de choses pour la zone portuaire. Aujourd'hui, seulement sept ans plus tard, nous avons une commission portuaire qui éprouve des difficultés et une Toronto Economic Development Corporation qui, malgré qu'elle ait certaines choses valables, n'a pas, de façon générale, donné des résultats qui justifient les 10 millions de dollars qu'on y a injectés au départ.

En réalité, lorsque le divorce sera prononcé -- ce qui sera possible avec l'adoption du projet de loi --, la commission portuaire pourra faire plus que simplement absorber les taxes supplémentaires et amener plus d'argent à la Ville. Elle n'aura pas à soutenir deux entreprises de mise en marché pour deux propriétés adjacentes et deux gestionnaires pour ces mêmes propriétés, etc. Il en résultera une énorme économie et d'immenses occasions de profit, qui seront toutes à l'avantage du public. Les municipalités en tireront profit elles aussi, elles qui cherchent toujours à augmenter leur revenu d'impôt.

Le sénateur Forrestall: Qui paye votre déficit actuel?

M. Peerenboom: Nous avons un déficit qui dépasse les 2,7 millions de dollars et qui est versé par Toronto, qui les puise à même les 8 à 10 millions de dollars qu'elle fait en revenu de location. Cependant, elle s'est engagée à payer le déficit tout entier, même s'il devait être de 20 millions de dollars par année, et c'est ça le problème.

Si nous avions reçu tous les revenus de location, nous aurions fait un profit de 5,7 millions de dollars cette année.

Le sénateur Forrestall: Ces profits auraient été liés non pas à l'activité portuaire mais surtout à la location et à l'utilisation rentable des autres terres que vous possédiez?

M. Jakobek: Nous avons la Ville de Toronto et la commission portuaire et, entre ces deux entités, la Toronto Economic Development Corporation, qui détient les terres enlevées à la commission portuaire. À vrai dire, cette entité génère un petit profit et est, à son tour, responsable d'éponger le déficit qui a été créé à la commission portuaire. La société d'urbanisation, dont la ville est seule actionnaire, paye le déficit de la commission portuaire qui résulte du fait que la commission portuaire a perdu ses terrains.

Le sénateur Forrestall: Est-ce équitable?

M. Jakobek: Absolument pas. Le Toronto Economic Development Office continue de fonctionner avec un profit supérieur à ce qu'il remet à la commission portuaire. Il lui a aussi laissé un certain nombre de grosses dépenses, dont la réparation des quais massifs. Si vous en connaissez le moindrement sur la question, vous savez qu'il est très coûteux d'entretenir les quais massifs. Ces coûts ont été laissés à la commission portuaire.

M. Peerenboom: Tout comme le dragage.

Le sénateur Forrestall: Le dragage?

M. Peerenboom: Le dragage. Par exemple, une certaine année, la Ville de Toronto a demandé à la commission portuaire de Toronto de ne pas draguer le fond du canal Keating, de sorte qu'il y a eu une inondation. On retire environ une tonne de limon par jour. C'est la commission portuaire de Toronto qui s'en occupe, en plus des réparations des quais massifs.

Le sénateur Forrestall: Fondamentalement, ils prennent l'argent dans les revenus de location.

M. Peerenboom: Nous le payons avec ce que nous avons, oui.

M. Ellis: Essentiellement, sénateur, ce qui s'est produit, c'est que la Ville de Toronto -- dont j'ai déjà été membre du comité exécutif -- a ramassé toutes les terres productrices de revenu et a laissé toutes les dépenses.

Le sénateur Forrestall: Je ne comprends pas toutes ces plaintes, parce que, si vous réglez vos problèmes, votre situation ne sera pas si mauvaise.

M. Peerenboom: Nous sommes bien placés maintenant, sénateur.

Le sénateur Forrestall: Quel est le résultat de la Loi maritime? Comment, précisément, met-elle fin à votre problème?

M. Peerenboom: Tout d'abord, la Ville n'exerce plus de contrôle sur le conseil. C'est le plus gros problème que nous avons.

Le sénateur Forrestall: C'est un résultat spécifique de la loi?

M. Peerenboom: Très spécifique. Il n'y a même pas un membre de la Ville qui peut siéger au conseil, mais la Ville peut nommer un membre, un membre sur sept.

Le sénateur Forrestall: Et vous êtes d'accord avec cela?

M. Peerenboom: Oh, oui. Depuis longtemps. Depuis deux ans.

Le sénateur Forrestall: Ce n'est pas longtemps.

C'est intéressant. À vrai dire, je suis plutôt renversé. Je ne pensais pas que les chiffres étaient si gros et, pour être plus précis, que vous n'avez pas été capable de maîtriser la situation, que vous n'avez pas été capable de régler le budget de base.

Dans les régions rurales de l'Est du Canada, nous sommes isolés. Vous ne l'êtes pas. Tout ce que vous faites est examiné et commenté, souvent de façon très négative. Ce dont nous parlons ici est énorme. Pensez-vous que Miramichi n'aimerait pas avoir votre problème? Qu'en pensez-vous? Et Pugwash? Sydney? Dois-je poursuivre? Il n'y a guère que la commission du fleuve Fraser, en Colombie-Britannique, qui ne voudrait pas avoir votre problème.

M. Peerenboom: Nous avions trouvé une solution avec la mairesse Hall, mais elle ne s'est jamais concrétisée.

Le sénateur Forrestall: Vous nous en avez parlé, sans préciser davantage.

M. Peerenboom: Elle avait convenu de réduire le contrôle exercé par la Ville sur le conseil en en ramenant le nombre de membres de trois à deux. J'avais demandé qu'il y en ait un seul. Elle a convenu de remettre une partie substantielle des terres que nous lui avions mentionnées, ce qui nous aurait procuré les revenus voulus pour faire des réparations.

Le sénateur Forrestall: Quelles terres aviez-vous désignées? Pouvez-vous nous dire à combien se seraient chiffrées les recettes qui en seraient provenu? C'est important.

M. Peerenboom: Nous allons vous en établir la liste avec les revenus approximatifs.

M. Bill Jackman, secrétaire général, Commission portuaire de Toronto: Les propriétés rattachées au quai, 318 acres de terre, ont été les premières à nous être retirées. Nous tirions environ 6,5 millions de dollars en loyer de ces terres et environ 2 millions de dollars de plus des espaces verts.

M. Peerenboom: C'était il y a des années.

M. Jackman: C'est exact.

Le sénateur Forrestall: Si je voulais acheter un acre de terre aujourd'hui, combien me faudrait-il débourser?

M. Peerenboom: Un acre vous coûterait environ 1,3 million de dollars. Cette information sera inscrite sur l'évaluation que je vous présenterai.

Le sénateur Roberge: Avez-vous tout ce terrain à louer?

M. Peerenboom: Il nous reste environ 500 acres. La Ville a le reste. C'est ça le problème.

Le sénateur Forrestall: Cinq cents acres, c'est la moitié de la taille du port de Halifax.

M. Peerenboom: N'oubliez pas qu'une grande partie de ce terrain est occupé par l'aéroport des îles de Toronto. Il ne s'agit pas uniquement des terres portuaires situées du côté du port.

M. Jackman: L'aéroport y est situé.

M. Peerenboom: Montrez-leur la marina. Ce n'est pas réellement du terrain portuaire.

Le sénateur Forrestall: Permettez-moi de revenir à ce dont je voulais réellement vous parler lorsque j'ai commencé sur ce sujet. Vous ne recevez pas de subvention du gouvernement fédéral. Vous ne voulez pas de fonds du fédéral. Ce que je crains, c'est le retrait du financement du fédéral pour les ports qui ne sont pas importants. Dans votre cas, ce n'est pas fondé du tout; ce n'est pas applicable.

M. Peerenboom: Non.

Le sénateur Forrestall: Vous êtes dans une situation dangereuse.

M. Peerenboom: Nous allons régler cela, sénateur.

Le sénateur Forrestall: Je n'ai pas été capable de le faire en 30 ans.

M. Peerenboom: Nous le ferons au cours des 30 prochains mois.

Le sénateur Forrestall: Bonne chance.

Le sénateur Bryden: Si je comprends bien, s'il y a une administration portuaire à Toronto, elle remplacera à la fois la commission portuaire et le Toronto Economic Development Office?

M. Peerenboom: Ce sera à la Ville de vous répondre. Nous reprendrons l'exploitation du port avec la capacité financière voulue pour bien faire notre travail. Par exemple, nombre de quais massifs ne nous appartiennent pas à l'heure actuelle, de sorte que nous ne pouvons même pas les réparer.

Le sénateur Bryden: Qu'entendez-vous par «nous»?

M. Peerenboom: La Commission portuaire de Toronto. La commission portuaire ne possède pas certains des quais massifs.

Le sénateur Bryden: Vous cesserez d'exister, n'est-ce pas?

M. Peerenboom: Tout reviendra à l'administration portuaire, Monsieur. Tout ce que nous avons va à l'administration portuaire; absolument tout.

Le sénateur Bryden: Vous n'allez pas nécessairement y aller?

M. Peerenboom: Y aller? Personne ne m'a offert l'emploi, sénateur.

Le sénateur Bryden: Voici où je veux vraiment en venir: l'intention réelle, c'est de remplacer le Toronto Economic Development Office. Celui-ci s'occupe-t-il uniquement des terrains qui entourent le port?

M. Jakobek: Sénateur, ce dont nous parlons aujourd'hui, c'est d'une pièce d'un puzzle. Ce dont nous parlons aujourd'hui, c'est de l'indépendance de la commission, ou de l'administration portuaire, par rapport à la ville. La prochaine étape, sur laquelle nous négocions actuellement, est un genre de divorce définitif entre la commission portuaire et la Toronto Economic Development Corporation, dont la Ville est propriétaire. Ce que je peux vous dire, en qualité de membre du conseil nouvellement fusionné de la Ville de Toronto et de responsable de son budget, c'est que, comme tout autre gouvernement, nous allons tenter de fusionner nos activités. Nous allons tenter de nous débarrasser des choses dont nous n'avons pas besoin, par exemple l'exploitation d'entreprises ou la propriété de terres commerciales dont nous n'avons que faire. Par conséquent, il est juste de dire que nous ne prévoyons pas donner de l'expansion à la Toronto Economic Development Corporation; nous examinons la façon dont nous allons en sortir et ravoir notre argent pour que nous puissions nous concentrer sur les services municipaux, qui sont réellement ce que nous sommes censés faire.

Le sénateur Bryden: Voulez-vous dire que vous reprendriez les 641 acres que leur ont déjà été cédés?

M. Jakobek: Je ne puis dire si nous remettrions l'intégralité des 641 acres, je ne pense pas que l'administration portuaire veuille avoir l'intégralité des 641 acres. Ce que nous avons convenu de faire, c'est de nous asseoir pour tenter de parvenir à une entente selon laquelle l'administration portuaire dispose de quais massifs et exploite un port, tandis que la Ville utilise les terres restantes à d'autres fins, s'en débarrasse ou arrive à une entente avec l'administration portuaire. Dans ce scénario, la Ville ne serait pas financièrement responsable des activités de l'administration portuaire, et celle-ci verserait des taxes municipales.

Le sénateur Bryden: Pouvez-vous me donner une estimation du nombre d'acres qui seraient alors sous le contrôle de l'administration portuaire de Toronto?

M. Peerenboom: C'est la présidente, le sénateur Bacon, qui l'a le mieux exprimé: je ne veux pas ravoir les terres avec les taxes. Je reprendrai des terres en fonction d'une entente. Nous avons besoin de suffisamment de capitaux pour faire notre travail. Nous avons besoin d'environ 4 à 5 millions de dollars en revenu qui seraient, par conséquent -- si on fait l'équation, vous avez plus de 600 acres, vous parlez d'une ville de 400 à 500 acres.

À la demande du chef du budget, nous procédons actuellement à une étude grâce à laquelle il pourra savoir de quelles terres nous avons besoin, pourquoi nous en avons besoin et le lien qu'elles ont avec le port. Nous devons justifier la raison pour laquelle nous en avons besoin et nous les voulons. En retour, nous éliminerons cette disposition concernant les garanties illimitées sur notre encaisse. De toute façon, je ne sais pas pourquoi cette disposition a été adoptée.

Le sénateur Bryden: Je ne sais pas si la nouvelle administration portuaire de Toronto devra reprendre à son compte les obligations.

M. Peerenboom: Oui.

Le sénateur Bryden: Vous dites que vous avez 500 acres à l'heure actuelle. Vous aimeriez en ravoir 400?

M. Jakobek: Sénateur, nous savons que ce qui s'est produit en 1991 n'a pas fonctionné. Par la négociation, et avec beaucoup de bonne foi et beaucoup de progrès, nous tenterons de résoudre le problème. Les terres reviendront à la commission portuaire ou à l'administration portuaire. Combien? Nous ne savons pas. L'administration portuaire ne tente pas de récupérer l'intégralité des 600 acres. Elle tente simplement d'en récupérer suffisamment pour fonctionner comme une entreprise normale et pour exploiter un port qui permet à la ville de se diversifier, plutôt que de simplement devoir régler des problèmes financiers.

Le sénateur Bryden: Selon vous, combien cela coûte-t-il en moyenne pour louer un acre de terrain dans ce secteur?

M. Jakobek: Cela dépend du terrain. Certains ont une grande valeur, générant de 500 000 à 1,3 million de dollars l'acre. Par contre, pour d'autres terrains, il vous faudrait payer quelqu'un pour les occuper en raison des problèmes environnementaux, et ainsi de suite.

Il est important que l'administration portuaire ait les pouvoirs et les responsabilités voulues sur les quais massifs et les terres qui les jouxtent. Lorsque quelqu'un a besoin d'un port de conteneurs, d'agrandir son port de conteneurs ou d'améliorer l'accès ferroviaire au port, l'administration portuaire peut répondre à ses besoins.

Le sénateur Bryden: Dans votre exposé, vous disiez que les contribuables du Canada ont versé plus de 1 milliard de dollars pour mettre en valeur ces 2 000 acres de terrain. Si ce projet de loi est adopté, les contribuables du Canada loueront les terrains de l'administration portuaire de Toronto. Combien l'administration portuaire de Toronto est-elle prête à verser au gouvernement du Canada et, par conséquent, aux contribuables?

M. Peerenboom: Je vous répondrai de cette façon. Nos profits seront de 5 à 10 millions de dollars au moment où nous exécuterons ces plans. Est-ce que je veux vous remettre l'intégralité des profits? Non, monsieur. Suis-je prêt à vous donner quelques millions de dollars? Oui. Nous avons l'argent voulu pour nous acquitter de nos obligations envers le gouvernement du Canada.

Le sénateur Bryden: Selon le rapport Booz-Allen, on peut estimer à juste titre que le loyer des 347 acres est de 6 millions de dollars par année.

M. Peerenboom: C'est exact.

Le sénateur Bryden: Je présume qu'une partie de ce terrain vaudra au moins autant. Le rapport Booz-Allen mentionnait également que 294 acres valaient 6 millions de dollars par année. Nous en sommes donc à 12 millions de dollars pour 600 acres.

M. Peerenboom: Voulez-vous tous les garder?

Le sénateur Bryden: Nous commençons par l'actif.

M. Peerenboom: Examinons la question selon l'angle inverse. L'exploitation de notre port nous a fait perdre 2,7 millions de dollars l'an dernier. Si nous avions eu les revenus de la location des terres, qui approchent les 10 à 12 millions de dollars, nous aurions eu un profit de 7 millions de dollars. C'est le montant d'argent que nous aurions eu en investissement de capitaux ainsi que pour les taxes pour la Ville de Toronto et pour les paiements au gouvernement fédéral. Ce sont les chiffres que nous avons.

Le sénateur Bryden: L'administration portuaire du Grand Toronto a négocié un «loyer» pour l'aéroport avec un bail de 60 ans. On peut présumer que la même limite s'appliquera à ces ports. Les contribuables canadiens ont versé 1,5 milliard de dollars pour cet actif, pour lequel je tente de déterminer un juste prix.

M. Peerenboom: Je n'ai pas de réponse à vous donner.

M. Jakobek: De toute façon, le gouvernement fédéral n'est admissible à rien, parce qu'il n'a pas le contrôle. De plus, ce sur quoi il aurait le contrôle est déficitaire.

Si vous adoptez ce projet de loi, le gouvernement fédéral aura le contrôle. Avec la procédure de divorce qui y est en quelque sorte liée, des revenus pourront être générés. À ce moment-là, vous pourrez commencer à calculer l'ampleur des sommes qui pourraient ou devraient être touchées ou réinvesties.

M. Peerenboom: Le projet de loi prône que de 2 à 4 p. 100 du chiffre d'affaires de l'administration portuaire devrait être remis au gouvernement fédéral chaque année. Plus il est important, plus les sommes remises sont importantes.

Le sénateur Forrestall: C'est après d'autres considérations.

M. Peerenboom: Vous allez nous donner d'autres considérations?

Le sénateur Forrestall: Êtes-vous familiarisé avec le projet de loi?

M. Peerenboom: Je l'ai lu, oui.

Le sénateur Bryden: Comment le gouvernement fédéral exerce-t-il son contrôle? Vous dites qu'il n'en exerce aucun à l'heure actuelle. Qu'arrivera-t-il si nous adoptons ce projet de loi et que l'administration portuaire de Toronto est créée?

M. Peerenboom: Vous examinez la question tous les cinq ou sept ans, monsieur.

Le sénateur Bryden: Je crois comprendre que c'est l'administration portuaire de Toronto qui dirigera.

M. Peerenboom: Quatre nominations sont faites. Il y a des recommandations qui proviennent de la collectivité, mais il pourrait y en avoir 300. On procède aux quatre sélections finales par décret. C'est Ottawa qui prendra ces décisions. La province a un choix, la ville en a un autre. C'est une très bonne affaire pour nous.

Le sénateur Forrestall: D'après ce que vous avez dit, je crois comprendre qu'il n'y a pas de déficit accumulé.

M. Peerenboom: Non. Nous avons environ 20 millions de dollars dans la cagnotte. En vertu de la loi actuelle, cette somme doit être utilisée pour les immobilisations futures.

Le sénateur Forrestall: Que se passera-t-il lorsque ce montant sera porté à 40 millions de dollars? Il n'y a rien d'autre dans le projet de loi que le chiffre de 2 p. 100. Je crois que 2 p. 100 n'est pas un loyer raisonnable. Au cours des dernières années, le gouvernement fédéral a exigé un rendement de 10 à 20 p. 100 sur les investissements de cette nature.

Avez-vous de grands travaux publics en vue?

M. Peerenboom: Oui. Tout d'abord, il y a le quai massif et le dragage.

Le sénateur Forrestall: Dépensez-vous de l'argent pour le plaisir? Les installations nécessaires sont-elles en place?

M. Jakobek: En ma qualité de chef du budget pour la ville, je viens tout juste d'examiner le budget de la CPT, et je le présenterai au conseil municipal demain. Le budget est de 5,9 milliards de dollars, plus que celui de six provinces du Canada.

La CPT dispose des investissements substantiels en capital nécessaires. Un de ses investissements est affecté à la protection du rivage, qui profite à tous les citoyens. Comme vous le savez, le niveau élevé de l'eau du lac cette année a exigé des activités substantielles de protection du rivage. La CPT a dû faire des dépenses substantielles pour le dragage, ce qui, à son tour, protège les intérêts des citoyens de la ville en les prémunissant contre une inondation.

De plus, la réparation du quai massif, qui est aussi très importante, incombe entièrement à la commission portuaire. Il s'agit d'énormes dépenses.

Les surplus en capital de 20 millions de dollars vous seront littéralement remis. D'après ce qu'on nous a dit, ils seront répartis sur les cinq prochaines années, de sorte que le comité pourra constater à quel point cette réserve a fait l'objet d'une planification financière prudente. Il ne s'agit pas d'argent qu'on conserve dans une cagnotte à l'intention de quelqu'un d'autre. Cet argent a été prudemment mis de côté pour les réparations et les travaux d'immobilisation qui sont nécessaires à l'entretien vital de la zone portuaire.

Le sénateur Forrestall: Pourriez-vous me parler de l'un des principaux projets d'immobilisation?

M. Jakobek: M. Reid pourra vous faire part des projets exacts et vous donner quelques chiffres. Nous pouvons aussi vous remettre le plan quinquennal proprement dit.

M. Gary F. Reid, directeur général, Commission portuaire de Toronto: Il nous faudra notamment procéder à la réfection du toit de certains de nos terminaux. Pour la première fois depuis longtemps, nous devrons aussi draguer la zone navigable.

Le sénateur Forrestall: Qui en est responsable?

M. Reid: La Garde côtière en était auparavant responsable, mais elle s'en est retirée, de sorte que nous devrons le faire nous-mêmes. Dans notre port, le dragage de la zone navigable doit se faire tous les dix ans, et il y a dix ans qu'on ne l'a pas fait.

Nous exploitons un service de traversiers, et nous devons procéder à leur inspection tous les cinq ans. Nous venons tout juste d'en avoir une qui, heureusement, n'a pas dénoté qu'il fallait procéder à beaucoup de réparations, mais nous devons en faire une autre bientôt. La dernière fois, nous avons dû dépenser un demi-million de dollars pour faire en sorte que les traversiers soient conformes aux normes de la Garde côtière. Nous prévoyons remplacer le service de traversier par un pont, qui nous coûtera 16 millions de dollars.

Il nous faut apporter d'autres améliorations à notre aéroport, pour lesquels il nous faudra aussi débourser de l'argent. Au cours des 5 à 10 prochaines années, nous devrons consacrer probablement de 30 à 40 millions de dollars en dépenses en capital pour l'aéroport seulement.

Le sénateur Forrestall: Cela irait beaucoup mieux si vous aviez déjà la moitié du montant dans votre cagnotte.

M. Peerenboom: Nous serons heureux de vous remettre notre budget.

M. Jakobek: La somme de 20 millions de dollars n'est pas suffisante pour les projets d'immobilisation que la commission doit entreprendre au cours des cinq prochaines années.

Le sénateur Forrestall: Avec tout le respect que je vous dois, je pourrais dépenser 50 millions pour le port de Halifax d'ici la fin de la journée de demain. Ce n'est pas de cela que je parle. Toronto continuera d'exister et vos affaires continueront d'être florissantes. Même si vous n'obtenez pas les 20 millions de dollars, vous continuerez d'apporter beaucoup au port, et la Ville de Toronto ou ses environs ne seront pas placés devant une situation qui ne s'est pas déjà produite. J'espère que vous l'aurez. Je veux simplement que vous sachiez que certaines personnes veulent connaître tous les détails.

M. Jakobek: Il y a un point qui manque. Depuis 1991, au moment où ce terrain a été enlevé à la CPT, ce qui l'a placée dans une position déficitaire, elle n'a pu faire autant d'amélioration des immobilisations et de travaux d'entretien qu'habituellement.

Au cours des quatre derniers mois, je me suis occupé de 64 budgets différents dans le budget municipal de la Ville. Oui, un bureaucrate trouve une façon de dépenser tout l'argent qu'on lui remet, mais laissez-moi vous dire que, même avec une réserve de 20 millions de dollars, ce budget des immobilisations est en réalité sous-financé. S'il ne l'était pas, je serais le premier à tenter de m'en emparer, parce que j'ai d'autres problèmes et urgences ailleurs, et je peux vous dire qu'il y a sous-financement.

Le sénateur Forrestall: Combien ajouteriez-vous à la cagnotte chaque année?

M. Jakobek: La réserve en capital a diminué substantiellement depuis 5 ou 7 ans.

Le sénateur Forrestall: Vous vous en êtes servi?

M. Jakobek: Nous nous en sommes servis. Nous pouvons vous montrer comment nous nous en servirons au cours des cinq prochaines années et comment elle diminuera encore davantage.

Le sénateur Forrestall: Une partie de cette somme est-elle revenue au gouvernement fédéral?

M. Jakobek: Non.

M. Reid: En vertu de la Loi sur la Commission portuaire de Toronto actuelle, tous les surplus sont transférés à la municipalité.

Le sénateur Milne: Monsieur Jakobek, vous avez parlé des 20 millions de dollars en réserve. Vous avez dit que 15 millions de dollars étaient réservés pour un pont menant à l'aéroport des îles de Toronto. Ce projet doit-il être approuvé par le nouveau conseil municipal du Grand Toronto?

M. Peerenboom: Il a été approuvé par l'ancien conseil municipal.

Le sénateur Milne: Ainsi, le projet est en suspens jusqu'à ce que le nouveau conseil l'approuve?

M. Peerenboom: Nous avons dépensé environ 2 millions de dollars en études environnementales. Nous prévoyons que celles-ci se termineront vers les mois d'août ou septembre prochains, et espérons commencer la construction en novembre. Nous sommes prêts à commencer.

Le sénateur Milne: La Ville est-elle prête à aller de l'avant?

M. Jakobek: Selon moi, le conseil municipal, auquel je siège, approuvera la construction du pont. Cela dit, je mentionnerai que le coût total du pont ne représentera pas une ponction dans le budget des immobilisations, pour la simple raison que le pont s'autofinancera. Le coût de l'entretien de l'exploitation du service de traversier est si prohibitif que son élimination et celle de son déficit financeront le pont.

Au bout du compte, ce que je dois vous remettre -- que vous nous avez demandé et que vous devriez obtenir --, c'est notre plan quinquennal des immobilisations, qui vous montrera exactement comment l'argent est dépensé et qui vous mettra au fait des tendances historiques. Cela confirmera mon argument.

Le fonds a un plan d'immobilisation qui montre que les 20 millions de dollars seront épuisés dans un proche avenir, si rien n'est fait. Lorsque ce projet de loi sera adopté et que le divorce d'avec la Ville sera chose faite, la CPT générera des profits, surtout en raison des mesures prises par la commission pour faire du ménage. Elle pourra contribuer d'autres sommes au programme des immobilisations, qui devraient à leur tour générer d'autres profits.

La présidente: Avez-vous d'autres questions, sénateurs? Merci beaucoup de votre exposé, qui a été très intéressant.

Notre prochain groupe de témoins provient des TCA, les Travailleurs canadiens de la Voie maritime. Soyez les bienvenus. Veuillez commencer.

M. Gary Fane, directeur national des transports des TCA -- Travailleurs canadiens de la Voie maritime: Je m'appelle Gary Fane. Je suis accompagné aujourd'hui de Vince Hearn et de Joel Fournier, qui travaillent tous deux pour l'Administration de la Voie maritime du Saint-Laurent. Un certain nombre d'autres représentants syndicaux sont aussi présents ici.

Notre syndicat représente environ 215 000 membres dans tout le pays, qui oeuvrent dans la plupart des grandes industries, dont les transports. Certains de nos membres travaillent dans l'assemblage d'automobiles, les pièces d'auto, l'aérospatiale, l'électronique, les sociétés aériennes, les sociétés de chemin de fer, le camionnage, les pêches, la marine, les mines, l'accueil et partout où notre syndicat peut être présent. Nous représentons quelque 20 000 membres dans le secteur des transports, dont 641 travaillent pour l'Administration de la Voie maritime du Saint-Laurent.

Il y a deux groupes de négociation à l'Administration de la Voie maritime du Saint-Laurent. L'un est un groupe de supervision, et l'autre un groupe de travailleurs qui, fondamentalement, font fonctionner la Voie maritime du Saint-Laurent et surveillent la sécurité des navires qui remontent et descendent le Saint-Laurent.

Bien franchement, en ce qui concerne notre position face à la Loi maritime du Canada et à la privatisation ou à la commercialisation de la Voie maritime du Saint-Laurent, nous avons toujours été en désaccord. Nous pensons que c'est une erreur. Nous avons un magnifique réseau de transport qui fonctionne très bien. Trente millions de Canadiens en sont propriétaires. En réalité, cette commercialisation sera remise entre les mains des représentants de neuf ou dix compagnies de transport qui siègent au conseil.

Nous ne sommes pas naïfs tout de même. Le projet de loi a déjà été présenté devant la Chambre des communes. Nous nous attendons à ce qu'il soit adopté, nous essayons donc d'accepter la situation telle qu'elle est et telle qu'elle sera. Nous avons tenté de formuler des suggestions qui nous permettront de vivre avec ce projet de loi, des suggestions qui seraient bonnes pour le consommateur, pour le pays et pour nos employés qui travaillent là.

La plupart de nos employés comptent plus de 10 ans de service. Ils aiment travailler à l'Administration de la Voie maritime du Saint-Laurent. C'est leur carrière. Une fois qu'ils sont embauchés, les travailleurs ne font pas qu'aller et venir, ils ne quittent pas facilement ou rapidement leur emploi. Ils considèrent que c'est un bon endroit où travailler, et ils pensent que leur travail est gratifiant.

Par le passé, nous avons subi une réduction du nombre d'emplois et nous sommes inquiets du fait que la commercialisation entraînera d'autres pertes d'emplois. Parfois, on en arrive à un point où on élimine assez d'emplois pour que le système lui-même et la sécurité du système soient remis en question, et voilà où nous en sommes aujourd'hui. D'autres pertes d'emploi constitueront une menace pour la sécurité.

Au cours de l'année dernière, on a mis en place un nouveau président et une nouvelle administration. À nos yeux, nous avons une bonne relation de travail avec M. Fournier, le nouveau président, et avec sa nouvelle équipe. Les questions de relations de travail sont réglées de manière assez juste et rapide, et les problèmes sont résolus.

La nouvelle administration de l'entreprise recherche un partenariat avec les travailleurs et le syndicat, un partenariat qui pourrait améliorer la qualité des services aux clients, qui pourrait réduire les coûts et qui pourrait continuer de nous assurer un bon réseau de transport. Nous partageons toutes ces idées avec le président, nous n'en rejetons aucune.

Nous sommes préoccupés au sujet de la question de la commercialisation, et nous nous demandons si elle n'est pas prématurée. Nous savons qu'aux États-Unis, on discute énormément de la possibilité qu'une entreprise binationale exploite la Voie maritime du Saint-Laurent, que nous nous joignons aux Américains pour former un groupe qui sera chargé de l'exploiter. Si cela doit arriver, nous nous demandons pourquoi nous devrions subir deux fois ce processus. Pourquoi la commercialiser, mettre en place une nouvelle administration, et tout recommencer dans un an ou deux? Cela n'a pas beaucoup de sens.

On critique toujours le gouvernement. Dans ce scénario, nous croyons que le gouvernement serait plus avisé de ne pas se lancer rapidement dans la commercialisation avant de savoir exactement ce qu'il fera avec les Américains.

Aux États-Unis, les membres de la Chambre des représentants débattent de la question qui consiste à déterminer si cette proposition sera acceptée, et si elle est ou non une bonne idée.

Notre intérêt marqué pour les membres que nous représentons n'est pas surprenant. Tous nos membres comptent plus de 10 années de service. Par le passé, ils étaient visés par le régime de pensions de retraite de la fonction publique. Madame la présidente, si votre comité a l'occasion d'entreprendre quelque chose de constructif pour aider les employés qui travaillent à cet endroit et les expéditeurs, nous pensons que vous devriez profiter de l'occasion.

Certains d'entre vous savez peut-être que le régime de pensions de retraite de la fonction publique est un régime intéressant et solide. Nous ne nous lançons pas dans des négociations sur le régime de pensions chaque fois que nous nous retrouvons à la table de négociations, parce que les conditions sont déjà déterminées, notamment la part que doit payer l'employé, la part payée par l'employeur et la part du gouvernement. Le montant d'argent que les gens obtiennent du régime de pensions est déjà déterminé.

Au cours de la dernière ronde des négociations, lorsque nous savions que la commercialisation était en vue, l'entreprise voulait que nous signions une convention collective d'un an pour que les nouveaux propriétaires -- si je peux m'exprimer ainsi -- aient leur mot à dire sur les changements qui s'amorceraient. Ils voulaient un certain contrôle et ils souhaitaient bénéficier d'une certaine souplesse.

La principale préoccupation de nos membres est la suivante: qu'arrivera-t-il au régime de pensions? Nous avons fini par signer une lettre d'accord qui mentionnait que les gens pourraient passer du régime de pensions de retraite à l'autre régime. La lettre d'accord précisait aussi que, dans le cas d'un différend au sujet de la qualité du plan, un tiers -- un arbitre -- pourrait prendre part au processus. Voilà comment nous avons tenté de résoudre le problème.

Les choses se corsent un peu au moment de la négociation collective. Le processus de négociation durait depuis 14 mois, et l'entreprise voulait que nous signions un accord d'un an. Nous pensions que ce n'était pas très sage. Nous avons dit que nous ratifierions une convention collective et que, le même jour, nous tiendrions un vote de grève. Cela envoyait deux messages différents aux clients, aux expéditeurs et au gouvernement, ce qui n'avait pas beaucoup de sens. Sous la gouverne du nouveau président, nous avons fini par signer une nouvelle convention collective de deux ans, qui viendra à échéance à la fin de l'année.

Nous avons débattu la question du régime de pensions. Franchement, le débat sur le régime de pensions, qui consiste à passer de l'un à l'autre régime, ne sera pas réglé cette année, et nous entamerons donc les prochaines négociations avec exactement la même question.

Si vous êtes le groupe utilisateur présent au conseil, et que vous examinez soigneusement les coûts, l'une des choses que vous voudrez faire sera de réduire les coûts du régime de pensions. Actuellement, les employés contribuent environ 5 p. 100; l'Administration de la Voie maritime du Saint-Laurent verse environ 5 p. 100; le gouvernement, compte tenu de la structure du plan, y verse l'équivalent de 6 à 7 p. 100.

Pour nos membres qui contribuent à ce régime, il s'agit de leur sécurité, de leur filet de sécurité à long terme. À vrai dire, il s'agit de leur REER. S'ils décèdent, c'est le régime qui prendra convenablement soin de leur conjoint.

L'entreprise veut mettre en place le nouveau régime de pensions seulement au moment où elle transférera 160 millions ou 170 millions du régime de pensions de retraite de la fonction publique au nouveau régime. On ne peut y parvenir autrement.

Nos membres, bien sûr, préféreraient rester exactement là où ils en sont, et cela n'est pas impossible. Un décret pourrait le permettre. Une directive appropriée de la part du présent comité le permettrait.

Nous craignons que, aussitôt que la commercialisation sera lancée, nos membres ne déclenchent une grève nationale parce qu'ils sont inquiets au sujet de leur régime de pensions.

Nous ne sommes pas certains que la commercialisation restera telle qu'elle, ou si un comité binational administrera la voie maritime. Par conséquent, nous devrons recommencer le processus, ce qui n'a aucun sens. Je ne crois pas que nous sommes exigeants. Nous ne demandons pas une contribution additionnelle de la part des employeurs. Nous essayons simplement de protéger les acquis de nos membres.

Nous avons frôlé la grève en novembre dernier. Elle aurait causé des difficultés sur la Voie maritime du Saint-Laurent, parce que les navires essaient de partir à ce moment-là. Personne ne veut se retrouver avec ce genre de différend. Imaginez un différend à propos de quelque chose que vous possédez déjà.

En ce qui concerne l'idée de passer à un nouveau régime, le gouvernement fédéral devra transférer au moins 170 millions de dollars. Cela devrait déclencher un débat. L'employeur voudra disposer d'un régime de pensions moins avantageux, et nous ne voudrons pas que cela arrive. Avec le syndicat en place, cela n'arrivera pas. Nous aurons donc un conflit au moment où nous tenterons d'établir une nouvelle relation de qualité avec la nouvelle administration.

Comme je l'ai mentionné auparavant, nous savons que nous ne pouvons empêcher la commercialisation. Nous tentons de vivre avec cette réalité.

Nous jugeons assez intéressant le fait que le groupe d'utilisateurs participe au nouveau conseil chargé d'exploiter les installations. Personne n'a consulté les représentants des travailleurs qui devront composer avec les décisions prises par le nouveau conseil. Le nouveau conseil sans but lucratif voudra réduire les coûts. On débattra de la façon d'exploiter la voie maritime, et cela touchera nos membres et nos clients. Toutefois, le syndicat a été exclu du conseil et il n'est même pas présent à titre consultatif.

Nous savons que le monde évolue. Nous savons que les choses ne peuvent rester comme elles sont. Nous savons aussi que la voie maritime a réalisé des profits l'an dernier. Nos membres sont heureux de travailler là, et nous pensons que nous faisons un bon travail en contribuant à l'économie du pays entier. Nous ne souhaitons pas empêcher cette croissance, mais nous avons certaines préoccupations.

Nous serions heureux de connaître vos vues sur la question du régime de pensions. Nos membres seraient rassurés, ce qui renforcerait le climat de travail positif au sein de la voie maritime pour les prochaines années.

La présidente: Dans quelle mesure avez-vous participé aux discussions avec le gouvernement et les groupes d'utilisateurs proposés qui seront chargés de l'exploitation et du contrôle de la voie maritime?

M. Fane: Nous n'avons pas été invités à participer aux discussions initiales. L'information que nous avons reçue provenait habituellement de façon dérivée, de l'ancien président. Le nouveau président communique effectivement avec nous, mais pendant tout le processus, nous avons eu peu d'informations.

La présidente: Croyez-vous que le nouveau groupe proposé pour exploiter la voie maritime sera plus efficace que l'administration actuelle? Selon vous, qu'est-ce qui pourrait être plus efficient?

M. Fane: Non, nous ne pensons pas que le nouveau groupe administrera mieux la voie maritime. Nous pensons que l'administration actuelle, qui réalise aussi des profits, se débrouille assez bien.

J'espère que vous ne nous trouverez pas impolis, mais parfois nous pensons que c'est comme laisser entrer le loup dans la bergerie. On dit aux magnats du transport maritime que même si un grand nombre d'intervenants utilisent les installations, neuf d'entre eux auront le droit de la contrôler, parce qu'ils ont un intérêt direct. Je ne m'attends pas à ce que notre syndicat ait la permission de la contrôler parce que nous avons un intérêt direct. Les coûts peuvent augmenter, et les avantages des employés peuvent augmenter davantage.

Nous croyons que le gouvernement s'est empressé quelque peu de modifier la politique en matière de transport. Cela rappelle un peu la question des aéroports. Il a cédé les aéroports rentables, mais il ne peut pas céder ceux qui ne réalisent pas de profits. Nous croyons qu'il est trop tôt.

La présidente: Êtes-vous au courant des conditions selon lesquelles les employés des aéroports ont été transférés aux administrations aéroportuaires? Ces employés ont-ils conservé leur régime de pensions?

M. Fane: Un groupe important en particulier n'a pas conservé son régime de pensions. Il a été transféré à NAV CANADA. Pour être franc, le transfert a été bien effectué.

Soulignons trois différences dans la situation présente. Premièrement, le gouvernement possède encore les installations. Deuxièmement, le bail s'échelonne sur cinq à dix ans. Troisièmement, on parle déjà de faire autre chose avec les installations, entre autres, de conclure un nouvel accord avec les Américains. On note certaines similitudes, mais il existe aussi des différences.

La présidente: S'est-on penché sur toutes vos préoccupations relatives à la continuité des avantages sociaux? Vous avez mentionné les régimes de pensions, mais qu'en est-il des autres avantages?

M. Fane: Si vous voulez dire les salaires et la convention collective, nous sommes confiants de pouvoir en discuter avec le nouveau président, M. Fournier. Le régime de pensions semble toutefois échapper à son contrôle.

Si le régime de pensions est transféré, et que les employés choisissent de ne pas transférer leur argent investi -- ce qui est tout à fait possible sur le plan juridique -- il y aura un régime de pensions complètement nouveau. Le propriétaire ne voudra pas verser une contribution aussi élevée. Comme l'actif n'a pas été transféré, il ne peut même pas réaliser des profits sur le transfert de l'actif.

Voilà où nous allons: le nouveau groupe de gestion s'attend à ce que les employés transfèrent leurs 160 millions ou 170 millions de dollars, qu'ils l'investissent judicieusement, et il espère que cela réglera la question des futures augmentations qu'il devrait peut-être payer. Si ces fonds sont bien investis, le résultat serait très intéressant.

Cependant, nos membres ne transféreront pas leurs états de service antérieurs, et nous ne pouvons pas leur donner une bonne raison de le faire. Nous n'avons aucun choix quant aux états de service à venir. Si vous comptez 28 années de service, il n'existe aucune bonne raison de transférer votre pension à un groupe de propriétaires qui vous est inconnu.

Nous pensons pouvoir régler les questions comme les salaires et les autres avantages, même s'il faut se battre. Toutefois, il n'y a aucun gagnant en ce qui concerne la question du fonds de pension.

Le sénateur Forrestall: Je comprends votre inquiétude au sujet du transfert du régime de pensions. J'ai été surpris d'apprendre que vous payez 5 p. 100, que la voie maritime verse 5 p. 100, et le gouvernement, 6 p. 100.

M. Vince Hearn, président, TCA -- Travailleurs canadiens de la Voie maritime: Le gouvernement paye 7 p. 100, je pense.

Le sénateur Forrestall: Sept pour cent, et l'Administration de la voie maritime paye 5 p. 100?

M. Hearn: C'est 15 p. 100 au total.

Le sénateur Forrestall: Partagés entre l'Administration de la voie maritime et le gouvernement?

M. Fane: Oui.

Le sénateur Forrestall: Ils paient ce montant en plus de votre coût?

M. Fane: Je crois qu'il s'agit du même régime de pensions et du même régime de paiement pour chaque employé du gouvernement fédéral.

Le sénateur Forrestall: Ça semblait un peu plus avantageux de la façon dont vous en parliez.

M. Fane: J'ai essayé de faire en sorte que ça ait l'air positif, oui.

Le sénateur Forrestall: Je peux comprendre cela. Le défi que doivent relever les travailleurs, les employés, les utilisateurs et les gouvernements provinciaux du Québec et de l'Ontario, parce qu'ils participent tous deux également au mouvement qui s'amorce aux États-Unis en vue de mettre en place une voie maritime binationale, comporte certaines répercussions à moyen et à long termes qui doivent être prises en considération. Avez-vous tenté de retarder la question jusqu'à ce qu'elle soit réglée?

M. Hearn: La pension?

Le sénateur Forrestall: Oui, retarder la question de la pension.

M. Hearn: Nous avons écrit au Conseil du Trésor pour demander qu'elle soit différée. On nous a répondu qu'elle ne pouvait être différée que pour une courte période, et que la seule façon pour nous de demeurer assujettis à la Loi sur la pension de la fonction publique serait de demander un décret.

Le sénateur Forrestall: On ne vous a pas dit pourquoi elle ne pouvait être différée que pour une courte période?

M. Hearn: On nous a dit qu'aucune loi ne précise que nous devons demeurer assujettis au régime de pensions ou que nous devons quitter, mais normalement, on ne permet pas à une entreprise commercialisée de demeurer assujettie à la Loi sur la pension de la fonction publique. Nous serions autorisés à demeurer visés par ce régime seulement si le gouvernement adoptait un décret.

La présidente: Pouvez-vous nous envoyer une copie de cette lettre?

M. Hearn: Oui, j'ai fait cette démarche par l'entremise du Président de la Chambre des communes, et il a transmis ma demande au Conseil du Trésor; le Conseil du Trésor m'a répondu.

Le sénateur Forrestall: C'est intéressant. Que vous a dit votre conseiller juridique à ce sujet?

M. Fane: En fait, notre conseiller juridique nous a informés que seul le Cabinet pouvait adopter un décret dans ces cas. Nous nous sommes attaqués au problème sous un angle différent, et avons demandé si, plutôt que de laisser les gens assujettis à ce régime de manière permanente, on pouvait peut-être les laisser dans ce régime temporairement, pendant cinq ou dix ans, selon les dispositions du bail; nous avons essentiellement obtenu la même réponse.

Quand nous en avons discuté avec l'ancien président de l'entreprise, il nous a carrément dit que c'était impossible. Plus tard, un des utilisateurs nous a appris qu'ils pensaient reprendre le régime de pensions. Ils feraient verser 170 millions de dollars dans un compte, et ils seraient capables de les gérer eux-mêmes. Nous allions de mal en pis.

Le sénateur Forrestall: Vous ne sauriez pas quoi faire avec ces 170 millions de dollars si on vous les donnait n'est-ce pas?

M. Fane: Nous voulions simplement nous assurer qu'on s'en occupait bien.

Le sénateur Forrestall: Cela me surprend. C'est un montant d'argent considérable qu'on vous aurait donné. Selon la façon dont il vous serait versé, vous devriez le faire fructifier immédiatement pour obtenir les meilleurs résultats possibles, et vous n'êtes pas en position de le faire. Vous ne vous occupez pas de gérer des fonds.

M. Fane: Nous n'avons absolument aucun intérêt à gérer les fonds de pension. Sincèrement, ce ne serait pas l'une de nos priorités.

M. Hearn: Nous prévoyons demeurer assujettis à la Loi sur la pension de la fonction publique encore cinq à dix ans, au terme desquels l'une des parties pourrait dire: «Nous avons essayé, mais cela ne nous a pas plu. Que nous obtenions ou non un accord réciproque dans le cadre de la Loi sur la pension de la fonction publique, il s'agit d'une autre perturbation, et nous voulons en revenir à un régime de pensions différent». Ils proposent un régime de pensions à deux paliers. Si nous participons à cette commission binationale au moment où elle formera une entreprise binationale, l'entreprise disposera-t-elle d'un nouveau régime de pensions, et nos vies seront-elles de nouveau perturbées?

Le sénateur Forrestall: Vous avez dit que votre direction était prête à soumettre cette question à un vote de grève auprès de vos membres. Pouvez-vous préciser davantage?

M. Fane: S'il est impossible de négocier raisonnablement, je vous avouerai en toute franchise que nous avons encore le droit de retirer tranquillement nos services. Cette question est si délicate pour nos membres que notre syndicat a adopté un principe: si les membres choisissent une orientation et que vous êtes responsable, assurez-vous de les diriger, parce que c'est la seule façon de demeurer responsable. Cette question pourrait entraîner plus d'une perturbation majeure. Il ne s'agit pas de quelque chose que nous souhaitons changer. Nous avions ce que nous considérions être un très bon régime, et les membres payaient leur part. Ils avaient un sentiment de sécurité. Toutefois, je ne doute pas que si cette question ne peut être réglée, que ce soit au cours de cette ronde de négociations ou de la prochaine, la Voie maritime du Saint-Laurent sera fermée par nos membres, et je n'en suis pas très fier. Parfois, je suis très fier de devoir défendre quelque chose d'important. Dans le cas qui nous occupe, je crois qu'il s'agit d'un problème que nous devrions être capables de régler.

Le sénateur Forrestall: Avez-vous fait des démarches préliminaires pour obtenir l'approbation de vos membres concernant un vote?

M. Fane: En novembre dernier, après 14 mois de négociations où l'employeur a dit à l'ancien président qu'il ne pouvait que signer une convention collective d'un an, nous avons voté en faveur de la grève illégale, à 92 p. 100. La date a été établie, et nous sommes allés en grève. Le nouveau président est intervenu, et nous avons tenté de contourner la question de la pension parce qu'elle ne devait se poser qu'un ou deux ans plus tard. Nous avons rédigé une lettre d'accord mentionnant que si l'employeur prévoyait transférer le nouveau régime de pensions, celui-ci devrait refléter l'ancien. Ce n'est jamais difficile d'engager une bataille. Trouver une solution est beaucoup plus problématique.

Le sénateur Forrestall: Parfois, au coeur de la bataille, vous obtenez une solution que vous ne souhaitez pas vraiment.

M. Fane: C'est vrai.

Le sénateur Forrestall: Je vous félicite d'avoir engagé tôt les négociations, et je comprends parfaitement vos préoccupations, particulièrement lorsque vous vous inquiétez face à l'inconnu. Rien n'a été prouvé, encore moins votre capacité de vous occuper convenablement du transfert immédiat de ce fonds. Je pense qu'ils devraient conserver le contrôle. S'ils conservent le contrôle, ils vont peut-être réaliser qu'ils doivent l'étendre sur une période prolongée et attendre le résultat de la commission binationale.

M. Fane: Cela serait beaucoup plus sensé à nos yeux.

Le sénateur Forrestall: Au Canada, c'est une question discrète, ce n'est pas une question brûlante d'actualité. Je doute que nous en entendions parler de quiconque se présente devant nous et c'est pourquoi je suis d'accord avec vous.

Le sénateur Roberge: Croyez-vous qu'une clause de droits acquis réglerait le problème?

M. Fane: Oui, en effet.

Le sénateur Forrestall: Pas nécessairement pour toujours.

M. Fane: Tôt ou tard, le gouvernement adoptera une politique.

Le sénateur Milne: Vous avez parlé surtout de préoccupations au sujet de la pension, mais votre mémoire en dit davantage sur la réduction des emplois. Aimeriez-vous vous expliquer à ce sujet?

M. Fane: Il nous reste environ 600 membres à la voie maritime, qui fonctionne avec approximativement 700 membres. Nous croyons que l'entreprise a coupé tout le gras et la bureaucratie qu'elle pouvait couper, y compris les postes cadres. Nous ne sommes pas fiers du fait que les gens perdent leur emploi, peu importe que ce soit un poste syndiqué ou non. Nous n'aimons pas voir des gens perdre leur emploi.

Nous sommes déjà très efficients. Si le nouveau groupe veut être encore plus efficient, ce qui suppose d'autres compressions, nous craignons que les réductions additionnelles n'influent sur la sécurité et la qualité de notre travail, et le président de la société est évidemment d'accord avec nous. À un moment donné, ils allaient réduire l'effectif encore plus que ce qu'ils ne l'avaient fait, mais nous réalisons que nous ne pouvons le réduire davantage. Ce n'est plus une question d'efficience maintenant, si l'on procède à plus de compressions, nous ne serons pas efficients.

Si vous siégez au conseil et que vous tentez de réduire les coûts pour vos propres navires, qui en paiera le prix? Réponse: la Voie maritime du Saint-Laurent, le gouvernement, la sécurité et nos membres. Nous ne pensons pas pouvoir couper davantage.

Le sénateur Milne: Vous pensez que les 641 employés que vous représentez est un niveau minimal.

M. Fane: C'est le niveau minimal. Si 10 ou 20 d'entre eux prennent leur retraite demain, ils devront être remplacés, sinon le système ne pourra fonctionner efficacement.

La présidente: Monsieur Fane, je vous remercie de votre exposé.

Nous entendrons maintenant des représentants de la Chambre de commerce maritime et de l'Association des armateurs canadiens.

[Français]

M. Donald N. Morrison, président, Association des armateurs canadiens: Je m'appelle Donald Morrison, président de l'Association des armateurs canadiens et je suis accompagné de M. Douglas Smith, président de la Chambre de commerce maritime. Nous sommes heureux de vous rencontrer cet après-midi pour discuter du projet de loi C-9, la Loi maritime du Canada. Nous serons disposés à répondre à vos questions après notre présentation.

[Traduction]

M. Douglas Smith, président, Chambre de commerce maritime: J'aimerais vous parler un peu de la Chambre de commerce maritime et vous décrire ce que nous représentons.

Notre association industrielle réunit de nombreux secteurs de l'économie qui dépendent d'un système de transport maritime viable, ou qui tout au moins sont touchés par un tel système. Notre organisation a une vocation binationale -- autrement dit, nous comptons des membres américains et canadiens -- et elle regroupe des intérêts très larges. Nous représentons des intérêts commerciaux, notamment les producteurs céréaliers de l'Alberta, les producteurs de potasse de la Saskatchewan, les courtiers en marchandises du Manitoba, l'industrie de l'acier en Ontario, les producteurs de sel, les producteurs de ciment, l'industrie du granulat, le secteur de l'énergie, les ports canadiens et américains, les sociétés de navigation de l'Atlantique, et les bateaux battant pavillon canadien ou étranger. L'élément unificateur de tous ces intérêts, c'est la volonté de disposer d'un réseau de transport maritime qui soit concurrentiel.

La fonction de notre Chambre consiste à promouvoir l'utilisation d'un mode de transport rentable et efficient, à faire valoir les avantages qu'il procure à l'économie canadienne et à s'assurer que l'importance globale de cette façon «écologique» de transporter des marchandises est bien comprise.

La Chambre de commerce maritime appuie l'adoption du projet de loi C-9. Nous félicitons le gouvernement du Canada d'avoir déployé des efforts pour faire des ports canadiens aussi bien que de la voie navigable des Grands Lacs et du Saint-Laurent un réseau plus concurrentiel, plus efficient et plus favorable au commerce. La Chambre et ses membres prennent une part active depuis quatre ans au processus d'examen et de consultation qui a conduit au dépôt de ce projet de loi. De fait, nous croyons à ce point à l'orientation que reflète ce projet de loi et à la nécessité de disposer d'un réseau de transport concurrentiel que notre organisation, de concert avec l'Association des armateurs canadiens, a produit une «vision» de la voie navigable des Grands Lacs et du Saint-Laurent. Nous avons apporté le document avec nous aujourd'hui. Nous vous le laisserons. Ce document fait fond sur les orientations et les initiatives que renferme le projet de loi C-9, mais pousse les choses plus loin.

J'aimerais prendre quelques instants pour signaler aux membres du comité le côté unique et l'importance économique de la voie navigable des Grands Lacs et du Saint-Laurent, aussi bien que ses conséquences pour la politique maritime du Canada. La région abrite le quart de la population de l'Amérique du Nord -- soit plus de 90 millions de personnes. Elle compte pour 40 p. 100 de la fabrication aux États-Unis et pour les deux tiers de la production industrielle au Canada. La région des Grands Lacs peut revendiquer 70 p. 100 de la production américaine d'acier et 67 p. 100 de la production canadienne. Près de la moitié des 500 grandes sociétés primées par la revue Fortune ont leur siège social du côté américain de la région des Grands Lacs. La grande majorité des sièges sociaux des sociétés canadiennes sont situés dans des villes le long de la voie navigable.

Les ports de la voie navigable des Grands Lacs et du Saint-Laurent sont plus près des marchés européens que les ports concurrents d'Amérique du Nord. De plus, ils donnent accès à l'Europe et à d'autres destinations qui nous seraient autrement interdites, si ce n'était d'une voie navigable efficace. La voie navigable des Grands Lacs et du Saint-Laurent se trouve à être au coeur du réseau de transport intermodal du Canada: elle relie les chemins de fer, les routes, les pipelines et les voies navigables. Plus d'une quarantaine de routes provinciales et inter-États, et près de 30 sociétés ferroviaires permettent de relier les ports des Grands Lacs aux grandes villes du Canada et des États-Unis.

Non seulement la voie navigable est une autoroute maritime en quelque sorte, mais en plus, c'est un élément important du tourisme dans l'est et le centre de l'Amérique du Nord, aussi bien qu'un lieu de loisirs pour ses citoyens. Il importe pour nous tous que les utilisateurs commerciaux et autres usagers et participants continuent de coopérer pour maximiser les avantages pour tous.

Selon le comité permanent des transports de la Chambre des communes, la voie navigable apporte une contribution d'environ 3 milliards de dollars annuellement à l'économie, sans oublier 17 000 emplois, et 2 milliards de dollars à l'économie américaine, avec 49 000 emplois.

Le commerce est une question de la première importance pour le gouvernement canadien. L'importance de la voie navigable des Grands Lacs et du Saint-Laurent pour ce qui est de la compétitivité du Canada en fait un élément central de la stratégie commerciale du gouvernement, et fait du partenariat avec le gouvernement un élément clé du secteur du transport maritime. C'est un marché où la concurrence est féroce, et il nous faut concurrencer.

Au fil des ans, l'existence de la voie navigable a conduit un grand nombre de nos industries à faire des investissements à long terme dans des usines et des machines qui dépendent de services concurrentiels de transport maritime.

Les producteurs industriels en question et leurs employés tiennent au plus haut point à avoir accès à un réseau de transport concurrentiel pour leurs produits. Ils investissent quotidiennement pour améliorer le réseau.

Dans un pays commerçant comme le Canada, l'efficience du transport en vrac revêt une importance stratégique du point de vue de l'industrie intérieure comme celui des exportations. Le transport maritime sur la voie navigable des Grands Lacs et du Saint-Laurent procure des avantages notables par rapport à d'autres modes de transport, surtout pour ce qui touche les marchandises en vrac. Le transport maritime est aussi nettement plus sécuritaire que les autres modes de transport. De même, il est nettement meilleur pour l'environnement que les modes de transport concurrentiels. Dans un grand nombre de secteurs industriels, c'est le seul mode de transport viable. C'est un élément fondamental de la prospérité du Canada.

Les transporteurs commerciaux partagent sans peine les voies navigables avec les autres utilisateurs. En fait, cela fait bien des années que nous le faisons. C'est une réalisation remarquable, et nous espérons que cela va continuer dans le nouvel environnement.

Au cours des 40 années qui se sont écoulées depuis la construction de la Voie maritime du Saint-Laurent, le secteur du secteur maritime et l'industrie qu'il dessert ont bénéficié d'importantes innovations. Tout de même, du point de vue de l'industrie, la voie navigable n'a pas encore réalisé son plein potentiel. Il faut améliorer de toute urgence les politiques, les lois et les règlements touchant les Grands Lacs.

Nous sommes en faveur du projet de loi C-9 parce qu'il apporte une première pierre à cet édifice. Nous vous incitons vivement à l'adopter le plus rapidement possible. Nous sommes formels là-dessus: le projet de loi C-9 est pour nous le tremplin qui nous permettra de réaliser notre vision en ce qui concerne la voie navigable. Nous avons dressé un plan à cet égard, et M. Morrison vous en parlera de façon plus détaillée. Nous avons rencontré les représentants du gouvernement pour leur en parler. L'élément critique de notre vision est le suivant: il faut commercialiser la voie navigable, examiner le régime de pilotage et rendre les ports compétitifs.

M. Morrison: Sénateurs, je devrais dire que nous prenons le temps de décrire notre association et nos membres afin de bien faire ressortir l'importance de notre industrie. L'Association des armateurs canadiens représente les propriétaires de navires battant pavillon canadien sur la voie navigable des Grands Lacs et du Saint-Laurent, le long de la côte Est du Canada comme des États-Unis, et dans les eaux de l'Arctique. Notre association se donne notamment pour objectif de créer une industrie maritime tant économique que concurrentielle et de faire de la voie navigable des Grands Lacs et du Saint-Laurent le système de gestion des eaux le plus concurrentiel, le plus techniquement évolué et le plus respectueux de l'environnement dans le monde.

À l'heure actuelle, nous représentons 11 sociétés qui comptent pour plus de 95 p. 100 du tonnage commercial des navires d'immatriculation canadienne. Les membres de l'association contribuent à la prospérité du Canada en fournissant aux industries et aux collectivités du pays les marchandises et les biens dont elles ont besoin. En 1996, par exemple, nous avons transporté 67 millions de tonnes de marchandises, principalement en vrac, mais aussi des marchandises diverses dans des conteneurs. Ce chiffre n'est pas si loin d'égaler celui des chemins de fer et est d'autant plus révélateur que la voie navigable a une portée limitée.

L'Association des armateurs canadiens est d'avis que la commercialisation du réseau portuaire et de la voie maritime représente un pas important dans cette direction. Nous croyons que les mesures proposées par le Parlement du Canada dans le projet de loi C-9 contribueront à la vitalité et à la compétitivité de la voie maritime et des ports du Canada. Nous estimons aussi qu'il importe de pousser l'exercice plus à fond que ne le fait le projet de loi.

Les expéditeurs et transporteurs ont procédé à une étude exhaustive de la voie maritime pour préparer la «vision de la concurrence» -- Competitive Vision -- document que vous venez de recevoir. Nous nous sommes entendus sur les mesures qui doivent être adoptées pour préserver et améliorer la vitalité du système, la plus importante étant de créer un partenariat pour le changement au sein de l'industrie maritime. Les gouvernements et autres intervenants vont gérer une voie maritime qui est non pas un ensemble fragmenté, mais plutôt un système économique et géographique intégré, unique en son genre. Voilà une approche nouvelle qui est favorable au changement et qui définit les besoins de la voie maritime en rapport avec le rôle économique et stratégique qu'elle peut jouer dans l'économie de l'Amérique du Nord.

À nos yeux, pour gérer ainsi un système économique stratégique qui se veut distinct, il faut instaurer le changement à plusieurs égards. Notamment, il nous faut concevoir au Canada aussi bien qu'aux États-Unis des politiques et des lois maritimes qui facilitent le commerce en Amérique du Nord, plutôt que de compliquer et de défavoriser le mouvement des biens, comme c'est parfois le cas aujourd'hui. Le secteur privé doit assumer une plus grande part de la gestion d'un tel système. Il nous faut une industrie plus ouverte et plus concurrentielle, aussi bien qu'un régime réglementaire qui comporte un plus grand nombre de normes et est axé sur les résultats, plutôt que le régime qui nous a été légué.

Nous continuons à faire valoir ce programme d'action auprès des responsables des gouvernements canadiens. Nous nous réjouissons de certaines des initiatives déjà entreprises, et notamment du projet de loi C-9. Les mesures adoptées dans le projet de loi C-9 pour concrétiser la commercialisation de la voie maritime concordent parfaitement avec l'approche stratégique que nous recommandons. C'est une des principales raisons pour lesquelles nous appuyons le projet de loi. Je vous prie de noter que nous avons abordé cette question dans notre document de «vision».

[Français]

J'aimerais discuter d'un autre aspect du projet de loi C-9, celui ayant trait aux modifications de la Loi sur le pilotage. Il s'agit plus particulièrement de l'article 157, lequel requiert une révision du régime de pilotage au Canada et l'émission d'un rapport au Parlement l'année suivant l'entrée en vigueur de la loi. Nous appuyons cette disposition.

[Traduction]

L'Association des armateurs canadiens nourrit depuis longtemps des réserves à propos du pilotage. Le comité des transports de la Chambre des communes en a été mis au fait au moment de la discussion initiale sur le projet de loi précédent. Le pilotage est un exemple patent de la façon dont les règles inhibent notre productivité. Les exploitants de navire ont investi dans de nouveaux systèmes électroniques de navigation d'une précision sans pareille. Étant donné les pratiques en place, il n'est pas possible de mettre à profit cette technologie ni de réaliser les économies que procurerait l'optimisation de la technologie d'application ou de pilotage électronique.

La réforme du processus permettrait d'économiser des sommes considérables sans compromettre la sécurité de quelque manière que ce soit. Le transport sur les voies navigables comportera toujours des coûts, mais il ne fait aucun doute que la modernisation législative et réglementaire des services de pilotage peut déboucher sur des économies importantes.

Nous avons demandé au gouvernement du Canada d'adopter les modifications législatives et réglementaires nécessaires pour permettre l'instauration d'un système d'auto-pilotage qui permettra aux armateurs de commencer à tirer parti des investissements qu'ils ont faits dans la technologie et la formation. L'examen demandé par le ministre, de concert avec les utilisateurs de la voie maritime, est une mesure à la fois judicieuse et nécessaire qui nous rapproche d'un tel système. C'est une autre des raisons importantes pour lesquelles nous appuyons le projet de loi C-9. Nous espérons d'ailleurs pouvoir contribuer dès que possible à un tel examen.

La planification et l'instauration d'un système de pilotage réformé et les questions concernant l'accréditation et la formation, l'autonomie financière et la réduction des coûts représentent autant de dossiers à l'égard desquels nos membres seront heureux de travailler avec les pilotes, le gouvernement et d'autres intervenants pour trouver des solutions efficaces aux problèmes relevés.

Pour ce qui touche les grands ports, une commercialisation accrue nous paraît favorable. Comme l'a fait remarquer le président de la fédération maritime lorsqu'il est venu ici, nous aurions peut-être préféré qu'il y ait une participation plus directe des transporteurs, mais nous pouvons vivre avec l'approche adoptée dans le projet de loi C-9.

Pour récapituler, nous souhaitons que le projet de loi C-9 soit adopté afin d'améliorer la commercialisation de la voie maritime, d'accorder aux utilisateurs une plus grande place dans la gestion des ports et d'examiner le système de pilotage.

[Français]

Cela termine notre présentation. Je remercie madame la présidente, ainsi que les honorables sénateurs. Nous serons heureux de répondre à vos questions.

[Traduction]

La présidente: Le vice-président de la Chambre de commerce maritime, M. Campbell, semblait croire que certaines des dispositions du projet de loi C-44 auraient une incidence sur la compétitivité des ports canadiens au moment de son témoignage devant le comité des transports de la Chambre des communes, en octobre 1996. Croyez-vous que les dispositions du projet de loi C-9 auront une incidence sur la compétitivité des ports canadiens?

M. Smith: M. Campbell faisait alors allusion à la cession de certaines des commissions portuaires, qui était envisagée à l'époque. Cette question a été réglée, et l'approche des autorités portuaires canadiennes ne leur cause aucune difficulté. Ils croient qu'ils seront concurrentiels.

La présidente: Il semble que le message que vous nous livrez cet après-midi soit sans équivoque. Vous dites: oui, adoptez le projet de loi. Que risque-t-on en retardant encore l'adoption du projet de loi? Est-ce qu'il pourrait y avoir des difficultés réelles si nous essayons patiemment de parfaire le projet de loi?

M. Smith: Je crois que vous devriez prendre le temps de bien le faire. M. Morrison a peut-être aussi un mot à dire là-dessus. Nous travaillons à ce dossier depuis quatre ans. Nous souhaitons réellement améliorer la compétitivité des transports.

Nombre des autres modes de transport, des modes avec lesquels nous travaillons, ont déjà été déréglementés et modifiés, si bien que nous avons bien hâte que les choses se fassent. Nous faisons face à des politiques gouvernementales qui accroissent nos coûts, mais nous n'avons pas encore pu tirer profit de mesures qui baisseraient peut-être nos coûts. Je parle des frais de la garde côtière et d'autres initiatives. Nous aimerions procéder à la mise en place d'un environnement entièrement concurrentiel. Évidemment, il faut du temps pour cela, mais nous avons hâte de mettre les choses en branle. Comme nous le disons dans notre document de vision, le projet de loi est une première étape d'un cheminement qui permettra de réaliser certains de ces objectifs. Si l'adoption du projet de loi est retardée, nous serons retardés, nous aussi, dans notre travail.

M. Morrison: En tant qu'armateurs, nous voulons insister sur ce qu'a dit M. Smith. Depuis deux ou trois ans, nous avons dû composer avec quatre ou cinq nouveaux projets de recouvrement des coûts de la part du gouvernement. Nous n'avons pas encore pu réaliser de gains en efficience qui nous permettraient de réduire les coûts du transport sur la voie navigable des Grands Lacs et du Saint-Laurent. À notre avis, il faut vraiment s'appliquer dès maintenant à le faire.

Encore une fois, ce projet de loi a fait l'objet de discussions, et un grand nombre de personnes et de groupes au Canada ont été consultés à son sujet. Nous savons qu'il n'est pas parfait. Nous avons même fait allusion, dans notre mémoire, à certaines des choses que nous aurions aimé voir dans le projet de loi. Nous n'avons pu les obtenir. Par contre, pour ce qui est de la commercialisation globale du réseau de transport maritime, nous estimons qu'il s'agit là d'un bon pas fait dans la bonne direction et sommes prêts à appuyer le projet de loi pour cette raison.

La présidente: Jugez-vous satisfaisantes les dispositions actuelles du projet de loi C-9 en ce qui concerne la composition des conseils?

M. Smith: Il y a les conseils pour la voie maritime et il y a les conseils pour les ports. Parlez-vous des ports?

La présidente: Oui.

M. Smith: Pour rester simple, disons que nous pouvons vivre avec les dispositions qui s'y trouvent. Elles nous paraissent viables.

Au moment de témoigner devant le comité des transports de l'autre endroit, nous avons fait valoir qu'il conviendrait d'assurer une représentation directe des utilisateurs aux conseils portuaires. Le fait que le ministre nomme des représentants des utilisateurs, plutôt que de simples utilisateurs nous inquiétait -- et le fait qu'il ne nomme peut-être pas des représentants des ports qui conviendraient aux utilisateurs nous inquiétait aussi. Tout de même, l'intention du législateur nous paraît honorable. Globalement, nos membres semblent satisfaits du projet de loi; nous croyons qu'il est viable.

M. Morrison: L'Association des armateurs canadiens aurait préféré une représentation directe des transporteurs, mais, encore une fois, dans l'intérêt général du projet de loi, nous acceptons cela. Nous allons surveiller de près l'application des mesures prévues dans le projet de loi et nous assurer de bien suivre le processus de sélection et de nomination, pour obtenir la représentation qu'il nous faut. Nous croyons qu'il est possible d'y arriver avec le présent projet de loi.

Le sénateur Forrestall: J'aimerais revenir à certaines des observations formulées par les représentants des TCA. Accepteriez-vous de conserver les dispositions législatives ou réglementaires habilitantes qui permettraient le transfert, comme ils le proposent, d'environ 170 millions de dollars à la nouvelle organisation pour ce qui touche la pension, jusqu'à ce que les discussions binationales soient menées à terme? Pouvez-vous, l'un ou l'autre, répondre à cette question?

M. Smith: Je peux répondre à votre question en soulevant d'autres questions encore. Tout de même, d'abord, disons que je ne suis pas au courant des détails de discussions particulières qui ont lieu, de ce que le groupe de négociateurs négocie ou ne négocie pas avec le gouvernement. Je ne connais pas les détails de cet arrangement. Je ne suis pas au courant de leur point de vue sur le régime de pensions.

De façon générale, je dirais qu'ils essaient de prendre cela en main pour en faire une chose plus économique et plus efficiente, alors pourquoi les gêner dans leur travail?

Il a été question ici d'une grève où les travailleurs lutteraient pour leurs droits et de l'éventualité que cela rende le système efficace. Les groupes d'utilisateurs négocieront bien des choses distinctes avec les syndicats pour ce qui touche le fonctionnement du système. Ils ne veulent pas que le système arrête de fonctionner, pas plus que les travailleurs. On a beaucoup parlé, entre autres, de la possibilité que les utilisateurs dirigent le système pour eux-mêmes et compromettent la sécurité. Tout de même, ces utilisateurs ont investi énormément dans les navires qui se trouvent sur la voie maritime; ils ne peuvent certainement pas se permettre que soit retardé le transport du charbon et du minerai de fer utilisés pour produire de l'acier, ou encore du grain destiné au marché, par un service interrompu. Ils n'aspirent pas à presser le citron au point où la sécurité ou le rendement en serait compromis.

Quant à l'entente binationale, nous sommes tout à fait d'accord avec l'idée d'une exploitation binationale de la voie maritime. Nous croyons même que cela devrait être appliqué à autre chose que les seules écluses. Toutefois, c'est une discussion qui dure depuis longtemps déjà et qui, à mon avis, va durer longtemps encore. Nous ne croyons pas qu'il faudrait attendre. Cela pourrait arriver dans cinq ans ou même plus, et le fait de tout mettre de côté en attendant qu'il y ait entente là-dessus laisserait filer un grand nombre d'occasions de rendre le système canadien, qui, de fait, comporte la majorité des écluses et des opérations, le plus efficient possible.

Nous sommes tout à fait en faveur du projet binational que nous appuierons dès que les discussions deviendront sérieuses, mais ce n'est pas demain la veille. Il y a encore beaucoup de questions difficiles à régler avant que cela ne se fasse.

Le sénateur Forrestall: La voie maritime existe depuis longtemps. Le fonds de pension s'accroît, il est stable, il est réglé. Cela met à l'aise les travailleurs de la voie maritime, et c'est très avantageux pour les utilisateurs de la voie maritime.

Ma question n'a rien à voir avec cela. Je vous demanderai plutôt si vous vous opposez d'une manière ou d'une autre à l'exclusion des articles du projet de loi qui traitent du transfert de la pension ou au règlement du programme de pensions, jusqu'à ce que ces autres questions soient débattues. J'ai toujours eu l'impression que nous ne pouvions faire ce que nous sommes en train de faire aujourd'hui parce que c'est tout un bond, par rapport aux premiers protocoles et accords qui ont permis d'établir la voie maritime durant les années 1950. Je ne peux m'imaginer le faire, laisser en place l'actuelle entente sur la pension de la fonction publique jusqu'à ce qu'il y ait un transfert, sans qu'il y ait de crainte de la part des utilisateurs ou des bénéficiaires du régime de pensions.

M. Morrison: Nous serions tous les deux heureux de répondre à cette question, j'en suis sûr. J'hésiterais moi-même à le faire avant d'avoir vu les documents du gouvernement, ses projets. Comme l'a fait remarquer M. Smith, nous n'avons pas été mis au fait de toutes les négociations qui ont eu lieu entre les utilisateurs et le gouvernement. Je dirais que les rapports entre l'industrie et les syndicats qui représentent les travailleurs de l'Association des armateurs canadiens sont très bons. Loin de moi l'idée de faire des observations qui pourraient les modifier d'une manière ou d'une autre. Nous ne pourrions pas vraiment répondre sans examiner la question dans son intégralité.

Le sénateur Bryden: Essentiellement, le Ministère qualifie la Voie maritime du Saint-Laurent de route maritime. Il l'apparente à la route transcanadienne, la décrit comme étant un élément vital du réseau de transport par eau du Canada.

Tout de même, certaines personnes se préoccupent de la viabilité future de la Voie maritime du Saint-Laurent. Vous savez peut-être que, il n'y a pas longtemps, le Globe and Mail a repris un article paru dans le Wall Street Journal. L'article disait entre autres:

La Voie maritime du Saint-Laurent, longtemps qualifiée de merveille technique, est devenue une étonnante déception.

Ouverte il y a près de 40 ans, la voie maritime a ouvert les horizons du transport maritime au coeur de l'Amérique du Nord en permettant aux bateaux de circuler de l'Atlantique jusqu'au Grands Lacs. Deux fois plus longue que le canal de Panama, la voie maritime a connu des années de prospérité. Par contre, depuis 20 ans, le trafic y a diminué de 45 p. 100.

Êtes-vous d'accord avec cette vision des choses ou non?

M. Morand: Nous n'avons rien à redire aux chiffres qui sont avancés. L'article semble dire que, si la voie maritime ne connaît pas des jours heureux, elle est responsable de la situation. Peut-être que les chiffres ont évolué au fil des ans parce que les marchés ont évolué. Cela ne veut pas dire que certains des marchés en question ne reviendront pas. Cela ne veut pas dire que si nous nous prenons en main au Canada, nous ne pourrons commencer à nouveau à concurrencer le Mississippi et les routes ferroviaires du Sud des États-Unis.

Pour revenir à l'article, je trouvais cela intéressant que M. Smith et moi-même ayons été interviewés par le Globe and Mail à peine quelques jours auparavant. Nous avions espéré laisser aux journalistes une impression moins pessimiste que celle qu'ils ont reprise du Wall Street Journal.

Le sénateur Bryden: L'article poursuit:

Selon les responsables de la voie maritime, il faudrait environ de 4 à 5 milliards de dollars US pour adapter la voie maritime à la nouvelle génération de cargos qui parcourent maintenant les océans. Les pessimistes feront toutefois remarquer que ni les États-Unis ni le Canada ne semblent très enclins à avancer l'argent nécessaire pour élargir les écluses et les canaux de la voie maritime.

Qu'en pensez-vous?

M. Morand: Pour l'heure, c'est probablement exact. Une des raisons pour lesquelles nous voudrions que le projet de loi C-9 soit adopté, c'est que nous voulons avoir l'occasion de mettre dans le meilleur état possible cette voie maritime. Avant que quiconque commence à prévoir de nouvelles dépenses d'immobilisations, nous voudrions que la voie soit dans le meilleur état possible pour le transport du charbon, du grain, du minerai de fer et des granulats. Nous voulons voir ce qu'un système efficient nous permet de faire.

Nous avons entendu dire aujourd'hui que le système n'est pas si déficient. Nous sommes d'accord, mais nous croyons qu'il y a encore là cet obstacle commercial qui empêche de fonctionner davantage à la manière du secteur privé. Nous croyons que cela serait utile.

Le sénateur Bryden: Parlez-vous de la capacité d'y faire passer des navires plus gros?

M. Morand: Non.

Le sénateur Bryden: D'où proviendraient les 4 ou 5 milliards de dollars US?

M. Smith: Nous ne le savons pas.

Le sénateur Bryden: Ce qui m'inquiète avant tout, c'est que, avec le projet de loi C-9, les ports, les administrations portuaires, les petits ports commerciaux aussi bien que les grands ports ne peuvent recourir au Trésor canadien. La seule exception dans le projet de loi, c'est la voie maritime, qui y est autorisée. Avec des chiffres pareils, c'est énorme.

M. Smith: Encore une fois, nous ne connaissons pas les éléments précis qui font l'objet des négociations entre le groupe d'utilisateurs et le gouvernement, mais je ne crois pas qu'ils négocieraient ou pourraient avoir le droit d'exiger un investissement en capital de 5 milliards de dollars -- sans que cela soit remis en question ou débattu dans d'autres tribunes. Ils discutent d'une entente commerciale sur le fonctionnement de la voie maritime, pour que celle-ci parvienne à une autonomie au chapitre de l'exploitation quotidienne. La raison pour laquelle le gouvernement souhaite modifier la façon de faire, en reconnaissant que la voie maritime dessert une population très nombreuse et des assises industrielles énormes, c'est qu'elle n'était pas autonome, jusqu'à il y a deux ans, même en ce qui concerne l'exploitation quotidienne. Aujourd'hui, elle l'est. Certaines des améliorations dont ont parlé les témoins précédents ont mis la voie maritime sur le chemin de l'autonomie à ce chapitre. L'entente dont discute le gouvernement et les utilisateurs vise à instaurer à cet égard un régime meilleur et plus viable. Il n'est pas prévu que l'État assume les risques liés au fonctionnement de la voie maritime.

Le sénateur Bryden: Il est dit catégoriquement et sans équivoque, par rapport à tout autre élément de notre réseau national de transport par voie navigable, qu'une fois la cession faite et la voie privatisée ou confiée à un organisme sans but lucratif, le gouvernement ne pourra ni ne voudra garantir des prêts. Il n'appuiera pas l'émission d'obligations; il ne fournira certainement pas d'autres fonds. La question qui me préoccupe -- je l'ai soulevée auprès du ministre et je la soulève maintenant auprès de vous, qui êtes des porte-parole de l'industrie -- c'est celle de l'équité. Dans la partie du projet de loi qui porte sur la voie maritime, c'est tout à fait l'inverse qui y est dit -- c'est-à-dire que le gouvernement du Canada comblera les manques à gagner pour l'entretien des immobilisations et ainsi de suite. Cela comprend des garanties en fonds et en subventions. Le terme «subventions» est utilisé. Celles-ci viendraient du Trésor.

Certains d'entre nous -- c'est mon cas en particulier: je suis originaire de la région de l'Atlantique -- se demandent vraiment si cela est équitable. Les ports de la région de l'Atlantique et les ports sur la côte ouest font partie du réseau national de transport maritime. On peut faire valoir que plus le gouvernement fédéral injecte des fonds dans la Voie maritime du Saint-Laurent, plus il défavorise les ports comme ceux de Halifax et de Saint John, et ainsi de suite.

Croyez-vous que la voie maritime ou les ports qui se trouvent le long de la voie maritime sont en concurrence avec celui de Halifax, par exemple, ou celui de Saint John?

M. Smith: Premièrement, je veux préciser que les dispositions législatives touchant la voie maritime portent sur les écluses. Elles n'ont rien à voir avec les ports qui font partie du réseau de la voie maritime, qui se trouvent le long du fleuve Saint-Laurent ou qui se trouvent dans la région de l'Atlantique ou dans l'ouest du Canada. Il y a une partie du projet de loi qui traite des ports, mais la partie sur la voie maritime concerne strictement les écluses et le fonctionnement de la voie.

Deuxièmement, le gouvernement a visiblement étudié la situation de tous les ports et traité de ce qui pourrait les rendre plus efficaces. Pour être le plus efficace, il faut une participation directe des utilisateurs au fonctionnement des ports, par l'entremise de représentants siégeant au conseil et d'intérêts locaux dont les économies seraient touchées par les activités portuaires.

La voie maritime accommode de nombreux utilisateurs et les moyens de transport qu'ils utilisent. Ces activités ont une incidence sur deux pays. Elles ont une incidence sur quatre ou cinq provinces. Elles ont une incidence sur huit ou dix États aux États-Unis. Il ne conviendrait pas de faire complètement fi de ces autres intérêts.

Toutefois, cela étant dit, le gouvernement me semble avoir tout à fait l'intention de rendre la voie maritime plus autonome et non pas plus dépendante avec ce projet de loi.

M. Morrison: Pour ce qui est de la question de l'équité, le moment est peut-être mal choisi, car la plupart des grands ports sont commercialement indépendants aujourd'hui. Toutefois, si on jette un coup d'oeil sur le passé immédiat, on voit qu'il y a eu des cas où le ratio d'endettement a évolué. Par contre, je crois que cela place les ports en question dans une position concurrentielle.

Je soupçonne, pour les raisons que M. Smith a exposées, que le gouvernement tient à ce qu'une voie navigable ou une route demeure concurrentielle pour les clients canadiens qui s'en servent, qu'il s'agisse de transporter du grain de l'Alberta, du grain de la Saskatchewan, du minerai de fer du Québec ou du charbon des États-Unis à destination d'Ontario Hydro. À tout prendre, il suffit de faire un peu d'histoire pour constater que ce n'est pas si injuste.

Le sénateur Bryden: Le ministère a affirmé -- et vous avez réitéré la position -- que le gouvernement du Canada veut s'occuper avant tout des écluses, de l'infrastructure et d'autres éléments de ce genre. Tout de même, les gouvernements ont beaucoup changé d'orientation depuis dix ans. Par exemple, pour ce qui touche l'utilisation des brise-glace, ce sont ceux qui en profitent qui en assument les frais.

Pourquoi le même principe ne s'appliquerait-il pas aux utilisateurs de la voie maritime?

M. Smith: Ils en assument déjà les frais, justement. Ils les assument tous les jours. Ils versent 70 millions de dollars par année pour utiliser les installations de la voie maritime.

Le sénateur Bryden: Si tel est le cas, il ne devrait pas être nécessaire de s'adresser au Trésor pour financer la voie maritime.

M. Smith: Premièrement, je ne sais pas dans quelle mesure ils s'adressent au Trésor. Le gouvernement et les utilisateurs négocient ou ont négocié des arrangements pour que les utilisateurs prennent en charge le fonctionnement quotidien de la voie maritime. La voie maritime dessert de nombreuses régions dans les deux pays. Les volumes qui y sont transigés globalement dépendent énormément de la fluctuation des échanges commerciaux dans le monde. Les chargements de grain varient en fonction de ce qui se passe ailleurs dans le monde, tout comme les expéditions de minerai de fer. Chaque année, on s'inquiète du fait qu'une perturbation importante du trafic durant une année donnée, si la voie maritime doit être complètement autonome, obligerait la société responsable à augmenter les frais, ce qui, dans les faits, éloignerait encore plus les clients, plutôt que de résoudre le problème. Il convient de reconnaître la nécessité d'étaler les choses et de prévoir un processus qui a une certaine continuité. À mon avis, c'est le genre de discussion qui devrait avoir lieu. Le gouvernement, ayant été responsable du coût total du fonctionnement de la voie maritime en tout temps, est en train de conclure des ententes selon lesquelles la voie maritime serait financièrement autonome dans des limites raisonnablement prévisibles et obligée d'atteindre des objectifs de rendement et ainsi de suite, ce qui n'est pas prévu dans l'entente existante.

Le sénateur Bryden: Nous pourrions tenir un débat intéressant pour savoir si une bonne part de ce que vous venez de dire s'applique à un grand port commercial, si les fluctuations du commerce mondial ont une incidence et ainsi de suite.

Croyez-vous que les utilisateurs de la voie maritime peuvent avoir une place à l'administration de la voie maritime? Je pose cette question et je vais mettre les choses en perspective, car il me paraît évident que les utilisateurs des ports ne peuvent avoir une place à l'administration portuaire. Si j'ai raison, pourquoi la différence?

M. Smith: Ils prennent en charge la responsabilité du fonctionnement quotidien de la voie maritime. Les utilisateurs des ports n'ont pas pris en charge la responsabilité du fonctionnement quotidien de ports. Voilà la différence.

M. Morrison: La question situe aussi les utilisateurs dans deux contextes distincts. Les utilisateurs, en fait, seront les gestionnaires. Le groupe de gestion du port est déjà en place. Leurs conseils compteront des gens nommés par l'industrie et, de fait, dans la voie maritime -- si vous pouviez nous préciser la source de ces données.

Le sénateur Bryden: Je vais vous faire la lecture des propos du sous-ministre adjoint, M. Ranger.

La société sans but lucratif qui gérera la voie maritime comptera au sein de son conseil certaines personnes qui ont un intérêt bien légitime dans la viabilité des ports. Nous parlons des gros utilisateurs. Nous parlons des gros armateurs et des gros expéditeurs comme Stelco et Dofasco, des grands transporteurs comme la FedNav et Upper Lakes. Il est vraiment dans l'intérêt de ces gens que les ports soient viables.

Si je comprends bien, les gens qui utilisent la voie maritime, par exemple le président de Stelco, pourraient avoir une place à l'administration de la voie maritime. Est-ce bien cela?

M. Smith: De fait, je ne sais pas si l'entente entre les groupes d'utilisateurs et le gouvernement restreint cela ou non, pour l'instant.

Le sénateur Bryden: Le projet de loi ne le fait certainement pas.

M. Smith: Le projet de loi ne le fait pas. La distinction que M. Morrison a fait à propos des ports, c'est que les utilisateurs ne sont pas responsables. Ils n'exploitent pas le port. Dans le cas de la voie maritime, ils essaient de négocier la responsabilité quotidienne du fonctionnement. S'ils assument la responsabilité, ils doivent être représentés au conseil. Voilà ce que je dirais, si j'étais eux.

Permettez-moi de souligner simplement que le conseil de la voie maritime comptera neuf membres, dont cinq seront des représentants des utilisateurs, trois, des représentants gouvernementaux et un président nommé par les autres membres du conseil. Chacun des utilisateurs représentera un grand nombre d'utilisateurs et non pas un seul.

Le témoin précédent a parlé de quatre ou cinq, ou neuf gros utilisateurs qui représentent tout le monde. Si je comprends bien, il y aurait au conseil un représentant des transporteurs canadiens. Or, il y a plus d'un transporteur canadien.

Monsieur Morrison, combien y en a-t-il?

M. Morrison: Onze.

M. Smith: Il y aurait un membre du conseil représentant ces onze transporteurs. De même, il y aurait un membre du conseil représentant les transporteurs battant pavillon étranger. Il y aurait un membre du conseil représentant le secteur du grain. Il y aurait un membre du conseil représentant le secteur de l'acier et du minerai de fer. Il y aurait un membre du conseil représentant d'autres petits transporteurs. De fait, les cinq membres en question représenteraient essentiellement tous les utilisateurs du système. En outre, il y aurait trois personnes nommées par le gouvernement et un président.

Le sénateur Adams: Je veux parler des marchandises et de NAVCAN, qui a été privatisée il y a deux ou trois ans par Transports Canada. Depuis que NAVCAN est en place, je crois que le tarif du service marchandises et passagers a augmenté d'environ 30 p. 100 pour ceux qui habitent dans la région de l'Arctique. Pouvez-vous -- vous, les expéditeurs et armateurs -- garantir qu'à l'avenir, vos tarifs n'augmenteront pas si le projet de loi C-9 est adopté?

M. Morrison: Nous ne pouvons évidemment pas garantir que nos tarifs, en fait les tarifs des expéditeurs, n'augmenteront pas. Ce que nous pouvons garantir, c'est que les transporteurs feront tout leur possible pour s'assurer que les tarifs sur la voie maritime n'augmentent pas de façon excessive. Le réseau est si fragile en ce moment, du point de vue de la concurrence avec nos deux chemins de fer, les chemins de fer américains et le Mississippi, qu'il ne peut se permettre une escalade des coûts. Il y aura de nouveaux frais. Le marché s'en chargera.

Le sénateur Adams: Demandez-vous des droits de dock aux navires qui attendent de charger? Comment cela fonctionne-t-il? Cela me préoccupe parce que si on veut faire transporter quelque chose vers le grand Nord, les armateurs disent qu'il y a 30 jours avant que le navire ne quitte le port. Appliquez-vous des droits aux navires qui attendent aux docks?

M. Morrison: Il y a des frais pour l'utilisation du dock, oui.

Le sénateur Adams: S'il y a quelqu'un qui attend au dock pendant 30 jours, on veut se faire payer pour les 30 jours en question. Comment cela fonctionne-t-il?

M. Smith: Nos bateaux versent des droits de fret, ils versent des droits de dock, des droits de quai, des droits de port, chaque fois. Est-ce que vous demandez ce qui se passe s'ils laissent une cargaison sur le quai?

Le sénateur Adams: Non. Supposons que vous êtes propriétaire d'un navire et que vous expédiez des marchandises vers l'Arctique, et que votre fret est là pendant 30 jours. Assumez-vous des droits pour les 30 jours en question ou seulement pour le chargement de la cargaison à bord de votre navire?

M. Morrison: Il y aurait certains droits pour le navire accosté au dock. Il y aurait un droit de mouillage ou des frais portuaires, ou des frais quelconques pour l'utilisation du dock. Il faudrait regarder les cas précis dont il peut être question pour savoir ce qui s'applique précisément.

Le sénateur Adams: Il semble que le propriétaire peut demander tant par jour, et je me demande ce qui adviendrait si le dock était privatisé. On verse des frais de mise à terre au dock, mais ce ne sont pas des droits journaliers. Si je veux faire expédier quelque chose dans 30 jours et que le navire attend d'être chargé, je veux savoir combien va me demander le propriétaire du dock. Combien vous demande-t-il pour le tonnage?

M. Smith: Je ne sais pas. C'est le droit exigé aujourd'hui, cela varie selon le port où accoste le navire. Cela dépendrait du coût imposé par la commission portuaire ou l'organisation dont il est question. Je n'ai pas la moindre idée de ce que les frais individuels représenteraient.

Le sénateur Milne: Monsieur Morrison, vous avez parlé des économies que procurerait peut-être l'optimisation de la technologie de pilotage électronique. Je présume que vous faites encore allusion aux «feux verts».

M. Morrison: Oui, en partie.

Le sénateur Milne: Quels seraient les effets de l'optimisation de la technologie sur l'emploi? Je pense aux représentants des TCA. Croyez-vous que cela va réduire le nombre d'employés dont il faut disposer sur la voie maritime? Comme j'habite près de Toronto, je m'intéresse particulièrement à la voie maritime.

M. Morrison: Je ne peux répondre à cette question, puisque nous n'avons pas étudié ce qui arriverait aux employés de la voie maritime. Nous étions à étudier des façons de mieux contrôler les bâtiments à l'aide de la technologie moderne, de la technologie des satellites pour savoir où se trouvent les bateaux à tout instant, pour faire un usage plus efficient des écluses et des quais, et pour éviter les files d'attente. Je ne dirai pas forcément que cela aura pour effet d'accroître les responsabilités des employés de la voie maritime, mais nous en tirons certainement un usage plus efficient des quais, et peut-être qu'un nombre plus grand de bâtiments pourra passer.

Le sénateur Milne: Vous utilisez le temps et les employés avec une plus grande efficience.

M. Morrison: Oui.

Le sénateur Milne: Les TCA ont laissé entendre qu'il pourrait y avoir une grève si cela passait et que la grève aurait un impact énorme sur vos activités. Elle aurait peut-être aussi un impact sur Halifax. Cela serait peut-être avantageux pour le sénateur Forrestall qu'il y ait une grève sur la voie maritime, car un plus grand nombre de navires utiliseraient alors le port de Halifax. Je crois aussi savoir, toutefois, qu'un grand nombre des équipages des bateaux qui circulent sur la voie maritime sont affiliés aux TCA. Quel genre d'impact aurait la possibilité d'une grève, selon vous?

M. Morrison: J'aime autant ne rien dire là-dessus. Comme je l'ai déjà fait remarquer, nos rapports avec les marins et les autres personnes qui travaillent à bord des bateaux sont excellents. Aujourd'hui, c'est la première fois que j'entends dire avec une vigueur quelconque qu'il pourrait y avoir une grève à ce propos. M. Smith ne connaît pas le contexte de cette affaire. Moi non plus. J'ai quand même trouvé que le mot était fort. Ce serait comme si quelqu'un d'autre qui travaille sur la voie maritime disait qu'il va fermer la voie maritime parce qu'il ne peut obtenir ce qu'il veut. Je préfère tout simplement ne pas répondre à la question.

Le sénateur Forrestall: L'équipage des navires, soit dit en passant, est constitué de marins marchands canadiens.

M. Morrison: Il y a deux autres syndicats en cause.

Le sénateur Forrestall: Je n'étais pas conscient que des membres des TCA travaillent à bord des navires.

Le sénateur Milne: C'est un renseignement exact que j'ai eu de quelqu'un qui devrait le savoir -- certains équipages font partie du même syndicat que les TCA.

M. Morrison: Les TCA représentent les employés de l'une de nos plus importantes entreprises, Timber Lakes.

Le sénateur Johnstone: Il pourrait y avoir un avantage si le volume du trafic sur la voie maritime pouvait augmenter. Les installations, les quais, l'infrastructure actuellement en place permettraient-ils d'accueillir des navires de plus grande taille?

M. Morrison: Pas plus que les plus gros qui s'y trouvent déjà.

Le sénateur Johnstone: De façon générale, est-ce que les navires deviennent plus gros, ou encore leur taille demeure-t-elle à peu près la même?

M. Morrison: Il est indéniable que la taille des navires océaniques qui transportent des conteneurs et des cargaisons liquides augmente.

Le sénateur Johnstone: Est-ce que cela est susceptible d'avoir un effet défavorable sur la voie maritime?

M. Morrison: La taille des navires étrangers qui peuvent emprunter la voie maritime est certainement un facteur.

Le sénateur Whelan: J'habite tout juste sur les berges de la rivière Détroit, la voie navigable la plus achalandée au monde. C'est là que le tonnage est le plus important et les bateaux de plaisance les plus nombreux.

Un autre comité a passé deux semaines dans l'Ouest du Canada à entendre des témoignages à propos de la Commission canadienne du blé. Nous avons entendu plus de 100 personnes et 38 organisations. Elles ont cité le rapport financier du CN et leur plus grande source de revenu. L'augmentation la plus élevée des taux après la disparition du tarif du Pas du Nid-de-Corbeau touchait non pas la potasse ou le charbon, mais plutôt le grain. Je crains que ce nouveau système pourrait être non réglementé et injuste.

M. Morrison: Nous avons récemment accompli beaucoup de travail sur la même question pour comparaître devant monsieur le juge Estey au sujet de la question du transport du grain. Nous recherchons une concurrence accrue, et non pas l'inverse, une véritable concurrence accrue. Normalement, lorsque cela survient, les prix baissent -- ils n'augmentent pas -- ou, tout au moins, ils demeurent stables.

Si nous augmentions le prix que nous demandons pour le transport du grain, nous n'aurions même pas le grain que nous allons avoir cette année, ce qui n'est pas grand chose. Nous n'influerions pas sur le marché de cette façon. Nous voulons transporter plus de grain et non pas moins. Si nous majorons nos tarifs, nous ne pourrons pas concurrencer.

Sénateur Whelan: Ça m'apparaît être des bonnes nouvelles. À la page 7 de votre mémoire, vous parlez d'Action 7, un environnement commercial équitable. Vous dites que le gouvernement du Canada, dans ses discussions avec les États-Unis, a abordé la question des subventions actuellement versées pour le transport sur la rivière Mississippi aussi bien que la menace à la concurrence pour les usagers de la voie maritime des Grands Lacs et du Saint-Laurent.

Cela est constamment porté à notre attention. L'U.S. Corps of Engineers a dépensé des millions de dollars non seulement sur le Mississippi, mais aussi sur ses affluents, l'Ohio, le Missouri et d'autres encore. De même, une bonne partie du grain des États-Unis est transporté sur le fleuve Columbia. Une quantité énorme de grain est expédiée par barges vers les ports de la côte Ouest. Les États-Unis disposent d'un avantage énorme.

Je me soucie des effets de l'ALENA quand je songe aux grandes difficultés que nous éprouvons depuis la disparition du tarif du Nid-de-Corbeau. Puis, nous constatons que les céréaliers américains obtiennent une subvention de 67 $ la tonne à laquelle le cultivateur canadien n'a plus droit. Ils reçoivent cette subvention énorme, même si 50 p. 100 de leur grain transitent par voie d'eau. C'est une subvention horrible. Avez-vous déjà calculé le coût réel de la subvention du transport sur la rivière Mississippi et d'autres fleuves et rivières?

M. Morrison: Nous n'avons pas fait le calcul exact, mais nous avons déjà entendu dire que cela tournait autour de 50 cents la tonne. Je ne sais pas si cela peut servir à des fins économiques, mais c'est un chiffre important. Ils n'en transportent pas autant qu'ils le pourraient sur le Mississippi, s'ils disposaient de barges et de vaisseaux. Ils déchargent leurs récoltes à peu près au même moment que nous. Sinon, il y aurait peut-être encore plus de grain qui serait transporté par là.

Le sénateur Whelan: Je suis conscient de l'importance de la voie navigable du Saint-Laurent et des nombreux effets favorables qu'elle procure, mais nous y avons aussi importé pour ainsi dire de mauvaises choses. Il y a les moules zébrées et une autre espèce de poisson étrangère qui mange tous les oeufs de la perche dans la région du lac Érié. En avez-vous déjà mesuré le coût?

M. Morrison: Je représente les armateurs canadiens. Je laisserai à quelqu'un d'autre le soin de répondre à cette question.

La présidente: Merci. Notre prochain témoin est prêt.

M. John Whalley, directeur chargé du développement économique, Municipalité régionale du Cap-Breton: Honorables sénateurs, je tiens à ce qu'il n'y ait pas d'erreur sur ma personne. Je ne prétends pas être spécialiste du projet de loi que nous avons devant les yeux, mais il demeure qu'il a des conséquences pour notre développement économique.

À l'époque où je fréquentais l'Université Dalhousie, à Halifax, un professeur de sciences politiques, James Ayers, a écrit un ouvrage important intitulé: Views from a Fireproof House -- «Une maison à l'épreuve du feu» -- où il traitait de la politique étrangère du Canada entre les deux grandes guerres. Mon exposé à moi devrait probablement s'intituler: «Une maison consommée par le feu» ou, pour rester dans le contexte des voies d'eau, «Une maison submergée».

Notre région compte quelque 117 000 personnes installées à l'extrémité est de la Nouvelle-Écosse. Depuis 15 ans, la population de la région a diminué de quelque 7 p. 100 environ. Depuis cinq ans, toutes les collectivités de la région ont subi un déclin à cet égard. Le produit intérieur brut de la région s'élève à 1,7 milliard de dollars environ, chiffre qui est demeuré essentiellement le même au cours des 10 dernières années, en dépit du déclin démographique. Durant les trois dernières années, le taux annuel de chômage dans la région a dépassé le cap des 20 p. 100. Selon la plus récente estimation mensuelle, le taux de chômage dans la région pour mars 1998 s'est élevé à plus de 18 p. 100.

L'histoire de l'île est essentiellement une histoire maritime. La région est l'une des premières à avoir été peuplées au Canada. Le milieu marin permet à un grand nombre de nos habitants de travailler, en occupant un emploi direct dans l'industrie de la pêche. Nombre de gens importent et exportent des biens et des services par voie d'eau. Comme nous disposons de nombreux ports et des lacs de la région du Bras d'Or, nos loisirs sont souvent des activités maritimes.

Il n'y a pas très longtemps encore, la plupart des gens dans la région auraient tenu pour acquis qu'un grand nombre de nos «biens maritimes» appartenaient à tous. Cette propriété collective nous paraît essentielle -- pour que tous puissent se prévaloir, sans exclusion, du bien commun. De même, cela nous paraissait essentiel puisque les biens maritimes du gouvernement fédéral dans notre région, y compris les quais ouverts à tous et le parc industriel Sydport, étaient considérés comme des éléments fondamentaux de notre croissance et notre développement économiques pour l'avenir.

En 1995, la fusion de huit municipalités a abouti à la création de la municipalité régionale du Cap-Breton. La raison de la fusion consistait à réduire les pratiques non efficientes et le dédoublement des services qu'entraînait le fonctionnement de huit petites municipalités. De fait, durant les discussions à cet égard, il a été dit qu'une seule Municipalité intégrée permettrait de promouvoir une planification plus efficace du développement économique.

Pareillement, la Loi maritime du Canada vise essentiellement à améliorer l'efficience et l'efficacité des opérations maritimes du Canada. Nous nous soucions toutefois de ce que le projet de loi, de concert avec d'autres modifications récentes touchant la politique des transports et la politique de développement économique du Canada, mine la compétitivité de régions comme la mienne.

Pour l'essentiel, il existe quatre modes de transport des biens et des êtres humains: le chemin de fer, le couloir aérien, la route et la voie d'eau. Pour mettre en perspective la Loi maritime du Canada, je vais traiter un peu de l'évolution de ces modes de transport.

Récemment, la Commission des transports des provinces de l'Atlantique a étudié les tarifs des compagnies aériennes. Le prix du billet d'avion pour le trajet qui va de Halifax, capitale de la province, à Sydney a augmenté de 49 p. 100 environ de 1995 à 1997. À l'heure actuelle, le trajet de Sydney à la capitale provinciale coûte plus de 600 $ au voyageur, tarif qui me paraît prohibitif pour la plupart des gens de la région; c'est donc un tarif qui, j'ose avancer, fait obstacle à la croissance de l'économie.

Les chemins de fer ont une longue histoire au Cap-Breton et en Nouvelle-Écosse, mais il n'y a actuellement pas de service voyageurs à l'est de Truro, en Nouvelle-Écosse, et il n'y a certainement pas de service voyageurs jusqu'au Cap-Breton. Le service marchandises du Cap-Breton and Central Nova Scotia Railway s'est révélé un succès et a produit, d'après ce que j'en sais, un léger bénéfice. Toutefois, le sort de ce service dépend énormément du succès de l'aciérie de Sydney et des activités de la Société de développement du Cap-Breton.

L'aménagement du réseau routier relève essentiellement des provinces. Toutefois, un grand nombre des routes principales dans notre région sont en piteux état. Visiblement, les routes et autoroutes sont essentielles au transport efficient des biens et des habitants. Elles sont essentielles si nous souhaitons maintenir et encourager le tourisme, qui est une industrie très importante dans notre région. À un moment donné, le mauvais état des routes et autoroutes dissuade le tourisme.

Pour parler donc des autres modes de transport, il n'y a pas eu d'amélioration concrète du réseau dans notre région ces dernières années. Je dirais même qu'il y a eu une détérioration tout à fait réelle du niveau de service et de l'efficience du service. C'est dans ce contexte que l'on instaure la Loi maritime du Canada.

Fait important, par ce projet de loi, le gouvernement fédéral se retire encore plus de notre économie. Du fait de ce retrait, il crée un vide, mais il ne semble pas avoir dressé de plan, engagé de ressources ni discuté avec d'autres ordres de gouvernement de la structure des éléments requis pour assurer le renouveau économique dans la région.

Je ne crois pas que l'administration municipale ait pu réellement participer aux discussions concernant le projet de loi C-9. Du moins, je ne suis pas au courant de telles discussions. Si on nous l'avait demandé, je crois que nous aurions proposé que les administrations municipales de toutes les régions du Canada, et particulièrement celles de notre propre administration régionale, aient le droit de péremption sur tous les biens fédéraux significatifs dans la région. Si on nous l'avait demandé, nous aurions dit sans équivoque que tout fonds de cession établi aurait été épuisé très rapidement. Dans notre région, il est attendu que nous assumions la responsabilité de fournir des ressources à ces biens au fil des ans; or, je crois que nous aurons beaucoup de difficultés à respecter une telle exigence.

Si on nous avait demandé de contribuer, nous aurions proposé que, conformément au fonctionnement de la municipalité régionale nouvellement établie où les biens des anciennes administrations municipales relèvent d'une administration régionale, nous prendrions en charge les biens dont le gouvernement fédéral veut se défaire, en échange d'une subvention annuelle de fonctionnement. Cela nous aurait permis de veiller à ce que les activités maritimes dans notre région sont rationalisées, efficientes et efficaces. De fait, ce sont des groupes communautaires individuels qui obtiennent l'accès aux biens en question, et je crois que cela ne concorde pas avec l'approche que nous avons adoptée dans le contexte de la fusion.

Il y a toutefois une question qui est encore plus importante. Si on nous avait demandé ce que nous pensons de la Loi maritime du Canada et des effets qu'elle peut avoir, nous aurions déclaré que le gouvernement fédéral semble se retirer de la région à une époque des plus difficiles.

Visiblement, l'expérience que nous avons des orientations fédérales et provinciales n'est pas satisfaisante ces derniers temps. Nous croyons avoir, à l'exemple d'autres collectivités peu nombreuses de tout le pays, des intérêts qui divergent de ceux des grandes régions. Même à l'intérieur de notre propre province, nous avons des intérêts divergents, comme le font bien ressortir les négociations récentes concernant le projet d'exploitation des ressources énergétiques au large de l'île de Sable. Il en va de même de la vente à des intérêts privés du parc industriel Sydport, élément fondamental de notre région. Pour l'instant, la Société d'expansion du Cap-Breton demeure le propriétaire et l'exploitant du parc.

Nous nous sentons exclus de certaines des grandes décisions stratégiques qui auront des effets importants sur notre économie et sur notre société pendant bien des années. On semble vendre des biens à des groupes disparates sans aucune stratégie; lorsque nous acceptons de participer au processus et que le processus est contourné, on a tendance à nous qualifier de spécialistes des occasions ratées.

Dans ce contexte, nous avons des réserves quant à la Loi maritime du Canada, et ce sont des réserves très sérieuses. Fondamentalement, à nos yeux, il y a beaucoup de travail qui se fait sans que l'on réfléchisse à l'effet global, et c'est simplement une autre étape de ce processus.

Nous formons une administration municipale. Sans les bons outils et sans coopération, nous pouvons reconnaître le problème, mais nous ne pouvons faire grand-chose pour le régler. C'est pourquoi nous sommes venus ici aujourd'hui, pour vous conscientiser, pour formuler nos observations et pour exprimer notre intérêt et notre volonté de travailler avec d'autres ordres de gouvernement pour nous donner un avenir meilleur.

La présidente: Ce projet de loi fait l'objet de discussions depuis plusieurs années. En quoi souhaiteriez-vous qu'il soit modifié? Proposez-vous que le projet de loi en entier soit rejeté?

M. Whalley: Non, je ne ferais jamais une telle proposition. D'après ce que j'en sais, l'administration municipale était dépassée par ses propres problèmes internes, probablement durant toute la période précédant, car la fusion a eu lieu en 1995. Depuis deux ans, les gens se consacrent pour l'essentiel à une réorganisation interne.

Ce qui m'inquiète, c'est que la gestion de certains ports dans notre région soit confiée à des petits groupes communautaires. Nous connaissons déjà le cas d'au moins une autorité portuaire qui nous a demandé, à nous et à la Société d'expansion du Cap-Breton, de dégager des fonds pour des améliorations. Nous croyons que c'est un scénario qui va se répéter ad nauseam et que les ports ne seront pas gérés d'une manière cohérente, qui concorderait avec une stratégie de développement économique que nous pourrions nous donner.

Nous admettons qu'il est trop tard pour modifier les éléments de ce projet de loi en particulier, mais nous souhaitons certainement signaler le fait que les perspectives ne nous paraissent pas heureuses. Nous assistons à un déclin, et il faut discuter de la façon de s'y prendre pour renverser la vapeur.

Le sénateur Forrestall: Vous avez abordé une question délicate, une question qui est liée fondamentalement à toute conclusion que je tirerais à propos de ce projet de loi. Savez-vous combien d'argent est transféré au conseil municipal régional pour les activités maritimes -- que ce soit sous forme de subventions, d'impôts directs ou de paiements tenant lieu d'impôts?

M. Whalley: Je me demande si notre situation divergerait beaucoup de la situation que les représentants de Toronto ont exposée aujourd'hui. Je suis porté à croire que les ports, dans l'ensemble, ne peuvent s'autosuffire financièrement. Pour une bonne part, les terrains avoisinants de nos ports ont un potentiel énorme. Ce potentiel pourrait bien se réaliser au cours des quelques prochaines années, si l'industrie naissante de l'exploitation des ressources pétrolières et gazières au large se rapproche un peu de notre région. Les terrains ne nous donnent pas des revenus énormes.

Le sénateur Forrestall: Si le gouvernement fédéral devait éliminer son programme de subventions, quel en serait l'effet global sur les dépenses générales de la municipalité régionale?

M. Whalley: Sans avoir les chiffres exacts devant moi, je dirais qu'il y a encore un grand nombre de subventions importantes que l'on est en train d'éliminer. Je ne crois pas que la question des revenus soit la plus importante. Mon optique concerne la gestion cohérente des biens dans le cadre d'une stratégie dynamique de développement économique. Cela ne se fera pas avec l'application de ce projet de loi en particulier.

Le sénateur Forrestall: La municipalité régionale connaît-elle le coût d'exploitation des ports?

M. Whalley: Sans doute, mais, moi, je ne le sais pas. J'ai appris jeudi soir que je devais préparer mon exposé, et je n'ai pas eu le temps de réunir toutes les données.

Le sénateur Forrestall: Ce qui m'inquiète, c'est la possibilité que les choses soient grandement perturbées. Si on connaît son revenu et qu'on se bat pour respecter ses contraintes budgétaires, mais que quelqu'un vient réclamer 2 p. 100 des revenus, il doit être difficile de planifier. Quand cela survient à Halifax, il y a une chose que nous disons par chez nous: «Donnez-moi Dartmouth n'importe quand. C'est beaucoup moins cher.»

M. Whalley: Le maire n'est pas ici aujourd'hui parce que nous devons éliminer de 4 à 5 millions de dollars de notre budget total de fonctionnement, qui se situe à environ 85 millions de dollars. Toute somme enlevée à cet égard est importante.

Le gouvernement fédéral a récemment investi 15 millions de dollars dans la construction d'un nouveau port gouvernemental à Sydney, par exemple. L'administration municipale ne pourrait jamais faire ce genre d'investissement. Elle n'en aurait jamais les moyens, et elle aurait de la difficulté à entretenir l'installation.

Le sénateur Forrestall: Si les difficultés que posent les deux mines qui restent et les réserves qui nous restent prennent de l'envergure, ce ne sera pas 26 ou 27 ans; ce sera plutôt 10 ou 11 ans. C'est un élément indispensable de votre planification.

M. Whalley: Oui.

Le sénateur Bryden: À un endroit dans votre mémoire, vous décrivez avec éloquence les préoccupations des habitants des zones rurales de la région de l'Atlantique. Cela se trouve à la page 6:

[...] fondamentalement, nous craignons que bien des choses se fassent sans que l'on réfléchisse à l'effet global.

D'après ce que vous nous dites, la cession de divers ports du gouvernement à des groupes sans but lucratif ou au secteur privé aura un effet très marqué sur le Cap-Breton. Est-ce bien cela?

M. Whalley: Oui.

Le sénateur Bryden: Je ne crois pas que vous ayez dit, dans le mémoire, que les municipalités envisagent que ces ports ne seront pas viables en eux-mêmes et qu'elles viendront demander des fonds à votre société.

M. Whalley: Elles l'ont déjà fait.

Le sénateur Bryden: Certaines l'ont déjà fait?

M. Whalley: Oui.

Le sénateur Bryden: J'ai déjà fait valoir ici que, si les frais qui doivent être appliqués à Port Hawkesbury sont bel et bien appliqués, la société qui fabrique du granulat fermera ses portes, comme elle l'a dit. Or, c'est 265 emplois qui sont en jeu. Êtes-vous conscient de ce problème?

M. Whalley: Je n'en étais pas conscient, mais cela pourrait bien être le cas.

Le sénateur Bryden: Je ne suis pas d'accord avec vous quand vous dites qu'il est trop tard pour moduler les effets de ce projet de loi sur une région comme la vôtre. C'est la raison pour laquelle nous nous sommes réunis ici. Il n'est pas trop tard.

Le sénateur Forrestall: Je suis d'accord avec le sénateur.

Le sénateur Whelan: Je suis d'accord avec le sénateur Bryden.

Le sénateur Milne: Monsieur Whalley, je vous remercie d'être venu ici présenter un exposé. Je suis peut-être originaire de Toronto, mais je saisis bien la signification d'un taux de chômage de 18 p. 100. C'est quelque chose de dévastateur.

La Municipalité régionale du Cap-Breton englobe-t-elle tout le Cap-Breton?

M. Whalley: Non, elle ne l'englobe pas tout. Pour l'essentiel, elle couvre l'ancienne région du «comté du Cap-Breton», un des quatre comtés du Cap-Breton, et un des 18 en Nouvelle-Écosse. C'est essentiellement une zone industrielle, ce que nous appelions le Cap-Breton industriel, mais c'est un terme qui est une contradiction aujourd'hui.

Le sénateur Milne: Est-ce que cela englobe la région de Sydney?

M. Whalley: Oui, le Cap-Breton industriel, c'est la partie est du Cap Breton.

Le sénateur Milne: Combien de ports y a-t-il maintenant dans cette zone élargie?

M. Whalley: Il y a Sydney, Sydney-Nord, Glace Bay et Louisbourg, le port principal. Il y a quatre grands ports.

Le sénateur Milne: Combien se sont adressés à vous pour obtenir de l'argent?

M. Whalley: Un, jusqu'à maintenant.

Le sénateur Johnstone: J'ai trouvé cela intéressant de lire, dans votre mémoire, que le billet d'avion aller-retour de Sydney à Halifax coûte 600 $. Pour prendre l'avion de Charlottetown à Halifax, il faut payer environ 450 $. On peut aller de Halifax à Heathrow et payer moins cher. Cela montre bien les problèmes que nous éprouvons, probablement dans tout le Canada, mais certainement dans la région de l'Atlantique. C'est certainement un prix démesuré: presque 450 $ pour un vol qui dure 22 minutes.

Le sénateur Forrestall: J'aimerais éclaircir une chose ou deux. C'est seulement un élément de la municipalité régionale du Cap-Breton qui est venue demander de l'argent, parce qu'il en est à son premier exercice financier complet, et l'impact de la réduction des fonds fédéraux ne s'est pas encore fait sentir. Ce n'est pas tant le moment présent qui nous préoccupe. C'est plutôt ce qui se passera l'an prochain lorsque ces gens auront un manque à gagner de 3 millions de dollars. Ils essaient d'éliminer 5 millions de dollars d'un budget de 80 millions de dollars. Ils peuvent toujours couper, mais peuvent-ils trouver? Voilà notre appréhension. Il y a probablement une douzaine de ports au Canada qui, comme celui de Sydney, auront de ce fait de la difficulté à atteindre l'équilibre budgétaire tout en continuant à offrir les services.

N'est-ce pas le cas?

M. Whalley: Oui, c'est le cas.

Le sénateur Forrestall: Merci.

La présidente: Nos prochains témoins proviennent de la Labrador Metis Association.

M. Todd Russell, président, Labrador Metis Association: Je suis président de la Labrador Metis Association. Je suis en compagnie de Robert Rose, qui nous sert de conseiller dans plusieurs dossiers qui préoccupent les Métis et les communautés métisses.

Pour ceux qui ne connaissent pas bien le Labrador ni la Labrador Metis Association, il convient peut-être de donner certains renseignements de base avant de s'attaquer au coeur de l'exposé, c'est-à-dire les éléments du projet de loi qui touchent les ports en régions éloignées.

Le Labrador est actuellement une source de préoccupation pour plusieurs intérêts divergents, particulièrement en ce qui concerne Voisey Bay, Lower Churchill, l'industrie forestière, les transports et ainsi de suite. C'est un milieu arctique, une région très éloignée.

Notre gouvernement provincial, historiquement, a renié les autochtones et les a privés de leurs droits. Certaines des idées qu'il nourrit à l'égard de l'autonomie gouvernementale sont très archaïques.

Au Labrador, nous connaissons un boum semblable à celui qui a marqué le Yukon à l'époque de la ruée vers l'or.

La Labrador Metis Association représente une adaptation unique de la société autochtone. Nous sommes les descendants du peuple inuit du sud et du centre du Labrador, ceux que les premiers explorateurs ont appelé Arbuchtoke, Arqviqmuit, ou «peuple de la baleine». Notre société s'est intégrée, s'est mélangée aux nouveaux arrivants d'Europe aussi bien qu'aux Innus et à d'autres peuples indiens comme les Micmacs et les Cris.

La LMA compte environ 5 000 membres. Le terme «métis» est celui que nos gens préfèrent utiliser depuis deux décennies pour s'identifier, mais notons tout de même que, auparavant, nos communautés et nos habitants portaient divers noms: «sang-mêlé», «autochtones», «d'origine eskimo», «liveyeres», «planters», «settlers», «Labradorien» et «Kablunangajuit». On nous a appelés de toutes sortes de noms -- de fait, on nous a traités de toutes sortes de noms.

D'abord et avant tout, nous sommes les descendants d'Inuits et de colons non autochtones, avec aussi une descendance indienne. De ce fait, nous sommes uniques au Canada en tant qu'Inuits-Métis, ce qui nous vaut de ressembler aux peuples distincts de l'Arctique de l'Ouest comme les Métis du Sahtu et les Métis des Gwich'in.

Nos communautés, à l'exception de celles qui se trouvent autour de Happy Valley et de Goose Bay, sont complètement isolées. Il n'y a pas de routes. Tout ce que nous avons, ce sont des ports pour les bateaux durant l'été, des sentiers aménagés pour les motoneiges durant l'hiver et des aérodromes construits par le gouvernement fédéral il y a dix ans. De ce fait, tous les ports qui se trouvent entre Red Bay et Cartwright au Labrador, ont été désignés comme étant des «ports éloignés», c'est-à-dire des ports qu'il est essentiel de maintenir en raison du caractère autrement isolé des communautés qui se trouvent là. Voilà pourquoi ce projet de loi nous inquiète particulièrement.

Notre exposé, aujourd'hui, porte pour une grande part sur ce qui est survenu récemment en ce qui concerne l'instauration de ce projet de loi et sur nos griefs à cet égard. Nous espérons que cela permettra de faire la lumière sur la façon dont les choses se déroulent en rapport avec ce projet de loi.

J'ai trois grands objectifs aujourd'hui. Le premier consiste à exposer la réalité politique touchant les ports éloignés du Labrador, qui a pour effet d'amoindrir l'emprise locale sur des systèmes de transport essentiels, et l'effet de la privatisation sur une infrastructure confiée aux intérêts commerciaux dominants.

Deuxièmement, je souhaite attirer votre attention sur le fait que le législateur, dans ce projet de loi, ne tient pas du tout compte de la prétendue promesse de la politique maritime, c'est-à-dire de ne pas violer les obligations fiduciaires du gouvernement envers les peuples autochtones pour ce qui touche la cession des ports. Comme je le montrerai, depuis un an, les intérêts autochtones ont été écartés. Les mesures juridiques censées protéger les intérêts autochtones n'ont rien donné, et rien dans ce projet de loi ne garantit que de telles violations n'auront pas lieu à l'avenir.

Enfin, je veux exposer les tractations qui, au Labrador, ont eu pour effet l'abandon de nos traversiers fédéraux et de notre infrastructure portuaire au profit d'un éventuel réseau routier. Je parle de tractations parce que le ministère des Transports et son ministre ont cherché à faire un échange -- «des routes pour des ports» -- qui non seulement met fin à l'emprise exercée localement sur les choses, mais qui, encore, écarte toute possibilité d'un examen environnemental légitime du nouveau réseau routier au Labrador; il est question ici de routes et de ponts traversant 60 voies d'eau sur notre territoire, à travers les dernières zones de frai vierges pour le saumon de l'Atlantique en Amérique du Nord.

Pour ce qui est de la nouvelle politique maritime nationale, à la fin de 1995, le Cabinet fédéral s'est réuni pour élaborer de nouvelles orientations touchant les services maritimes. Je n'en ferai pas une description détaillée. Je vais me contenter d'en souligner quelques éléments.

Premièrement, la politique consistait à encourager l'emprise exercée localement sur les ports et d'autres installations.

Deuxièmement, les ports éloignés -- c'est-à-dire les ports dans les régions où il n'existe pas d'autres modes de transport -- devaient demeurer une question prioritaire et une responsabilité première de Transports Canada. Ils ne devaient pas faire l'objet d'une quelconque cession.

Troisièmement, la politique en question, avec l'appui d'un mémoire au Cabinet et d'exigences formulées par le Conseil du Trésor aussi bien que de recommandations du ministère des Affaires indiennes, exigeait que les peuples autochtones soient consultés à propos de tout projet de cession dans nos communautés.

Il importe de souligner que, comme le montre la correspondance entre Transports Canada et Affaires indiennes à la fin de 1995, Transports Canada fait valoir que les ports éloignés seront maintenus, mais qu'ils finiront par être cédés aux administrations provinciales. Transports Canada a aussi fait remarquer que certains d'entre eux pourraient être pris en charge par des groupes autochtones. Le ministère a demandé au MAINC des renseignements pour savoir quels ports étaient visés par des revendications territoriales autochtones. Il était indiqué que les deux ministères collaboreraient étroitement pour déterminer les situations où les autochtones souhaiteraient peut-être acquérir des ports en prévision d'y organiser des activités économiques.

En avril 1996, j'ai rencontré le directeur général responsable de Ports Canada à Transports Canada. À la suite de cette réunion, j'ai demandé que l'on examine la viabilité d'une prise en charge locale de la majorité des ports éloignés le long de notre côte. Pour être franc, une chose m'inquiétait: si nous n'agissions pas, il pourrait bientôt nous arriver ce qui est arrivé à Terre-Neuve. Le gouvernement de Terre-Neuve a, depuis quelques années, négocié annuellement la prise en charge des services de traversier pour obtenir des rentrées de fonds ponctuelles au moment de la préparation du budget. Les insulaires nous ont dit que, de façon générale, cela ne donnait pas des résultats heureux. Le produit des services de traversier est allé aux recettes générales, mais les services eux-mêmes et les installations ont connu un déclin rapide. Nous souhaitions aussi éviter que les grandes compagnies de navigation ne prennent le contrôle de notre infrastructure de transport de base. Nous craignions que cela ne force nos petites communautés autochtones isolées et pauvres à supporter en entier le fardeau des coûts de transport. Nous craignions que la subvention fournie par le Parlement à nos communautés, qui représente peut-être des centaines de milliers de dollars, ne devienne une subvention destinée à une infrastructure insulaire où le coût réel de l'entretien de nos ports serait mis sur les épaules de ceux qui n'en ont pas les moyens.

Nous avons demandé dans les formes qu'un examen soit fait du transfert du contrôle à nos communautés. Nous croyions bien que cela porterait fruit. Après tout, on nous avait dit que la politique de Transports Canada consistait à éviter de céder ou de transférer les ports éloignés, qu'on s'engageait à consulter pleinement les autochtones. Il n'y avait donc pas lieu de s'inquiéter, n'est-ce pas?

Cela m'amène à ma première préoccupation: la politique provinciale. Dans les faits, quelqu'un s'est efforcé de faire contourner notre demande, de faire de l'obstruction, puis d'écarter tout à fait notre demande légitime de contrôle local effectif. L'enchaînement des événements a une certaine importance; je vais donc y consacrer un peu de temps. Nous avons d'abord écrit à Transports Canada à propos de la question à la mi-mai 1996. Fin mai, le ministre écrit au premier ministre et dit:

Nous convenons du fait qu'une stratégie provinciale globale à l'égard de la route translabradorienne et des services de traversier est souhaitable. De ce fait, nos responsables coopéreront à la préparation de propositions qui permettront de réaliser rapidement des progrès mutuellement avantageux dans les dossiers de la Route translabradorienne, du service de traversier de la côte du Labrador et des ports associés.

Apparemment, sur la foi de ces pourparlers, la province appuyait notre demande de prise en charge des ports. Ce n'est que l'an dernier que nous avons pris connaissance de la demande de la province, au moyen d'une demande d'accès sous le régime de la Loi fédérale sur l'accès à l'information. C'est une information dont nous disposons et dont nous ferons part au comité.

La LMA a rédigé dans les formes une lettre d'intention pour que se concrétise le transfert de nos ports éloignés au contrôle de la communauté en août 1996. En septembre 1996, le ministre des Transports a reconnu que la province n'avait pas encore proposé officiellement de prendre en charge les services de traversier ou les ports associés. En même temps, des responsables de Transports Canada ont commencé à demander au MAINC si le dossier des ports du Labrador faisait intervenir des intérêts autochtones. Pour une raison ou une autre, les responsables du MAINC ont déclaré en octobre que Davis Inlet et d'autres installations portuaires de la côte nord faisaient l'objet de revendications territoriales globales, mais que les ports le long de nos côtes n'étaient pas visés à leur connaissance. Voilà qui est très étonnant, car notre revendication territoriale a été déposée officiellement en 1991. De plus, nous avons fourni une documentation complémentaire détaillée au début de 1996. De fait, le MAINC avait déjà fini d'étudier notre revendication en octobre 1996 et avait demandé un avis juridique pour la mi-septembre, avis juridique qui reste embourbé encore aujourd'hui au ministère de la Justice.

Ce qui est encore plus étrange, c'est qu'au début du mois d'octobre, lorsque nous avons demandé à quel moment les contrats d'usage seraient accordés pour l'examen de la viabilité et du coût de la cession à la LMA, on nous a dit subitement qu'une personne au cabinet du ministre avait donné pour consigne aux responsables de Transports Canada de ne pas nous rencontrer. Nous étions exclus, mis au ban, tassés. Nous ne pouvons nous empêcher d'en demander la raison.

J'ai écrit au ministre des Transports, M. Anderson, le 1er novembre pour soulever ce que je considérais comme une grave atteinte à l'éthique et une violation possible de l'obligation fiduciaire. Je n'ai reçu aucune réponse à cette lettre jusqu'en janvier 1997. Il est maintenant apparent que quelque chose d'autre se tramait. Une note secrète du Conseil privé datée du 7 novembre 1996 se lit comme suit:

Des discussions initiales ont eu lieu quant au transfert à la province de la responsabilité fédérale du service de traversier au Labrador. C'est-à-dire que le gouvernement fédéral se déchargerait de son obligation à l'égard du service de traversier en échange de [...]

C'est tout ce que nous laisse voir le document divulgué à la suite de la demande d'accès à l'information. Nous posons alors la question: En échange de quoi?

Il n'a pas fallu attendre longtemps pour le découvrir. En mars 1997, on entendait toutes sortes de rumeurs concernant une grosse affaire qui se brassait pour encore une fois transférer à la province des subventions pour les traversiers, cette fois pour le Labrador. De plus, nous avons entendu dire qu'il y aurait aussi une subvention fédérale pour la construction d'une nouvelle route translabradorienne. Fin mars, j'ai écrit au ministre Anderson pour dénoncer de nouveau ce qui m'apparaissait être un traitement grossier de la part de son ministère envers nous; pour protester contre l'absence de consultation et les manquements aux règles de la part du ministère en ce qui concerne la politique maritime nationale. À ce jour, je n'ai pas reçu de réponse à cette lettre.

J'ai toutefois entendu dire que la LMA a fait l'objet de discussions urgentes en mars entre les ministres provinciaux, les hauts fonctionnaires de Transports Canada et peut-être quelqu'un du ministère de la Justice. Je ne sais pas ce dont il a été question à cette réunion, mais c'est probablement le fait que personne n'avait pris la peine de nous consulter à propos du transfert des ports, même si nous étions les premiers à avoir demandé le transfert officiellement. Nous essayons toujours de savoir ce qui s'est passé, car nous estimons avoir été lésés et nous voulons savoir qui nous a lésés, pour prendre les mesures qui s'imposent.

Le 3 avril 1997, les deux gouvernements ont annoncé une entente: un transfert de fonds de 365 millions de dollars et d'équipement au profit de la province, qui prendra en charge les traversiers aussi bien que les ports au Labrador. Ce que le comité ici présent devrait noter, c'est que la construction de la route translabradorienne a été annoncée à ce moment-là. La province insistait pour dire que les fonds provenant du gouvernement fédéral lui permettraient de construire les deux tiers de la route, et notamment de refaire le revêtement de la route Goose Bay-Churchill Falls et de construire une nouvelle route qui va de Red Bay à Cartwright, route traversant quelque 60 rivières et ruisseaux.

En fin de compte, la politique maritime nationale a permis le transfert des ports éloignés au profit de la province, en échange de la promesse d'utiliser au moins une partie des fonds pour construire une route. Les négociateurs de l'entente n'ont aucunement consulté les gens touchés, malgré le fait que ceux-ci avaient demandé de pouvoir prendre en charge les ports en question. Encore une fois, nous étions exclus, mis au ban, tassés. La question est la suivante: en avons-nous tiré quelque chose d'utile?

La fin de l'entente. On serait tenté de croire que nous en avons tiré quelque chose. Nous avons obtenu une route. Est-ce bien le cas? Eh bien, pas selon l'actuel ministre des Pêches et des Océans, David Anderson, le même ministre qui a négocié l'entente au moment où il avait la charge de Transports Canada. Si, en fait, le gouvernement fédéral a bel et bien fourni des fonds pour la construction de la route translabradorienne, le projet de route serait automatiquement visé par la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale. L'étude fédérale ou l'étude mixte fédérale-provinciale sur la proposition serait en cours; or, elle ne l'est pas. De fait, malgré toutes les traversées de cours d'eau le long de notre côte et malgré le délicat habitat du saumon dont il est question ici aussi bien que les lignes de piégeage des Métis et les zones d'occupation, la province insiste pour contrôler en entier le processus d'évaluation environnementale sans qu'il y ait d'interventions financées ou de participation de la communauté.

Pour ce qui est de POC, on dit n'avoir besoin que d'un processus de sélection, et non d'une étude approfondie portant sur tous les passages de cours d'eau. Cela reflète sans doute la capacité légendaire de POC de prévoir les répercussions environnementales sur les ressources en poissons. POC ne reconnaît même pas l'existence d'une route reliant tous les ponts et ponceaux. Le gouvernement fédéral, ou du moins POC, semble tout faire afin d'éviter d'avoir à procéder à une évaluation fédérale.

L'obligation de construire une route disparaît peu à peu. Nous ne pouvons nous appuyer sur aucune garantie que la province procédera à la construction d'une route le long de la côte et nous ne pouvons influencer ni la direction, ni la nature de cette route en procédant à une évaluation environnementale afin d'étudier les propositions du gouvernement provincial. Nous perdons sur tous les tableaux: ni obligations, ni maîtrise.

Et que penser des ports même? Tout ce que nous pouvons dire, c'est que, un an après qu'on en a confié la gestion aux provinces, l'exploitation des traversiers et de certains des ports a été confiée par contrat au secteur privé. À qui? Aux principales sociétés de transport maritime utilisant ces ports, bien sûr. Un consortium composé des sociétés de transport maritime Crosbie, Woodward et Puttister s'est vu octroyer un contrat de 20 millions de dollars pour deux ans afin d'exploiter les services.

Le transfert à la province, en plus de mettre un terme à la politique fédérale concernant les intérêts des autochtones à l'égard des ports, a également permis de cesser, conformément aux politiques, d'accorder la préférence à la gestion locale et aux activités sans but lucratif en confiant l'exploitation du service à des sociétés de transport maritime.

Qu'arrive-t-il de l'engagement pris, en vertu de la politique maritime nationale, de consulter les peuples autochtones au sujet des répercussions? Au point où nous en sommes rendus, tout ce que nous savons, c'est que des représentants de Transports Canada ou du MAINC, ou des deux ministères à la fois, ont mené une enquête sans importance et bâclée au sujet des intérêts des autochtones. Même dans les cas où ces intérêts ont été déterminés avec précision, on n'a enregistré aucun résultat. En somme, la politique a été absolument inefficace.

Enfin, j'aimerais aborder rapidement le projet de loi C-9. Si l'on peut se fier à l'expérience des 18 mois passés, il ne permettra pas du tout d'empêcher que le favoritisme politique supplante la prétendue politique actuellement en vigueur qui vise à défendre les intérêts locaux, en particulier ceux des autochtones. Prenons, dans ce cas, l'exemple de l'article 3 du projet de loi. À mon sens, il est inutile. On y précise tout simplement que la loi ne sera pas anticonstitutionnelle. On devrait plutôt y établir que, dans les cas où les peuples autochtones souhaitent faire valoir leurs droits de propriété, comme dans le cas d'une revendication territoriale globale, on devrait obligatoirement tenir des consultations et d'abord accorder aux Autochtones un droit de refus d'assurer la gestion du port ou des installations en question.

De plus, sur la foi de notre expérience, on peut dire qu'il est encore plus important que la responsabilité associée à la tenue des séances de consultation de même que la portée de ces dernières soient clairement définies dans la loi. Notre expérience nous démontre que, même en raison de légères pressions politiques, les bureaucrates comme ceux de Transports Canada empêcheront l'application des politiques du Cabinet, même si celles-ci qui ont été explicitement formulées. Ils pourront le faire parce que les subtilités associées à ces politiques sont souvent tenues secrètes. Le Parlement devrait mieux remplir ses obligations envers les peuples autochtones.

L'alinéa 4e) du projet de loi porte également à confusion. Comment une politique maritime nationale peut-elle avoir comme objectif de favoriser un haut niveau d'autonomie pour la gestion locale des ports ou de répondre aux priorités et aux besoins locaux si la gestion des ports est unilatéralement transférée aux provinces, qui la confient ensuite entièrement à de grandes sociétés de transport maritime? Si le Parlement souhaite sincèrement réaliser les objectifs fixés pour la politique maritime nationale, il devrait préciser davantage ce qu'on entend par le fait de favoriser la gestion locale, assurée préférablement par des sociétés sans but lucratif. Cela devrait être d'autant plus clair dans les cas de ports situés dans des collectivités où la majorité des gens sont des autochtones dont la revendication territoriale n'est toujours réglée.

J'aimerais clore en formulant une recommandation à l'intention du comité concernant le mauvais traitement que nous avons reçu en abordant la question de la politique maritime nationale de Transports Canada. Je demande au Parlement, au Sénat ou au comité de mener une enquête portant sur les routes menant aux ports et aux traversiers; il s'agit d'une affaire qui avait été conclue l'an dernier au Labrador. Pourquoi n'a-t-on pas tenu compte de la lettre d'intention officielle dans laquelle nous demandions à en transférer la gestion aux collectivités? Pourquoi n'a-t-on consulté aucun autochtone? En vertu de quelle autorité et en échange de quels engagements? De plus, si l'affaire prévoyait le soutien ou le financement de l'autoroute Trans-Labrador par le gouvernement fédéral, pourquoi ne procède-t-on actuellement à aucune évaluation environnementale? Si la route ne faisait pas partie de l'affaire, comment peut-on justifier l'absence complète de consultations? Ni le comité, ni les Innus, ni la Labrador Inuit Association n'ont été consultés, même si nos ports, qui constituent le principal moyen d'assurer le transport de marchandises vers le reste du Canada, ont effectivement été retirés de la liste.

Je propose également que le Sénat recommande des modifications précises du projet de loi C-9 afin de permettre au gouvernement fédéral d'assumer ses responsabilités et de remplir ses obligations fiduciaires envers les peuples autochtones. Aucun autre groupe autochtone ne devrait être tenu de subir le traitement qui nous a été réservé en vertu de cette politique. Nous demandons au comité de recommander que tous les ministères et organismes de réglementation à Ottawa se consultent afin de négocier la prise de mesures de protection concernant nos intérêts, au lieu de favoriser si rapidement les intérêts de la province et de l'industrie sans même nous demander de participer.

À en juger par notre propre expérience, il est évident que, à moins que le Parlement ne respecte ses obligations en prenant des mesures concrètes, précises et contraignantes, il ne pourra tenir ses engagements envers les peuples autochtones ainsi que les petites collectivités dont la survie dépend, dans une large mesure, de l'infrastructure fédérale de transport.

La présidente: Le comité s'est longuement entretenu avec le ministre des Transports, M. Collenette. Celui-ci s'est efforcé de nous assurer que les petits ports et les ports éloignés seraient protégés si le projet de loi était adopté. Avez-vous eu l'occasion de consulter un exemplaire de la déclaration que le ministre a présentée au comité? Le cas échéant, avez-vous été rassuré après en avoir pris connaissance?

M. Russell: À la première question, je dois répondre non. Je n'ai pas consulté d'exemplaire de la déclaration du ministre. Quand l'a-t-il faite?

La présidente: Le 2 avril. Nous pouvons vous en envoyer un exemplaire.

M. Russell: Il a certainement formulé ses commentaires après qu'on a conclu, au Labrador, l'affaire concernant nos petits ports. Au mieux, ils peuvent réconforter quelque peu ceux qui se préoccupent du sort des ports éloignés au Canada. Mais ils ne règlent certainement pas notre situation en particulier, ni ne changent ce que nous éprouvons à l'égard de la façon dont cette politique a été mise en place.

Le sénateur Forrestall: Il est impossible de construire une route dans cette région en se fondant sur une seule évaluation environnementale. Je crois qu'on aurait besoin de trois années d'étude afin de déterminer si on peut bel et bien procéder à la construction. Si l'on commence à construire des routes sur ces crêtes étroites, on interrompra un système d'écoulement tout entier dont la surface est égale au double de celle de la Nouvelle-Écosse et de l'Île-du-Prince-Édouard. On ne peut pas agir si vite. Je comprends cependant la crainte que vous éprouvez à ce sujet.

Serait-il utile que le comité demande au gouvernement de ne pas promulguer certains articles du projet de loi portant sur les ports éloignés jusqu'à ce qu'on ait tenu les consultations et effectué les évaluations nécessaires? Il n'est pas nécessaire de se presser autant, n'est-ce-pas?

M. Russel: À certains égards, il est important, pour nous, qui vivons au Labrador, qu'on agisse rapidement. Vous avez parlé du processus d'évaluation environnementale. Le gouvernement provincial a la ferme intention de ne se fonder que sur sa propre évaluation, et qu'elle soit effectuée le plus vite possible. Dans le cadre de cette évaluation, on ne prévoit consulter que peu, voire aucunement les représentants de nos collectivités. Il ne peut pas s'agir d'une consultation quand on rencontre les membres d'une collectivité à seulement 24 heures d'avis, ce qui ne permet pas du tout à nos représentants de se préparer.

On doit résoudre la question avant qu'il ne soit trop tard. On envisage d'amorcer les travaux d'ici quelques mois, et non quelques années. Par ailleurs, nous assistons à la privatisation de nos services maritimes et de nos ports. La situation est urgente au Labrador: nous nous rendons compte de l'incidence qu'aura cette politique particulière, surtout sur les petites collectivités.

Le sénateur Forrestall: Je vous proposais justement que l'on retarde la prise de ces mesures et que celles-ci ne soient pas enchâssées dans la loi. Nous demanderions simplement au gouvernement d'envisager de remettre à plus tard l'adoption de ces articles.

Robert Rose, conseiller, Labrador Metis Association: Le transfert s'est produit l'an passé. L'application rétroactive de ce transfert constitue une bonne question. La nature de l'entente conclue entre la province et le gouvernement fédéral constituerait un facteur déterminant dans ce cas.

Il serait utile que le comité fasse part de son insatisfaction au chapitre des ports éloignés et des ports des collectivités autochtones, en particulier des ports des collectivités autochtones éloignées. Ils n'étaient certainement pas protégés en vertu de la politique maritime nationale, que le projet de loi est censé refléter. Si le projet de loi permet d'évaluer les résultats de la politique jusqu'à présent, on peut dire qu'ils ne sont pas suffisants. Il n'y a rien dans les mesures législatives que l'on propose qui empêcherait que cela ne se produise à nouveau, et ce que le ministre a dit importe peu. Tout ce qu'il faut, c'est un premier ministre provincial qui a suffisamment de poigne pour obtenir le transfert d'une subvention ainsi que la responsabilité associée à la gestion des ports et des traversiers, et le tour est joué.

Aucune des dispositions comprises dans le projet de loi ne peut empêcher qu'une telle situation se produise parce qu'il ne contient aucune mesure permettant de protéger les ports éloignés en en faisant des priorités pour Transports Canada ou de protéger les collectivités autochtones, outre ce passage vague où l'on précise que le projet de loi n'est pas anticonstitutionnel. L'article 3 introduit une contradiction. On pourrait préciser davantage cet article en exigeant que des séances de consultation soient tenues. Cela ralentirait le rythme auquel on conclut des affaires et rendrait ces dernières transparentes, ce qui ne s'est pas produit dans le cas des ports du Labrador, ni dans le cas des Innus, ni dans celui de la LIA, ni dans celui de la LMA, ni même dans le cas des ports pour lesquels des autochtones avaient déposé une revendication territoriale dont Transports Canada connaissait parfaitement l'existence.

Le ministère des Affaires indiennes et du Nord a fourni des efforts en faveur des collectivités de la LMA, mais non pour la collectivité innu de Davis Inlet, ni les cinq collectivités de la Labrador Inuit Association. Le ministère ne s'en est pas préoccupé. On n'a tenu aucune consultation. Rien n'a été fait. Le ministère pouvait s'appuyer sur une politique, mais il n'était pas prêt à l'appliquer.

C'est pourquoi nous vous recommandons, si vous empêchez qu'on prenne toute autre mesure à l'égard des ports éloignés, d'établir un lien entre cette mesure et le fait qu'il n'existe ni procédure, ni règlement, ni pratique afin d'appliquer la politique du Cabinet, qui a été mise en place en novembre 1995. La politique prévoit qu'on consulte les autochtones, qu'on accorde la priorité à leurs intérêts et qu'on ne prenne aucune mesure qui soit défavorable à ces derniers à l'égard de l'infrastructure des collectivités.

Le sénateur Forrestall: Il semble que l'on fasse ce qu'on veut tant et aussi longtemps que personne ne s'en plaint. Voilà quelque chose qu'il est difficile à accepter. A-t-on suggéré l'adoption de politiques semblables à l'égard des ports de la région allant de la péninsule Northern jusqu'à Port aux Basques ainsi que le long de la rive-sud de l'île elle-même? A-t-on effectué des transferts semblables vers le secteur privé dans les cas de Stephenville, de Corner Brook et d'autres ports?

M. Russell: Pas à ce que je sache. Ils n'ont pas été privatisés.

Le sénateur Forrestall: Envisage-t-on de le faire?

M. Russell: Pas à ce que je sache non plus.

Le sénateur Adams: Outre notre comité, une autre organisation à Ottawa, comme la Chambre des communes, a-t-elle pris des mesures quelconques concernant la privatisation forcée des ports?

M. Russell: Pour autant que je sache, le comité de la Chambre des communes ne s'est pas déplacé afin de consulter les collectivités. Nous avons demandé de comparaître devant le comité, mais nous n'y avons pas été invités.

Le sénateur Adams: N'avez-vous donc reçu aucune réponse de la part d'un député provincial, du ministre des Transports ou de quelqu'un d'autre du gouvernement de Terre-Neuve?

M. Russell: Il est intéressant de souligner que, lorsque je me suis adressé à la Labrador Innu Association ainsi qu'à la nation innu au sujet de cette politique particulière et du fait qu'on aurait dû les consulter, je me suis rendu compte qu'elles n'en savaient rien. Elles n'avaient entendu parler d'aucune politique maritime. Elles étudient actuellement ce qui s'est produit. On a nullement l'intention, dans le nord du Labrador, d'utiliser l'argent ou la subvention afin de construire des routes ou d'améliorer l'infrastructure.

Elles croient qu'on construira peut-être une route quelconque plus au sud. Il n'y a qu'un chemin forestier à l'heure actuelle. Dans le Nord, on a privatisé les ports et le service de traversier, et elles se demandent maintenant si la qualité du service demeurera la même.

Le sénateur Adams: En ce qui a trait aux ports existants au Labrador, région dont vous provenez -- je ne connais pas la situation des ports de l'île de Terre-Neuve --, qui paie pour l'entretien? Les gouvernements y contribuent-ils en fonction d'un certain pourcentage? Le gouvernement de Terre-Neuve couvre-t-il 50 p. 100 de ces coûts? Quelles sont les dispositions actuellement en vigueur dans la région du Labrador?

M. Rose: Jusqu'à ce que le transfert soit effectué l'an dernier, les ports éloignés relevaient du gouvernement fédéral; les dépenses qui y étaient associées étaient donc assumées à 100 p. 100 par le gouvernement fédéral. Compte tenu de l'amortissement des coûts de transferts associés aux subventions, de l'ordre de 365 millions de dollars, les dépenses associées au service du Labrador se chiffrent à environ 22 millions de dollars annuellement, ce qui représente une somme nettement supérieure, si elle est amortie sur une période de dix ans, à un paiement forfaitaire. C'est plus qu'on ne pourrait s'attendre à trouver en examinant les transferts accordés ailleurs pour les ports régionaux. Dans la plupart des cas, les ports éloignés ne font pas de profits. Ils n'ont pas un potentiel commercial suffisant. Celui de Voisey's Bay parviendra à réaliser des bénéfices, mais la société minière prévoit construire son propre quai.

Dans la plupart des cas, il s'agit de collectivités de 300 à 800 habitants. Il s'agit de ports de pêche. Le transport des marchandises est assuré exclusivement au moyen des ports parce que le transport aérien est trop coûteux et que le transport par motoneige ne peut se faire que sur de courtes distances.

Jusqu'à présent, une subvention et un soutien fédéral ont été versés. En fait, la politique maritime nationale de même que les documents du Cabinet ainsi que les autres documents du Cabinet qui nous ont été envoyés en vertu de la Loi sur l'accès à l'information, précisaient qu'il s'agit là de la principale obligation de Transports Canada dans l'avenir.

Et puis, tout à coup, rien ne va plus au Labrador et dans les ports éloignés. Tous les ports éloignés désignés ont cessé d'être admissibles à l'aide gouvernementale. Il n'y a plus ni garantie, ni engagement. Tout ce que la province a déclaré officiellement, c'est qu'avec la mise en place d'autres réseaux de transport, comme des routes et des chemins forestiers, on n'aura de moins en moins besoin des services portuaires. Mais ces ports demeurent des ports de pêche. C'est principalement ce à quoi les habitants des collectivités s'adonnent: la pêche côtière.

On se préoccupe grandement du fait qu'on ne prévoit l'adoption d'aucun mode de partage des coûts. Le service avait jusqu'à présent été assuré entièrement par le gouvernement fédéral, en particulier en raison de l'absence d'un réseau routier. Maintenant, on ne garantit pas la construction d'une route. On effectue un transfert à la province. On attend de voir si la province pourra d'elle-même assurer la prestation de services de la même qualité.

Les autorités de l'île de Terre-Neuve ont affirmé que les services de traversiers et de ports ont diminué depuis les trois ou quatre dernières années dans ces régions de l'île.

Le sénateur Adams: Vous avez mentionné que 365 millions de dollars seraient transférés au nouveau gouvernement. Cette somme couvre-t-elle partiellement les coûts associés aux ports ou est-elle entièrement consacrée aux routes?

M. Rose: Il est difficile de le dire.

M. Russell: On avait conclu une entente concernant des services maritimes avec le gouvernement fédéral. Le gouvernement fédéral s'engageait à nous verser 365 millions de dollars si nous nous chargions d'assurer la gestion des traversiers et des ports du Labrador. Bien sûr, la province a fièrement annoncer quelques semaines plus tard qu'on consacrerait 130 millions de dollars pour le segment de la route allant de Red Bay à Cartwright. Il s'agit de la région actuellement desservie par les ports éloignés. Une autre partie de cette somme sera consacrée au resurfaçage d'une route entre Goose Bay et Churchill Falls.

Si l'on interroge le ministère des Transports au sujet de l'affaire des routes, ses représentants nieront l'affaire et affirmeront que la somme n'a été versée que pour la cession des responsabilités que le gouvernement avait envers les traversiers et les ports. Jamais ils ne confirmeront l'existence de l'entente concernant les routes.

Nous nous préoccupons des besoins de nos collectivités en matière de transport, en particulier des ports desquels dépend notre activité économique. Nous sommes directement concernés. Nous voulions avoir notre mot à dire quand nous avons lu la politique, mais on ne nous a pas donné voix au chapitre.

Pourquoi ne nous a-t-on pas permis de participer aux négociations si, en fait, on devait confier nos traversiers et nos ports à la province pour obtenir des routes? Nous aurions pu contribuer à la question. Nous aurions pu avoir une influence positive en sensibilisant les gouvernements provincial et fédéral à nos besoins particuliers. Cela n'a pas été fait. On nous a plutôt répondu qu'on ne pouvait pas nous rencontrer. On n'a jamais reconnu avoir d'autres intérêts jusqu'à ce que l'affaire soit conclue. Nous nous sommes alors rendu compte que les services associés à nos ports et à nos traversiers avaient été confiés à la province.

Le sénateur Adams: Avez-vous pu prendre connaissance du contrat de deux ans d'une valeur de 20 millions? Présentait-il un intérêt pour vous?

M. Russell: À l'automne de l'an dernier, c'est-à-dire en 1997, la province a censément tenu une consultation au sujet de l'orientation à donner aux services maritimes maintenant qu'elle en était responsable. Elle en a confié le soin à une entreprise privée appelée SGE Group.

Après avoir tenu des «consultations» pendant cinq jours dans cinq collectivités, on ne savait toujours pas ce qui se passait. Le SGE Group ne voulait pas diffuser son rapport, et le Cabinet l'a tenu secret.

Quelques semaines après, nous nous sommes rendu compte qu'on avait lancé une demande de proposition pour la privatisation des services maritimes du Labrador, y compris certains des ports. Il s'agit probablement de notre seul apport à la définition des paramètres de ces contrats; il s'agit de la seule forme de participation des autochtones à la prestation des services et à l'utilisation des ports. Encore une fois, il s'agissait d'un processus très rapide.

Le sénateur Adams: On compte 45 petits ports dans les Territoires du Nord-Ouest. Leur gestion n'est assurée ni par le secteur privé, ni par une autorité locale, et on en confiera le soin à Pêches et Océans Canada plutôt qu'à Transports Canada. Vous dites maintenant que les services au Labrador sont désormais couverts à 100 p. 100 par le gouvernement fédéral. Je ne vois pas ce qu'il y a de mal à ça. Le ministère des Pêches et des Océans est-il présent dans certaines des collectivités du Labrador?

M. Russell: Oui, nous pouvons compter sur la présence du ministère des Pêches et des Océans.

Le sénateur Adams: Je ne vois pas ce qu'il y a de mal à ça. Vous ferez cependant face à une situation difficile à Nain et à Goose Bay, par exemple. Les gens craignent d'être imposés davantage si les services y sont privatisés. Ils ne peuvent pas se le permettre. Je crois que le comité devrait examiner la raison pour laquelle les ports de certaines collectivités du Nunavut seront confiés à Pêches et Océans Canada. Les petites collectivités ne peuvent pas se le permettre.

M. Russell: Certaines des installations dont nous parlons sont relativement neuves. Une somme importante a été investie par le gouvernement fédéral dans les ports éloignés du Labrador. De plus, certaines de ces installations sont très efficaces. Cependant, nous craignons de nous retrouver, à cause de cette affaire, avec une voie très lente ou un sentier que seuls les véhicules tout-terrain peuvent utiliser. Nous craignons qu'on néglige nos traversiers et nos ports. Ceux-ci ne seront pas entretenus; l'infrastructure existante disparaîtra donc. Encore une fois, on ne nous laissera qu'un sentier que ne peuvent utiliser que les véhicules tout-terrain. Ce sentier forestier glorifié, comme on l'appelle, coûtera 130 millions de dollars.

Le sénateur Forrestall: Permettez-moi d'intervenir. Ne vous inquiétez pas de ce que la route ne demeure qu'un sentier forestier. Vous devriez plutôt craindre que le gouvernement ne vous impose un traitement comme il l'a fait en Nouvelle-Écosse. Il s'agit de la même situation. On accorde des fonds pour un projet qui en vaut assurément la peine. Dans le cas de la Nouvelle-Écosse, il s'agissait de se débarrasser de la Death Valley, sur le segment de la route transcanadienne allant de Halifax à Amherst. Les fonds ont été réaffectés à un projet de construction de route: la route Fleur-de-lis, au Cap-Breton. Maintenant il y a des postes de péage sur cette autoroute, où les camions doivent s'arrêter chaque fois que le vent souffle plus fort que 30 kilomètres à l'heure, sinon ils seront balayés de la route.

Il faut être prudent avec les gens qui tiennent les cartes. On a affaire, dans ce cas, au versement de plus de 300 millions de dollars afin de soutenir vos ports. Au premier coup d'oeil, il ne s'agit pas d'une mauvaise affaire. Cependant, on peut se demander s'il s'agit d'un échange raisonnable pour des routes que vous aurez à construire vous-mêmes ou dont vous devrez confier la construction à un entrepreneur, que vous paierez grâce aux péages perçus.

M. Russell: Je ne veux même pas penser à ce que le péage représenterait au Labrador, probablement la moitié du revenu d'une famille. L'achalandage n'est pas très important à l'heure actuelle.

Le sénateur Whelan: Le gouvernement libéral dont j'ai fait partie a construit plus de routes en cinq ans que les gouvernements conservateurs ne l'on fait en 35 ans.

Le sénateur Forrestall: Ce n'est pas vrai.

Le sénateur Whelan: Il nous fallait construire de nombreux ponts. Nous avions établi un certain régime en vertu duquel si l'on construisait un pont permanent de 100 pieds, on pouvait bénéficier d'une subvention couvrant 80 p. 100 des coûts. Dans votre mémoire, vous déclarez qu'il existe 60 passages de cours d'eau sur votre territoire. Quelle importance ont-ils? Cela pourrait être terrible.

M. Russell: Nous comptons six ou sept grandes rivières. La longueur du pont sera déterminée par l'endroit où l'on souhaite traverser la rivière ainsi que la raison pour laquelle on souhaite le faire.

Le sénateur Whelan: Combien de pieds?

M. Russell: Certains cours d'eau peuvent avoir plus d'un quart de mille de largeur, selon l'endroit où vous les traversez, alors que d'autres ne sont larges que de quelques centaines de pieds.

Le sénateur Adams: Les poissons vont y frayer.

M. Russell: Il y a, au Labrador, des rivières où le saumon de l'Atlantique va frayer. Notre pêcherie commerciale de saumon est, depuis des années, la cible d'attaques de divers groupes, comme la Fédération du saumon atlantique. Ses représentants disent: «Vous tuez le saumon de l'Atlantique.» À cause de cela, POC ne veut toujours pas procéder à l'évaluation de 60 traverses de cours d'eau.

Le sénateur Whelan: Cela entraînerait des coûts considérables.

M. Rose: L'estimation générale prévoit des coûts de 130 millions de dollars pour la construction d'une route de 225 kilomètres comprenant cinq ponts importants, ainsi que des ponceaux et des traverses de marais dans une région de toundra et de taiga. Cela semble irréaliste.

J'ai remarqué qu'il en coûtera 400 millions de dollars pour construire un segment de 16 kilomètres de la route 416 dans cette région. Si l'on divisait cette dernière en très petits sentiers utilisables seulement par des véhicules tout-terrain, on pourrait parvenir à le faire; on pourrait peut-être également construire des ponts à câbles extenseurs, mais l'on se demande s'il s'agit là de projets réalistes. On a affaire à une route de campagne de faible capacité; il s'agit tout au plus d'une route pouvant servir l'industrie forestière; on ne peut pas vraiment s'en servir pour assurer le transport de marchandises et ainsi remplacer les services de traversiers et les ports. Malgré tout cela, c'est la proposition qu'on a avancée, toute saugrenue qu'elle puisse paraître.

Le sénateur Whelan: Je sais ce qu'il en coûte pour construire un pont dans le sud de l'Ontario. Il s'agit de constructions sur fondrières. L'état du sol est tel qu'il est difficile d'y planter des piliers.

Dans le sud de l'Ontario, par exemple, on retrouvait un lac à la place du comté d'Essex il y a 1 000 ans. On y trouve des sables mouvants et toutes sortes d'autres choses, mais il ne s'agit pas d'une région de toundra: il s'agit plutôt d'une région semi-tropicale.

Le sénateur Milne: J'ai besoin d'aide pour comprendre l'aspect économique de la question. Il semble que l'affaire a été conclue. La province a repris la gestion des services de traversiers et des ports du Labrador et touchera 365 millions de dollars à cette fin. Elles en a maintenant confié l'exploitation par contrat à Crosbie, à Woodward et à Puddister, des sociétés de transport maritime, pour 20 millions de dollars. Pourquoi une société s'intéresserait-elle à la gestion d'un port s'il s'agit d'un port qui entraîne des déficits? Les 20 millions de dollars que les sociétés toucheront compenseront-ils les pertes qu'elles enregistreront pour l'exploitation des ports? Comment expliquer la somme de 365 millions de dollars? L'aspect économique de la question m'échappe complètement.

M. Russell: On ne nous a pas fourni suffisamment de détails pour évaluer la nature des répercussions que le nouveau contrat aura. Nous ne connaissons pas les détails concernant les responsabilités, le niveau de service que les sociétés doivent maintenir ainsi que d'autres choses du genre. La somme de 365 millions de dollars devait également servir au transfert de navires, qui représentait un facteur dans la détermination du total de la somme.

Bien sûr, en plus de permettre la construction de routes qui auront une incidence sur nos ports, la somme de 365 millions de dollars permettra également d'offrir des services maritimes dans la région nord du Labrador. Je ne sais pas ce que le gouvernement provincial obtiendra pour 20 millions de dollars. Je ne sais pas non plus quelle vision les entrepreneurs possèdent des services qui devront être offerts à nos collectivités en particulier. Nous n'avons pas entendu parler d'une demande de propositions.

Le sénateur Milne: Savez-vous seulement si le niveau de service offert dans ces ports sera diminué? Quand pourra-t-on avoir recours aux services offerts par le consortium?

M. Russell: Ce printemps.

Le sénateur Milne: Tout de suite. Vous n'avez toujours aucune idée du type de service que vous allez recevoir.

M. Russell: C'est exact.

M. Rose: L'an dernier, le gouvernement a affirmé qu'on n'apporterait aucune modification au service en 1997. Il s'agit du seul engagement qu'il a pris. Après 1997, les coûts imposés aux utilisateurs locaux sont susceptibles d'augmenter. Dans le cas des ports éloignés du Labrador, il y aura un système de péage, qui va à l'opposé de la politique nationale maritime, mais que l'on projette toujours de mettre au point.

Le sénateur Bryden: Pour être honnête dans le cas du ministère, précisons que l'engagement que prenait le gouvernement du Canada à l'égard des ports éloignés en adoptant la politique maritime n'était pas d'assurer l'entretien des ports et de continuer de les exploiter, mais plutôt de faire en sorte que les installations portuaires désignées de collectivités éloignées soient entretenues. Il aurait été possible, peut-être, de conclure une entente avec la province de Terre-Neuve et le Labrador en vertu de laquelle les autorités provinciales auraient été obligées d'assurer l'entretien des ports éloignés dont vous parlez. Avez-vous vu cet accord? Savez-vous seulement ce qu'il contient?

M. Russell: Nous n'avons pas consulté l'accord qui a été signé entre les gouvernements fédéral et provincial au sujet du transfert des services de traversiers et des ports. Nous n'en connaissons pas les détails. Pourquoi n'avons-nous pas été consultés au chapitre du transfert des responsabilités, même si la politique maritime nationale prévoit qu'on doit consulter les collectivités autochtones concernées par une question?

Le sénateur Bryden: Transports Canada a confié la gestion de 59 sites à POC; 47 d'entre eux sont des ports éloignés. De plus, la gestion d'autres ports pourrait être confiée à d'autres ministères fédéraux si l'on détermine qu'il est nécessaire de le faire afin de réaliser les objectifs ministériels. Comprenez-vous que c'est en vertu de la politique maritime que l'on confie la gestion de ports éloignés à d'autres ministères?

M. Rose: Après avoir lu les documents que nous avons reçus l'an dernier de Transports Canada en vertu de la Loi sur l'accès à l'information, sans compter l'entente conclue avec la province, je crois que vous avez raison. L'obligation créée en vertu de la politique revient principalement au gouvernement fédéral. Il est cependant impossible de forcer celui-ci à remplir cette obligation s'il n'existe pas d'entente contractuelle avec les provinces, ce dont nous ne sommes effectivement pas au courant. Nous ne savons pas non plus s'il existe une entente contractuelle visant l'entretien des ports éloignés. La définition de «éloigné» est très vague. La politique de Transports Canada est de définir ce terme en tenant des consultations et en tenant compte de la présence d'autres réseaux de transport.

Toutes les collectivités du nord du Labrador sont isolées, comme la plupart des ports des T. N.-O. Une fois le transfert aux provinces effectué, il est difficile de dire ce qu'il peut arriver. L'entente n'a pas été rendue publique. Tout ce que nous savons, c'est que, après de nombreuses discussions à l'interne concernant la façon de traiter avec les collectivités autochtones, les deux ministères, Affaires indiennes et du Nord Canada et Transports Canada, ont proposé l'adoption d'une clause d'indemnisation. C'était le mieux qu'on puisse faire. En adoptant cette clause, les deux ministères se protégeaient l'un l'autre à l'égard de toute revendication, de tous dommages ou autres au chapitre du transfert de la gestion des ports et des obligations connexes envers les peuples autochtones ou tout autre groupe. C'était le mieux qu'on puisse faire, après plus d'un an, même si la politique est explicite.

La formulation utilisée dans le document du Cabinet précise que les Premières nations doivent être consultées au sujet de toute question concernant l'aliénation de terrains, conformément aux obligations fiduciaires du gouvernement du Canada ainsi qu'au transfert de la gestion des ports qui faisait l'objet d'une revendication.

Nous nous retrouvions dans une impasse, et les responsables n'ont rien fait. Le projet de loi n'est pas du tout suffisant parce qu'il ne comporte aucun article exigeant qu'on tienne des consultations. Dans l'avenir, au moins, vous pourriez remédier à cette situation en veillant à ce que le projet de loi reflète la politique.

Pour ce qui est de la situation du Labrador, vous ne pouvez pas faire grand-chose, sauf mener une enquête portant sur ce qui s'est passé et sur ce qui se passera à propos des ports éloignés qui ont été construits grâce aux investissements fédéraux au cours des 50 dernières années. Maintenant que leur gestion a été confiée aux provinces, on peut se demander comment on est parvenu à éviter d'appliquer la politique pendant que le projet de loi n'avait toujours pas été adopté. Maintenant qu'il l'a été, il ne reflète toujours pas la politique telle qu'on l'a formulée. Il reflète la politique au sens où il reflète ce qui s'est produit.

Le sénateur Whelan: Si l'on pense aux grands projets d'exploitation minière qui doivent être réalisés, ne peut-on pas croire que vous et votre peuple pourriez toucher des redevances ou une indemnisation considérables, ce qui permettrait d'offrir les meilleurs services de traversiers et de ports ainsi que les meilleures routes?

M. Russell: Selon moi, oui. Cependant, je suis persuadé que la société minière ne voit pas les choses du même oeil. Je suis persuadé que le sénateur Adams sait qu'il est très difficile pour une société d'adopter un régime en vertu duquel elle verse des redevances ou une partie de ses bénéfices. L'entreprise cherche toujours à remplir le plus possible les poches de ses actionnaires.

Je ne compterais pas nécessairement sur l'adoption, par les sociétés, d'un régime en vertu duquel elles versent des redevances ou partagent leurs bénéfices pour m'assurer que nous avons les meilleurs ports, les meilleurs services de traversiers, les meilleures routes, etc. Il faudra encore parcourir un bon bout de chemin avant d'en arriver là.

M. Rose: Les provinces interviendront souvent. Terre-Neuve, par exemple, est intervenue pour empêcher l'entreprise de traiter de cette façon les intérêts des Autochtones.

Le sénateur Whelan: Tout comme dans le cas de l'Alberta.

M. Rose: Churchill Falls en est un autre exemple. Churchill Falls était la plus grande centrale hydro-électrique du monde à l'époque où elle a été construite. Cependant, pas un seul kilowatt de l'électricité qui y a été produite n'a été acheminé vers la côte du Labrador. On y dépend toujours du diesel.

M. Rose: Aux fins du compte rendu, sénateur, avant que vous ne leviez la séance, je tiens à préciser que nous disposons d'un exemplaire des documents auxquels nous avons fait allusion dans le mémoire.

La présidente: Merci. Nous allons maintenant prendre une pause de 15 minutes.

La séance est suspendue.


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