Délibérations du comité sénatorial permanent
des
Transports et des communications
Fascicule 22 - Témoignages
OTTAWA, le mardi 13 avril 1999
Le comité sénatorial permanent des transports et des communications, à qui a été renvoyé le projet de loi C-55 concernant les services publicitaires fournis par des éditeurs étrangers de périodiques, s'est réuni aujourd'hui à 18 h 30 pour étudier le projet de loi.
Le sénateur Lise Bacon (présidente) occupe le fauteuil.
[Français]
La présidente: Je déclare la séance ouverte. Je voudrais souhaiter à tous la bienvenue. J'ai été étonnée de voir un article aujourd'hui dans le Ottawa Citizen nous disant que nous ne tiendrons pas d'autres séances que celle d'aujourd'hui. Je voudrais souligner que deux avis de convocation ont déjà été envoyés aux sénateurs. Nous avons planifié, avec le sous-comité du programme et de la procédure, dont les sénateurs Forrestall et Poulin font parties, des audiences pour l'étude du projet de loi C-55. Je voudrais rassurer le sénateur Lynch-Staunton à ce sujet.
Le sénateur Lynch-Staunton: Je vous ferai remarquer, madame la présidente, que lorsque cet article a été préparé, il n'y avait aucun autre témoin appelé à comparaître. Je suis heureux que l'article du Ottawa Citizen ait été cité.
La présidente: Non pas du tout. Il ne faudrait pas en prendre le mérite.
Le sénateur Lynch-Staunton: Il faudrait faire d'autres entrevues avec d'autres témoins.
La présidente: Les témoins étaient confirmés. Vous devriez peut-être vous informer auprès du sénateur Forrestall.
Conformément à l'ordre de renvoi du Sénat en date du mercredi 24 mars 1999, le comité commence aujourd'hui l'étude du projet de loi C-55, la Loi sur le service publicitaire fournit par des éditeurs étrangers.
Je suis confiante que ces audiences constitueront une expérience instructive pour les membres du comité, les parties intéressées et les Canadiens qui suivent les délibérations à la télévision.
[Traduction]
Notre premier témoin d'aujourd'hui est la ministre, Mme Copps, qui est accompagnée de fonctionnaires de son ministère. Nous allons d'abord entendre la ministre.
La parole est à vous, madame la ministre.
L'honorable Sheila Copps, c.p., ministre du Patrimoine canadien: Madame la présidente, je suis accompagnée de Michael Wernick, qui est le sous-ministre adjoint responsable des industries culturelles; de Jeff Richstone, avocat du ministère de la Justice qui s'occupe des questions juridiques concernant ce projet de loi, et de Allan Clarke, directeur général pour les industries culturelles, qui a réalisé les études longitudinales et latitudinales pour le projet de loi et les autres options.
[Français]
Madame la présidente, je suis heureuse de comparaître devant ce comité qui est très important en ce qui concerne l'avenir d'un projet de loi, qui est aussi important pour l'identité de chez nous.
[Traduction]
En tant que sénateurs, vous êtes les mieux placés pour comprendre que le Canada a non seulement le droit, mais le devoir de protéger son identité culturelle. Les sénateurs savent également que le Canada respecte les règles du jeu.
En août dernier, le Canada s'est conformé totalement à tous les aspects de la décision de l'Organisation mondiale du commerce concernant les périodiques canadiens. Nous avons abrogé l'article 9958 au Tarif des douanes. Nous avons modifié la Loi sur la taxe d'accise. Nous avons modifié l'administration de la subvention postale et nous avons abaissé le tarif d'affranchissement pour les périodiques étrangers.
[Français]
Le projet de loi C-55 respecte la lettre et l'esprit de toutes nos obligations internationales, de notre droit canadien, de nos engagements nationaux et de nos engagements internationaux et, ce qui revêt encore plus d'importance, de nos engagements envers l'avenir de notre propre pays.
[Traduction]
Nous nous sommes parfaitement conformés à la décision de l'OMC, mais il n'en reste pas moins que plus de 80 p. 100 des périodiques vendus dans les kiosques à journaux du Canada sont américains. Nous devions trouver un moyen efficace de faire en sorte que l'industrie canadienne du périodique continue d'exister, non pas isolément, mais de façon complémentaire. Tel est le but de ce projet de loi.
Je tiens à ce que ce soit parfaitement clair. Le gouvernement a consacré énormément de temps à examiner les diverses options avant de présenter le projet de loi C-55. Nous avons examiné les aspects juridiques, culturels et commerciaux du problème. Nous avons soupesé toutes sortes de possibilités, allant des subventions aux restrictions concernant le contenu en passant par l'octroi de licences. Nous avons longuement réfléchi à ce qu'il nous en coûterait de prendre des mesures et ce qu'il nous en coûterait de ne rien faire.
Le Cabinet a approuvé la solution qui était la plus viable pour dissiper les inquiétudes de l'industrie canadienne des périodiques, pour répondre au désir des Canadiens de préserver leur culture et répondre à leur désir de respecter les règles du jeu internationales et de s'acquitter de nos obligations commerciales internationales.
Ce projet de loi a réussi à souligner certains principes clés sur lesquels nous pouvons tous être d'accord. Les Canadiens continueront à lire des articles sur eux dans leurs périodiques. Nos auteurs, nos photographes, nos rédacteurs, nos illustrateurs et nos dessinateurs pourront travailler au Canada. Les périodiques canadiens devraient bénéficier d'une concurrence loyale au Canada.
Enfin, les marchés canadiens devraient être ouverts à la plus vaste gamme possible de périodiques étrangers. Si nous voulons préserver la liberté de choix des lecteurs canadiens, nous avons besoin du projet de loi C-55. Si nous voulons préserver une saine concurrence entre nos périodiques et les périodiques étrangers, nous avons besoin du projet de loi C-55.
Le mois dernier, le sénateur Graham nous a rappelé que le premier périodique canadien avait été publié en 1790, en Nouvelle-Écosse. Quelques jours plus tard, le sénateur Lynch-Staunton nous informait que le premier magazine bilingue avait été publié au Québec, en 1792.
[Français]
Après des débuts modestes, les éditeurs canadiens ont réussi à créer une industrie hautement concurrentielle qui se démarque par sa vitalité et qui publie des revues d'envergure internationale. Ces publications sont lues par des millions de Canadiennes et de Canadiens d'un océan à l'autre. De nos jours, plus de 1500 périodiques sont publiés au Canada en français, en anglais, en chinois, en italien, en polonais. Des périodiques qui touchent les domaines qui plaisent à tous les goûts, qui offrent différentes perspectives et qui se font l'écho de toutes les régions de chez nous. Près de 70 p. 100 des Canadiens croient que les périodiques font partie intégrante de notre culture et qu'ils représentent un juste reflet de notre réalité.
[Traduction]
Nos périodiques nous parlent de nos défis, de notre diversité culturelle, de nos réalisations, de nos institutions, de nos familles, de nos valeurs, de nos modes, de nos marottes, de nos fantaisies et de notre avenir.
[Français]
Quelques faits relatifs à l'industrie parlent par eux-mêmes. Les Canadiens dépensent plus de 247 millions de dollars annuellement en frais d'abonnement à des périodiques. Dix-neuf des 20 périodiques les plus populaires au Canada sont canadiens. Les Canadiens achètent des périodiques pour s'informer, se divertir et se rapprocher de leurs concitoyens et concitoyennes. Nous sommes voisins du pays qui exporte le plus de produits culturels et la majorité de ces exportations arrivent à nos frontières au Canada.
[Traduction]
Ces exportations sont les bienvenues. Nous aimons lire ces magazines. Rien -- je le répète -- rien dans le projet de loi C-55 n'empêche les Canadiens de lire ces périodiques américains. Ce que le projet de loi empêche c'est une concurrence déloyale, une concurrence à rabais pour les services publicitaires canadiens. Les éditeurs étrangers, qui bénéficient déjà d'économies d'échelle considérables, seraient en mesure de déverser leurs produits sur le marché canadien en l'absence de cette loi, ce qui serait une concurrence déloyale. Nous n'autorisons pas ce genre de dumping dans d'autres secteurs. Pourquoi la situation devrait-elle être différente pour les périodiques?
Si les périodiques canadiens n'ont pas accès aux revenus des services publicitaires, nous perdons un contenu canadien de haute qualité. Si les règles du jeu ne sont pas équitables, les périodiques canadiens se feront écraser. Le projet de loi C-55 vise à laisser aux points de vue canadiens suffisamment de place pour s'exprimer tout en accueillant les points de vue du monde entier.
Comme le premier ministre l'a déclaré au Boston Globe, en janvier: «Il est très important de préserver l'identité canadienne. Nous avons un dossier solide et nous gagnerons cette cause».
Au cours de la deuxième lecture du projet de loi, au Sénat, les sénateurs ont soulevé quatre grandes questions. Ils voulaient d'abord s'assurer que cette mesure était compatible avec la Charte canadienne des droits et libertés; deuxièmement, qu'elle était conforme aux accords commerciaux internationaux; troisièmement, ils se demandaient s'il n'y avait pas un meilleur instrument pour résoudre nos préoccupations culturelles et, quatrièmement, ils se sont interrogés sur la situation actuelle des pourparlers canado-américains sur les périodiques.
Permettez-moi d'affirmer catégoriquement que le Cabinet a examiné ce projet de loi très sérieusement avant de le présenter. Tout défi présente des risques, mais nous avons examiné nos options, les risques, les défis, les possibilités et les aspects juridiques. Le ministre de la Justice nous a informés que le projet de loi C-55 était parfaitement conforme à la Charte. Les publicitaires canadiens continueront d'avoir les mêmes possibilités qu'avant, y compris le droit de publier des annonces dans les éditions américaines des périodiques.
Je tiens à répéter une nouvelle fois combien je suis fière que notre pays soit le plus ouvert à la lecture en provenance du monde entier. Le projet de loi C-55 n'y changera rien. La vente de périodiques américains au Canada représente la plus grosse exportation de périodiques vers un même pays du monde libre. Nous sommes pour la libre circulation des idées d'un pays à l'autre. Nous la favorisons. C'est enrichissant et important et cela continuera.
[Français]
Le projet de loi C-55 permettra aux Canadiens et aux Canadiennes de continuer à pouvoir s'exprimer librement et d'avoir accès à une diversité de points de vue. Il s'inscrit dans l'esprit de la Charte. Quelle liberté d'expression aurions-nous sans un contenu canadien dans nos périodiques?
[Traduction]
Nous respectons les accords commerciaux internationaux, comme le ministre du Commerce international l'a souligné à de nombreuses reprises. Le projet de loi C-55 réglemente le commerce international des services et non pas des biens. Le Canada n'a aucune obligation en ce qui concerne les services publicitaires fournis par les éditeurs des périodiques et s'il n'a «aucune obligation», cela veut dire qu'il n'y a «aucun motif pour des mesures de rétorsion»
Le sénateur Lynch-Staunton et le sénateur Kinsella se sont tous les deux demandé, à juste titre, si le projet de loi était la bonne solution pour répondre à nos préoccupations culturelles. Le contenu représente le coeur et l'âme de la culture. Le projet de loi C-55 aborde de front la question du contenu. La concurrence déloyale que les éditeurs étrangers opposent aux services publicitaires canadiens limite l'accès au contenu canadien. C'est l'accès à cette source de revenus qui permet aux éditeurs canadiens de publier des articles qui sont importants pour nous et qui contribuent à notre identité nationale.
Je tiens à assurer aux sénateurs que le projet de loi C-55 n'est pas la fin de tout. Le Canada continuera à jouer le rôle de chef de file dans un système mondial fondé sur des règles. Nous exercerons des pressions pour placer la culture au centre des préoccupations économiques et sociales mondiales. Voilà pourquoi nous avons lancé le Réseau international des ministres de la Culture. Voilà pourquoi des études comme le dernier rapport GCSCE sur la culture sont tellement importantes pour nous indiquer la voie à suivre collectivement à l'échelle de la planète.
J'ajouterais que lorsqu'il a examiné ce projet de loi, le Cabinet a tenu de vastes consultations pour s'assurer que l'option que nous choisissions garantissait la liberté d'expression. En fin de compte, les principes du projet de loi C-55 ne sont pas négociables, un point c'est tout. Le Canada ne veut évidemment pas se lancer dans une guerre commerciale! Le Canada défend simplement ses intérêts.
[Français]
Sans la législation qui assurera la viabilité de nos industries culturelles par lesquelles notre pays s'exprime, nous mettons en péril un équilibre fragile que nous sommes parvenus ensemble à éteindre quel que soit le parti politique.
[Traduction]
En tant que Canadiens, nous sommes un peuple qui a sa propre identité, son propre patrimoine, ses propres langues et certainement sa propre culture. Les périodiques canadiens font partie intégrante de notre culture. Ils contribuent à notre identité culturelle et cela à une époque où la diversité culturelle mondiale est tellement importante.
Honorables sénateurs, je tiens à vous remercier pour le temps et les efforts que vous avez déjà consacrés au projet de loi C-55. Je tiens à bien préciser que votre contribution à ce processus législatif est de la plus haute importance. Mon engagement, celui du premier ministre et celui du gouvernement sont fermes et solides. Toutes mes cartes sont sur la table. Je n'ai rien à cacher et je ne jouerai aucun jeu.
Madame la présidente, je suis maintenant à la disposition des honorables sénateurs.
Le sénateur Lynch-Staunton: Merci, madame la ministre, de cette déclaration énergique. Je pense que tout le monde ici partage votre avis et vos sentiments au sujet de l'identité canadienne, de la culture canadienne et des menaces qui pèsent contre elles et auxquelles nous sommes confrontés quotidiennement. Néanmoins, pour en revenir au projet de loi proprement dit, comme on en a discuté au cours du débat en deuxième lecture au Sénat, un grand nombre d'entre nous se demandent s'il s'agit là du projet de loi définitif ou, comme vous sembliez le dire dans une émission de radio, si les négociations de Washington ne pourraient pas entraîner des modifications telles que le projet de loi pourrait être assez différent de ce qu'il est maintenant.
La question est en fait la suivante: étudions-nous les intentions véritables et définitives du gouvernement en ce qui concerne la protection de l'industrie canadienne des périodiques ou faut-il s'attendre à ce que d'ici quelques semaines ou quelques jours, le gouvernement nous propose des modifications qui pourraient largement changer la nature de cette mesure?
Mme Copps: Premièrement, sénateur, nous croyons que c'est la meilleure solution pratique au dilemme devant lequel nous a placés la décision de l'OMC. Nous avons étudié environ 18 options en l'espace d'un an environ et c'est celle-ci que nous avons finalement retenue. Ce n'est pas la seule solution, mais nous pensons que c'est la meilleure.
Les Américains ont laissé entendre à de nombreuses reprises qu'ils auraient peut-être d'autres idées. Ils sont allés jusqu'à dire qu'ils seraient prêts à soumettre leurs idées par écrit. Nous leur avons fait savoir que toute idée qui améliorerait la loi serait soumise au processus législatif. Néanmoins, nous ne vous demanderions jamais de prendre position sur un projet de loi qui pourrait être compromis par des discussions et des négociations en coulisse. Ce n'est pas notre intention.
Le sénateur Lynch-Staunton: Ce n'était pas non plus ma question.
À la suite de négociations, pouvons-nous nous attendre à ce que le gouvernement propose des modifications à ce projet de loi avant que nous n'ayons fini de l'examiner à l'étape du comité? Il est tout à fait inhabituel que la Chambre des communes, la Chambre élue, adopte un projet de loi en se disant qu'une fois que le Sénat aura fini de l'étudier, il risque d'être très différent du projet de loi adopté au départ. Ce serait procéder à l'envers. Je voudrais savoir dans quelle mesure nous pouvons nous attendre à ce que le Sénat examine des amendements qui pourraient modifier radicalement l'objet de ce projet de loi, sa finalité et sa portée générale.
Mme Copps: Ce projet de loi représente, à notre avis, la meilleure solution.
Nous avons dit dès le départ -- et je crois que c'est ressorti clairement lors de la période des questions à la Chambre des communes et au cours d'autres discussions -- que si les Américains faisaient des suggestions qui seraient conformes à l'esprit du projet de loi, nous serions prêts à les examiner. Il faudrait bien entendu l'approbation préalable du Sénat et de la Chambre des communes. Nous ne cherchons pas un moyen de contourner les institutions parlementaires.
Le sénateur Lynch-Staunton: Ce que je conclus de votre réponse, qui tout en étant imprécise et suffisamment précise, c'est que nous pouvons nous attendre à des amendements importants.
Mme Copps: Vous pouvez?
Le sénateur Lynch-Staunton: Nous pouvons nous attendre à des amendements importants.
Mme Copps: Non, ce n'est pas ce que j'ai dit.
Le sénateur Lynch-Staunton: C'est ce que j'ai cru comprendre étant donné que vous n'avez pas répondu directement «oui» ou «non» quant à savoir s'il y aura des modifications.
Mme Copps: Nous sommes actuellement en pourparlers avec les Américains. Ils n'ont rien proposé de concret. Nous poursuivons la discussion. Nous n'avons pas encore reçu de proposition susceptible de nous faire changer d'avis quant au fait que le projet de loi C-55 sous sa forme actuelle est la meilleure solution.
Le sénateur Lynch-Staunton: Si vous êtes satisfaits de ce projet de loi et si le ministère de la Justice et les autres ministères estiment qu'il est conforme à l'OMC et à la Charte et qu'il ne peut pas être contesté avec succès, que négocions-nous avec les Américains et pourquoi négocions-nous?
Mme Copps: Pour le moment, nous ne négocions rien du tout avec les Américains. Nous avons seulement des discussions avec eux.
Le sénateur Lynch-Staunton: Permettez-moi de reformuler ma question.
De quoi discutons-nous avec les Américains qui puisse avoir des effets sur ce projet de loi?
Mme Copps: Comme le Bureau du représentant au commerce des États-Unis et d'autres l'ont répété à plusieurs reprises, au début du processus, les Américains ne voulaient pas que nous remplacions par d'autres dispositions les clauses de la loi précédente que l'OMC avait jugées contraires aux accords. Nous ne partageons pas ce point de vue. Nous avons eu un certain nombre de discussions avec les Américains afin de présenter les précédents historiques que nous avons invoqués dans de nombreux domaines, surtout dans le projet de loi C-55, en leur expliquant pourquoi nous estimons qu'ils sont importants.
Les Américains ont continué d'affirmer que nos objectifs culturels pourraient être atteints par d'autres moyens, qu'ils n'ont pas précisés. Nous attendons leurs précisions. Néanmoins, toute suggestion qu'ils pourraient formuler serait soumise au Sénat et ensuite à la Chambre des communes si le projet de loi était modifié.
Le sénateur Lynch-Staunton: Ma dernière question est plutôt une observation. Si vous êtes satisfaite du projet de loi et si les discussions ne mènent nulle part, pourquoi ne pas les rompre, adopter ce projet de loi et dire aux Américains que nous sommes sérieux et que nous voulons cette mesure telle qu'elle est? Je peux vous assurer de notre entière coopération.
Mme Copps: Je m'attends à une adoption rapide de ce projet de loi, sénateur. C'est pourquoi nous sommes ici ce soir. J'ai rapidement réaligné mon emploi du temps sur votre horaire que vous aviez modifié parce que j'aimerais que ce projet de loi soit adopté le plus rapidement possible.
[Français]
Le sénateur Joyal: Terminons cette discussion et soyons le plus clair possible. Au moment où nous sommes saisis de ce projet de loi, il n'y a pas de discussions prévues avec les représentants américains avec lesquels vous avez été en contact. En d'autres mots, il n'y a pas un horaire de discussions, d'échanges avec les Américains sur le projet de loi?
Mme Copps: Il y a des discussions. Ils ont tenu six réunions, dont la sixième a eu lieu la semaine dernière. Ces réunions avaient pour but de discuter avec les Américains ce qui n'avait pas été compris auparavant. Au Canada, on se dote de plusieurs instruments pour protéger notre culture. Le projet de loi C-55 est un instrument possible. On a fait un tour d'horizon de nos politiques culturelles en général et, plus précisément, on a fourni une explication de l'objectif visé avec le projet de loi C-55.
Jusqu'à maintenant, les Américains du Bureau du commerce extérieur américain ont insisté qu'il pourrait y avoir d'autres instruments qui pouvant remplir le même but. Nous sommes prêts à écouter leurs suggestions. S'il y a de bonnes suggestions, nous pourrons revenir devant la Chambre des communes et la Chambre du Sénat.
Jusqu'à maintenant, il n'y a pas eu de propositions précises de la part des Américains et on n'a pas tenu de négociations.
Le sénateur Joyal: Au cours des réunions que vous avez tenues avec les représentants du commerce américain, est-ce qu'il a été question d'aller conjointement avec eux à l'OMC pour savoir si ce projet de loi se situe à l'intérieur des accords où les Américains pourraient faire valoir leur capacité d'obtenir des représailles?
Mme Copps: Au début du processus, quand on a présenté le projet de loi C-55, notre ambassadeur à Washington a fait valoir aux Américains que s'il y avait des problèmes de principe avec le projet de loi, on serait toujours prêt à faire la preuve devant le comité de l'OMC. Les Américains ont résisté à cela jusqu'à maintenant.
Le sénateur Joyal: Ils n'ont pas exprimé leur accord pour une démarche qui aurait été conjointe entre les représentants américains et canadiens auprès de l'OMC pour obtenir une sorte de déclaration sur la recevabilité du projet de loi à l'intérieur de votre position juridique?
Mme Copps: Non, pas directement. Les Américains n'ont pas accepté. Au tout début, nous leur avons suggéré d'aller ensemble à l'OMC s'ils pensaient que la politique que nous adoptions était contre l'OMC. Les Américains ont jusqu'à maintenant refusé cette suggestion.
Le sénateur Joyal: Dans les discussions qui ont eu lieu sur le bien-fondé du projet de loi, les Américains reconnaissent-ils que l'industrie canadienne du magazine est vulnérable et qu'elle doit être supportée par des mesures gouvernementales qui sont de nature à s'assurer d'une part responsable et respectable des magazines canadiens sur le marché canadien?
Mme Copps: Le fait qu'ils discutent est une reconnaissance.
Le sénateur Joyal: Vous avez fait référence dans votre présentation au réseau des ministres de la culture à l'intérieur duquel vous êtes vous-même active. Est-ce que lors de vos échanges avec les autres ministres de la Culture membres du réseau, il a été question de l'intérêt que portent certains autres participants au sort que le projet de loi C-55 peut connaître par rapport au précédent que cela peut constituer pour ces ministres eux-mêmes?
Mme Copps: Oui.
Le sénateur Joyal: De quelle manière?
Mme Copps: À l'aube du XXIe siècle, tout le monde se pose la question, à savoir comment les pays seront capables à la fois de refléter les diversités culturelles et de reconnaître le petit village qui s'appelle le monde. Le projet de loi que nous mettons de l'avant est une façon novatrice d'obtenir cette reconnaissance culturelle tout en respectant nos obligations internationales. Entre autres, le premier ministre de la France, M. Jospin, lorsqu'il est venu au Canada, a souligné son intérêt personnel et celui de son gouvernement en ce qui concerne cette nouvelle politique. Le ministre du Mexique a exprimé le même intérêt. Ils voient le dossier et ils y sont intéressés parce qu'ils cherchent aussi des instruments pour assurer la spécificité culturelle et la diversité culturelle qui respectent en même temps les obligations de nos accords internationaux.
Le sénateur Joyal: Est-ce que dans les discussions que vous avez eues avec vos collègues européens, par exemple, les difficultés que connaissent certains produits alimentaires en Europe -- pour ne pas les nommer -- sont des éléments qui servent de point de référence?
Mme Copps: Les discussions dont vous parlez sont davantage des discussions internationales sur la gestion de M. Marchi. On parle vraiment au fond des instruments culturels et on ne s'ingère pas dans les différences de commerce.
Le sénateur Joyal: Dans vos propos, vous avez mentionné que les magazines étaient un des éléments de la diversité culturelle que vous vouliez soutenir. Pouvez-vous nous informer d'autres éléments qui compléteraient la panoplie de politiques que votre ministère a considérées et qui vont dans le même sens?
Mme Copps: La politique sur les droits d'auteur en serait une autre. On est parmi les pays qui ont décidé d'être signataires de la Convention de Berne et de Rome. Une autre serait la politique d'enregistrement sonore du CRTC. C'est une politique de réglementation requérant un quota sur la diffusion de disques à la radio.
Une autre pourrait certainement être la politique sur les maisons d'édition. La semaine dernière, j'étais au Salon du livre de Québec; si on voit un épanouissement des maisons d'édition au Canada, on le doit d'abord aux auteurs, très doués, ensuite à une politique précise sur les garanties qu'offrent les maisons d'édition canadiennes en ce qui concerne la distribution. On investit 25 millions de dollars par année pour nos publications, et cet investissement n'est disponible qu'aux maisons d'édition canadiennes. Ces politiques favorisent l'épanouissement de la littérature au Canada, mais elles ne sont pas nécessairement disponibles pour les auteurs qui viennent des États-Unis. Une autre serait certainement la politique de diffusion, aussi bien à la télévision qu'à la radio. Il y en a d'autres.
Le sénateur Joyal: Est-ce que dans vos échanges avec les Américains, les objectifs de la politique canadienne sont expliqués aux Américains ou est-ce que vous avez une approche qui est plutôt, comme on dit en anglais «piecemeal», c'est-à-dire que vous y allez à la pièce? N'avez-vous pas plutôt comme objectif particulier, à l'intérieur du réseau des ministres de la culture, d'établir très nettement les objectifs globaux de la politique canadienne pour qu'on en arrive à une meilleure compréhension de part et d'autre de ce que le Canada veut réaliser?
Mme Copps: Au niveau du réseau des ministres, le but de la discussion est une reconnaissance globale de tout ce que nous faisons et pas seulement au Canada. En Europe, par exemple, on apprend des instruments dont ils se servent. Dans d'autres pays aussi. Ce sont les instruments globaux.
Quand nous avions commencé la discussion sur le magazine, c'était une explication plus générale au début, parce qu'en effet, le Bureau du commerce extérieur des États-Unis n'est pas trop saisi des dossiers de droits d'auteur ou de l'enregistrement sonore. Le projet de loi C-55 n'est pas un orphelin. C'est la suite d'une politique adoptée par plusieurs gouvernements, quelle que soit leur couleur politique, d'autant plus que si quatre partis sur cinq à la Chambre des communes l'ont appuyée, c'est le résultat d'un consensus assez réparti au Canada. Ce n'est pas l'orphelin d'une ministre farfelue.
[Traduction]
Le sénateur Kelleher: Madame la ministre, bienvenue au Sénat. Vous conviendrez sans doute qu'il est important de veiller à ce que le projet de loi soit parfaitement conforme à nos obligations commerciales internationales avant de l'adopter. C'est d'autant plus important que ce projet de loi découle de deux décisions que l'Organisation mondiale du commerce a rendues contre nous.
Comme vous vous en souviendrez, en mars 1997, le Canada a perdu trois des quatre causes portées devant l'OMC. Le gouvernement a interjeté appel et nous avons encore fait mieux cette fois: nous avons perdu quatre des quatre causes portées en appel. Compte tenu de ces résultats, le gouvernement canadien a-t-il obtenu un avis juridique établissant que le projet de loi C-55 est parfaitement conforme à nos obligations commerciales internationales, y compris nos obligations dans le cas de l'OMC et de l'ALENA?
Mme Copps: Oui.
Le sénateur Kelleher: La ministre pourrait-elle déposer cet avis juridique au comité et mettre à notre disposition des avocats du ministère de la Justice, des Affaires étrangères et du Commerce international afin que nous puissions soumettre cette question à un examen public approfondi?
Le sénateur Grafstein: J'invoque le Règlement pour dire que cette question a été examinée par plusieurs comités, dont le comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles. Ce n'est pas la façon de procéder habituelle.
Sauf erreur, lorsque le gouvernement nous dit qu'il a obtenu un avis juridique alors que nous avons obtenu une opinion différente, c'est au comité qu'il revient d'examiner cette opinion plutôt que de demander au ministre ou à ses fonctionnaires de déposer l'avis juridique en question.
On nous a dit que telle était la façon de procéder lorsque nous siégions dans l'opposition. Telle est la procédure actuelle. Si la ministre désire répondre à cela, libre à elle. Je tenais toutefois à mentionner la façon dont nous avons procédé jusqu'ici.
Le sénateur Lynch-Staunton et le sénateur Kinsella sont ici. Ils hochent tous deux la tête en signe d'approbation. S'ils ne sont pas d'accord, qu'ils le disent. Si nous doutons que cette mesure soit acceptable, c'est à nous d'obtenir ce renseignement auprès d'experts de l'extérieur et de porter un jugement.
Le sénateur Oliver: Il faut quelqu'un que l'on puisse contre-interroger au sujet des opinions avancées.
Le sénateur Grafstein: Si j'ai bien compris, la ministre... je ne veux pas avoir l'air de défendre la ministre.
Le sénateur Tkachuk: Vous défendez la ministre, c'est évident. De quoi parlez-vous?
Le sénateur Grafstein: Je ne veux pas donner l'impression de défendre la ministre. Je dirai aux sénateurs d'en face que selon la coutume établie de longue date au Sénat, si la ministre estime avoir obtenu un avis juridique, c'est une affaire privée. Ses relations avec ses conseillers juridiques sont visées par le secret professionnel. Si nous contestons ce principe, rien n'empêche un sénateur ou le comité de faire comparaître d'autres témoins pour contester cette opinion et tirer des conclusions différentes.
Si cette façon de procéder n'est pas la bonne, très bien, nous pouvons changer nos us et coutumes dans d'autres comités. C'est toutefois toujours ainsi que l'on a procédé et que nous procédions lorsque nous siégions dans l'opposition.
Le sénateur Lynch-Staunton: Je ne défendrai pas la ministre, mais je défendrai la coutume selon laquelle les avis juridiques obtenus par le Cabinet ou un ministre ne sont pas divulgués. Ce renseignement leur appartient et est confidentiel. Un ministre peut révéler les conclusions de l'avis juridique, mais les arguments sur lesquels il est fondé sont confidentiels et ne devraient être déposés. Cela établirait un précédent regrettable.
La présidente: Si les membres du comité estiment avoir besoin de l'avis d'experts, nous pouvons faire comparaître ces experts.
Le sénateur Grafstein: J'essayais de défendre les us et coutumes du Sénat et non pas la ministre, mais je le ferai avec plaisir si j'en ai l'occasion.
Le sénateur Kelleher: Cela m'inquiète, car nous avons déjà reçu toute une série d'avis juridiques du gouvernement concernant l'ancien projet de loi. Ils concluaient que le projet de loi respectait parfaitement toutes nos obligations et ne posait aucun problème. L'OMC l'a toutefois rejeté. Nos représentants ont alors déclaré: «C'est terrible. Nous allons faire appel. De toute évidence, l'OMC s'est trompée». Ils ont fait appel et nous avons été déboutés une fois de plus, cette fois quatre fois sur quatre.
Je ne peux donc m'empêcher d'être quelque peu sceptique quant à la validité des avis juridiques que reçoit la ministre. Ce n'est pas de sa faute et je ne le lui reproche pas.
La présidente: Les membres du comité pourront tenir cette discussion plus tard. Je ne voudrais pas que nous perdions le temps dont nous disposons pour poser des questions à la ministre. Pour le moment, la ministre est ici; c'est une question dont nous pourrons discuter plus tard et nous pourrons demander à d'autres experts de comparaître.
Le sénateur Kelleher: Très bien. Peu importe les précédents juridiques que nous semblons suivre, la ministre pourrait-elle répondre à ma question?
Mme Copps: Je l'ai fait. Vous avez demandé si nous avions obtenu un avis juridique, et je vous ai répondu par l'affirmative.
Le sénateur Kelleher: Je vous ai demandé si vous étiez prête à le déposer.
Mme Copps: Sénateur Kelleher, au cas où cette question ferait l'objet d'un renvoi, il serait irresponsable de ma part de présenter d'avance mes arguments juridiques. Vous devriez inviter Peter Grant, qui représente les éditeurs de périodiques canadiens, ou toute personne qui connaît bien ce domaine à venir vous donner une opinion.
En ce qui me concerne, je préfère garder pour moi mes arguments juridiques au cas où d'autres organismes examineraient ce projet de loi, ce qui est possible.
Le sénateur Kelleher: Je voudrais seulement le savoir. Vous pourrez répondre simplement par oui ou par non. Êtes-vous prête à déposer l'avis juridique que vous avez obtenu?
Mme Copps: Non.
La présidente: Je crois que la ministre a répondu à la question. Avez-vous d'autres questions?
Le sénateur Kelleher: Je comprends. Cela a pris un peu de temps.
Comme vous vous en souviendrez peut-être, l'Alliance des manufacturiers et des exportateurs vous a envoyé la copie de la lettre qu'elle a adressée au premier ministre, le 3 février dernier. Elle disait dans sa lettre que les industries canadiennes ciblées par les États-Unis -- l'acier, la matière plastique, le textile et le vêtement, les pâtes et papier et les produits de bois -- représentaient des exportations annuelles d'une valeur de plus de 45 milliards de dollars vers les États-Unis.
Mme Copps: Elles sont très importantes pour Sault Ste. Marie et Hamilton.
Le sénateur Kelleher: L'alliance signalait également que des milliers d'emplois étaient en jeu. La ministre croit-elle que l'exemption dite culturelle de l'ALENA protégera les employés et les exportateurs canadiens contre les représailles américaines?
Mme Copps: Je ne dirais pas que l'ALENA est la tribune qui pourra résoudre cette question, en partie parce que nous avons précisé dès le départ que nous nous étions conformés à l'OMC; nous avons suivi tout le processus de l'OMC et nous ne voudrions pas nous faire accuser de choisir la tribune qui nous convient.
Le sénateur Kelleher: Je comprends. Toutefois, sauf erreur, je crois que les Américains comptent recourir aux dispositions de l'ALENA en ce qui concerne les mesures de rétorsion.
Mme Copps: Je ne suis pas sûre de leurs intentions. On peut sans doute dire, sénateur, que nous sommes tous extrêmement conscients du fait que nous ne voulons pas compromettre les emplois des Canadiens. Nous savons également que le projet de loi C-55 ne va pas faire perdre un seul emploi aux Américains. Pour ce qui est des pertes d'emploi, il serait difficile de demander un dédommagement pour des emplois qui n'ont pas été perdus.
Le sénateur Kelleher: Si cela se produit, le gouvernement du Canada va-t-il dédommager les exportateurs canadiens qui sont visés par des mesures de rétorsion à cause du projet de loi C-55?
Mme Copps: Je ne pense pas qu'il soit prudent, pour le moment, de se perdre en conjectures quant aux mesures qui pourraient être prises par les Américains.
Le sénateur Kelleher: Avez-vous exploré ou examiné la question?
Mme Copps: Lorsque nous avons examiné l'éventail d'options qui s'offraient à nous, nous avons tout considéré, y compris les meilleurs avis internationaux dont nous disposions et selon lesquels ce projet de loi est conforme à l'OMC et à l'ALENA.
Quant aux mesures que les États-Unis pourraient prendre, c'est purement hypothétique.
[Français]
Le sénateur Poulin: Vous démontrez depuis le début de notre session le courage de vos convictions. Dans notre pays, si l'on peut se vanter aujourd'hui d'avoir une culture diversifiée, c'est qu'à certains moments de l'histoire, des gens, des gouvernements et des institutions ont eu à prendre des décisions difficiles, des décisions clés, qui ont permis aux divers secteurs culturels de continuer à progresser.
J'aimerais quand même reconnaître, comme vous l'avez fait dans vos remarques d'ouverture, la complexité du projet de loi C-55. Ce n'est pas seulement une question culturelle, de commerce international, mais c'est aussi une question d'emploi au Canada.
À titre de Franco-Ontarienne, je représente le nord de l'Ontario au Sénat et j'ai été élevée dans un environnement dans lequel nous avons toujours été une minorité, tout comme notre pays est une minorité en Amérique du Nord. Nous sommes vraiment habitués à ces questions, tout comme la communauté anglophone du Québec; comme le sénateur Lynch-Staunton le disait tantôt, nous vivons la même expérience. Dans vos remarques d'ouverture, vous avez dit précisément, et je vous cite:
It would be extremely dangerous not to pass C-55.
Pourriez-vous nous dire quels seraient les impacts sur l'industrie si le projet de loi C-55 n'était pas adopté?
Mme Copps: Lorsque vous parlez des moments clés dans l'histoire, le projet de loi C-55 touche un nouveau terrain. Si nous avons décidé, suite à la décision de l'OMC de l'an dernier, de ne rien faire et de laisser les consommateurs faire un choix selon un libre accès plus américanisé que le nôtre, il est certain que les voix que nous avions développées depuis 30 ans n'existaient pas quand j'étais jeune. Par exemple, les voix qui assurent la voix minoritaire sur le continent nord-américain ne seront pas écoutées.
[Traduction]
C'est peut-être une des choses que les Américains ne comprennent pas. L'histoire de notre pays a commencé avec deux peuples et deux langues qui se sont unis pour créer un pays.
Cela veut dire qu'il a fallu parfois faire des accommodements en faveur de la minorité qui n'étaient pas simplement dictés par des intérêts économiques. Nous avons dit dès le départ...
[Français]
On va respecter deux langues officielles, on va avoir deux peuples fondateurs. Il est assez facile pour les Canadiens, même pour ceux de l'Alberta et de la Colombie-Britannique, de comprendre pourquoi on a besoin d'outils pour appuyer et protéger notre culture et notre langue. Pour les Américains, c'est vraiment terra incognita.
[Traduction]
Lorsque vous discutez avec eux de la raison d'être de cette loi, ils partent du principe que la culture n'a pas besoin d'être protégée; que nous n'avons pas besoin d'un ministre de la Culture étant donné qu'on ne crée pas la culture. Bien sûr que nous ne créons pas la culture. En même temps, quatre des cinq partis représentés à la Chambre -- une Chambre qui n'a pas toujours été unanime -- ont appuyé ce principe. C'est étonnant qu'il y ait ce consensus. Au Canada, le point de vue de la minorité doit être protégé. Cette loi ne dresse pas de murs. Dans cette vaste Amérique du Nord, que nous partageons avec la plus grande puissance géopolitique au monde, nous avons besoin d'un petit espace pour nos propres histoires.
[Français]
Ce n'est pas du jour au lendemain que nous serons noyés, mais d'ici 30 ou 40 ans, si on n'a que les instruments américains, ce sera certainement notre sort à long terme.
[Traduction]
Le sénateur Poulin: Notre comité a créé un sous-comité chargé d'étudier la compétitivité du Canada sur la scène internationale dans le cadre de la révolution technologique. Quelle sera selon vous l'incidence de cette révolution technologique sur le projet de loi C-55?
Mme Copps: Il s'agit d'une nouvelle approche, car cette mesure porte sur les services. À l'heure actuelle, dans le domaine des services, nous ne sommes pas tenus d'accorder le traitement national aux sociétés étrangères. Fait intéressant à noter, les publicitaires eux-mêmes, dont vous entendrez sans nul doute le témoignage, réagiraient de façon très énergique si nous offrions le traitement national à leurs homologues américains.
Au Canada, les compagnies d'assurance admettent que nous appliquions des règles différentes à l'égard de leurs activités chez nous. Les banques de notre pays accordent le traitement national à nos propres ressortissants et non aux Américains. Dans le cas des services, nous avons décidé d'adopter le régime du traitement national, ce qui est unique au Canada pour des raisons très précises. Le projet de loi est novateur. Il tient compte d'une décision que nous avons prise dans le cadre du GATT de ne pas adhérer aux dispositions relatives au traitement national pour les services. D'autres pays suivent de près ce dossier pour voir s'il serait opportun d'appliquer ce traitement à leur propre secteur des services à l'avenir.
Le sénateur Roberge: Madame la ministre, vous avez dit il y a un instant que le projet de loi résisterait à un examen minutieux. Quelques aspects me préoccupent. Cette mesure a pour objet d'empêcher les éditeurs de périodiques américains d'avoir accès au marché canadien de la publicité. Cet obstacle a un effet manifestement perturbateur sur le commerce. L'autre conséquence indirecte est d'empêcher la vente au Canada des revues américaines à tirage dédoublé, ce qui a pour effet de perturber les conditions de la concurrence.
Admettez-vous que ces deux aspects risquent certainement d'avoir des répercussions sur le GATT?
Mme Copps: Les personnes mêmes qui préconisent la protection des marchés pour la publicité soutiendront avec véhémence que celle-ci devrait être exclue du traitement national. Il faut examiner la voie que nous avons décidé de suivre dans le cadre du GATT. Les annonceurs, qui soutiennent que nous les empêchons d'exprimer leurs vues sur leur marché de produits, sont ceux-là mêmes qui refusent qu'on accorde le traitement national aux publicitaires américains. Ils défendent énergiquement le droit des publicitaires canadiens d'avoir un accès exclusif aux marchés de l'État. Cet usage est tout à fait conforme à la législation et acceptable en vertu du GATT.
Il faudrait prévoir la même exclusivité de traitement pour les périodiques. Si on essaie de comprendre pourquoi il faut cibler les services, il faut savoir d'abord que les services publicitaires au Canada comptent sur un bassin d'au plus 30 millions de lecteurs. Une publication américaine, qui a déjà été rentabilisée grâce à un marché de 290 millions de lecteurs, est vendue au Canada sous forme de tirage dédoublé qui ne coûte pratiquement rien. On peut difficilement parler de concurrence loyale dans ce cas.
Il vous faudra analyser la question sous l'angle de la concurrence. Le projet de loi C-55 représente une tentative de notre part de garantir un débouché aux périodiques canadiens. Nous voulons que ceux-ci soient exclusivement canadiens, tout en reconnaissant que le marché représente au maximum 30 millions de lecteurs. Le projet de loi essaie de leur permettre de continuer de raconter nos histoires tout en soutenant la concurrence de revues qui jouissent d'un marché de 250 à 280 millions de lecteurs. Nous sommes confrontés à des économies d'échelle, qui sont à 10 contre 1 en faveur des Américains. Par ce projet de loi, nous reconnaissons qu'il faut adopter des instruments particuliers pour les services publicitaires destinés au marché canadien tout en respectant absolument nos obligations aux termes du GATT. La question cruciale qu'il faut poser aux annonceurs qui prétendent que c'est de la discrimination, c'est s'ils recherchent véritablement une ouverture du marché de la publicité dans notre pays. Ce n'est pas le cas.
Le sénateur Grafstein: La ministre a touché au coeur du problème. L'accès équitable à notre marché. Comment pouvons-nous permettre aux Canadiens, aux créateurs dans le domaine de l'édition, d'avoir un accès équitable à leur propre marché?
Vous pourriez peut-être m'aider en me présentant certaines données. Vous avez dit que les publications américaines occupent 80 p. 100 de l'espace sur les présentoirs. Cela laisse 20 p. 100 aux revues canadiennes, en français, en anglais et dans une troisième langue.
D'après les données concernant la publicité qui se trouvent dans certains documents, les recettes provenant de toutes les sources de publicité au Canada sont de l'ordre de 600 millions de dollars. Quelle proportion est déjà accaparée par les publications étrangères jouissant de droits acquis comme Time et Readers Digest? Combien reste-t-il pour les Canadiens?
Mme Copps: Sur les 20 principales revues vendues par abonnement au Canada, 19 sont canadiennes. L'autre donnée à prendre en ligne de compte, c'est que 60 p. 100 des abonnements à domicile concernent des publications canadiennes. Le pourcentage des abonnements à domicile compense les 80 p. 100 d'espace qu'occupent les magazines américains dans nos kiosques. Les instruments fiscaux dont jouissent exclusivement les éditeurs canadiens aident les 60 p. 100, qui profitent déjà d'une subvention postale, ce qu'il nous faudra également remanier en raison de l'OMC.
M. Wernick m'informe que les recettes publicitaires provenant du Time sont de l'ordre de 10 p. 100.
M. Michael Wernick, sous-ministre adjoint, Développement culturel, Patrimoine Canada: Pour ce qui est de la part totale de ces 600 millions de dollars, les deux seules publications importantes sont Time Canada et Readers Digest, qui toutes deux comptent pour 5 p. 100 de ces recettes. En fait, techniquement, Readers Digest est une publication canadienne.
Le sénateur Grafstein: Ainsi, il reste environ 550 millions de dollars pour toutes les autres revues canadiennes. Quel revenu économique total représente le marché des abonnements?
Vous pourrez me fournir ces réponses plus tard.
Mme Copps: Si vous voulez nous remettre une liste de questions, nous vous fournirons les données exactes.
M. Wernick: C'est 200 millions de dollars, sénateur.
Le sénateur Grafstein: Avez-vous examiné les taux de rendement des revues canadiennes par rapport aux américaines? Bon nombre d'entre nous ici sont des gens d'affaires. Nous tenons compte des marges bénéficiaires pour établir s'il nous est possible d'être concurrentiels, en fonction des bénéfices.
Mme Copps: Les représentants du monde de l'édition vous fourniront sans doute une meilleure réponse que moi. Ce sont eux qui font les comparaisons et examinent les chiffres en cause. D'après les discussions que j'ai eues, toutefois, si nous avions une édition en gros de publications américaines avec uniquement de la publicité canadienne et un contenu américain, il serait possible aux Américains de mettre sur le marché un produit pour environ un tiers du prix de ce que cela coûterait aux Canadiens pour mettre le même produit sur le marché. C'est la référence de prix.
Le sénateur Grafstein: Il existe un facteur économique injuste d'après les chiffres que vous nous avez donnés, soit 200 millions de dollars environ par rapport à 30 millions de dollars, même si c'est sans doute moins lorsqu'on ne tient pas compte des revues francophones.
Mme Copps: Ils ont parlé d'environ 35 p. 100, car pour se faire une place sur le marché, il faut principalement constituer une force de ventes publicitaires, et cela entraîne des dépenses.
Le sénateur Grafstein: D'après les chiffres pour le Canada, avez-vous calculé les avantages indirects que cela représente pour les éditeurs américains? Quel avantage retirent-t-ils de la publicité indirecte? Par exemple, une revue américaine fait de la publicité pour un produit de General Motors qui est vendu au Canada et aux États-Unis, et la société General Motors n'a donc pas besoin d'investir dans une publication canadienne.
M. Allan Clarke, directeur, Politiques et programmes de l'édition, Patrimoine canadien: Environ 3 à 5 p. 100 de la diffusion des revues américaines a lieu au Canada. En nous fondant sur ces chiffres, nous avons fait certains calculs nous-mêmes et nous pensons que les 40 principales revues américaines rapportent près de 148 millions de dollars en publicité indirecte au Canada.
Le sénateur Grafstein: Il s'agit donc plus ou moins d'une sorte de dumping artificiel au Canada, puisque cela prive les Canadiens d'un accès équitable à ces recettes publicitaires nationales. Est-ce exact?
Mme Copps: Vous entrez sur le terrain politique.
Le sénateur Grafstein: Je ne pense pas que ce soit politique. C'est une question économique.
Mme Copps: Elle est à la fois politique et économique, mais lors de vos délibérations, il serait bon que vous vous penchiez sur la définition de concurrence loyale. Le conseil des ministres est fermement convaincu que le projet de loi C-55 est essentiel pour garantir une concurrence loyale. Vous êtes beaucoup plus expert que moi en la matière, étant donné vos antécédents dans le domaine de la publicité. Il vous faudra poser ces questions aux représentants de Time Canada et à d'autres lorsqu'ils comparaîtront devant le comité.
Le sénateur Grafstein: Je n'ai jamais travaillé dans la publicité, mais je connais assez bien la question.
Madame la ministre, ne pensez-vous pas que vos mesures ne vont pas assez loin? Compte tenu de la taille du marché et de la toute petite marge de manoeuvre dont disposent les éditeurs de périodiques canadiens, ce projet de loi va-t-il assez loin? Il y a des débordements. Permettez-moi de vous donner un exemple.
Si 125 ou 150 millions de dollars sont déversés au Canada à cause d'une décision politique nous empêchant d'en profiter, est-ce une mesure équitable pour les producteurs canadiens? Les Américains croient à des règles du jeu équitables dans le domaine du commerce. Dans le secteur que nous examinons, les règles du jeu ne sont pas équitables. Votre projet de loi va-t-il assez loin? Faudrait-il se pencher sur certaines questions connexes?
Il faut également dans ce contexte parler du cyberespace. La revue Time est disponible sur l'Internet au Canada et les Canadiens en profitent. Je suis sûr qu'ils ne s'en privent pas. Je sais que personnellement, je lis régulièrement le New York Times. Pour en revenir à la technologie, allons-nous finir par être saturés par le cyberespace sur notre propre marché également, si le Time amortit ses dépenses aux États-Unis et renonce à la publicité indirecte au Canada, pour être diffusée ensuite sur l'Internet à un coût minime, en utilisant la même ligne numérique, ce qui lui permet de faire de la publicité au Canada?
Cela nous ramène à la question technologique soulevée par le sénateur Poulin. Le projet de loi va-t-il assez loin?
Mme Copps: À mon avis, le projet de loi répond de façon très précise et directe aux exigences de l'OMC. La phase 3 des mesures sur les droits d'auteur fera l'objet d'un livre blanc. Le fait qu'on me reproche d'être trop conservatrice me réjouit, sénateur Grafstein.
Le sénateur Tkachuk: Madame la ministre, j'essaie d'établir si ce projet de loi porte sur une question d'ordre culturel ou financier. Mes questions seront de nature politique. Il paraît que vous avez déclaré que nous devons insister pour préserver notre propre espace culturel, où nous pourrons exprimer nos idées, nos valeurs et notre identité, ce qui constitue la première justification de ce projet de loi.
Comment le fait d'empêcher la revue Sports Illustrated d'être publiée au Canada va-t-il aider la culture canadienne?
Mme Copps: Sénateur, je n'ai pas proposé ce projet de loi pour remplir les poches de gens d'affaires aisés, et je n'ai pas non plus l'intention de me plier aux caprices d'une ou deux grosses entreprises au Canada. Pendant mon enfance, au Canada, il m'était impossible de lire des histoires canadiennes et je ne veux pas que ma fille se trouve dans le même cas. Lorsque j'ai grandi dans les années 60, je lisais Tom Alderman dans la revue Weekend et c'est à peu près tout ce que nous avions pour lire des récits nous concernant.
À mon sens, ce projet de loi jouit d'un très vaste appui précisément parce qu'il ne concerne pas un secteur d'activité unique. Il ne porte pas simplement sur l'industrie des publications. Entre 55 et 60 organismes culturels nationaux ont dit appuyer ce projet de loi; bon nombre d'entre eux n'ont rien à gagner des ventes de magazines. Ils appuient ce projet de loi parce qu'ils considèrent qu'il permet à notre pays d'affirmer son droit à son espace et sa représentation culturelle.
Le sénateur Tkachuk: Vous avez dit que lorsque vous étiez enfant vous ne lisiez pas de revues canadiennes, mais je pense que vous êtes très canadienne quand même. Je ne pense pas que vous soyez devenue américaine ou européenne ou que vous ayez perdu votre culture canadienne.
J'en reviens à ma question. En quoi ce projet de loi sera-t-il utile? Vous insistez en disant que nous prenons ces mesures pour nous permettre de lire des histoires concernant notre propre culture. Je vous le répète: en quoi le fait d'interdire la publication de Sports Illustrated au Canada va-t-il aider la culture canadienne?
Mme Copps: J'ai grandi à une soixantaine de kilomètres de la frontière américaine, au début de l'ère de Irv Weinstein. Aujourd'hui, les prévisions de Marshall McLuhan semblent se réaliser. Le monde où ma fille va vivre est très différent de celui où j'ai grandi. La première fois que j'ai pris l'avion, j'avais 16 ans et je me rendais aux obsèques de mon oncle. La deuxième fois, j'avais 20 ans et j'allais en voyage dans un pays étranger. Pour ma famille, un voyage à Toronto ou à Montréal en voiture représentait un grand voyage.
Le sénateur Tkachuk: Pour moi, c'est toujours un grand voyage que d'aller à Toronto.
Mme Copps: Nous vivons à une époque où, pour la génération de ma fille, les jeunes sont confrontés à des références culturelles du monde entier. Leurs références culturelles sont beaucoup plus vastes. Le défi que doit relever notre pays est de faire en sorte de conserver nos références culturelles tout en étant ouverts aux autres cultures.
On peut trouver la plus récente édition de Sports Illustrated spécial maillots de bain à Prince Albert. Personne n'empêche les gens de lire le spécial maillots de bain. Toutefois, parallèlement, j'aimerais pouvoir trouver également le Observer de l'Église unie, et d'autres publications.
Le sénateur Tkachuk: Ces publications ne seront pas touchées, toutefois. Une poignée ont à craindre la concurrence. Cependant, des revues comme London Magazine, Nature Canada, Swedish Press, Toronto Life -- autant de publications faisant partie du monde de l'érudition de la vie politique et des intérêts spéciaux -- sont rentabilisées grâce aux abonnements. En quoi le projet de loi C-55 va-t-il les aider? Je pose la question car elle me paraît importante.
Mme Copps: Un éminent journaliste de la télévision, qui travaille pour une station que je ne nommerai pas, m'a dit que si les publications canadiennes sont bonnes, les gens les achèteront. Je lui ai répondu qu'il avait parfaitement raison. Je lui ai dit: «Vous êtes un journaliste fantastique. Toutefois, si personne n'achète d'espace publicitaire demain, qui va payer votre traitement?»
Parlons de Legion Magazine, une publication que nous aimons tous beaucoup, et à laquelle nous nous abonnons en grand nombre. La raison d'être des publications canadiennes, par rapport à leur capacité de vendre des abonnements, repose sur le fait qu'elles comptent sur un certain bassin d'abonnés. Si on est membre de la Légion canadienne, on reçoit automatiquement un abonnement à Legion Magazine. Si demain cette publication perd un certain nombre de ses 400 000 abonnés -- non pas parce que la qualité de la publication a diminué mais parce que, à la suite d'une décision de l'OMC, le système de paiement est différent -- et que le nombre d'abonnés tombe à 200 000, les annonceurs qui achètent les espaces publicitaires grâce auxquels la revue est rentable refuseront de payer aussi cher. Cela n'a rien à voir avec la qualité de la publication. En fait, c'est lié au fait que ce sont les recettes publicitaires qui permettent à la revue d'être rentable.
Comme vous le dira tout éditeur de périodique, ce projet de loi jouit de l'appui unanime des cadres supérieurs de tous les éditeurs de revues au Canada, du plus petit au plus grand. Si cette mesure vise simplement à venir en aide à deux entreprises, comme semblent le dire certains articles de journaux, comment se fait-il que tous les représentants du monde de l'édition appuient sans réserve ce projet de loi? C'est parce qu'ils comprennent que ce sont les recettes publicitaires qui financent le contenu, et pas simplement les abonnements.
Le sénateur Tkachuk: Parlons de la Canadian Magazine Publishers Association, qui compte environ 270 membres. L'un de vos fonctionnaires ou vous-même connaissez peut-être la réponse à la question suivante. Si l'on tient compte de la diffusion et des sommes en cause, combien parmi ce groupe tombent sous le contrôle de Télémédia et de Maclean Hunter? Je ne veux pas de chiffres, car il existe un grand nombre de petites revues d'intérêt particulier, mais j'aimerais connaître la réponse en termes de diffusion et de dollars.
Mme Copps: Ce sont les plus gros joueurs. Il faut également souligner que les membres de l'exécutif de la Canadian Magazine Publishers Association, qui représentent toute une gamme d'éditeurs, appuient à l'unanimité cette position. Il n'y a pas que ces deux joueurs, mais c'est bien l'opinion collective des éditeurs de revues.
Le sénateur Tkachuk: Je suppose toutefois que ce sont les deux principales entreprises de cette association, tant pour ce qui est de la diffusion que des sommes en cause.
Mme Copps: En effet.
Le sénateur Tkachuk: Les revues comme Canadian Living et Maclean's sont toutes publiées dans l'Est du Canada. Elles représentent un point de vue qui m'est sans doute étranger.
Je ne vois toujours pas en quoi cela pourrait nuire à la culture canadienne -- parce que vous n'avez toujours pas répondu à la question -- si la revue Sports Illustrated était disponible au Canada. Nous n'avons pas une revue nationale sur l'informatique au Canada. Comment une présence américaine, soit sous forme d'une coopérative ou d'une revue, nuirait-elle à la culture canadienne? Je ne pense pas que ce projet de loi nous permettra de préserver la culture canadienne.
Pouvez-vous m'expliquer comment on aidera la culture canadienne en empêchant la distribution de ces revues au Canada. Vous ne me l'avez toujours pas dit.
Mme Copps: J'ai essayé de vous dire que la survie des périodiques canadiens dépend des recettes publicitaires.
Le sénateur Tkachuk: Je comprends.
Mme Copps: La revue Sports Illustrated est actuellement distribuée au Canada, elle est lue par nombre de Canadiens. Elle ne peut cependant arriver ici et s'emparer des dollars consacrés à des espaces publicitaires qui ciblent le marché canadien parce que cet argent représente la survie même du contenu des magazines canadiens.
Je crois que le sénateur Grafstein a également signalé que même dans les circonstances actuelles, environ 150 millions de dollars en publicité sont dépensés pour des revues qui proviennent des États-Unis, par exemple lorsque Nike ou GM ou d'autres groupes achètent un espace publicitaire et 3 à 5 p. 100 de leurs lecteurs sont au Canada. Je dis que si les espaces publicitaires ne sont pas achetés sur le marché canadien, il n'y aura pas de périodiques canadiens.
Le sénateur Tkachuk: Les entreprises canadiennes ne peuvent donc pas se servir d'une revue qui trouve un bon nombre de lecteurs au Canada pour faire de la publicité. Elles ne peuvent pas faire de la publicité dans les revues américaines parce que c'est trop coûteux.
Mme Copps: Elles peuvent faire de la publicité aujourd'hui dans Sports Illustrated, elles peuvent continuer à faire de la publicité. Cette loi n'empêche quiconque de faire ce qu'il fait déjà aujourd'hui.
Le sénateur Tkachuk: Cependant, elles doivent payer les tarifs associés à une revue qui est diffusée partout en Amérique du Nord. N'est-ce pas?
Mme Copps: Elles peuvent acheter la publicité dans l'édition nord-américaine.
Le sénateur Tkachuk: Supposons qu'une petite entreprise canadienne fabrique de l'équipement sportif au Canada -- par exemple l'équipement de hockey -- et veut faire de la publicité dans une revue sur les sports.
Mme Copps: Ce n'est peut-être pas un bon exemple parce qu'il y a plus d'équipes de hockey aux États-Unis qu'au Canada.
Le sénateur Tkachuk: Ne lui est-il pas interdit de le faire?
Mme Copps: Cette mesure législative empêche en effet l'écrémage des budgets réservés à la publicité au Canada.
Le sénateur Perrault: Honorables sénateurs, vous serez peut-être surpris d'apprendre que dans l'ensemble j'appuie cette mesure législative. Cependant, à la lecture de la proposition, j'ai comme l'impression qu'on essaie de mettre un emplâtre sur une jambe de bois. Les choses s'enveniment dans cette affaire.
Il y a environ deux semaines, on a découvert une technique qui permet de présenter à l'Internet des disques compacts de qualité supérieure. Il en résultera une révolution dans la vente d'enregistrements, que ce soit chez Joe sur la rue Principale ou chez une grande compagnie du centre-ville de Toronto. Amazon.com est la plus importante librairie électronique du monde. Des centaines de commandes canadiennes sont acheminées vers Amazon aux États-Unis chaque jour. Il existe à cet égard un problème de compétence énorme. Nous ne pouvons réglementer le contenu. Sera-t-il possible de limiter les pourcentages associés à la publicité sur l'Internet? Personne n'a trouvé de façon de contrôler cette bête que nous avons créée.
Je crois que cette mesure législative est bonne. Cependant, lorsque je constate que l'on ne peut même pas bloquer le matériel pornographique sur l'Internet, il y a lieu de se demander: que nous réserve l'avenir? Cela représente un défi de taille pour les périodiques canadiens. Je ne sais pas vraiment ce qu'on peut faire.
Hier, en me préparant à cette réunion, j'ai consulté l'Internet. J'ai trouvé une boutique en Irlande. Si vous êtes né dans le comté de Mayo, vous pouvez communiquer avec cette boutique pour obtenir la bague de votre clan. Puis, j'ai trouvé un site en Écosse où l'on vend des kilts à la douzaine à des clients du Canada. Ces gens ne font pas de publicité dans les revues. Ils profitent du moyen de communication le plus efficace créé par l'homme, l'Internet.
Le sénateur Oliver: On appelle ça le commerce électronique.
Le sénateur Perrault: On retrouve des services professionnels, des services alimentaires. Vous pouvez faire venir du jambon des États-Unis.
Compte tenu de tous les services qu'on offre ainsi sur l'Internet, que pourra faire le marchand canadien pour relever un défi qui est beaucoup plus important que ceux qu'il a été appelé à relever jusqu'ici?
Mme Copps: Dans le contexte plus général, beaucoup d'autres pays cherchent des solutions internationales. Le Canada n'est pas le seul. Je crois que ceux qui demandent une plus grande diversité se font entendre, et ce dans toutes les régions du monde. Nous devons réunir certains grands penseurs dans ce domaine pour trouver des solutions, qui existent sans aucun doute.
Le sénateur Perrault: Est-ce que les fonctionnaires de votre ministère cherchent à trouver des façons de relever ce défi?
Mme Copps: Oui.
Le sénateur Perrault: Certains commerçants canadiens ne pourront pas lutter contre le genre de publicité que vous pouvez obtenir sur l'Internet pour quelques sous.
Mme Copps: On se penche sur la question. À plus long terme, vous voudrez peut-être lire le rapport présenté par le groupe de consultations sectorielles sur le commerce extérieur pour le secteur de la culture au ministère du Commerce international; il y est question de la façon de relever ces défis internationaux. Les commentaires présentés ne visent pas directement l'Internet mais plutôt la mondialisation. On fait état des questions clés, ce qui explique pourquoi les gens surveillent ce projet de loi de si près. L'intérêt qu'il présente ne se situe pas sur le plan économique.
Le cas d'un pays comme le Canada qui essaie de protéger son espace culturel au XXIe siècle intéresse nombre de pays. Ces derniers suivent l'affaire de près pour voir si nous allons réussir.
Le sénateur Perrault: L'Internet doit certainement être le plus important défi qu'on ait jamais eu à relever.
La présidente: Sénateur Perrault, voulez-vous poser des questions sur le projet de loi C-55?
Le sénateur Perrault: Tout cela touche le projet de loi C-55, parce que c'est le premier jalon d'une lutte pour relever tous les défis qui se présentent. Ce n'est qu'un tout petit jalon, mais j'ai l'intention de l'appuyer.
Le sénateur Spivak: Madame la ministre, en ce qui a trait aux discussions du Canada avec les Américains, on dit dans les journaux que la question fondamentale est le contenu canadien. Pouvez-vous nous en dire un petit peu plus long sur ces discussions? On a également parlé d'un compromis. Quelles sont nos exigences, que sommes-nous prêts à céder? Pourquoi cela serait-il acceptable?
Mon collègue le sénateur Kelleher m'a signalé qu'aux termes de l'ALENA, la seule mesure de représailles que les Américains peuvent prendre est celle qui a un impact commercial équivalent. Quand ils menacent de prendre des mesures qui nous coûteront des milliards de dollars, cela veut-il dire qu'ils ont l'intention de prendre des mesures illégales sans que personne ne leur demande des comptes?
Nous avons rencontré des éditeurs canadiens. Dans votre énoncé vous dites qu'aucun emploi ne disparaîtrait dans le secteur de l'édition américain. Je pose peut-être une question politique, mais est-il vrai que cela s'explique par les actions de Time Warner, et que le lobbying que cette compagnie mène vise à faire un exemple pour les autres pays. Évidemment, ce n'est pas la seule explication. Le fait est qu'ils ne veulent pas simplement 80 p. 100 du marché; ils veulent tout le marché -- et pas simplement dans le domaine des revues.
Mme Copps: Madame la présidente, allez-vous entendre des représentants de Time Warner ou de Time Inc.?
La présidente: Nous entendrons des représentants de Time Canada, mais pas de Time Warner.
Mme Copps: J'ai cru comprendre qu'en fait c'était le représentant commercial américain qui s'était adressé aux éditeurs pour contester notre mesure, et non pas le contraire.
Le sénateur Spivak: Cela démontre encore plus clairement qu'ils veulent faire un exemple pour le reste du monde.
Mme Copps: Je ne nommerai pas une compagnie en particulier.
Quant aux représailles, il y a des avocats dans cette salle qui pourront faire des commentaires beaucoup plus éclairés que moi. Je ne suis pas avocate, mais les renseignements dont nous disposons indiquent clairement qu'une exception culturelle aux termes de l'ALE, si on y a recours, entraînerait des mesures ayant un effet commercial équivalent. Ainsi, cette prétendue liste dont on parle dans les journaux n'a rien à voir avec les engagements internationaux des Américains. Nous nous attendons à ce que les Américains respectent leurs engagements.
Le sénateur Spivak: Croyez-vous que ce sont là des menaces vaines? Pensez-vous qu'ils ne sont pas vraiment sérieux lorsqu'ils parlent de milliards de dollars, ou quel que soit le montant?
Mme Copps: De toute évidence, au niveau commercial, on a décidé de nommer certaines industries pour faire plus d'effet sur le plan politique. Prenez par exemple l'industrie de l'acier, une industrie très intégrée. Rien ne motive le choix de l'industrie de l'acier, si ce n'est le fait qu'il y a plus d'aciéries dans ma circonscription que n'importe où ailleurs au Canada.
Lorsque j'ai discuté avec l'ambassadeur des États-Unis il y a quelques mois, je lui ai dit: «Nous, Canadiens, voulons seulement nous assurer que les voix canadiennes aient de l'espace pour se faire entendre. Dans un sens, c'est une question de contenu, n'est-ce pas?» Il s'est dit favorable à cette perspective. Il a dit que c'était une question dont il était prêt à discuter avec ses collègues. Dans ces pourparlers, les États-Unis n'ont pas encore reconnu la nécessité de stratégies particulières concernant le contenu. On s'en est tenu essentiellement à des discussions.
Le sénateur Kinsella: Madame la ministre, des négociations ou des discussions ont-elles lieu cette semaine entre nos fonctionnaires et les Américains?
Mme Copps: Non.
Le sénateur Kinsella: Prévoyez-vous que des discussions se tiendront la semaine prochaine?
Mme Copps: Probablement la semaine prochaine. Il y a eu une rencontre la semaine dernière.
Le sénateur Kinsella: Est-il exact que votre sous-ministre fait officiellement partie de notre équipe?
Mme Copps: Non. C'est au niveau du directeur général.
Le sénateur Kinsella: Vous attendez-vous à ce qu'il y ait une rencontre à votre niveau, au niveau politique, avec les Américains prochainement?
Mme Copps: Je n'ai pas d'homologue politique aux États-Unis.
Le sénateur Kinsella: Madame la ministre, voici à quoi je veux en venir. Bon nombre d'entre nous veulent que notre ministre canadien soit bien armé dans les négociations avec nos amis du Sud. Pour faire suite quelque peu à la question qu'a posée le sénateur Lynch-Staunton au début, à votre avis, seriez-vous mieux armée, à titre de ministre qui nous représente, pour poursuivre cette affaire avec nos amis américains si ce projet de loi non seulement était adopté mais recevait aussi la sanction royale?
Mme Copps: Je ne suis pas avocate. Je ne veux poursuivre personne.
Le sénateur Kinsella: Permettez-moi alors de changer de terme.
Mme Copps: Je comprends ce que vous dites.
Le sénateur Kinsella: J'ai soulevé cette question à la deuxième lecture, comme vous l'avez dit dans votre allocution liminaire, mais certains d'entre nous pensent que ce projet de loi soulève des questions d'une nature technique. Vous êtes le ministre qui nous représente et nous ne voulons pas vous nuire et affaiblir notre position de négociation. Voilà pourquoi j'ai personnellement des réserves chaque fois qu'il est question d'amender ce projet de loi sur le plan technique. Voilà pourquoi j'aimerais que vous nous disiez si vous pensez que votre position serait plus solide si cette loi était adoptée par le Sénat et recevait la sanction royale.
Mme Copps: La meilleure façon d'atteindre nos objectifs, c'est d'adopter le projet de loi C-55. À moins que quelqu'un nous propose une autre solution, je crois que le projet de loi C-55 doit être adopté le plus vite possible.
Le sénateur Kinsella: Si le projet de loi était adopté par le Sénat d'ici jeudi 22 avril...
La présidente: Nous devons entendre des témoins. C'est prévu.
Le sénateur Kinsella: La présidente m'a fait oublier ma question.
Madame la ministre, je sais que vous avez aussi des responsabilités en matière de droits de la personne et je suis heureux de voir que cette question vous intéresse parce que le sénateur Beaudoin et moi-même avons une question technique à vous poser au sujet de la conformité à la Charte. Nous admettons aussi que le droit à l'expression, comme tous les autres droits, est assujetti à des limites, et c'est même pourquoi nous avons adopté une résolution au Sénat où nous avons exprimé, il n'y a pas si longtemps, notre dégoût envers un périodique tout à fait dégradant, de manière à démontrer clairement que la liberté d'expression a ses limites.
La question que je vous pose porte sur le paragraphe 3(1). Étant donné que la loi réglementant les produits du tabac a été jugée inconstitutionnelle par la Cour suprême du Canada, certains d'entre nous se demandent si le même sort n'attend pas ce projet de loi. Voulez-vous nous en parler? Dans quelle mesure votre projet de loi est-il différent, à votre avis, pour ce qui est d'une limite raisonnable?
Mme Copps: Je ne peux que citer les opinions juridiques que nous avons reçues au sujet de ce projet de loi. Je n'ai demandé aucune opinion juridique sur l'invalidation de la loi réglementant les produits du tabac, et je n'ai pris aucune part à leur facture; je ne suis donc pas vraiment en mesure d'établir une comparaison. Je peux vous dire que nos avocats ont la conviction que ce projet de loi est respectueux de la Charte et de nos obligations internationales.
[Français]
Le sénateur Beaudoin: D'entrée de jeu, je suis très favorable aux lois qui portent sur la diversité culturelle, qui font la promotion de l'identité canadienne. On peut réglementer la liberté d'expression et défendre notre culture, c'est évident, la Cour suprême a toujours été claire là-dessus.
Lorsqu'on crée une prohibition, cela me tracasse, ce que vous appelez en anglais «absolute ban on publicity». La publicité qui fait l'objet d'une réglementation est tout à fait valide. Mais la publicité qui est complètement écartée par une mesure législative est discutable.
Nous avons mentionné la cause du tabac où on avait créé une prohibition absolue dans la publicité. La Cour suprême a dit non: si votre publicité est réglementée, c'est valide mais elle ne doit pas être prohibée. Nous aurons peut-être l'occasion d'interroger des juristes au cours des jours qui viennent.
On a quand même le certificat du ministre de la Justice disant que votre projet de loi C-55 ne viole pas l'article 2 de la Charte des droits et libertés. J'aimerais quand même, pour la paix de mon âme, en savoir un peu plus à ce sujet.
Mme Copps: Ce qui était intéressant dans tout le processus qui aboutissait au projet de loi C-55, c'est que nous considérions plusieurs options. Nous ne pouvons pas dire que dans aucune des mesures possibles, nous aurons une garantie absolue. Nous avions décidé avec la décision de l'OMC de trouver un nouveau moyen de s'assurer qu'il y aurait un suivi du contenu canadien et des services non couverts par le GATT. C'est pour cette raison que, les services publicitaires jouant un rôle très important dans la teneur du contenu, nous avons choisi ce véhicule.
Ceci dit, sur la question de la réglementation, il pourrait y avoir d'autres modalités qu'une prohibition totale. Parmi la panoplie de possibilités que nous avions, cet instrument de prohibition était le plus approprié et ce, d'après la Charte, l'OMC, L'ALENA pour le Canada.
Le sénateur Beaudoin: Vos juristes ont jugé que ce n'était pas absolu?
Mme Copps: Rien dans la vie n'est absolu!
Le sénateur Beaudoin: Il y a parfois des lois qui prohibent de façon absolue.
Mme Copps: On ne pouvait pas dire que nous allions essayer de traiter ces questions par la Charte. Il est vrai que nous avons la Charte. Nous avons aussi l'OMC, l'ALENA. Si nous posons un geste pour répondre à la Charte, il peut y avoir d'autres implications pour l'ALENA ou pour l'OMC. Il a fallu que nous essayions de trouver un instrument équilibré.
[Traduction]
Y a-t-il d'autres questions que vous aimeriez poser aux fonctionnaires?
Le sénateur Tkachuk: Je veux éclaircir quelques questions auxquelles on n'a pas répondu.
La présidente: Nous allons dire d'abord au revoir à la ministre.
Merci beaucoup, madame la ministre, d'avoir été des nôtres aujourd'hui.
Mme Copps: Merci.
Le sénateur Tkachuk: La préoccupation que j'ai exprimée plus tôt rejoint d'une certaine manière celle du sénateur Perrault. Je songe ici à la possibilité pour l'entreprise canadienne de faire de la publicité de manière à atteindre le plus grand nombre de gens. Voilà pourquoi je cite constamment la revue Sports Illustrated.
Je vous comprends quand vous dites que vous permettez à une entreprise canadienne qui fabrique des patins ou des bâtons de hockey, par exemple, de faire de la réclame dans Sports Illustrated, mais une telle entreprise doit faire de la réclame dans l'édition nord-américaine, ce qui coûte les yeux de la tête, alors que tout ce qu'elle veut, c'est s'adresser au marché canadien.
Je vais poser une question qui est à mon avis très importante pour les petits entrepreneurs, et je parle du fait qu'il n'existe pas de périodique national voué l'informatique au Canada mais qu'il y en a un aux États-Unis. Si vous créez un logiciel à Winnipeg, Saskatoon ou Vancouver, par exemple, la réalité commerciale est telle que vous devriez faire de la publicité dans un périodique informatique américain. On a beau dire que les Canadiens ont le droit de faire de la réclame dans un tel périodique informatique, mais le fait est que les entrepreneurs de ces régions, de manière générale, n'ont pas les moyens de faire de la réclame sur les marchés nord-américain. Ils veulent faire de la réclame sur le marché canadien. Autrement dit, il existe tous ces périodiques spécialisés que nous n'avons pas au Canada mais dont nous avons en fait besoin au Canada.
Si un monsieur fabrique des patins à Shawinigan, peut-il faire de la publicité dans Sports Illustrated? N'est-il pas alors obligé de payer le tarif nord-américain? Répondez par «oui» ou «non».
M. Wernick: Il n'y a rien dans ce projet de loi qui dit à un éditeur canadien ou américain quel genre de périodique publier et quel doit en être le format, le titre ou le contenu. Si un éditeur de périodique canadien décide de lancer un périodique voué au hockey, ou à tout autre sujet, ce projet de loi ne lui impose absolument aucune obligation, pas plus qu'il n'impose la moindre obligation aux éditeurs américains quant au genre de périodique qu'ils veulent offrir aux lecteurs ou aux annonceurs.
La réponse à votre question est qu'un annonceur canadien peut acheter de l'espace publicitaire où il veut dans les médias canadiens et peut aussi faire de la réclame dans l'édition américaine ou étrangère de n'importe quel périodique.
Ce projet de loi interdit la création d'un genre particulier et nouveau de périodique qui ne peut exister que sur notre continent, et qui ne serait que la version recyclée d'un périodique au contenu américain ou étranger dont la publicité viserait le marché canadien.
Le sénateur Tkachuk: Revenons à mon exemple du périodique informatique. Qu'est-ce que cela a à voir avec la culture canadienne? ? Qu'est-ce que ça peut bien faire si un périodique au tirage dédoublé offre à un entrepreneur canadien un espace publicitaire à bon marché? Ces périodiques ne font nullement concurrence à nos périodiques canadiens. Chose certaine, ils sont obligés d'ajouter du contenu canadien ou quelque chose présentant un intérêt pour les Canadiens afin d'attirer les annonceurs canadiens. Les gens n'achètent pas un périodique simplement parce qu'il existe. Newsweek ne vent que 50 000 exemplaires au Canada; Time en vend beaucoup plus; mais les Canadiens achètent Time parce que c'est un périodique de meilleure qualité, et ils achètent Maclean's parce que c'est une revue canadienne. Ça n'a rien à voir avec tout ça. Tout a à voir avec le fait que les gens veulent acheter un certain périodique.
M. Wernick: Il n'y a rien dans ce projet qui porte atteinte au droit qu'a tout Canadien de s'abonner à n'importe quel périodique dans le monde ou d'acheter un périodique au kiosque au coin de la rue s'il le veut.
Le sénateur Tkachuk: Un fabricant de produits informatiques doit acheter de la publicité sur le marché nord-américain. Le fabricant de produits sportifs qui veut faire de la publicité dans un périodique sportif doit acheter de l'espace publicitaire dans Sports Illustrated pour le marché nord-américain parce que les deux éditeurs canadiens qui contrôlent le marché au Canada, Télémédia et Maclean Hunter, n'ont pas ces deux périodiques: le périodique voué à l'informatique ou Sports Illustrated. Franchement, à moins qu'ils ne décident tout simplement d'en lancer un, ils pourraient peut-être en acheter un petit pour commencer.
Le fait est qu'il existe un problème de concentration dans notre pays. Nous n'avons pas ces périodiques parce que ces entreprises sont les deux seules qui ont les moyens de lancer de tels périodiques, n'est-ce pas?
M. Wernick: Non. Il y a plus de 1 000 éditeurs de périodiques dans notre pays. La plupart sont de petites ou moyennes entreprises. On a beau dire qu'il y a concentration à partir de tel ou tel chiffre -- quatre, huit ou douze --, mais chose certaine, les entreprises que vous dites ne contrôlent pas le marché.
Le sénateur Tkachuk: Les petits périodiques ne seront pas touchés par ce projet de loi parce que, même si l'on permettait les périodiques au tirage dédoublé, très peu en seraient touchés.
Je vais vous poser une question au sujet du périodique The Hockey News à titre d'exemple. Soixante-sept pour cent des abonnements proviennent des États-Unis. C'est un grand périodique canadien, mais qui se vend surtout aux États-Unis et non au Canada. Dans quelle mesure ce périodique aura-t-il à souffrir de ce projet de loi?
M. Wernick: Il y a dans notre pays un marché des services publicitaires pour les périodiques. Ce marché est en concurrence avec la télévision, les panneaux publicitaires et toute autre forme de publicité médiatique. Les annonceurs canadiens sont aussi mieux placés de ce fait pour faire de la publicité dans les périodiques américains. Vous partez de l'hypothèse qu'il en coûte les yeux de la tête pour faire de la publicité dans ces périodiques étrangers, ce qui n'est peut-être pas nécessairement vrai. Tout dépend du périodique, du marché qui est ciblé et de la structure tarifaire.
Le sénateur Tkachuk: Le coût est fonction du lectorat, n'est-ce pas?
M. Wernick: Certains périodiques sont très petits et très ciblés. Les structures tarifaires varient.
Je suis heureux que vous posiez la question de l'aspect économique du projet de loi. Le problème auquel on cherche à remédier par l'adoption de ce projet de loi -- et la ministre l'a dit beaucoup mieux que moi -- tient au fait que le gros des revenus que touchent les périodiques, et qui leur permettent de payer les salaires des rédacteurs, des photographes et des illustrateurs, provient de la publicité. C'est la publicité qui fait vivre un périodique. La pénétration de revues qui recyclent un contenu étranger, auquel on ajoute des réclames visant le marché canadien, aurait un effet d'éviction sur le marché des services publicitaires canadiens.
Personne n'a contesté cette analyse depuis que cette mesure législative a été annoncée en juillet dernier. Personne n'a contesté sérieusement le fait qu'il y aurait un effet d'éviction dans le marché des services publicitaires au Canada. Il y aurait dans certains cas éviction un par un des réclames que vous avez décrites. Certaines réclames, une par une, passeraient d'un périodique canadien à l'une de ces nouvelles revues au tirage dédoublé. Il y aurait cependant un autre effet sur le marché de la publicité qui serait de nature structurelle. Toute la structure tarifaire en serait changée. L'effet d'éviction causé par ces périodiques au tirage dédoublé modifierait toute la relation qu'il y a entre les coûts et les structures tarifaires.
Cette opération économique, qui ne peut exister que sur notre continent, où l'on prend un contenu qui est déjà payé par un marché plus gros, et où l'on engage quelques vendeurs pour cibler les acheteurs de publicité dans notre pays, est extrêmement profitable. Personne n'a contesté cette analyse non plus. Le profit que peut réaliser un périodique au tirage dédoublé est extrêmement attrayant et favorable pour ces périodiques, mais ce phénomène peut compromettre la santé à long terme des périodiques canadiens.
Cette analyse n'a pas été contestée par quiconque dernièrement. Tel est le problème fondamental auquel ce projet de loi veut remédier.
Il y en a dans notre pays qui vont dire: «Tant pis. Advienne que pourra, et laissons le marché décider qui a gagné.» C'est un point de vue. D'autres ont un point de vue différent et proposent un correctif différent. Ça aussi, c'est bien. Comme la ministre l'a dit, on a imaginé plusieurs options, et c'est celle-ci que nous avons retenue.
Ce projet de loi est la ligne la plus droite qu'il y a entre le point A et le point B. Il s'agit d'un problème structurel dans le marché des services publicitaires, et ce projet de loi y remédie directement. C'est l'objectif essentiel de ce projet de loi. Et c'est un projet de loi simple, et nous serons heureux de vous aider, de la manière que vous voudrez, à l'étape article par article. Il s'agit essentiellement de prohiber une activité particulière. Il y a plusieurs définitions au début du projet de loi, suivies de certaines dispositions d'application. Tel est ce projet de loi.
Le sénateur Tkachuk: Souvent, pour plaire à quelqu'un, un projet de loi fera du tort à d'autres, ce qui suscite de nouveaux problèmes. Voilà à quoi je veux en venir. J'ai une autre question, après quoi j'en aurai terminé.
Ce qui me préoccupe, c'est la petite entreprise et l'avantage compétitif qu'elle a. Je vais citer un exemple tiré d'un article que j'ai lu. Disons qu'un éditeur de livres canadien veut prendre pied sur le marché américain et faire de la publicité dans le New Yorker; le New Yorker se vend au Canada aussi bien que dans le reste de l'Amérique du Nord, mais c'est un annonceur canadien qui cherche à prendre pied sur ce marché. Est-ce qu'il y a un problème avec ça?
M. Wernick: Non, la prohibition concernant la publicité vise essentiellement le marché canadien.
Le sénateur Tkachuk: Donc, est-ce qu'un fabricant de produits de hockey a tort de se servir de Sports Illustrated pour attirer le consommateur canadien?
M. Wernick: Non, ce projet de loi n'impose aucune restriction à la publicité dans l'édition étrangère de ce périodique. Les éditions étrangères de ces périodiques savent qu'elles ont des lecteurs ici, et elles en tiennent déjà compte dans leur grille tarifaire dans plusieurs cas. Ce qui veut dire que 3, 4 ou 5 p. 100 de leur lectorat peut se trouver au nord du 49e parallèle.
Le sénateur Tkachuk: On exprime une opinion différente sur cette question dans certains articles que j'ai lus, je reprendrai donc cette question plus tard.
Le sénateur Lynch-Staunton: Monsieur Richstone, c'est à vous que je vais poser mes questions parce que j'aimerais avoir des précisions sur des aspects du projet de loi qui concernent les violations, les sanctions, les pénalités et les enquêtes.
Tout d'abord, ai-je raison de dire que celui qui peut contrevenir à ce projet de loi est l'éditeur étranger? Ou est-ce l'annonceur ou l'agent qui peuvent aussi contrevenir à ce projet de loi tel qu'il est rédigé?
M. Jeff Richstone, conseiller juridique, Patrimoine canadien: Dans le structure de ce projet de loi, l'article 3 définit l'interdiction, et cet article 3 compte certains paragraphes qui définissent les éditeurs étrangers. Par conséquent, toute personne agissant au nom de l'éditeur étranger ou toute personne agissant indépendamment, ou non indépendamment, de concert avec l'éditeur étranger est également visée par ces dispositions.
Le sénateur Lynch-Staunton: J'aimerais que l'on m'épargne le jargon juridique et que l'on s'exprime en langage simple. Qui peut contrevenir à ce projet de loi: les éditeurs étrangers ou n'importe qui?
M. Richstone: Non, sénateur, selon ce projet de loi, l'interdiction n'est faite qu'à l'éditeur étranger et non à l'annonceur ou à l'agence de publicité. C'est l'éditeur étranger qui est visé, et quiconque agit pour le compte de l'éditeur étranger.
Le sénateur Lynch-Staunton: Vous dites l'agent de l'éditeur étranger?
M. Richstone: Oui. Voyez le paragraphe 3(2), où il est dit qu'est réputé un éditeur étranger la personne qui, au Canada, édite ou publie un périodique dans sa totalité ou en grande partie en vertu d'une licence de l'éditeur étranger. Je me corrige; il ne s'agit pas d'un agent, mais d'une personne licenciée.
Le sénateur Lynch-Staunton: Le distributeur?
M. Richstone: Non, pas le distributeur; c'est l'éditeur. L'éditeur étranger visé par ce projet de loi n'est pas le distributeur; ce n'est pas l'annonceur non plus.
Le sénateur Lynch-Staunton: Disons qu'un périodique au tirage dédoublé est publié sur des lieux autres que ceux qui appartiennent à l'éditeur étranger; celui qui le publie est-il alors réputé être l'agent de cet éditeur étranger?
M. Richstone: Ce projet de loi porte sur les services publicitaires. Vous dites que si la personne qui agit pour le compte de l'annonceur est située au Canada...
Le sénateur Lynch-Staunton: Je veux savoir qui ce projet de loi vise et qui peut être poursuivi et accusé d'une infraction criminelle pour y avoir contrevenu.
M. Richstone: Sénateur, c'est l'éditeur et le seul prolongement possible de cet éditeur.
Le sénateur Lynch-Staunton: Time Warner publie un périodique et contrevient à la loi. Qui d'autre que Time Warner, étant affilié à Time Warner, peut aussi se trouver à contrevenir à cette loi?
M. Richstone: Comme je l'ai dit, il y a deux paragraphes dans ce projet de loi qui disent que les personnes liées à l'éditeur étranger, qui agissent pour l'éditeur étranger, sont réputées un éditeur étranger.
Le sénateur Lynch-Staunton: Pouvez-vous me donner un exemple?
M. Richstone: Je vais vous donner un exemple hypothétique. Vous avez parlé de Time Warner. Vous avez mentionné un éditeur étranger.
Si Time Warner donne une licence à quelqu'un au Canada, engage un agent, quelqu'un au Canada, pour publier son périodique ou une grande partie de son périodique, le paragraphe 3(2) dit que la personne au Canada qui publie ce périodique est réputée un éditeur étranger.
Par conséquent, toute personne qui agit pour le compte de l'éditeur étranger, qui agit à titre d'éditeur étranger, en vertu de l'article 3, paragraphes (2) et (3), est réputée un éditeur étranger. Cependant, on ne traite ici que de l'aspect publication. Toute autre personne ayant un rapport avec ce périodique ou les services de ce périodique, par exemple les annonceurs que vous avez mentionnés, ou les distributeurs, n'est pas visée par cette interdiction.
Le sénateur Lynch-Staunton: Et qu'en est-il de l'imprimeur?
M. Richstone: L'imprimeur n'est pas visé par cette interdiction.
Le sénateur Lynch-Staunton: Que ferait l'agent de l'éditeur au Canada? Quel est son rôle?
Le sénateur Perrault: N'importe qui peut être l'agent de l'éditeur?
M. Clarke: Je lis ce projet de loi en profane que je suis, et je constate qu'il y a trois cas où quelqu'un pourrait contrevenir à la loi: l'éditeur, une personne qui est contrôlée par l'éditeur, et une personne qui est licenciée par l'éditeur.
Les éditeurs étrangers contreviennent à la loi s'ils vendent des services publicitaires. Les personnes licenciées par l'éditeur étranger contreviennent à la loi si elles vendent des services publicitaires, et les personnes qui agissent pour le compte de l'éditeur étranger contreviennent à la loi si elles vendent des services publicitaires. Ce sont les trois cas où il pourrait y avoir contravention à la loi.
Le sénateur Lynch-Staunton: Pouvez-vous nous donner des exemples concrets de ce que sont ces entités aujourd'hui?
M. Clarke: À notre connaissance, personne n'agit illégalement au Canada.
Le sénateur Lynch-Staunton: Pouvez-vous nous dire qui sont ceux qui agissent légalement et qui pourraient constituer l'une de ces trois entités? Pouvez-vous me nommer un éditeur étranger, son agent et son licencié?
M. Clarke: Tout cela est hypothétique parce que personne au Canada n'agit contrairement à la loi canadienne en ce moment.
Le sénateur Lynch-Staunton: Avez-vous inventé ces termes? S'il n'existe personne qui peut correspondre à ces termes, d'où viennent-ils?
M. Clarke: Ce qui nous préoccupe, c'est que ces personnes pourraient exister.
Le sénateur Lynch-Staunton: Cependant, vous n'avez aucune expérience ou connaissance qui vous permettrait d'affirmer que ces personnes existent en ce moment.
M. Clarke: Elles ont existé par le passé.
M. Wernick: Il s'agit d'entreprises d'édition étrangères; elles existent, elles sont là, et l'on présume qu'elles voudraient prendre pied sur le marché des services publicitaires au Canada.
En bref, le projet de loi vise l'éditeur, le vendeur et la transaction, c'est-à-dire le vendeur des services publicitaires, l'éditeur. C'est l'éditeur qui vend l'espace publicitaire ou l'annonce.
Le sénateur Lynch-Staunton: Je ne savais pas que les éditeurs vendaient de l'espace publicitaire. Je pensais que c'était les annonceurs et les agents des annonceurs qui vendaient de la publicité.
M. Wernick: Non. Les responsables de ces périodiques vendent la publicité.
Le sénateur Lynch-Staunton: Je comprends ce que vous dites. Le coupable, c'est celui qui vend l'espace publicitaire. Je pensais que c'était l'autre, celui qui l'achète.
M. Wernick: Les deuxième et troisième exemples, et c'est peut-être là que réside la confusion, sont englobés dans ce projet de loi à titre de mesures visant à empêcher tout contournement. On ne veut pas que quelqu'un puisse contourner ce projet de loi en engageant un avocat de Toronto qui deviendrait l'éditeur. Par conséquent, quiconque agit pour le compte de l'éditeur étranger ou qui relève de cet éditeur étranger est réputé être l'éditeur.
Le sénateur Lynch-Staunton: Cependant, en ce moment, vous ne pouvez citer aucun exemple concret, n'est-ce pas?
M. Wernick: Toute entreprise d'édition au monde peut entrer sur notre marché. Il y a dans l'histoire des exemples d'éditeurs étrangers qui se sont installés sur le marché canadien, et ce projet de loi reconnaît les droits acquis de certains.
Le sénateur Lynch-Staunton: J'espère aller plus loin avec ma prochaine question.
Je crois comprendre que toute contravention à ce projet de loi sera considérée comme une infraction criminelle.
M. Richstone: Ce projet de loi contient plusieurs dispositions. Je ne dirais pas qu'il s'agit d'infractions criminelles; il s'agit de dispositions réglementaires qui font intervenir certains aspects des mécanismes réglementaires définis dans le Code criminel comme des mécanismes d'application de la loi. Il ne s'agit pas d'infractions criminelles pures; il s'agit d'infractions aux règlements.
Nous nous servons du processus pénal pour avoir un mécanisme d'application efficace sur le plan criminel. Il y a aussi des dispositions civiles qui traitent de ces choses dans le cadre d'un processus civil, par exemple le redressement par voie d'injonction.
Le sénateur Lynch-Staunton: La disposition sur le mandat relève du Code criminel, mais est-ce le seul aspect du Code criminel que l'on retrouve dans ce projet de loi?
M. Richstone: Il y a d'autres aspects du processus pénal qui se retrouvent dans le projet de loi, l'article 10, par exemple. Vous avez mentionné le mandat; cela se trouve à l'article 8.
Le sénateur Lynch-Staunton: Que disiez-vous au sujet de l'article 10?
M. Richstone: Les dispositions des articles 10 à 16 traitent des infractions et des sanctions, et c'est ainsi que des aspects du Code criminel se trouvent incorporés dans ce projet de loi à titre d'infractions aux règlements. Beaucoup de lois du Parlement font intervenir le droit pénal ou des dispositions quasi pénales au niveau de la mise en oeuvre, et il convient de parler ici d'infractions réglementaires et non d'infraction criminelle.
Si vous voulez, je peux vous expliquer cette partie du projet de loi article par article.
Le sénateur Lynch-Staunton: Non, ça va. Si ce projet de loi entre en vigueur, est-ce que la personne reconnue coupable d'avoir contrevenu à la loi aura un casier judiciaire?
M. Richstone: Cette personne sera reconnue coupable d'une infraction réglementaire.
Le sénateur Lynch-Staunton: Répondez-moi par un «oui» ou par un «non». Cette personne aura-t-elle un casier judiciaire si elle a contrevenu à une disposition de ce projet de loi?
M. Richstone: Pour autant que je sache, et ce n'est que mon opinion, je devrais consulter la Loi sur le casier judiciaire.
Le sénateur Lynch-Staunton: Vous avez certainement dû y penser. On ne peut pas dire que c'est une infraction criminelle majeure, mais on nous donne l'impression que toute contravention pourrait être considérée comme une infraction criminelle, et cela pourrait ruiner la réputation de quelqu'un.
M. Richstone: Il s'agit d'une infraction réglementaire et, pour autant que je sache, cela ne constitue pas une infraction criminelle, et cela ne vous vaudrait pas un casier judiciaire.
Le sénateur Lynch-Staunton: Pouvez-vous nous le confirmer?
M. Richstone: Je le ferai.
M. Wernick: Le projet de loi prévoit une échelle. Nous ne sautons pas immédiatement à la condamnation au criminel pour une première infraction s'il s'agit d'une contravention mineure à la loi. Il y a progression à partir de l'enquête initiale. Il y a moyen de s'en tirer avec un avertissement. Un redressement par voie d'injonction est possible avant de passer aux sanctions criminelles. Il y a une première infraction, puis une nouvelle infraction, ce genre de choses.
Les sénateurs trouveraient peut-être utile que nous leur communiquions un graphique d'acheminement qui vous montrerait comment se ferait l'application de cette loi. Chose certaine, la première mesure d'application de cette loi n'est pas l'imposition de la sanction criminelle la plus lourde. Cependant, il existe des sanctions criminelles dans la mesure où, si vous contrevenez à l'une des lois commerciales de notre pays, vous aurez certainement un casier qui indique que vous avez enfreint la loi. C'est ce que disent aussi la Loi sur la concurrence, la Loi sur les banques ou toute autre loi de notre pays à caractère commercial.
Le sénateur Lynch-Staunton: S'agit-il d'infractions criminelles?
M. Wernick: On a recours à des mesures d'exécution et à des procédures criminelles.
Le sénateur Lynch-Staunton: Il semble y avoir un doute à ce sujet.
M. Wernick: Nous allons étudier la question et tâcher de la tirer au clair.
Le sénateur Lynch-Staunton: Le grand coupable ici sera l'éditeur étranger qui, dans la plupart des cas, résidera à l'extérieur de notre pays. Quelle procédure prévoit-on autre que celle qui consiste à lui signifier un avis lui disant qu'il a contrevenu à la loi? Qu'est-ce que le gouvernement peut faire d'autre pour intenter des poursuites ou imposer des sanctions?
M. Wernick: L'éditeur étranger sera passible de sanctions pour ce qui est de ses activités au Canada, sur le marché canadien, et les mesures que nous prendrons pour faire respecter la loi dépendront des actifs et des activités qu'il a au Canada.
Le sénateur Lynch-Staunton: Ces dispositions vous permettront-elles de saisir les actifs canadiens d'une entreprise étrangère?
M. Wernick: Cela ne se produira que dans les cas extrêmes.
Le sénateur Lynch-Staunton: Là n'est pas la question. Je veux savoir si ces dispositions vous permettent de faire cela, qu'il s'agisse d'un cas extrême ou non. C'est ce que je vous demande.
M. Wernick: Ce serait le recours ultime d'un processus judiciaire, et il faudrait franchir plusieurs étapes pour cela. Mais nous ne faisons que réglementer l'activité au Canada, sur le marché canadien. Ce projet de loi ne prévoit aucune mesure extraterritoriale. Il ne fait que réglementer le marché des services publicitaires au Canada.
Le sénateur Lynch-Staunton: La ministre a fait son discours. Nous comprenons la raison d'être de ce projet de loi. J'essaie de comprendre les peines et les sanctions ainsi que les résultats de toutes ces mesures. Tout d'abord, nous allons déterminer s'il s'agit d'une infraction criminelle, et ensuite, si l'on peut saisir les actifs canadiens d'une entreprise étrangère. Ce projet de loi permet de telles saisies. C'est une sorte de loi Helms-Burton inversée.
M. Wernick: Par la loi Helms-Burton, le Congrès américain veut réglementer le comportement d'un acheteur et d'un vendeur, et les deux se trouvent à l'extérieur des États-Unis d'Amérique. Ce projet de loi réglemente le marché au Canada.
Le sénateur Lynch-Staunton: L'acheteur et le vendeur dans ce cas-ci peuvent se trouver au Canada étant donné que, selon votre définition de «éditeur étranger», il peut s'agir d'une personne se trouvant au Canada. Elle peut se trouver aux États-Unis aussi.
M. Wernick: Ce n'est pas ce que dit la loi Helms-Burton.
Le sénateur Lynch-Staunton: Ce n'est peut-être pas une loi à la Helms-Burton, mais ça y ressemble.
M. Wernick: Non, ça n'y ressemble pas. Il faut qu'il y ait une partie canadienne à la transaction commerciale. Si la loi Helms-Burton dérange tant de monde, c'est parce qu'elle traite d'une activité commerciale entre un acheteur qui n'est pas américain et un vendeur qui n'est pas américain.
Le sénateur Lynch-Staunton: J'espère que nous allons vous revoir. Je sais qu'il se fait tard. Il peut y avoir aux États-Unis un propriétaire canadien de périodiques qui souhaite publier des périodiques au tirage dédoublé. On ne vise pas que les Américains ici. Vous pouvez aussi avoir des éditeurs canadiens aux États-Unis. Vous pouvez avoir des éditeurs d'autres nationalités. Il est bel et bon de dire que cette mesure ne vise que les Américains, mais elle peut viser aussi les Canadiens.
M. Wernick: On vise ici les éditeurs étrangers. On ne fait nulle mention de la nationalité de l'éditeur étranger.
Le sénateur Lynch-Staunton: Il y a une disposition sur la propriété.
M. Wernick: Tout ce qui n'est pas canadien est étranger, et la propriété canadienne est celle dont le projet de loi fait état.
Le sénateur Lynch-Staunton: Cela est peut-être attribuable au fait qu'il se fait tard, madame la présidente, et je vous demande pardon si je me suis montré agressif, mais j'aurais aimé avoir des réponses plus précises à mes questions. Nous pouvons peut-être laisser à nos témoins le soin de répondre à ces questions et de nous revenir plus tard ou de nous écrire.
Le sénateur Grafstein: L'article 10 dit que quiconque contrevient à l'article 3 commet une infraction passible d'une amende par procédure sommaire. Il y a deux niveaux d'infractions ici. Ce sont des infractions criminelles, ou on les appellerait quasi criminelles, parce qu'elles sont plus de nature civile que de nature pénale, mais au bout du compte, l'infraction est une infraction quasi criminelle. Vous pouvez dire qu'il s'agit d'une infraction réglementaire, mais elle est de nature quasi criminelle.
Il y a déclaration de culpabilité par procédure sommaire, et il y a condamnation pour acte criminel. Si l'on procède par voie sommaire, j'imagine que les procureurs vont évaluer l'infraction et déterminer s'il y a lieu de procéder par la voie sommaire, comme pour une infraction au code de la route, ou si l'infraction est suffisamment grave pour procéder par mise en accusation. L'article 10 du projet de loi semble définir cela. J'espère que le comité ne prendra pas plus de temps qu'il n'en faut pour répondre à cette question étant donné que l'article 10 est explicite.
Le sénateur Lynch-Staunton: Peut-être pour vous parce que vous êtes avocat.
Le sénateur Grafstein: Une infraction où l'on procède par procédure sommaire est une infraction punissable par procédure sommaire et un acte criminel est une infraction où l'on procède par mise en accusation. De toute manière, c'est ce que dit l'article 10.
Le sénateur Lynch-Staunton: J'ai bien lu les mots, mais les définitions ne s'y trouvent pas.
Le problème avec ces projets de loi, c'est que, de plus en plus, ils sont appliqués par voie de règlement. Nous n'avons pas vu le règlement, et nous ne le verrons probablement pas. Le règlement confère ici de grands pouvoirs au ministre, y compris pour ce qui est de la nature des enquêtes et tout le reste. Tout cela échappe au contrôle du Parlement.
Le sénateur Roberge: L'article 15 semble un peu curieux étant donné qu'un acte commis à l'extérieur du Canada est réputé être commis au Canada. Est-ce une disposition normale dans une loi? Est-ce que cela existe dans d'autres lois? Cette disposition a-t-elle déjà été appliquée par les tribunaux?
M. Richstone: C'est une disposition normale dans une loi. Si l'intimé ou l'autre partie réside à l'extérieur du Canada, c'est une disposition normale qui donne compétence à nos tribunaux pour ce qui est de la personne et de la matière en litige.
Le sénateur Roberge: Cette disposition se trouve-t-elle dans d'autres lois?
M. Richstone: Il y a des dispositions semblables dans la Loi sur la sécurité des véhicules automobiles et dans la Loi canadienne sur les droits de la personne.
Le sénateur Roberge: Avez-vous de la jurisprudence qui confirme cela?
M. Richstone: Oui. C'est une disposition qui se trouve dans d'autres lois fédérales.
La présidente: Merci beaucoup. Nous attendrons vos réponses.
M. Wernick: Si le comité songe à d'autres questions, nous serons heureux de revenir.
La présidente: Si besoin est, nous vous demanderons en effet de revenir.
Chers collègues, la prochaine séance aura lieu le mardi 20 avril à l'ajournement du Sénat. Puis nous nous réunirons le jeudi 22 avril pour discuter de questions de commerce international. La séance d'ensuite aura lieu le 27 avril. Nous allons également nous réunir le jeudi 29 avril, même si nous n'avons pas encore fixé l'heure. Puis nous nous réunirons le 4 mai.
La Société Radio-Canada nous a écrit parce qu'elle désire témoigner devant le comité et lui communiquer son plan stratégique. Avec l'accord du comité, nous pourrons rencontrer Radio-Canada en mai une fois que nous en aurons terminé avec le projet de loi C-55. Êtes-vous d'accord?
Des voix: D'accord.
La présidente: Il nous faut approuver le budget que nous avons soumis au comité permanent de la régie interne, des budgets et de l'administration pour le nouvel exercice financier.
Nous avons le résumé des dépenses prévues. Pour les services professionnels et spéciaux, 38 000 $; transports et communications, 6 700 $, et autres dépenses, 700 $, pour un total de 45 400 $. L'autre poste de dépense est l'étude spéciale sur la compétitivité du Canada dans les communications internationales, et le montant ici est de 10 000 $. C'est un budget pour une étude spéciale. Pour les services professionnels et autres, une somme de 8 850 $ est prévue; pour les transports et les communications, 400 $, et pour les autres dépenses, 750 $.
Êtes-vous d'accord pour que l'on soumette à la régie interne le budget de cette étude spéciale?
Des voix: D'accord.
La présidente: Il nous faut aussi le budget pour l'ensemble du comité.
Le sénateur Maheu: Combien avons-nous dépensé l'an dernier?
La présidente: Le budget voté était de 53 000 $ l'an dernier, et nous en avons dépensé 30 000 $.
Le sénateur Adams: Je propose l'adoption du budget.
La présidente: Merci. Vous êtes d'accord?
Des voix: D'accord.
La présidente: Merci beaucoup.
La séance est levée.