Aller au contenu
 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Transports et des communications

Fascicule 27 - Témoignages


OTTAWA, le mardi 4 mai 1999

Le comité sénatorial permanent des transports et des communications, auquel a été renvoyé le projet de loi C-55, Loi concernant les services publicitaires fournis par les éditeurs étrangers de périodiques, se réunit à 18 heures pour en faire l'examen.

Le sénateur Marie-P. Poulin (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente: Honorables sénateurs, nous amorçons la cinquième séance du comité sénatorial permanent des transports et des communications consacrée au projet de loi C-55. Ce soir, nous aurons un témoin qui fait un exposé à titre individuel et deux tables rondes.

Notre premier témoin est M. Peter Clark. Bienvenue, monsieur Clark. Vous avez la parole.

M. Peter Clark, Grey, Clark, Shih and Associates Limited: Merci, madame la présidente. J'ai demandé à comparaître ce soir car ayant suivi le débat sur ce projet de loi à la Chambre, au Sénat et dans la presse, j'ai relevé un certain nombre d'inexactitudes ou de malentendus relativement à deux questions connexes très importantes. Il s'agit du statut de la mesure aux termes des obligations internationales du Canada et la possibilité que les États-Unis déclenchent une guerre commerciale devant notre audace à vouloir protéger notre culture, comme c'est tout à fait notre droit.

J'ai pensé qu'il serait utile de vous communiquer ma perspective sur ces questions. Je précise d'entrée de jeu que je n'ai aucun client qui est partie à ce conflit. C'est plutôt inhabituel pour moi car je suis engagé dans la plupart de ces dossiers. Je connais bien le mécanisme de règlement des différends dans la perspective de l'ALENA et de l'OMC, ayant été arbitre et représentant de participants à ces groupes d'experts.

Je n'aborderai pas les objectifs de la mesure. Mon ami Gordon Ritchie l'a fait la semaine dernière et sur le plan des objectifs, j'ai tendance à être d'accord avec lui. J'ai peut-être une opinion quelque peu différente de la sienne pour ce qui est des règles et des obligations, mais pas tellement.

J'aimerais aborder des questions de détail qu'il serait bon que vous maîtrisiez.

Dans la perspective des États-Unis, si un recours au mécanisme de règlement des différends se solde par une victoire, cette victoire est définitive et la partie adverse doit s'incliner. Elle ne peut revenir à la charge avec une autre mesure ayant le même effet. Ce n'est pas ainsi que je conçois le mécanisme de règlement des différends. Ce n'est pas la perspective canadienne. Le groupe d'experts entend les deux parties en litige et, si l'une d'elles a transgressé les règles, il appartient au groupe d'experts de la ramener dans le droit chemin. On peut réparer une erreur. Il n'est pas nécessaire de se débarrasser du système tout entier.

En l'occurrence, le Canada s'est plié aux conclusions du groupe d'experts de l'OMC en supprimant les mesures jugées répréhensibles. Il n'y a rien dans les règles de l'OMC ou de l'ALENA qui dit que le Canada ne peut protéger sa culture et promouvoir son industrie du magazine. Les États-Unis affirment certains droits qu'à mon avis l'OMC ne leur confère pas relativement au projet de loi C-55. Pour ce qui est de l'ALENA, il y a lieu de se demander si ces droits existent bel et bien. Je n'entrerai pas dans le pour et le contre de l'affaire dans le contexte de l'ALENA car il me semble inopportun de fournir des arguments aux États-Unis, particulièrement si on ne me paie pas pour le faire.

Permettez-moi de vous expliquer les risques pour le Canada. Je vais vous dire comment j'ai essayé de définir la politique commerciale américaine lorsque j'étais représentant du Canada aux réunions du GATT il y a de nombreuses années. On nous avait demandé d'expliquer nos préoccupations au sujet d'une mesure américaine dans le contexte des relations canado-américaines, ces relations étant fondées sur un volume imposant d'échanges, en fait le plus imposant du monde. J'ai relaté aux participants qu'avant de partir pour Genève, j'avais voyagé aux États-Unis et je m'étais retrouvé dans un endroit appelé Tombstone, un peu au sud et à l'est de Tucson, en Arizona. À Tombstone, il y a un cimetière appelé Boot Hill. Si vous y allez, vous y trouverez une tombe avec l'épitaphe suivante: «Pendu par erreur». À mon sens, c'est caractéristique de la politique commerciale américaine. Si vous voulez comprendre comment la culture et l'histoire évoluent aux États-Unis, dans le même cimetière, vous constaterez qu'on affirme que les perdants de la bataille de OK Corral ont été assassinés par le clan Earp. Ce n'est pas la version que connaissent la plupart des gens, mais le fait est qu'après avoir quitté Tombstone, Wyatt Earp est parti pour Hollywood. C'est ainsi que s'est développée cette histoire.

Sans avoir un rapport direct, cet exemple montre comment la culture américaine s'infiltre partout et pourquoi nous devons être en mesure d'y faire face. À vrai dire, confronté à une menace en provenance des États-Unis, il importe peu que les Américains soient dans leur droit ou non. Ils ont tendance à agir et à poser des questions ensuite. A vous de contester leurs actions dans le cadre de l'OMC ou de l'ALENA. J'en parle d'expérience. Au début des années 90, les États-Unis étaient mécontents de la façon dont le gouvernement de l'Ontario mettait en oeuvre une décision du GATT concernant la réglementation provinciale relative aux boissons alcoolisées, et en particulier la bière. Les Américains ont donc fermé la frontière et interdit le transport de la bière de l'Ontario vers les États-Unis. Nous avons fait la même chose en sens inverse. Cela a perturbé le commerce de façon incroyable et coûté cher à l'industrie canadienne à l'époque. On ne saurait prendre ces menaces à la légère.

Les Américains ont-ils le droit d'user de rétorsion unilatéralement aux termes de l'OMC? Non, ils peuvent user de rétorsion ou prendre des mesures compensatoires uniquement s'ils sont autorisés à le faire par le conseil général. Aux termes de l'ALENA, les parties en litige sont également tenues de faire appel au mécanisme de règlement des différends. L'exemption culturelle, nonobstant ce qu'en disent les États-Unis, ne les autorise pas à user de rétorsion sans obtenir une autorisation préalable. Le hic, c'est qu'il y a un certain flou quant à la façon dont le jeu doit se jouer. Deux perspectives s'affrontent, celles du bien et du mal, c'est-à-dire l'adhésion aux règles, ce qui est la seule façon dont le Canada peut survivre, et celle de David et Goliath. A ce jeu, les Américains sont très forts, ce qui nous oblige ainsi à faire la preuve qu'ils ont agi de manière excessive.

Je n'essaie pas de vous dissuader d'adopter des lois ou de prendre des mesures visant à maintenir notre capacité d'avoir une industrie du magazine qui assure la promotion de notre culture, loin de là. Lorsqu'on a affaire aux États-Unis, s'il était possible d'en arriver à un règlement négocié tout en poursuivant vos objectifs et en maintenant les éléments essentiels d'une politique de protection du magazine, cela serait sans doute préférable aux perturbations qui surviendraient si, en fait les États-Unis décidaient de sortir leur arsenal. En dépit des commentaires positifs que l'on entend à Washington et même à Ottawa quant à la possibilité d'un règlement, je crois savoir que les États-Unis envisagent de publier une liste de mesures de rétorsion contre le Canada au début de la semaine prochaine si rien n'est fait d'ici là. Apparemment, après la dernière série de réunions, ils nous ont imposé un délai de 10 jours. J'estime que cela n'est pas justifié. À mon avis, ce n'est pas la bonne façon de jouer le jeu, mais c'est ainsi qu'ils le jouent.

Les États-Unis adoptent cette démarche pour un certain nombre de raisons. Ils ont du mal à convaincre le Congrès, les syndicats et de nombreuses organisations non gouvernementales qu'il est nécessaire de libéraliser davantage le commerce dans le cadre de l'OMC. Par conséquent, ils doivent faire la preuve que l'OMC fonctionne. À cette fin, ils doivent essayer de faire en sorte que chacune des victoires qu'ils remportent à la suite du mécanisme de règlement des différends est mise en oeuvre aussi rapidement et, à leurs yeux, aussi rigoureusement que possible. Voilà réellement l'enjeu. Ce n'est pas vraiment une question de savoir qui a tort et qui a raison; c'est plutôt David et Goliath. Si nous sommes prêts à risquer des mesures de rétorsion, j'estime que nous pouvons faire comprendre que ce que nous faisons est juste. Malheureusement, à cause de cela, un certain nombre de nos secteurs seront peut-être assujettis à des tarifs exorbitants aux États-Unis. Il est important que vous ayez de judicieux conseils quant à la possibilité de défendre la mesure législative dont vous êtes saisis tant dans le contexte de l'OMC que de l'ALENA.

Je suis maintenant prêt à répondre à toutes vos questions.

Le sénateur Forrestall: Manifestement, vous êtes très près de la situation. Avez-vous des raisons de croire qu'il y a des pourparlers entre le Canada et les États-Unis au sujet d'un règlement négocié, par opposition à un règlement imposé?

M. Clark: D'après mon expérience, malgré le fait que les négociateurs ont quitté la table à Washington mercredi dernier, ils continuent sans doute d'avoir des contacts informels. D'après ce que j'ai compris, la position américaine a été communiquée aux ministres. Ces derniers étaient censés en discuter cette semaine et faire connaître leurs réactions aux États-Unis.

Dans le cours normal du processus, les personnes chargées de négocier pour la partie canadienne seraient en contact avec leurs homologues américains pour obtenir des précisions, sonder le terrain pour voir s'il n'y aurait pas de changements avant de soumettre une proposition finale aux ministres. Oui, je qualifierais cela de «négociation».

Le sénateur Forrestall: Considérant ce qui s'est passé depuis deux mois, pouvez-vous nous dire si la position rendue publique dans les journaux il y a quelques jours était une ancienne position de négociation ou si, en fait, il y a là quelque chose de nouveau?

M. Clark: Il y a plusieurs articles dans les journaux. Parlez-vous de celui de Mme Scofield?

Le sénateur Forrestall: Oui.

M. Clark: Les choses ont passablement bougé. Je pense que l'option la plus susceptible d'être couronnée de succès garantirait le contenu aux personnes ayant accès au marché canadien. Un certain nombre de permutations et de combinaisons ont été évoquées. Souvent, on lance des ballons d'essai quand on s'attend à des réactions négatives; et si c'est le cas, le ballon est crevé, si vous voyez ce que je veux dire.

À mon avis, il y a des discussions en cours quant aux éléments d'une entente. Ces éléments peuvent sembler plus attrayants aux négociateurs commerciaux qu'aux représentants de l'industrie du magazine.

Certaines des options dont j'ai entendu parler et certaines dont j'ai discuté avec les négociateurs canadiens offriraient une meilleure protection au contenu canadien que celle prévue aux termes du projet de loi, ce dernier ne garantissant pas vraiment le contenu canadien mais plutôt la propriété canadienne.

Il semble y avoir une marge de manoeuvre à cet égard. Le problème que j'entrevois, c'est que pour convaincre l'industrie du magazine et les Canadiens du bien-fondé de cette option, il faudra que nous ayons des engagements fermes de la part des États-Unis. Les Américains ne sont peut-être pas disposés à dire aux représentants de leur industrie du magazine: «Nous avons pris des engagements en votre nom vis-à-vis de «X» ou de la culture et il faudra présenter des auteurs ou des thèmes canadiens», peu importe la façon dont cela sera présenté. J'imagine que les Américains voudront adhérer à un engagement beaucoup plus vague que celui qui nous conviendrait.

J'ai déjà été dans l'autre camp puisque j'ai travaillé pour la société Westinghouse. Leur division des communications s'est retrouvée soudainement avec un problème sur les bras. Au lieu de parler de dumping de moteurs, je traitais un dossier appelé Country Music Television. Les États-Unis avaient porté une plainte aux termes de l'article 301. Malgré le fait que les journaux ici dénonçaient les mesures de rétorsion des États-Unis à l'endroit du Canada et le fait qu'ils recouraient à leurs gros canons à la suite d'une décision du CRTC, Mickey Kantor a fait savoir clairement à mes clients et aux autres intervenants dans le dossier que les États-Unis étaient réticents à user de rétorsion contre le Canada dans un dossier culturel. Il a invité mes clients à s'engager dans des négociations avec les personnes ayant reçu le permis du CRTC. C'est finalement ainsi que les choses ont été réglées.

La situation est quelque peu différente de celle dans laquelle nous nous trouvons aujourd'hui. Nous faisons face à une représentante commerciale américaine qui ne jouit pas du même accès au pouvoir ou de la même influence à Washington. Comme vous avez pu le lire dans les journaux du week-end, son plan consiste à annoncer les cibles et à les viser, en dépit du fait qu'elle ne serait pas en mesure de concrétiser cela, même si sa vie en dépendait.

C'est un peu le zoo et il y a énormément de surenchère. Certaines choses se concrétiseront et d'autres pas. En l'occurrence, le problème tient au fait qu'aux États-Unis, le dossier n'est pas piloté par les porte-parole des éditeurs de magazines, mais bien par Jack Valenti et l'industrie cinématographique.

Nous avons également assumé un autre dossier dans lequel nous avons essayé de conclure une entente entre Télésat, TCI et d'autres intervenants afin de louer de l'espace de stationnement auprès d'un satellite canadien pour que le Canada puisse avoir la télévision numérique. Nous n'avons pas réussi parce que nous n'avons pu nous entendre avec les représentants du satellite. En effet, Jack Valenti essayait d'intégrer dans l'entente d'autres données relatives à la distribution cinématographique. Il n'est jamais bien loin de l'action. Chaque fois qu'il est question de culture, il faut interpréter les choses dans le contexte de l'industrie cinématographique.

Le sénateur Forrestall: Je suis un peu dépassé.

Si j'ai bien compris, à cause du projet de loi C-55, vous craignez que nous adoptions une position qui puisse avoir une influence directe sur d'autres secteurs où nous avons des échanges commerciaux avec les États-Unis. Nous allons entendre ultérieurement des représentants du secteur du bois d'oeuvre au Canada. Ai-je bien interprété vos propos?

M. Clark: Je veux vous communiquer deux messages qui semblent avoir été oubliés. Premièrement, les États-Unis ne sont pas tenus de revenir devant l'OMC. Le problème à l'OMC a été réglé. Le projet de loi C-55 est une nouvelle mesure. Les Américains peuvent s'y attaquer aux termes de la l'ALENA ou dans le contexte de l'OMC. Si c'était à l'OMC, j'aurais davantage confiance dans nos chances de succès car à cette instance, nous n'avons aucune obligation relative aux services de publicité. Aux termes de l'ALENA, ce n'est pas clair. Je ne veux pas en dire plus. Je me bornerai à signaler que je suis beaucoup plus à l'aise dans le contexte de l'OMC que de l'ALENA.

Deuxièmement, il faut que vous compreniez que même si les États-Unis sont tenus d'obtenir l'autorisation avant d'user de rétorsion contre nous, ce n'est pas nécessairement ce qu'ils feront en pratique.

Le sénateur Roberge: Dans vos discussions avec les représentants commerciaux, avez-vous entendu quoi que ce soit au sujet d'une hausse des subventions?

M. Clark: Voici la stricte perspective d'un négociateur commercial, d'un administrateur commercial: «Les politiques relatives à l'industrie du magazine sont conçues pour la rendre viable. S'il faut lui accorder des subventions, donnons-lui des subventions directes.» C'est toujours une possibilité. Nombreux sont ceux qui souhaiteraient que ce soit une option parce qu'alors, le problème disparaîtrait.

Si vous voulez savoir si on a discuté du mérite de l'option subvention, absolument. Ces discussions ont cours depuis que l'affaire a été soumise au GATT.

Le sénateur Callbeck: Monsieur Clark, dans votre déclaration liminaire, vous avez dit que vous n'essayiez pas de nous dissuader d'adopter des mesures législatives destinées à assurer la promotion de notre culture. Je suppose qu'à votre avis, le projet de loi C-55 aura pour effet de promouvoir notre culture. Nous avons entendu des critiques dire que cela n'a rien à voir avec la culture.

M. Clark: Dans la mesure où le fait d'avoir une industrie du magazine canadienne unique assure la promotion de notre culture et que l'inverse ne le ferait pas, cela servirait cet objectif. Verrait-on davantage de contenu canadien? À mon avis, cela ne garantit pas le contenu. Je ne pense pas que des éditeurs qui essayent de vendre un magazine en fonction de son identité canadienne abandonnent leur contenu canadien. Mais la mesure législative ne le garantit pas.

Le sénateur Callbeck: Oui. Je voulais simplement revenir sur cette question de culture.

M. Clark: Je n'aurais peut-être pas dû employer le terme «promouvoir». Je n'aime pas utiliser le terme «protéger».

Le sénateur Callbeck: Dans vos commentaires, vous vous êtes inquiété d'une éventuelle guerre commerciale avec les États-Unis et des risques que cela comporte. Selon vous, nous ne devrions pas aller de l'avant à moins d'être sûrs d'avoir de bons arguments puisque notre action pourrait être contestée.

D'après les experts du gouvernement, notre initiative est tout à fait conforme à nos obligations aux termes du commerce international. À votre avis, les risques en question sont-ils tellement grands que nous devrions céder et renoncer à adopter le projet de loi C-55? Si nous faisons cela, comment pourrons-nous défendre d'autres intérêts à l'avenir?

M. Clark: Je m'explique. J'ai dit que j'étais à l'aise à l'idée de défendre cela à l'OMC. Je suis moins chaud au sujet de l'ALENA. Il y a dans l'ALENA un certain nombre de points techniques qui me rendent moins confiant.

À l'OMC, oui, je pense que nous pouvons gagner, mais je ne parle pas de mes préoccupations concernant une contestation si nous portions notre cause à l'OMC et que nous demandions une opinion sans que pèse sur nos têtes la menace de rétorsion américaine ou sans que cela ait été invoqué; à ce moment-là il n'y aurait pas vraiment de problème.

Ce que je crains, c'est que les Américains n'attendent pas que nous soumettions notre position à cette instance. Ils n'ont rien à en tirer. Ils ont remporté la victoire à l'OMC. Des experts des Affaires étrangères et du ministère de la Justice ont examiné cette mesure. Nous l'avons examinée également et nous estimons pouvoir présenter un plaidoyer solide devant l'OMC.

Si nous pouvions soumettre la mesure à l'OMC et demander une opinion, je n'aurais absolument aucune inquiétude. Ce que je crains, c'est que nous nous retrouvions dans une situation où les Américains déclenchent des hostilités sans attendre une analyse de la cohérence de cette approche ou qu'ils optent pour la voie de l'ALENA. Le gouvernement tente de trouver d'autres options qui permettront d'atteindre les objectifs de sa politique tout en faisant en sorte de ne pas compromettre nos relations commerciales.

Le sénateur Callbeck: Ce n'est donc pas l'OMC mais l'ALENA qui fait problème à vos yeux?

M. Clark: Oui, c'est l'ALENA. Je tenais à vous en parler car certains font valoir que les Américains sont tenus de rester à l'OMC parce qu'ils ont choisi cette voie pour leur premier appel. Le fait est que ce différend a été réglé. Nous avons retiré ces mesures; c'est fini. En l'occurrence, il s'agit d'une nouvelle mesure et les Américains peuvent décider de la contester aux termes de l'un ou l'autre accord.

Le sénateur Spivak: Monsieur Clark, vous êtes le premier témoin qui évoque l'hypothèse selon laquelle les États-Unis pourraient prendre des mesures qui, à strictement parler, sont illégales. Autrement dit, qu'ils useraient de rétorsion sans en référer à quelque instance que ce soit. J'ai rencontré Jack Valenti et je suis tout à fait d'accord avec vos commentaires à son sujet.

Si les Américains agissent ainsi, l'équivalence commerciale va-t-elle tenir? Pensez-vous que les États-Unis mettraient à exécution les menaces qu'ils ont proférées par la voie des journaux ou qu'ils useraient de rétorsion en se fondant sur l'équivalence commerciale?

M. Clark: Ils feraient un calcul approximatif. Cela ne serait peut-être pas autant que ce qu'on a pu lire dans les journaux, ce qui leur permettrait d'alléguer qu'ils sont raisonnables.

Le sénateur Spivak: J'ai lu 250 millions quelque part.

M. Clark: Il y a plusieurs chiffres qu'on évoque un peu partout. J'aimerais voir sur quoi on se fonde pour les avancer. Je n'ai jamais vu de justification pour quelque chiffre que ce soit.

Le sénateur Spivak: Votre argument est affaibli cependant -- et cela me renforce dans mon idée que c'est la seule façon d'agir -- par la capacité des États-Unis de contester illégalement ce qui est censé être une exemption et un objectif de politique légitime aux termes de l'ALENA.

Quel est notre recours? Où adresser nos plaintes? Quelle tribune internationale pourrait forcer les États-Unis à rendre des comptes pour leurs actions illégales? Ils doivent certainement prendre tout cela en considération avant d'user de représailles illégales.

M. Clark: Les États-Unis pourraient être sommés d'abandonner leurs mesures de rétorsion par l'ALENA ou l'OMC. Comme je l'ai indiqué, c'est au Parlement qu'il appartient de décider s'il doit adopter une mesure législative pour atteindre son objectif. C'est un risque à courir. Si ce risque peut être atténué par des négociations sans qu'il soit nécessaire de jeter le bébé avec l'eau du bain, c'est une option.

Essentiellement, c'est ma position. J'ai remis un mémoire écrit au comité et j'estime que c'est ainsi que les choses se présentent. Je serais le dernier à m'opposer car de façon générale, je tiens auprès des hauts fonctionnaires et des ministres du gouvernement le même discours que Mme McCaskill. Si nous reculons chaque fois que nous sommes menacés, aussi bien devenir le 51e État.

Le sénateur Spivak: Passons à un autre scénario. Des témoins nous ont dit, y compris la ministre elle-même, que c'est la meilleure solution et que la démarche axée sur le contenu canadien est empreinte de sérieuses difficultés. Manifestement, c'est pour cette raison qu'ils n'ont pu négocier cela rapidement. Ils ont fait le tour des options et d'après eux, c'est la meilleure.

Ma question est très simple. Quoi qu'on fasse, il y a toujours un risque. Selon vous, ce n'est pas un risque acceptable. Il serait plus prudent d'opter pour la voie du contenu canadien. Est-ce une interprétation fidèle de vos propos?

M. Clark: Au risque de semer encore plus la confusion, je vous dirai que si une règle de contenu canadien s'appliquait aux magazines, elle violerait les articles 3.5 et 3.7 du GATT aux termes de l'OMC. Il est toujours possible de contrevenir aux accords également, pour peu que personne ne conteste.

Le sénateur Spivak: Est-ce une meilleure option parce que le risque est moindre?

M. Clark: L'option idéale consiste à s'entendre sur un règlement négocié qui réponde à vos objectifs. Il convient de se rappeler que les États-Unis peuvent fort bien obtenir la moitié de ce qu'ils souhaitent et clamer victoire parce qu'ils ont obtenu quelque chose. Tout dépend de la façon dont on voit les choses. Tout dépend de ce qui est négociable et de ce qui est possible. Dans ce genre de dossier, la démarche américaine consiste à dresser une longue liste, à choisir les domaines les plus délicats et à exercer de la pression dans ces domaines.

Le sénateur Spivak: Dans le contexte des négociations sur le libre-échange, lorsque les choses ont commencé à se gâter, le premier ministre a envoyé Derek Burney. À ce stade-ci, avons-nous en réserve un crack, un médiateur hors pair que nous pourrions envoyer? C'est peut-être la réponse.

M. Clark: Ce ne sera pas M. Burney car il veut rester discret.

Le sénateur Spivak: Y a-t-il d'autres personnes au gouvernement qui pourraient jouer ce rôle?

M. Clark: Notre gouvernement dispose de personnes qui peuvent mener ce genre de négociations. Le sous-ministre de M. Axworthy est, dans le dossier canado-américain, l'un des négociateurs les plus compétents avec lesquels j'ai travaillé.

Le sénateur Rompkey: Si la machine fonctionne, il n'est peut-être pas sage d'essayer de trouver une autre solution. Gordon Ritchie m'a dit que si nous renonçons, nous faisons leur jeu. Vous avez dit tout à l'heure que les États-Unis pourraient peut-être remporter une demi-victoire et s'en contenter. Pourquoi devrions-nous leur accorder même une demi-victoire? Si nous ne défendons pas nos droits en matière de culture, que défendrons-nous? Il me semble que c'est la meilleure mesure que nous puissions prendre. Jusqu'à maintenant, l'industrie a survécu. L'autre solution de rechange qui a été proposée est le subventionnement. Je voudrais vous interroger à ce sujet.

La mesure actuelle mérite d'être neutre sur le plan financier. Si nous optons pour le subventionnement, nous demandons aux contribuables canadiens de payer davantage. Il y a des réfugiés kosovars qui arrivent en grand nombre, nous avons 18 CF-18 sur le terrain en Europe. Qui sait à combien se chiffrera la budget de la défense cette année?

Nous devrons absorber d'autres coûts au cours de l'année. D'après un magazine américain, le subventionnement se chiffre approximativement à 150 millions. Il y a eu une discussion sur sa valeur. Or, il y a uniquement deux façons de trouver de l'argent, en réduisant les programmes ou en augmentant les impôts.

Lorsque nous avons une mesure qui apparemment est la meilleure, qui peut fonctionner et que nous sommes justifiés de présenter, pourquoi devrions-nous demander aux contribuables canadiens de payer davantage d'impôts?

M. Clark: Je ne préconise pas le versement de subventions. J'ai discuté de cette question avec les fonctionnaires et j'ai dit que dans une perspective strictement commerciale, c'est sans doute la meilleure solution puisqu'elle fait disparaître le problème. La mesure législative n'aurait plus lieu d'être et nous savons que les Américains considèrent cette mesure comme une ombre dans nos relations commerciales.

Je n'ai pas préconisé que l'on subventionne l'industrie du magazine. C'est l'une des options. Cela dit, il y en a d'autres. La ministre essaie de négocier un règlement avec les États-Unis. On fait le tour d'autres options. J'ai la même préoccupation que M. Ritchie. Je ne voudrais pas que la solution retenue aille trop loin, que cela équivaille à jeter le bébé avec l'eau du bain.

S'il y a un prix à payer pour promouvoir ou protéger la culture canadienne, soit.

La présidente: Je vous remercie de votre exposé.

Notre table ronde est composée de représentants de l'Alliance des manufacturiers et exportateurs du Canada, MM. Matthew Wilson et Jason Myers. Nous accueillons également, à titre de représentants du Free Trade Lumber Council, la présidente, Mme Roslyn Nugent, ainsi que MM. Frank Dottori et Karl Neubert.

Vous avez la parole, monsieur Myers.

M. Jason Myers, vice-président principal et économiste en chef, Alliance des manufacturiers et exportateurs du Canada: Honorables sénateurs, l'Alliance des manufacturiers et des exportateurs du Canada représente 3 500 entreprises et leurs 4 000 sociétés affiliées. Nos membres viennent de tous les secteurs de la fabrication et de l'exportation au Canada. Ensemble, ils représentent plus de 75 p. 100 de la production industrielle du Canada, 95 p. 100 des exportations canadiennes et 90 p. 100 des activités de R-D au pays.

L'alliance comparaît devant le comité aujourd'hui pour exposer le point de vue d'une coalition d'associations d'entreprises qui sont toutes sérieusement préoccupées par les mesures de représailles que le gouvernement américain brandit au cas où le projet de loi C-55 serait promulgué.

Il faut bien comprendre que les membres de la coalition au nom de laquelle nous parlons ici sont inquiets des éventuelles répercussions économiques sur leurs secteurs seulement. Certains des points soulevés dans notre mémoire débordent les visées de notre coalition et expriment uniquement l'opinion de l'alliance.

Outre l'alliance, notre coalition est formée de l'Association canadienne des manufacturiers de vêtements, de l'Association canadienne des fabricants de produits chimiques, de l'Association des importateurs canadiens, de l'Association canadienne des industries de matières plastiques, de l'Association canadienne des pâtes et papiers et de l'Association canadienne des producteurs d'acier. Je suis très heureux d'être accompagné par bon nombre de représentants de ces associations.

Notre coalition englobe non seulement les secteurs qui sont ciblés par les sanctions commerciales américaines, mais aussi le milieu plus vaste de l'exportation et de l'importation au Canada, qui est également très inquiet des effets que de telles représailles auraient sur l'économie de notre pays et sur la poursuite des objectifs plus généraux de notre politique commerciale.

Pour faire écho aux propos de M. Clark, la menace de représailles que brandissent les États-Unis est malheureuse et déplorable, mais très réelle. Le gouvernement américain a menacé d'imposer des tarifs de rétorsion sur les importations canadiennes de textiles et de vêtements, de matières plastiques, de produits en bois et d'acier si le projet de loi C-55 est adopté sous sa forme actuelle. Les responsables du commerce américain ont démontré qu'ils sont prêts à user de rétorsion dans les cas où les gouvernements tentent de contrer des décisions négatives de l'OMC par d'autres moyens.

Le Canada pourrait contester les mesures de rétorsion américaines, mais ce genre d'appel prendrait du temps. Cela n'empêcherait pas l'industrie ou les exportateurs canadiens de subir de sérieuses pertes dans l'intervalle et il n'est pas garanti que le mécanisme de règlement des différends tranche au bout du compte en faveur du Canada.

D'ailleurs, la simple menace de représailles a déjà des conséquences économiques considérables. Ensemble, les secteurs d'exportation vers les États-Unis visés par les mesures de représailles représentent environ 45 milliards de dollars par an. S'il est possible de croire que le coût des représailles ou des sanctions imposées pourrait se chiffrer dans les centaines de millions de dollars, il n'existe pas de chiffres précis sur leur coût direct.

Il importe de comprendre que l'économie nord-américaine est tellement intégrée de nos jours et les pressions concurrentielles si vives que les secteurs ne pourraient facilement refiler ces coûts aux clients ou aux consommateurs. Le coût direct total se traduirait sans doute par une perte de 3 à 4 milliards de dollars annuellement dans les secteurs ciblés. Il y a également des répercussions pour les clients et les fournisseurs de biens et services dépendant des secteurs.

Nous avons demandé une analyse économétrique indépendante de l'impact. On estime de 10 à 12 milliards de dollars le manque à gagner pour le processus d'approvisionnement, ainsi que la perte de 35 000 emplois. C'est la raison pour laquelle nous sommes inquiets.

Bien que les mesures de rétorsion ne soient aujourd'hui qu'une menace, et qu'aucune n'ait été prise, la simple perspective de difficultés à la frontière a déjà fait perdre des contrats dans les secteurs ciblés qui exportent aux États-Unis. C'est un problème immédiat. Ce n'est pas une menace en termes de conséquences économiques. Les conséquences se font sentir en ce moment même sous forme de perte de contrats.

L'alliance est d'avis que la promulgation du projet de loi C-55 et les mesures de rétorsion subséquentes des États-Unis contreraient sérieusement la poursuite des objectifs de la politique commerciale canadienne. Nous avons passé beaucoup de temps à nous opposer aux principes de la portée extra-territoriale des lois américaines, surtout en ce qui a trait à la loi Helms-Burton et nous craignons très fortement que le projet de loi C-55 n'englobe une application extraterritoriale de cette loi.

L'imposition de mesures de rétorsion par le gouvernement des États-Unis à des secteurs sans rapport avec les industries culturelles ou des magazines du Canada est un précédent extrêmement malheureux qui risque, selon nous, de remettre en cause l'esprit et la sécurité d'accès au marché que l'industrie canadienne a obtenus aux termes de l'accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis et de l'ALENA. Nous croyons que les mesures de rétorsion américaines affaibliraient sensiblement la position du Canada dans les prochaines négociations de l'OMC et de l'ALÉA, et ébranleraient le soutien du public et la confiance des exportateurs et des gens d'affaires du Canada en général, les amenant à douter de l'efficacité des mesures prises par le gouvernement pour assurer aux biens et aux services canadiens un accès plus libre aux marchés mondiaux.

Nous ne sommes pas du tout convaincus que le projet de loi C-55 puisse résister à des contestations judiciaires. Nous croyons qu'il pourrait être contesté aux termes de l'ALENA, de l'OMC mais aussi aux termes de la Charte canadienne des droits et libertés. Les avis juridiques sont, au mieux, partagés sur la question de savoir si cette mesure législative pourrait résister à de telles contestations judiciaires.

À notre avis, une entente négociée de la question du tirage dédoublé des magazines serait bien préférable à ce projet de loi. Nous croyons que les autorités commerciales canadiennes et américaines négocient de bonne foi et sont sur le point d'aboutir à une entente. Il faudrait, nous le pensons, qu'une entente négociée soit finalisée avant la promulgation du projet de loi C-55.

Enfin, il s'agit surtout d'une question de dumping et non pas strictement d'une question culturelle. Les questions de dumping touchant aux services de publicité dans les magazines devraient faire partie du nouvel Accord général sur le commerce des services, négocié sous les auspices de l'OMC. Nous ne pensons pas qu'il soit dans l'intérêt du Canada d'agir unilatéralement, transformant ainsi un problème de commerce international en une infraction criminelle. Il est par contre dans l'intérêt du Canada de préconiser un commerce des services libre et juste et de veiller à ce que les règles en matière de dumping et d'autres pratiques commerciales déloyales soient clarifiées en vertu de l'OMC. Selon nous, c'est ce que le Canada devrait préconiser dans les prochaines négociations au sein de cet organisme.

M. Frank Dottori, président et PDG, Tembec Inc., Free Trade Lumber Council: Je comparais aujourd'hui à titre de coprésident du Free Trade Lumber Council, mis sur pied l'année dernière par les producteurs primaires canadiens de bois d'oeuvre. Notre organisme recherche un accès libre aux marchés américains et aux marchés mondiaux. Nous représentons à l'heure actuelle près de 65 p. 100 des producteurs primaires de bois d'oeuvre, des entreprises de transformation de bois d'oeuvre et d'autres personnes travaillant dans l'industrie du bois d'oeuvre au Canada. Nous essayons d'adopter une position pancanadienne au sujet de cette question commerciale.

Comme vous le savez, cette industrie a probablement soutenu tout le poids des attaques américaines contre le soi-disant libre-échange. De toute évidence, nous nous demandons si nous n'allons pas de nouveau en être les victimes par suite de cette législation.

Nous tenons avant tout à nous assurer que tout le monde prenne conscience de l'importance de cette industrie pour le Canada. Un Canadien sur 15 travaille directement ou indirectement pour cette industrie. Plus de 300 collectivités du Canada en dépendent. Nos exportations se chiffrent à 50 milliards de dollars et notre secteur représente le plus gros exportateur au Canada. Affichant un excédent commercial de 40 milliards de dollars, nous sommes ceux qui «faisons bouillir la marmite» au Canada. Notre secteur s'appuie sur une ressource renouvelable; nous plantons bien sûr des arbres, contrairement à ce que vous pouvez lire dans les journaux de temps à autre. Nous construisons des maisons et fournissons le bois de construction, le papier hygiénique et le papier écriture. Nous représentons une bonne part de l'économie.

Nous avons en particulier été ravis de la signature de l'accord de libre-échange il y a quelques années et ensuite de l'ALENA. Nous avons cru que les règles du jeu étaient enfin équitables. Peu de temps après, en 1996, nous avons eu l'accord sur le bois d'oeuvre qui limitait nos exportations à 14,6 milliards de dollars -- alors que notre capacité est supérieure à 2 milliards de dollars -- ce qui nous a privés de nos marchés naturels et a fortement perturbé notre industrie. Beaucoup d'entre nous avons commencé par se tourner vers les produits à valeur ajoutée pour essayer de trouver de nouveaux marchés.

À l'heure actuelle, les États-Unis s'en prennent à ces secteurs en introduisant de nouvelles classifications tarifaires, et cetera. Ces attaques qui ont commencé il y a plusieurs mois visent des échanges commerciaux d'une valeur de près de 2 milliards de dollars. Nous ne savons pas s'il y a un rapport avec le projet de loi C-55 ou s'il s'agit d'intimidation à cet égard. Si nous pouvons établir ce lien, ils le peuvent aussi. Nous croyons que cela peut faire partie de mesures d'intimidation, ce qui nous inquiète.

Selon nous, il s'agit d'une question commerciale. Nous sommes certainement en faveur d'une culture canadienne solide, mais nous pensons que cette question commerciale se confond avec la culture. Nous ne voudrions pas que l'on oublie cette industrie dans tout règlement de cette question.

Mme Roslyn Nugent, présidente, Baybridge Lumber, Free Trade Lumber Council: Honorables sénateurs, M. Dottori vous a donné des chiffres significatifs et vous a montré l'importance de l'industrie du bois d'oeuvre au Canada. Cela vous permet de juger de l'énormité des effets économiques que pourrait entraîner l'adoption du projet de loi C-55 sur notre industrie du bois d'oeuvre et de comprendre pourquoi nous comparaissons aujourd'hui devant vous.

Nous pouvons vous assurer que le Free Trade Lumber Council comprend l'objet et l'esprit du projet de loi et que, en tant que Canadiens, nous reconnaissons que la sauvegarde de l'identité canadienne est un élément important de la politique gouvernementale. Nous reconnaissons également que, en limitant la publicité canadienne dans les magazines étrangers à tirage dédoublé, le projet de loi aura probablement l'effet de soutenir l'édition de magazines canadiens et, ce faisant, permettra aux Canadiens d'exprimer leurs points de vue et leurs intérêts. Nous n'avons rien à redire à cette politique gouvernementale générale. Ce qui nous inquiète, par contre, ce sont les répercussions du projet de loi C-55 sur l'économie canadienne si l'administration américaine donne suite à ses menaces de rétorsion. Elle a d'ailleurs déclaré qu'elle imposerait des mesures punitives contre certains produits d'exportation canadiens, y compris le bois d'oeuvre canadien.

Nous pensons que vous connaissez probablement bien le fonctionnement de l'ALENA et, dans le cas de l'industrie du bois d'oeuvre du Canada, celui de l'accord américano-canadien sur le bois d'oeuvre.

Je vais parler des difficultés que rencontre actuellement notre industrie avec les États-Unis.

Depuis la signature de l'accord sur le bois d'oeuvre en 1996, qui expire en 2001, le puissant lobby américain de l'industrie du bois d'oeuvre ne cesse de pousser l'administration américaine à accroître les restrictions imposées aux exportations de produits de bois d'oeuvre canadiens qui ne sont pas pour l'instant visés par l'accord sur le bois d'oeuvre. L'administration américaine a pris des mesures suite aux grands efforts de lobbying déployés par ce secteur de l'industrie américaine du bois d'oeuvre, appelé la U.S. Coalition for Fair Lumber Imports. Les douanes américaines ont reçu ordre du représentant américain du commerce extérieur de redéfinir certains produits de bois d'oeuvre qui n'étaient pas limités par l'accord sur le bois d'oeuvre de manière à les englober dans la catégorie des exportations canadiennes limitées. Tout a commencé par les poutres préforées.

Je suis sûre que les journaux vous tiennent au courant de cette affaire depuis un an et demi. Même si l'OMC a indiqué à titre privé au gouvernement américain que ces exportations n'étaient pas limitées par l'accord, le gouvernement américain n'en a pas soufflé mot tout au long des procédures judiciaires et du processus d'annulation et les poutres préforées sont devenues des importations limitées en vertu de la nouvelle définition unilatérale de ce produit par les douanes américaines.

Le gouvernement américain examine maintenant d'autres produits de bois d'oeuvre à valeur ajoutée dans le but de les définir de nouveau afin de limiter leur exportation par le Canada aux États-Unis. La perte de ces exportations se chiffre dans les 2 milliards de dollars, ce qui aura un effet marqué sur le bois d'oeuvre canadien et sur les secteurs de transformation du bois d'oeuvre, sur la création d'emplois et sur les recettes fiscales du Canada.

Nous savons très bien comment l'administration américaine use de son pouvoir pour servir certains groupes de lobbyistes américains. Nous savons notamment qu'il ne faut pas sous-estimer sa volonté d'agir unilatéralement et à l'encontre des intérêts canadiens. À l'heure actuelle, par l'entremise d'une poursuite devant les tribunaux américains intentée par l'un de nos membres, l'American Baybridge Corporation, société canadienne qui est d'ailleurs la mienne, nous contestons ces mesures administratives unilatérales prises par le gouvernement américain et espérons nous en débarrasser.

Le gouvernement américain considérerait-il la promulgation du projet de loi C-55 comme une raison suffisante justifiant d'autres mesures administratives visant à redéfinir les produits de bois d'oeuvre à valeur ajoutée du Canada? La réponse est «oui». Le gouvernement américain imposerait-il ensuite d'autres limitations aux exportations de produits de bois d'oeuvre à valeur ajoutée du Canada? La réponse est «oui». Cela ne fait aucun doute. La réponse est «oui».

Nous croyons fermement que le Canada se met dans une impasse et il en fera les frais au plan économique, en termes absolus et aussi en ce qui concerne l'industrie des magazines; toute échappatoire ou tout recul serait un précédent honteux pour le déroulement futur des négociations et des relations commerciales entre le Canada et les États-Unis. Si le Canada adopte et met en oeuvre le projet de loi C-55, cela permettra à l'administration américaine de choisir le champ de bataille où elle a l'avantage. À cause des compressions qui seront imposées par l'administration américaine, le Canada risquera de perdre des exportations, des emplois et des recettes fiscales.

Serait-ce trop cher payer que de soustraire les magazines américains à tirage dédoublé à l'application du projet de loi C-55? Comme vous le savez, le projet de loi renferme de nombreuses exceptions importantes. Selon certains, la sauvegarde de notre identité canadienne n'a pas de prix et le Canada doit prendre position par rapport au principe en jeu. Nous vous incitons fortement à ne pas le faire.

La politique du gouvernement canadien doit, entre autres choses, englober la sauvegarde des emplois pour les Canadiens au Canada. La capacité des Canadiens de gagner leur vie et d'être indépendants doit également être un élément important de la politique gouvernementale du Canada.

Cela ne veut pas dire qu'il faut abandonner l'esprit du projet de loi C-55. Notre association s'oppose à toutes les tactiques déloyales auxquelles l'administration américaine pourrait avoir recours suite aux demandes pressantes de la puissante industrie de lobbying des États-Unis.

Le secteur canadien du bois d'oeuvre examine divers recours dont il peut se prévaloir en vertu des accords canado-américains et devant les organismes qui ont été créés pour surveiller le commerce international pratiqué par leurs membres.

Nous recommandons fortement au gouvernement de ne pas adopter une politique de provocation ou de confrontation avec les États-Unis pour l'instant. D'autres possibilités sont offertes, permettant au Canada de bénéficier de l'appui d'autres pays membres aux yeux desquels la sauvegarde de l'identité culturelle est un souci qu'ils partagent avec le Canada. L'heure est à la diplomatie, au recours aux règles et organismes prévus pour régir le commerce international.

Cette solution de rechange prend bien sûr beaucoup de temps. Des obstacles ne vont pas manquer de surgir. Toutefois, c'est ainsi que le Canada devrait procéder, à notre humble avis.

Le sénateur Rompkey: De toute évidence, nous sommes plus vulnérables que je le pensais. Je crois que c'est M. Myers qui a dit que les États-Unis n'ont pas à prendre de mesures de rétorsion, ils n'ont qu'à menacer de le faire. Être si vulnérable, cela fait très peur. Je ne m'en étais pas rendu compte.

J'aimerais vous lire deux citations et ensuite savoir ce que vous en pensez.

La première est tirée de Folio, qui se décrit comme étant le magazine de gestion des magazines:

Malgré tout ce tohu-bohu, les éditeurs de ce côté de la frontière sont d'avis que le projet de loi aurait peu d'effets sur les intérêts des magazines américains. «Il n'y a pas tellement de publicité, là-bas», selon Bob Crosland, directeur de AdMedia Partners, banque d'investissement de l'industrie des médias située à New York. Crosland évalue à près de 150 millions de dollars le marché canadien de la publicité dans les magazines.

En d'autres termes, il n'y a pas vraiment de raison de s'inquiéter que les États-Unis veuillent prendre des mesures de rétorsion à l'encontre d'exportations de bois d'oeuvre ou d'autres exportations canadiennes d'une valeur de plusieurs milliards de dollars. Ron Atkey, avocat pour Time Canada, qui a comparu devant nous la semaine dernière, est d'accord sur ce point.

Gordon Ritchie, qui a négocié l'accord du libre-échange pour le Canada avec les Américains, nous a mis en garde, lorsqu'il a comparu devant nous, en disant que si nous cédons, nous serions à la merci des Américains. Il a dit ceci:

Je dois également dire que, compte tenu de leurs antécédents et de leur expérience, ils peuvent très bien croire que le Canada cédera sous la pression si celle-ci est exercée comme il le faut. À mon avis, c'est la raison pour laquelle ils s'appliquent à «diviser pour régner», jeu dont ils sortent toujours gagnants. Lorsque les producteurs de métal canadiens disent: «S'il vous plaît, tenez compte des Américains sur ce point pour que nous n'en fassions pas les frais», leur stratégie fonctionne aussi bien qu'ils l'avaient pensé.

J'aimerais savoir ce que vous pensez de ces deux déclarations.

M. Dottori: La dernière est parfaitement juste. C'est ce qu'ils ont fait pour l'accord sur le bois d'oeuvre. Ils ont dressé les provinces et les sociétés les unes contre les autres. Nous nous sommes alors disputés et ils en sont sortis gagnants.

C'est notre position et c'est ce que nous voulons dire ici: il s'agit d'une question culturelle et d'une question commerciale et les deux devraient être traitées séparément.

Sur ces deux questions, votre position devrait être forte. À notre avis, si l'on mélange les deux, on en sortira perdant. Ce qui nous inquiète surtout, c'est que nous ne voulons pas perdre 150 millions de dollars, puisque c'est ce que cela représente. Il ne faut absolument pas faire preuve de faiblesse.

Ces déclarations sont valables. Avant de parvenir à un accord sur une question culturelle -- et nous ne pensons pas que ce soit une question culturelle, mais plutôt une question économique -- peut-être que le gouvernement canadien devrait prendre du recul et examiner l'ensemble des relations canado-américaines. Nous avons signé un accord de libre-échange, et pourtant, ils le défont article après article. Je ne suis pas sûr qu'il y a véritablement un libre-échange entre nos deux pays.

Mme Nugent: Ces trois dernières années, j'ai participé très activement au débat sur certaines questions relatives au bois d'oeuvre. J'ai dû créer des réseaux et travailler avec beaucoup de nos alliés américains aux États-Unis, comme les constructeurs d'habitations et les marchands de bois d'oeuvre américains qui ne sont pas satisfaits de l'accord sur le bois d'oeuvre ni non plus des limites imposées aux échanges. Ils aimeraient un marché ouvert de manière que les consommateurs américains puissent en profiter au lieu d'être assujettis à la volatilité des marchés et des prix. Tout au long de ce processus, nous nous sommes efforcés de travailler avec eux pour sensibiliser les sénateurs et les membres du Congrès à un point de vue différent. L'année dernière, nous avons travaillé fort pour obtenir un point de vue différent à Washington à propos du bois d'oeuvre.

Par exemple, un sénateur républicain a posé des questions au Trade Subcommittee. Beaucoup de sénateurs et de représentants du Congrès ont commencé à demander pourquoi le gouvernement américain harcèle le Canada, son meilleur partenaire commercial.

J'aimerais vous renvoyer à une partie d'une lettre présentée au Trade Subcommittee présidé par le républicain Phil Crane. Il s'agit d'un scénario où nous avons convaincu les sénateurs et les membres du Congrès de poser des questions pour savoir pourquoi le Canada fait l'objet de harcèlement. Elle est écrite par une association représentant les marchands de bois d'oeuvre et de matériaux de construction, qui regroupe quelque 15 000 sociétés.

J'ai participé hier à l'audience du Trade Subcommittee of Ways and Means de la Chambre des représentants, présidé par le Républicain Phil Crane [...] Robert Fisher et le commissaire américain aux douanes Kelly témoignaient au nom de l'administration. Après leur témoignage, les membres du comité leur ont posé des questions.

Ainsi, Ramsay a posé des questions au représentant des douanes lui demandant pourquoi il était si pressé de reclassifier les produits du bois en provenance du Canada pour qu'ils soient visés par l'accord sur le bois d'oeuvre. C'est, d'après nous, relié au projet de loi C-55.

Plus tard, le président Crane a vigoureusement exigé que le représentant du commerce extérieur explique ce que son bureau faisait au sujet du C-55.

Le président a expliqué comment il comprenait cette mesure législative qui, si elle est adoptée, limiterait l'importation de magazines américains au Canada afin de sauvegarder l'intégrité culturelle du Canada.

L'ambassadeur Fisher a répondu avec diplomatie que des discussions étaient menées de bonne foi avec le gouvernement canadien pour essayer de résoudre ce problème.

Il m'a dit personnellement: «Est-ce que le Canada a perdu la tête? Nous consacrons énormément de temps et d'argent aux États-Unis pour convaincre notre gouvernement que les exportations de produits de bois d'oeuvre canadiens ne devraient pas être limitées. À l'heure actuelle, les exportations de bois de charpente, équivalant à des milliards de dollars, sont limitées. Les efforts d'expansion déployés par les producteurs américains pourraient ajouter un milliard de dollars de plus de produits et détruire des centaines d'entreprises au Canada. Nous avons suffisamment de disputes au sujet des échanges minuscules de bétail et de blé, et cetera; le Canada doit quand même avoir une idée de la situation économique dans son ensemble.»

C'est son point de vue personnel après qu'il a participé à certaines des séances où nos alliés américains essayent de travailler avec les représentants du Congrès et les sénateurs pour assurer l'ouverture de la frontière pour notre bois d'oeuvre. Depuis un an environ, des mesures de rétorsion ont été prises à l'égard de produits visés par les accords sur le bois d'oeuvre. Nous pensons que le projet de loi C-55 a été mis en cause, d'une façon ou d'une autre.

M. Myers: Je ne crois pas qu'il y ait beaucoup d'entreprises qui ne soient pas touchées. D'après Mme Nugent, la menace de rétorsion n'est pas répréhensible, mais elle l'est.

Tant que le Canada négocie avec les États-Unis un règlement éventuel de la question, nous devrions adopter la position de négociation la plus forte possible, mais aussi attendre l'issue de ces négociations avant d'adopter cette loi.

M. Ritchie a parfaitement raison. Les États-Unis savent très bien jouer le jeu de «diviser pour régner». J'espère qu'ils ne vont pas finir par régner dans ce cas-là. Néanmoins, il s'agit de véritables préoccupations et de véritables entreprises qui perdent de l'argent en ce moment même par suite des menaces que je viens de décrire.

Le système de distribution en Amérique du Nord est bien intégré. Il ne faut pas beaucoup de menaces avant que d'éventuels clients abandonnent la négociation de nouveaux contrats puisque, selon eux, le jeu n'en vaut pas la chandelle. C'est ce qui arrive dans certains secteurs.

Pour ce qui est de votre première citation affirmant qu'il n'y a pas beaucoup de publicité au Canada, de toute façon, on pourrait se demander: Pourquoi alors se donnent-ils la peine de brandir la menace de mesures de rétorsion? On pourrait également se demander: à quoi sert le projet de loi?

Le sénateur Rompkey: M. Dottori a dit qu'il ne faudrait pas confondre culture et commerce. D'autre part, Gordon Ritchie a paraphrasé Winston Churchill en disant que ce que nous faisons maintenant est effroyable, odieux, mis à part tout le reste. Cependant, d'après son expérience, son examen et son analyse, M. Ritchie ne connaît pas de mesure qui soit meilleure que celle qui est actuellement proposée.

Pourriez-vous proposer une meilleure mesure que ce projet de loi dont nous sommes saisis?

M. Dottori: Je n'en sais pas suffisamment pour dire s'il existe une meilleure mesure. La culture est intrinsèque. Les pays doivent toujours protéger la culture dans une certaine mesure, sans toutefois aller trop loin, comme c'est le cas en Europe. Je n'en sais pas suffisamment pour proposer des solutions de rechange.

Mme Nugent: En ce qui concerne le bois d'oeuvre, nous nous sommes adressés à divers organismes. Nous avons fait l'objet de contestations devant les tribunaux américains du commerce international à New York. Nous avons fait l'objet de poursuites devant les cours d'appel à Washington. Nous prenons actuellement des mesures à l'OMC pour dénoncer l'illégalité de la reclassification des produits par les douanes américaines. Nous travaillons également sur l'affaire des subventions du bétail, qui peut avoir un effet sur le bois également.

Notre industrie a dû examiner de très près les possibilités qui s'offrent à elle. Pour ce qui est de la question culturelle, nous demandons pourquoi il faudrait provoquer une confrontation visant le commerce. Les Américains prendront des mesures de rétorsion. Ils ont déjà commencé à le faire pour le bois d'oeuvre. Trouvons d'autres possibilités et une autre façon de procéder qui ne suscitent pas la confrontation.

M. Myers: Il est un peu difficile de répondre lorsque l'on prend des idées complètement inattendues et que l'on tente d'aborder rationnellement la question. Ce sera une question politique, une question négociée. L'issue de ce processus peut se traduire par autre chose que ce que l'on a actuellement et qui peut être préférable.

Le sénateur Forrestall: Je vais demander à M. Myers et à Mme Nugent de nous donner autre chose que de l'information anecdotique. Avez-vous des arguments? Pouvez-vous citer des exemples qui indiquent que de l'argent ou des contrats ont déjà été perdus ou que des sources se sont évaporées pour quelque raison que ce soit? Pouvez-vous le prouver ou n'avez-vous que des preuves anecdotiques?

Mme Nugent: Pour ce qui est du bois d'oeuvre, nos poutres préforées qui entraient aux États-Unis sans subir de mesure punitive ne peuvent pas maintenant passer la frontière sans une pénalité de 100 $ américains pour 1 000. Cela équivaut à des exportations historiques de près de 750 millions de pieds, l'année précédente, soit une diminution de plus de 50 p. 100.

Les États-Unis ont ciblé deux autres produits du bois et leurs décisions seront annoncées d'ici un mois environ. Ces produits passeront par le même processus. Le représentant américain du commerce extérieur dans ses communications avec l'ambassade du Canada à Washington, a une liste de 50 décisions qui vont éventuellement passer par le même processus. Il s'agit de chiffres significatifs.

Le sénateur Forrestall: C'est depuis bien avant le projet de loi C-55 et bien avant cette question de publicité dans des magazines à tirage dédoublé qui remonte très loin, en fait aussi loin que je me souvienne, que nous nous heurtons avec les États-Unis au sujet des exportations du bois d'oeuvre canadien. Une pénalité de 100 $ américains pour 1 000 influerait sur les taux concurrentiels et les échanges diminueraient.

Mme Nugent: Absolument. Les exportateurs ne peuvent pas se permettre de subir de telles mesures punitives.

Le sénateur Forrestall: Ce n'est pas en raison de déclaration officielle, mais vous savez par expérience que toute menace proférée par les Américains a toujours un fort impact.

Mme Nugent: Nous nous battons avec les Américains depuis 15 ans au sujet du bois d'oeuvre. Nous avons quelques membres du Free Trade Lumber Council qui étaient membres aux États-Unis. Ils nous ont encouragé à lancer une campagne locale aux États-Unis pour atteindre tous nos clients américains. C'est une campagne de sensibilisation visant à leur indiquer jusqu'à quel point cela peut nuire à leur entreprise et à leurs sources d'approvisionnement. Nous voulons que nos alliés américains commencent à sensibiliser les membres du Congrès et les sénateurs qui s'intéressent de près à l'industrie américaine et qui n'ont pas apprécié l'Accord sur le bois d'oeuvre. C'est à ce niveau là que nous obtiendrons les changements voulus, non par suite des exigences du Canada.

Le sénateur Forrestall: Si vous trouvez de bons témoins là-bas, envoyez-les-nous.

M. Myers: J'aimerais pouvoir énumérer ici certaines des sociétés qui nous ont contactés, mais elles n'apprécieraient pas que je donne leur nom en public. Je me ferais un plaisir de leur demander de vous écrire ainsi qu'à vos collègues.

Le sénateur Forrestall: Vous nous donnez des preuves anecdotiques, je n'ai aucune raison d'en douter, mais il est difficile d'avancer de solides arguments.

Toutefois, nous serions très heureux de recevoir de telles lettres. Ces sociétés pourraient écrire en toute confiance au greffier ou la présidence du comité, lequel se pencherait alors sur la question. C'est une possibilité.

Ceux qui parmi nous viennent du Canada atlantique sont très sensibilisés au rôle que l'industrie des forêts joue dans notre quotidien. Toutefois, je déteste me couper l'herbe sous le pied. Si nous avions quelque chose de plus, ce serait bien.

Avant que le projet de loi C-55 ne soit rédigé, avez-vous été consulté par le gouvernement ou par les représentants au commerce du gouvernement?

M. Myers: Non, nous n'avons pas été consultés au sujet de la rédaction du projet de loi C-55.

Mme Nugent: Nous avons eu des audioconférences périodiques avec le gouvernement fédéral et les représentants de l'industrie. Nous n'avons pas été consultés au sujet de ce projet de loi avant qu'il n'ait atteint l'étape de la deuxième ou de la troisième lecture.

Le sénateur Forrestall: Vous ne saviez absolument pas qu'il allait faire son apparition?

Mme Nugent: Absolument pas.

Le sénateur Forrestall: Je trouve cela loin d'être utile vu la position dans laquelle nous nous trouvons actuellement.

Cet après-midi, nous avons entendu deux de mes collègues distingués qui ont décidé qu'il ne servait pas à grand-chose d'être ici ce soir, une entente ayant été conclue avec nos amis américains.

Vous êtes certainement au courant des négociations et les suivez de près. Avez-vous entendu quoi que ce soit aujourd'hui ou hier qui pourrait vous faire croire que nous sommes tout près d'une entente -- si pas à cette étape?

M. Myers: Nous savons que nous sommes très près d'un accord. Toutefois, je ne sais pas où en sont les négociations.

Le sénateur Fitzpatrick: J'aimerais revenir sur une observation faite au sujet de l'esprit du projet de loi. Je crois que si nous débattons de la question, c'est parce que nous croyons, je l'espère, qu'il est nécessaire de protéger notre culture et notre patrimoine; sinon, ce projet de loi n'aurait pas été rédigé.

Le gouvernement a conclu, après mûre réflexion, que c'est la meilleure mesure législative possible. Vous pouvez ne pas être d'accord, mais c'est la conclusion à laquelle est arrivé le gouvernement.

Chaque fois que l'on met quelque chose en jeu, et notre culture est en jeu, on prend quelques risques. Nous prenons des risques en étant tout simplement le partenaire commercial des États-Unis, les Américains ayant la réputation d'être des négociateurs très durs.

J'ai du mal toutefois à croire que le projet de loi C-55 entraîne des mesures de rétorsion de la part des Américains à l'encontre de toute une série de secteurs commerciaux au sujet desquels ils nous attaquent constamment dans tous les cas. Je ne crois pas que c'est ce qui pousse les Américains à cibler certains de nos secteurs commerciaux.

Je viens de la Colombie-Britannique et je connais l'importance de l'industrie du bois d'oeuvre dans cette province. Je connais également l'importance de l'industrie de la pêche en Colombie-Britannique. Toutefois, croyez-vous vraiment que c'est le projet de loi C-55 qui provoque les négociations difficiles que nous menons actuellement avec les États-Unis sur l'accord du bois d'oeuvre ou sur le traité du saumon du Pacifique? Même en faisant un gros effort d'imagination, je ne crois pas que l'on puisse dire que c'est à cause du projet de loi C-55.

Je suis au courant des problèmes que nous connaissons dans l'industrie du bois d'oeuvre depuis 15 ans. Je prévois que nous aurons les mêmes problèmes les 15 prochaines années.

Je ne crois pas non plus qu'il soit juste de dire que les problèmes que nous avons au sujet des poutres préforées découlent du projet de loi C-55. À l'heure actuelle, nous avons ces problèmes commerciaux avec les États-Unis et nous allons continuer de les avoir.

Pensez-vous véritablement que le projet de loi C-55 explique la raison pour laquelle les négociations que nous avons avec les États-Unis sur toute une série de questions commerciales sont si difficiles?

Mme Nugent: Ces 15 dernières années, c'est toujours le bois de base qui a été ciblé dans les négociations sur le bois d'oeuvre avec les États-Unis. C'est la première fois que nous avons une confrontation avec les Américains au sujet des produits à valeur ajoutée.

Je ne dis pas que c'est la seule raison pour laquelle nous avons ces difficultés avec les États-Unis, mais ce projet de loi ne cesse de refaire surface dans toutes les séances que nous avons avec les Américains, où l'on essaie de régler certains de ces problèmes. C'est un catalyseur à certains égards; jusqu'à quel point, je ne pourrais pas vous le dire, mais il est toujours là. Je ne pense pas, même en faisant un gros effort d'imagination, que l'on puisse dire que ce n'est pas à cause du projet de loi C-55.

Le sénateur Fitzpatrick: Nous avons eu des problèmes avec les poteaux préforés avant le dépôt du projet de loi C-55. Je ne crois pas que cette mesure législative ait quelque chose à voir avec ce problème.

Nous croyons aussi comprendre que le problème des poteaux préforés a pris de l'ampleur. Au début, le problème était plutôt mineur. Il s'est amplifié depuis que l'on a su tirer parti des produits à valeur ajoutée ou à soi-disant valeur ajoutée.

Êtes-vous d'accord pour dire que le problème des poteaux préforés ou des produits à valeur ajoutée s'est posé avant le dépôt du projet de loi C-55.

Mme Nugent: À vrai dire, je ne sais pas à quel moment a été rédigé le projet de loi C-55. Cependant, les problèmes en ce qui a trait aux poteaux préforés remontent à 16 mois.

M. Myers: Madame la présidente, l'une de nos préoccupations est à coup sûr les nombreux irritants et différends commerciaux que nous connaissons à l'heure actuelle. Les autorités commerciales américaines sont passées maîtres dans le choix et le ciblage des secteurs où les problèmes ne sont pas résolus.

On craint que cela ne fasse augmenter les coûts pour ces secteurs. On s'inquiète aussi de ce que les problèmes commerciaux se soient étendus à certains autres secteurs. Certaines entreprises qui éprouvent des difficultés sont des clients de moindre envergure.

Les clients du secteur de l'automobile dépendent d'un accès à faible coût de revient. Pour les contrats qui ont été négociés trois et quatre ans d'avance en s'appuyant sur un fléchissement du prix, ce sont ces clients qui ne peuvent transmettre ces résultats.

Ce que je veux aussi faire valoir c'est que l'on ne sait plus trop l'importance que revêt, d'une part, l'aspect culturel et, d'autre part, l'aspect commercial. S'il s'agit ici de trouver une solution aux questions de dumping touchant aux services et aux services de publicité, nous devrions peut-être alors opter pour intégrer à un nouvel accord général des dispositions relatives aux services et au dumping.

Le problème se serait-il posé si les magazines étaient traités simplement comme un produit manufacturé. Si c'est le principal problème principal que cette mesure législative tente de régler -- et je crois qu'il s'agit là d'une question importante sur laquelle nous devrions nous pencher -- nous devrions nous tourner vers des, surtout dans le contexte de l'OMC, pour trouver une solution.

Le sénateur Callbeck: Je veux poursuivre dans la même veine que le sénateur Fitzpatrick. Je veux me reporter au même article tiré du magazine Folio, le magazine pour la gestion des magazines, et qu'a lu le sénateur Rompkey. On y cite des propos qu'a tenus M. Crosland, le directeur général d'AdMedia Partners, une banque d'investissement de l'industrie des médias, basée à New York. Il affirme que le U.S. Trade Office ne parvient même pas à convaincre même les éditeurs de venir à Washington pour témoigner relativement à cette question.

Il me semble que le projet de loi C-55 n'a aucune importance pour l'industrie américaine des magazines. Il semble que le U.S. Trade Office ne l'aime pas. Cependant, le projet de loi ne semble ne pas avoir grand-chose à voir avec l'industrie des magazines aux États-Unis.

M. Myers: Si c'est le cas, il s'agit alors d'une situation assez lamentable aux États-Unis. Pourtant, c'est un sujet d'inquiétude. C'est une question que les responsables du commerce aux États-Unis ne prennent pas à la légère. C'est certainement une question que nos industries prennent au sérieux.

M. Dottori: Ils éprouvent certains des problèmes que nous avons parfois, à savoir que les politiciens et le gouvernement prennent des positions auxquelles l'industrie ne souscrit pas nécessairement, que ce soit pour d'autres raisons ou pour une raison associée à une négociation globale.

La position officielle du Free Trade Lumber Council est que nous n'établissons pas de lien direct entre le projet de loi C-55 et aucune des réactions du gouvernement. Cependant, dans la lettre à laquelle a fait allusion Mme Nugent, vous pouvez voir que l'impression, du moins dans certaines régions des États-Unis, est que nous bloquons l'accès du marché canadien aux magazines américains. Cette désinformation peut servir à prendre d'autres décisions.

C'est en partie une question de perception et parfois les grandes compagnies en cause mélangent les faits. De toute évidence, le U.S. Trade Office, les politiciens et certains membres du Congrès utilisent cela à leur avantage, à nos dépens. Ce qui nous préoccupe ici, c'est qu'il s'agit d'une question culturelle et qu'à ce chapitre l'émotion prend vite le dessus. Nous sommes tous des Canadiens aguerris et nationalistes. Nous croyons à la protection de notre culture. Il importe qu'on ne mêle pas cela à une question commerciale et qu'on examine de plus près la situation.

En même temps, s'il s'agit d'une question commerciale, alors tenons-nous en là. S'ils règlent la question cet après-midi, notre discours est peut-être futile. Nous croyons que nous mélangeons ici les questions culturelles et commerciales. La perception est peut-être ce qui complique la question.

Le sénateur Johnstone: J'aimerais demander à nos invités si, à leur avis, il existe un moyen terme entre les négociations et l'abdication.

Mme Nugent: Comme nous n'avons pas participé à ce processus de négociation, nous ne pouvons faire des observations.

Ce qui nous inquiète, c'est que les Américains ont fait savoir, par l'entremise du U.S. Trade Office, que des mesures de représailles seront prises contre notre secteur. Cela nous inquiète. S'ils le font, notre manque à gagner dans le secteur des exportations aux États-Unis se chiffrerait à des milliards de dollars. Nous ne pourrions reprendre ces exportations. Nous perdrons des marchés et des clients. D'autres exporteraient leur bois. Si vous nous garantissez que nous n'avons rien à craindre, vous avez alors le feu vert en ce qui a trait au projet de loi C-55.

Le sénateur Fitzpatrick: Personne ne peut garantir que les Américains ne se montreront pas intransigeants à l'égard du bois d'oeuvre résineux maintenant ou plus tard.

Le sénateur Maheu: Les négociations concernant le projet de loi C-55 ont été amorcées soit en octobre ou novembre 1998. Vous avez dit que vous vous battez depuis 15 ans avec les États-Unis. Qu'est-ce que cela a à voir avec le projet de loi C-55? Dans quelle mesure le projet de loi C-55 peut-il avoir quelque chose à voir avec les problèmes avec lesquels vous êtes aux prises depuis 15 ans? C'est à peu près ce qu'a dit le sénateur Fitzpatrick.

Mme Nugent: Les problèmes avec le bois d'oeuvre résineux remontent à 15 ans. On ne nous a pas attaqués en ce qui a trait aux produits à valeur ajoutée. Les produits à valeur ajoutée ont été exclus de l'accord sur le bois d'oeuvre résineux signé en 1996. Aucune barrière n'a été imposée à la frontière.

Ce qui s'est produit au cours de la dernière année, c'est que les douanes américaines ont reclassifié les produits par l'entremise d'une position harmonisée de sorte que les produits à valeur ajoutée tomberaient maintenant sous le coup de l'accord sur le bois d'oeuvre résineux. Une décision sera rendue au sujet des poutres préforées et de deux autres produits d'ici un mois. Ils s'attaqueront également à trois autres produits.

Le sénateur Maheu: Cela n'a pas commencé en novembre dernier lorsque les pourparlers ont été amorcés au sujet du projet de loi C-55.

M. Dottori: Cette discussion a été amorcée avant le mois d'octobre.

Le sénateur Forrestall: Je ne veux pas laisser le dernier point en suspens. Il y a deux questions distinctes ici. J'ai posé la question et j'ai été surpris de la réponse. Il s'agit d'une question que vous voudrez vous poser à vous-mêmes: le gouvernement a-t-il déjà abordé cette question? C'est à ce moment où vous auriez dû soulever vos objections. Vous nous avez répondu qu'il n'y avait pas eu de discussion avant que le projet de loi soit parvenu pour ainsi dire à l'étape de la deuxième lecture.

La présidente: Je pense que nous devrions poser la question à ministre qui comparaîtra de nouveau mardi prochain devant le comité.

Le sénateur Forrestall: Comment la ministre peut-elle me dire ce que ces témoins savent?

La présidente: Je dis que nous pouvons demander à la ministre qui a été consulté au sujet du projet de loi C-55 avant l'étape de la première lecture à la Chambre des communes.

Le sénateur Forrestall: J'essaie de bien faire comprendre que cela n'avait rien à voir avec les pénibles problèmes de l'industrie du bois d'oeuvre résineux dont je m'accommode depuis une trentaine d'années. Cela n'a rien à voir avec cela. Ma question porte sur le moment où les gouvernements ont procédé à des consultations, si tant est qu'ils y ont procédé. Apparemment, ils ne l'ont pas fait.

La présidente: Je vais maintenant demander à Mme Callwood de nous rejoindre à la table.

Mme June Callwood, auteure: Je veux vous remercier, de même que le greffier, M. Patrice, de l'indulgence dont vous avez fait preuve pour tenir compte de mon horaire. Je suis désolée de tout inconvénient que cela a pu causer au comité ou aux autres témoins.

J'ai l'impression que vous avez entendu des gens très puissants, très fortunés et ayant de très bons contacts. André Cornellier et moi-même faisons entendre une autre voix. Je suis auteure. J'ai présidé La Writers' Union of Canada et le Book and Periodical Council de même que PEN Canada et j'ai assumé la vice-présidence de la Periodical Writers' Association of Canada ainsi que le Fonds de développement littéraire -- les principaux organismes du domaine de la rédaction. J'aimerais aussi dire que je représente certains d'entre eux même s'ils l'ignorent.

Je suis dans le domaine depuis très longtemps. J'ai écrit mon premier article de magazine il y a 54 ans et mon plus récent, le mois dernier. J'ai eu l'impression pendant tout ce temps de faire partie de l'industrie canadienne du magazine. Mon mari, Trent Frayne, qui écrit aussi des articles pour des magazines, et moi-même avons presque toujours été pigistes. Nous avons élevé nos enfants pour ainsi dire grâce aux revenus que nous avons tirés d'articles rédigés à la pige et nous nous ne sommes pas les seuls à l'avoir fait. D'un bout à l'autre du pays, nombreux sont ceux qui sont devenus des auteurs dans l'industrie canadienne du magazine.

Jack Stoddart peut confirmer ce que j'ai dit. Il a publié quelques-uns de mes livres. Presque tous les auteurs de livres documentaires percent grâce aux magazines, à quelques exceptions près. Je connais très peu de ces exceptions. C'est la partie égocentrique de ce que je veux vous dire. Il y a beaucoup de gens qui dépendent des magazines pour vivre. Cela n'est pas aussi important, aussi cher à mon coeur, que de vous parler de l'apport des magazines canadiens à l'industrie culturelle.

J'estime que les poètes sont des visionnaires dont les livres peuvent être lus dans n'importe quel pays. Ils sont presque apatrides. Un grand nombre de nos romanciers ne situent pas leur histoire au Canada. Le fait que le Canada est notre unique patrie est particulier aux écrivains d'oeuvres non romanesques. Nous n'essayons pas de cerner un problème américain dans un magazine américain, à l'exception de David Frum.

Notre travail consiste à comprendre l'évolution et les transformations au Canada et à les documenter. Lorsque mes collègues et moi-même faisons de la recherche pour un livre, nous consultons des magazines. Il y a une raison pour cela. Les magazines peuvent donner aux écrivains le loisir de faire leur recherche en profondeur ce qui n'est pas le cas pour les journaux. Selon le montant que le magazine peut leur verser et leur niveau de tolérance, les auteurs peuvent consacrer des semaines et des mois à vraiment essayer de comprendre par exemple le populisme dans les Prairies, qui ne prête pas facilement à un autre format que le magazine. Je crois qu'un texte comportant entre 2 500 et 5 000 mots convient parfaitement pour étudier un sujet canadien compliqué qui prend du temps à comprendre et à étudier sous tous ses aspects.

Si vous voulez savoir ce qui se passe au Canada en lisant n'importe quel autre magazine dans le monde, vous n'y parviendrez pas. Vous ne pouvez lire à notre sujet que dans nos magazines. Comme d'autres vous l'ont sûrement déjà dit, nos rayons de magazines ne reflètent pas la vitalité de notre industrie canadienne du magazine. Les magazines canadiens sont très peu représentés dans les étalages par rapport aux autres, mais ils sont les seuls qui vous parleront de la complexité de notre pays, qui vous diront à quel point il est intéressant et magnifique et quelles régions sont en proie à des troubles. Ils trouvent nos fripons et nos héros. Ils sont devenus le tissu de nos vies ordinaires. Nous regarder un magazine et nous voir nous-mêmes et voir, à travers notre histoire, dans quelle mesure nous avons grandi et changé. Sans ce moyen de communication dans ce pays à l'incroyable géographie, un pays si illogiquement vaste, nous perdrions une part inestimable de notre prise de conscience et de notre croissance. Je dirais que la SRC est une autre de ces voix unificatrices.

Notre pays est encore jeune. Nous n'avons pas encore une aussi haute opinion de nous-mêmes que les Américains. Nous avons beaucoup de mal à savoir qui nous sommes. Lorsque vous retirerez les magazines, ce qui se produira certainement si le projet de loi C-55 n'est pas adopté, je ne crois pas que vous trouverez rien d'autre pour les remplacer. Ni Internet, ni la radio, ni la télévision, qui ne parvient à capter notre attention que pour un court laps de temps, ne les remplacera. Si nous devons savoir qui nous sommes et atteindre notre potentiel, dans ce pays merveilleusement diversifié, il ne faut pas alors jeter les magazines par-dessus bord.

[Français]

M. André Cornellier, président de l'Association canadienne des photographes et illustrateurs en communications: Je suis photographe et je représente l'Association canadienne des photographes et illustrateurs. La majorité de notre travail provient de magazines et d'agences de publicité. C'est notre gagne-pain de tous les jours. La photographie ne va pas à la radio, ne va pas à la télévision. Les journaux représentent un marché complètement différent. Le magazine nous montre le Canada de toutes les façons. La photographie et les livres sont la porte d'entrée pour montrer le Canada.

Si quelqu'un a vu une partie du Canada ici ou à l'étranger, c'est parce qu'un photographe canadien est allé à cet endroit et a pris cette photo. Il y a plus de 12 000 photographes au Canada et ces gens ont pour objectif de montrer le Canada sous tous ses angles.

Il est vital pour un photographe d'avoir un véhicule pour pouvoir présenter ses photographies. Les magazines canadiens sont le véhicule le plus important où nous pouvons montrer le Canada et les gens du Canada aux Canadiens et à l'étranger.

On parle ici d'un problème d'argent pour les Américains. Pour nous, c'est un problème culturel beaucoup plus grand, mais c'est aussi un problème d'argent. Les photographes que je représente vivent grâce aux magazines. Chacun est une petite entreprise.

Par exemple, j'ai trois employés. On travaille avec des maquilleurs, des coiffeurs, des stylistes, des mannequins, des modèles, et cetera. Chaque photographe ne travaille pas seul, il travaille en collaboration avec beaucoup de personnes. Ce sont des montants quand même assez importants. Un simple photographe peut avoir jusqu'à un demi-million de chiffre d'affaires par année à cause des gens qui travaillent avec lui. On parle de sommes importantes. Beaucoup de gens sont touchés.

Les pressions de l'extérieur pour que le projet de loi C-55 ne soit pas adopté nous causent plusieurs problèmes. Ces pressions peuvent s'appliquer à n'importe quelle loi. On sait très bien que le projet de loi C-55 est tout à fait légal. Il n'y a aucun problème par rapport à NAFTA. La pression n'est pas vraiment justifiée pour écouter et réagir à ces pressions. Ce serait dommageable à long terme, pas seulement pour les photographes, mais pour beaucoup plus de causes que celle dont on parle.

De telles pressions pourraient être appliquées à d'autres moments et à d'autres endroits que l'industrie culturelle. Si les magazines perdent de leur force et disparaissent du marché où s'ils sont beaucoup plus faibles, quand il y aura d'autres causes avec les Américains ou avec d'autres pays au sujet de NAFTA, qui va en parler au bout de la ligne? Si les magazines ne sont plus là et qu'il y a un problème avec le bois d'oeuvre, qui va en parler aux gens du Canada? Qui va soulever le problème si les journalistes, les gens qui travaillent dans ce milieu ne sont plus présents parce que les véhicules ne sont plus présents? À long terme, on pourra perdre beaucoup plus que juste une petite guerre.Les gens semblent dire que ceci n'est pas très important. Il y a un principe en arrière de tout cela.On essaie de faire des pressions et si elles fonctionnent, elles seront répétées à plusieurs reprises. Si les magazines n'existent plus, qui va en parler à ce moment?

[Traduction]

Le sénateur Maheu: J'ai été impressionnée lorsque M. Stoddart a écrit qu'un tel appui à un projet de loi est sans précédent et que la totalité de vos 50 organismes appuient ce projet de loi et ses principes.

J'ai une question pour Mme Callwood et une autre pour M. Cornellier.

Madame Callwood, vous avez parlé de l'intervention américaine. Vous étiez ici pendant une partie des exposés qui ont été présentés. Vous avez posé la question suivante: si les États-Unis réussissent à bloquer le projet de loi C-55, laquelle de nos activités cibleront-ils la prochaine fois? Croyez-vous que le projet de loi C-55 se range parmi les quelques mesures que nous puissions utiliser pour protéger notre diversité culturelle?

Mme Callwood: Nous n'avons vraiment pas eu de chance lorsqu'il s'est agi de protéger notre diversité culturelle dans d'autres domaines. Je ne peux imaginer qu'elles pourraient être les répercussions psychologiques, si nous devions sacrifier aux Américains notre industrie du magazine. Je ne peux imaginer où cela se terminerait.

Cela ne sonnera pas le glas du Canada, mais ce sera la fin de notre pays tel que nous le connaissons depuis 75 ans.

La Conférence canadienne des arts a de quoi s'enorgueillir d'avoir organisé une splendide activité à l'intention des médias en ce qui a trait à cette mesure législative. Si nous avons reçu untel appui, c'est que tout le monde considère l'industrie des magazines comme un domino. Il suffit que cette pièce tombe pour déclencher une réaction en chaîne.

Nous n'avons pas de canal de distribution pour les films. Nous avons du mal à protéger notre industrie de l'édition étant donné sa fragilité. Nous n'avons pas la masse critique de partisans pour appuyer ces industries sans disposer d'une structure, grâce aux lois et à d'autres moyens, qui nous permettrait de garder notre caractère unique.

Ce serait déchirant de céder au sujet du projet de loi C-55. Je crois vraiment que nous en aurions le coeur brisé.

[Français]

Le sénateur Maheu: On dit souvent, pour ceux qui viennent de la province de Québec, que la culture est excessivement importante. Il faut la protéger. Dans ce dossier, on dit qu'on va subir des représailles des États-Unis. Les menaces sont toujours là, d'après d'autres intervenants dans le dossier.

Par contre, les mesures de représailles sont orientées vers d'autres secteurs de l'économie canadienne. N'est-ce pas égoïste un peu de notre part d'encourager le gouvernement à faire preuve de fermeté envers un pays aussi gros que les États-Unis, notre voisin du sud?

M. Cornellier: Je crois que c'est égoïste parce qu'on veut défendre le Canada. C'est un pays qu'on aime et qu'on veut conserver. C'est égoïste pour tous les Canadiens. Ce n'est pas égoïste seulement pour les photographes ou les journalistes. On parle de tout le monde quand on parle du Canada. Dans les magazines, on parle de tous les gens qui sont au Canada, de toutes les industries du Canada. Quand il y a un problème, on est là pour en parler et pour nous défendre. À chaque fois qu'il y a eu des problèmes, les magazines ont été utilisés pour justement discuter de ces problèmes en profondeur. Il y a eu plusieurs problèmes avec les États-Unis. On n'a jamais hésité à en parler. Nous pouvons remercier les créateurs et les journalistes de leur travail et de celui qu'ils vont continuer de faire. Oui, il faut être égoïste pour garder notre beau pays comme il est.

[Traduction]

Le sénateur Spivak: J'ai une observation et une question. Joni Mitchell a chanté une chanson dans laquelle elle dit qu'on ne se rend compte de la valeur d'une personne ou d'une chose qu'après l'avoir perdue.

Au Canada, il semble comme si cela n'avait pas toujours été ainsi, toutefois, nous semblons mourir à petit feu de milliers de coupures. Je souscris à ce projet de loi parce qu'il est temps que nous soyons fermes et que nous affirmions que c'en est assez.

La question du contenu canadien est revenue sur le tapis à plusieurs reprises dans les exposés des témoins. Comment le définissons-nous? S'agit-il d'une oeuvre qui est écrite au sujet des Canadiens par des Canadiens ou s'agit-il d'une oeuvre écrite d'un point de vue canadien?

À part cela, nous entendons dire que tout compromis serait basé sur le contenu canadien. J'espère qu'aucun compromis ne sera trouvé. Certains des témoins ont dit qu'un tel compromis ne serait pas bon puisqu'il est si difficile de définir le contenu canadien.

Qu'en pensez-vous?

Mme Callwood: Je ne sais pas dans quelle mesure mon observation sera différente. Il est difficile de définir le contenu canadien. En le définissant dans le sens d'un auteur canadien qui écrit sur un sujet canadien, vous pensez que le problème est réglé, mais cela pourrait mener à un genre d'exploitation. Je suis sûr qu'il y a un mot plus technique que celui-là. Un travail de recherche américain est réécrit par un écrivain canadien dans le contexte canadien. Bien sûr, l'adaptateur n'obtient pas un cachet très élevé pour remplacer simplement les données statistiques par des données canadiennes et rédiger un nouvel article, mais il s'agit alors d'une histoire canadienne.

Il faudrait que la définition soit telle qu'il soit difficile de la contourner.

Le sénateur Spivak: Il y a toutes sortes d'écrivains, par exemple Vikram Seth et Rohinton Mistry qui n'écrivent pas au sujet du Canada, mais qui sont des auteurs canadiens.

Croyez-vous que ce projet de loi est notre meilleure option? On nous a dit que c'est la meilleure solution pour vaincre l'obstacle commercial et préserver la culture canadienne tout en protégeant l'industrie canadienne de l'édition.

Mme Callwood: Je ne peux parler de la tentative pour surmonter l'obstacle commercial. Je sais que nous avons perdu un round. Je peux toutefois vous parler du sentiment partagé par les auteurs qui estiment qu'il s'agit de notre seule défense. Si le projet de loi est rejeté, nous ne voyons pas comment nous réussirons à survivre. Nous grands magazines nationaux perdront une bonne partie de l'appui dont ils jouissent à l'heure actuelle. Nous ne nous voyons pas survivre si le projet de loi C-55 est fortement amputé, comme le voudraient les Américains.

Le sénateur Spivak: Et il en va de même au Québec?

M. Cornellier: Oui. J'ai l'impression que les Américains essaient de nous rouler. Ils savent que ce problème existe partout. Ils sont aux prises avec le même problème au Japon et en Europe. Ce n'est pas nouveau. Ils essaient une nouvelle tactique ici étant donné que nous sommes si proches d'eux depuis de nombreuses années. Ils sont aux prises avec ce problème partout ailleurs, et ils le savent.

Le problème n'est pas si important qu'ils essaient de le faire croire. Le point qu'ils font valoir n'est pas si solide. Les Français en Europe sont beaucoup plus convaincus que nous au sujet de ces choses. Au Japon, même les Américains ont de la difficulté à établir un premier contact. Ici, cela leur semblait plus facile étant donné la grande similitude de nos langues et de nos cultures, mais ils connaissent très bien le problème. Je ne crois pas qu'il s'agit d'une mesure solide en ce sens que nous ne ménageons aucun effort pour leur faire du tort.

Le sénateur Spivak: C'est exact, mais je me posais des questions au sujet du contenu canadien du point de vue du Québec.

M. Cornellier: J'abonderais dans le sens de Mme Callwood lorsqu'elle dit qu'il est presque impossible de définir le contenu. S'agit-il d'un Canadien français ou d'une Canadienne française qui parle de Toronto? Il n'y a aucune façon de définir cela. Je pense que nous devons conserver le statu quo.

Le sénateur Fitzpatrick: Lorsque June Callwood dit qu'elle n'est qu'une simple auteure, elle fait preuve d'une trop grande humilité. Votre oeuvre est la raison même pour laquelle nous avons besoin d'une industrie canadienne du magazine -- pour que tous les autres jeunes auteurs actuels puissent se mettre en selle tout comme vous un jour.

Où iraient les jeunes auteurs aujourd'hui sans l'industrie canadienne du magazine? Nous entendons beaucoup parler de l'exode des cerveaux aux États-Unis. Devraient-ils aller aux États-Unis pour écrire? Soumettraient-ils des articles aux États-Unis? Les jeunes auteurs canadiens d'aujourd'hui auraient-ils les mêmes débouchés que vous aviez à vos débuts?

Mme Callwood: Les débouchés s'amenuiseraient grandement. Si le projet de loi C-55 n'est pas adopté, les petits magazines n'en souffriraient probablement pas. Ils peuvent survivre grâce à leurs auditoires spécialisés. Les grands magazines nationaux écoperont, ce qui est le secteur où les auteurs sont le plus touchés. Les petits magazines ne paient pas beaucoup -- le montant est habituellement de 50 $ par article. On ne peut pas aller très loin avec 50 $. La plupart des petits magazines paient entre 50 et 150 $ à la différence des grands magazines qui versent entre 2 000 ou 2 500 $.

J'écris à l'heure actuelle des articles de magazine parce que je suis en train de rédiger un livre. Dans ce pays, vous ne pouvez vous permettre de rédiger un livre sans gagner votre vie en écrivant des articles de magazine. Nous le faisons tous. Sans ce revenu, la pression serait trop forte. Je n'ai jamais songé à la possibilité d'aller aux États-Unis. Je voulais rester ici et écrire.

Le sénateur Forrestall: Mme Callwood, je ne vous connais pas aussi bien pour vos écrits que pour vous avoir vue à la télévision.

Mme Callwood: C'est une autre façon pour moi d'obtenir des fonds pour pouvoir écrire.

Le sénateur Forrestall: Est-ce le secteur de la télévision ou celui des périodiques qui a facilité votre tâche d'écrivain?

Mme Callwood: Nous devons tous diversifier nos activités. Je m'y emploie avec grand sérieux. Certains écrivains vont accepter des emplois à l'université qui ne leur enchantent pas trop parce qu'ils n'arrivent pas à gagner leur vie simplement avec leurs écrits. Quand j'étais présidente de la Writers Union of Canada nous avions songé à exiger une cotisation d'affiliation progressive pour que les auteurs qui gagnent peu paient une faible cotisation et que d'autres, comme Pierre Burton, paient le plus. Ce système a échoué parce qu'un grand nombre d'écrivains canadiens enseignent dans les universités. Leur revenu cumulatif est honorable mais le revenu provenant de leurs écrits est minime. Écrire est une activité précaire.

La sénateur Forrestall: À votre connaissance, y a-t-il eu des consultations entre les divers groupes d'auteurs et le gouvernement du Canada avant que le projet de loi C-55 soit rédigé?

Mme Callwood: Je ne saurais vous donner une opinion personnelle à ce sujet. J'ai l'impression que parfois les écrivains, les photographes et les illustrateurs sont regroupés sous le vocable de «créateurs», titre qui me semble un peu présomptueux. Il n'y a pas eu de longues consultations avec les créateurs lorsque le projet de loi a été rédigé, mais nous nous sommes ralliés à l'idée avec enthousiasme, une fois le projet de loi rédigé.

Le sénateur Callbeck: Je déduis de vos propos que, sans le projet de loi C-55, un bon nombre de nos revues canadiennes seraient en mauvaise posture et certaines d'entre elles disparaîtraient vraisemblablement. Vous avez, tous les deux, parlé avec beaucoup d'éloquence de notre appauvrissement, en tant que Canadiens, si nous étions privés de ces revues. J'imagine que la raison en est attribuable aux recettes publicitaires.

Et pourtant, la semaine dernière, George Russell, de Time Canada, nous a dit ceci:

Troisièmement, ni Time Canada ni Sports Illustrated Canada n'exerce une concurrence déloyale en ce qui concerne les recettes provenant des services de publicité sur le marché canadien. Toutes allégations de dumping ou de services publicitaires à rabais sont sans fondement et mensongères.

Qu'allez-vous répondre à cela?

Mme Callwood: Je sais que lorsqu'on s'est mis à offrir une certaine protection aux revues canadiennes, un certain nombre de mes amis, des écrivains que vous connaissez, ont été contactés par des périodiques américains leur demandant de rédiger de courts articles pour que les périodiques aient l'air plus canadiens. Cela posait un grave problème moral parce qu'on offrait de les payer plus que ce que les revues canadiennes pouvaient leur donner. Il s'agissait pour nous de légitimer leur action, qui n'était qu'une escroquerie. Certains l'ont fait et d'autres pas.

M. Jack Stoddart, président, Association des éditeurs canadiens: Le dumping fait partie de toute cette question. Lorsqu'on lit la revue Time, on voit qu'elle renferme 80 p. 100 de contenu étranger et 20 p. 100 de contenu canadien. Or la proportion de 80 p. 100 est déjà payée. Donc il leur suffit de couvrir le montant de 20 p. 100 avec de la publicité provenant du marché canadien. Tout le reste est gratuit. À mes yeux, c'est du dumping même si, en théorie, ce n'en est pas.

La revue Time en particulier qui est à l'origine de tout ce programme, devrait faire l'objet d'une analyse indépendante. J'en parlerai dans mes observations. L'analyse devrait examiner quel pourcentage de ces revues renfermait de la matière rédigée par des Canadiens et dans quelle mesure ces articles se rapportaient au Canada, depuis un ou deux ans. Cette analyse nous donnera une idée de ce à quoi notre secteur des périodiques ressemblera. Maclean n'existera plus. On peut examiner le cas d'une revue après l'autre. La concurrence n'existera plus dans notre pays.

Dans un sens, le fond du problème c'est le dumping. Ce seront les auteurs et les lecteurs qui seront pénalisés.

La présidente: Je tiens à remercier nos témoins d'avoir accepté de comparaître devant nous ce soir.

Je prie le prochain témoin de venir à la table.

Mme Megan Williams, directrice nationale, Conférence canadienne des arts: Madame la présidente, je me réjouis d'être parmi vous ce soir à titre de directrice nationale de la Conférence canadienne des arts qui est l'organisme le plus ancien et le plus important de défense des artistes. Nous représentons 200 000 artistes et travailleurs culturels. Notre conseil d'administration, qui compte 24 membres et représente diverses régions et matières artistiques d'un bout à l'autre du Canada, s'intéresse vivement à l'adoption du projet de loi C-55.

Depuis septembre, le secrétariat de la CCA a envoyé six bulletins sur le sujet par télécopieur. En mars, nous avons travaillé en partenariat avec l'Association des éditeurs canadiens et l'ADISQ. June Callwood s'imagine que la CCA a organisé cette conférence de presse de son propre chef. Or il s'agissait d'une vaste coalition et nos trois organismes ont travaillé étroitement à sa préparation.

Nous avons organisé un grand rassemblement de 50 organisations artistiques pour défendre le bill et pour appuyer les efforts de la ministre Copps en faveur de la souveraineté culturelle canadienne.

La bannière qui a été déployée portait l'inscription «ensemble pour la défense de la diversité culturelle -- ensemble en faveur du choix culturel». June Callwood a prononcé un discours très éloquent à cette occasion.

Les dieux étaient avec nous ce jour-là puisque le rassemblement coïncidait avec la troisième lecture du projet de loi.

La CCA s'intéresse depuis longtemps à la politique culturelle et cet intérêt remonte sans faille à notre conseil fondateur en 1945. Ces dernières années, nous avons déployé des efforts acharnés pour que l'on dote d'une politique unifiée le ministère du Patrimoine canadien. Si cette politique avait été en vigueur avant les négociations de l'ALENA et l'ALE, les négociateurs canadiens auraient peut-être pu s'en servir et éviter ainsi les conditions inhabituelles qui permettent aux parties lésées de prendre des mesures ayant un effet commercial équivalent chaque fois que l'exemption culturelle est invoquée.

Même si le Canada ne possède pas une politique culturelle unifiée, il adhère à certains principes fondamentaux mis au point et perfectionnés avec les années par les ministères de l'État, les comités permanents et le secteur de la culture.

Des sénateurs qui s'intéressent passionnément depuis longtemps à la culture canadienne, ont contribué à la mise en place de ces politiques qui remontent à l'époque de la commission Massey en 1951.

Les quatre principes à ne pas oublier, lorsqu'on examine les questions soulevées pendant la négociation du projet de loi C-55 sont les suivants. Premièrement, les règlements concernant la propriété canadienne sont raisonnables et nécessaires. Les États-Unis eux-mêmes reconnaissent l'importance d'une mainmise sur leur industrie de la radiotélédiffusion au moyen de règles de propriété pour l'octroi des licences de radiodiffusion. La propriété se rapporte directement aux décisions qui reflètent l'expression culturelle et l'identité nationale.

Le deuxième principe c'est le contenu. Je crois que Mme Callwood nous a parlé très éloquemment de l'importance du contenu canadien et du sens qu'il revêt. Je tiens à dire que je ne partage pas l'opinion selon laquelle il est difficile de définir le contenu canadien. D'après moi, toutes les oeuvres des écrivains et artistes canadiens qui résident dans notre pays, sont l'expression du contenu canadien.

Le troisième point est l'appui offert par le secteur public, c'est-à-dire l'aptitude du gouvernement à promouvoir la croissance du secteur grâce à des subventions directes ou des mesures fiscales ou des règlements, selon les besoins des divers secteurs culturels.

Le dernier principe concerne les moyens de distribution. Les marchés canadiens sont complètement ouverts aux produits culturels étrangers au moins autant ou plus que bien d'autres pays. Il suffit de quitter cette pièce et de se rendre à un kiosque à journaux pour constater que les revues étrangères occupent 80 p. 100 de l'étalage.

Le marché culturel canadien ne limite en aucune manière les produits culturels étrangers. Il est donc essentiel de réserver un petit espace pour permettre aux artistes canadiens de faire valoir leurs produits.

Alors que le débat sur le projet de loi C-55 qui a duré des mois, tire à sa fin, nous prions le Sénat de se pencher intensément sur cette question. Les sénateurs sont mieux en mesure de résister à la pression accablante imposée aux négociateurs canadiens pour atteindre les objectifs américains. Toute négociation comporte des compromis. Dans les négociations concernant l'ALENA et l'ALE, le Canada a conclu une entente qui est vraiment une arme à double tranchant. Cependant, envisageons la nature de cette menace.

La mise en oeuvre de mesures compensatrices est-elle vraiment si terrible? Les opinions divergent quant à la valeur de la perte des recettes des services publicitaires. On s'entend pour reconnaître qu'il s'agit d'un montant relativement faible compte tenu de la balance commerciale globale. Le Canada peut assurément encaisser un coup de temps à autre, par souci de protection de la culture canadienne.

Le secteur des périodiques canadiens est apparu comme un défenseur farouche de points de vue canadiens divergents sous l'empire des régimes de réglementation que les gouvernements successifs et les sénateurs ont encouragé avec succès depuis 1965. Nous croyons que les politiques culturelles canadiennes et l'esprit du projet de loi C-55 concordent. Avant tout, il ne faut pas, d'après nous, exagérer les menaces de contre-mesures lesquelles ne devraient pas nous détourner de notre ligne de conduite. Même dans le pire des scénarios, on pourrait appliquer les modalités à observer dans le cas de mesures compensatrices en vertu de l'ALE mais là encore, une négociation prudente s'imposera.

J'exhorte les honorables sénateurs à se prononcer en faveur du projet de loi C-55 sous sa forme actuelle et à continuer de soutenir les vaillants efforts déployés par la ministre du Patrimoine canadien et l'industrie des périodiques dans cette lutte des plus symboliques.

Mme Sandra Graham, vice-présidente, Affaires publiques, Association canadienne des radiodiffuseurs: L'Association canadienne des radiodiffuseurs représente la grande majorité des services canadiens de programmation, y compris les postes privés de télévision et de radio, le réseau de services spécialisés de télévision dans toutes les régions de notre pays. Le secteur de la radiodiffusion privée du Canada rapporte 2,8 milliards par an et assure plus de 300 000 emplois directs et indirects basés sur les compétences à l'économie canadienne.

Même s'il est vrai de dire que cette mesure législative n'a pas d'influence directe sur le secteur de la radiodiffusion privée au Canada, dans mon mémoire ce soir j'espère pouvoir vous montrer les raisons pour lesquelles nous jugeons nécessaire l'adoption de ce projet de loi dans notre environnement commercial actuel.

Je tiens à dire aux membres du sous-comité qu'il ne faut pas voir une simple coïncidence dans le fait que notre association et d'autres représentant le secteur culturel ont comparu hier soir devant le comité permanent des affaires étrangères et du commerce international de la Chambre des communes dont le cadre des consultations préalables à la négociation prochaine de l'Organisation mondiale du commerce et de l'accord de libre-échange entre le Canada, les États-Unis et le Mexique, prévue pour novembre prochain.

Ce qui nous concerne bien entendu c'est l'incompatibilité que l'on décèle entre les exemptions culturelles prévues dans l'ALENA et l'absence d'un accord sans équivoque en matière de services en vertu de l'OMC, ce qui crée deux problèmes distincts. Tant que les États-Unis continueront à utiliser l'OMC comme tribune principale pour régler les différends commerciaux, l'exemption culturelle prévue dans l'ALENA demeure pratiquement inefficace. Cette ambiguïté permet aux États-Unis d'édicter les règles lorsque l'accord conclu en vertu de l'OMC n'est pas à leur avantage.

Précisons bien les choses. Le gouvernement canadien s'est empressé de se soumettre à la décision de l'OMC concernant les périodiques. Cette décision est à l'origine du projet de loi C-55 sur les périodiques qui prévoit une politique visant les services de publicité et la méthode acceptée en vertu de l'OMC. Malgré cela, Washington n'est toujours pas satisfait. Hélas, les astuces ne peuvent pas toujours durer. Le groupe de consultations sectorielles sur le commerce international du ministre du Commerce international a présenté un rapport au printemps priant le gouvernement de négocier, de concert avec d'autres pays un nouvel instrument culturel à des fins commerciales. La recommandation est largement fondée sur l'incompatibilité des dispositions de l'ALENA et de l'OMC.

Une vaste gamme de représentants des secteurs de la radiodiffusion, de l'édition et des beaux-arts ont comparu la semaine dernière devant le comité permanent pour prier le gouvernement d'adopter les recommandations du rapport du groupe de consultation. Je puis vous assurer qu'il est rare dans notre secteur de rallier l'accord unanime sur quoi que ce soit.

Jusqu'à ce que nous puissions forger les alliances nécessaires qui permettront de négocier un instrument culturel à des fins commerciales, il nous faut des mécanismes, comme le projet de loi C-55, pour assurer nos objectifs nationaux. Le Canada est le marché le plus ouvert au monde. Nous ne voulons pas écarter les publications ou la programmation étrangères, nous voulons simplement un peu d'espace pour les nôtres.

Voilà qui rend le projet de loi dont vous êtes saisis un précédent extrêmement important en vue des négociations de l'OMC et de l'ALE. D'après nous, le projet de loi C-55 concerne directement l'aptitude d'une nation souveraine à mettre en oeuvre sa propre politique nationale dans le domaine industriel et culturel. Cependant, je peux vous dire que les périodiques ne sont pas les seuls en cause. L'industrie de la radiodiffusion, de concert avec d'autres secteurs culturels, surveillent la situation et je vous affirme que le monde la surveille aussi.

Nous croyons que l'attaque que lancent actuellement les Américains contre les efforts du gouvernement canadien pour assurer l'existence du secteur canadien des périodiques n'est que le premier assaut d'une attaque plus généralisée à venir. Les mécanismes de soutien à la culture que nous avons édifiés pour assurer une présence canadienne sur nos écrans, dans nos livres, dans notre musique et aussi dans nos revues, est en péril. Les périodiques ne sont que le début. La télévision et les films pourraient suivre. Nous savons que, pour ce qui est du Canada, la représentante commerciale américaine veut à tout prix qu'on se penche sur la question des principaux instruments d'accès aux éditeurs de revues américaines et aux autres industries médiatiques.

En conclusion, il est crucial que les membres du sous-comité et vos collègues sénateurs accordent leur soutien au projet de loi C-55. Il a été question dans les médias que le différend actuel pourrait être réglé lors des négociations en cours. On devrait peut-être se demander d'abord ce qu'il y a à régler. En vertu du droit commercial actuel, le Canada, à titre de nation souveraine, devrait pouvoir utiliser des outils législatifs pour appliquer sa politique nationale. Si les règles ne plaisent pas à Washington, que les représentants américains se présentent à la table lors de la prochaine ronde de l'OMC et confrontent les autres nations du monde. Il est regrettable qu'il faille adopter le projet de loi C-55. Mais nous devons adresser à Washington un message sans équivoque comme quoi le Canada s'engage à venir en aide à ses industries culturelles.

Enfin, je crois que nous devons prouver aux autres nations qui partagent avec nous des préoccupations analogues, qu'il est temps, que les questions commerciales figurent au programme et ne soient pas simplement la responsabilité des ministres de la Culture, mais également des ministres du Commerce.

[Français]

M. Robert Pilon, président, Association québécoise de l'industrie du disque, du spectacle et de la vidéo (ADISQ): L'ADISQ est l'association qui regroupe les producteurs indépendants du disque et du spectacle du Québec.

Nous favorisons l'adoption du projet de loi C-55. Nous y avons consacré beaucoup d'énergie, de concert avec nos collègues de l'Association des éditeurs de livres de Toronto. La Conférence canadienne des arts a organisé une manifestation à Toronto le 15 mars, où 50 organisations de tous les secteurs de la culture, des arts, des communications, des industries culturelles se sont regroupées pour faire connaître leur appui.

Nous vous avons fait parvenir le communiqué de presse publié lors de cette conférence du 15 mars à Toronto. J'aimerais attirer votre attention sur la liste des organisations que nous avons jointe dans la pochette.

La liste est assez impressionnante. Elle montre l'appui et la préoccupation dans tous les secteurs de la culture et du monde des communications au Canada. Comme Mme Graham l'a signalé tout à l'heure, ce n'est pas très souvent que vous verrez à la même table des associations d'auteurs-compositeurs, de producteurs de disques et de radiodiffuseurs qui partagent le même point de vue. Cette convergence s'est produite et se manifeste encore aujourd'hui car on croit qu'il y a urgence. La raison pour laquelle on soutient ce projet de loi est qu'il y a quelque chose de très important qui est en jeu ici. L'objectif du projet de loi est de maintenir une industrie canadienne des magazines et de permettre à des auteurs, des écrivains, comme Mme Callwood et d'autres, de pouvoir exprimer un point de vue sur les réalités canadiennes ou mondiales. Cela permet aux Canadiens d'avoir accès au point de vue de leurs créateurs et de leurs écrivains.

Quand on y réfléchit un peu, dans l'ensemble de nos politiques culturelles, qu'il s'agisse de notre politique de la radiodiffusion, de musique, de cinéma ou de production d'émissions de télévision, les objectifs sont les mêmes. Les moyens vont différer un peu d'un secteur à l'autre, mais les objectifs sont les mêmes. Cela se résume à deux choses. D'une part, on veut permettre à des artistes, à des créateurs et à des écrivains, par le biais d'un article de magazine, d'un livre, d'une chanson, d'un film ou d'une émission de télévision, de témoigner de la réalité canadienne ou de la réalité mondiale. D'autre part, on veut permettre au public canadien d'avoir accès à ces témoignages et de pouvoir comprendre ces réalités. C'est fondamental. C'est difficile dans le contexte canadien. On n'est pas un cas unique et cela, il faudra le comprendre un jour. On partage le même problème avec l'Espagne, le Portugal ou la Corée probablement. Le Canada est un petit marché comparativement au marché américain de 270 millions de personnes.Nos grandes entreprises sont malgré tout de taille relativement modeste par rapport aux géants américains ou aux grandes multinationales mondiales basées principalement aux Etats-Unis. Cette réalité rend difficile l'objectif de permettre aux artistes de s'exprimer et au public canadien d'avoir accès à ces expressions culturelles.

Les gens que je représente sont de petits producteurs de disques. Leur chiffre d'affaires varie de 50 000 dollars par année à cinq millions. La plus grosse entreprise de disques au Québec a à peu près cinq millions de dollars de chiffre d'affaires. Ses concurrents directs sont de grandes multinationales comme Sony et Warner, qui ont cinq milliards de chiffre d'affaires.

Croyez-moi, les gens que je représente sont des partisans de l'économie de marché. Il faut bien comprendre que dans des contextes comme ceux-ci, les règles du marché nous défavorisent. Elles défavorisent les entreprises canadiennes ainsi que les créateurs canadiens. Il y a une inégalité dans les rapports du libre marché.

C'est pour cela qu'on a besoin de politiques culturelles. Les politiques culturelles, qu'il s'agisse de politiques qui vont amener quelques restrictions sur la propriété étrangère, des obligations de contenu canadien en radio ou en télévision, des soutiens financiers comme ce qui passe à l'industrie du film à travers Téléfilm ou des sommes qui sont données à la production de disques, permettent aux artistes et aux entrepreneurs dans le domaine de la culture de commencer un tout petit peu à rééquilibrer l'inégalité fondamentale qu'il y a sur le marché des industries culturelles. Sinon, on n'aurait pas besoin de ces politiques. Elles ne sont là que pour compenser les inégalités fondamentales sur le marché.

Notre marché est déjà dominé: 85 p. 100 des disques vendus ici sont américains, ainsi que 80 p. 100 des magazines, 95 p. 100 du temps-écran dans les cinémas et ainsi de suite. Ce marché est déjà très largement dominé. Nous n'avons qu'une petite fenêtre qu'on essaie d'agrandir, c'est-à-dire obtenir 5, 10, 15 ou 20 p. 100 de part de marché pour nos créateurs et nos producteurs. C'est ce qu'on veut, rien de plus. Ce sont des objectifs relativement modestes.

Même cette petite part de marché, soit 5, 10, 15, 20 p. 100, est déjà trop pour les Américains. Le problème est là. Le but d'un projet de loi comme C-55, le but des politiques qui soutiennent l'industrie de la musique ou l'industrie du film ou le but des restrictions sur l'investissement étranger dans la radiodiffusion qui ont permis que la radiodiffusion canadienne devienne une industrie relativement prospère, c'est d'offrir ne serait-ce qu'une petite partie du marché aux entreprises dont la mission principale est de véhiculer au public canadien des produits culturels canadiens.

Y a-t-il une solution de remplacement au projet de loi C-55? Il semble, d'après ce que nous disent les journaux, que des négociations se déroulent à Washington. Je ne vous cacherai pas la très grande nervosité des gens de notre milieu quant à l'issue de ces négociations. Qu'est-ce qui est vrai ou faux? On ne le sait pas. Certains pensent qu'on pourrait trouver une solution de remplacement au projet de loi C-55, laquelle serait basée uniquement sur des règles de contenu. C'est extrêmement dangereux. Je vous incite à réaliser l'impact du précédent qui serait créé de cette façon.

Je vous donne un exemple. Si, par hasard, on permettait à Sports Illustrated d'avoir une édition canadienne avec 30 p. 100 de contenu canadien, Viacom qui est propriétaire de MTV -- et il y a déjà 47 MTV ailleurs dans le monde, il n'y en a pas au Canada parce que notre législation de la radiodiffusion l'interdit -- demanderait alors de permettre un MTV Canada avec 30 p. 100 de contenu canadien, et ainsi de suite. Après cela, on pourrait dire que si une multinationale américaine veut faire un film au Canada avec des acteurs canadiens, pourquoi ne pas la financer avec de l'argent de Téléfilm? Il faut comprendre qu'il y a un équilibre extrêmement délicat dans nos politiques culturelles. Les obligations de contenu, les restrictions à la propriété étrangère et les soutiens financiers se complètent. On ne peut pas fonctionner uniquement avec des obligations de contenu, surtout si elles sont extrêmement faibles comme 20, 30 ou 35 p. 100. Le jour où on va permettre cela, on va éliminer la concurrence. Le jour où il ne restera que des entreprises américaines ici, ce sera impossible d'exiger d'elles qu'elles produisent 30 p. 100 de contenu canadien.

Je vous incite fortement à utiliser tout votre pouvoir de persuasion sur les autorités qui négocient à Washington à l'heure actuelle. Les compromis peuvent être honteux parfois et avoir de graves conséquences.

N'oublions pas que des négociations s'ouvrent à Seattle au mois de novembre et ce sont les services qui sont sur la table, notamment les services audiovisuels. C'est notre loi de la radiodiffusion qui est en jeu, avec toutes les conséquences que cela comporte. Les quotas de contenu canadien à la télévision et à la radio ont permis que se développe au Canada une industrie de la production d'émissions de télévision et de musique canadienne. Tout cela est en jeu et peut tomber comme un domino. Il faut donc bien soupeser le poids, le précédent, l'impact désastreux qu'aurait un compromis sur le projet de loi C-55.

[Traduction]

J'invite M. Stoddart, de l'Association des éditeurs canadiens à présenter son exposé.

M. Stoddart: Honorables sénateurs, avec votre permission, je voudrais replacer une ou deux choses dans leur contexte et faire un petit survol historique. Je m'efforcerai d'être aussi bref que possible.

Aux environs du mois d'août 1997, j'ai reçu un coup de téléphone du consul général des États-Unis à Toronto qui demandait à M. Paul Davidson, le directeur exécutif de l'Association des éditeurs canadiens et à moi-même si nous serions prêts à rencontrer David Edward Brown qui était le nouveau délégué des affaires canadiennes au département d'État américain. Il voulait venir au Canada pour apprendre ce dont il était question à propos des problèmes concernant la culture. Cela se passait pendant les négociations sur l'AMI.

La réunion a duré environ une heure sans qu'on arrive à s'entendre. Nous nous efforcions de défendre nos arguments comme quoi le Canada avait besoin de plus de 2 p. 100 du temps de projection et plus de 30 p. 100 d'espace dans nos revues. Finalement, découragé je lui ai déclaré: «Vous venez dans notre pays nous demander ce qui est important pour nous dans l'AMI et pour vous renseigner sur la question culturelle mais vous ne cessez de répéter qu'il s'agit de questions commerciales. Or, votre gouvernement a signé l'ALE disant qu'il s'agissait d'une exemption culturelle.»

En me regardant droit dans les yeux il m'a répondu «Nous l'avons fait par courtoisie envers votre premier ministre.» Je lui ai répondu que je ne comprenais pas. Il m'a rétorqué que dans notre pays l'industrie culturelle n'existe pas mais votre gouvernement y tenait, alors nous l'avons inclue par courtoisie.

Il a dit que tout était négociable. Ce sont des questions commerciales qui ne vont pas disparaître. Il a englobé tout ce dont nous parlons depuis deux ans et demi, y compris la presse, la radio et télévision. Il a déclaré que toutes ces questions seraient sur le tapis parce qu'il s'agissait de questions commerciales qui n'avaient rien à voir avec la culture.

C'est alors que notre conversation a pris fin. J'étais au bord de l'attaque d'apoplexie et l'autre s'en contrefichait.

J'ai pensé que cet échange replacerait le projet de loi C-55 dans son contexte. Ce n'est pas un sujet où la logique triomphe. Les exposés que vous avez entendus ce soir et depuis une semaine ou deux n'ont pas grand-chose à voir avec la logique.

Time Warner, en particulier, de concert avec le département d'État des États-Unis, a des idées en tête à ce sujet qu'il partage avec un très petit groupe de gens à Washington afin de réaliser certains objectifs concernant ce que nous appelons les industries culturelles et qu'ils désignent sous le vocable «divertissement».

Vers la fin de 1998, M. Davidson et moi-même avons à nouveau été priés d'assister à une réunion. C'était à l'époque où le projet de loi C-55 commençait à être piloté au Parlement. Durant cette conversation j'ai affirmé que la question de la protection culturelle ne serait pas résolue. Le premier ministre devrait s'entretenir avec le président parce que, en fin de compte, il n'y avait pas de terrain d'entente et que ce n'était pas une question qui concernait le ministère du Commerce.

C'est Time Warner qui a décidé de contourner une loi canadienne vieille de trente ans. Il a trouvé un moyen technique de contourner nos lois pour pouvoir commencer à importer des éditions à tirage dédoublé. Voilà pourquoi nous avons Time Canada à l'heure actuelle. Ron Atkey est venu me dire que je m'étais mépris. Ils étaient au courant de la chose et ils ont choisi le moment de s'en servir. C'est comme ça.

Time Warner a décidé du moment où il livrerait bataille à propos des périodiques. Les Américains avaient perdu le débat sur la culture dans les négociations de l'AMI parce que l'accord a échoué. L'une des principales raisons de son échec a trait au portefeuille de la culture. Je crois savoir également que M. Atkey aurait dit que les vrais dégâts dans cette guerre ne se chiffraient pas à un milliard de dollars comme certains l'avaient prétendu mais à 150 millions de dollars. Je crois qu'il est très honnête à ce sujet tout autant qu'il l'était lorsqu'il a affirmé qu'ils avaient choisi le moment de susciter cette bagarre. C'est la lutte que nous livrons. Notre pays doit décider quand la coupe est pleine et quand il faut savoir dire non. Il est absolument certain qu'en ce qui concerne le département d'État des États-Unis, tous les obstacles culturels ou programmes de stimulants, qu'on les appelle comme on veut, figureront à la table des négociations.

En ce qui concerne les négociations qui se déroulent actuellement -- et je sais pas mal de seconde main ce qui s'y passe -- s'il faut renoncer à la propriété culturelle, cela m'inquiète. Dans mon secteur, l'édition du livre, 80 p. 100 de tous les livres sont publiés par des compagnies d'appartenance canadienne. Nous publions seulement 30 ou 40 p. 100 du volume mais 80 p. 100 de tous les livres et périodiques canadiens. Je ne réciterai pas les chiffres parce que vous les avez déjà entendus. Cependant, la propriété a son importance et si elle disparaît, cela modifiera toute la structure de notre secteur.

J'ai siégé à des comités où j'ai expliqué pendant des heures cette question du contenu canadien dans les périodiques. Lorsque les gens du secteur se mettent à parler de la culture canadienne et des écrits canadiens et du contenu canadien, la discussion devient très complexe.

C'est un subterfuge et je veux l'écarter. En 1960, les impôts payés par les particuliers et les compagnies étaient d'environ moitié-moitié. Aujourd'hui, ils s'établissent à 80-20. C'est prouvé. Ce ne sont pas mes chiffres, mais ceux de Statistique Canada. Je crois que chaque fois qu'une compagnie de propriété et de mainmise canadienne passe à une société étrangère, l'assiette fiscale s'en ressent.

Je fais cette affirmation simplement parce que, dans l'hypothèse où nous allons perdre le portefeuille de la culture, un plus grand nombre de compagnies américaines exerceront leurs activités au Canada et en outre les revues américaines n'ayant qu'un contenu canadien de 10 ou 15 p. 100 se multiplieront et l'assiette de l'impôt continuera à diminuer. Si Maclean ou Télémédia ou certaines des petites compagnies qui paient toutes pas mal d'impôts dans notre pays, disparaissent, on perdra une partie de l'assiette fiscale. Ce n'est pas le sujet principal en l'occurrence mais chaque fois qu'on accueille au Canada des sociétés étrangères, on ne semble pas en mesure d'obtenir de ces entreprises des recettes fiscales. Il ne s'agit pas simplement de l'effet qu'elles auront sur la culture mais aussi de celui qu'elles auront sur nos entreprises et sur notre pays.

Le sénateur Rompkey: Le sénateur Spivak a cité un extrait d'une chanson de Joni Mitchell intitulée: «You don't know what you've til it's gone» (on n'apprécie pas ce qu'on a jusqu'à ce qu'on le perde.) Je voudrais citer un Terre-Neuvien spirituel anonyme, qui a dit que la pire chose qu'on puisse avoir, c'est une maison sans porche. Pour le paraphraser, je dirais avec autant d'ironie que la pire chose que l'on puisse avoir, c'est un Canada sans écrivains.

Alors que la journée achève, la plupart des questions ont déjà été posées et on y a répondu. Cependant, je voudrais examiner un petit peu plus à fond le rapport qui existe entre les revues et la radiodiffusion, ainsi que l'industrie de la radiodiffusion.

June Callwood nous a dit que les revues donnaient aux auteurs le loisir de s'adonner à une recherche poussée et à écrire des livres; ce n'est pas ce que font la télévision et la radio. Il me semble qu'il y a un lien, en ce qui concerne les auteurs, entre les périodiques et l'industrie de la radiodiffusion et d'autres aspects de l'industrie de l'édition. J'aimerais que vous m'expliquiez un petit peu plus pourquoi cela est important. Nous ne parlons pas simplement de revues ici en ce qui concerne les auteurs, nous parlons des auteurs canadiens et de la façon de définir le contenu canadien.

Quelqu'un a dit que chaque fois qu'un auteur canadien écrit ou qu'un artiste produit une oeuvre, c'est du contenu canadien. Pouvez-vous m'expliquer un peu plus le rapport qui existe entre les revues et l'industrie de la radiodiffusion sous l'angle de la formation, de la production et de la sauvegarde des auteurs?

Mme Graham: Il s'agit assurément d'une chaîne. L'industrie de la radiodiffusion et les industries culturelles sont toutes imbriquées. Il nous faut des écrivains, des réalisateurs et des administrateurs. Il nous faut aussi une industrie câblière et un certain nombre d'intervenants divers pour distribuer notre produit. M. Pilon l'a dit de façon très éloquente lorsqu'il a déclaré qu'un certain nombre de politiques en place garantissaient que chacun de ces secteurs réussissait à faire son travail. On ne peut certes avoir un scénario pour un film ou pour une émission télévisée sans auteurs.

Chacun débute à des endroits différents. Malheureusement, certains de nos auteurs de scénario de télévision les plus doués s'en vont aux États-Unis, mais nombre d'entre eux débutent dans le secteur des périodiques en écrivant à titres divers. Il y a énormément d'interconnexion entre les secteurs.

Mme Williams: Je pourrais peut-être vous donner un exemple de cette interconnexion. Il y avait à Antigonish un auteur du nom de Sheldon Currie, qui a écrit un court roman intitulé: The Glace Bay Miner's Museum que l'on a joué à la radio. Notre politique de Dartmouth, Wendy Lill, a joué dans une pièce de théâtre intitulée: The Glace Bay Miner's Museum. Un réalisateur de film de la Nouvelle-Écosse a alors réalisé un film intitulé: Margaret's Museum en coproduction avec une compagnie écossaise et qui avait pour vedette Helena Bonham Carter. Tous les créateurs qui ont contribué à cette oeuvre en particulier ont entre eux un lien important.

Mme Graham: Finalement elle est passée à la télévision.

Mme William: Elle a été diffusée sur Radio-Canada.

M. Stoddart: Mes compagnies publient environ 200 livres canadiens d'origine par an. Je doute qu'un seul d'entre eux soit simplement écrivain. C'est rarement le cas. Il y a un grand foisonnement d'idées. C'est ainsi que les choses se passent en particulier au Canada parce que le marché est si peu vaste. Aux États-Unis ou en Grande-Bretagne ou encore en France, on trouve probablement plus d'écrivains ou d'auteurs d'article de revue qui ne font que ça. Cependant, au Canada un écrivain obtient son revenu de diverses sources. C'est un grand champ d'action. C'est l'une des raisons pour lesquelles le Canada a produit une gamme aussi variée de grands auteurs. Presque invariablement tous les bons auteurs d'ouvrage de fiction ont été poètes. Ce n'est pas une activité lucrative mais ils ont appris un métier. Ils ont appris à travailler avec des mots. On peut voir comment les auteurs d'article de revue ont tiré une idée d'une revue et ont par la suite écrit un bouquin fondé sur cette idée et vice-versa. C'est totalement intégré.

Le sénateur Rompkey: Oui, vous publiez des extraits du livre dans la revue.

M. Stoddart: Oui. Les auteurs sillonnent le pays pour participer à des activités de télévision ou de radio tout le temps. C'est un vrai foisonnement d'idées. Si cela n'existe pas dans un pays avec une aussi faible densité de population, nous n'y arriverons pas. Si on continue à tirer des fils à droite et à gauche chaque année ou chaque décennie, on va finir par perdre toute la trame qu'on avait tissée si diligemment dans notre pays.

Le sénateur Rompkey: Nous ne parlons pas ici de télévision, de radio ou de livres. Nous parlons de magazines. Ce qui compte ici -- et je n'y avais pas suffisamment pensé jusqu'à présent --, c'est l'importance des magazines pour l'édition et la créativité au Canada, pour d'autres institutions, occupations ou entreprises nationales.

M. Stoddart: C'est exact.

Le sénateur Rompkey: Les magazines sont importants, non seulement en tant que tels, mais aussi dans la façon dont ils influent sur d'autres aspects de la vie canadienne.

M. Stoddart: Les représentants de l'industrie du bois d'oeuvre m'ont frappé, lorsqu'ils ont dit que tout allait bien tant que cela relevait du commerce. Je suis d'accord avec eux lorsqu'ils disent qu'il s'agit d'un problème de culture et non d'un problème commercial. Comme cela l'a été dit plus tôt, cela devrait être considéré comme une question de culture. La culture devrait être exemptée des accords commerciaux et dépendre uniquement du gouvernement. Le gouvernement travaille avec beaucoup d'autres pays pour essayer d'y parvenir. Le vrai problème se pose entre le Canada et les États-Unis.

La plupart des autres pays du monde prennent la culture au sérieux. Ce ne sont que les États-Unis qui disent qu'il s'agit simplement de questions commerciales. Nous avons besoin de temps pour jeter ces ponts.

Le sénateur Maheu: June Callwood a parlé des auteurs canadiens qui contribuent de petits articles dans les magazines américains. Lorsque l'on parle de contenu, est-il possible de définir «canadien»? Ces petites insertions, imprimées dans les magazines américains, sont-elles véritablement du contenu canadien comme on le prétend; ou le contenu canadien va-t-il beaucoup plus loin que cela, d'après vous et d'après l'industrie du magazine?

Mme Williams: Oui. La définition devrait aller certainement plus loin. Mme Callwood a souligné l'importance du contenu canadien. En tant que nouvelle directrice de la CCA, je ne connais pas vraiment l'histoire qu'elle raconte au sujet d'auteurs canadiens qui fourniraient un ersatz de contenu canadien pour les magazines à tirage dédoublé.

Il est possible de définir le contenu canadien d'une manière sensée aux fins de ces accords commerciaux. Il faut reconnaître que l'on ne parle pas ici d'un produit de divertissement, mais de quelque chose qui va beaucoup plus loin dans notre conscience nationale. L'histoire que j'ai racontée illustre la façon dont ces idées s'infiltrent dans toutes les couches de la société des créateurs.

J'ai oublié de dire que l'histoire de Sheldon Currie a été éditée initialement dans un magazine du Cap-Breton.

Le sénateur Maheu: Cela fait partie de notre culture fondamentale. Nous revenons au mot «culture.»

Mme Williams: Oui. Si l'on en discutait pendant longtemps, on dirait que les créateurs canadiens qui vivent au Canada à l'heure actuelle sont les producteurs du contenu canadien.

Le sénateur Callbeck: Si le projet de loi C-55 est adopté, ce sera la fin des magazines à tirage dédoublé à l'exception de ceux qui bénéficient d'une clause de droits acquis. Certainement, le projet de loi permettra à notre industrie canadienne du magazine de rester vivante et saine.

Certains prétendent que l'opposition féroce des Américains à l'encontre du projet de loi C-55 fait partie d'une vaste entreprise visant à promouvoir la culture américaine dans le monde entier. Qu'en pensez-vous?

M. Stoddart: Je ne dirais pas nécessairement que c'est une grande entreprise visant à américaniser le monde, même si la culture américaine imprègne la nôtre par la télévision, les magazines, et cetera. L'effort de promotion est énorme vu que les divertissements représentent la première ou la deuxième exportation des États-Unis. L'industrie dispose d'un lobby très puissant, cela a toujours été le cas.

Nous les avons véritablement ennuyés en exigeant d'avoir une petite part de notre propre marché, seulement 10 ou 15 p. 100. Nous avons créé un précédent dans le monde que les États-Unis n'apprécient pas, car nous avons érigé des obstacles qu'ils ne veulent voir nulle part ailleurs au monde.

Je ne pense pas qu'il s'agit d'un grand projet de rayonnement de la culture, mais il est clair que les États-Unis considèrent que c'est un des points forts de l'industrie. Malheureusement, le résultat, c'est que les pays s'assimilent plus à ce qu'ils regardent et lisent.

La culture américaine se propage par suite de ces politiques, mais je ne crois pas qu'il s'agisse d'une invasion intentionnelle.

M. Pilon: L'industrie du divertissement englobe l'industrie cinématographique, l'industrie de la production de programmes télévisés, l'industrie du disque, l'industrie du livre, et cetera. Toutes ces industries sont dominées par de grandes multinationales, certaines appartenant aux États-Unis, d'autres non. Sony et BMG n'appartiennent pas aux États-Unis, mais se trouvent aux États-Unis. C'est très important. L'industrie est localisée dans un très grand marché d'une puissance dominante et elle fonctionne de façon très logique.

C'est très simple. On investit beaucoup d'argent dans un film ou un disque et le propriétaire essaie de le vendre sur le plus de marchés étrangers que possible. Une fois que l'on rentre dans les frais de base de la production et de la promotion sur le marché intérieur, tout ce qui reste est essentiellement du bénéfice. C'est une façon logique de faire affaire. Franchement, si je dirigeais l'une de ces grandes sociétés de disque ou de cinéma, je ferais la même chose. Cela ne fait pas partie d'un grand projet visant à dominer intellectuellement le monde. Ce n'est pas l'explication; le commerce pur et simple en est l'explication.

Ces gens sont assez inquiets en ce moment, car ces trois ou quatre dernières années, la domination américaine a été quelque peu ébranlée dans le domaine du cinéma et du disque. Je ne parle pas de la qualité des produits. Personnellement, j'aime Madonna, mais il y a des gens en Corée, en Espagne et en Italie qui en ont assez de voir leur propre marché dominé par quelques stars et quelques films américains sortant chaque année.

On assiste à un genre de renaissance des industries cinématographiques locales en Espagne, en Italie et au Royaume-Uni. On peut voir également une augmentation de la part du marché des artistes musiciens locaux en Allemagne, dans les pays du Nord, en Italie et en Espagne.

Bien évidemment, les grandes sociétés de disque et de cinéma s'en inquiètent. C'est tout à fait normal de réagir ainsi.

Que faisons-nous au Canada, en Espagne ou en Finlande? Allons-nous permettre à nos ressortissants, de temps à autre, d'avoir accès à quelques produits des artistes de leur propre pays ou allons-nous laisser l'énorme industrie américaine dominer le marché partout dans le monde? La question est simple. Est-il facile d'y répondre? Non. La lutte va-t-elle être longue? Oui. La lutte va durer et déborder la question du projet de loi C-55.

Ce sont les consommateurs des divers pays qui vont probablement apporter la solution. Je leur fais confiance, je suis sûr qu'ils vont exprimer de plus en plus leur désir de voir leurs propres artistes, de lire les livres de leurs auteurs, de voir des films reflétant leur propre culture.

La ministre Copps a lancé cette initiative qui est formidable. Peut-être les divers pays pourraient-ils travailler ensemble pour que nous ne soyons pas vus comme étant le seul «ennemi» des États-Unis. Tous ces pays, y compris le Canada, devraient pouvoir présenter un peu de leurs propres produits; sinon, d'ici 10 ans, nos enfants n'auront le choix qu'entre cinq films ou trois disques par an, provenant tous des États-Unis.

M. Cornellier: Lorsque j'ai suivi un cours il y a quelques années à New York, j'ai été surpris de découvrir que sur tous les photographes présents, j'étais le seul Canadien. Tous les autres étaient Américains.

Le professeur a indiqué aux photographes qu'ils avaient trois choix pour faire connaître leurs photos -- les magazines, la publicité ou les galeries. À propos des galeries, il a dit: «On dit ici qu'il s'agit de culture; ailleurs, on dit qu'il s'agit de commerce.»

Du point de vue des Américains, il s'agit d'une question commerciale qui doit donc faire l'objet de négociation. Pour les Canadiens, les Français et les Italiens, il s'agit d'une question de culture. C'est là que se trouve la différence. Ils voient le monde de leur façon et nous voyons le nôtre de notre façon. Nous voulons conserver la différence. Ils ne veulent pas notre culture, ils veulent faire du commerce avec nous, puisque c'est ainsi qu'ils voient les choses, mais nous voulons que les choses restent telles que nous les voyons et cette différence est importante à nos yeux.

Le sénateur Spivak: J'aimerais revenir à la question essentielle. D'après ce que vous dites, un autre genre de compromis en matière de contenu canadien présenterait un gros risque. Pensez-vous que le projet de loi C-55 devrait permettre d'atteindre ce que vous appelez un objectif très limité, soit uniquement une petite part du marché?

M. Stoddart: Je ne suis certainement pas là pour dire que le projet de loi C-55 est parfait. À mon avis, c'est un compromis, une façon de régler une question. Je crois que nous avions une bien meilleure solution au départ. Time Warner a décidé d'avoir recours à la nouvelle technologie pour contourner notre loi. Cela n'a rien coûté au pays, cela l'a ouvert beaucoup plus aux produits étrangers, mais cela a permis à nos industries de se développer.

La phase suivante n'a pas réussi, car il fallait s'adresser au GATT plutôt qu'à l'OMC. Nous avons perdu à l'OMC, si bien qu'il faut trouver une réponse. On a posé une question au sujet des quotas du contenu canadien. Le contenu canadien me préoccupe beaucoup. Faudrait-il le fixer à 80 p. 100, 70 p. 100, 60 p. 100 ou 50 p. 100? Si nous le fixons à 80 p. 100 aujourd'hui, pendant les vingt prochaines années, il fera l'objet de négociations et il passera de 80 p. 100 à 10 p. 100.

Certains d'entre nous avons examiné la question sous des angles différents. Il s'agit d'un problème intersectoriel qui ne touche pas uniquement les magazines. C'est une solution à une question technique et ce sont les Américains qui l'ont transformée ainsi en la présentant à l'OMC. Je ne crois pas que c'est de cette manière qu'un pays devrait aborder la question de son identité culturelle, mais à mon avis, rien de mieux n'a été proposé. On a passé des centaines d'heures à trouver des solutions et c'est le résultat final. Toutefois, j'aurais voulu que ce ne soit pas aussi technique.

Mme Williams: Je suis d'accord avec M. Stoddart. Le projet de loi C-55 est comme un petit enfant qui porterait un énorme poids sur ses épaules. Il est malheureux que nous ayons dû aborder cette question culturelle importante dans le contexte de ce petit projet de loi.

Il peut être rassurant de savoir que le secteur culturel s'emploie avec zèle à trouver un instrument qui définirait la culture en dehors des accords commerciaux tout en l'y rattachant. La CCA travaille avec des organisations non gouvernementales de nombreux pays dans le cadre d'un processus parallèle aux rencontres de la ministre Copps avec les ministres de la culture. Il est question dans le monde entier et au Canada de la façon dont on pourrait mettre au point un tel instrument. Nous entamons des entretiens avec l'Organisation mondiale du commerce, et cetera. Bien que le projet de loi C-55 soit unique en son genre pour l'instant, j'espère que d'autres mesures et instruments l'accompagneront au fil du temps.

Le sénateur Spivak: J'ai récemment visité la Finlande, petit pays par comparaison avec son énorme voisin. Toutefois, grâce à leur volonté à toute épreuve, les Finlandais ont réussi à créer une culture et un commerce distincts fondés sur la qualité. Ils ont dû créer des produits de qualité, ils ont survécu.

J'espère que vos efforts et les nôtres porteront fruit et que nous ne céderons pas, que nous ne nous retrouverons pas sur un terrain glissant et que nous ne deviendrons pas une colonie, comme c'est le cas dans beaucoup d'autres industries.

Le sénateur Johnstone: On m'a déjà dit que l'on a jamais rien sans rien; ainsi sans une industrie du magazine, on n'a pas d'auteurs. Je compatis avec Mme Graham qui déclare que le problème s'inscrit dans le cadre d'une vaste campagne à venir.

Est-il possible que du point de vue américain, le problème se pose à cause des pressions exercées sur Washington compte tenu de l'énorme déficit commercial qui s'élève cette année à près de 300 milliards de dollars?

M. Stoddart: À mon avis, c'est le fait de deux ou trois sociétés qui travaillent avec le représentant américain du commerce extérieur plutôt que l'existence d'une plus vaste campagne.

La commission Davey remonte à 50 ans. À mon avis, le Sénat serait l'institution toute indiquée pour faire une vaste étude de la culture et de son effet sur notre société. La commission Davey a changé beaucoup de choses dans notre pays ces 50 dernières années. À l'aube du nouveau millénaire, il est temps de réexaminer de près la question.

Je suis sûr que l'OMC mènera des négociations pendant trois à cinq ans. Nous avons un peu de temps, ne serait-ce que deux ans. Si, en tant que pays, nous n'étudions pas la culture, les communications et les besoins du Canada -- sans politique de parti -- ils nous échapperont par le biais des négociations. Cela doit être bien compris par l'entité qui va se pencher sur ces questions. Cela n'est qu'une partie de la solution.

Nous vous remercions tous du moment que vous nous avez consacré ce soir pour vous présenter nos points de vue.

Le sénateur Rompkey: Seriez-vous prêts à aller un peu plus loin et à mettre cette proposition sur papier? Nous pourrions obtenir l'autorisation de Roger Gallaway pour le faire. Si plusieurs d'entre vous le proposaient, cela ferait sans doute toute la différence.

M. Stoddart: Un groupe est venu appuyer le projet de loi C-55, et il serait facile de le contacter pour voir s'il serait pour. Je crois que serait possible.

Le sénateur Forrestall: En guise de conclusion, très souvent -- ce soir et dernièrement -- j'ai entendu dire que s'il n'y avait pas d'industrie canadienne du magazine, il n'y aurait pas d'auteurs canadiens. Les artistes canadiens n'ont jamais eu d'industrie du magazine et je crois que malgré tout, nous avons au Canada un groupe d'artistes professionnels qui, même s'il est assez petit, se porte bien.

Je pense que vous faites une croix sur l'industrie du magazine un peu trop rapidement. À mon avis, vous n'êtes pas si faibles et le milieu des artistes n'est en général pas si faible. Je ne m'en étais pas rendu compte. J'avais oublié les 50 années qui viennent de s'écouler depuis l'excellent travail effectué pour le Canada par Keith Davey.

Mme Williams: Vous avez parlé des peintres, des graphistes, et cetera. Les galeries d'art canadiennes qui appartiennent à des Canadiens et qui sont exploitées dans notre pays représentent le réseau de distribution de ces artistes. C'est la raison pour laquelle elles connaissent le succès. Elles n'ont pas eu à subir la concurrence de galeries étrangères qui seraient venues ici et qui auraient amené des oeuvres étrangères.

Le sénateur Forrestall: Je comprends ce que vous voulez dire.

Mme Williams: Le réseau de distribution de l'art canadien est entre nos mains.

Le sénateur Forrestall: Il vaut la peine d'examiner de nouveau l'industrie culturelle canadienne. Nous avons entendu au cours des dernières semaines des gens se plaindre du fait que ce n'est pas le comité des transports et des communications du Sénat du Canada qui devrait être saisi de ce projet de loi.

Les rumeurs vont bon train. Deux ou trois personnes sont absentes aujourd'hui, car elles donnent foi aux rumeurs qui circulent voulant qu'une entente ait été conclue à Washington. Si le projet de loi C-55 n'est pas adopté, quelle autre mesure pourrons-nous prendre? Ce n'est pas à notre comité de débattre de cette question, puisque, en général, nous nous intéressons aux transports et aux communications.

Je vous remercie des observations et des points de vue que vous avez exprimés ce soir. Depuis que les représentants du bois d'oeuvre et d'autres fabricants sont partis, personne ne s'est soucié de comprendre leur problème. Je crois que l'on peut dire que vous représentez des millions et que les enjeux représentent des milliards.

M. Stoddart: Les discussions qui se déroulent à Washington ou à Ottawa ne fixent pas la politique. Il se peut qu'elles deviennent la politique à un moment donné. Si ces deux parties arrivent à une entente, je ne crois pas que cela signifie nécessairement que le gouvernement canadien soit lié par ces discussions. Il s'agit de discussions et non pas de négociations officielles. Reprenez-moi si je me trompe, mais c'est ainsi que je comprends la situation.

Je ne sais pas si une «entente» a été conclue, mais je ne crois pas qu'une entente soit exécutoire. C'est un moyen de discussion en ce qui concerne la politique.

Le sénateur Forrestall: De toute évidence, vous en savez plus que nous.

La présidente: Je tiens à remercier nos cinq témoins de ce soir. Vos exposés sont extrêmement importants et vous avez été très francs avec nous.

La séance est levée.


Haut de page