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Délibérations du comité sénatorial permanent des
Transports et des communications

Fascicule 29 - Témoignages


OTTAWA, le mardi 11 mai 1999

Le comité sénatorial permanent des transports et des communications, à qui a été renvoyé le projet de loi C-55, Loi concernant les services publicitaires fournis par des éditeurs de périodiques étrangers, se réunit aujourd'hui à 9 h 08 afin d'examiner le projet de loi.

Le sénateur Marie-P. Poulin (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente: Honorables sénateurs, notre comité a tenu plusieurs réunions au sujet du projet de loi C-55. Nous avons entendu un grand nombre d'intervenants intéressés par le présent projet de loi, comme, entre autres, des interlocuteurs oeuvrant dans le domaine des périodiques, des annonceurs, des fournisseurs de services publicitaires et des représentants des périodiques américains. Des spécialistes et des universitaires sont venus nous soumettre leur point de vue sur les questions commerciales relatives à ce projet de loi. Des avocats sont aussi venus nous entretenir des nombreuses répercussions juridiques de cette mesure législative.

[Français]

De plus, la semaine dernière, nous avons eu l'occasion de discuter avec deux groupes dont le premier était composé de représentants d'associations d'entreprises qui entretiennent des relations commerciales importantes avec nos voisins du Sud. Ces personnes se disaient inquiètes de l'impact du projet de loi C-55. Le deuxième groupe, composé d'individus et de représentants d'associations du milieu culturel, nous a rappelé l'importance de l'ensemble de nos politiques culturelles au Canada et de cette législation.

[Traduction]

Nous avons le plaisir d'accueillir ce matin la ministre qui pourra répondre aux questions découlant des témoignages que nous avons entendus.

Bienvenue à notre comité, madame la ministre. Le projet de loi a fait couler beaucoup d'encre, et j'aimerais vous inviter à répondre aux nombreuses questions que nous nous posons encore.

Je vous cède la parole.

L'honorable Sheila Copps, ministre du Patrimoine canadien: Madame la présidente, honorables sénateurs, au cours de vos délibérations fort pertinentes sur le projet de loi C-55, vous avez écouté un certain nombre d'entrepreneurs canadiens responsables vous faire part de leurs inquiétudes légitimes.

Je tiens à répéter qu'après avoir examiné de près le plan d'action du Canada à la suite de la décision rendue par l'OMC, les autres membres du Cabinet et moi-même avons passé des mois à évaluer toutes les possibilités, toutes les éventualités, tous les tenants et aboutissants de la question à l'étude. Personne ne s'inquiète plus que moi quand nos entreprises sont menacées, surtout lorsqu'il s'agit de menaces visant les emplois des métallos de ma circonscription. Le premier ministre et son Cabinet sont parfaitement au fait de tous les problèmes et de toutes les implications.

Je peux aussi dire aux Canadiens que leur premier ministre est un leader qui a non seulement un coeur d'or, mais aussi des nerfs d'acier.

[Français]

J'aimerais remercier les honorables sénateurs d'avoir concentré leur attention sur les principes fondamentaux en jeu, c'est-à-dire la nécessité d'avoir un contenu canadien dans les périodiques destinés aux Canadiens et aux Canadiennes, la nécessité de mettre fin au dumping de produits étrangers, la nécessité de sauvegarder la culture canadienne et d'en favoriser l'essor et, enfin, la nécessité de défendre les valeurs canadiennes.

Il faut considérer le projet de loi C-55 dans une perspective historique de la politique culturelle de notre pays. Il faut aussi considérer le projet de loi C-55 en tenant compte du chemin parcouru depuis que l'Organisation mondiale du commerce s'est opposée à l'ancienne politique canadienne sur les périodiques.

La réalité est simple: Il a toujours fallu la volonté nationale du pays pour arriver à jeter les assises d'une industrie canadienne des périodiques. Il a fallu que les gouvernements de différents partis adoptent, au fil des ans, des politiques fermes et prennent des mesures énergiques.

En 1927, certaines publications étrangères étaient interdites en raison de la saturation de notre marché. En 1931, le gouvernement du premier ministre Bennett a imposé une taxe sur le contenu des périodiques américains. En 1947, le gouvernement du premier ministre King a bani l'importation de périodiques bon marché. En 1956, le gouvernement du premier ministre St. Laurent a prélevé une taxe sur les annonces publicitaires dans les éditions canadiennes de périodiques américains.

[Traduction]

En 1965, le gouvernement du premier ministre Pearson a instauré un code tarifaire interdisant la vente de périodiques à tirage dédoublé au Canada. En 1976, le gouvernement du premier ministre Trudeau a aboli les allégements fiscaux pour les éditeurs étrangers. En 1995, la Chambre des communes et le Sénat ont adopté le projet de loi C-103 interdisant le tirage dédoublé. Pendant plus de sept décennies, chaque premier ministre canadien a proposé des solutions destinées à tailler une place aux périodiques canadiens au Canada.

Voilà dans quel contexte historique le projet de loi C-55 a été rédigé.

Comme vous pouvez le constater, il ne s'agit pas pour moi d'un projet personnel. Il s'agit plutôt d'un geste mûrement réfléchi de la part du gouvernement du premier ministre Jean Chrétien et endossé par quatre des cinq partis de la Chambre des communes.

Tel est le contexte; voici la perspective: en juin 1997, l'OMC a rendu une décision défavorable au Canada. Vous vous souviendrez des lamentations, des plaintes et des grincements de dents qu'avait provoqués cette décision. Ils fusaient de toutes parts. Nous ne pouvions rien y faire. Nous avions le choix entre perdre notre industrie des périodiques ou enfreindre les engagements internationaux du Canada.

[Français]

Mais le premier ministre avait une autre vision des choses. À l'instar des premiers ministres qui l'ont précédé, il était déterminé à trouver les meilleures solutions aux défis d'aujourd'hui. Il a fallu 13 mois au Cabinet pour examiner toutes les options envisagées et pour évaluer toutes les implications légales, commerciales et culturelles.

En juillet 1998, le gouvernement du Canada a annoncé qu'il allait se conformer aux règles de l'OMC, ce qui veut dire supprimer le numéro tarifaire, supprimer la taxe d'accise, restructurer le programme d'aide à la distribution des publications et harmoniser les tarifs postaux commerciaux.

Parallèlement, le Canada a aussi annoncé son intention de déposer un nouveau projet de loi pour réglementer les services publicitaires, les services qui ne sont pas assujettis au régime international.

[Traduction]

Avant même que je n'aie eu le temps de dire quoi que ce soit, des représentants commerciaux des États-Unis affirmaient que le Canada n'avait absolument pas le droit de faire une telle chose, que c'était là le pire geste jamais fait par le Canada et qu'ils n'accepteraient jamais de discuter des périodiques si nous décidions d'aller de l'avant avec cette loi. Certains commentateurs ont dit que le gouvernement Chrétien n'oserait jamais promulguer cette loi et qu'elle n'irait pas plus loin qu'en deuxième lecture à la Chambre des communes. On a aussi entendu dire qu'elle serait bloquée à la Chambre des communes par crainte de la réaction des États-Unis. Tandis que ce processus allait bon train -- c'est-à-dire, tandis que le gouvernement était la cible des éditeurs, autant au Canada qu'à l'étranger -- les États-Unis ont fini par comprendre que le Canada est sérieux au sujet des principes sous-jacents à ce projet de loi.

[Français]

Ils voulaient renouer le dialogue, ils voulaient entreprendre des discussions informelles. Ainsi, comme preuve de notre bonne volonté, j'ai proposé aux députés de la Chambre des communes une modification. Cet amendement prévoit que s'il est adopté, le projet de loi n'entrera en vigueur qu'au moment où le premier ministre et le Cabinet l'auront décidé.

On aurait pu croire que le gouvernement ne parviendrait jamais à présenter ce projet de loi au Sénat ou que le projet de loi serait bloqué au Sénat, mais il en a été tout autrement.

[Traduction]

Tout au long de ce débat, j'ai fait preuve de beaucoup plus de prudence que d'habitude quand venait le temps de commenter mes discussions. Cependant, les représentants américains eux-mêmes disent maintenant aux Canadiens: «Voyez le chemin que nous avons fait depuis juillet dernier, alors que nous disions que nous ne concéderions rien au Canada à ce sujet.»

[Français]

Honorables sénateurs, chaque fois que nous franchissons une étape de plus vers la sanction royale du projet de loi C-55, nous faisons progresser la cause du Canada qui se résume en quatre points: un contenu canadien dans les périodiques destinés aux Canadiens et aux Canadiennes, l'élimination du dumping des produits étrangers, la sauvegarde et l'essor de la culture canadienne et la défense des valeurs canadiennes.

[Traduction]

Honorables sénateurs, lors de ma dernière comparution devant votre comité, je vous ai dit que je ne me prêterais à aucun jeu. Voilà pourquoi je peux vous assurer ce matin que le projet de oi C-55 constitue toujours ce que nous avons de mieux à proposer en ce qui a trait à nos périodiques canadiens. Cela étant dit, nous discutons toujours avec nos amis américains. Si nos voisins du Sud croient qu'ils ont une meilleure offre à nous faire et que nous estimons que cette dernière répond aux exigences dont je viens de vous faire état, nous l'analyserons. Dans une telle éventualité, et si les honorables sénateurs me permettent de comparaître à nouveau devant eux, je me présenterai à nouveau devant votre comité afin de vous soumettre moi-même toute offre de cette nature.

Le sénateur Lynch-Staunton: Je ne sais toujours pas de quoi il retourne. Vous avez dit que si vous aviez des offres à soumettre, vous les soumettriez à notre comité. Qu'attendriez-vous alors du comité? Vous avez dit que si des propositions découlant des discussions en cours obtenaient votre aval, vous les amèneriez d'abord ici. Que ferions-nous de ces propositions? Quel serait le but visé?

Mme Copps: Vous auriez à les analyser pour voir s'il y aurait certains amendements que vous pourriez accepter.

Le sénateur Lynch-Staunton: Si nous entreprenons l'examen article par article de ce projet de loi aujourd'hui et qu'il est ensuite adopté en troisième lecture avant la fin des travaux, il ne pourra pas nous être soumis pour que nous puissions y apporter des amendements.

Mme Copps: La loi elle-même ne peut être promulguée tant que la clause d'entrée en vigueur n'a pas été approuvée, ce qui vous donne l'occasion d'apporter des amendements à tout moment.

Le sénateur Lynch-Staunton: Vous voulez dire que nous adopterons ce projet de loi, que nous lui ferons passer l'étape de la troisième lecture -- tout comme à la Chambre des communes -- et que nous lui donnerons la sanction royale alors qu'il est possible que le gouvernement décide de ne pas le promulguer? Ce projet de loi, tel qu'il est -- je veux dire, après avoir franchi toutes ces étapes -- pourrait alors être retourné au Sénat pour qu'on y apporte de nouveaux amendements? Je ne suis pas un spécialiste de la procédure, mais je n'ai jamais entendu parler d'une procédure semblable.

Mme Copps: Je n'essaie pas de vous dire comment faire votre travail, sénateur. Cela serait vraiment présomptueux de ma part.

Le sénateur Lynch-Staunton: Mais, c'est ce que vous avez fait, madame la ministre. Vous avez dit que vous vous attendiez à ce que nous apportions de nouveaux changements à ce projet de loi après la troisième lecture et l'obtention de la sanction royale. Je ne vois pas comment nous pourrions faire cela.

Le sénateur Rompkey: Rappel au Règlement, madame la présidente. Je crois que le comité est libre d'agir à sa guise. Il peut réagir aux situations au fur et à mesure qu'elles se présentent. Franchement, il ne revient pas à la ministre de dire comment le comité doit faire son travail. Les questions portent sur la façon de faire du comité. Ces questions relèvent du comité et non pas de la ministre.

La présidente: Nous pourrons en discuter après le départ de la ministre.

Le sénateur Lynch-Staunton: Non. La ministre nous a déjà confirmé que des discussions se poursuivent actuellement entre le Canada et les États-Unis, et que ces discussions pourraient amener des propositions auxquelles le gouvernement pourrait donner son aval. Cela est très encourageant, mais n'a rien à voir avec les règles du comité. Comment pouvons-nous, dans le cadre de la procédure parlementaire, ramener ce projet de loi au Sénat pour lui apporter des amendements après l'avoir adopté et lui avoir donné la sanction royale?

Le sénateur Rompkey: Nous n'avons toujours pas adopté ce projet de loi. Cette question est posée en présumant du fait que le projet de loi sera adopté. Tant qu'un projet de loi n'est pas adopté, on peut toujours y apporter des amendements.

Le sénateur Lynch-Staunton: Alors, madame la ministre, préféreriez-vous que nous n'adoptions pas ce projet de loi à ce stade-ci pour qu'il soit ainsi clair que nous pourrons lui apporter des amendements si nécessaire en nous basant sur les propositions que, nous l'espérons, vous pourrez soumettre au Parlement? D'un autre côté, nous encourageriez-vous à adopter ce projet de loi, à lui faire franchir l'étape de la troisième lecture et à lui donner la sanction royale en espérant que tout ira pour le mieux?

Je vous demande votre avis sur la façon dont nous pourrions vous donner la possibilité d'apporter des amendements à ce projet de loi, amendements qui, semble-t-il, sont fort probables.

Mme Copps: Sénateur, je ne saurais vous dicter votre façon d'agir. Cependant, je peux vous dire que la volonté des Américains de trouver une solution est de plus en plus grande pendant que vous poursuivez votre travail.

Le sénateur Lynch-Staunton: Vous préféreriez alors que nous adoptions ce projet de loi cette semaine, sans amendements et dans son libellé actuel?

Mme Copps: Je ne vous dicte pas votre ligne de conduite. Ce que j'essaie de vous dire, c'est que pendant que les travaux se poursuivaient au Sénat, le dialogue a été très constructif avec les Américains.

Le sénateur Lynch-Staunton: Habituellement, les ministres qui parrainent un projet de loi viennent ici pour nous inciter à agir rapidement, parfois même de façon indécente.

Mme Copps: Je ne voudrais surtout pas être accusée de lenteur.

Le sénateur Lynch-Staunton: En réponse à une question qui vous avait été posée lors de votre première comparution devant nous, vous aviez été très claire sur le fait que vous souhaitiez que ce projet de loi soit adopté aussi rapidement que possible. Avez-vous changé d'avis à propos de ce projet de loi? Si tel est le cas, nous vous donnerons notre entière collaboration afin que ce projet de loi soit adopté cette semaine. Inversement, si vous nous dites que les discussions qui sont en cours pourraient entraîner de nouveaux amendements, nous devrions peut-être alors mettre ce projet de loi sur la glace pour nous permettre d'y apporter ces amendements. J'aimerais savoir ce que vous préféreriez.

Mme Copps: Comme je vous l'ai déjà dit, sénateur, le fait que les discussions se sont poursuivies au Sénat a obligé les Américains à se pencher sur la question et leur a permis de constater que le Canada prenait ce projet de loi très au sérieux. Je crois que la poursuite de votre examen permettra qu'il en soit toujours ainsi. Je ne peux pas vous dicter votre ligne de conduite.

Le sénateur Lynch-Staunton: Je sais. Je vous demande votre avis. Le comité prendra sa décision lui-même. Si vous préférez que nos discussions se poursuivent, vous souhaitez alors que le projet de loi ne passe pas en troisième lecture cette semaine.

Le sénateur Rompkey: Rappel au Règlement, madame la présidente. On demande à la ministre de dire aux membres du comité comment ils doivent travailler. Le sénateur demande si le travail doit se poursuivre ou s'arrêter. Le comité doit décider lui-même du travail qu'il doit accomplir.

Le sénateur Tkachuk: Je crois que le sénateur n'a pas le droit de parole.

La présidente: Oui, c'est à son tour.

Le sénateur Rompkey: L'autre jour, vous avez confirmé par écrit à la présidente que vous reconnaissiez sa présidence.

Le sénateur Tkachuk: Quel est votre rappel au Règlement?

Le sénateur Rompkey: J'aimerais rappeler que ces questions ne sont pas recevables, car elles demandent à la ministre de dicter le travail du comité, ce qui, en fait, relève du comité.

Le sénateur Lynch-Staunton: Il n'est pas question de rappel au Règlement. Quand la ministre est venue la première fois, elle a insisté pour que nous adoptions ce projet de loi le plus rapidement possible. Nous n'avions alors pas interprété cela comme étant un ordre. Je demande maintenant à la ministre si elle est aussi convaincue maintenant qu'elle l'était à ce moment-là. Nous voulons son avis. Nous souhaitons coopérer avec la ministre. Nous ne lui demandons pas quoi faire. Nous souhaitons coopérer. Nous sommes en faveur du principe sous-jacent à ce projet de loi. Si des changements doivent être apportés à ce projet de loi pour l'améliorer, nous les accepterons. Néanmoins, la ministre n'a pas répondu.

Le sénateur Rompkey: Elle n'a pas besoin de répondre.

Le sénateur Lynch-Staunton: J'insisterais alors pour que ce projet de loi soit adopté le plus rapidement possible.

La présidente: Sénateur Lynch-Staunton, je crois que le témoin a répondu de son mieux à votre question.

Le sénateur Lynch-Staunton: Oui, je suis d'accord.

La présidente: Nous l'avons invitée à venir ici pour être certains que nous aurions l'occasion de lui poser toutes les questions qui ont été soulevées à la suite des témoignages que nous avons entendus depuis la dernière fois que nous nous sommes rencontrés.

Mme Copps: Pour mettre les choses en perspective, quand je me suis présentée devant votre comité, le projet de loi C-55 était déjà en route. Je pensais alors, et je le pense toujours, tout comme le gouvernement, que le projet de loi C-55 nous permet de respecter nos engagements internationaux et peut nous permettre d'atteindre nos objectifs communs en ce qui a trait à la protection du contenu canadien.

Au début de nos démarches, une autre discussion a été entamée. Cette discussion se poursuit toujours avec les Américains justement parce que les Américains croient que nous avons une meilleure souricière. Tandis que nous achevons l'examen de cette question au Sénat, les Américains consacrent leurs énergies à préparer une meilleure souricière. Si, grâce à ce travail intensif, nous obtenons les résultats que nous souhaitons tous, je serais heureuse de venir vous les soumettre.

Cela dit, en suivant la progression de ce projet de loi, j'ai eu l'occasion de constater que les Américains n'ont réalisé que nous étions sérieux qu'au moment où la Chambre des communes et le Sénat se sont impliqués dans le dossier.

Le sénateur Lynch-Staunton: Si ces propositions nous sont soumises, nous seront-elles soumises sous forme d'amendements ou de nouveau projet de loi?

Mme Copps: Ce seront des amendements.

Le sénateur Rompkey: Madame la ministre, nous avons entendu les témoignages plutôt percutants de deux personnes en particulier.

M. Gordon Ritchie, qui a noblement défendu notre cause lors de nos discussions avec les Américains, a dit qu'il s'agissait là du seul choix possible. Paraphrasant Sir Winston Churchill au sujet de la démocratie, il a affirmé qu'il ne s'agissait pas d'un bon moyen, mais qu'il était mieux que tous les autres.

Pourriez-vous nous faire part de vos commentaires à ce sujet, s'il vous plaît? S'agit-il là du meilleur choix que peut faire le Canada pour faire face à un problème essentiellement culturel, soit celui de protéger non seulement nos éditeurs, mais aussi nos écrivains et nos créateurs?

Afin de vous éclairer, je cite le témoignage fourni par les écrivains et les créateurs qui ont comparu devant nous, avec à leur tête June Callwood, qui ont dit que cela était essentiel à leur survie. J'ai été très surpris de l'influence que les périodiques pouvaient exercer sur les autres instruments culturels, ou si vous préférez, les autres médias -- que les auteurs qui écrivent pour les périodiques écrivent aussi pour la télévision, la radio et ainsi de suite. Ils ont affirmé que cette mesure était essentielle à leur survie et que, sans elle, ils ne disposeraient d'aucun moyen d'exploiter leur talent et leur imagination.

Mme Copps: Quand vous êtes en politique, il arrive parfois que vous ne voyiez pas toutes les facettes d'une question, tout comme vous ne voyez pas la forêt parce qu'il y a trop d'arbres. En me basant sur mes années d'expérience en politique, j'en suis venue à la conclusion, et vous pourrez toujours en discuter, qu'il s'agit là d'un point tournant pour le Sénat et pour le Parlement.

Le sénateur Forrestall: Ce sont là des propos très durs. Que voulez-vous dire? Est-ce une menace?

La présidente: S'il vous plaît, laissez la ministre répondre.

Le sénateur Tkachuk: Rappel au Règlement.

Le sénateur Forrestall: J'aimerais demander à la ministre de nous dire ce qu'elle entend par cela.

La présidente: Nous devrions permettre à la ministre de répondre.

Mme Copps: Il s'agit d'un point tournant, car si vous jetez un coup d'oeil sur l'histoire du Canada au cours des 100 dernières années, les choix qui ont été faits dans notre pays n'ont pas tous été tributaires du marché. Sir John A. Macdonald a choisi de construire un chemin de fer allant d'est en ouest d'un bout à l'autre du pays. Il aurait probablement été plus rapide de construire un chemin de fer allant du nord au sud, mais il a fait un choix politique qui a marqué l'histoire de notre pays.

Si on revient à la proposition qui nous est soumise, la communauté internationale surveille ce projet de loi de très près, non pas à cause de la part du marché qu'occupent les périodiques canadiens, mais plutôt parce que ce projet de loi constitue, à l'aube du XXIe siècle, une étape qui démontre que la protection des cultures est compatible avec la mondialisation. Voilà pourquoi nous en sommes probablement à un point tournant.

Pour ce qui est des modalités, nous poursuivons nos discussions avec nos amis américains sur la façon d'améliorer le projet de loi C-55. À ce jour, nous n'avons toujours pas vu de propositions qui permettraient d'améliorer ce projet de loi, voilà pourquoi il vous est soumis tel quel.

Ainsi, le projet de loi C-55 est plus qu'un projet de loi relatif aux périodiques. Il s'agit d'un projet de loi qui dit qu'à l'aube de l'an 2000, les gouvernements peuvent toujours faire des choix qui ne sont pas strictement dictés par le marché. Il s'agit là d'une étape critique dans la définition de ce que sera le Canada au cours du prochain siècle.

Le sénateur Forrestall: On ne m'a toujours pas dit pourquoi il s'agissait là d'un point tournant pour le Séant du Canada; ou vous le faites, ou vous vous arrêtez là. Je n'ai pas particulièrement apprécié cette remarque, et elle m'a beaucoup surpris venant de vous, madame la ministre.

Mme Copps: Telle n'était pas mon intention, sénateur.

Le sénateur Rompkey: J'aimerais vous demander, madame la ministre, de comparer nos politiques avec celles de nos voisins. Nous avons demandé à nos témoins de comparer le point de vue de notre pays avec celui des autres pays. Peu de pays au monde se retrouvent dans la même situation que le nôtre, celle d'être le voisin de l'une des grandes puissances de ce monde qui perçoit les industries du spectacle et de l'édition comme des produits d'exportation commercialisables partout dans le monde. Nous ne partageons pas ce point de vue. Nous percevons nos écrivains d'un point de vue culturel, en tant qu'émissaires et porte-parole du Canada.

J'aimerais demander à la ministre de nous entretenir de cette différence et du point de vue des deux pays. Est-ce que cela a eu une influence sur les discussions? Si oui, comment? Comment cela vous a-t-il amenée à déposer le projet de loi dont nous sommes saisis aujourd'hui?

Mme Copps: M. André Cornellier a parlé de cela quand il a témoigné ici. Il a dit que les Américains voyaient cela comme une question d'affaires, et que les questions d'affaires devaient être mises sur la table pour être discutées. Les Canadiens, les Français et les Italiens voient cela d'un point de vue culturel. Voilà ce qui fait la différence. Ils voient le monde de leur façon, et nous le voyons de notre façon. Il a dit que les Américains ne veulent pas s'en prendre à notre culture, ils veulent s'en prendre à nos entreprises.

En un sens, les rouages des politiques des gouvernements qui se sont succédé et les répercussions qu'elles ont eues sur les périodiques nous ont donné l'occasion de réserver une place à ceux qui, autrement, n'auraient pas pu être entendus dans un marché qui compte plus de 300 millions de personnes. Nous sommes le seul pays au monde qui partage une langue commune et une frontière avec les Américains, ce qui fait que le Canada constitue un marché intérieur pour un grand nombre de leurs produits, et vice versa. Cela nous a permis d'entretenir de bonnes relations commerciales, et cetera. Cependant, en ce qui a trait à la culture, il est clair que nous ne voyons pas le monde sous le même jour que les Américains.

Le sénateur Spivak: Madame la ministre nous sommes entièrement d'accord avec vous quant aux efforts que vous déployez pour que le Canada conserve sa souveraineté culturelle et nous comprenons l'ampleur du travail que vous accomplissez. Partant de cela, je me demande si une telle protection passera par des amendements ou des changements apportés à ce projet de loi. Je m'inquiète à cause de la question du contenu canadien. C'est ce que nous rapportent les journaux. À tort ou à raison, ils disent qu'il s'agit là du sujet dont dépend la tournure des négociations.

Dans votre lettre adressée à M. Ronald S. Lund, vous dites:

Vous proposez un contenu canadien minimum pour tous les périodiques, autant canadiens qu'étrangers, distribués au Canada. Une telle mesure restreindrait indûment le choix des consommateurs [...]

Autrement dit, de telles restrictions ne sont pas une bonne idée, ce qui n'empêche pas les négociations de porter sur le minimum de contenu canadien.

Les témoins que nous avons entendus, M. Gordon Ritchie notamment, ont dit que le contenu canadien posait deux problèmes fondamentaux. Premièrement, c'est une notion difficile à définir. Deuxièmement, si nous imposons un minimum de contenu canadien, dans le temps de le dire, Time Warner, entre autres, viendra réduire ce contingent à la baisse, proférant à nouveau des menaces de représailles, et cetera, mesures qui viendront en bout de ligne nous déstabiliser.

Je suis tout à fait en faveur du projet de loi et je me demande ce qui pourrait arriver à l'avenir si nous adoptons ces amendements.

Pourriez-vous clarifier votre position sur la question du contenu canadien et nous préciser la difficulté de définir ce qu'est le contenu canadien et corriger cette impression que c'est peut-être là un cheval de Troie?

Mme Copps: Si vous vous référez à la lettre qui a été envoyée à M. Lund, l'Association des annonceurs canadiens a proposé que nous exigions que tous les périodiques importés au Canada aient un contenu canadien. Bien sûr, cela est tout à fait irréalisable. Si Paris Match devait avoir un contenu canadien avant d'entrer au Canada, nous serions à juste titre accusés d'élever une muraille autour de notre pays.

Dans la lettre, j'ai dit que le Canada veut avoir accès aux périodiques du monde, et ce, de façon ouverte, mais qu'en même temps, nous voulons nous assurer, à l'aide de l'instrument le plus efficace qui soit, d'avoir de l'espace pour raconter nos propres choses. Voyez-vous comment nous serions attaqués si la mesure législative proposée par l'Association devait être mise en oeuvre? Il faudrait interdire The Economist, Paris Match, et tous les autres périodiques provenant d'autres pays.

L'Association des annonceurs canadiens estime que nous devrions adopter le traitement national à l'égard des périodiques américains. Cependant, l'Association n'est pas d'avis que nous devrions adopter le traitement national à l'égard des annonceurs américains.

Si vous examinez les règles régissant les appels d'offres du gouvernement du Canada, en matière de publicité, nous exigeons que les seuls soumissionnaires pour les contrats de publicité accordés par le gouvernement du Canada soient des annonceurs canadiens. Cela est tout à fait légitime, c'est prévu dans l'Accord général sur le commerce des services (AGCS) parce que le Canada n'est pas signataire de la section du GATT sur les services. Cependant, si vous amenez la proposition de l'Association des annonceurs canadiens à sa conclusion logique, le traitement national s'étendrait non seulement aux fournisseurs de périodiques, mais aussi aux annonceurs. De toute évidence, cela n'est pas possible. Il ne serait pas logique d'avoir des règles précisant que les annonceurs canadiens peuvent seulement soumissionner pour des contrats du gouvernement canadien quand, en même temps, les annonceurs dans les périodiques américains peuvent avoir accès au traitement national. Cette question n'a pas été explorée, mais en toute franchise, lorsque j'ai parlé aux représentants de l'Association et leur ai demandé s'ils pensaient solliciter le traitement national pour les annonceurs, ils s'y sont carrément opposés.

Pour ce qui est du contenu canadien, au début du processus -- il y a longtemps -- l'une des propositions que nous avons examinées sérieusement était la possibilité d'adopter une loi sur le contenu canadien majoritaire. D'autres industries culturelles sont actuellement régies par une loi semblable. Par exemple, prenez les règles concernant le contenu canadien qui régissent le CRTC sur les licences de radio et de télévision; ces règles existent depuis assez longtemps et elles ont permis de créer une industrie très saine au Canada. Nous nous sommes dits à l'époque que, si nous adoptions effectivement une approche qui porte sur le contenu canadien majoritaire, cela ferait en sorte que d'autres intervenants pourraient se présenter à la table, mais précisément en se basant sur le principe du contenu canadien majoritaire.

Au début des discussions, les Américains ont absolument refusé d'examiner la question du contenu canadien. Cependant, ils ont un peu changé d'idée. Je crois que si nous réussissons à enchâsser le principe voulant que le contenu canadien est une exigence légitime de la loi, cet important principe pourrait très bien nous servir dans d'autres domaines de discussion culturelle comme la radio et la télévision. Ce cadre, autant il est accepté ici, autant il ne l'a jamais été par les Américains.

Le sénateur Spivak: Madame la ministre, j'aimerais également explorer la question de la propriété, et je sais que d'autres voudront peut-être faire de même, mais simplement pour récapituler ce qui a été dit, vous estimez que les amendements vont être axés sur le contenu canadien et vous n'avez aucune crainte et aucune inquiétude au sujet de la définition.

Mme Copps: Après avoir examiné environ 18 versions du projet de loi C-55, je reste prudente.

Le sénateur Callbeck: Madame la ministre, ma question concerne la préoccupation dont ont fait état les représentants du commerce américains au sujet de ce projet de loi. Vous en avez parlé un peu tout à l'heure.

Un article paru dans un périodique des États-Unis, qui s'appelle Folio: The Magazine for Magazine Management, a cité les propos de M. Bob Crosland, directeur général de AdMedia Partners, une banque d'investissement de l'industrie des médias dont le siège social est à New York. J'aimerais vous lire quelques citations au sujet du projet de loi C-55. On dit ceci:

Malgré tout le brouhaha, les analystes des activités d'édition de ce côté-ci de la frontière [États-Unis] soutiennent que le projet de loi aurait peu de répercussions sur les intérêts des périodiques américains. Il ne se fait pas tellement de publicité là-bas, de dire Bob Crosland.

L'auteur de l'article poursuit en disant que la valeur de la publicité qui se fait au Canada se situe probablement à 150 millions de dollars. M. Crosland aurait dit que les représentants du commerce américains ne peuvent même pas convaincre les éditeurs de venir à Washington pour témoigner à ce sujet. Ce sont là des citations d'une personne qui, de toute évidence, connaît très bien les éditeurs américains. J'en déduis donc que le projet de loi C-55 les préoccupe très peu.

Pourquoi, à votre avis, le projet de loi C-55 provoque-t-il autant d'opposition de la part des Américains? Comment justifient-ils l'adoption de mesures de représailles de milliards de dollars quand la valeur de la publicité canadienne se chiffre aux alentours de 150 millions de dollars?

Mme Copps: Je ne m'aventurerai pas à spéculer sur une réponse à cette question pour les Américains. Peut-être pourriez-vous le leur demander.

Le sénateur Tkachuk: Madame la ministre, vous avez dit qu'il y a des discussions, voire des négociations avec les Américains en cours actuellement. Vous avez parlé des caractéristiques principales du projet de loi -- le contenu canadien, l'élimination du dumping, la culture et les valeurs. Même si la question du dumping est peut-être un peu plus facile à définir, les Canadiens mêmes ne s'entendent peut-être pas sur la définition de la culture, des valeurs et du contenu canadiens. Comment définissez-vous le contenu canadien? Comment sauriez-vous qu'un périodique a un contenu canadien ou pas et qu'il respecte la définition de cette notion de contenu canadien?

Mme Copps: Nous avons établi quatre principes, et j'espère qu'il y a des points de vue différents. Je ne crois pas qu'il y ait une seule culture canadienne homogène. Le nombre de périodiques disponibles permet précisément d'exprimer de nombreux points de vue. Je suppose que lorsqu'on lit le Alberta Report, on a un point de vue légèrement différent de celui prôné dans le Downhomer. Il est important que l'on puisse préserver ces moyens d'exprimer notre opinion.

À mon avis, aucun gouvernement ou politicien ne peut définir ce que constitue la culture. L'hypothèse étant que, dans un pays comptant une population de 30 millions d'habitants, nous devrions avoir accès aux véhicules nationaux dont nous avons besoin pour exprimer les points de vue différents des Canadiens. La crainte est que, sans instruments permettant d'obtenir des revenus de publicité, ces véhicules pourraient être éliminés. Les revenus de publicité permettent d'obtenir l'argent qui, en retour, nous permet de créer le contenu canadien. Cela est vrai pour la télévision, les périodiques et les journaux. Peu importe que vous ayez de bons reporters ou non, s'il n'y a pas de revenus de publicité pour alimenter le contenu, il n'y a pas de véhicule de communication.

Le sénateur Tkachuk: En ce qui concerne la culture, les valeurs et le contenu canadiens, un très grand nombre de périodiques comptant très peu de publicité dépendent des abonnements. Je parle de périodiques universitaires, de revues médicales, littéraires et artistiques. Ces périodiques ne comptent pas sur la publicité pour appuyer la culture canadienne, la publicité est là pour commercialiser des produits. Les annonceurs pourraient annoncer à la télévision, à la radio ou dans les journaux. La seule raison pour laquelle ils s'annoncent dans un périodique en particulier, c'est que ce périodique donne aux gens ce qu'ils veulent; par conséquent, les gens le lisent.

Mme Copps: Je suis d'accord.

Le sénateur Tkachuk: Quels périodiques sont menacés en particulier? Je ne suis pas d'accord que le fait de fermer les frontières aide notre culture. Je crois au contraire que ça lui nuit. Alors, qu'est-ce que nous protégeons, madame la ministre? Quels périodiques protégeons-nous qui sont si importants pour notre culture?

Mme Copps: Nous ne fermons pas la frontière. Si nous adoptions la suggestion de l'Association canadienne des annonceurs, oui, nous la fermerions. À vrai dire, le Canada offre les frontières les plus ouvertes au monde pour les périodiques provenant de partout.

Sénateur, je crois que vous avez répondu à votre propre question. Vous avez dit que les consommateurs décideront du succès ou de l'échec d'un périodique, et c'est vrai. Aucun gouvernement ne peut dicter les goûts du consommateur.

La raison pour laquelle la Canadian Magazine Publishers Association et les éditeurs de publications commerciales ont adopté cette approche à l'unanimité, c'est que si un périodique veut survivre, il a besoin d'abonnements qui lui permettent de vendre de la publicité à certains taux. La publicité permet aux périodiques de survivre. Un éditeur ne peut vendre de journaux au Canada, même s'il a les meilleurs journalistes au monde, à moins d'avoir de la publicité pour appuyer l'investissement qu'il fait dans le contenu rédactionnel. C'est là qu'est le lien. Si un périodique est mauvais, il ne survivra pas.

Personne ne vous dit de garder en vie des périodiques que les gens ne veulent pas lire. Le consommateur décidera de s'abonner ou non à une revue. Cependant, une fois que le consommateur s'abonne au périodique, il faut avoir l'investissement dans la publicité pour alimenter le contenu rédactionnel. Sinon, la seule liste des abonnés ne permettra pas au périodique de survivre.

Le sénateur Tkachuk: Vous continuez de dire que nous avons le droit de lire les périodiques des autres. Je suis d'accord avec vous. Nous avons de nombreuses publications étrangères.

Cependant, la publicité, c'est une façon de permettre aux gens d'envoyer leurs propres messages. Autrement dit, si je veux faire valoir un point de vue précis auprès des consommateurs, que ce soit un point de vue politique, philosophique, ou un point de vue sur un produit, je devrais avoir la possibilité de faire passer mon message ou de vendre mon produit de la façon la plus efficace. Avec ce genre de mesure législative, vous empêchez certains périodiques dans lesquels je pourrais vendre mon produit ou faire passer mes idées ou mon message politique de la façon la plus efficace d'être vendus au Canada. Prenons par exemple, les produits informatiques. Nous n'avons pas de périodique national sur l'informatique au Canada.

Mme Copps: Si vous en avez la chance -- et la question n'a pas été abordée dans la discussion initiale -- vous pourriez peut-être inviter à nouveau les annonceurs et leur demander pourquoi ils veulent le traitement national pour les périodiques américains mais pas pour les annonceurs américains. Ce qui est bon pour l'un devrait être bon pour l'autre. S'ils soutiennent, comme ils l'ont toujours fait, que cette mesure législative viole leurs droits en quelque sorte, je leur dirai que le gouvernement canadien a décidé de ne pas signer la section sur les services du GATT et que les services incluent l'assurance, les services bancaires et la publicité, notamment.

Si nous suivions la logique de l'Association canadienne des annonceurs et que nous accordions le traitement national à l'achat de publicité, il nous faudrait offrir le traitement national à Madison Avenue. Légalement parlant, nous ne pourrions pas nous présenter devant vous pour défendre une politique selon laquelle, par exemple, toute la publicité du gouvernement canadien doit être faite par des sociétés de publicité canadiennes, parce que cela n'est pas conforme au traitement national accordé aux annonceurs.

Lorsque j'ai soulevé cette question dans nos discussions avec l'Association, ses représentants ont dit avec force qu'ils ne voulaient pas de traitement national pour les annonceurs américains. Il me semble qu'ils jouent sur deux tableaux. Tout à l'heure, quelqu'un a parlé du témoignage de M. Gordon Ritchie. Nous avons basé notre mesure législative sur un fait saillant, à savoir que le Canada n'est pas un pays signataire des dispositions sur le traitement national accordé aux services de publicité. Nous respectons toutes les obligations internationales précisément parce que nous n'avons pas signé cette section du GATT sur les services. Nous avons décidé, sur le plan international, de ne pas être signataires de cette disposition sur les services parce que nous avons un régime canadien pour les banques. Vous me direz peut-être que nous devrions mettre cela de côté, mais les annonceurs demandent le traitement national pour les périodiques américains et pas pour les annonceurs américains. Ce n'est pas là une politique logique ou défendable.

Le sénateur Tkachuk: Je ne suis pas ici pour défendre les annonceurs. Je suis ici pour discuter de la possibilité pour les entreprises, et les Canadiens, d'avoir un choix varié, choix que nous ne retrouvons pas sur notre marché, de promouvoir des idées et des produits, de susciter une discussion politique ou autre, dans des périodiques qui n'existent pas actuellement au Canada. Vous semblez inquiète que si ces périodiques existaient et qu'ils appartenaient à des intérêts étrangers, ils viendraient en quelque sorte détruire l'industrie canadienne du périodique. Je ne suis pas de cet avis. Rien ne prouve que c'est cela qui se produirait.

Mme Copps: Vous devriez peut-être analyser ce qui se passe dans d'autres pays de taille semblable à celle du Canada qui n'ont aucun instrument national pour assurer la survie de leurs périodiques.

Le sénateur Tkachuk: De quels pays parlez-vous? Aidez-moi.

Mme Copps: L'Autriche est dans une position semblable avec l'Allemagne, car elle partage la même langue, une frontière et une situation communes. L'industrie de l'édition en Autriche aimerait beaucoup suivre le modèle canadien parce que cette industrie, au moment où on se parle, a des problèmes.

Le sénateur Tkachuk: L'Autriche ne fait-elle pas partie de l'Union européenne? N'a-t-elle pas déjà accepté cet argument? N'est-ce pas?

Mme Copps: Oui, l'Autriche fait partie de l'Union européenne, mais l'industrie de l'édition de ce pays se trouve dans une situation semblable à la nôtre car elle partage la langue et la culture allemandes.

Le sénateur Joyal: Vous avez dit dans votre déclaration préliminaire que le premier ministre a des nerfs d'acier. Je dois vous féliciter car vous avez vous aussi des nerfs d'acier. Vous avez été capable de soutenir le débat public sur cette question depuis longtemps. Vous n'avez pas perdu votre sang-froid et vous avez maintenu votre détermination à susciter l'attention du public sur la portée du projet de loi. Je vous en félicite.

Cela étant dit, pouvez-vous nous dire quand les discussions ont commencé avec les Américains?

Mme Copps: Nous avons eu neuf rencontres. La première s'est déroulée à la fin de février.

Le sénateur Joyal: Vous avez dit avoir fait preuve de prudence dans vos commentaires au sujet de ces négociations. Est-ce que vous êtes liée par une entente quelconque avec vos homologues américains vous interdisant de divulguer le contenu des négociations?

Mme Copps: Lorsque vous êtes en discussion, il est important de faire en sorte qu'avant de s'entendre sur une proposition quelconque, les discussions demeurent internes.

Le sénateur Joyal: Malgré les représailles ou la «menace» qui a été proférée par les Américains, jusqu'à ce jour, vous avez réussi à vous rallier un très bon nombre de supporters dans l'opinion publique canadienne. À votre avis, allez-vous devoir rendre publiques les «contre-propositions» que les Américains présentent afin que le public canadien soit en mesure de juger qui est déraisonnable dans ces négociations sur les objectifs que poursuit le Canada?

Mme Copps: Je me suis engagée à revenir devant votre comité et le Parlement du Canada pour procéder à un examen détaillé de toute entente qui pourrait être conclue à l'avenir. Si l'on devait conclure une telle entente, manifestement, l'approbation du Parlement sera essentielle. Cela donnera aux gens la possibilité alors d'examiner en détail l'entente qui pourrait être convenue.

Le sénateur Joyal: Vous êtes consciente du fait qu'à un moment donné, il y aura ou non entente. Ça ne peut pas durer pendant un an ou presque. Vous vous attendez peut-être à ce que dans un délai raisonnable, vous allez devoir tirer la ligne et en venir à une conclusion, qu'il ne s'agit pas seulement de procrastination mais que les parties sont déterminées à en venir à un compromis quelconque. À votre avis, quels sont les éléments qui vous amèneront à tirer cette conclusion?

Mme Copps: Je crois qu'il s'agit de la détermination du Parlement et de votre détermination à vous, honorables sénateurs. C'est pourquoi j'ai fait le commentaire que j'ai fait tout à l'heure et dont s'est offusqué le sénateur Forrestall. Cependant, j'ai fait mes commentaires de façon très sincère. L'examen sérieux de ce projet de loi de la part des honorables sénateurs nous a beaucoup aidés à centrer la discussion.

Tant que le projet de loi C-55 n'a pas été adopté majoritairement à la Chambre des communes et renvoyé au Sénat, les Américains estimaient que c'était simplement un projet farfelu. Ils comprennent maintenant que nous sommes sérieux. Je suis d'accord qu'à un moment donné, dans un avenir rapproché, il sera important soit de conclure une entente avec les Américains et de vous la soumettre, soit de convenir qu'on n'est pas d'accord.

Le sénateur Joyal: Vous n'avez pas fixé de date précise. Normalement, comme vous le savez, les Américains aiment avoir des discussions productives et efficaces. Lorsque leurs intérêts sont en jeu, ils veulent être capables de faire rapport à leur propre gouvernement pour indiquer que des efforts sérieux et honnêtes ont été faits pour en venir à une conclusion. Ensuite, le dossier est transmis à l'exécutif. Est-ce que vous croyez que dans ces discussions, les Américains veulent en arriver à une conclusion à une date précise ou si vous pensez que les discussions vont se poursuivre tant que les Américains et vos représentants le voudront? Où est la limite?

Mme Copps: Les Américains ont fait preuve d'une certaine souplesse, ce qu'ils n'ont pas fait auparavant. Comme il s'agit d'un élément nouveau, il est important de continuer la discussion. Cependant, je ne crois pas que ces négociations peuvent se poursuivre à l'infini.

Le sénateur Joyal: Madame la ministre, vous avez dit que votre premier objectif, le contenu canadien, est bien défini. Vous avez parlé du seuil de 60 p. 100.

S'agissant du deuxième élément, l'élimination du dumping, est-ce que vous avez songé à exempter certains périodiques étrangers qui s'adressent à des publics très ciblés et dont le tirage est très restreint? Ainsi, les discussions concernant la Charte, qui ont eu lieu sur l'interdiction totale de périodiques étrangers, n'auraient plus leur raison d'être par suite du type d'exceptions qui faciliteraient les choses si le projet de loi est adopté et ensuite contesté devant les tribunaux?

Mme Copps: Nous avons fait passablement d'études sur divers modèles qui ont précédé le dépôt du projet de loi C-55 à la Chambre. Nous avons fait beaucoup d'études sur la question du contenu canadien, élément permettant à d'autres périodiques d'entrer sur le marché. Ces études indiquent que le projet de loi aurait pour effet d'accroître le contenu de certains périodiques canadiens et d'exiger un accroissement du contenu canadien dans d'autres périodiques qui pourraient venir au Canada et avoir un tirage limité. Certains chiffres ont été avancés pour ce qui constituerait un seuil viable qui encouragerait le contenu canadien et permettrait d'atteindre nos objectifs. Il n'y a pas de chiffre établi ici, mais il est certain qu'une majorité est essentielle.

Nous avons également examiné les propositions d'exemption au début. Si l'on veut adopter des propositions sur l'exemption, le défi consiste à s'assurer que l'ampleur de ces propositions n'est pas telle qu'elle annule l'effet du projet de loi. Nous avons fait beaucoup d'études sur cette question avant de reconnaître que le projet de loi C-55 était le meilleur instrument pour ce faire.

Les représentants de l'industrie sont probablement les mieux placés pour vous dire ce qui constitue une exemption viable ou minimale.

Le sénateur Kinsella: Certains d'entre nous ont appuyé très directement le principe du projet de loi. Nous avons fait également tous les efforts possibles pour être circonspects, parce que nous ne voulions pas vous désarmer en tant que ministre dans vos discussions avec nos amis américains.

Dans notre étude, nous nous sommes interrogés sur le fait de savoir si le projet de loi serait conforme à la norme prévue par la Charte canadienne des droits et libertés. Nous avons examiné cette question en détail et entendu le témoignage d'experts. Ma conclusion est que les gens sont divisés sur cette question.

Ce matin, vous avez dit que le projet de loi C-55 est plus qu'un projet de loi sur les périodiques. C'est pourquoi plusieurs d'entre nous ont été impressionnés lorsque nous avons entendu des témoins parler de la nécessité de clarifier le but et l'objectif du projet de loi. Si ce projet de loi devait faire l'objet d'amendements parrainés par le gouvernement à la lumière d'une entente qui pourrait être conclue, seriez-vous d'accord pour y insérer une clause sur les buts qui clarifierait l'objectif du projet de loi? Cela pourrait être un préambule, par exemple.

Mme Copps: Honorables sénateurs, pour avoir vécu l'Accord du lac Meech, je ferai tout mon possible pour éviter un préambule. S'il devait y avoir entente nécessitant un amendement, j'aimerais que les amendements soient aussi restreints et définis que possible afin que nous centrions la discussion sur ces questions. Un préambule peut avoir un objectif très louable, mais on risque parfois de s'attarder à la lettre plutôt qu'à l'esprit.

Le sénateur Grafstein: Je suis content que la ministre ait répondu de cette façon. Nous passerions plus de temps à examiner des préambules que le fond du projet de loi. C'est là une pratique de nos confrères américains que nous ne devrions pas suivre. La question a été soulevée à plusieurs reprises au Sénat. Les préambules ne clarifient rien, ils ont plutôt tendance à obscurcir les choses.

Le sénateur Lynch-Staunton: Tout comme les préambules à vos questions.

Le sénateur Grafstein: Exactement.

Madame la ministre, je voudrais vous poser une question générale au sujet de la politique culturelle du gouvernement. Vous estimez qu'il y a deux visions en cause. Vous dites que la protection culturelle doit s'adapter à la mondialisation. Le Canada a pour objectif de faciliter la mondialisation et vous avez utilisé les termes «protection culturelle». Ne pourrions-nous pas décrire la réalité de façon un peu différente pour nos collègues américains? Quand nous parlons de protection culturelle, ils n'en croient pas leurs oreilles. Ils ne comprennent tout simplement pas.

Ne pourrions-nous pas dire que les périodiques américains font une espèce de dumping spirituel et dire que l'objectif du Canada est d'uniformiser les règles du jeu? L'objectif est de permettre aux auteurs et aux éditeurs canadiens d'avoir un accès équitable à notre propre marché. Les Canadiens se font bousculer par les concurrents américains dont les coûts ont déjà été totalement amortis sur leur marché. Ils arrivent ici, les poches pleines, pour livrer une concurrence inéquitable sur le marché canadien. N'est-ce pas là une meilleure façon ou une façon différente de décrire les choses?

Mme Copps: C'est une façon qu'ils comprennent. Cependant, ce projet de loi en particulier a retenu l'attention de la communauté internationale précisément parce qu'il suscite un débat plus large. Et ce débat porte sur la question de savoir si la mondialisation est compatible avec la diversité culturelle. Ce débat sera déterminant.

Comme je l'ai dit, parfois, on devient tellement embrouillé dans quelque chose qu'on ne peut pas différencier la forêt des arbres. Le Canadien Marshall McLuhan a dit ce que l'avenir nous réservait. Les décisions politiques, par exemple, sont aujourd'hui transmises instantanément. Si les satellites avaient existé à l'époque de la guerre du Vietnam, l'issue de cette guerre aurait été complètement différente.

Je crois que les gouvernements et les gens sensés peuvent trouver des instruments permettant de s'assurer que la diversité culturelle fait partie de la réalité à l'échelle mondiale. Je ne crois pas que les instruments internationaux actuels traduisent cette réalité.

Pour aller un cran plus loin, je crois que le réseau des ministres de la Culture a touché une corde sensible parce que, même si nous avons des organisations internationales pour définir tous les types de relations commerciales, avant la réunion d'Ottawa l'an dernier, il n'y avait jamais eu de réunion internationale des ministres de la Culture, ce qui m'étonne. Bien sûr, il y a 30 ans, cela n'était pas nécessaire parce que les relations internationales étaient davantage des relations commerciales. Aujourd'hui, cependant, nos enfants vivent dans une communauté mondiale dont tous les éléments sont interreliés, et on doit avoir des instruments internationaux sensés assurant la protection culturelle qui ne sont pas des prétextes permettant aux entreprises de simplement se cacher derrière ces instruments parce qu'elles ne veulent pas respecter les règles internationales sur la concurrence.

Des gouvernements et des gens sensés peuvent trouver ces instruments. C'est dans cette voie que nous nous dirigeons et c'est la raison peut-être pour laquelle la réaction au projet de loi a été disproportionnée par rapport aux questions financières véritables qui constituent les enjeux pour les Américains.

Le sénateur Grafstein: Le sénateur Tkachuk a parlé d'équité à l'égard des annonceurs et de l'impossibilité d'accéder au marché. Cet argument -- que j'ai entendu de la bouche des Américains également -- est le même que les Américains ont apporté il y a 15 ou 20 ans lorsque nous avons changé la réglementation concernant la bande MF pour accroître le contenu canadien. À cette époque, les artistes canadiens étaient privés de temps d'antenne sur les ondes canadiennes. Nous avons entendu des commentaires désastreux de la part des éditeurs de musique américains, mais en bout de ligne, cette réglementation est venue accroître le contenu canadien et a ouvert la voie à de nouvelles stars. Céline Dion est un produit de cette réglementation sur le contenu canadien, tout comme Bryan Adams et plusieurs autres. Nous perdions des possibilités, et nous n'en étions pas conscients.

Cela étant dit, cette guerre culturelle que nous avons menée contre les États-Unis -- et que mène actuellement une petite minorité aux États-Unis -- continue de faire rage. Je croyais que cela était fini lorsque nous avons adopté la réglementation sur la télévision, la question du périodique Time et de Newsweek. Cependant, ça ne semble jamais fini. Il semble que la politique gouvernementale nous ait placés dans une position quelque peu ambivalente. Nous croyions avoir réglé ce problème à nouveau en adoptant une exemption culturelle dans le cadre de l'ALE et de l'ALENA. Les Américains ont accepté l'exemption culturelle, la bataille a été difficile, mais tous les gouvernements ont accepté ces exemptions. Pourtant, les Américains ont choisi leur arme, l'OMC et non l'ALENA. Je crois que l'ALENA n'aurait pas permis un débat sur la question, donc les Américains ont opté pour l'OMC.

Cela étant dit, nous sommes maintenant engagés dans des discussions concernant le libre-échange transatlantique et le libre-échange avec les Amériques. Nous sommes également sur le point de reprendre une autre ronde de négociations de l'OMC. Le gouvernement canadien décidera-t-il de soumettre cette question de politique à l'OMC pour voir si on peut provoquer un débat international qui pourrait peut-être régler le problème pour le siècle prochain? Si tel n'est pas le cas, dans 50 ans, ce sera autre chose et les parlementaires débattront de la même question à nouveau.

Comment régler le problème de façon équitable qui fasse en sorte qu'il ne revienne pas à chaque génération? Comment faire?

Mme Copps: L'orientation dont vous parlez pour l'OMC fait partie de ce que les ministres de la Culture étudieront à Mohawk en septembre. Je travaille en étroite collaboration avec mon collègue, Sergio Marchi, pour m'assurer que lors de la prochaine ronde de négociations de l'OMC, on dispose d'un instrument pouvant nous permettre d'engager ce débat.

J'ai rencontré il y a à peine une semaine mon homologue le ministre français responsable de la culture, qui organise une importante réunion à Paris, en juin, pour rassembler les spécialistes internationaux de cette question et voir comment nous pourrions élaborer une approche qui nous permettrait de respecter nos obligations internationales tout en respectant la diversité culturelle, et dans certains cas, en assurant la protection culturelle.

Je crois que le débat est lancé. Le projet de loi que vous étudiez aujourd'hui est le point de mire de ce débat parce que de nombreux pays sortent de l'ombre et créent des cadres pour leur propre défense culturelle. Divers pays du bloc de l'Est viennent tout juste d'entreprendre de telles mesures. J'ai eu une réunion hier avec le ministre responsable de la culture de la Slovaquie. Beaucoup de pays du bloc de l'Est cherchent des instruments d'orientation qu'ils peuvent créer et qui permettront leur épanouissement culturel.

Ils examinent la situation au Canada parce que, étrangement, nous avons eu du succès. Je n'ai pas parlé spécifiquement du travail des conservateurs au sujet de l'exemption culturelle dans le cadre de l'ALENA. Des gouvernements successifs ont adopté cette opinion qui reflète un large consensus au Canada et quatre des cinq partis politiques ont appuyé le projet de loi parce que c'est la bonne chose à faire. Cela dit, le débat se poursuivra, mais je crois qu'il est maintenant engagé à l'échelle internationale et c'est pourquoi la communauté internationale en surveille très étroitement l'issue.

La présidente: Nous vous remercions de votre déclaration préliminaire et de votre franchise ce matin. Nous avons entendu votre suggestion de revenir devant le comité. Bonne chance dans vos travaux futurs.

Le sénateur Rompkey: Madame la présidente, compte tenu de la discussion que nous avons eue ce matin, et du témoignage de la ministre, il est évident que ce que le sénateur Grafstein a décrit comme une guerre culturelle se déroule sur de nombreux fronts. Il y a ici une bataille de mots, une discussion, parce que je ne crois pas que les points de vue soient si différents que cela. Cependant, il y a une bataille en cours, il y a aussi d'autres batailles que mènent d'autres Canadiens dans d'autres domaines.

Il me semble que ce serait faire preuve de responsabilité que de profiter du fait que d'autres Canadiens mènent des batailles ailleurs et que nous poursuivions nos délibérations. Par conséquent, madame la présidente, je propose que le ministre Marchi et ses fonctionnaires soient invités à comparaître devant le comité pour faire le point sur les batailles dans lesquelles ils sont peut-être engagés sur le plan culturel.

Avant de prendre une décision définitive, nous devrions avoir tous les renseignements possibles. Dans ce contexte, je vous exhorte à inviter le ministre Marchi et ses fonctionnaires à comparaître devant notre comité.

La présidente: Le sénateur Rompkey a présenté une motion. Des commentaires?

Le sénateur Lynch-Staunton: C'est une excellente idée, parce que nous avons manqué le témoignage des représentants de l'industrie. Je suppose que vous voulez que le ministre comparaisse le plus tôt possible, cet après-midi ou demain matin, par exemple, afin que nous puissions procéder à l'étude du projet de loi article par article.

Le sénateur Rompkey: Demandez-lui de venir maintenant.

Le sénateur Lynch-Staunton: Ne soyons pas irrévérencieux. Je croyais que nous allions procéder à l'étude du projet de loi article par article aujourd'hui, et je suppose que l'objectif n'a pas changé.

Je suppose aussi que le sénateur Rompkey a été en contact avec le ministre Marchi et connaît ses disponibilités ainsi que celles de ses collaborateurs.

Le sénateur Rompkey: Je n'ai pas été en contact avec lui ni avec ses collaborateurs. J'ai simplement fait la suggestion et déposé la motion. Je ne crois pas que nous devrions procéder à l'étude du projet de loi article par article tant que nous n'aurons pas entendu le témoignage du ministre Marchi et de ses collaborateurs. Je propose que le greffier communique avec lui pour voir s'il peut comparaître devant notre comité dans les meilleurs délais.

La présidente: Comme nous l'avons fait pour tous les autres témoins, nous pouvons supposer que le greffier assurera le suivi. Je crois que nous avons le consentement.

Le sénateur Lynch-Staunton: Madame la présidente, nous n'avons pas encore approuvé la motion. Si nous changeons les règles, est-ce qu'on va nous proposer un autre témoin après que nous aurons entendu le ministre Marchi, pour retarder encore davantage l'adoption du projet de loi? Nous n'entrons pas dans ce jeu-là, si c'est là le jeu des autres. Il peut y avoir une bonne raison de retarder l'adoption du projet de loi. Mais au lieu de jouer des jeux, au moins soyons honnêtes et disons que la ministre estime qu'il peut y avoir des amendements et qu'à votre avis, ce serait une bonne idée de suspendre l'étude du projet de loi tant que nous n'aurons pas pris connaissance des amendements.

Nous voulons faire adopter ce projet de loi. Si les collègues de l'autre côté ont une bonne raison de croire que des amendements amélioreraient le projet de loi, qu'ils le disent.

Le sénateur Kinsella: Madame la présidente, je veux faire un rappel au Règlement. Nous devons régler ce problème au comité. Si nous nous entendons pour demander au ministre Marchi de témoigner, nous devons établir l'ordre du jour, après quoi nous devons procéder à l'étude du projet de loi article par article.

Nous ne pouvons déroger de l'ordre du jour qui a été adopté et que nous avons respecté aujourd'hui. Autrement dit, l'ordre du jour qu'on a sous les yeux, qu'on a entamé, ne peut être changé qu'avec le consentement unanime des sénateurs. Nous ne refuserons pas le consentement unanime si nous demandons que le ministre Marchi comparaisse devant le comité dès que possible, que ce soit jeudi, plus tard aujourd'hui ou demain. Le point 1 de cet ordre du jour devrait être d'entendre le ministre Marchi, et le point 2, de procéder à l'étude du projet de loi article par article.

Le sénateur Grafstein: Madame la présidente, je ne suis pas membre du comité, je suis ici pour remplacer quelqu'un à certaines de ces réunions. Cela étant dit, la question m'intéresse. Je suppose que c'est pour cette raison qu'on m'a proposé de devenir membre du comité pour remplacer un autre sénateur. Je m'intéresse à la question depuis environ 30 ans.

Le comité est aux prises avec une situation changeante. La ministre vient nous dire aujourd'hui que des discussions actives sont en cours et pourraient avoir des répercussions sur le projet de loi. En même temps, nous n'avons pas entendu le témoignage du ministre qui semble être en charge des négociations, M. Marchi. Il me semble que nous devrions l'entendre le plus rapidement possible et examiner les questions du mieux que nous pouvons afin de comprendre dans quelle direction ces négociations s'en vont.

Je comprends ce que les sénateurs de l'autre côté disent. Où en sommes-nous à ce sujet et quelle est la bonne position à adopter? Pour l'instant, je crois que nous n'avons pas suffisamment de données. J'aimerais entendre le ministre Marchi, après quoi il conviendrait d'entendre les motions.

Le sénateur Spivak: Est-ce que vous faisiez des commentaires au sujet du rappel au Règlement ou de la motion?

Le sénateur Grafstein: De la motion.

Le sénateur Rompkey: Compte tenu de ce que le sénateur Grafstein a dit, le comité a un comité directeur, et je préférerais que ce soit lui qui décide de l'ordre du jour. Si nous adoptons cette motion aujourd'hui, le comité directeur devrait se réunir pour examiner l'autre activité du comité et faire rapport au comité principal. C'est le travail normal du comité directeur.

La présidente: Pour votre information, le vice-président du comité, le sénateur Forrestall, et moi-même nous sommes rencontrés ce matin. Il a convenu que nous pourrions devoir entendre les représentants de l'industrie plus tard. Nous nous sommes mis d'accord pour modifier l'ordre du jour et le réviser après le témoignage du ministre Marchi.

Le sénateur Spivak: Je n'ai pas d'objections à entendre un autre témoin. Cependant, il est simplement raisonnable de savoir où nous allons et s'il y aura une date butoir de fixée à un moment donné. De même, il doit y avoir une certaine transparence quant à la nature des amendements potentiels. J'ai posé la question à la ministre, mais elle n'a pas précisé sa pensée. Autrement dit, je pense que nous devrions savoir ce que l'autre côté connaît.

La présidente: Honorables sénateurs, y a-t-il d'autres commentaires au sujet de la motion même?

Le sénateur Lynch-Staunton: Il y a un rappel au Règlement.

Le sénateur Tkachuk: Je suis confus. Le gouvernement veut que nous adoptions ce projet de loi, il estime que c'est un projet merveilleux qui protégera l'industrie canadienne des périodiques. Entre-temps, les principaux intéressés dans ce débat ont des discussions, et non des négociations, d'après ce que le leader du gouvernement au Sénat et la ministre ont dit. Il semble maintenant que les sénateurs de l'autre côté veulent que nous retardions des points à l'ordre du jour à cause de discussions qui sont en cours. Pourtant, nous ne savons même pas sur quoi portent les négociations. Nous n'avons pas la moindre idée de ce que le gouvernement essaie de négocier parce que personne n'en parle. Ce n'est pas une bonne façon de procéder.

Je suis d'accord avec le sénateur Lynch-Staunton que nous avons un ordre du jour et que nous devrions le respecter.

L'honorable ministre, si je ne m'abuse, a eu la possibilité de comparaître devant nous et a décliné l'invitation. Je pense que nous devrions aller de l'avant, adopter le projet de loi et le modifier en troisième lecture.

La présidente: En ce qui concerne le rappel au Règlement portant sur la dérogation à notre ordre du jour, nous n'avons pas besoin du consentement unanime, mais d'une entente entre la présidente et le vice-président, entente qui a été conclue ce matin.

Le sénateur Lynch-Staunton: Je pense que nous nous devons à la Chambre des communes d'aller de l'avant avec ce projet de loi. Autrement, les députés se rendront compte qu'on leur a monté un bateau. Le gouvernement a toujours su que des amendements allaient être proposés. Au lieu de faire preuve de respect à l'endroit des membres de l'autre endroit et d'attendre que le projet de loi soit adopté, le gouvernement a délibérément envoyé le projet de loi à la Chambre, sachant très bien qu'il ferait l'objet d'amendements importants.

Le sénateur Tkachuk: Comme on a fait pour le projet de loi C-49.

Le sénateur Lynch-Staunton: C'est gênant pour les députés de la Chambre des communes. Et en faisant cela, nous entrons dans le jeu.

Le sénateur Grafstein: Ce n'est pas juste.

Le sénateur Lynch-Staunton: Qu'est-ce que vous voulez dire? C'est juste.

La présidente: Chers collègues, une motion a été déposée et je vais procéder au vote.

Le sénateur Kinsella: J'ai fait un rappel au Règlement, et j'ai le droit d'intervenir le dernier à ce sujet.

La présidente: J'ai déjà rendu ma décision sur votre rappel au Règlement, sénateur.

Le sénateur Kinsella: Qu'est-ce que vous avez dit?

La présidente: Que le vice-président et moi-même nous sommes rencontrés ce matin, que nous avons convenu que nous entendrions les témoins du Commerce international qui ont demandé à être entendus et que nous n'avons pu entendre à cause de leur horaire.

Le sénateur Kinsella: Si tel est le cas, nous contestons alors la décision de la présidence. Je ne suis pas convaincu que l'ordre du jour, tel qu'il a été publié et remis et conformément auquel nous avons mené nos délibérations au cours des deux dernières heures, n'établit pas de preuve évidente qu'il s'agit de l'ordre du jour. Deux membres du comité ne constituent pas une réunion complète du comité directeur, nonobstant la délégation de pouvoirs que le comité donne au comité directeur.

J'étais sur le point de retirer mon rappel au Règlement parce que je croyais que nous avions conclu une entente, à savoir que le cabinet du ministre serait contacté immédiatement. Mes collègues les sénateurs Rompkey et Grafstein n'ont pas fait état de retard. Je croyais que nous entendrions le témoignage du ministre plus tard au cours de la semaine ou le plus rapidement possible. Je croyais que nous nous étions entendus pour que l'étude du projet de loi article par article soit ajoutée à cet ordre du jour. Il me semble que nous avons consensus sur ces questions.

Cela étant dit, je retire mon rappel au Règlement afin de ne pas contester la décision de la présidence. C'est ainsi que nous devrions procéder.

La présidente: Voulez-vous contester la décision, sénateur Kinsella?

Le sénateur Kinsella: Non.

La présidente: Honorables sénateurs, le sénateur Rompkey propose que:

Le ministre du Commerce international et ses collaborateurs soient invités à comparaître devant le comité sur toutes les questions relatives au projet de loi C-55.

Est-ce bien votre motion, sénateur Rompkey?

Le sénateur Rompkey: Oui.

Je tiens à féliciter le sénateur Kinsella de son attitude. Fondamentalement, il n'y a pas de différence dans les objectifs généraux chez les membres de l'un ou l'autre côté de la table aujourd'hui.

La présidente: Honorables sénateurs, depuis le début de nos délibérations, le projet de loi C-55 a soulevé beaucoup de débats publics. Nous sommes tous venus à ce comité l'esprit ouvert, et nous avons entendu de nombreux témoins. À la demande du sénateur Forrestall, nous avons ajouté une liste de témoins afin de pouvoir entendre la version des deux parties.

Comme le disent les sénateurs Kinsella et Rompkey, nous n'avons pas encore entendu les fonctionnaires du Commerce international. J'ai en main une lettre du sous-ministre les excusant, disant qu'ils sont très occupés mais qu'ils aimeraient témoigner. Je crois qu'il ne serait que juste pour le comité de les entendre le plus rapidement possible. Malheureusement, comme nous n'avons pas de ligne directe avec le cabinet du ministre, nous devrons nous assurer que le greffier fera le suivi dès après la réunion.

Le sénateur Lynch-Staunton: Est-ce que «le plus rapidement possible» signifie avant la prorogation ou après?

La présidente: Je crains ne pas avoir de réponse à votre question.

Le sénateur Lynch-Staunton: Je crois que j'en ai une.

Le sénateur Forrestall: Nous allons probablement nous arrêter après-demain pour deux semaines. La chaleur de l'été s'en vient, et la fin de la première semaine de juin n'est pas tellement loin. Nous serons probablement à la veille de l'ajournement d'été. Même s'il n'y a pas de prorogation avant le mois de septembre ou octobre, le fait est que le Sénat et la Chambre ne siégeront pas, je suppose, une seule journée avant que cela ne se produise, auquel cas nous revenons à la case départ sans un projet de loi à étudier. Cela vient contrecarrer notre conviction que certaines mesures devraient être en place pour protéger cet élément de notre culture.

Nous n'avons aucune assurance que le ministre Marchi viendra témoigner et je ne suis pas du tout certain que nous voulons simplement interroger ses collaborateurs. Quelles assurances nous sont données que la question sera examinée avant la prorogation, avant l'ajournement d'été ou à une date quelconque que l'on pourrait choisir?

Le sénateur Lynch-Staunton: Nous venons tout juste d'enterrer le projet de loi.

Le sénateur Forrestall: Je voudrais une réponse.

Le sénateur Lynch-Staunton: Il n'y en a pas.

La présidente: Je vais demander au greffier de nous en donner une et j'en discuterai avec le sénateur Forrestall.

Que les sénateurs qui sont en faveur de la motion lèvent la main.

Que les sénateurs qui sont opposés à la motion lèvent la main.

Je déclare la motion adoptée.

La séance est levée.


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