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Délibérations du comité sénatorial permanent des
Transports et des communications

Fascicule 31 - Témoignages


OTTAWA, le mardi 25 mai 1999

Le comité sénatorial permanent des transports et des communications, auquel a été renvoyé le projet de loi C-55, Loi concernant les services publicitaires fournis par des éditeurs étrangers de périodiques, se réunit aujourd'hui, à 15 h 37, pour en faire l'examen.

Le sénateur Marie-P. Poulin (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente: Honorables sénateurs, dans le cadre de notre étude du projet de loi C-55, nous accueillons aujourd'hui l'honorable Sergio Marchi, ministre du Commerce international, et M. John Gero, du ministère du Commerce international.

Comme vous le savez, nous entendons les témoignages de tous les intéressés. Le projet de loi a énormément retenu l'attention. Nous avons entendu plus de 30 témoins de l'industrie du périodique, du milieu culturel, du barreau, de l'industrie du bois de sciage, de l'industrie manufacturière ainsi que des experts du commerce.

J'ai reçu une lettre du sous-ministre du Commerce international qui demande que nous reportions la comparution du ministre et le témoignage des porte-parole du ministère parce qu'ils ont d'autres engagements.

Toutefois, nous accueillons aujourd'hui le ministre Marchi. Je crois que vous avez une déclaration liminaire à nous faire, après quoi nous passerons aux questions.

L'honorable Sergio Marchi, ministre du Commerce international: Je tiens à dire dès le départ à quel point je vous suis reconnaissant de me donner cette occasion de parler de commerce international dans l'optique du projet de loi C-55. J'ai suivi avec intérêt vos délibérations à ce sujet et les différents points de vue exprimés par les divers témoins qui ont comparu devant vous.

[Français]

J'ai également lu avec soin les commentaires faits devant ce comité par ma collègue, le ministre du Patrimoine, Mme Sheila Copps. Aussi, j'estime qu'il n'y a rien d'inconsistant entre, d'une part, la poursuite d'une politique commerciale vigoureuse et ouverte et, d'autre part, la promotion également énergique de sa propre culture.

[Traduction]

Je veux donc qu'il n'y ait aucun doute à ce sujet: le gouvernement appuie le projet de loi C-55 et il est bien décidé à ce qu'il soit adopté. Passons donc en revue rapidement ce qui nous a amenés où nous en sommes maintenant.

Les honorables sénateurs sauront qu'en 1997, l'Organisation mondiale du commerce (OMC) a trouvé que certaines de nos politiques portant sur notre industrie de l'édition étaient incompatibles avec les obligations que nous avons contractées aux termes des règles du commerce international. Nous avons rapidement donné suite à cette décision en retirant les quatre mesures particulières qui avaient été considérées comme étant incompatibles. L'OMC et, bien sûr, les États-Unis ont reconnu que les mesures que nous avons prises cadraient avec cette décision.

En octobre dernier, la ministre du Patrimoine canadien a déposé le projet de loi C-55 qui garantit que seuls les éditeurs de périodiques canadiens pourront vendre à des annonceurs du Canada des services publicitaires destinés principalement à notre marché. Nous estimons que le projet de loi C-55 respecte les conditions de l'OMC puisqu'il vise à limiter l'accès à certains services, plutôt qu'à des produits. Sous le régime de l'OMC, nous ne sommes pas tenus d'accorder le traitement national pour des services publicitaires. Les États-Unis ne sont pas cependant de notre avis.

[Français]

Nous avons donc commencé une série de discussions pour régler nos différends. Depuis janvier, il y a eu plus de dix rencontres avec les fonctionnaires canadiens et américains, et j'ai moi-même parlé régulièrement avec le représentant du commerce, Mme Charlene Barshefsky.

[Traduction]

Comme vous le comprendrez aisément, je ne peux pas entrer dans les détails de ces discussions cet après-midi. Je me contenterai donc de dire que nous avons réalisé de nets progrès et que je m'attends à un accord très prochainement.

Je devrais aussi ajouter que les deux partis ont abordé la question de bonne foi, car nul ne souhaite une guerre commerciale. Après tout, nous sommes l'un pour l'autre nos meilleurs clients. Plus de 1,5 milliard de dollars traverse la frontière tous les jours dans le cadre de nos échanges commerciaux. Il s'agit du plus grand et du meilleur partenariat commercial du monde. C'est pourquoi nous avons recouru au dialogue pour essayer de régler ces questions, car c'est ainsi que se règlent les problèmes entre voisins, entre amis et entre partenaires commerciaux.

Il faudrait aussi se rappeler que, dans le passé, le Canada et les États-Unis ont réglé de nombreux différends dans leurs relations commerciales grâce au dialogue. En fait, c'est la règle, plutôt que l'exception. Tout récemment, par exemple, nous avons pu régler nos divergences de vues au sujet de mesures prises par certains États du Midwest dans le secteur de l'agriculture.

Nous avons donc considéré nos discussions actuelles avec les États-Unis comme une occasion de faire progresser nos objectifs culturels, tout en évitant une confrontation aux conséquences désastreuses sur le plan commercial.

Je pourrais ajouter que ce désir de recourir à la discussion pour régler les différends n'est pas seulement une question de préférence, entre amis, mais aussi une approche judicieuse, entre partenaires. En effet, une guerre commerciale aurait des conséquences immédiates et désastreuses, et il faudrait beaucoup de temps pour en arriver à un règlement.

Si les États-Unis prenaient effectivement des mesures commerciales contre les industries qui, semble-t-il, sont visées (acier, habillement, plastique et bois d'oeuvre), ces mesures auraient un effet paralysant sur les nouveaux marchés d'exportation et les investissements dans ces secteurs clés.

Alors que nous aurions le droit de contester les mesures américaines en vertu de la procédure de règlement des différends de l'ALENA, pendant tout le temps que prendrait un groupe spécial pour se prononcer, les exportations canadiennes seraient compromises, tous les projets d'expansion seraient mis en veilleuse, et des emplois canadiens pourraient être menacés.

Pour toutes ces raisons, plutôt qu'une solution à tout prix ou profitant à un secteur au détriment d'un autre, le gouvernement du Canada a préféré une solution négociée, mais équilibrée et satisfaisante pour les deux parties. Je demeure persuadé que nous pourrons trouver un moyen d'y parvenir.

Toutefois, si un accord ne peut pas être conclu, le Canada a toujours eu pour principe de soumettre la question à l'OMC pour que celle-ci effectue un examen indépendant. Après tout, c'est l'une des raisons d'être de ces institutions multilatérales. Il faut en respecter les règles, et son mécanisme de règlement des différends doit être l'ultime organe d'appel pour deux parties ayant des positions divergentes. Il s'agit de l'utiliser plutôt que d'en abuser.

En outre, d'une manière générale, ce différend a souligné la nécessité d'avoir des règles claires sur la culture et le commerce, au niveau multilatéral. Je soutiens, depuis que le premier ministre m'a nommé à ce portefeuille, que l'OMC a besoin de remédier à cette lacune, ce qui, à mon avis, prend de plus en plus d'importance pour un nombre croissant d'États membres.

Alors que nous nous apprêtons à entamer une nouvelle série de négociations à l'OMC, il faudrait étudier plus sérieusement comment nous pourrions établir un cadre plus défini et plus sûr pour promouvoir et protéger les industries culturelles au sein du système commercial mondial. Certains prétendraient que cela est difficile, et j'en conviens. Toutefois, serait-ce plus difficile que de faire la quadrature du cercle en matière de commerce et d'environnement ou de commerce et de main-d'oeuvre? À cet égard, je vous rappelle la situation en matière d'agriculture qui a régné cette année et qui mettra durement à l'épreuve les États membres de l'OMC. Ce n'est pas parce que c'est difficile qu'il faut renoncer à atteindre l'objectif. À mon avis, de plus en plus de pays partagent cet objectif.

Pour en revenir au différend actuel, je voudrais qu'il soit bien clair que nous ne conclurons pas une entente avec les États-Unis à n'importe quel prix. Il y a des limites que le gouvernement ne veut pas franchir, des concessions que nous ne sommes pas prêts à faire, des principes auxquels nous ne sommes pas disposés à renoncer. La culture est un élément trop important, trop fondamental de ce qui fait l'individualité de notre pays. Il est évident qu'il n'est pas nécessaire de sacrifier la culture aux considérations commerciales. Les deux peuvent coexister de façon constructive.

[Français]

Certains diront, et je suis tout à fait conscient qu'il y a une contradiction entre l'affirmation de notre intégrité culturelle et l'énergie que nous mettons à promouvoir des politiques commerciales ouvertes, que soutenir une libéralisation accrue du commerce signifie accorder un accès sans restriction à notre marché.

[Traduction]

Bien que je comprenne ces points de vue, je ne les partage pas. Pendant le temps qui me reste avec vous cet après-midi, je voudrais vous expliquer pourquoi, selon moi, la libéralisation du commerce et la défense de notre culture ne sont pas incompatibles.

Tout d'abord, l'argument selon lequel le libre-échange signifie qu'il n'y a aucune limitation est manifestement erroné. Tous les accords commerciaux prévoient des exceptions. Tous les pays ont des intérêts particuliers qu'ils cherchent à défendre. Aussi, même si la théorie économique suggère le principe du «tout ou rien», le monde dans lequel nous vivons fonctionne quelque peu différemment.

Le principe du «tout ou rien» a pour corollaire que la mondialisation entraîne l'uniformisation, que nous devons renoncer à nos différences si nous voulons faire du commerce à l'échelle internationale ou, parce que nous faisons ce commerce, nous finissons par nous ressembler.

Honorables sénateurs, je ne conçois pas la mondialisation comme un processus où tout le monde porterait des chaussures Nike, boirait du Pepsi ou du Coke ou ferait ses achats chez Gap. La libéralisation du commerce n'est pas synonyme d'uniformisation ou d'assimilation. Au contraire, elle signifie que les pays peuvent promouvoir leur originalité et qu'ils doivent le faire. Elle signifie qu'un pays ne renonce pas à sa souveraineté dans le domaine qui lui est le plus fondamental, soit sa culture, simplement parce qu'il a conclu un accord de libre-échange. J'ai répété à maintes reprises, dans bien des régions du monde, qu'un pays ne devrait pas être obligé de vendre son âme pour pouvoir vendre ses produits.

Ce sont donc les principes qui nous ont animés dans le dossier des magazines à tirage dédoublé, et les Canadiens peuvent s'attendre que nous les appliquerons dans les ententes qui seront finalement conclues, quelles qu'elles soient.

En guise de conclusion, je précise qu'en tant que ministre du Commerce international, je connais parfaitement les avantages que le libre-échange apporte à notre pays et je les appuie. Les Canadiens reconnaissent que la santé de notre économie nationale est liée inextricablement à notre capacité de nous aventurer au-delà de nos frontières, en quête de débouchés économiques. Dans le contexte des discussions sur le projet de loi C-55, nous devrions aussi nous rappeler que c'est un poète américain, Robert Frost, qui a écrit: «Les bonnes clôtures font les bons voisins». Madame la présidente, il ne s'agit pas de murs pour empêcher nos voisins d'entrer, mais de barrières pour préserver ce qui est à l'intérieur.

Le sénateur Lynch-Staunton: Monsieur le ministre et monsieur Gero, je vous souhaite tous deux la bienvenue. Je ne suis pas sûr que la ministre Copps, votre collègue, serait enchantée d'apprendre qu'en guise de conclusion, vous avez cité un poète américain. Elle en conclura peut-être que le contenu canadien de votre déclaration s'en est trouvé diminué.

J'enverrai un exemplaire de votre intervention à l'ex-premier ministre Brian Mulroney, qui l'ajoutera peut-être à sa collection.

Toutefois, j'ai de la difficulté à faire le lien entre ce que vous avez dit et le projet de loi C-55. Au troisième paragraphe, vous affirmez:

Je veux donc qu'il n'y ait aucun doute à ce sujet: Le gouvernement appuie le projet de loi C-55 et il est bien décidé à ce qu'il soit adopté.

Nous sommes tout aussi résolus que vous. Alors, que faisons-nous ici? Pourquoi ne procédons-nous pas à l'étude article par article et n'adoptons-nous pas le projet de loi? Êtes-vous venus nous demander de l'adopter ou de ne pas l'adopter à ce stade-ci?

M. Marchi: Sénateur, vous pouvez envoyer le texte de mon allocution à qui bon vous semble, et M. Mulroney est certes un bon point de départ.

Vous vous rappellerez aussi que, durant la course à la chefferie, M. Mulroney avait juré de ne jamais conclure un accord de libre-échange. M. Crosbie a donc fait preuve de beaucoup de constance. Je sais qu'ils feront front commun et rétabliront les faits.

Pour ce qui est du rôle de votre comité, ce n'est pas à moi de dire au comité ce qu'il devrait faire ou comment il devrait s'y prendre. J'ai été invité par le comité à parler de l'aspect commercial du projet de loi C-55. Je l'ai fait avec plaisir; j'ai fait mon exposé. C'est maintenant à vous de décider de ce qu'il faut faire. Avec un peu de chance, vous ferez l'étude article par article du projet de loi très bientôt.

Le sénateur Lynch-Staunton: En tant que porte-parole du gouvernement, vous affirmez que vous appuyez le projet de loi C-55 et que vous êtes déterminé à le voir adopter. Êtes-vous convaincu que le projet de loi C-55 mérite d'être adopté dans sa version actuelle et qu'il faudrait donc que nous agissions en conséquence?

M. Marchi: Depuis janvier, nous discutons avec les Américains en vue de combler le fossé qui sépare nos interprétations. C'est le plan A. Manifestement, nous préférons régler les questions par voie de négociations plutôt que de mettre en jeu la survie de certains secteurs dans une guerre commerciale dont nul ne sortira gagnant. Nous préférons la solution négociée qui conservera à l'industrie du périodique son dynamisme tout en évitant un vilain conflit.

Si un accord pouvait être conclu et qu'à condition d'y faire certaines modifications, il satisfaisait à ce critère, j'accepterais que le projet de loi soit modifié. Toutefois, il faut que le projet de loi demeure essentiellement le même, en substance.

Le sénateur Lynch-Staunton: Le projet de loi C-55 a franchi les trois étapes de lecture à la Chambre des communes et il en est maintenant au stade de l'examen en comité au Sénat, après y avoir franchi deux étapes de lecture. Néanmoins, il semble qu'on soit en train de négocier des modifications au projet de loi avec un autre pays. Nous attendons que les Américains nous disent ce qu'ils aimeraient voir figurer dans le projet de loi en vue d'éviter une guerre commerciale. La ministre du Patrimoine canadien, votre collègue, a fait un plaidoyer très éloquent en faveur de la culture et de l'identité canadiennes, de la nécessité de faire raconter par des Canadiens des histoires canadiennes aux Canadiens, et nous y avons cru. Bien que nous estimions que le projet de loi comporte certaines lacunes, quand il est question de protéger notre identité si fragile, nous ne faisons qu'un. Nous avons laissé le projet de loi progresser aussi loin et, dans votre texte, vous affirmez que vous appuyez le projet de loi. Pourtant, vous affirmez maintenant que vous êtes en pourparlers avec les Américains et qu'un accord pourrait être imminent.

Pourquoi ne pas lever la séance, attendre les modifications, puis nous réunir à nouveau et passer aux choses sérieuses. C'est une vraie farce. Vous gaspillez notre temps et le vôtre, qui est probablement encore plus précieux. Que faisons-nous ici? Si vous souhaitez que le projet de loi soit adopté, après votre départ, je proposerai que nous passions à l'étude article par article et que nous l'adoptions. Si le gouvernement souhaite retarder le processus parce que les négociations ont beaucoup progressé et que vous vous attendez à la conclusion d'un accord sous peu, pourquoi ne pas lever la séance, attendre les modifications, nous réunir à nouveau et poursuivre notre travail?

Je ne comprends pas le processus que vous nous obligez à suivre. Comme je l'ai déjà dit, c'est dégradant pour tout le processus parlementaire.

La présidente: Sénateur Lynch-Staunton, votre question s'adresse, je crois, à la présidence puisqu'il s'agit d'une question de procédure. Nous avons tous accepté d'entendre aujourd'hui l'honorable Sergio Marchi, ministre du Commerce international. Si vous le souhaitez, après son départ, nous pourrons parler de procédure.

Le sénateur Lynch-Staunton: Madame la présidente, j'ai dit au ministre que, si le gouvernement souhaite que nous adoptions rapidement le projet de loi à l'étude, tel quel, nous sommes prêts à en faire l'étude article par article. S'il croit que les négociations actuelles de Washington entraîneront des modifications qui ne changeront rien à la teneur même du projet de loi, nous sommes disposés à attendre. J'aimerais qu'il nous dise ce qu'il faut que nous fassions.

Les membres de notre parti souhaite aller de l'avant avec le projet de loi à l'étude, et je suis sûr que beaucoup d'autres de l'autre côté de la table sont du même avis. Si le gouvernement estime que nous pouvons améliorer le projet de loi, je propose que nous suspendions nos audiences et que nous les reprenions quand le gouvernement nous aura présenté les modifications qui s'imposent.

J'attends, monsieur le ministre, vos instructions.

M. Marchi: Sénateur, j'ai été candide dans ma brève déclaration. Soit que vous acceptez cette candeur ou que vous la rejetez. Vous en avez parfaitement le droit.

Par ailleurs, le processus d'examen en comité sénatorial vous concerne beaucoup plus que moi. J'ai été invité à prendre la parole au sujet de l'aspect commercial du projet de loi, et c'est ce que je tente de faire, en toute bonne foi.

Enfin, je ne suis pas d'accord avec le préambule de votre question. Le projet de loi à l'étude n'est pas en train d'être négocié avec un autre pays. Vous le savez aussi bien que moi. Les pourparlers ont eu lieu dans les deux capitales. Nous n'attendons pas que les Américains nous disent quoi faire. Comme je l'ai dit dans mon exposé, il y a certaines limites que le gouvernement, non pas le ministère du Patrimoine canadien ou le ministère du Commerce international, mais bien le gouvernement, n'est pas prêt à franchir. Nous avons négocié de bonne foi, en faisant preuve de créativité et d'affirmation. Si nous concluons un accord qui respecte ces limites, soit! Par contre, si nous n'arrivons pas à nous entendre, il n'y aura pas d'accord.

Le sénateur Lynch-Staunton: Avez-vous dit aux Américains qu'il y a une date butoir pour ces discussions, après quoi nous devons adopter le projet de loi tel quel ou accepter des amendements? Pendant combien de temps le gouvernement va-t-il poursuivre ses discussions?Je suis que le Canada affirme sa position et qu'il fait comprendre aux Américains que nous sommes sérieux au sujet du projet de loi C-55. Nous sommes disposés à voir ce que nous pouvons faire si les Américains ont des problèmes, mais l'affaire doit se régler à nos conditions et non aux leurs.

D'après ce que j'ai entendu dire, les Américains gagnent du terrain dans ce dossier. J'ignore ce que nous obtenons en retour. C'est mon interprétation. Vous avez dit que vous ne vouliez pas entrer dans le détail des discussions, et je respecte cela, mais le Canada peut fixer un échéance en invoquant que le Parlement ajournera en juin et qu'il souhaite adopter la mesure d'ici là.

Si le gouvernement est sérieux, il devrait dire aux Américains qu'il adoptera le projet de loi avec ou sans amendement d'ici telle ou telle date, de préférence avant l'ajournement pour les vacances d'été. Le gouvernement peut-il prendre cet engagement et faire en sorte que ce soit clair pour les Américains?

M. Marchi: Ce processus dure depuis deux ans et les négociations ont débuté en janvier. J'ai dit à l'une des dernières réunions entre hauts fonctionnaires qu'il fallait mettre un terme à ces discussions. Nous espérons que l'issue sera positive. Cependant, d'une façon ou d'une autre, il faut en finir en raison de l'incertitude à laquelle est soumise l'industrie du magazine canadien, ainsi que tous les autres secteurs confrontés à d'injustes menaces de rétorsion de la part des Américains. En fin de compte, notre gouvernement veut faire avancer les choses et voir si un arrangement est possible.

De toute évidence, nous ne pouvons nous permettre d'attendre. Nous sommes aussi très sensibles au fait que le projet de loi est maintenant au Sénat. Nous savons que les deux Chambres vont bientôt ajourner. Cela a été expliqué clairement aux Américains.

Je pense que nous serons en mesure de prendre une décision, dans un sens ou dans l'autre, à temps pour l'ajournement du Sénat et de la Chambre des communes.

Le sénateur Callbeck: Notre comité a entendu de nombreux témoins et certains d'entre eux nous ont dit que le secteur de l'édition américaine n'était pas tellement préoccupé par le projet de loi C-55. En fait, dans l'édition du 15 novembre 1998 de Folio, magazine américain qui se targue être le summum en matière de gestion de magazine, on pouvait lire que les éditeurs américains n'étaient pas terriblement préoccupés par le projet de loi. Ils n'arrivaient même pas à convaincre des intervenants de se rendre à Washington pour témoigner au sujet du projet de loi C-55.

D'autres indices montrent que le secteur de l'édition aux États-Unis est indifférent au projet de loi C-55. Certains témoins ont laissé entendre que l'opposition à cette mesure émane d'autres intérêts américains.

Les discussions que vous avez à Washington portent-elles uniquement sur la quête d'une entente acceptable pour les magazines?

M. Marchi: Sans doute que Mme Barshevsky et d'autres seraient mieux en mesure de cerner les intérêts de l'industrie de l'édition américaine. Chose certaine, je ne pense pas que cela soit un point aussi important sur leur radar que sur le nôtre. Cela est acquis. Cela signifie que nous n'avons pas à nous excuser auprès des Américains d'accorder à ce dossier toute l'importance qu'il mérite à nos yeux. Pour nous, la culture est un domaine très vaste. Le secteur du magazine n'est qu'un élément de «la culture», bien que c'est sans doute l'une des aspects les plus vulnérables.

Céline Dion peut remplir n'importe quel stade dans le monde et les livres de Margaret Atwood peuvent être traduits en une multitude de langues, mais les magazines canadiens sont essentiellement fabriqués par des Canadiens pour des Canadiens. Ils ne sont pas concurrentiels comme peuvent l'être le Time, Newsweek ou Paris Match.

Par conséquent, pour reprendre mon analogie de l'écran de radar, c'est sans doute sur le nôtre que la lumière clignote le plus vigoureusement.

À en croire ce que nous disent nos homologues américains -- et je n'ai pas de raison d'en douter -- dans leur perspective, l'intérêt pour ce dossier a augmenté de façon spectaculaire depuis un mois environ. Soudainement, le secteur de l'édition s'intéresse vivement à la question.

En plus de s'intéresser à ce qui se passe au Canada, les Américains s'intéressent aux précédents ailleurs dans le monde. Dans ma déclaration liminaire, j'ai dit qu'à mon avis, nous devrions avoir à l'OMC des règles qui définissent clairement les formes légitimes et illégitimes de promotion de la culture, c'est-à-dire celles qui méritent le feu vert ou le feu rouge.

Dans la perspective américaine, la culture est une entreprise commerciale et, en tant que telle, elle est traitée comme n'importe quelle autre entreprise commerciale. Nous avons une vision différente de la situation.

Les discussions entre nos deux gouvernements ont uniquement porté sur la question des magazines.

Le sénateur Callbeck: Êtes-vous convaincu que les arrangements ou conditions dont il est question pourraient assurer la viabilité et la vigueur du secteur du magazine ici au Canada?

M. Marchi: Je le crois, si nous concluons une entente convenable. D'ailleurs, nous ne signerions qu'une entente convenable. Si les Américains voulaient nous forcer à conclure une entente qui, à notre avis, rendrait ce secteur non viable, nous refuserions tout simplement de signer et nous pourrions passer au plan B, soit le recours à l'OMC. Je pense qu'un arrangement est possible. Il devrait être fondé sur l'équilibre, l'équité et un sens du compromis de la part des deux parties.

Le sénateur Forrestall: Normalement, je n'aurais pas participé à cette discussion sur le commerce, étant donné que je suis habituellement préoccupé au premier chef par les questions relatives aux transports. Cela dit, je m'inquiète des conséquences d'une entente éventuelle sur certaines industries comme celle du bois d'oeuvre. Certains témoins nous ont mis en garde contre les conséquences de l'adoption de ce projet de loi sur leurs secteurs industriels.

Jusqu'à maintenant, les témoins du gouvernement, y compris votre collègue la ministre Copps, a évoqué le recours éventuel à la procédure de règlement des différends ainsi que toutes les difficultés qui pourraient s'ensuivre et qui pourraient compromettre ou mettre en péril les industries canadiennes. Vous avez vous-même parlé d'industries en péril. Pourriez-vous nous en dire plus long et peut-être passer en revue les deux ou trois industries ainsi menacées? C'est une question qui nous préoccupe.

M. Marchi: Je comprends les préoccupations des secteurs industriels qui vous ont présenté des instances directement, sénateur, ou par l'entremise du comité. En effet, ils craignent de devoir payer le prix des divergences d'opinions des deux gouvernements au sujet du projet de loi C-55. C'est d'ailleurs en partie la raison pour laquelle nous avons été à la table aussi longtemps.

Je pense que nous pouvons réaliser un certain nombre de premières en matière de culture grâce à un arrangement. Il va de soi que nous sommes à la table pour obtenir un arrangement acceptable qui assurera la viabilité de l'industrie du magazine. Les représentants des secteurs menacés sont venus vous parler, et ils nous ont parlé à nous aussi. Ils s'inquiètent des conséquences, des retombées d'un éventuel arrangement.

Les Américains nous ont dit qu'ils cibleront quatre secteurs importants de notre économie. Cela englobe des secteurs nationaux et d'autres, qui exportent tous les ans des produits d'une valeur de 4 ou 5 milliards de dollars, principalement vers les États-Unis. Si ces produits devaient faire face à des barrières tarifaires, cela aurait des conséquences au niveau national autant que local.

Si les Américains devaient mettre à exécution leurs menaces, loin de moi l'idée de tromper les Canadiens en leur affirmant que cela ne nous causerait pas de tort. Cela nous causerait indubitablement du tort. Il n'est pas correct de leur part de nous menacer de cette façon. Voilà pourquoi nous leur avons constamment rappelé qu'ils ont aidé à bâtir l'OMC, comme ils l'ont fait pour le GATT.

Ce n'est pas ainsi que devraient procéder les deux plus grands partenaires commerciaux du monde, particulièrement à la veille du lancement d'une nouvelle série de négociations à Seattle, dans l'État de Washington, plus tard cette année. Je conviens que les répercussions seraient sérieuses.

Cela dit, les chefs d'entreprise de ces secteurs se sont montrés éminemment loyaux et responsables. Il leur aurait été facile et compréhensible de se plaindre publiquement, jour après jour, des répercussions sur leurs secteurs. Le fait qu'ils n'ont pas agi ainsi n'est pas un signe d'indifférence. C'est simplement qu'eux aussi sont des Canadiens passionnés qui croient en leur culture. Cependant, ils pensent également que des gens raisonnables doivent pouvoir en arriver à une conclusion raisonnable. Il y a lieu d'applaudir le fait qu'ils nous ont accordé un appui discret au lieu de vociférer sur la place publique, ce qui aurait compliqué encore davantage une situation qui l'est déjà suffisamment.

Le sénateur Forrestall: Monsieur le ministre, vous avez parlé au conditionnel et employé le terme «would». Faut-il en conclure que votre ministère est extrêmement sensible aux retards? Vous avez dit que cela aurait des conséquences sérieuses pour l'industrie canadienne, et je suis d'accord, et pas seulement pour les quatre secteurs menacés. À mon avis, cela aurait des conséquences sérieuses pour n'importe quel secteur qui souhaite accroître le volume de ses exportations actuelles vers notre principal partenaire commercial. Lors de votre comparution devant le comité permanent de la Chambre des communes, avez-vous employé le terme «would» ou «could»? Dans l'ébauche de votre exposé, c'est le terme «could» qui figure mais dans votre témoignage, vous avez dit «would». Je suis sûr que vous comprenez la différence entre les deux. Lequel de ces deux verbes avez-vous utilisé devant le comité de la Chambre?

Les situations sont entièrement différentes. Si dans un cas, c'est problématique, alors mon chef a raison, nous devrions en finir et adopter le projet de loi. Si, par contre, cela aura des conséquences sérieuses, le Sénat et la Chambre méritent des explications.

M. Marchi: Je ne veux pas jouer sur les mots avec vous. Je ne me rappelle pas quel verbe j'ai employé lorsque j'ai témoigné devant le comité de la Chambre. Je peux certainement vérifier et, par l'entremise du président, vous le faire savoir.

Le sénateur Forrestall: Quel était votre sentiment à ce moment-là?

M. Marchi: Qu'un ministre dise que cela pourrait avoir une incidence préjudiciable et qu'un autre, nommément le ministre du Commerce international, dise que cela aurait une incidence préjudiciable, le message est clair. Le message, c'est que si nous nous retrouvons en guerre commerciale avec notre principal marché, un pays 10 fois plus grand que le Canada qui accueille plus de 85 p. 100 de nos produits, et si cette superpuissance abandonne les règles et un processus d'arbitrage indépendant auquel nous devons en partie de nous être si bien tiré d'affaire à l'origine dans le contexte de l'ALE et ensuite de l'ALENA, il va de soi que cela aurait des conséquences. Sénateur, il est impossible de prédire à quel point cela serait dur, pendant combien de temps le conflit durerait et ce qui arriverait ensuite.

Il est compréhensible que ces secteurs et l'ensemble des Canadiens soient préoccupés. Notre gouvernement a essayé de résoudre cette question par la voie du dialogue plutôt que des menaces. Je pense qu'il existe au pays un consensus selon lequel si nous pouvons obtenir un arrangement acceptable, nous devrions essayer d'éviter d'apprendre de première main à quel point une guerre commerciale entre nos deux pays pourrait être dommageable.

Le sénateur Forrestall: Je vais m'en tenir là. Ce que mon chef a dit est très clair et mérite notre attention.

Le sénateur Kinsella: Monsieur le ministre, je vais aborder trois questions.

Premièrement, le gouvernement avait-il prévu ce genre de réaction de la part de nos amis américains lors de son examen des modèles devant permettre de résoudre le problème associé aux magazines à la lumière de la décision de l'OMC? A-t-on quelque peu perdu le contrôle du dossier? Vous parlez d'une guerre commerciale d'une ampleur imprévisible, et je conviens que cela serait catastrophique pour l'économie canadienne. Le gouvernement avait-il envisagé que les choses se dérouleraient ainsi?

M. Marchi: Il existe un fossé culturel entre nos deux pays et ce fossé existait déjà avant que les deux ministres actuels du Commerce et du Patrimoine assument la responsabilité de leur portefeuille, mais également avant l'arrivée au pouvoir de notre gouvernement. A vrai dire, les gouvernements précédents, quelle que soit leur allégeance, ont toujours été sensibles à cette divergence de vue en matière de culture. Nous avons toujours recherché un équilibre entre la protection de notre souveraineté et la protection des autres industries. Le gouvernement précédent, lors des négociations de l'ALENA, a dépensé énormément de capital pour essayer d'arranger cette exemption culturelle. Nous, au gouvernement du Canada, savons à quel point cela est important pour les États-Unis, mais nous n'étions pas disposés à prendre nos jambes à notre cou. Lorsque le groupe d'experts de l'édition de l'OMC a rendu une décision défavorable pour le Canada, nous ne nous sommes pas plaints, nous n'avons pas employé de tactiques dilatoires et nous n'avons pas discuté. Nous nous y sommes pliés. L'OMC avait présenté quatre exigences différentes et, dès l'été dernier, notre gouvernement les avait respectées dans les quatre dossiers.

Peu de temps après, la ministre du Patrimoine a déposé le projet de loi C-55, qui porte sur les services de publicité et non les marchandises. Nous estimons respecter nos obligations internationales. Les Américains, tout en acceptant nos changements en raison de la décision du groupe d'experts de l'OMC, ont une vision différente du dossier, et c'est pourquoi nous sommes allés à la table.

Nous savons à quel point le fossé est profond entre nos deux visions, mais nous savons que nous devons essayer de le combler. Vous n'ignorez pas que 96 p. 100 de nos échanges commerciaux se font sans heurts tous les jours. Pour ce qui est du 4 ou 5 p. 100 qui restent -- le bois d'oeuvre, le poisson, les denrées et la culture --, ils ont fait l'objet de problèmes et de désaccords à maintes reprises, et nous devons essayer de combler ce fossé.

C'est ce que nous cherchons à faire, à partir d'une position de force et non de faiblesse. Je pense que nous sommes à la veille de régler ce différend. Ce faisant, j'espère que nous pourrons conclure un accord acceptable pour que nous puissions commencer une ère nouvelle et que chaque pays comprennent mieux ce que représente la culture pour l'autre.

Le sénateur Kinsella: À votre avis, après le dépôt de la mesure au Parlement, y a-t-il une bonne part des négociations qui a découlé du modèle de mesure législative que le gouvernement a choisi? Il était clair pour vous et pour le gouvernement qu'il fallait légiférer. J'ai suivi l'évolution du dossier et j'ai participé à l'analyse du projet de loi, mais je ne suis pas sûr que ce soit le meilleur modèle de projet de loi car nous ne sommes pas certains que toutes les cartes soient sur la table.

Voilà qui m'amène à ma deuxième question. Ne pourriez-vous pas obtenir de votre homologue américain qu'il accepte une présentation de l'affaire à l'OMC. Nous pourrions y présenter le modèle du projet de loi C-55, et le faire évaluer par l'OMC avant de nous engager dans cette voie qui vous cause des problèmes, en tant que ministre, et qui suscite énormément d'appréhension non seulement dans le secteur culturel mais également dans d'autres secteurs industriels spécifiques? Un tel véhicule n'existe-t-il pas? Dans le cas contraire, un mécanisme de conciliation ne devrait-il pas faire partie du processus de l'OMC?

M. Marchi: Ce mécanisme était et est toujours disponible, mais il faut être deux pour y recourir. J'ai mentionné que notre premier recours, compte tenu des deux visions différentes, serait de voir s'il n'y aurait pas moyen de combler le fossé qui nous sépare de façon honorable et équilibrée, comme peuvent le faire deux amis, deux alliés et deux partenaires. En cas d'échec, nous avons toujours dit aux Américains que nous avions l'option d'aller à l'OMC. Voilà pourquoi le Canada a toujours insisté pour qu'il y ait, dans tous les arrangements commerciaux, un mécanisme indépendant fondé sur les règles. Autrement, compte tenu de la taille de l'économie canadienne, nous serions beaucoup trop vulnérables à la loi de la jungle. Nous nous sommes toujours très bien tirés d'affaire chaque fois qu'il y avait des règles prévisibles et un mécanisme d'arbitrage indépendant.

Les Américains n'ont jamais carrément refusé le plan B, mais ils n'ont guère été positifs au sujet de l'OMC ces derniers mois. Ainsi, ils ont fait valoir qu'ils avaient perdu une cause devant l'OMC, qu'ils avaient déjà emprunté cette voie et qu'ils n'étaient pas disposés à répéter l'expérience. À cela, nous rétorquons que nous avons respecté intégralement la décision de cette instance.

Cela n'a rien à voir avec l'affaire des bananes dans le contexte européen. Nous avons répondu intégralement aux plaintes qui avaient été formulées. Le projet de loi à l'étude est fondé sur les règles qui existaient auparavant et qui ont été supprimées. Périodiquement, en raison des pressions du Congrès, les Américains ont le sentiment que l'OMC est un véhicule extraterritorial. Ce qui explique le problème concernant les bananes mettant aux prises l'Europe et les États-Unis. Cela est attribuable au fait que les Américains sont allés devant l'OMC.

Nous avons toujours dit aux Américains qu'ils ne peuvent se permettre de voir le monde comme un militaire, qu'ils ne peuvent se permettre de mettre en place des institutions multilatérales et de décider ensuite de les utiliser uniquement quand cela leur convient ou fait leur affaire. Nous leur avons dit qu'ils ne peuvent prétendre, tantôt, que l'OMC est efficace parce qu'elle a rendu une décision en leur faveur et, tantôt, qu'il n'est pas nécessaire de s'adresser à l'organisme. En tant que seule superpuissance qui reste, elle transmet un dangereux message. Les Américains doivent être ouverts sur l'extérieur et ne pas être repliés sur eux-mêmes. Ce serait un coup à porter à une institution que nous essayons d'établir. Lorsque deux parties ont un différend, il faut recourir aux outils que l'OMC met à notre disposition pour sortir de l'impasse.

Les Américains n'ont pas dit «non» à ce plan, mais ils n'ont certainement pas été enthousiastes à l'idée d'y recourir pour sortir de cette impasse.

Le sénateur Kinsella: À votre avis, la culture canadienne, telle qu'elle s'exprime par l'entremise des périodiques, sera-t-elle mieux protégée par le projet de loi C-55 dans sa forme actuelle ou si les deux parties parviennent à s'entendre sur les genres de changements que négocient vos fonctionnaires et qui sont l'objet des négociations avec nos amis américains?

M. Marchi: Dans ma déclaration et en réponse à certaines questions qui m'ont déjà été posées, j'ai dit croire que les deux gouvernements peuvent arriver à régler le différend. J'estime que nous pourrons en arriver à une entente qui satisfera tant les intérêts des périodiques que ceux du Canada. Je crois également que nous pouvons réaliser quelques premières dans le domaine culturel si nous parvenons à convaincre les Américains du bien-fondé de cette entente particulière. À long terme, je crois que l'accord qu'il nous faut favorisera l'industrie canadienne des périodiques.

Comme je l'ai dit, l'expérience actuelle montre ce qui pourrait se passer en l'absence de règles à l'OMC, qui portent sur le secteur de plus en plus intéressant de la culture. Les pays qui ont déjà cru que, parce leur langue, leur histoire ou leur système économique étaient différents ils se trouvaient en quelque sorte protégés contre l'érosion de leur culture, ne pensent plus ainsi. Aujourd'hui, la technologie permet littéralement de télécharger la culture. Voilà qui incitera les pays à voir la culture d'un oeil différend.

La culture, c'est ce qui vous permet de vous définir, que le pays où vous vivez soit riche ou pauvre, petit ou grand ou situé au Nord ou au Sud. Les Américains peuvent dire qu'ils ont soit un intérêt national soit un intérêt particulier -- et je les respecte pour cela -- mais d'autres pays, y compris le Canada, peuvent dire: «Voilà quel est notre intérêt national.»

Les Américains n'ont pas à nous sermonner au sujet de la façon de faire le commerce. Les exportations représentent environ 40 p. 100 de notre PNB. Nos échanges commerciaux sont quatre ou cinq fois plus importants par habitant que ceux des Américains. Nous sommes un pays ouvert sur l'extérieur. Nous savons ce que c'est qu'une économie faible et que d'aller au-delà de nos frontières pour trouver des débouchés.

Ce que nous essayons d'expliquer au sein de l'OMC en ce qui concerne le commerce, c'est qu'il peut y avoir certaines zones «d'interdiction» en ce qui concerne la culture, qui respectent nos objectifs, à savoir que nous ne voulons pas d'un monde où tout est uniforme mais plutôt d'un monde propice à l'éclosion de ces différences. En d'autres mots, la barrière n'empêchera pas nos amis de venir nous visiter, mais protégera l'unicité qui fait que tous les pays sont différents et spéciaux. Un jour ou l'autre, on s'entendra là-dessus. Je ne sais pas dans combien de temps ni si nous y parviendrons dans la prochaine ronde de négociations, mais je crois que le jour viendra.

Le sénateur Stewart: Je veux poursuivre sur une ligne de pensée qui se dégage de la réponse que vous avez donnée au sénateur Kinsella.

Le comité sénatorial permanent des affaires étrangères se penche, même maintenant, sur le rôle de l'OTAN dans les missions de maintien de la paix. L'une des choses qu'on a laissé entendre au cours des témoignages que nous avons entendus c'est que, malheureusement, étant donné la structure de leur gouvernement, les États-Unis n'ont pas tout à fait ce qu'il faut pour jouer le rôle principal dans un important groupe chargé de la sécurité comme l'OTAN. Vous avez parlé de doutes exprimés à Washington en ce qui concerne la compétence extra territoriale de l'OMC et vous attribuez cela à l'hostilité ou aux soupçons du Congrès.

D'aucuns pourraient dire qu'il existe ici un parallèle. D'une part, nous avons un pays qui essaie de diriger l'OTAN et, d'autre part, nous avons un pays qui n'a pas ménagé ses efforts pour promouvoir le libre-échange international. Pourtant, lorsque nous en venons à certains points, il y a une cassure il y a une érosion des intérêts de nature particulière au sein des États-Unis. Pour une raison ou pour une autre -- qu'il s'agisse de se faire réélire ou la représentation d'une industrie en particulier ou que sais-je encore -- le rôle de chef de file des États-Unis devient discutable.

En ce qui a trait au commerce -- en prenant ce cas particulier comme exemple -- y a-t-il lieu d'entretenir des soupçons au sujet de la compétence des États-Unis lorsqu'il s'agit d'ouvrir la voie dans un monde où le commerce est libéralisé, étant donné leur système de gouvernement?

M. Marchi: L'Administration et le Congrès divergent d'opinion en ce qui a trait aux échanges commerciaux et certains des autres point dont vous avez parlé. Le point de vue du Congrès peut être un peu défaillant, par rapport à la capacité de l'Amérique, qui englobe son administration et une société qui est à la tête du monde et qui le restera probablement.

Lorsque je dis que le point de vue du Congrès est défaillant, je vous fais remarquer, par exemple, que près de 10 p. 100 de tous les membres du Congrès ne possèdent pas de passeport et ils ne se gênent pas pour le dire. Cela me dit qu'ils mettent non seulement l'Amérique en premier, ce qui est bien parce que nous faisons la même chose chez nous -- mais ils nous l'imposent.

On trouve un autre exemple dans leurs débats portant sur les questions ayant trait aux Nations Unies. Une fois de plus, je trouve étonnant que quelqu'un comme Jesse Helms puisse retarder le paiement des arrérages d'un milliard de dollars aux Nations Unies par la seule superpuissance qui reste. Dans le processus, les Américains baissent dix fois plus dans l'estime du reste du monde.

Lorsque les Américains parlent de se battre sous le drapeau des Nations Unies, vous entendez toujours des pressions du côté du Congrès: pas sous le commandement d'un général des Nations Unies, mais seulement d'un général américain.

Je crois que le Congrès ne repose pas sur des bases très solides. Je ne dis pas cela pour être arrogant ou pour me sentir supérieur. Je trouve simplement étrange que, alors que les États-Unis restent la seule superpuissance, leur Congrès puisse être à ce point replié sur lui-même. En attendant, leur économie est d'une solidité hors du commun et ils sont les chefs de file en matière de productivité et autres mesures d'excellence.

J'espère que l'administration peut surmonter cet obstacle pour que l'Amérique, également, puisse constamment croire dans ses institutions multilatérales et savoir qu'elle n'est pas au-dessus du droit international. Elles en sont une composante importante.

Le sénateur Stewart: Ma prochaine question découle de l'échange entre le ministre et le sénateur Callbeck. Elle a laissé entendre que, au début de ce dialogue international, les éditeurs américains de périodiques n'étaient pas aussi agressifs que les représentants au commerce américains. Ce ne sont pas les paroles prononcées par le sénateur Callbeck.

Dans votre réponse, vous avez laissé entendre que quelqu'un à Washington, probablement la représentante au commerce ou les gens de son entourage considèrent ceci comme une cause type en ce qui a trait aux relations qu'ils entretiendront sur d'autres sujets avec le Canada et en fait d'autres pays.

C'est ce que semble laisser entendre votre défense éloquente de l'identité culturelle canadienne. Y a-t-il d'autres domaines où vous savez que les États-Unis se serviront du règlement de cet incident particulier, s'ils gagnent, comme précédent ou vous attendez-vous à ce qu'ils le fassent?

M. Marchi: Je pensais exclusivement au domaine culturel. Je le répète, l'administration américaine, sans nous le dire noir sur blanc, considérerait cette question comme débordant du cadre bilatéral. Une des principales exportations des États-Unis dans le monde a toujours été la culture pop américaine.

Pour eux, cela permet de mettre à l'épreuve nos relations; c'est-à-dire, trouverons-nous la solution pour sortir de l'impasse? Ils voient cela aussi comme une cause type à l'échelle internationale. S'ils parviennent à une entente avec le Canada, qu'est-ce qu'un pays comme le Brésil ou la France dira 12 mois plus tard à une réunion de l'OMC?

En fin de compte, c'est aussi une cause type pour nous. Pouvons-nous avoir gain de cause et faire certaines percées? Je pense qu'on peut répondre «oui» à toutes ces questions.

Le sénateur Stewart: Quelles sont les répercussions pour les autres pays si les États-Unis gagnent? Les États-Unis mènent la vie dure au Canada actuellement. Avez-vous discuté avec les gouvernements des autres pays pour savoir s'ils prévoient être la prochaine cible des États-Unis après le Canada? Les Français, les Japonais pensent-ils que cette cause crée un précédent qui peut s'appliquer à eux?

M. Marchi: Je me suis entretenu avec mes homologues d'un certain nombre de pays. Je crois qu'on peut dire que cette cause les intéresse sûrement; qu'elle les «fascine» est peut-être plus juste.

En général, ils comprennent aussi le point de vue du Canada. Selon eux, cette affaire montre que la libéralisation des échanges commerciaux, assortie de règles précises, peut permettre à des pays de plus ou moins grande importance non seulement de réussir, mais d'exceller. Je ne suis pas certain qu'ils craignent d'être la prochaine cible des États-Unis, mais je pense qu'ils sont conscients de l'importance croissante de la culture sur le plan commercial. Ils comprennent les enjeux au niveau international et ils aimeraient que cette affaire se règle de façon à ce que le Canada conserve sa souveraineté culturelle tout en préservant ses relations commerciales avec un grand partenaire.

Il y a beaucoup d'intérêts en cause. Espérons que nous pourrons en arriver à une entente dont nous pourrons dégager, pour nos relations bilatérales, des leçons qui seront applicables au niveau multilatéral, de façon à ce que nous sachions quoi faire et quoi ne pas faire.

Le sénateur Butts: Merci de votre exposé très instructif, monsieur Marchi.

Vous avez dit qu'en 1997 l'OMC s'était plainte de nos politiques portant sur notre industrie de l'édition. Les États-Unis avaient-ils déposé une plainte? Êtes-vous convaincu que le projet de loi C-55 ne leur offre plus aucune possibilité de se plaindre?

M. Marchi: Les Américains vont toujours trouver le moyen de se plaindre, mais c'est un moindre mal. Nous vivons à côté du pays le plus puissant au monde mais, si nous pouvions choisir nos voisins, nous choisirions probablement les États-Unis dix fois sur dix. Dans l'ensemble, les choses fonctionnent bien.

Oui, les États-Unis se sont plaints auprès de l'OMC. Ils ont déposé la plainte qui a donné lieu à la décision à laquelle nous avons pleinement répondu.

Est-ce que je pense que les Américains vont respecter l'entente à jamais? C'est difficile pour moi de prévoir ce que vont faire les futurs gouvernements mais, si le Canada arrive à conclure l'entente qu'il souhaite, les Américains devraient, je pense, s'engager à ne pas réagir négativement à l'adoption du projet de loi C-55. Il faut que ce soit clair dans l'entente.

Le sénateur Robichaud: Merci, monsieur le ministre, de votre brillant exposé. Les politiciens aguerris savent que la cohérence en politique est l'art de savoir se contredire. Je ne dis pas que vous n'êtes pas cohérent. Mais, à la suite du dialogue en cours ou après un renvoi à l'OMC, des amendements pourraient-ils être apportés au projet de loi?

M. Marchi: Si nous devions conclure une entente, oui, je pense que des amendements pourraient être apportés au projet de loi.

Le sénateur Robichaud: Nous ne pouvons pas adopter le projet de loi pour l'instant parce que des amendements pourraient être apportés.

M. Marchi: Je crois que les discussions ont nettement progressé en vue de rapprocher les deux pays et d'éviter une guerre commerciale.

Vaut-il la peine de patienter? Une fois que nous aurons conclu les discussions afin que les travailleurs canadiens n'aient pas à en payer injustement le prix, oui, je pense qu'il aura valu la peine de patienter.

Il n'est absolument pas question de conclure une entente à n'importe quel prix. Nous sommes prêts à faire preuve de patience et à tenir à nos principes. Je crois qu'une entente peut être conclue entre nos deux pays, auquel cas des modifications peuvent être nécessaires. S'il n'y a pas d'entente, le projet de loi sera évidemment adopté tel quel.

Le sénateur Kinsella: Mme Copps nous a dit qu'il n'y a rien eu de mieux depuis le pain tranché. Vous n'êtes évidemment pas d'accord avec elle. Vous êtes d'avis que si nous pouvons nous entendre avec les Américains, le projet de loi pourrait être amélioré ainsi que nos relations commerciales avec les États-Unis. En même temps, nous protégerons nos industries culturelles par les magazines.

M. Marchi: J'ai lu sa déclaration et je ne suis pas sûr qu'elle s'est exprimée ainsi. Dans un style élégant, elle dit la même chose que moi.

Le sénateur Lynch-Staunton: Monsieur le ministre, je ne suis pas le seul que l'évolution de ce projet de loi déroute. Pouvez-vous m'aider, moi et d'autres, à comprendre où nous nous en allons?

Le projet de loi a franchi l'étape de la première lecture à la Chambre des communes en octobre, et les Américains ont protesté. Les discussions ont commencé en janvier et se poursuivent toujours. Pourquoi la Chambre des communes a-t-elle adopté le projet de loi à la hâte puisqu'on savait très bien que des amendements seraient apportés au projet de loi à la suite des discussions? Pourquoi les amendements que vous avez confirmés -- et que Mme Copps appelle des «propositions» -- n'ont pas été présentés à la Chambre des communes, comme il se doit? Ce n'est pas au Sénat de rédiger un nouveau projet de loi sur un sujet aussi important. C'est aux représentants élus de le faire. Nous essayons d'apporter les améliorations aux projets de loi, mais ils n'émanent pas de nous. Pourquoi ne pas avoir attendu avant d'adopter le projet de loi pour y intégrer les amendements et soumettre le tout à l'étude du Sénat? On fait les choses à l'envers.

M. Marchi: Je ne suis pas d'accord avec vous, sénateur. Vous avez toutes les données du problème en main.

Dès le départ, nous avons cru en ce projet de loi et nous y croyons toujours. Le projet de loi C-55 est un complément de réponse de la ministre du Patrimoine à la décision de l'OMC. Nous avons retiré certaines mesures et Mme Copps a proposé le projet de loi C-55 au nom du gouvernement. Bien sûr, nous en avons saisi la Chambre des communes.

Le sénateur Lynch-Staunton: Vous approuviez le projet de loi C-55 à ce moment-là.

M. Marchi: Je fais partie du gouvernement et j'appuie un projet de loi qui émane de lui. Je n'ai jamais hésité à le faire.

Le sénateur Lynch-Staunton: Mais vous ne l'approuvez plus.

M. Marchi: Pendant que la Chambre des communes l'étudiait, les Américains ont exprimé un point de vue clairement différent.

Nous ne voulions pas rejeter ou couler le projet de loi. Nous voulions le laisser suivre le processus législatif mais aussi engager le dialogue avec les Américains.

La discussion dure depuis le mois de janvier, mais je pense que nous avons réalisé de nets progrès. Comme, lors de notre première rencontre, les collaborateurs de mon ministère et de celui du Patrimoine ont signalé à Mme Copps et à moi-même que les deux parties étaient loin d'une entente, il était évident que nous devions poursuivre l'étude du projet de loi. Cependant, ce n'était pas une raison pour rompre le dialogue ou plier. On doit continuer de défendre ses idées si l'on croit en ce qu'on peut finir par obtenir.

Sénateur, d'une rencontre à l'autre, les parties se sont rapprochées. Puis, il y a eu quelques réunions turbulentes ou difficiles où j'ai pensé que nous reculions, mais les choses se sont rétablies. À mesure que nos discussions avançaient, le projet de loi suivait son cours à la Chambre.

On ne peut pas, d'un côté, nous reprocher de discuter du projet de loi aux États-Unis et de laisser les Américains dicter les règles et, de l'autre, nous demander pourquoi nous n'avons pas interrompu l'étude du projet de loi quand nous avons su qu'il posait un problème aux Américains. Non, je pense que nous devons négocier en adoptant une position de force.

Le projet de loi suit son cours et les Américains veulent discuter, ce que nous sommes prêts à faire. Le projet de loi est sur la bonne voie. Nous négocions habilement en plus de défendre les intérêts du Canada comme vous nous recommandez de le faire.

Le sénateur Lynch-Staunton: Autant que je sache, jamais un projet de loi étudié par l'une des deux Chambres a été en même temps négocié et amendé par une des deux parties directement touchées par le projet de loi, pendant que le Sénat est maintenu dans l'ignorance. Jamais auparavant deux ministres se sont présentés devant notre comité, à un mois d'intervalle, pour nous dire de ne pas trop malmener le projet de loi émanant du gouvernement. Ce projet de loi est à l'étude depuis le mois d'octobre. Il a été adopté par la Chambre des communes et a été renvoyé devant le très critiqué Sénat non élu, et on nous demande de bien vouloir attendre sans rien faire. On nous dit qu'on reviendra peut-être nous soumettre une proposition qui contentera nos amis américains. C'est du jamais vu, monsieur le ministre.

Le sénateur Robichaud: Qu'y a-t-il de mal à cela?

Le sénateur Lynch-Staunton: Ce qui a de mal, c'est que nous ne savons pas de quoi nous parlons.

Je vous propose, à vous et à vos collègues, monsieur le ministre, de laisser tomber le projet de loi, d'en rédiger un tout nouveau qui intègre toutes les propositions et les ententes et de le présenter à la Chambre des communes. Dans l'état actuel des choses, nous allons nous retrouver avec un pis-aller qui ne respectera peut-être pas le principe du projet de loi C-55.

C'est ce que je vous recommande. Je pense que nous allons être beaucoup mieux disposés à vous écouter que si vous apportez des amendements de dernière minute et essayer de les faire adopter à la hâte.

M. Marchi: Sans vouloir vous offenser, sénateur, je ne pense pas que rejeter le projet de loi donnerait l'impression que nous sommes en position de force. Pour défendre la culture et ce que Mme Copps et moi-même avons dit, le projet de loi doit suivre son cours.

Il n'y a rien de mal non plus, sénateur, à ce que nos deux pays essaient de régler ce qui est dans l'impasse depuis de nombreuses années, de négocier et de progressivement s'approcher d'une entente. Il n'y a rien de mal à prendre un ou deux mois de plus pour bien faire les choses.

Si nous ne pouvons pas y parvenir, c'est que les Américains ne veulent pas respecter ce qui est fondamental pour nous. Si les Canadiens croient en ce qui est fondamental pour eux, nous devons donner suite au projet de loi et voir ce qui va se passer. Si, dans l'intervalle, nous parvenons à un rapprochement et si un accord est possible, ce qui est le cas je crois, tout le monde va y gagner.

Si nous arrivons à obtenir des Américains qu'ils approuvent en général le projet de loi C-55, et son contenu, tant mieux. Si nous arrivons à leur faire accepter un certain nombre d'autres éléments, c'est pas mal non plus, comme nous dirions. Je pense que ça vaut la peine de patienter.

En bout de ligne, s'il n'y a pas d'entente, le projet de loi C-55 sera adopté avant l'ajournement. Ce que nous voulons, c'est une entente qui soit satisfaisante pour l'industrie des magazines ainsi que les autres industries menacées.

Le sénateur Lynch-Staunton: Je ne vois pas comment vous donnez l'impression aux Américains d'être en position de force si vous leur dites que nous n'adopterons pas le projet de loi avant d'y avoir intégré ce qui va apaiser leurs craintes. Si quelqu'un y gagne, ce sont les États-Unis, pas le Canada.

M. Marchi: Ce serait céder que de dire: «Si vous avez des objections, évidement, nous allons retirer le projet de loi». Ce n'est pas ce que nous avons dit. Nous avons dit que nous n'allons pas interrompre le processus législatif.

Le sénateur Lynch-Staunton: Vous l'interrompez maintenant.

M. Marchi: Le processus législatif et le projet de loi suivent leur cours. Si vous voulez discuter d'une solution pour deux parties et deux alliés, allons-y.

Les Américains savent que nous sommes sérieux. L'industrie canadienne le sait aussi. C'est une position de force.

Si nous retirons quelque chose, sans vouloir vous offenser, nous aurons cédé et ce n'est pas une chose à faire.

Le sénateur Lynch-Staunton: Pour vous, la situation est gagnante si le projet de loi est adopté, s'il reçoit la sanction royale et s'il est promulgué et si nous disons aux Américains que nous tenons à protéger l'identité culturelle canadienne. Actuellement, vous pliez devant eux et les éditeurs canadiens sont déjà sur votre dos. Quant à Mme Copps, elle reste muette sur le sujet.

M. Marchi: Il y a 15 secondes à peine, vous vouliez un nouveau projet de loi.

Le sénateur Lynch-Staunton: Je veux que vous annuliez le projet de loi et en proposiez un tout nouveau intégrant les amendements. Dans l'état actuel des choses, vous allez prétendre que le projet de loi, tel que modifié, est le projet de loi original. Vous savez très bien que ce ne sera pas le cas.

M. Marchi: Sénateur, si nous obtenons l'accord que je pense, la fin aura justifié les moyens.

Le sénateur Lynch-Staunton: Si vous teniez vraiment au projet de loi, comme la ministre Copps, le projet de loi serait déjà adopté et les Américains auraient été mis en échec. Si leurs mesures de représailles ne sont pas légales, il y a des dédommagements à long terme. Vous ne voulez pas prendre le risque. Votre gouvernement cède.

M. Marchi: Je prends le projet de loi au sérieux. Nous ne cédons pas. Nous tenons à nos relations avec les États-Unis. S'ils devaient prendre des mesures de représailles, nous réagirions. Pensez au prix que les travailleurs canadiens dans ces secteurs et leurs familles auraient à payer, au lieu de chercher à savoir qui a raison et qui a tort.

Le sénateur Lynch-Staunton: Vous saviez cela il y a un an.

M. Marchi: Alors, demandez-vous qui renoncerait à ses responsabilités.

Le sénateur Callbeck: Monsieur le ministre, le Business Week a publié un article de Jeffrey Garten, qui a été sous-secrétaire au commerce international dans le premier gouvernement de M. Clinton et qui est aujourd'hui doyen de la faculté de gestion à Yale University.

Dans cet article, l'auteur parle de la réaction croissante des pays étrangers face à l'invasion massive de la culture américaine dans le monde et du fait que cette situation nuit aux Américains. Il est d'avis que son pays devrait être plus sensible à ce problème.

Pensez-vous que les Américains sont de plus en plus sympathiques aux préoccupations des autres pays du monde au sujet de la culture, ou est-ce un point de vue minoritaire?

M. Marchi: En tant que ministre observateur de la situation américaine, je crois que nous avons beaucoup de chemin à faire avant de pouvoir dormir tranquilles. Je ne pense pas que les Américains sont prêts à changer. Ce n'est pas correct, mais le moment est mal choisi pour partir en croisade.

Nous avons encore beaucoup de travail de sensibilisation à faire auprès du gouvernement et de la population des États-Unis pour leur faire comprendre pourquoi ces choses nous tiennent à coeur. Nous sommes en droit d'y tenir autant. Nous pouvons très bien nous entendre si nous arrivons à mieux nous comprendre quand nous utilisons le mot «culture».

La présidente: Monsieur le ministre, merci de votre exposé et de vos réponses à nos questions.

Le sénateur Kinsella: Madame la présidente, je propose de faire rapport sans amendement du projet de loi C-55.

La présidente: Honorables sénateurs, y a-t-il une proposition à cet effet?

Le sénateur Stewart: Est-ce prévu au programme de la séance d'aujourd'hui?

La présidente: Oui. Le comité de direction s'est réuni il y a dix jours. Nous étions trois sénateurs. Nous avons décidé de rencontrer le ministre Marchi aujourd'hui et d'inviter Mme Copps à comparaître lundi, ainsi que d'entreprendre l'étude article par article lundi prochain.

Le sénateur Stewart: Vous n'avez peut-être pas entendu ma question, madame la présidente. J'aimerais savoir si la motion proposée par le sénateur Kinsella cadre avec l'ordre du jour de cette réunion particulière.

La présidente: Non. Par conséquent, la question concerne l'ordre du jour.

Le sénateur Stewart: Si nous sommes en train de discuter des travaux futurs du comité, nous devrions le faire à huis clos.

La présidente: Les sénateurs sont-ils d'accord pour discuter de cette question à huis clos?

Le sénateur Forrestall: Il faut soit en discuter au sein du comité directeur, plutôt qu'entre nous, ou bien délibérer de la question à huis clos.

Madame la présidente, vous faites fausse route. Je n'étais pas d'accord pour que l'on invite la ministre Copps. On a laissé entendre qu'elle souhaitait comparaître, non pas que je souhaitais l'entendre. Je n'ai pas accepté l'idée et je ne l'aurais pas acceptée si quelqu'un l'avait proposée.

Le sénateur Kinsella: Madame la présidente, si je puis être utile au sénateur Stewart.

La présidente: Trois personnes souhaitent poser des questions.

Le sénateur Stewart: Pour faire suite à ce qu'a dit le sénateur Forrestall tout à l'heure, il a affirmé qu'à partir d'ici, il faut soit s'en remettre au comité directeur ou au comité en entier. J'aurais cru qu'il était évident que cette question relevait du comité directeur.

Le sénateur Kinsella: À cet égard, sénateur Stewart, lors de la réunion du présent comité, comme en fait foi le procès-verbal, lorsqu'il a été décidé que le comité convoquerait le ministre Marchi, vous constaterez à la page 90019 que j'ai dit que, si l'on était d'accord pour inviter le ministre Marchi à comparaître, il fallait fixer l'ordre du jour. J'ai ajouté qu'une fois cela fait, il fallait passer à l'étude article par article du projet de loi.

Lors de cette réunion, nous nous étions entendus pour faire comparaître le ministre Marchi le plus tôt possible. Il avait été question de jeudi. En définitive, la date fut fixée à aujourd'hui.

Le procès-verbal précise bien qu'à l'ordre du jour, le point 1 serait la comparution du ministre Marchi et le point 2, l'étude article par article du projet de loi. C'est l'entente à laquelle en était venu le comité.

Tout comme vous, lorsque j'ai vu l'ordre du jour, je m'attendais que le point numéro 2 serait non pas la levée de la séance, mais plutôt l'étude article par article.

Lors de la même réunion, la présidence a décidé, de sorte que nous avons maintenant un précédent, qu'une fois que la réunion est commencée et que l'ordre du jour est imprimé, on ne peut plus faire de changements. Cela se trouve dans le compte rendu officiel. Il avait été entendu qu'il y aurait une étude article par article. C'est ce que dit le procès-verbal.

La présidente: Sénateur Kinsella, j'ai ici le procès-verbal.

Le sénateur Kinsella: À quelle page êtes-vous?

La présidente: À la page 14.

Le sénateur Kinsella: C'est la discussion que nous avons eue à la fin de notre dernière réunion.

La présidente: Je m'en souviens.

Le sénateur Kinsella: Vous avez décidé que ma demande relative à une étude article par article était irrecevable, bien que cela figure à l'ordre du jour.

Le sénateur Rompkey est intervenu en faisant une motion, et j'ai dit que j'accepterais de ne pas contester votre décision. J'ai dit que je retirerais la motion faite en ce sens parce que nous en étions arrivés à un accord.

Ce dont fait foi le procès-verbal, c'est ce que moi, le sénateur Rompkey et des collègues d'en face avions compris, soit que nous entendrions le ministre Marchi. C'était là le point 1 de l'ordre du jour. Le point 2 était l'étude article par article. Voilà ce qui est écrit. J'ignore ce qui se passe au sein du comité directeur. Le vice-président donne une tout autre version des faits, mais je ferai remarquer que le comité directeur est un sous-comité et que la décision a été prise par le comité en entier.

La présidente: Il s'agit là d'un point d'ordre du jour. Chers collègues, je propose, comme l'a fait le sénateur Stewart, que nous poursuivions cette discussion à huis clos.

Le sénateur Lynch-Staunton: Pourquoi?

La présidente: Selon notre règlement, nous discutons des travaux à huis clos.

Le sénateur Kinsella: Quelqu'un a proposé qu'il soit fait rapport du projet de loi à l'étude sans amendement.

La présidente: Nous pouvons nous prononcer sur cette motion immédiatement, puis poursuivre la réunion à huis clos.

Le sénateur Kinsella: Il faut que ma motion soit examinée en public.

La présidente: Oui, nous pouvons en discuter en public, mais nous pouvons examiner nos travaux futurs à huis clos.

La motion à l'étude veut que le comité fasse rapport du projet de loi sans amendement.

Le sénateur Forrestall: Excusez-moi. Vous avez inséré une condition dans la motion.

La présidente: J'ai répété la motion faite par le sénateur Kinsella.

Le sénateur Forrestall: Le sénateur pourrait peut-être nous relire sa motion, à laquelle je crois que vous avez ajouté une condition. Cela est inacceptable. N'essayons pas de faire par la bande ce que nous ne pouvons pas faire directement.

La présidente: Le sénateur Kinsella propose que le comité fasse rapport du projet de loi à l'étude sans amendement.

Que ceux qui sont en faveur de la motion lèvent la main!

Le sénateur Forrestall: Pourquoi avez-vous inséré une condition?

La présidente: Il n'y a pas de condition.

Le sénateur Forrestall: Vous avez anticipé le rejet de la motion.

La présidente: Je n'oserais jamais.

Une motion a été faite. Que ceux qui sont en faveur de la motion lèvent la main!

Je vois quatre mains levées.

Que ceux qui sont contre lèvent la main!

Je compte six mains levées.

La motion est rejetée.

Le sénateur Stewart a proposé que nous poursuivions la réunion à huis clos en vue de discuter de notre programme de travaux futurs. Je crois que nous sommes tous d'accord à ce sujet.

Le comité poursuit ses délibérations à huis clos.


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