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Délibérations du comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts

Fascicule 6 - Témoignages


OTTAWA, le jeudi 23 mars 2000

Le comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts se réunit aujourd'hui, à 9 h 01, pour étudier l'état actuel et les perspectives d'avenir de l'agriculture au Canada, plus particulièrement des questions relatives au revenu agricole.

[Traduction]

M. Blair Armitage, greffier du comité: Mesdames et messieurs les sénateurs, j'ai le devoir d'informer le comité que le président et la vice-présidente ne peuvent être des nôtres aujourd'hui. En ma qualité de greffier du comité, j'ai l'obligation de présider l'élection d'un président suppléant. Je suis prêt à accueillir une motion en ce sens. Y a-t-il des motions?

Le sénateur Chalifoux: Je propose que le sénateur Fitzpatrick soit désigné président à titre temporaire.

M. Armitage: Il est proposé par l'honorable sénateur Chalifoux que l'honorable sénateur Fitzpatrick soit désigné président suppléant. Plaît-il aux honorables sénateurs d'adopter la motion? Je vois qu'il y a accord. Sénateur Fitzpatrick, auriez-vous l'obligeance de présider?

Le sénateur Ross Fitzpatrick (président) occupe le fauteuil.

Le président suppléant: Avant de présenter notre témoin d'aujourd'hui, j'aimerais résumer les travaux du comité pour ceux qui ne sont pas au courant de ce que nous avons fait au cours de la dernière année. En 1998, le comité sénatorial de l'agriculture a tenu des audiences à Ottawa et dans les Prairies relativement à un projet de loi modifiant la Loi sur la Commission canadienne du blé. Au cours de ces audiences, le comité a été frappé par le nombre de fermiers qui ont déclaré que leur revenu ne cessait de baisser et qu'ils craignaient pour leur avenir.

On nous a dit à ce moment-là que l'une des causes de ce problème tenait aux subventions à l'agriculture dans le monde. On attribuait à ces subventions la dégradation des prix des grains et des oléagineux. Le Comité sénatorial de l'agriculture a alors entrepris une étude des subventions agricoles, et il a pris pour cadre de réflexion la rencontre ministérielle de l'Organisation mondiale du commerce à Seattle, en novembre dernier. Le rapport du comité, intitulé «La voie à suivre: Les priorités pour l'agriculture canadienne et la ronde du millénaire», a été déposé en août et remis à l'honorable Pierre Pettigrew, ministre du Commerce international, et à l'honorable Lyle Vanclief, ministre de l'Agriculture, pour qu'ils puissent formuler leurs positions dans le cadre de cette rencontre. En outre, le président de notre comité, le sénateur Len Gustafson, et la vice-présidente, le sénateur Joyce Fairbairn, ont accompagné la délégation ministérielle à Seattle pour l'encourager de leurs conseils.

Pour le moment, notre comité porte son attention sur la crise qui continue d'affliger le revenu agricole et sur les effets qu'ont eus par le passé les programmes de sécurité du revenu agricole. Le comité compte élaborer des recommandations qui seront prises en compte dans l'articulation des programmes futurs. Nous recevons aujourd'hui M. Don Dewar, président des Keystone Agricultural Producers, du Manitoba. Bienvenue, monsieur Dewar. Nous vous savons gré d'être venu à Ottawa pour témoigner devant notre comité aujourd'hui. Nous vous écoutons.

M. Don Dewar, président, Keystone Agricultural Producers: Monsieur le président, je suis heureux d'être ici à Ottawa pour vous parler de cette question qui préoccupe beaucoup l'Ouest du Canada, et le Manitoba en particulier. Les Keystone Agricultural Producers représentent tous les fermiers et les groupements de producteurs spécialisés du Manitoba. C'est la mini-FCA, ou mini-Fédération canadienne de l'agriculture, du Manitoba. Nous représentons tous les groupements de producteurs spécialisés, je l'ai dit. Tout récemment, les éleveurs de bisons, les éleveurs d'élans et les producteur de chanvre ont demandé à adhérer à notre organisation.

J'ai un texte assez long, mais je ne compte pas vous le lire. J'espère que vous avez tous eu l'occasion de le parcourir. Je m'en tiendrai à certains aspects, et j'espère que nous pourrons en discuter après.

Ce qu'il importe de comprendre, ce sont les effets que la politique gouvernementale a eus sur l'Ouest du Canada par le passé. Je parlerai surtout du tarif de la passe du Nid-de-Corbeau, la subvention à l'exportation dont nous profitions pour transporter notre grain jusqu'en 1995. Consécutivement au retrait de cette subvention, le coût du transport de notre grain est passé à environ 30 $ la tonne, ou 82c. le boisseau de blé. Quand on voit ce qu'il en coûte pour exploiter un acre, ces 82c. pèsent lourd dans le coût de production.

Il y a aussi la baisse des prix qui a été largement causée, nous l'avons vu, par les subventions dans les autres pays qui encouragent la surproduction. Ces pays ont alors abaissé le prix mondial des denrées dans ces secteurs où le Canada essaie d'être concurrentiel. Nous, les producteurs, préférerions de loin tirer notre subsistance de marchés privés. Malheureusement, au cours des trois dernières années, l'industrie céréalière en particulier a beaucoup souffert. La cause première de cet état de choses a été l'abolition du tarif du Nid-de-Corbeau.

Le tarif du Nid-de-Corbeau était une subvention réservée aux producteurs de l'Ouest du Canada, mais c'était aussi une subvention à l'industrie des autres régions du Canada. Je ne veux pas lancer un débat Est-Ouest, mais le fait demeure qu'il m'en coûtait moins cher d'expédier du Manitoba des grains fourragers vers le Québec ou l'Ontario pour l'engraissement des porcs, plutôt que d'engraisser des porcs moi-même au Manitoba et ensuite de les expédier vers le Québec ou l'Ontario. Ce fait a influencé profondément l'évolution de l'agriculture au Canada, et pas seulement dans l'Ouest du Canada. On assiste aujourd'hui à une mutation radicale, et cette mutation est nécessaire parce qu'il en coûte maintenant moins cher pour traiter ces grains dans les Prairies, près des centres de production, et ensuite d'expédier les carcasses, soit les denrées à valeur ajoutée, vers les marchés.

Le tarif du Nid-de-Corbeau était beaucoup plus qu'une subvention qui servait à la construction du chemin de fer. Il a donné naissance à une vision pancanadienne des choses. Cette vision s'est concrétisée, et elle a aussi influencé profondément l'évolution de l'agriculture au Canada. Nous n'avons eu que trois ou quatre ans pour nous adapter à la nouvelle réalité.

Nous faisons valoir les différences qu'il y a dans les niveaux de soutien. Pour chaque dollar que le Canada dépense pour aider les producteurs -- et cette aide nous provient des programmes de sécurité du revenu agricole -- les États-Unis dépensent 2,35 $, l'Union européenne 2,65 $ et le Japon 3 $. Nous devons affronter ces concurrents sur le marché international. Si vous vous en tenez seulement au blé, qui était notre principale denrée d'exportation, les subventions américaines sont quatre fois supérieures à celles du Canada. Dans certains cas, ces fermiers américains sont à portée de voix des producteurs manitobains. Voilà la différence avec laquelle nous devons vivre.

J'ai mentionné des coûts de production pour 10 des principales récoltes du Manitoba. Il y a quelques foyers d'espoir. L'expansion de la culture de la pomme de terre et l'expansion des cultures légumières nous ont beaucoup aidés dans certains cas, mais le fait est que nous avons 10 ou 11 millions d'acres arables au Manitoba. Nous ne pouvons pas nous permettre d'inonder les marchés avec nos cultures spéciales. Nous savons que les autres pays vont maintenir leurs mesures de soutien. Cela a été dit. On l'a vu d'ailleurs aux États-Unis. En fait, tout le monde sait qu'avec l'approche des élections aux États-Unis le soutien aux agriculteurs a augmenté considérablement au cours des quelques derniers mois. Chose certaine, les fermiers américains le voient bien. Les producteurs américains reçoivent chèque après chèque. Il y a des fois où ils ne savent pas pourquoi, mais ils les prennent. Je ne les blâme pas. J'aimerais être à leur place.

Ce qui se passe dans le Manitoba rural, dans l'Ouest du Canada rural, c'est qu'on voit des changements se produire au fur et à mesure que nos marges de profit baissent: on augmente les superficies en acres, on essaie d'en tirer un peu plus. Mais c'est un piège, parce que si l'on augmente la production, et qu'il y a surproduction, cela ne règle pas vraiment le problème, sauf à court terme. À long terme, on craint que ce manque à gagner que nous avons aujourd'hui ne cause un problème social grave dans l'avenir. Au début, on cessera simplement de cultiver ces acres. Certaines terres seront prises en charge par de grands producteurs, et certaines vont rester en friche, et si cela arrive nous allons perdre notre statut sur le marché mondial. Cet objectif de 4 p. 100 du marché mondial de l'agroalimentaire qu'a établi le Conseil canadien de commercialisation des produits agroalimentaires et qui a été adopté par nos gouvernements fédéral et provinciaux ne sera pas réalisable si nous n'avons pas une base de production primaire solide.

Les gens quittent la ferme, et, même s'ils sont remplacés par de grands exploitants, nos localités, nos infrastructures, nos écoles, nos hôpitaux ainsi que les entreprises qu'il y a chez nous, tout cela en souffre. Nous avons été témoins d'une mutation graduelle au cours des 30 dernières années. Il y a une cinquantaine d'années, les agriculteurs comptaient pour 34 p. 100 de la population, et aujourd'hui nous ne sommes plus que 3 p. 100, et cette proportion continue de baisser. Ces 3 p. 100 ne peuvent soutenir que certains éléments infrastructurels au pays, et cela fait problème.

J'ai dit que nous avions élargi la production. Avec 53 millions d'acres, on peut cultiver la pomme de terre; on peut cultiver les haricots de consommation. Le Manitoba produit presque autant de pommes de terre que l'Île-du-Prince-Édouard, et va probablement dépasser sa production de pommes de terre. La production de haricots de consommation était autrefois concentrée en Ontario; elle est désormais concentrée au Manitoba. Notre production de semences fourragères est en plein essor. Nous produisons des pois de consommation, de la graine à canaris, du maïs et du sarrasin. Nous exportons du foin fourrager aux États-Unis qui est consommé sur les fermes laitières. Nous croyions que nous avions ou que nous allions avoir une production de chanvre prometteuse; les choses semblent avoir bloqué de ce côté-là récemment, mais je crois que le potentiel demeure.

Avec le nombre infini d'acres au Manitoba et dans l'Ouest du Canada, nous pouvons surproduire pour tous ces marchés très rapidement, mais nous devons nous rappeler que nous devons exporter nos grains de première qualité, ainsi que nos blés et notre canola, et que nous pouvons réussir fort bien aussi du côté du malt et de l'orge. Il nous faut des mesures de soutien pour encourager cette production.

Voilà où nous en sommes, et voilà pourquoi il nous faut un bon programme de sécurité du revenu agricole. Un trapéziste qui ne fait pas de haute voltige n'a pas besoin de filet, et c'est la même chose pour l'agriculteur. Pour que le filet de sécurité fonctionne, il faut avoir une industrie viable. Il faut avoir au départ une industrie viable, et le filet de sécurité réduira le risque et vous rattrapera si vous échouez. Dernièrement, nous n'avons pas pu produire à plein rendement, et il nous faut des programmes qui réduiront nos coûts. Je n'aime pas l'expression «soutien du revenu». Tout dépend des objectifs à long terme ainsi que de la vision à long terme. Nous demandons aux gouvernements de dire quelle est leur vision à long terme pour l'agriculture dans l'Ouest du Canada, de telle sorte que nous pourrons nous employer à atteindre les mêmes objectifs, et si l'industrie de l'exportation doit jouer un rôle dans cette vision, il nous faut alors des filets de sécurité solides.

Lorsque je me suis lancé en agriculture, il y a de cela fort longtemps, lorsque je perdais une récolte, je pouvais me rattraper dans les deux années qui suivaient. Aujourd'hui, si je perds une récolte, je fais faillite. Mais si je n'avais pas de dette, il me faudrait une douzaine d'années pour me rattraper. Voilà pourquoi nous devons atténuer ces risques. Voilà pourquoi il nous faut de bons filets de sécurité du revenu agricole. Je vais parler un peu des filets de sécurité que nous avons et vous faire part de quelques suggestions qui pourraient les améliorer.

Au Manitoba, nous avons un programme d'assurance-récolte. L'assurance-récolte est une assurance fondée sur la production antérieure du producteur. C'est strictement fondé aussi sur le prix du marché, et vous pouvez ainsi assurer entre 70 et 80 p. 100 de votre production au prix du marché. Cela ne couvre pas le coût de production. Cela atténue une partie du risque.

Certains responsables gouvernementaux considèrent le Compte de stabilisation du revenu net, ou CSRN -- je ne dis pas que c'est le cas de votre comité -- comme un compte d'épargne inutilisé. Il y a presque trois milliards de dollars dans ce compte. On y a pris deux fois ce montant en 1999, en se basant sur le revenu de 1998, comme on l'a fait au cours des années précédentes. En 1999, le revenu va encore baisser fortement. Lorsque le CSRN a été créé en 1991 pour stabiliser les petites fluctuations agricoles, on pensait qu'il fallait 10 ou 12 milliards dans ce compte pour vraiment stabiliser les choses. Il y a maintenant trois milliards dedans, et cela semble mécontenter certaines personnes.

Le troisième élément ici, c'est le très controversé programme ACRA, le Programme d'aide en cas de catastrophe liée au revenu agricole. Nous avons attendu environ huit ans pour intégrer un programme d'aide aux sinistrés dans le filet de sécurité. On en parlait lorsqu'on a créé le CSRN. C'est fondé sur le calcul des marges précédentes, et l'on garantit 70 p. 100 de ce niveau. Ce programme a été mis au point l'an dernier; il faut donc qu'il soit jugé non passible de droits compensateurs en vertu des règles de l'OMC. Étant donné que l'Ouest du Canada exporte beaucoup -- le tiers de la production du Manitoba est exporté -- nous tenons à ce que nos programmes soient verts de telle sorte que nous puissions conserver nos débouchés à l'exportation, et particulièrement les États-Unis, qui accueillent une bonne part de cette production.

Pour ce qui est des programmes complémentaires, les gouvernements provinciaux ont des fonds dont ils peuvent se servir pour mettre en place des programmes propres à leurs provinces. Nous avons chez nous un programme de compensation pour le gibier et la sauvagine qui assure les producteurs ou les rembourse à 100 p. 100 lorsque des dommages sont causés par les cerfs, les élans, les oies et les canards pendant la saison migratoire, et par les prédateurs, comme les loups et les coyotes, aux troupeaux de moutons, de vaches laitières ou de bestiaux. C'est le genre de programmes complémentaires qui existent au Manitoba.

Le dernier petit programme pancanadien est celui des avances de caisse, qui est en fait un prêt fondé sur la production, et une partie de ce prêt étant exempté d'intérêt, il en coûte peu au gouvernement. Je crois que la partie intérêt du programme des avances de caisse qui est utilisée dans tout le Canada coûte environ 25 millions de dollars par année.

J'ai plus de détails dans mon mémoire sur chaque programme, et je serai heureux d'en discuter avec vous. Nous avons collaboré avec le gouvernement, et j'ai pour ma part siégé au comité consultatif du ministre sur le Compte de stabilisation du revenu net. Il y a un an, on a recommandé que le programme d'aide aux sinistrés protège les marges négatives. Nous avons dit aussi qu'il fallait mettre en place une meilleure méthode d'évaluation des stocks. Le comité devait aider les fermiers qui prennent de l'expansion, parce qu'ils sont très nombreux à prendre de l'expansion pour maintenir leur marge, et si vous haussez votre production, vous réduisez en fait votre marge. On a permis ces calculs et on a amélioré le programme ACRA, mais il a fallu une année pour tout ça. Cela a été un cauchemar administratif. On prévoit que les coûts sur deux ans seront d'environ 70 millions de dollars, et cet argent doit bien sûr provenir du programme.

Dans le cas de l'industrie céréalière, le principal problème tient au fait que la période référentielle est très courte. Elle est fondée sur les trois années précédentes, et nous savons quel est l'état des prix céréaliers depuis trois ans. Le cycle céréalier est généralement un cycle de huit à dix ans, alors que le cycle du bétail est habituellement de cinq ans ou moins. Cela nous préoccupe beaucoup, parce que cette règle nous est imposée par l'Organisation mondiale du commerce.

Il y a un autre problème qui est survenu, particulièrement dans le sud-ouest du Manitoba et le sud-est de la Saskatchewan, et je parle de l'humidité excessive. Il y a plus de deux millions d'acres que l'on n'a pas pu ensemencer l'an dernier dans cette région. Les accords d'aide financière en cas de catastrophe ont été appliqués ces dernières années: pour l'inondation du Saguenay en 1996, l'inondation de la rivière Rouge en 1997, la tempête de verglas en 1998. On a admis dans chaque cas que ce programme présentait des lacunes. On y a ajouté des volets dans chaque cas pour le rendre plus efficace. Tout de suite après la tempête de verglas, on nous a dit que les accords d'aide financière en cas de catastrophe seraient repensés afin de remédier correctement aux désastres régionaux de tout genre. Ce programme n'a pas encore été repensé; rien n'a été fait. Le gouvernement fédéral n'a encore rien fait pour remédier aux désastres qui se sont produits dans le sud-ouest du Manitoba et dans le sud-est de la Saskatchewan.

Vous avez entendu parler des grandes expansions: Maple Leaf Meats Inc. a une nouvelle usine de traitement du porc qui vient d'entrer en activité, et J. M. Schneider Inc. a récemment annoncé l'ouverture d'une nouvelle usine à Winnipeg -- il s'agit d'une expansion. L'usine de Brandon a coûté 125 millions de dollars. Le gouvernement a aidé cette entreprise à s'établir au Manitoba en lui consentant environ 10 millions de dollars en subventions. Les producteurs ont dû investir un milliard de dollars pour donner du travail à cette usine. Nous attendons encore les mesures d'aide ou d'incitation qui concrétiseront ce projet.

Pour ce qui est de l'aide que nous voulons recevoir de notre gouvernement, tant pour l'exportation que pour l'adaptation, vous allez voir que nous avons besoin de soutien. Étant donné que les marges de profit ont été traditionnellement faibles dans le secteur céréalier, les producteurs ont puisé dans leurs avoirs et n'ont plus d'argent pour investir dans la diversification et dans la valeur ajoutée. Nous devons savoir quelle est la vision du gouvernement du Canada pour l'agriculture dans l'ouest du Canada, et de là nous pourrons nous employer à la concrétiser.

Si nous devons faire partie de l'industrie de l'exportation, nous avons alors huit suggestions à faire au gouvernement pour qu'il nous aide. La première, c'est un soutien financier direct qui compensera les pertes que causent les prix des denrées aujourd'hui. Nous ne pouvons pas produire avec les niveaux actuels. Le gouvernement est en mesure d'abaisser les coûts actuels de transport qui nous sont imposés depuis l'abrogation de la Loi sur le transport du grain de l'Ouest en 1995 et la mise en oeuvre de la Loi sur les transports au Canada en 1996. On a constaté depuis que les transporteurs ferroviaires exigent des producteurs 5 $ de plus la tonne, et c'est 5 $ de plus que ce qu'autorisait l'ancienne LTGO. Le gouvernement est en mesure de donner suite à la recommandation d'Arthur Kroeger, qui propose de réduire ces frais et d'en rembourser une partie aux producteurs.

Nous devons soutenir notre infrastructure routière. Nous notons avec intérêt que la même étude sur le transport proposait que l'on retienne la taxe sur les carburants pour financer l'entretien des routes. La taxe d'accise sur l'essence devrait être réservée à l'entretien de l'infrastructure. Je sais que les gouvernements n'aiment pas réserver des taxes à des usages particuliers, mais nous avons un déficit lourd de l'ordre de plusieurs milliards de dollars au Manitoba rien que pour notre infrastructure routière, et nous avons besoin de ce réseau routier essentiel pour faire circuler nos produits.

Le gouvernement du Canada pourrait éliminer la taxe d'accise que nous payons sur nos carburants -- sur les carburants que nous consommons sur les fermes en particulier. On a fait des recommandations visant à améliorer le programme d'assurance-récolte et le programme CSRN, ainsi que le financement du programme d'aide aux sinistrés. Nous devons améliorer ces programmes et les financer suffisamment.

On nous a toujours dit que l'OMC allait régler tous nos problèmes. Nous savons depuis Seattle qu'il faudra au moins 10 ans pour cela. Nous ne pouvons pas attendre si longtemps.

Pour ce qui est du recouvrement des coûts qu'impose le gouvernement fédéral, il en a coûté rien qu'à l'industrie céréalière 2,5 p. 100 de son revenu net. Une étude a été faite par le ministère de l'Agriculture, mais l'on persiste à maintenir cette politique. Si l'on éliminait les mesures de recouvrement des coûts, il n'y aurait aucun effet sur les exportations, nos mesures seraient vertes et non passibles de droits compensateurs.

Je n'ai pas parlé de l'accroissement du soutien à la recherche agricole, mais j'en parle dans mon mémoire. Le gouvernement du Canada a mis de l'avant une initiative de recherche qui oblige le secteur privé à investir autant dans la recherche que le gouvernement. Les technologies, ou les résultats de ces recherches, appartiennent alors à l'entreprise privée, et les producteurs paient le prix fort pour cela. Nous, les producteurs, investissons dans la recherche par l'entremise de divers véhicules, mais nous ne pouvons pas investir au même niveau que les Monsanto et autres entreprises spécialisées en science de la vie. Le gouvernement doit repenser son processus de recherche. Encore là, la recherche est verte.

Nous faisons diverses suggestions pour contribuer à la diversification de l'industrie. Il faut d'une manière ou d'une autre encourager le mouvement des capitaux, peut-être avoir une politique d'intérêt bas. On ne peut pas tout simplement distribuer des subventions. Nous avons besoin de programmes qui nous permettront d'assumer les frais d'immobilisations de la diversification. Pour obtenir une valeur ajoutée, nous avons besoin de soutien au niveau de l'eau, du gaz naturel, en particulier au Manitoba, et des télécommunications; nous devons avoir accès aux services à haute vitesse d'Internet.

Nous devons repenser les allocations de quotas dans le cadre de notre gestion de l'offre. Je ne prétends pas être un expert en gestion de l'offre, mais je sais que la loi fédérale qui autorise la gestion de l'offre dit aussi qu'il faut reconnaître les avantages régionaux. S'il y a un avantage régional pour la production et s'il y a croissance dans telle ou telle industrie, nous croyons qu'il faut encourager les régions avantagées. Si cela tombe sur le Manitoba, la Saskatchewan ou l'Alberta, alors tant mieux; si cela tombe sur l'Ontario ou le Québec, alors tant mieux. Tout dépend de la denrée et de l'avantage qu'a la région.

Nous disons aussi qu'il faut un bon programme de sécurité du revenu agricole pour nos éleveurs. J'ai parlé des programmes de sécurité du revenu agricole que nous avons; de tout cela, seul l'ACRA vient en aide aux éleveurs. Nous devons maintenir les programmes de sécurité du revenu agricole pour les éleveurs de telle sorte que nous puissions poursuivre la production de grains fourragers et de grains pour l'exportation.

Nous avons besoin de programmes de développement des débouchés. Je me suis souvent demandé pourquoi les Américains, qui sont de grands exportateurs de boeuf, sont nos principaux clients pour le boeuf. Quelle est la part de notre boeuf qui quitte les États-Unis pour un autre pays? Pourquoi ne pouvons-nous pas en faire autant?

J'ai également parlé de recherche et de mise au point des produits, et bien sûr de la nécessité de mettre fin aux programmes de recouvrement des coûts.

Mesdames et messieurs les sénateurs, je vois que j'ai déjà pris trop de temps, mais j'ai voulu m'en tenir à ce que je considère être les aspects les plus importants. Je tiens à répéter que nous devons savoir ce que le gouvernement veut pour l'industrie. Nous devons contribuer à façonner sa vision et à mettre en place tout de suite des véhicules pour la concrétiser. Si, par contre, on préconise la «méthode dure» et qu'on laisse l'industrie agricole se débrouiller, nous, les producteurs, nous devrons le savoir afin de planifier notre avenir à l'extérieur de l'agriculture, et le gouvernement sera alors libre de restaurer la haute prairie et de favoriser le retour du bison.

Le président suppléant: Vous n'avez pas pris trop de temps. C'est une question vitale pour vos fermiers, vos associations agricoles, notre pays et le gouvernement. Je vous remercie pour ce témoignage complet.

Le sénateur Stratton: Chaque groupe a sa solution au problème. Ces solutions varient quelque peu, mais, essentiellement, elles se ressemblent. Vous avez parlé de la création d'un programme de sécurité du revenu agricole à long terme. Il a fallu sept ans pour négocier la dernière ronde du GATT, et il a fallu 10 années de rodage après cela. Ici, c'est essentiellement la même chose, et il nous faudra peut-être attendre de 10 à 20 ans encore. Nous devons trouver une solution dans ce cadre.

Compte tenu des divers programmes que nous avons eus et de ceux qui existent encore, il nous faut vraiment un programme fondé sur la production, à mon avis, selon une moyenne de cinq ans, ou quelque chose de ce genre. Si vous aviez une solution à proposer qui comblerait les besoins des céréaliers, par exemple -- j'espère qu'on trouverait autre chose pour les éleveurs -- quels seraient les éléments essentiels de ce programme, sachant que nous sommes devant un problème à long terme et que ce programme devrait être à long terme aussi?

M. Dewar: Essentiellement, nous savons ce que nous voulons. Le problème se pose dans l'industrie céréalière, comme vous le disiez. Nous devons encourager davantage l'adaptation. Les Keystone Agricultural Producers ne veulent pas mettre les producteurs à l'abri des fluctuations du marché. Nous ne voulons pas faire pousser du blé rien que parce qu'il existe un programme pour le blé; il est donc difficile de concevoir un programme qui soutiendra la production du blé par l'entremise d'un filet de sécurité. Il faut plutôt prévoir un programme de soutien du revenu. S'il y a un programme de ce genre, alors les agriculteurs peuvent s'ajuster. Il faut que ce soit presque comme une surprise, comme les 100 millions de dollars qu'on a annoncés récemment pour le Manitoba. C'est beaucoup d'argent, mais quand on donne 10 000 $ à chaque producteur, on ne va pas loin. Si le carburant augmente de 40 p. 100, ma facture en carburant cette année va augmenter d'environ 10 000 $. Cet argent aide sûrement, mais ce n'est pas cela qui va vous sortir du trou.

On pourrait augmenter l'assurance-récolte, comme je l'ai dit. On pourrait avoir une assurance-récolte à 90 p. 100. Cela couvrirait la plupart des coûts. On pourrait avoir un programme CSRN de 6 p. 100, ou un meilleur programme d'aide aux sinistrés qui serait plus sensible à nos besoins. L'ACRA est beaucoup mieux conçu aujourd'hui qu'il ne l'était il y a un an, à l'époque où, très franchement, le gouvernement n'avait pas l'intention de dépenser tout l'argent. Le gouvernement avait approuvé 900 millions de dollars -- on nous lance encore ce chiffre -- et moins de 40 p. 100 des fonds ont été versés. Cela fait problème. Cependant, ce programme avait été mal conçu au départ. Il a été amélioré parce que le gouvernement voyait bien qu'il n'avait pas dépensé tout l'argent.

Je pense qu'il faut concevoir des programmes et leur assurer un financement. Il faut se demander ce dont on a besoin. Quel est le minimum nécessaire? La Fédération canadienne de l'agriculture, dont nous sommes membres, a fixé à 1,4 milliard de dollars, je crois, un programme de filet de sécurité, juste avant que le gouvernement offre 1,1 milliard de dollars. Nous ne disons pas qu'il faut bien davantage d'argent dans le filet de sécurité, mais il faut un programme additionnel pour les désastres et les situations comme l'humidité excessive. Il faut un programme additionnel pour soutenir les revenus à court terme. Bien entendu, tout dépend de notre vision du panorama rural. Il y a eu beaucoup d'attrition. Où cela doit-il s'arrêter?

Le sénateur Stratton: Je songe à l'agriculteur qui est venu en moissonneuse-batteuse à partir de Dawson City. Il s'appelle Nick Parsons. Mardi, nous l'avons rencontré, ainsi que quelques autres agriculteurs. Ils ont très bien fait état de leurs graves problèmes. Certains ont même versé des larmes, ce qui était pénible à voir. Je ne veux pas opposer les citadins aux campagnards, mais il y a une certaine attitude dans les villes. Ainsi, des citoyens de Brandon, au Manitoba, sont venus me voir pour un tout autre sujet. Je leur ai demandé comment les choses se passaient chez eux et quelle était la perception qu'on avait de la crise agricole. Je ne veux pas les critiquer directement, et j'espère qu'ils me pardonneront s'ils voient ceci, mais c'est un exemple de l'attitude qu'on rencontre. Comme ils étaient citadins, ils m'ont dit: «Oui, il y a une crise agricole, mais il est bien difficile d'avoir de la sympathie pour les agriculteurs quand on va au Centre agricole Keystone de Brandon, à la foire agricole, ou quelque chose comme ça, et qu'on y voit tous ces 4 X 4 et ces camions tout neufs, alors que je roule dans une voiture qui a cinq, sept ou dix ans.» Cela m'a frappé. C'est une attitude qui m'a déplu, particulièrement venant de quelqu'un de Brandon, une ville qui dépend de l'agriculture. Je ne m'attendais pas à cette réponse, et j'ai été estomaqué.

Dans bien des cas, nous avons un problème de perception semblable. Il faut redorer notre image auprès des citadins. Ils entendent parler de ce problème depuis des années. Dans les années 80, c'était la sécheresse. Je ne sais pas s'ils se sont immunisés contre nos plaintes, s'ils font la sourde oreille, ou quoi. Comment pouvons-nous redorer notre image auprès des citadins qui, en termes crus, commencent à avoir le coeur endurci?

M. Dewar: Nous nous posons la même question. C'est un travail d'éducation, que nous nous efforçons de faire si la presse veut bien parler de nous. Nous ne pouvons nous permettre d'acheter des pages et des pages de journaux, mais je crois que nous avons de bons rapports avec la presse manitobaine. Mais comment leur expliquer? Pour moi, un camion Ford de 1977 et un de 2000 se ressemblent beaucoup. Ils ne changent pas vraiment d'une année à l'autre. Le camion de 1996 était un peu différent, et ressemblait à celui de 1989. Ces camions agricoles ont 200 000 ou 300 000 kilomètres à l'odomètre après trois ou quatre ans. J'ai un beau-frère qui a loué un camion pour son commerce de Selkirk, et qui l'a rendu avec moins de 30 000 kilomètres, après un bail de trois ans. Le mien a 130 000 kilomètres après trois ans. Pour nous, ce n'est pas une voiture; c'est un camion agricole. Il est toujours sur la route. C'est une chose que les gens ne comprennent pas. Ces camions sont pour nous comme des chevaux de labour. Particulièrement s'il faut aller à des foires agricoles, ils tirent des remorques pour transporter le bétail.

C'est un travail d'éducation. Cela dépend un peu du fait que nous représentons 3 p. 100 de la population. Il y a à peine 20 ans, presque chaque citadin connaissait quelqu'un qui vivait sur une ferme. Ce n'est plus le cas, et c'est ce qui nous manque. Il n'y a plus de rapports personnels. On ne se voit plus à l'épicerie du coin. Les gens se disent: «Si le gouvernement ne soutient plus mon entreprise, pourquoi devrait-il soutenir l'industrie agricole?» La grosse différence, c'est que nous devons accepter les prix qu'on nous fait, même pour nos intrants. Le coût des intrants et la demande augmentent et influencent la subvention. Les Américains veulent cultiver davantage de blé pour obtenir plus de subventions. Leur demande d'engrais fait grimper le prix des engrais dont nous avons besoin pour la production. C'est une question d'éducation et de personnalisation. Je pense que Nick Parsons a contribué à ce travail. Il a montré son engagement. Je ne voudrais pas m'asseoir dans la cabine d'une moissonneuse-batteuse et rouler sur une autoroute aussi longtemps.

Le sénateur Stratton: Absolument. Ce voyage lui a coûté 10 000 $. L'argent a été ramassé en cours de route, ce qui est une bonne chose.

Le sénateur Robichaud: J'espère qu'il n'a pas à conduire sa moissonneuse-batteuse pour retourner chez lui.

Le sénateur Stratton: J'ai posé la question; on le ramenait en camion plate-forme.

Le sénateur Oliver: C'est un excellent mémoire. À trois reprises, vous parlez de la vision du gouvernement canadien pour les agriculteurs de l'Ouest, mais sans toutefois la définir. Vous ne présentez pas les aspects avant la fin du document, avec les huit points. Vous dites que le gouvernement canadien doit faire ceci ou cela pour contribuer à la vision, comme soutenir les infrastructures de transport, soutenir la recherche, etc. Ce qui manque dans ces huit points, me semble-t-il, c'est ce que feront les agriculteurs eux-mêmes. Dans ces huit points, vous dites ce que vous voulez du gouvernement fédéral, l'argent qu'il doit consacrer à la recherche, aux infrastructures de transport, et cetera.

Je joue un peu à l'avocat du diable en posant cette question. En réponse au sénateur Stratton, vous avez dit que l'agriculture n'est plus personnalisée, et je suis bien d'accord avec vous. Il me semble que les aspects de l'agriculture au Canada qui sont vraiment lucratifs de nos jours ne sont pas personnels; c'est une industrie, une industrie très mécanisée. Une ferme avicole, ce n'est plus une grange avec de la paille et ce genre de chose à l'intérieur. Il s'agit de procédés mécanisés et informatisés pour contrôler la chaleur, l'humidité et la lumière, afin d'augmenter la productivité et de faire plus d'argent.

Voici ma question: que font les agriculteurs de l'Ouest, dont vous êtes venu nous parler, pour mécaniser leurs exploitations agricoles, pour utiliser le commerce électronique, pour recourir aux ordinateurs et à la technologie moderne de manière à augmenter leur productivité et à devenir plus concurrentiels, grâce aux techniques modernes? Je n'ai pas vu cela dans votre vision en huit points.

M. Dewar: Notre Commission de médiation agricole du Manitoba traite avec des agriculteurs qui éprouvent des problèmes financiers. Il y a dix ans, nous traitions avec des agriculteurs qui avaient une valeur nette négative, ou 20 000 $ ou 40 000 $ d'avoir -- il s'agissait d'agriculteurs qui avaient une très petite exploitation, d'une demi-section, qui ne devait avoir aucune dette, puisque toute dette les faisait plonger dans la crise. Des cas semblables, il n'y en a plus. Nous traitons maintenant avec des agriculteurs qui ont un avoir théorique de 500 000 $, mais qui ont des problèmes de mouvement de trésorerie. Ils font tout ce qu'ils peuvent pour réduire les coûts. Ils emploient toutes les techniques disponibles. Une partie du problème vient du fait que la mise à niveau de la technologie coûte très cher. Comment financer ces travaux avec les rendements prévus?

Je parle des revenus projetés au Manitoba et en Saskatchewan. C'est pire en Saskatchewan. Je crois que c'est à cause de la diversification du Manitoba. Nous avons des cultures spécialisées. J'ai parlé des pommes de terre et des haricots comestibles, et c'est ce qu'on fait pousser. Sur notre exploitation, nous avons 12 cultures différentes, non pas parce que nous le voulons, mais parce que nous le devons. C'est tout un casse-tête que de gérer différentes cultures, mais on le fait pour répartir le risque et pour profiter de divers marchés. Tous les producteurs que je connais essaient d'employer leurs ressources de manière optimale. Ceux qui étaient inefficaces ont été perdus en cours de route, il y a déjà longtemps.

Là-dessus, je ne suis pas d'accord avec notre ministre de l'Agriculture. Je reconnais que nous avons vécu des temps difficiles. C'est lorsqu'il y a eu un écrémage, et qu'il a pris des risques. Je ne connais pas sa situation personnelle. Il a dit qu'il avait perdu ses récoltes de tomates. Il a parié sur la tomate, et il a perdu. Nous prenons des risques en cultivant des pommes de terre au Manitoba; nous ne pouvons faire pousser de tomates. L'écrémage s'est produit partout dans l'Ouest du pays.

Le sénateur Oliver: Bon nombre d'agriculteurs en Saskatchewan élèvent maintenant des cerfs. Pendant les fêtes de Noël, je suis allé en Nouvelle-Zélande, et j'ai parlé là-bas à un certain nombre d'agriculteurs. Les cerfs étaient autrefois une menace, une vermine, qui coûtait des millions de dollars en Nouvelle-Zélande. On a attrapé les cerfs et on les a mis dans des enclos. On en a maintenant 1,5 million, qu'on vend en Allemagne et ailleurs en Europe. C'est un élevage extrêmement lucratif. Ils n'arrivent pas à en produire suffisamment pour satisfaire le marché.

Pourquoi les agriculteurs de l'Ouest n'envisagent-ils pas cette culture commerciale, étant donné la demande?

M. Dewar: On l'a fait. Au Manitoba, toutefois, le cerf n'est pas un animal agricole. On le considère comme une ressource naturelle. Les ministères et divers secteurs de la société ne sont pas d'accord sur le statut du cerf. Ce n'est que récemment qu'on a commencé au Manitoba la production d'élans.

Le sénateur Oliver: On obtient pour la livre de gibier environ quatre fois le prix de la livre de boeuf. Pourquoi ne pas produire cela?

M. Dewar: Nous le ferions si nos gouvernements provinciaux nous le permettaient. Nous sommes dans l'industrie de l'élan et du bison. La production de bisons va très bien et est en pleine croissance. On envisage la construction de nouveaux abattoirs au Manitoba -- j'espère que ce sera au Manitoba.

Le sénateur Oliver: Dans la vision que vous nous avez présentée aujourd'hui, je me serais attendu à ce que vous disiez que vous avez envisagé la mécanisation de l'industrie avicole, par exemple, où les choses vont assez bien, ou que vous avez tenté de savoir quels produits veut le monde. L'Europe veut davantage de gibier; les États-Unis aussi. Il me semble qu'avec la disponibilité des terres dans l'Ouest pour l'élevage -- surtout quand on pense que la biche donne habituellement deux faons plutôt qu'un -- il y a une occasion à saisir. Pourquoi ne pas ajouter cela à votre vision?

M. Dewar: Quand on parle d'adaptation, il nous faut un soutien. L'adaptation, c'est aussi se tourner vers l'élevage du cerf, de l'élan, du bison ou d'autres gibiers. C'est le seul endroit où nous en parlons. Il faut féliciter les Keystone Agricultural Producers d'avoir compris et dénoncé l'élimination du tarif du Nid-de-Corbeau et l'effet qu'elle aurait sur le Manitoba. Nous en avons discuté en 1990, et les producteurs étaient au courant depuis cinq ans.

Si vous regardez les tableaux, vous constaterez la croissance de notre cheptel de porcs et de boeufs et le fait qu'on ne peut conserver qu'un certain nombre de femelles d'une année à l'autre. Au Manitoba, la croissance s'est faite par bonds. L'élevage des élans s'est répandu, et il en sera de même de l'élevage du cerf. J'ai dit plus tôt que les producteurs d'élans et de bisons voulaient faire partie de notre organisme, comme groupe de producteurs spécialisés. Ils sont peu nombreux, mais ils ont déjà des problèmes. Je ne connais pas tous les détails, mais le gouvernement provincial va déposer un projet de loi pour réglementer davantage leur secteur, leur rendre la vie dure. L'une des choses qu'on veut réglementer, et qui est permise en Saskatchewan, c'est la chasse en enclos. Elle n'est pas permise.

Le sénateur Oliver: J'ai lu dans le journal que les touristes américains sont prêts à dépenser 10 000 $ US par semaine pour chasser le chevreuil. C'est un secteur lucratif.

M. Dewar: Cela se fait aux États-Unis. J'ai rencontré un manufacturier d'Atlanta qui allait chasser le faisan le lendemain de notre rencontre. Il allait dépenser 2 000 $ pour chasser sur des terres appartenant à la Gulf, ou à une autre société pétrolière. S'il prenait un oiseau, ça lui coûterait davantage, mais ce n'était pas un problème pour lui; il voulait simplement avoir du plaisir. Il faut permettre des choses de ce genre.

Le sénateur Oliver: Leur viande est faible en cholestérol, et beaucoup de Nord-Américains soucieux de leur alimentation s'intéressent à ce genre de nourriture.

M. Dewar: J'ai grandi en mangeant du chevreuil. Nous en avions toute l'année -- mais ce n'est plus bien vu maintenant.

Le sénateur Stratton: Des programmes ont été supprimés. Est-ce que certains de ces programmes, ou des éléments de ces programmes vous seraient utiles aujourd'hui?

M. Dewar: Le programme dont on parle le plus, c'est le Régime d'assurance-revenu brut, qui a été éliminé en 1995 au Manitoba. Nous ne savons pas très bien s'il a été en vigueur quelque part au cours des cinq dernières années. Si nous voulions le rétablir actuellement, nous aurions des problèmes. L'une des règles de l'OMC, c'est qu'un programme supprimé ne peut être rétabli. Il faudrait qu'il respecte les nouvelles règles. Il n'était pas nécessaire de nous enlever 100 p. 100 du tarif du Nid-de-Corbeau. Il nous a fallu réduire le volume de 30 p. 100 ou de 40 p. 100, je crois. C'était une mesure budgétaire qui a été prise subitement.

L'Ontario a une assurance-revenu, mais l'Ontario ne fait pas d'exportations, et même si les Américains n'aiment pas ça, ils n'y réagiront pas. Le Manitoba, toutefois, fait de l'exportation; le tiers de notre production agricole descend vers le sud. Si les Américains soupçonnent un instant qu'il y a moyen de fermer la frontière, ils le feront. Les éleveurs de bétail canadiens ont consacré 5 millions de dollars à lutter contre des plaintes frivoles, parce que nous étions censés vendre à un prix inférieur au coût de production, mais c'était une pratique répandue à l'échelle mondiale à l'époque. Mais pour les Américains, en vertu du droit commercial, il s'agissait de dumping. Cette bataille nous a coûté 5 millions de dollars.

Le problème est le même pour les pommes de terre de l'Île-du-Prince-Édouard.

Le sénateur Stratton: Nous avons parlé d'un régime national de filets de sécurité et de ses éléments essentiels. Si nous créons ce programme, quelle devrait être sa durée? Je crois vous avoir entendu parler de 10 ans; est-ce exact?

M. Dewar: J'aimerais qu'il y ait un excellent programme pour les catastrophes et qu'on ne s'en serve jamais; mais il doit exister et avoir des fonds suffisants en cas de besoin.

Le sénateur Stratton: Dites-vous qu'il faut un programme permanent, sans échéance?

M. Dewar: Oui. Il serait là pour atténuer les effets des catastrophes. Beaucoup de producteurs ne comprennent pas l'ACRA. Ils ont des problèmes financiers, mais avec l'ACRA, il faut une réduction de 30 p. 100 avant de recevoir quelque soutien que ce soit. Je voudrais ne jamais percevoir d'aide de l'ACRA. Les agriculteurs qui sont là depuis longtemps essaieront de trouver une façon d'employer les programmes existants. Ils estiment qu'ils doivent pouvoir y participer, particulièrement s'ils éprouvent des difficultés.

L'ACRA était un programme mal conçu. Nous dépenserons cette somme de 1,6 ou de 1,8 milliard de dollars pour 1998 et 1999, et à notre avis ce sera insuffisant, puisque les déficits ne seront pas couverts. Nous dépenserons tout cet argent, ce qui montre combien l'industrie est mal en point.

Le sénateur Stratton: Quel niveau faudrait-il? Vous affirmez qu'il faut un programme d'aide en cas de catastrophe, sans date d'échéance, mais de combien parlons-nous, pour le fédéral et le provincial?

M. Dewar: Pour qu'il y ait des fonds suffisants pour le programme d'aide en cas de catastrophe, les 500 millions de dollars prévus par le fédéral seraient suffisants. Le gouvernement a pris cet engagement pour les deux prochaines années, mais il y a une rencontre en ce moment même à l'hôtel Delta pour réduire la somme.

Le sénateur Stratton: Alors pour les deux provinces, 500 millions de dollars sur deux ans seraient suffisants?

M. Dewar: C'est pour tout le pays.

Le sénateur Stratton: Je veux qu'on comprenne bien la différence entre les 500 millions de dollars dont vous parlez et les 400 millions de dollars qu'on a récemment annoncés.

M. Dewar: Les 400 millions de dollars, c'est une autre question. Il s'agissait d'un rajustement pour le transport. J'ai parlé de la somme supplémentaire de 30 $la tonne, ou de 80 cents le boisseau, pour le transport des récoltes de 1996, qui n'était pas payé en 1995. L'excuse qu'on a donnée, c'est que l'argent versé en 1995, le versement unique, n'était pas suffisant, et qu'il fallait une somme supplémentaire.

Nous avons toujours dit que nous devions faire trois choses pour les filets de sécurité et les revenus au Manitoba. Premièrement, concevoir un programme de filets de sécurité convenable. Deuxièmement, s'occuper de choses comme la catastrophe du sud-ouest du Manitoba et de la Saskatchewan pour les terres non ensemencées. Et troisièmement, régler le problème de la chronicité des faibles revenus. L'objectif des 100 millions de dollars au Manitoba et des 300 millions de dollars en Saskatchewan est de régler le problème chronique des faibles revenus. Il nous reste encore deux tâches à accomplir.

Le sénateur Robichaud: Au sujet du programme permanent d'aide en cas de catastrophe, n'avez-vous pas de crainte de glissement? Par exemple, les années où il n'y aurait pas de désastre, d'autres choses pourraient y être intégrées? Autrement dit, s'il y avait un programme permanent, les agriculteurs voudraient s'en servir même s'il n'y avait pas de catastrophe. Et quand une vraie catastrophe se produirait, les gouvernements s'attendraient à ce que les programmes répondent aux besoins des agriculteurs, mais il n'y aurait peut-être plus suffisamment de fonds dans le programme.

M. Dewar: J'aimerais que ce programme soit financé comme mon exploitation, c'est-à-dire que si je n'ai pas besoin de l'argent pour cela cette année, je m'en servirai ailleurs. Les gouvernements préfèrent toutefois mettre l'argent de côté, le réserver à telle ou telle fin. Peut-être faudrait-il permettre que les fonds s'accumulent les années où il n'y a pas de catastrophe; autrement dit, si on ne dépense que 100 millions de dollars et qu'il reste 400 millions de dollars, il faudra laisser les 400 millions de dollars en caisse. L'année suivante, on investira davantage dans le fonds. Les choses continueraient ainsi jusqu'à ce que le fonds soit suffisamment important pour satisfaire aux besoins en cas de catastrophe majeure. Autrement dit, il n'y aurait pas de réduction du financement du programme pendant cette période. On pourrait alors évaluer le fonds et décider si la caisse est suffisamment garnie, si on peut désormais réduire les apports. Le cas échéant, le gouvernement mettrait sur pied un fonds distinct pour l'aide en cas de catastrophe, si cela convient davantage au processus budgétaire du gouvernement. Je le laisserais reprendre l'argent; je ne voudrais pas m'en servir.

Par contre, le gouvernement devrait mettre le programme sur pied et le financer en cas de besoin. C'est ce qu'on a fait pour les accords d'aide financière en cas de catastrophe. Je ne crois pas qu'il y ait de poste budgétaire pour les AAFCC, mais en cas de besoin le gouvernement fédéral y participe à 90 p. 100.

Le sénateur Robichaud: Vous avez déclaré qu'il y avait un déclin de la population rurale et que les exploitations agricoles seront désormais différentes. Vous avez aussi dit que des terres ne seraient plus en production. Cela se fait-il déjà?

M. Dewar: En 2000, oui.

Le sénateur Robichaud: Nous n'en sommes donc qu'au début?

M. Dewar: Oui.

Le sénateur Robichaud: Le secteur agricole est encore bien vivant. Les magasins regorgent de produits, même si, je vous l'accorde, ils ne sont pas tous du Canada. Il reste que les consommateurs vérifient les prix à l'épicerie.

En passant, au Comité des forêts, on a recommandé que ces acres qui n'étaient plus cultivés et qui n'étaient pas de très bonnes terres agricoles soient reboisés pour la production sylvicole. Mais je m'écarte du sujet.

Vous nous dites que des acres de terre ne seront plus cultivés en l'an 2000. De combien d'acres parlons-nous?

M. Dewar: C'est difficile à dire pour l'instant, mais je sais que des producteurs se sont fait offrir des terres pour presque rien, simplement pour payer les taxes, et que personne ne loue ces terres. Certains producteurs mettent des terres en jachère. Il s'agit tout de même de terres des régions les moins productives de la province. C'est l'un de nos grands problèmes au Manitoba. La moitié est de la province, la vallée de la rivière Rouge, est très productive, jusqu'à Portage-la-Prairie dans l'ouest, et on a des récoltes exceptionnelles. Le rendement moyen au Manitoba est supérieur à la moyenne pour 1999. Le problème, c'est que dans la partie ouest les rendements sont très faibles, de mauvaise qualité; il n'y a presque rien. Cette partie de la province souffre davantage, et c'est là que les terres seront mises en jachère.

Vous avez parlé de reboiser certaines de ces terres, d'y planter des arbres. Notre organisme a proposé au gouvernement un programme de mise de côté. Il y a cinq ans, nous avions un programme de couverture végétale permanente, qui aidait les producteurs à planter des couvertures végétales permanentes, à faire des pâturages. Nous pensons que la création de forêts serait aussi une bonne idée, qu'on pourrait reboiser ces terres.

Dans mon coin, Louisiana Pacific a construit une immense usine de panneaux de copeaux agglomérés. Ils font venir le bois dans un rayon de 150 milles. Les arbres repousseront, mais nous pourrions en planter. Nous avons des terres qui ont été défrichées il y a un siècle, mais qui n'auraient probablement jamais dû l'être.

Le sénateur Robichaud: Et les terres seraient rendues, aussi?

M. Dewar: Oui, c'est probable. Nous avons parlé au ministre d'un programme en ce sens. D'ailleurs, j'ai vu quelque chose au sujet d'un programme en cours d'élaboration chez le secrétaire d'État, Andy Mitchell; j'espère que ce sera fructueux.

Le sénateur Oliver: Un arbre arrive habituellement à maturité après 30 ou 40 ans. Où trouve-t-on de l'argent entre-temps?

M. Dewar: C'est vrai. Pour faire pousser le peuplier dont a besoin la Louisiana Pacific, il faudrait 25 ans environ.

Le sénateur Robichaud: On pourrait aussi cultiver le chanvre pour la production de fibres. Qu'en est-il de la production de chanvre?

M. Dewar: Je suis de Dauphin, au Manitoba. Je ne suis pas membre des producteurs de chanvre, mais nous avons cultivé du chanvre il y a deux ans. La Consolidated Growers and Processors avait un contrat de 12 000 acres de chanvre. La Consolidated est une société américaine qui avait conclu un contrat pour la culture, la fibre et les semences et qui avait l'intention de construire une usine à Dauphin pour la transformation. Il y a environ trois semaines, elle a été mise sous séquestre. Par conséquent, les producteurs ont un manque à gagner de 6 millions de dollars pour ces contrats. Le marché des semences, en particulier, est submergé.

Je suis d'accord avec vous, le chanvre offre encore de bonnes occasions d'affaires. Toutes sortes de produits peuvent être faits de fibres, et certains sont proposés, par exemple des pièces de voiture en paille de lin. Actuellement, nous brûlons des acres et des acres de paille de lin parce qu'elle ne s'intègre pas bien au sol. On se sert de la paille de lin pour la production de papiers mouchoirs, chez Scott Paper par exemple. Il reste qu'une bonne part est tout simplement brûlée.

Il faudra déployer des efforts pour développer le secteur du chanvre, et certaines entreprises le font. J'espère voir un jour la prospérité de ce secteur, mais il ne s'agira pas d'un million d'acres. Pour la fibre longue, destinée au textile, nous ne pouvons concurrencer la Chine. Là-bas, la récolte se fait à la main. Ce faisant, ils obtiennent une belle tige, une bonne fibre. Nous faisons passer le chanvre dans une batteuse, une presse à foin ou une moissonneuse-batteuse. La qualité n'est pas la même. Pour le textile, nous ne pouvons donc concurrencer les Chinois. Le chanvre est plus lourd que le denim de coton et bien plus durable. Mais qui voudrait commercialiser une paire de jeans faite de chanvre, sous prétexte que le pantalon durerait 20 ans? Il n'y aurait plus d'obsolescence planifiée.

Le sénateur Robichaud: Il y avait là une occasion, et on a fait des efforts pour en produire. Le chanvre ne peut être produit aux États-Unis, et il y aurait pourtant là un marché pour ce produit.

M. Dewar: Ils ont fermé la frontière en janvier. Ils ont opté pour la tolérance zéro pour le THC, plutôt que 0,3. J'ai lu dans le journal, peu de temps après, que deux marines ont eu des résultats positifs à un test de THC; ils ont prétendu avoir mangé une tablette de chocolat au chanvre. Cette explication est encore plus originale que celle qu'a donnée notre néviplanchiste.

Le sénateur Robichaud: Dans vos recommandations sur la vision que le gouvernement devrait avoir de l'agriculture, sur ce qu'il devait faire à l'avenir, vous avez parlé de la recherche. Pour la recherche, le gouvernement offre de l'argent, puis diverses sociétés, associations ou producteurs donneront un financement équivalent, et dirigeront la recherche. On a déjà prétendu que ce serait plus efficace, que la recherche se ferait en fonction des besoins de l'industrie et qu'elle serait plus susceptible d'être appliquée. Est-ce que ça marche?

M. Dewar: À notre avis, non. Il se fait de la recherche fondamentale financée à l'aide de fonds publics. Mais pour ce qui est des projets de recherche à financement partagé, les producteurs n'ont pas suffisamment d'argent. Même la Western Grains Research Foundation n'a pas suffisamment d'argent pour être concurrentielle ou pour acheter de la recherche comme Monsanto. Si Monsanto conclut un partenariat pour obtenir des fonds gouvernementaux, elle demeure propriétaire des produits de la recherche et demandera des remboursements.

Les producteurs ne peuvent choisir parmi les variétés publiques. Nous avons des variétés privées, mises au point par diverses compagnies en collaboration avec les chercheurs du gouvernement, à des installations de recherche gouvernementales, mais nous n'avons pas les variétés publiques. Par conséquent, je ne peux pas choisir et déclarer, par exemple, que je ne veux pas appuyer Monsanto -- c'est un mauvais exemple, puisque leurs variétés sont particulières, assorties à leurs produits chimiques. Toutefois, je ne peux pas dire que je ne veux pas appuyer la compagnie X en achetant ses semences, que je veux utiliser une autre variété, moins coûteuse. Il n'y a pas d'autre variété moins coûteuse, permettant de réduire nos dépenses par rapport aux variétés privées.

Les semences de canola sont le meilleur exemple, et pas simplement une variété génétiquement améliorée pour un produit chimique particulier. Il y a près de 50 variétés de canola recommandées au Manitoba. Il doit y en avoir un maximum de quatre qui sont des variétés publiques, si bien que la concurrence n'est pas suffisante pour faire baisser les prix. Si des services publics faisaient de la recherche, les producteurs auraient plus de choix. Si la recherche privée offrait un meilleur produit, elle dominerait probablement le marché, mais pour qu'il y ait une véritable concurrence, il faut plus de recherche publique.

Le sénateur Robichaud: Cela se ferait avec les associations qui regroupent les producteurs.

M. Dewar: Si c'est nous qui pilotons les recherches. Nous avons des conseillers dans tous les centres de recherche. Nous avons un comité de recherche. Les priorités ont changé. C'est nous qui pilotons les recherches. Je me suis entretenu à plusieurs occasions avec les responsables des centres de recherche de ce dont nous pensons avoir besoin d'ici cinq ou dix ans. Ils ne veulent pas gaspiller leurs ressources. Les directeurs de ces centres de recherche ont des comptes à rendre. S'ils font leur recherche en partenariat avec une compagnie privée, c'est la compagnie privée qui bénéficie des résultats. Nos groupes de producteurs n'ont pas les ressources suffisantes pour s'associer aux travaux des centres de recherche.

En revanche, les producteurs de légumineuses à graines de la Saskatchewan parviennent à des résultats raisonnables, mais la participation est obligatoire et non remboursable. Certains producteurs finissent par payer beaucoup d'argent. Ils ont décidé de financer eux-mêmes la recherche et d'en transmettre gratuitement les résultats aux cultivateurs de la Saskatchewan pour les haricots et les pois destinés à la consommation humaine. Cela permet de réguler la concurrence, si bien que les autres variétés sont vendues à des prix plus raisonnables sur le marché.

Le sénateur Robichaud: Pourquoi cela ne se fait-il pas ailleurs?

M. Dewar: Cela coûte beaucoup d'argent. Le Manitoba essaie de le faire, mais il n'y a pas cette possibilité de participation obligatoire. Les producteurs ont-ils ces 1 000 $ supplémentaires qu'ils peuvent investir dans la recherche? Non. Nous n'avons pas ce genre de ressources.

Le sénateur Rossiter: À la page 3 de votre document, vous citez l'Union européenne et le Japon, dont les programmes de subventions reconnaissent la multifonctionnalité de l'agriculture -- c'est-à-dire que ces aides à la production agricole ont pour but non seulement d'assurer un approvisionnement alimentaire sûr, mais également de protéger l'environnement, de veiller à ce que le paysage rural soit peuplé, de préserver l'habitat sauvage et d'offrir des espaces de verdure pour fournir un contrepoint à l'environnement urbain. Nous ne semblons pas envisager chez nous les choses de la même manière. Ne serait-il pas possible de trouver un moyen d'adopter un point de vue équivalent sur les subventions?

M. Dewar: Nous l'avons mentionné.

Le sénateur Rossiter: Et vous avez rencontré un mur?

M. Dewar: Oui. Une partie du filet de sécurité au Manitoba sert à compenser les dégâts provoqués par les animaux sauvages. Nous persistons à dire que ce ne devrait pas être considéré comme une dépense budgétaire agricole, comme une dépense agricole. Si nous sommes compensés pour nourrir les animaux, c'est parce qu'on nous interdit de les abattre. À nos yeux, ce sont des animaux nuisibles, mais pas à ceux des habitants de Winnipeg qui vivent à l'intérieur du périphérique.

Le sénateur Robichaud: Nous avons le même problème avec les phoques.

M. Dewar: Je ne me suis pas référé à la multifonctionnalité, mais c'est ce que fait en particulier l'Union européenne. Au lieu de subventionner la production, ils incitent financièrement les producteurs à ne pas partir.

Le sénateur Rossiter: Pour qu'ils restent dans leur ferme.

M. Dewar: Exactement.

Le sénateur Rossiter: Ce qui permet aux communautés rurales de continuer à vivre. Les hôpitaux, les concessionnaires de matériel agricole, les écoles, tout ce qui fait la vie d'une collectivité, ne disparaissent pas.

M. Dewar: C'est la raison pour laquelle, dans l'Ouest canadien, nous ne pouvons nous opposer à la vision du gouvernement ou aux objectifs du gouvernement. J'ai expliqué comment le tarif du Nid-de-Ccorbeau, fort de toutes ses bonnes intentions, avait pesé d'une manière radicale sur le développement de l'agriculture au Canada. Ce sont les politiques du gouvernement qui nous commandent.

Le sénateur Rossiter: On a beaucoup parlé dernièrement des fermetures de succursales de banque. Si une banque quitte une petite communauté, c'est pratiquement le début de la fin, car la population finit par s'habituer à aller un peu plus loin pour s'occuper de ses affaires. Quand on perd un élément clé de ce genre, le déclin n'est pas loin.

M. Dewar: Il y a pratiquement 20 ans, un de mes amis a acheté une boucherie dans une petite ville de la Saskatchewan. Il avait examiné les déclarations de revenus du propriétaire précédent, et l'entreprise lui semblait viable. Ce qu'il ne savait pas, c'est que la banque avait fermé juste avant qu'il n'achète. Cette petite communauté était à 30 milles de Moosejaw, et la banque était à Moosejaw. Quand les gens allaient à la banque à Moosejaw, ils en profitaient pour faire leurs courses. Il n'a pas tenu un an. C'est exactement ce que vous venez de dire.

Nous le voyons tous les jours. Quand on conduit dans l'Ouest canadien, ou même quand on le survole, on peut voir où étaient toutes ces villes. Tout ce qui reste, c'est une poignée de maisons. Les silos à grain ont disparu. On voit encore l'emplacement de la voie. Jusqu'où cela ira-t-il? Les progrès de la technologie ont multiplié nos capacités. Un individu peut ensemencer au moins 300 acres par jour. De mon temps, le maximum, c'était 80 acres.

Le sénateur Rossiter: À condition de ne pas chômer.

M. Dewar: Je travaillais lever au coucher du soleil, et même bien après. Je me souviens d'une journée comme ça, car cela a été une de mes meilleures journées. Je semais du canola, et je n'ai pas eu à m'arrêter très souvent pour remplir la boîte à semences. Pour le blé, c'était plutôt 50 acres par jour.

Le sénateur Stratton: Pour revenir à Monsanto, Cargill, Midland et les autres, que pouvez-vous faire pour améliorer votre position de négociation avec ces gens-là?

M. Dewar: De la recherche publique, surtout avec les compagnies comme Monsanto. Cargill, c'est autre chose, mais pour tous les autres, oui. C'est ce qu'il nous faut. Si une variété de canola fabriquée par Monsanto n'est pas meilleure qu'une variété publique, Monsanto ne peut pas demander un prix supérieur à celui de la variété publique.

Le sénateur Stratton: Deuxièmement, vous souvenez-vous d'un ancien programme qui a été abandonné, le Programme canadien de réorientation des agriculteurs?

M. Dewar: Je m'en souviens. Il correspondait très bien aux besoins du moment. C'était un programme de sortie. Nous avons parlé de la nécessité d'un programme de formation rurale pour aider les agriculteurs à faire quelque chose d'autre. Cela pourrait être lié à une activité électronique, à condition d'avoir à notre disposition la technologie nécessaire, le réseau Internet à accès rapide nécessaire au pays.

KAP parraine un programme financé en partie par Jane Stewart et le Red River Community College. Je connais beaucoup de personnes qui ont fait appel aux programmes du ministère du Développement des ressources humaines, et cet argent a été très bien dépensé.

Le programme que nous parrainons est un programme de formation offert aux ruraux. Ils doivent être agriculteurs, et la formation se fait au Red River Community College de Winnipeg. Je crois que dans le sud du Manitoba on manque de secrétaires juridiques, et c'est donc cette formation que nous offrons. Il n'y a pas beaucoup de participants, mais cela aidera huit familles.

Le sénateur Stratton: Nous avons parlé mercredi à un agriculteur en train de faire faillite avec 5 000 acres. Si ce genre de chose continue, est-ce qu'un programme de transition ou un programme de sortie n'aiderait pas ces gens? Plutôt que de les laisser se faire écraser par les forces du marché -- ce qui est peut-être dur, je n'en disconviens pas -- n'y a-t-il pas une aide de transition qui pourrait leur être offerte? Ils ont pour la plupart la cinquantaine, et ils vont tout perdre.

M. Dewar: Il y en aura beaucoup dans ce cas dans la moitié ouest du Manitoba et en Saskatchewan au cours des deux prochaines années. Est-ce quelqu'un voudra de ces terres, voudra les louer, ou même les acheter au prix du marché? La culture du grain, en particulier, devenant plus une industrie qu'un mode de vie -- quand on gère 10 000 ou 15 000 acres, c'est une industrie -- combien est-on disposé à investir dans une telle industrie? D'un autre côté, quand on passe trois ou quatre heures par jour sur l'Internet, on peut se faire 5 p. 100 au lieu de 0,5 p. 100. Je crains que les agriculteurs ne veuillent plus investir dans leur propre industrie si elle ne fait pas fructifier leur argent.

Le sénateur Carstairs: Je trouve les programmes agricoles de plus en plus frustrants. Quand ils sont annoncés, tout le monde les qualifie de merveilleux. Tout le monde félicite le ministre de l'Agriculture. Trois mois plus tard ils se révèlent ne pas être ce que les agriculteurs pensaient qu'ils seraient. Pourquoi? Où est le problème?

M. Dewar: Vous faites peut-être allusion au Programme d'aide en cas de catastrophe liée au revenu agricole?

Le sénateur Carstairs: C'est un bon exemple, mais il y en a d'autres.

M. Dewar: Lorsque ce programme a été finalement lancé il y a maintenant environ un an, en février, une lettre a été envoyée au ministre par son comité consultatif l'informant de la pauvreté conceptuelle du programme. Quatre des cinq «devraient avoir» recommandés par le comité consultatif sont désormais incorporés dans le programme. Cependant il a fallu attendre un an. Le fait que nous ayons un programme d'aide en cas de catastrophe a été applaudi; c'était une initiative allant dans le bon sens, mais c'était des contraintes budgétaires qui en dictaient l'application.

Depuis des années nous ne cessons de dire que si c'est le bon programme, si nous sommes d'accord pour dire que c'est le programme qu'il nous faut, il faut alors qu'il soit correctement financé. Il arrive un moment où le manque d'argent ne permet plus de faire du bon travail, un moment où il serait peut-être préférable de s'abstenir. Je ne vise pas l'ACRA, mais si un programme est assujetti à de trop fortes contraintes budgétaires, il ne peut pas remplir ses objectifs. C'est un extrême; l'autre, c'est le surfinancement.

Le sénateur Carstairs: En l'occurrence, l'argent était là, mais c'était l'accès qui manquait.

M. Dewar: Il n'y a toujours que 40 p. 100 des sinistrés qui en bénéficient.

Le sénateur Carstairs: Exactement. Certains agriculteurs m'ont dit que le problème posé par certains de ces programmes, c'est que oui, la grande annonce est faite, mais les règlements ne suivent cette annonce que trois, quatre ou cinq mois plus tard. Le problème, ce sont les règlements d'application, et non pas le concept du programme lui-même. Le problème se situe au niveau de l'application du programme.

Les agriculteurs à qui j'ai parlé m'ont dit: «N'annoncez plus de programmes de ce genre tant que les règlements ne seront pas publiés en même temps que les programmes seront annoncés.» C'est aussi ce que vous pensez?

M. Dewar: Ce serait une bonne chose. Nous participons à l'élaboration de ces programmes depuis qu'ils existent. Le gouvernement n'aime pas que nous soyons au courant de ce qui se prépare. Nous ne pouvons participer à la procédure qu'à la toute fin. C'est une vision politique des choses.

Le sénateur Carstairs: C'est une vision bureaucratique. Les bureaucrates aiment pouvoir contrôler les programmes après qu'ils sont annoncés.

M. Dewar: Un des problèmes majeurs d'Agriculture Canada est une bureaucratie qui continue à dire qu'il n'y a pas de problème agricole. Ils continuent à dire au ministre qu'il n'y a pas de problème. Je suis désolé pour notre ministre. C'est à cette bureaucratie que nous avons affaire.

Une des bonnes choses dans le système américain, c'est qu'il renouvelle quelque 200 hauts fonctionnaires après chaque élection. Nous ne fonctionnons pas ainsi. Nous sommes toujours face aux mêmes bureaucrates qu'il y a 12 ans.

Le sénateur Robichaud: Si le gouvernement introduit un programme et que les règlements d'application sont déjà tous rédigés, vous êtes coincés. Pour l'ACRA, il n'y avait pas suffisamment de souplesse pour tenir compte des circonstances spéciales.

Par contre, si un programme offre une certaine souplesse -- par exemple, au Développement des ressources humaines -- un programme qui permet aux bureaucrates de financer de très bons programmes et de très bons projets, il y aura toujours des gens pour en abuser. C'est partout la même chose. La ministre du Développement des ressources humaines est critiquée de toutes parts pour cette souplesse. C'est un peu comme être entre le marteau et l'enclume.

M. Dewar: Je suis d'accord. L'ACRA est un bon exemple. Ils veulent veiller à ce que pas un sou n'aille à des gens qui n'en ont pas besoin. En conséquence, ceux qui en ont besoin souffrent de l'inflexibilité du programme. Étant donné les critères, ou bien vous êtes à moins de 30 p. 100, ou bien vous ne l'êtes pas.

Le président suppléant: Merci. Monsieur Dewar, nous vous avons gardé longtemps, mais c'était fort instructif.

Le titre du rapport du comité du Sénat est «La voie à suivre: Les priorités pour l'agriculture canadienne et la ronde du millénaire». Nous devons unir nos efforts avec les agriculteurs et avec le gouvernement pour essayer de définir cet avenir, car de toute évidence c'est un problème majeur, un problème qui concerne le tissu même de notre pays.

Nous vous sommes très reconnaissants d'être venu aujourd'hui, et nous vous remercions de votre excellent document.

La séance est levée.


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