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Délibérations du comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts

Fascicule 11 - Témoignages


OTTAWA, le lundi 15 mai 2000

Le comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts se réunit aujourd'hui à 13 h 36 pour étudier l'état actuel et les perspectives d'avenir de l'agriculture au Canada, étude sur les questions de revenu agricole.

M. Blair Armitage, greffier du comité: Honorables sénateurs, compte tenu du retard inévitable du président et de l'absence inévitable de la vice-présidente, il m'appartient de faire procéder à l'élection d'un président suppléant, pour que la réunion puisse commencer. J'attends vos propositions.

Le sénateur Rossiter: Je propose que le sénateur Wiebe occupe le fauteuil.

[Traduction]

M. Armitage: Les sénateurs sont-ils d'accord?

Les sénateurs: D'accord.

M. Armitage: La motion est adoptée. J'invite le sénateur Wiebe à occuper le fauteuil.

Le sénateur Jack Wiebe (président suppléant) occupe le fauteuil.

Le président suppléant: Honorables sénateurs, je vous remercie au plus haut point. À titre de président suppléant, je me sens un peu inhibé. Cela m'empêchera peut-être de poser certaines questions. Il y avait peut-être là un calcul.

Je tiens à profiter de l'occasion pour souhaiter la bienvenue aux trois témoins qui sont venus nous présenter un exposé cet après-midi. Nous n'allons pas suivre l'ordre indiqué dans le document qui vous a été remis avant la réunion. Nous n'allons pas accueillir les trois témoins en même temps. Chacun souhaiterait plutôt présenter son exposé à lui, puis nous permettre de poser des questions pertinentes. Nous allons donc prendre l'ordre inverse.

Je demande à M. Wellbrock de se joindre à nous.

M. Gary Wellbrock, vice-président, Saskatchewan Wheat Pool: Je suis heureux de me trouver ici aujourd'hui. Je présume que tout le monde a un exemplaire du mémoire. Je n'ai pas l'intention de le réciter mot à mot. Je vais aborder les questions qui y sont exposées, puis je vais prévoir du temps pour répondre à vos questions.

Je suis ici au nom du syndicat du blé de la Saskatchewan, le Saskatchewan Wheat Pool, et je suis heureux de vous faire part du point de vue de la Saskatchewan et, dans certains cas, de l'Ouest canadien sur les questions relatives au revenu agricole. Avant d'être élu vice-président à temps plein au conseil du syndicat, j'ai siégé au comité exécutif pendant un certain nombre d'années. J'ai été directeur du Saskatchewan Wheat Pool pendant 11 ans. Je suis délégué depuis plus de 20 ans. Je cultive des céréales, et j'engraisse des porcs, en Saskatchewan, et je travaille la terre sur laquelle mon grand-père a établi le patrimoine familial au début des années 1900. Je suis établi depuis longtemps dans la région. Mon passé d'éleveur m'a permis de représenter les agriculteurs sur la scène internationale.

Je préside le groupe des viandes et des aliments pour bétail de la Fédération internationale des producteurs agricoles.

Pour décrire brièvement la situation actuelle, disons que par rapport à il y a un an, les choses se sont améliorées à certains égards. Puis, au printemps, nous avons connu un prix médiocre pour le grain, un prix médiocre pour le porc et, à certains endroits, un temps peu clément, ce qui nous affecte énormément. Nos gouvernements n'ont pas prorogé l'entente nationale sur les filets de sécurité, et le Programme d'aide en cas de catastrophe liée au revenu agricole, ou ACRA, valable pour deux ans, avait été adopté, mais n'avait pas encore donné lieu à un versement. Jusqu'à maintenant, l'histoire de la réforme du transport du grain a été longue et controversée, et je m'attends à ce que cela se poursuive. Par ailleurs, les négociations à l'Organisation mondiale du commerce n'ont pas encore abouti. Le Canada a convenu de réduire les émissions de gaz à effet de serre à Kyoto, mais les producteurs agricoles n'ont pas eu grand-chose à dire sur la façon dont cette entente se répercuterait au pays. Cela soulève de nombreuses questions.

À cette époque, en 1999, l'ambiance n'était pas bonne. Cette attitude négative a été éliminée en partie, mais le prix peu élevé des denrées continue de soumettre les agriculteurs de l'ouest du Canada à certaines pressions. Je vais commencer par traiter de l'ACRA. Ce programme, créé en 1998, n'a pas atteint le but souhaité, car il présentait un certain nombre de lacunes au départ. Tout de même, certaines des lacunes ont été éliminées depuis, et un producteur sur cinq environ a reçu un paiement. Il a été difficile d'adapter l'ACRA en cours de route puisqu'il s'agit d'un programme à long terme que l'on cherchait à employer pour répondre à des besoins à court terme. Nous avons eu des revenus positifs à la fin de l'année, mais cela n'a représenté que le cinquième de la moyenne des cinq années précédentes en Saskatchewan.

Pour 2000, en ce qui concerne l'année d'imposition 1999, les perspectives sont meilleures. L'allocation fédérale-provinciale représentera environ trois cent millions de dollars à verser, montant qui pourrait être majoré. Les gouvernements devaient faire un effort pour que les paiements en question ne soient pas établis au prorata. Il faut que les sommes versées permettent de répondre réellement aux besoins auxquels l'ACRA devait subvenir. Il importe que l'argent provenant de ce programme se retrouve réellement entre les mains des producteurs.

J'aimerais mentionner aussi le Programme d'avance de crédit printanière. Je n'ai pas de statistique récente sur la participation, mais c'est une autre option pour le crédit à l'exploitation. Nous ne devons pas oublier qu'il s'agit d'un programme de crédit qui, de par sa nature, suppose un emprunt. En outre, la décision que le gouvernement a prise en mars d'injecter des fonds pour appuyer le fonctionnement de la Commission canadienne du grain permettra de geler les frais de service dans tout le Canada jusqu'en 2003. C'était une annonce positive.

Enfin, j'aimerais traiter des annonces récentes concernant le transport du grain de l'Ouest. La diminution de 178 millions de dollars du fret, établie à partir des taux approuvés par l'OTC pour 2000 et 2001, profitera aux producteurs de l'ouest du Canada. Dans le cas de la Saskatchewan, cela représente une réduction des coûts de l'ordre de 90 à 95 millions de dollars. L'injection de fonds pour le réseau routier a aussi été annoncée. La somme annoncée ne permettra pas de construire un grand nombre de routes, mais le gouvernement fédéral reconnaît la nécessité de nous venir en aide pour que nous puissions être sur le même pied que nos homologues du monde entier. Par exemple, les États-Unis ont procédé à une injection massive de fonds fédéraux dans leur réseau routier.

Beaucoup a été fait, mais il reste encore beaucoup à faire, particulièrement en ce qui concerne la politique de protection du revenu, les négociations commerciales, l'imposition, l'accord de Kyoto et l'adaptation future du secteur des céréales et des oléagineux dans l'ouest du Canada.

D'abord, à propos de la politique de protection du revenu, j'ai parlé en termes favorables de ce que l'ACRA permettrait d'accomplir à long terme. Toutefois, nous devons repenser le genre de programme qui nous guidera à l'avenir. L'entente fédérale-provinciale, par laquelle 435 millions de dollars seront alloués annuellement au cours des trois prochaines années, témoigne d'un engagement moins important que ceux de 1998 et 1999; or, même ce niveau était considéré comme inadéquat. Quelle sera l'efficacité des programmes d'aide en cas de catastrophe au cours des trois prochaines années? De préférence, nos gouvernements mettront en place un programme de protection du revenu qui fonctionne efficacement et ils le financeront de manière suffisante.

Étant donné les surplus budgétaires prévus pour les cinq prochaines années, le gouvernement fédéral dispose des ressources nécessaires pour contracter un engagement financier ferme et à long terme à l'égard de l'agriculture au Canada. L'agriculture, plus que tout autre secteur peut-être, a contribué à l'élimination du déficit général par l'entremise des coupes faites dans les programmes. Le moment est venu de réinvestir dans cette industrie importante.

Du point de vue de la Saskatchewan, il nous faut aussi exprimer vivement le souci que nous cause l'allocation future des sommes fédérales prévues pour la protection du revenu. La décision prise récemment de diviser les fonds fédéraux à l'échelle provinciale en prenant pour critère les rentrées d'argent récompense les provinces dont le secteur agricole va bien et pénalise celles dont le secteur connaît une mauvaise période. Il est difficile de justifier ainsi un programme dit «de protection du revenu». On verra probablement que la formule précédente, régie par le risque et la demande à la fois, aura été un mécanisme d'allocation et de stabilisation plus efficace que ce que nous avons en place aujourd'hui. Nous devons savoir bien concilier le soutien des fermes viables et le soutien des fermes où des ajustements s'imposent.

La Saskatchewan et le Manitoba auront droit à la même somme en dollars absolus, mais nous croyons qu'il s'agit là d'une mesure temporaire qui fera en sorte que nous finirons par être défavorisés dans trois ans. Nous sommes également conscients du débat houleux qui a conduit à l'adoption de l'accord fédéral-provincial de trois ans sur la protection du revenu et de l'animosité suscitée par l'aide à l'adaptation pour le transport. Éventuellement, la moitié du paiement -- c'est le cas, tout au moins, pour la Saskatchewan -- sera annulée par le versement de paiements moins importants au chapitre de l'aide en cas de catastrophe pour l'an 2000. En outre, la décision initiale consistait à couper 550 millions de dollars annuellement. Cela a eu pour effet de réduire d'un milliard de dollars les paiements provenant du programme à l'intention des agriculteurs. Si vous regardez la question dans ce contexte, l'aide financière fournie est relativement peu importante, comparée aux montants que les agriculteurs de l'ouest du Canada ont dû absorber avec la disparition de la subvention du Nid-de-Corbeau. Plus tard, nous pourrons discuter de l'impact réglementaire sur l'ouest du Canada et sur la Saskatchewan en particulier.

Je crois que les négociations commerciales sont une entreprise à long terme. J'ai eu l'occasion d'assister à la réunion de Seattle en tant que membre de la délégation canadienne. Et je me tiens au fait des difficultés éprouvées quant à la reprise des discussions sur l'agriculture à partir des travaux de 1994 de l'OMC. Compte tenu de ces éléments, il ne me paraît pas raisonnable de s'attendre à une évolution immédiate de la politique commerciale internationale. Il faudra probablement passer au travers de la prochaine élection présidentielle aux États-Unis avant d'étudier un nouvel accord à l'OMC.

Nous encourageons certainement les négociateurs commerciaux à faire valoir la position canadienne dans le cours des négociations. Il est très important qu'ils cherchent encore à faire éliminer les subventions à l'exportation et à réduire sensiblement les subventions intérieures qui faussent les échanges commerciaux. En outre, il nous faut un meilleur accès au marché, des règles qui prévoient le maintien en place d'organismes commerciaux d'État qui soient efficaces et une protection contre les mesures déraisonnables visant à perturber ou à limiter l'activité commerciale légitime. Compte tenu du délai, il importe que le Canada conçoive des filets de sécurité à long terme qui soient efficaces et adéquats, avant que les négociations ne produisent quoi que ce soit de substantiel. L'offre mondiale devrait demeurer excédentaire pendant un certain temps encore, situation que viennent compliquer d'autant les subventions octroyées de par le monde. Dans un avenir prévisible, il sera difficile d'obtenir un rendement raisonnable du marché. Certes, la plupart des denrées que nous produisons dans l'ouest du Canada sont sujettes aux aléas du marché international, avec des mécanismes de soutien et des mécanismes commerciaux qui font que nous sommes à la merci des guerres de subventions entre pays.

Autre observation sur les questions commerciales: j'aimerais traiter brièvement de deux termes dont vous voudrez peut-être discuter. La «multifonctionnalité» et le «principe de précaution» dominent actuellement les discussions commerciales. Or, les deux peuvent avoir un impact considérable sur les revenus des agriculteurs de l'ouest du Canada.

Ces termes font désormais partie des pourparlers sur le commerce. Il serait malheureux que les notions en question aboutissent à des formes nouvelles d'obstacles non tarifaires ou à un moyen nouveau de subventionner la production agricole et de fausser les échanges commerciaux.

Nous devons envisager la façon dont les agriculteurs sont imposés en ce qui concerne les intrants. Une façon équitable et efficace pour les gouvernements d'aider l'ensemble des producteurs agricoles consiste à réduire les niveaux d'imposition pour des choses comme le carburant agricole et le carburant faisant partie des intrants agricoles, par exemple l'engrais. Selon nos estimations, la taxe fédérale d'accise de 10 cents le litre d'essence et de 4 cents le litre de diesel représente plus de 50 millions de dollars par année pour les agriculteurs de la Saskatchewan. Soit dit en passant, l'élimination des taxes à cet égard est sans incidence pour le commerce.

L'augmentation des coûts de carburant attribuable au marché donne à cette question une urgence toute particulière. Nous reconnaissons que le gouvernement fédéral ne peut pas faire grand-chose pour changer le prix du baril de pétrole; tout de même, il peut influer sur le prix que paient les producteurs pour le carburant, par l'entremise des taxes prélevées.

Juste pour situer dans son contexte l'augmentation des prix, disons que les agriculteurs de la Saskatchewan ont consacré 380 millions de dollars environ au carburant nécessaire à l'exploitation de leurs entreprises agricoles en 1998, année où le prix du brut était à un des niveaux les moins élevés que nous ayons vus depuis des années, soit autour de 11 $ le baril. De nos jours, le prix dépasse 29 $ le baril, et le prix des produits raffinés a connu une augmentation substantielle.

Compte tenu de la consommation qui est faite, une augmentation de 25 p. 100 du coût du carburant aura pour effet d'éliminer la réduction des taux de transport par train annoncée la semaine dernière. Certains des principaux intrants du secteur de l'agriculture sont très vulnérables aux augmentations de prix, et c'est certainement le cas du carburant.

À long terme, l'accord de Kyoto comportera peut-être des conséquences négatives quant au prix du carburant. Nous comprenons que le gouvernement écarte pour l'instant l'idée d'une taxe sur le carbone, mais vous pouvez comprendre notre souci pour l'avenir, étant donné la dépendance de notre secteur envers cet intrant. En agriculture, 97 p. 100 de nos besoins en énergie sont fournis par les combustibles fossiles, de sorte que nous sommes liés très étroitement à cette forme d'énergie particulière.

L'accord de Kyoto pourrait se révéler avantageux s'il est appliqué correctement. Nous croyons que les terres agricoles, surtout celles de l'Ouest, présentent un grand potentiel en tant que puits de carbone; toutefois, il faut définir ce potentiel, de même que les récompenses possibles pour l'accumulation de carbone ou de crédits de carbone.

Par exemple, la modification de la politique des transports en 1995 a réellement permis à l'ouest du Canada, et particulièrement à la Saskatchewan et au Manitoba, de se consacrer davantage à l'élevage et d'utiliser les grains dans les Prairies mêmes. L'accroissement de l'élevage peut avoir des effets sur les niveaux de pollution.

Si, en dernière analyse, il nous faut payer pour les niveaux accrus de pollution attribuables à l'expansion de l'élevage, le gouvernement devra songer aux avantages de la séquestration et s'assurer de faire le lien. L'accord de Kyoto ne le fait pas. L'examen complet des effets détaillés de l'agriculture permettra au secteur agricole de l'ouest du Canada de se réaliser entièrement.

Il faudra des adaptations à l'avenir. Au Canada et en Saskatchewan, en particulier, l'agriculture vit essentiellement une période de transition. Nous avons été témoins de l'évolution des systèmes de culture et de la diversification du secteur agricole, d'où l'élevage et les cultures spéciales. Les coûts ont été réduits au minimum, et une nouvelle technologie a été adoptée. Étant donné une marge bénéficiaire réduite par surface cultivée, la taille des fermes connaît une augmentation considérable. Les exploitations agricoles sont encore, d'abord et avant tout, l'affaire de familles, mais elles sont nettement plus grandes et plus intensives que par le passé, du point de vue de la production et de la gestion.

Dans l'ouest du Canada, cette diversification a fait de nous le plus grand exportateur mondial de lentilles. Bientôt, nous serons le plus grand exportateur mondial de pois chiches. Voilà des changements importants. Cela ne paraît pas si important par comparaison à l'ensemble de la surface cultivée, mais nous cultivons une très grande superficie dans l'ouest du Canada, comme le sait le président suppléant. Nous pouvons facilement adopter nombre d'autres cultures, si le gouvernement met en place des bonnes politiques et la bonne réglementation, pour que nous puissions nous adapter et réussir dans ces secteurs.

Les agriculteurs forment un groupe qui vieillit. L'âge moyen est d'environ cinquante ans. Selon certains sondages, ce serait plutôt autour de cinquante-huit ans. On se préoccupe de savoir qui prendra le relais dans le contexte actuel et du bien-être économique des jeunes agriculteurs qui disposent de moins de capitaux. Dans ce contexte, nos gouvernements ont l'occasion et l'obligation d'agir.

Nos décideurs devront se pencher sur la situation pour bien assurer la transition des agriculteurs qui quittent le secteur, sans que cela ait d'impact négatif sur les localités rurales, et l'arrivée des nouveaux dans le secteur, dans les sous-secteurs productifs qui sont profitables.

Il faut ajouter à cela les exigences sociales imposées au secteur agricole pour ce qui touche la santé, la salubrité des aliments, la préservation du milieu naturel et des espèces qui y vivent. Cela fait longtemps que les agriculteurs gardent la terre et nourrissent la population. L'accroissement des attentes en matière de responsabilité sociale ne fait pas reculer les agriculteurs. Tout de même, ceux-ci estiment qu'ils ne devraient pas avoir à supporter seuls le coût de ces exigences sociales accrues. Si la société impose des exigences à l'agriculture, elle devrait être prête à se tenir debout et à payer certaines des adaptations dont elle bénéficiera au bout du compte.

Je serai heureux de répondre à vos questions.

Le président suppléant: Vous avez dit que les gouvernements doivent impérativement soutenir les fermes viables dans tout le Canada tout comme les adaptations de celles qui ne sont pas viables.

Pourriez-vous nous donner des précisions sur la deuxième partie de cette affirmation? Parlez-vous d'adaptations apportées à la politique nationale ou d'adaptation du côté des agriculteurs eux-mêmes? Est-ce que nous devrions élaborer des politiques qui permettent aux agriculteurs de s'adapter à quelque chose d'autre? Qu'en pensez-vous?

M. Wellbrock: L'agriculture est affaire d'entrepreneurs. Si vous regardez les chiffres bruts pour le Canada, vous constaterez que les dépenses d'exploitation par ferme, par année, varient entre 110 000 et 220 000 $. L'agriculture est une entreprise qui comporte des risques, surtout lorsque le bénéfice se situe habituellement entre 10 000 et 25 000 $.

Les agriculteurs sont bien disposés envers les risques qu'il faut prendre sur le marché, pour agir et être maîtres de leur propre destin, mais parfois, ils échouent. Malgré des adaptations majeures, les programmes de protection du revenu ne portent pas fruit.

Le gouvernement a l'occasion de créer des programmes qui aideront certains agriculteurs à quitter le secteur, si cela est nécessaire, ou à modifier leurs pratiques agricoles pour que le secteur puisse mieux réussir. Un programme de transition possible pour leur venir en aide consisterait à reconvertir certaines terres à la production fourragère. Nous savons que l'élevage du bétail prendra de l'expansion. Un programme antérieur a donné lieu à une aide financière relativement peu importante. Nous voyons ce qui est arrivé aux États-Unis, qui ont prévu une aide à la transition, avec les occasions et les programmes offerts.

Le secteur ira dans une certaine direction. Si c'est là que se trouvent les possibilités rentables, comment pouvons-nous encourager cela au moyen d'une politique générale? Certains vont échouer dans le domaine agricole. Comment avoir une politique qui les soutienne durant la période de transition? Certaines tentatives ont été faites en ce sens dans le passé.

Le président suppléant: Je suis originaire de la Saskatchewan, où nous avons notre ferme. Il n'y a pas de doute que les fermes sont de plus en plus grandes. Si on fabrique toujours les grandes moissonneuses-batteuses, ce n'est plus pour des raisons strictement économiques.

La moissonneuse-batteuse automotrice peut coûter jusqu'à 250 000 $ l'unité. Or, c'est une machine qu'on utilise deux, peut-être trois semaines pendant l'année. Les grandes exploitations agricoles ont les moyens de se payer ce genre d'équipement. Les petits producteurs doivent compter sur une vieille machinerie un peu usée, sinon faire faire un moissonnage-battage à l'entreprise, de sorte que la récolte ne se fera pas forcément au moment où ils le souhaitent.

Par exemple, faut-il compter parmi les adaptations que vous avez mentionnées des initiatives ou des programmes gouvernementaux qui permettent à deux ou trois agriculteurs qui n'exploitent qu'une section et demie de s'unir et d'assumer en commun certains des frais d'investissement liés à l'achat du matériel, des coûts des intrants, et aussi de mettre en commun les avantages de leur récolte? Il pourrait s'agir d'établir une société par actions, une société de personnes ou une coopérative. A-t-on songé à cela?

M. Wellbrock: Vous soulevez une question intéressante, et ce n'est pas seulement des moissonneuses qu'il est question. Le tracteur agricole moderne doté d'une puissance acceptable vaut 250 000 $. Une baillière moderne coûtera entre 170 000 et 240 000 $. Le matériel de semis moderne coûtera entre 75 000 et 100 000 $. De fait, si vous décidez d'acheter tout le matériel neuf, vous feriez faillite en moins d'un an, puisque vous n'auriez simplement pas les moyens voulus pour travailler la terre. Vous ne pourriez assumer les coûts engagés durant la première année. Et encore, ces machines doivent couvrir de 3 500 à 5 000 acres pour justifier leur prix. La surface moyenne à cet égard représente 1 100 ou 1 200 acres; on voit donc qu'il doit y avoir une forme de collaboration quelconque.

Les gouvernements peuvent aider. Il importe que le genre d'assistance prévue ait pour effet non pas de fausser les données du marché, mais plutôt de constituer une assise structurelle. Vous avez soulevé une question intéressante. Il y a des possibilités de ce côté-là. C'est une façon d'aider à maximiser l'efficience. N'oubliez pas qu'on ne peut pousser les choses que jusqu'à certain point pour certaines des questions dont il s'agit, et les agriculteurs des Prairies sont devenus très efficaces.

Je me suis adressé à mes homologues étrangers à l'occasion d'une réunion internationale. En Europe, les agriculteurs qui exploitent moins de 50 acres assurent leur propre subsistance et celle de leur famille. Ici, nous avons des fermes qui se composent de multiples segments de terrain, et certaines éprouvent des difficultés, même si les gens triment très dur.

Le contrôle des coûts ne peut être considéré comme une panacée. Nous devons faire ce que nous pouvons faire à cet égard, mais ce n'est pas cela qui va sauver l'agriculture.

Le président suppléant: La semaine dernière, nous avons écouté un témoin qui travaillait la terre avec son frère et son père sur 5 100 acres. De fait, il y avait trois familles pour qui ça allait bien à cette ferme particulière. L'idée que j'ai mentionnée plus tôt -- celle de la coopérative ou de la ferme constituée en société et dirigée par trois agriculteurs voisins -- pourrait facilement être l'affaire d'une seule personne si les autres décidaient de s'en aller ou de vendre. Si on pouvait mettre en place un programme qui permet aux gens d'assumer ensemble les coûts, ces trois familles demeureraient dans la Saskatchewan rurale. C'est une chose que nous devrions peut-être essayer de faire.

Il est difficile pour moi de poser la prochaine question, comme il sera difficile pour vous, c'est sûr, d'y répondre. Certains agriculteurs ne sont pas prêts à faire les adaptations nécessaires pour suivre l'évolution rapide du monde agricole. Ils disent: «Mon grand-père a travaillé la terre de cette façon, mon père a travaillé la terre de cette façon, je vais travailler la terre de cette façon.» Est-ce-que nous devrions étudier des programmes pour leur venir en aide pour qu'ils continuent à travailler la terre de cette façon ou plutôt étudier des programmes pour les aider à s'adapter plus facilement aux changements qui surviennent? Nous sommes témoins d'une évolution marquée du mode de vie dans le domaine agricole, surtout dans l'Ouest, avec toutes les exigences provenant d'autres pays. Que pensez-vous de cela?

M. Wellbrock: Vous avez raison de dire que c'est une sorte d'épreuve. Qu'est-ce-qui fait qu'une ferme n'est pas viable sur le plan économique, qui fait que quelqu'un puisse dire: «Eh bien, votre ferme n'est pas rentable, et vous devez trouver une façon de quitter le secteur»? Au moment où ils ont commencé en agriculture, personne n'aurait pu prédire l'avènement des pressions que nombre d'entre eux subissent aujourd'hui. Le défi à relever consiste toujours à composer avec l'évolution du monde depuis le temps où on s'est lancé ou celui où on a pris une décision. Le monde a-t-il changé autour de vous? Est-ce juste que le monde ait changé comme il a changé?

Un certain nombre d'agriculteurs qui ne sont pas de mauvais décideurs traversent une période difficile à cause, par exemple, de l'évolution du prix des denrées. Les éleveurs de porcs ont survécu à la crise de décembre 1998, qui a duré trois ou quatre mois: à l'époque, un porc prêt à l'abattage valait 20 $. On payait plus pour le faire assommer que ce que donnait le marché. Quel agriculteur aurait pu prédire cela? Est-ce que c'était une diminution raisonnable sur le marché, ou encore est-ce la concentration des sociétés agricoles qui a fait que certains producteurs ont dû vivre des moments très difficiles? Je dis tout cela en guise d'introduction à la question.

Je n'ai pas peur de dire que les programmes de transition qui visent à aider certaines personnes à quitter le domaine de l'agriculture sont corrects, mais comment déterminer qui sont ces gens et ce qui est à l'origine du problème? Est-ce qu'il s'agit d'une décision d'affaires qui est le fait d'un producteur individuel et qui a mis celui-ci dans le pétrin, ou est-ce quelque chose qui est attribuable au marché externe? Peut-être que la réglementation a changé ou peut-être qu'une guerre de subventions sur le marché fait que le boeuf ou le porc ou le grain ne traversent pas la frontière. Si l'agriculteur est touché par des décisions qui échappent à sa propre volonté, alors il faut vraiment trouver une façon de lui venir en aide dans le domaine agricole, car il nous faut de bons décideurs. S'il échoue à cause de mauvaises décisions, alors il faut trouver une façon digne de l'aider à trouver autre chose sur le marché.

Le sénateur Oliver: Au moment de répondre à la question du président, vous avez dit que certains Européens qui cultivent 50 acres gagnent leur pain grâce à cela. Si c'est exact, et je présume que ce l'est, quelle leçon pouvons-nous en tirer au Canada, particulièrement dans l'Ouest? Que font-ils de bien? Est-ce purement attribuable à la subvention européenne, ou encore y a-t-il quelque chose de différent dans leurs pratiques ou leurs techniques agricoles?

Vous aviez affirmé aussi que certains agriculteurs sont en période de transition et étudient d'autres possibilités, par exemple, l'arboriculture. Je me suis rendu en Nouvelle-Zélande il y a quelques mois, et je me suis entretenu avec des gens qui s'adonnaient auparavant à l'élevage du mouton. Ils se sont retirés du secteur parce que les subventions avaient été éliminées; maintenant, ils ont découvert que certains arbres originaires de la Californie, s'ils sont plantés en Nouvelle-Zélande, atteignent la maturité en 25 ans. Ils peuvent alors les couper et toucher un profit assez important. Je ne connais pas d'arbre au Canada qui puisse atteindre leur pleine croissance en 25 ans. De quelle sorte d'arbre s'agit-il?

En parlant de l'ACRA, vous avez critiqué vivement la décision prise par le gouvernement d'accorder un financement fédéral par province à partir des rentrées d'argent à la ferme et des recettes au marché. Si l'agriculteur cultive, produit et vend une certaine récolte, mais qu'il n'obtient pas un prix suffisant au marché, pourquoi ne serait-ce pas une bonne idée d'utiliser les rentrées d'argent à la ferme ou les recettes au marché comme critère? Quel autre critère le gouvernement devrait-il utiliser, selon vous? Cela semble équitable aux yeux du Canadien moyen. Si on produit quelque chose pour le marché, mais que le marché ne donne pas un rendement acceptable, le gouvernement pourrait dire: «Dites-nous quelles étaient vos rentrées d'argent, et nous allons peut-être combler l'écart pour nous assurer que vous obteniez un profit raisonnable.» Pourquoi ce critère n'est-il pas valable?

M. Wellbrock: Premièrement, l'Union européenne estime que ces agriculteurs apportent une contribution précieuse à la société, et les sommes importantes qui se trouvent dans les comptes des programmes de la catégorie verte et de la catégorie bleue comptent pour une bonne part de leur revenu.

J'ai visité un agriculteur irlandais qui s'adonnait à l'élevage bovin. Il m'a montré ses rentrées d'argent provenant du gouvernement. J'ai estimé que 25 à 30 p. 100 de son revenu brut provenait directement de mécanismes de soutien qui étaient bien établis et bien compris. Lorsqu'il vend une génisse, un bouvillon ou une vache, il connaît le prix qu'il obtiendra sur le marché et le montant qu'il obtiendra du gouvernement. Pour une grande part, cela permet de couvrir les frais de subsistance de sa famille.

Le sénateur Oliver: Les paiements du gouvernement sont-ils des subventions pour son engrais et l'alimentation des animaux?

M. Wellbrock: Ce sont des paiements directs.

J'ai visité en France une ferme qui m'a beaucoup étonné, car c'est le genre d'exploitation que je ne connaissais pas. Les gens là-bas avaient une production très intensive, et ils obtenaient les sommes brutes nécessaires pour se permettre cela. C'est un effet de croissance. L'agriculteur en question avait un tracteur devant chaque machine aratoire. Nous ne connaissons pas cela. Nous devons décrocher ici pour raccrocher là. Sans nul doute, ils accordent beaucoup plus de soutien.

La multifonctionnalité et le principe de précaution ne font qu'exacerber ce genre de situation. À mon avis, cela tient à un blocage commercial aussi bien qu'à la protection du secteur ou de la denrée. Il est clair que cela comporte de nombreuses conséquences pour le commerce.

Je ne sais pas s'ils ont dit qu'ils allaient planter des arbres. En fait, dans mon coin de la province, chaque arbre doit faire l'objet des soins les plus attentionnés. J'en ai des rangées dans mon champ; j'ai connu tout cela quand j'étais jeune.

Le cas des lentilles et des pois chiches en est un exemple. Nous avons des gens qui cultivent 160 acres en vue de mettre sur le marché une épice particulière, mais rapidement, le marché est saturé. On voit que cela se produit parfois là où il y a eu diversification. Pendant 20 ans, il y a eu un seul éleveur de bisons dans un rayon de 20 milles autour de ma ferme. Aujourd'hui, il y en a cinq. Cela montre que les agriculteurs déploient beaucoup d'efforts pour faire la transition. Ce sont de bons décideurs qui ont beaucoup de bonne volonté, mais les pressions exercées sur le prix des denrées, de façon générale, font qu'il est extrêmement difficile de composer avec cela.

Vous avez parlé de la transition en Nouvelle-Zélande. La Nouvelle-Zélande a abandonné en bloc les programmes d'aide à l'agriculture. Au départ, cela a ressemblé à un repositionnement radical qui permettrait de voir qui allait demeurer en agriculture et comment on procéderait. Si le reste du monde avait fait la même chose, tout irait bien, mais le reste du monde n'a pas suivi. Par conséquent, les Néo-Zélandais qui exportent des denrées agricoles font face aux mêmes problèmes de concurrence. Comment affronter la concurrence sur ce genre de marché? Ils peuvent faire baisser le prix des denrées jusqu'au point où, étant donné les coûts de production normaux, il est impossible de gagner sa vie.

Quant aux rentrées d'argent à la ferme, comme je l'ai dit plus tôt au président, si tout fonctionnait selon un mode économique normal, s'il y avait des règles efficaces de commerce international qui autorisaient ce qui est admissible en ce qui concerne l'accès au marché ainsi que la nature et l'ampleur des mesures de soutien, je serais d'accord avec vous pour dire que ce que l'on reçoit du marché convient. Nous avons subi des pressions extraordinaires dans l'ouest du Canada: nous sommes sujets aux aléas des guerres de subventions internationales. Nous ne recevons pas sur le marché ce que j'appellerais un prix normal, un prix économique. Peut-être que cela devient la norme, mais ce n'est certainement pas ce qui existerait dans une situation économique normale sur le marché mondial.

Par conséquent, si nous sommes assujettis à des programmes qui ont pour critères des revenus du marché qui sont anormalement bas, alors nous ne recevons même pas une juste part des subventions mises à la disposition de notre secteur. En dernière analyse, si on porte cela à l'extrême, on nous force presque à demeurer dans une situation où nous sommes défavorisés.

Le sénateur Oliver: Les agriculteurs canadiens comme vous parlent d'une série de problèmes qui ont affligé l'industrie agricole, particulièrement dans l'ouest du Canada, et qui font qu'il est de plus en plus difficile de gagner sa vie de manière décente. Cette question est politique, en fait, mais pourquoi pensez-vous que le lobby important dont vous disposez à Ottawa n'a pas pigé? Pourquoi l'ACRA n'est-il toujours pas «convivial» pour l'agriculteur? Pourquoi est-ce que les autres initiatives du gouvernement du Canada ne répondent pas aux besoins de plus en plus pressants des agriculteurs de l'Ouest? Quelles sont les lacunes de votre programme de pressions? Et pourquoi les Canadiens ne semblent-ils pas vous écouter?

M. Wellbrock: Nous devrions demander aux gens de la Chambre des communes ce qu'ils pensent de cela. Ce sont eux qui doivent déterminer pourquoi ils ne répondent pas de telle façon que nous pourrions avoir un meilleur accès et mieux faire valoir notre point de vue.

Le Saskatchewan Wheat Pool est une coopérative qui a changé et qui prend de l'expansion. Par le passé, nous avons pris part aux efforts de la Fédération canadienne de l'agriculture pour essayer de faire valoir notre point de vue, mais souvent, nous ne sommes pas partie au processus. Souvent, nous menons un combat d'arrière-garde.

Je vais prendre comme exemple l'accord de Kyoto. Le gouvernement canadien a signé cet accord et s'est engagé à ramener les émissions aux niveaux du début des années 90. Eh bien, quels étaient nos niveaux, par rapport à ceux des autres pays? Si un autre pays a des niveaux d'émissions plus élevés et qu'il nous faut tous les deux réduire cela de 10 p. 100, il nous faudra peut-être payer un prix très élevé pour ce qui est de maintenir une base industrielle viable.

En agriculture, le problème est semblable. Nous finissons par avoir très peu de marge de manoeuvre en ce qui concerne les intrants. Le coût du carburant en est un exemple. Les agriculteurs ne vident pas leur réservoir au bord du chemin juste pour utiliser davantage de carburant. Notre budget des intrants est très serré, et nous utilisons seulement la quantité absolument nécessaire. Alors, comment réduire? Si nous souhaitons que l'agriculture devienne plus autonome et qu'elle s'industrialise encore, mais que les règles du jeu ne permettent pas cela ou encore créent des coûts supplémentaires qui font échec à notre compétitivité, voilà que nous sommes pris entre l'arbre et l'écorce.

Là où je veux en venir, c'est que le gouvernement n'écoutera pas le lobby de l'agriculture s'il faut se fier au nombre de politiciens que nous élisons à la Chambre des communes. Il ne nous écoutera qu'au moment où il décidera que l'agriculture est importante pour le Canada. Le gouvernement doit solliciter les opinions de la Fédération canadienne de l'agriculture et des organisations régionales. Il doit sonder l'opinion de ces organisations avant de signer des protocoles qui ont un effet sur nous.

Le sénateur Rossiter: Le sénateur Oliver a déjà posé ma première question. Il est évident que l'agriculteur qui cultive 50 acres ne peut survivre sans subventions.

Un témoin que nous avons accueilli récemment nous a dit que l'agriculteur obtient quatre cents sur le blé qui entre dans la composition d'un pain.

Vous avez parlé de la situation que les éleveurs de porcs ont vécue il y a quelques années. Le prix pour l'éleveur a baissé, mais le prix du porc lui-même n'a pas suivi, et les consommateurs s'en sont plaints. Comment le public peut-il être mieux éduqué à comprendre les coûts qui entrent dans la production?

M. Wellbrock: Pour être franc, je crois que le public n'a que faire des coûts qui entrent dans la production. Il se soucie de ce qu'il paie à l'épicerie. L'importance de l'agriculture pour l'économie et les montants que reçoivent les producteurs sont en fait des questions qui relèvent d'une politique globale. Cela ne veut pas simplement dire le combat d'arrière-garde et la lutte faite contre les problèmes qui existent. C'est aussi le fait de savoir comment on devient proactif, comment reconnaître que le monde évolue et comment mettre en place un cadre positif pour cette transition?

Permettez-moi de vous donner un exemple. Le gouvernement a modifié la Loi sur le transport du grain de l'Ouest en 1995. Tout le monde se souciait des sommes en jeu, et le fédéral voulait se débarrasser du coût. Il a offert une bagatelle aux agriculteurs, et ceux-ci se souciaient du montant qu'ils allaient peut-être recevoir. On n'a pas prêté attention à ce qui évoluait dans l'environnement réglementaire. Le réseau routier est une catastrophe totale, au point même où il est dangereux. Un peu de neige en Saskatchewan fait disparaître les grands nids-de-poule sur la route, ce qui crée des problèmes de sécurité.

Personne n'a songé à cela. De fait, la première fois où j'ai été témoin d'un engagement significatif de la part du gouvernement fédéral, c'est l'autre jour, au moment où le gouvernement a annoncé qu'une certaine somme serait consacrée à l'amélioration du réseau routier.

Le sénateur Rossiter: Sur cinq ans.

M. Wellbrock: Oui, et si on regarde le montant d'argent qui est prévu pour trois provinces et étalé sur cinq ans, on voit qu'on ne pourrait pas se rendre de la ferme du président à la route. Ce n'est tout simplement pas suffisant.

Dans notre communiqué de presse, j'ai dit que j'accueillais bien cela parce que le gouvernement fédéral s'engageait à faire quelque chose, si bien qu'on reconnaissait tout au moins le problème. Mon souci, du point de vue global de l'agriculture, c'est qu'au moment où la politique a été modifiée en 1995, les gens ont su immédiatement -- cela n'a pas surpris l'un quelconque des planificateurs -- ce qui arriverait au réseau routier, mais rien n'a été fait. Il est donc très frustrant pour les agriculteurs de devoir revenir toujours au gouvernement pour parler de choses qui auraient dû faire partie du processus de planification de la modification du règlement.

Le sénateur Leonard J. Gustafson (président) occupe le fauteuil.

Le président: Je souhaite la bienvenue au témoin du Saskatchewan Wheat Pool. Mes questions portent sur votre organisation et sur les changements extraordinaires dont nous sommes témoins en ce qui concerne la manutention du grain. Je crois que vous ne serez pas du tout étonné de savoir que certains s'interrogent sur la survie du Saskatchewan Wheat Pool. Nous avons vu des actions qui se transigeaient à 24 $. Où en sont-elles aujourd'hui?

M. Wellbrock: Elles se situent probablement à 5 $ ou 5,50 $. De fait, elles ont augmenté un peu récemment.

Le président: On se préoccupe beaucoup de cela. En tant que membre du Wheat Pool, comme presque tous les agriculteurs de la Saskatchewan, j'ai constaté que, avec l'abandon de la ligne ferroviaire et la fermeture de quelque deux cents élévateurs, le grain est acheminé à des endroits différents et à des sociétés différentes. Voilà qui semble être une épreuve importante pour le Saskatchewan Wheat Pool. J'aimerais savoir ce que vous pensez de cela.

M. Wellbrock: C'est une bonne question, pour plusieurs raisons. De fait, cela s'articule autour de certaines des questions auxquelles j'ai répondu jusqu'à maintenant à propos des problèmes de transition.

Le Saskatchewan Wheat Pool a reconnu qu'avec l'abandon de la Loi sur le transport du grain dans l'Ouest et l'adoption d'un système plus ouvert, il nous fallait évoluer radicalement pour survivre. Nous avons décidé de faire coter nos actions à la Bourse, ce que certaines personnes n'ont pas apprécié. Nous l'avons fait pour nous munir des moyens financiers nécessaires pour réaliser notre mandat, qui consiste à servir les agriculteurs de l'ouest du Canada et à renouveler notre réseau de silos. Nous avons été pris de court par les effets de la modification du règlement. Nous avons donc été pris avec la construction de silos sur des embranchements qui n'étaient désormais plus viables sur le plan économique. Le réseau des embranchements et des silos de campagne a d'ailleurs été mis au rancart ce jour-là, en 1995, avec l'adoption de la loi. Je ne sais pas si quiconque en était conscient ou s'en souciait même, mais c'est ce qui est arrivé. Nous en étions conscients et nous savions qu'il fallait faire quelque chose; nous avons donc agi immédiatement. D'abord avec la capitalisation, et ensuite avec la modification de l'intrastructure et de la manutention du grain. Nous nous sommes lancés dans l'élevage du boeuf et du porc, mais je vais m'en tenir à l'exemple du grain.

Un nouvel élévateur à grain construit pour prendre le grain des agriculteurs d'une petite collectivité en 1981 aurait accueilli de 270 à 300 wagons par année. Mon fils travaille pour le Saskatchewan Wheat Pool à un silo situé à Swift Current. Autour de Noël, ils ont chargé 100 wagons en 10 heures et demie. Pensez à cela. Cent wagons bout à bout font plus d'un kilomètre et demi. Cela veut dire qu'on remplit un wagon à grain en choisissant le bon grain, dans la bonne quantité, avec le bon poids, toutes les six minutes. Les locomotives n'ont nulle part où aller. Elles sont garées dans les cours, le moteur tourne à vide, plutôt que de faire le trajet le long des embranchements pour aller cueillir deux wagons ici et cinq wagons par là. Le Saskatchewan Wheat Pool n'a pas préconisé ce changement de la formule. Nous étions prêts à traiter avec les agriculteurs le long des embranchements, et nous avions construit l'infrastructure nécessaire. La modification du règlement au Canada nous a obligé à faire ce rajustement. Toutefois, nous avons eu de la difficulté à faire ce rajustement. Nous nous sommes retrouvés avec un amortissement qui est difficile à récupérer, car les silos qui avaient encore une certaine vie utile devaient être dégagés du réseau des embranchements. Nous nous retrouvons avec les coûts élevés qu'il faut engager pour mettre sur pied un nouveau système.

Le défi qu'il faut relever aujourd'hui tient maintenant au prochain impact de la réglementation. Certes, nous en discutons en ce moment, compte tenu de l'annonce du gouvernement fédéral concernant la modification de la politique des transports. Nous avons en place un système qui nous permet de décharger le grain au terminal en moins de temps. Lorsque la nouvelle politique des transports sera mise en oeuvre, quel sera l'impact avec la Commission du blé qui passera à des appels d'offre de 25 p. 100? Sommes-nous en mesure de profiter des gains en efficience attribuables à l'investissement que nous avons fait dans le système? Il est tout à fait indispensable pour nous d'être en mesure de gérer l'organisation de notre système, parce que nous expédions toutes sortes de grains. Quarante pour cent du grain de la Saskatchewan ne relève pas de la Commission du blé. Disons que nous devons expédier 100 wagons de grain. Songez à ceci: nous avons une façon de procéder qui nous permet de charger 100 wagons en 10 heures et demie ou 11 heures, mais si 60 wagons relèvent de la Commission du blé, et que ce n'est pas le cas des 40 autres -- qui transportent du canola, des pois, d'autres récoltes --, nous devons gérer l'organisation de tout cela pour faire venir les denrées, puis les expédier à des ports particuliers. Les modifications du règlement auront un impact considérable sur notre capacité de gérer l'investissement que nous avons fait dans le système, dans l'ouest du Canada. Nous croyons avoir mis sur pied un excellent système à l'usage des agriculteurs.

Nous devons être capables de recouvrer l'investissement en question.

Le président: Lorsque vous avez privatisé la société et organisé son capital social, j'ai vendu mes parts à 12 $, mais le prix a fini par atteindre 24 $. Pendant un court laps de temps, l'optimisme était à son comble. Pourquoi le prix des actions a-t-il monté si haut? La concurrence n'était-elle pas évidente à ce moment-là? Consolidated and Weyburn Terminal, United Grain Growers et ADM construisaient de nouveaux silos; ils étaient tous là.

M. Wellbrock: Le marché, comme vous le savez bien, fera comme bon lui semble. L'investisseur peut être optimiste ou pessimiste. C'est dans la nature des investisseurs.

Le président: Il semble que l'on soit en train de construire trop d'usines. Nous n'allons pas pouvoir produire suffisamment de grain en Saskatchewan pour qu'elles soient toutes viables. Cela va donner lieu à des problèmes.

M. Wellbrock: Tout le monde est un peu emballé à l'idée de construire un silo.

Le président: Les silos modernes ont une capacité importante. Qui va en subir les contrecoups, par contre? Les grandes sociétés américaines ou les entreprises de stockage du grain qui appartenaient anciennement à nos agriculteurs?

M. Wellbrock: De fait, il y en a encore beaucoup qui appartiennent à des agriculteurs. Ceux qui n'ont pas vendu leurs parts sont nombreux.

Certaines personnes nous classent en deux groupes: les agriculteurs de la classe A, qui contrôlent ensemble le Pool, et les agriculteurs de la classe B, qui ont des parts dans l'investissement. C'est Toronto qui possède cela, et les chiffres exacts sont difficiles à débusquer, car cela prend diverses formes. Je sais qu'un grand nombre d'agriculteurs, moi-même y compris, sont des actionnaires importants du Saskatchewan Wheat Pool.

Le président: J'ai encore les actions de la classe A, celles qui comportent un droit de vote.

M. Wellbrock: Vous pouvez acheter des actions de la classe B n'importe quand.

Le sénateur Wiebe: Je n'ai jamais vendu aucune de mes actions de la classe B. Je les ai toujours. Une chose qui m'a surpris au cours des quelques dernières années, c'est l'empressement avec lequel les exploitants de silo ont cherché à prendre une part du marché dans les provinces de la Saskatchewan, du Manitoba et de l'Alberta. Le résultat, c'est que nous avons cette capacité bâtie qui est trop grande. Nous avons plus de capacité de manutention de grains que jamais, et nous en avons probablement plus que nous en aurons jamais besoin.

La concurrence actuelle entre les exploitants de silo profitera-t-elle à l'agriculteur? Partant, le fait que le grain puisse être acheminé un peu plus loin à destination d'un silo où le prix offert est meilleur viendra-t-il grever encore nos routes municipales rurales et nos routes?

M. Wellbrock: Permettez-moi d'être bien précis là-dessus, car l'annonce récente du gouvernement fédéral concernant les transports n'était pas très précise.

Dans un système commercial, si le gouvernement n'applique pas les règles qui font que les embranchements vont continuer d'exister -- et cela risque de survenir -- la manutention du grain sera centralisée de manière très marquée. Vous avez répondu à votre propre question. La capacité actuelle et les projets de silo actuellement envisagés suffisent à prendre en charge tout le grain du réseau principal. C'est dans cette direction que nous nous dirigeons, massivement.

Le gouvernement a annoncé que les embranchements seraient protégés d'une certaine façon et que les collectivités pourraient les acheter. Beau geste politique. En même temps, on passera d'une limite de taux à une limite de revenu, ce qui poussera les chemins de fer à prendre en charge des unités encore plus grandes dans les installations centralisées qui existent déjà pour la manutention du grain dans les Prairies. L'affaire est déjà dans le sac.

Je crains que les collectivités locales, de bon coeur, ne souhaitent acheter des embranchements qui n'ont plus de possibilité économique à long terme. Cela ne peut qu'empirer les choses et aggraver la situation à l'avenir. Je suis un peu déçu de la dichotomie du projet de loi dont il est question ici.

Le système permettra d'expédier le grain à partir d'installations centralisées, et de le faire de bonne façon, si la nouvelle réglementation permet à tous les participants de demeurer viables. C'est tout à fait indispensable.

D'après l'expérience mondiale observée, nous voyons que tous ne peuvent pas être viables, que seuls les plus gros vont survivre. L'industrie du grain produira une sorte d'entité Microsoft, que le gouvernement essaiera alors de morceler à nouveau.

Voilà une analyse économique franche et directe. Le nouveau règlement doit nous permettre d'obtenir un rendement suffisant, pour que les entreprises céréalières concrétisent leurs investissements dans un système très efficient. Je ne parle pas du fait de soutirer de l'argent au système. Je parle de l'idée de maximiser l'efficience, tout comme nous avons discuté des fermes et de la machinerie plus tôt. Nous sommes en position pour gagner de l'argent en optant simplement pour l'efficience du système, mais le processus de réglementation peut faire obstacle à cela.

Nous devons absolument nous assurer d'avoir un système concurrentiel qui permet ces gains en efficience avant que la loi ne soit appliquée. Sinon, nous serons de retour ici dans quatre ou cinq ans, pour demander ce qui est arrivé à ce foutu programme. Vous avez la réponse aujourd'hui.

Le sénateur Wiebe: J'ai posé cette question à toutes les organisations qui sont venues témoigner, et c'est une question qui me fruste depuis les quarante ans où je travaille la terre. Pourquoi les agriculteurs ne peuvent-ils être solidaires? Nous avons une demi-douzaine d'organisations agricoles qui donnent toutes des conseils différents et exercent des pressions de façon distincte sur les gouvernements à l'échelon provincial, fédéral et municipal.

Nous perdons un avantage énorme, car nous aurions un des lobbys les plus importants du Canada aujourd'hui, si les agriculteurs étaient solidaires. Croyez-vous que ce moment viendra jamais?

M. Wellbrock: Nous sommes probablement en aussi bonne posture qu'on pourrait l'espérer. La Fédération canadienne de l'agriculture nous permet bel et bien une action relativement solidaire. Tout le monde n'en fait pas partie, mais la grande majorité s'y trouve.

On peut comprendre ce dilemme après avoir travaillé quarante ans dans le domaine, 26 mai 2000, mais pendant des années, dans le domaine agricole en Saskatchewan, les fermes étaient relativement homogènes. Tout le monde avait une vache laitière, quelques cochons, plusieurs types de grains pour nourrir les chevaux et ainsi de suite. De nos jours, les fermes sont de plus en plus diversifiées et spécialisées. Les fermiers eux-mêmes finissent par se soucier particulièrement de leur secteur. Il faut une organisation globale qui rassemble les divers points de vue des organisations de producteurs spécialisés. Chacun doit faire des compromis.

À l'heure actuelle, c'est ce que nous essayons de faire en Saskatchewan. Nous allons faire valoir nos besoins, mais nous allons travailler dur par l'entremise de la Fédération canadienne de l'agriculture, en vue de présenter notre point de vue solidairement au gouvernement.

Le sénateur Wiebe: Pour terminer, je pourrais dire que la ferme de Gary n'est pas très loin de la mienne. De fait, elle est directement au sud de la mienne. Nous sommes donc originaires du même coin de pays.

Le sénateur Oliver: Il y a une chose que vous avez dite au début qui m'inquiète: l'âge des agriculteurs. Vous avez dit que les agriculteurs ont aujourd'hui 50 ou 58 ans environ, en moyenne, et que les jeunes sont dissuadés de se lancer dans le domaine. Voilà qui fait peur. Vos fils vont-ils prendre le relais comme vous avez pris la place de votre père et ainsi de suite?

Je crois aux forces du marché, et je crois que le gouvernement devrait s'abstenir de toute micro-gestion. Nous ne voudrions pas que les gouvernements nous disent combien de gens peuvent se lancer dans le domaine bancaire et dans la vente au détail, ni combien de gens pourraient s'adonner à la pêche. Proposez-vous qu'il y ait une sorte de politique ou de réglementation gouvernementale, ou de mécanisme d'aide gouvernementale pour garantir que nos fermes ne périclitent pas? Si tous les agriculteurs ont 50 ans aujourd'hui, ils auront 60 ans dans dix ans et voudront quitter la ferme. À ce moment-là, qui prendra le relais? À coup sûr, la question ne préoccupe pas le gouvernement, ou encore dites-vous que c'est le cas?

M. Wellbrock: Je suis tout à fait d'accord avec vous à propos de la micro-gestion. Je mettrais le gouvernement au défi d'assurer une une macro-gestion efficace. Sans nul doute, l'aspect macro-économique de l'agriculture, son importance pour le pays et les tendances à long terme offrent au gouvernement nombre d'occasions d'intervenir raisonnablement, du point de vue de la réglementation comme du point de vue financier. J'ai exposé le coût des modifications apportées à la Loi sur le transport du grain de l'Ouest. Des centaines de milliards de dollars ont été gaspillés parce qu'on n'a pas réfléchi correctement à l'effet de la réglementation, sinon on ne lui a pas accordé suffisamment d'importance. Ce genre de macro-gestion -- ou l'absence de macro-gestion -- est visiblement un problème là où le gouvernement aide à établir les orientations à long terme du domaine de l'agriculture.

Je pourrais vous citer nombre de cas où le gouvernement a modifié les politiques et transformé fondamentalement ce qui se passait dans le domaine. Je vais vous en exposer un brièvement. Au début des années 80, un nouveau gouvernement a été élu au moment où commençait la construction du port de Prince-Rupert. À ce moment-là, on s'était entendu pour appliquer un supplément de l'Ouest canadien pendant quelques années pour couvrir une partie des frais d'immobilisation initiaux, sinon cela n'avait pas de sens. Prince Rupert Grain est alors construit, et une série de contrats sont signés. Subitement, le gouvernement change de mains, et les nouveaux élus modifient la politique et retirent le supplément. Cela est survenu aux tous premiers stades de la construction. Cela a tué la viabilité économique de Prince Rupert pour de bon. La construction a coûté 220 millions de dollars. Aujourd'hui, presque 20 ans plus tard, la dette à l'égard de Prince Rupert Grain s'élève à 300 millions de dollars.

On ne peut faire subir aux gens ce genre de modification de politiques. Il faut des politiques stratégiques et efficaces prévues pour le long terme, et qui bénéficient d'appuis globaux.

Le sénateur Oliver: Je comprends cela, et cela arrive avec tous les gouvernements. Prenez le cas de l'aéroport Pearson et celui de l'achat des hélicoptères. Je m'interroge sur un problème plus fondamental. Qui prendra le relais à la ferme? Si l'agriculteur moyen de l'ouest du Canada a maintenant 58 ans et que les jeunes ne voient pas beaucoup d'avenir dans l'exploitation des fermes qui sont là, qu'est-ce qui arrivera? Est-ce que le gouvernement devrait essayer de s'assurer que le pire ne survienne pas?

M. Wellbrock: Il faut des programmes de stabilisation efficaces pour que les fluctuations du marché ne signifient pas la mort d'une ferme pendant une année donnée. Il faut des négociateurs commerciaux efficaces qui s'assurent que l'agriculture canadienne a une place équitable sur le marché mondial. Il faut que toute la bureaucratie gouvernementale réfléchisse à l'agriculture, de sorte qu'au moment de signer des protocoles sur la biosécurité ou le protocole de Kyoto sur l'environnement, elle réfléchisse à l'impact de la mesure sur l'agriculture, à long terme. Puis, il nous faut établir des associations ou des combinaisons qui permettent aux gens de se concerter, par l'entremise d'une coopérative ou d'une entreprise quelconque, pour avoir une ferme d'une taille suffisante et à l'échelle qu'il faut pour assurer sa subsistance.

J'ai trois fils, tous dans la vingtaine. Deux d'entre eux veulent travailler la terre. Nous nous sommes assis pour en établir le côté économique, et cela n'a pas de sens pour eux. Nous avons dit que le côté économique aurait peut-être du sens à un moment donné, à l'avenir. Soit que je transfère la propriété agricole pour qu'ils aient une occasion décente d'aller de l'avant, soit qu'ils vont obtenir ailleurs sur le marché un meilleur rendement en échange de leurs efforts.

Le sénateur Oliver: Cela ne semble pas très prometteur pour l'avenir de l'agriculture dans l'ouest du Canada.

M. Wellbrock: L'agriculture, comme je l'ai dit au début, est affaire d'entrepreneurs, chose qui ne devrait pas changer. C'est pourquoi vous devriez vous abstenir de toute micro-gestion. Vous devriez opter pour la macro-gestion. Les agriculteurs vont répondre à l'appel des gens qui les aident à se diriger dans la bonne voie.

C'est un défi pour l'agriculteur en période de transition qui, dans la cinquantaine, envisage d'investir une grande somme d'argent pour se lancer dans une des voies nouvelles et prometteuses de l'agriculture. Se sentira-t-il suffisamment à l'aise pour le faire en l'absence d'une forme quelconque de soutien? Compte tenu du genre d'infrastructures que nous pouvons adopter pour l'élevage du boeuf et du porc, du genre d'infrastructures dont nous avons parlé plus tôt à propos du grain, de la taille des fermes économiquement viables, vous pouvez prévoir une aide d'ordre macro-économique pour les coopératives et les associations d'agriculteurs souhaitant créer des unités qui, d'après leur taille et l'échelle des activités, peuvent survivre sur le marché mondial.

Je vais vous donner un exemple. Je viens de finir de construire une porcherie sur le terrain de ma ferme. On peut y «finir» dix mille porcs à la fois. On pourrait mettre un terrain de football de la Ligue canadienne là-dedans. Je suis à un âge où je peux courir ce risque, mais les agriculteurs plus âgés ne voudrons peut-être pas le faire.

Nous pouvons rassembler les agriculteurs pour qu'ils se donnent aujourd'hui des unités efficaces et productives, et leur donner certains conseils, mais nous devons être cohérents. Les agriculteurs ne veulent pas se lancer dans quelque chose pour que le gouvernement vienne changer les règles du jeu trois ans plus tard, de sorte que plus rien n'est économiquement viable tout d'un coup. Ce n'est pas juste envers eux non plus.

Le sénateur Rossiter: La plupart des agriculteurs ou du moins un grand nombre d'agriculteurs comptent sur un revenu d'appoint, n'est-ce pas?

M. Wellbrock: Oui, cela arrive souvent.

Le sénateur Rossiter: Est-ce qu'ils pourraient survivre sans cela?

M. Wellbrock: Certains n'y arriveraient certainement pas. Souvent, habituellement dans le cas des sociétés de personnes, un des associés travaille à l'extérieur pour mettre du pain sur la table, et le reste de la famille s'attelle à la tâche à la ferme même. Avec un peu de chance, la ferme fera ses frais. Se lancer en agriculture et en avoir assez pour nourrir et vêtir une famille, même de façon très modeste, est très difficile. Vous auriez de la difficulté vous aussi. Vous auriez vraiment à mettre les bouchées doubles.

Le sénateur Rossiter: Il existe de nombreuses fermes où les principaux intéressés, qu'il y en ait deux, quatre ou six, touchent un revenu de professionnel, un excellent revenu, de sorte que l'agriculture n'est pas forcément la principale ressource financière.

M. Wellbrock: Je pourrais certainement parler de cela, mais je ne crois pas que je rendrais service à l'agriculture. Dans la vaste majorité des cas que je connais, le revenu d'appoint provient d'un travail qui n'est pas très bien rémunéré. Vous verrez peut-être un professionnel acheter une ferme parce qu'il s'agit d'une déduction fiscale utile ou quelque chose du genre. C'est peut-être comme Bourse: l'arrivée de l'amateur est le signal de départ du connaisseur. Les agriculteurs devraient être rémunérés pour leur travail d'agriculteur, et les gens qui souhaitent tirer leur revenu principalement de l'agriculture devraient avoir accès à des mesures de soutien.

Nombre de gens font tout leur possible pour trouver un revenu suffisant, et même si nombre des emplois en question ne sont pas très bien rémunérés, les gens acceptent de faire cela parce qu'ils souhaitent réussir en agriculture. La population agricole est encore très fière de ses fermes.

Le sénateur Chalifoux: Que savez-vous de l'ARMPC?

M. Wellbrock: J'en sais un peu.

Le sénateur Chalifoux: On m'a fait part de plusieurs plaintes et préoccupations concernant l'ARMPC formulées par de petites usines de transformation des collectivités rurales et de petits agriculteurs qui souhaitent vendre deux cochons ou une partie de la saucisse qu'ils fabriquent et ainsi de suite. Que pensez-vous de ce programme?

M. Wellbrock: De façon générale, l'ARMPC consiste à étudier la chaîne alimentaire dans son intégralité, à déterminer les points critiques où la qualité du produit final pourrait être compromise et à fournir certaines garanties dans le contexte. Certaines des petites usines de transformation vont être touchées négativement si elles vendent leurs produits sur le marché global. L'ARMPC existe pour une bonne raison. La difficulté provient de la nécessité d'accroître les inspections et les règles. Qui va payer pour cela? Le consommateur ne paiera pas l'aliment plus cher au bout de la chaîne. Je crois que je vous entends dire que c'est encore des coûts supplémentaires pour le système. Habituellement, c'est le gars au bas de l'échelle qui en fait les frais.

Le sénateur Rossiter: Qu'est-ce que l'ARMPC?

M. Wellbrock: Cela signifie: analyse des risques et maîtrise des points critiques.

Le sénateur Oliver: Ils font cela dans l'industrie de la pêche.

M. Wellbrock: Cela s'applique à toutes les entreprises alimentaires.

Le sénateur Chalifoux: Dans le nord de l'Alberta, il y a des petites usines de transformation qui ne font aucune vente au-delà de la frontière. Tout se fait à l'intérieur de la province de l'Alberta. Ces usines emploient entre 65 et 70 personnes dans une petite localité, et elles sont en activité depuis plus de 40 ans. Leur usine se conforme à toutes les normes sanitaires de l'Alberta, mais s'il faut qu'elle se plie à l'ARMPC, cela lui coûtera 1,5 millions de dollars. Plusieurs des petites usines de transformation ont déjà fermé leurs portes, parce qu'elles ne peuvent tout simplement pas se permettre cela, et néanmoins elles sont très bien réglementées dans la province de l'Alberta. Pouvez-vous nous dire ce qui se passe en Saskatchewan?

M. Wellbrock: Je ne peux parler au nom des petites usines de transformation. Tout ce que je peux vous dire, c'est que l'ARMPC est un dossier mondial qui s'applique à toutes les entreprises alimentaires, et notamment au grain. Les responsables essaient de repérer les cas où le potentiel de contamination est élevé et s'efforcent d'intervenir de manière positive pour garantir la salubrité des aliments.

Je dirais que c'est peut-être là un exemple des coûts de rajustement qui s'acheminent jusqu'au producteur au bas de l'échelle, ou à la petite usine de transformation. Nous examinons actuellement la question des aliments médicamenteux pour le bétail et estimons à 40 millions de dollars les coûts additionnels dans le cas de l'industrie du porc, sans qu'il n'y ait d'avantage par ailleurs. Le désir qu'a la société de disposer de produits d'une pureté cristalline risque réellement d'ajouter au système des coûts importants qui finissent constamment par être la responsabilité du producteur. Nous allons finir par créer un sorte de monstre qui possède toute l'autorité et tout le pouvoir de réglementation, mais qui ne se soucie pas du tout de celui qui doit payer la facture.

Le président: Un certain nombre d'agriculteurs sont en train de mettre en place les installations de chargement pour les wagons de producteurs. Il me semble que si les chemins de fer ne veulent pas s'arrêter pour cueillir 12 ou 14 wagons à ce qui était auparavant un silo local, il ne vont certainement pas s'arrêter pour aller cueillir une poignée de wagons de producteurs. Vous avez dit plus tôt que ce sont les politiques des chemins de fer et du gouvernement qui déterminent vraiment l'orientation des transports dans le domaine de l'agriculture. Je me demande si certains de ces agriculteurs ne jouent pas avec le feu. Ils dépensent beaucoup d'argent pour refaire, essentiellement, ce que le silo faisait. De fait, j'ai un voisin qui a fait cela, et j'allais lui demander: «Penses-tu au moins à l'avenir?» C'est mon avis, mais j'aimerais bien savoir ce que vous en pensez.

M. Wellbrock: Si vous voulez exploiter un petit silo qui ne bénéficie pas d'un créneau sur le marché, ou encore si vous voulez expédier des wagons de producteurs, vous vous donnez beaucoup de peine pour rien.

Le président: C'est mon avis à moi aussi.

M. Wellbrock: Le système exige maintenant les gains en efficience que permet le transport du grain en grands volumes. Un produit de vrac. Plus le transport est efficient, mieux s'en trouve votre logistique et votre rentabilité Allez-vous dicter artificiellement aux chemins de fer qu'ils doivent ramasser ces six wagons qui ne contiennent peut-être pas le bon grain? Est-ce-qu'il va y avoir une sanction si le producteur envoie le mauvais grain?

Le président: En ce moment, le chargement d'un wagon de producteur procure un avantage de 800 $.

M. Wellbrock: C'est un avantage parce que le même taux s'applique à tout le monde. La limite des revenus change tout cela, à moins d'ordonner expressément que le tarif envoi d'un wagon procure un avantage. Le chemin de fer va créer des gains en efficience beaucoup plus grands avec le délai de chargement de 10 heures et demie dont j'ai parlé plus tôt, et vous devriez permettre au chemin de fer de réaliser ses gains en efficience. Pourquoi imposer une formule qui suppose des coûts beaucoup plus élevés à une industrie qui dispose d'une marge assez faible au départ?

Le président: J'ai une question à propos de la SARM. Nous avons accueilli un représentant des municipalités rurales, qui a fait part de son appui à l'égard des chemins de fer sur courte distance. Quant à moi, j'ai l'impression que c'est un bon outil de transition, mais si les agriculteurs mettent sur pied de telles lignes, dont l'installation et l'entretien sont coûteux, ils s'engagent dans la direction inverse de celle que prend le transport ferroviaire.

M. Wellbrock: Vous avez tout à fait raison. Notre politique est la suivante: si quelqu'un veut exploiter un chemin de fer sur courte distance, nous allons travailler avec lui pour recevoir le grain à un point donné ou nous allons travailler avec lui pour vendre les silos ou quelque chose du genre, mais nous ne croyons pas que cela soit économiquement viable. Si cela ne nous rapporte rien à nous, je ne vois pas comment cela pourrait leur rapporter quoi que ce soit à eux. S'ils veulent essayer, ils sont les bienvenus.

Le président: C'est peut-être un outil de transition.

M. Wellbrook: Pourquoi ferait-on cela, si d'ici cinq ou dix ans, ce sera un système différent qui sera en place? Pourquoi investir dans quelque chose qui sera tout à fait inutile dans cinq ou dix ans? Qui ferait cela? Cela n'a pas de sens.

Le président: Je suis d'accord. Je vous remercie d'être venu témoigner aujourd'hui.

Notre prochain témoin est M. Jim Smolik, de la Colombie-Britannique. Bienvenue.

M. Jim Smolik, directeur, British Colombia Federation of Agriculture Council; président, British Columbia Grain Producers Association, British Columbia Federation of Agriculture: Je tiens à vous remercier de l'occasion qui m'est offerte de comparaître devant le comité et de présenter un exposé.

Je vais d'abord vous parler un peu de moi.

Je suis agriculteur de troisième génération, peut-être la dernière génération des agriculteurs Smolik. On s'est interrogé sur l'avenir des agriculteurs, on se demande vers quoi se dirigent les agriculteurs. Je dis que la mienne pourrait être la dernière génération puisque, même si j'ai un fils de dix ans, l'avenir en agriculture, surtout dans l'industrie du grain, paraît extrêmement sombre. En ce moment, je rendrais un mauvais service à mon fils si je l'encourageais à devenir agriculteur.

Voilà des propos terribles pour un agriculteur de troisième génération. Mon grand-père est venu au Canada d'Europe. Il a pris le bateau qui suivait le Titanic à destination de New York. Il a travaillé un peu partout aux États-Unis et est monté jusqu'en Saskatchewan pour s'établir enfin à Dawson Creek, où il a installé un homestead en 1914.

À l'époque, mon grand-père n'avait rien d'autre qu'une hache à double tranchant, sans manche, et il a dégagé le terrain à la main. Tandis que mon père grandissait et que mon grand-père lui enseignait l'agriculture, les technologies changeaient. Lorsque mon père a pris le relais, il a donné de l'expansion à la ferme, ce qu'il a continué de faire avec la technologie nouvelle.

Mon frère et moi avons pris le relais. De même, nous avons appris de notre père l'évolution technique des choses, et c'est un univers technologique tout nouveau qui est le nôtre. La croissance de la technologie en agriculture est une chose incroyable.

Si ma génération est la dernière des Smolik en agriculture, cela veut dire qu'il n'y aura peut-être personne à qui je pourrai passer le flambeau de cette technologie. Là où il faut utiliser le système GPS et toutes ces choses dont on doit faire l'apprentissage direct, il faut procéder lentement. On n'arrive pas à la ferme un bon matin et hop! le tour est joué.

Comme je l'ai dit plus tôt, j'habite à Dawson Creek. Je suis président de la B.C. Grain Producers Association, et je préside également le comité des filets de sécurité de l'organisation. Par l'entremise de ce comité, je représente les producteurs de grains de la Colombie-Britannique au sein d'un comité provincial des filets de sécurité mis sur pied par le ministre provincial de l'Agriculture, auquel la plupart des grands secteurs spécialisés sont représentés. Il y a au sein de ce comité un représentant national qui n'a pu se rendre ici aujourd'hui. Il a eu l'obligeance de me porter volontaire pour cette tâche.

Notre exposé se divise plus ou moins en deux parties. Le temps peut expliquer cela en partie. Nombre des denrées dont il est question sont actuellement en culture. Notre mémoire à nous, producteurs de grains, ne se présente pas sous la même forme. Nous comprenons que le Sénat souhaitait entendre un point de vue sur les questions reliées au revenu, et nous voulions étudier ces questions avec et sans les filets de sécurité, pour ainsi dire. Je vais commencer par relater certains aspects du mémoire du BCAC, le B.C. Agriculture Council.

L'agriculture en Colombie-Britannique est diversifiée. Les terres agricoles sont extrêmement limitées, mais les fermes se classent dans toutes sortes de groupes. Nous avons une production extensive -- la production fourragère et l'élevage de bovins, et la production intensive -- la culture en serre et l'élevage du porc; et un climat côtier tempéré qui permet de cultiver des légumes, d'avoir des exploitations de petits fruits et d'élever du bétail. Le climat sec de la partie continentale nous permet de produire des raisins, des fruits arboricoles et des légumes de plein champ. Il y a aussi le plateau des hautes terres, qui sert de domicile à l'industrie du bovin et du mouton, et la prairie du Nord, où je cultive le grain et des semences fines.

La diversification de l'agriculture en Colombie-Britannique va même au-delà des terres agricoles elles-mêmes. Il s'y trouve d'autres types d'entreprises agricoles qui ne sont pas fondées sur la terre. L'aquaculture donne du saumon, de la truite et des crustacés et coquillages, et la production annuelle de saumon de pisciculture en 1997 présentait une valeur supérieure de 50 p. 100 à celle de la récolte de saumon sauvage. Les articles non alimentaires gagnent en importance et ajoutent à la diversité en Colombie-Britannique. C'est le cas notamment des plantations de peupliers hybrides, des cultures de pépinières, des cultures de chanvre et des cultures florales. Des récoltes herbales et médicinales ont également été introduites, notamment l'échinacée, l'argousier faux-nerprun et le ginseng, pour n'en nommer que quelques espèces récemment implantées. L'élevage exotique d'espèces comme l'émeu, l'autruche, le daim et le bison a maintenant sa place, alors que l'élevage des chevaux gagne également en importance au sein de l'économie agricole. Dans l'ensemble, la Colombie-Britannique produit plus de deux cents denrées. De fait, selon les estimations, cela approche maintenant les deux cent quatre-vingt.

J'espère que vous comprenez que je ne pourrai répondre à toutes vos questions sur toutes les denrées. L'agriculture en Colombie-Britannique a tendance à coûter plus cher et à être plus spécialisée que dans les régions concurrentes en Amérique du Nord. De ce fait, l'usage très efficace des intrants qui y est fait, par exemple, les aliments pour bétail, a tendance à être géré de façon très serrée. Par exemple, la production moyenne d'une vache laitière en Colombie-Britannique figure parmi les plus élevées qui soient dans le monde.

Le concurrence pour les terres arabes très limitées impose d'autres obstacles encore à l'industrie agricole. Parmi les usages en concurrence, citons l'aménagement urbain, l'exploitation forestière et les loisirs. Du fait de la diversité, des limites existantes et de la concurrence pour les terres agricoles, l'agriculture en Colombie-Britannique joue un rôle multifonctionnel sans pareil au Canada. Les avantages environnementaux et touristiques de l'agriculture dépassent peut-être la valeur des produits agricoles eux-mêmes. L'agriculture a une place spéciale dans la province.

Le Canada est «un saint dans un monde de pécheurs». L'agriculture canadienne figure parmi les moins subventionnées dans le monde, et la Colombie-Britannique est la province la moins subventionnée pour ce qui touche l'agriculture. En tant que pourcentage du PIB agricole provincial, les dépenses gouvernementales pour 1999-2000 représentent 15 p. 100 en Colombie-Britannique, 29,2 p. 100 en Alberta, 45,1 p. 100 en Saskatchewan et 20,8 p. 100 en Ontario.

Les agriculteurs de la Colombie-Britannique sont fiers d'être les moins subventionnés ainsi que les plus efficaces et les plus progressifs du monde. Tout de même, la réduction des fonds pour le programme financier et le développement des marchés s'est révélée extrême. La façon dont le gouvernement aborde la régulation de l'offre pose des difficultés. Il est temps que le gouvernement se penche sur ces questions de sorte que l'agriculture en Colombie-Britannique continue d'être un chef de file mondial tout en réduisant le fardeau financier et personnel qui est imposé à notre secteur agricole.

En Colombie-Britannique, des secteurs agricoles jadis fructueux se sont effondrés; et c'est le cas du porc, des canneberges, du ginseng, de l'oignon, du grain et des principaux secteurs de fruits et légumes arboricoles. Le prix du porc a connu un redressement ces derniers temps, mais le nombre de porcheries dans la province a chuté de presque la moitié en raison de la chute catastrophique des prix mondiaux. Les industries des fruits et légumes arboricoles ont souffert du fait que les gouvernements étrangers ne respectent pas les règles commerciales, et du dumping des surplus étrangers sur le marché mondial. Certains secteurs sont en péril, étant donné l'évolution des politiques intérieures, notamment en ce qui concerne le poulet et les produits laitiers.

Notre comité consultatif provincial de protection du revenu convient du fait que les trois principaux programmes agricoles sont les suivants: l'assurance-récolte, le Compte de stabilisation du revenu net (CSRN) et le Programme d'aide en cas de catastrophe liée au revenu agricole. Ces trois programmes sont reliés entre eux, et chacun est indispensable au succès des fermes. Nous avons recommandé des modifications et des améliorations à l'égard de ces programmes, à l'instar de la Fédération canadienne de l'agriculture et du comité consultatif fédéral de protection du revenu.

Nous proposons les modifications suivantes des filets de sécurité: les niveaux de soutien devraient être déterminés dans le contexte de programmes stables qui insistent sur le besoin, plutôt que sur le budget courant du gouvernement; les politiques provinciales de protection du revenu devraient être uniformes; les programmes gouvernementaux doivent venir à point nommé -- la situation de trésorerie est aussi grave que le problème des liquidités; et l'administration et la complexité des programmes de protection du revenu ne doivent pas empêcher une action rapide et résolue.

En résumé, l'agriculture en Colombie-Britannique produit des denrées plus diversifiées que celles de toute autre province canadienne. Les terres arables sont très limitées, et les usages différents qui peuvent en être faits sont des contraintes pour la production agricole en Colombie-Britannique. De façon générale, le coût des activités en Colombie-Britannique est plus élevé, compte tenu d'un fardeau réglementaire plus lourd, du coût du transport des aliments, d'animaux et d'autres facteurs. Les dépenses gouvernementales en tant que pourcentage du PIB agricole sont les moins élevées de toutes les provinces. En réaction, les cultivateurs ont privilégié la productivité, le rendement et la qualité.

Les guerres commerciales récentes et la diminution du prix mondial des denrées sont venus bouleverser la situation pour plusieurs des denrées de la Colombie-Britannique, notamment le grain, les cannneberges, le ginseng, le porc et de grands pans des industries des fruits et légumes arboricoles. Le recours au fonds d'aide en cas de catastrophe liée au revenu agricole et l'épuisement rapide des comptes à cet égard font bien ressortir les inégalités du commerce international. Le B.C. Agriculture Council est favorable à l'idée de modifier et d'améliorer les filets de sécurité financière, mais, d'abord et avant tout, il faut que le gouvernement fédéral cherche à égaliser les règles du commerce international. Les programmes de protection du revenu procurent la stabilité financière et la gestion des risques qui s'impose, mais les revenus agricoles sont actuellement si peu élevés que ces objectifs n'ont plus du tout de sens.

Je passe maintenant au mémoire de la B.C. Grain Producers Association. Dans notre aperçu, nous affirmons que les régimes de protection du revenu n'ont jamais été conçus en fonction des guerres commerciales ni des catastrophes qui s'étalent sur plus d'un an. Le gouvernement canadien doit bien comprendre que les fermes céréalières canadiennes sont en concurrence avec des fermes du monde entier, mais qu'elles ne peuvent affronter le Trésor de la Communauté économique européenne et des États-Unis. Le gouvernement canadien doit reconnaître les graves difficultés financières que connaissent les producteurs céréaliers dans tout le pays à cause des guerres commerciales, du déclin du prix des denrées et de l'augmentation des coûts de production.

Plus la situation perdure, moins l'agriculteur est en mesure de redresser la situation. Le gouvernement fédéral doit être conscient des dommages irréversibles qui sont en train d'être causés au secteur des grains et des oléagineux dans l'ouest du Canada. Il doit aussi reconnaître que 20 p. 100 des agriculteurs produisent 80 p. 100 de l'ensemble. Leurs besoins sont tout à fait différents de ceux des 80 p. 100 qui produisent 20 p. 100 de l'ensemble. C'est là une des questions clés dont il faut tenir compte au moment de discuter de l'effet d'une application générale des filets de sécurité aux différents producteurs dans le cas d'une même denrée.

Quant aux questions liées à un revenu agricole réduit, ou éliminé, les subventions étrangères se trouvent en tête de liste. La plupart d'entre vous ont entendu parler de M. David Cole. Selon lui, 43 p. 100 du revenu agricole net aux États-Unis proviennent de subventions gouvernementales, chiffre qui peut atteindre 90 p. 100 dans certains segments du secteur des grains dans le Midwest. Voilà un chiffre phénoménal.

Le coût de nos intrants est établi à partir de l'économie nord-américaine, alors que nos ventes reposent sur la capacité d'achat de pays en développement. Nous devons composer avec le taux de change pour l'achat des grands articles d'équipement. Il a été question des moissonneuses-batteuses plus tôt. La dernière moissonneuse-batteuse que nous avons achetée a coûté 250 000 $; l'échange sur le dollar américain a représenté environ 75 000 $. Tous les grands fabricants de machinerie agricole se trouvent aux États-Unis. Nous avons dû payer ce taux de change sur le dollar. La situation nous aide à vendre notre denrée, mais ce n'est pas utile lorsque la denrée subit les effets de guerres commerciales. Cela ne compense pas. Nos coûts sont toujours plus élevés.

Les taxes sur le carburant et sur l'engrais représentent une autre question encore. La question de l'imposition comporte des coûts visibles et des coûts cachés. Le coût du carburant pour les locomotives pourrait représenter un coût caché qui est refilé directement aux producteurs. Nous payons non seulement les taxes sur le carburant pour ensemencer, extraire et transporter jusqu'au silo, mais aussi le carburant pour le transport du produit jusqu'au marché.

Il y a aussi l'imposition du grand public, qui, à un moment donné, est refilée sous forme de coûts accrus aux producteurs. Nous appliquons toujours une politique d'aliments bon marché au Canada: le consommateur canadien consacre environ 10 p. 100 de son revenu aux articles alimentaires. C'est la proportion la moins élevée du monde, si je ne m'abuse.

Il y a l'effet d'accumulation des coûts de fret au fil des ans. Nous avons réduit les services ferroviaires comportant des droits de stationnement, perdu des ventes et augmenté les reports. Le service ferroviaire réduit à l'origine des droits de stationnement est une question plus importante qu'il peut y paraître au départ. Les bateaux arrivent au port, et nous versons des dizaines de milliers de dollars par jour pour des bateaux qui ne peuvent être chargés parce que ce n'est pas le bon grain qui se trouve au port ou parce que nous ne pouvons y acheminer le bon grain au bon moment.

À titre d'exemple de ventes perdues pour cette année, citons le cas du canola. Nous avons perdu le produit de la vente sur 200 000 à 400 000 tonnes. C'est l'Australie qui a saisi l'occasion. Non seulement, nous avons perdu cela durant la période de pointe des ventes de canola, mais aussi nous avons perdu un client éventuel parce que nous étions incapables de charger.

Je ne souhaite pas m'engager dans une discussion sur la Commission canadienne du blé, mais la situation s'explique en partie par le fait que la Commission avait encore trop de blé -- en moyenne 250 000 tonnes de plus que ce que pouvaient représenter ses ventes -- emmagasinées au port de Vancouver. Nous payons des frais d'entreposage pour le blé qui dort là.

Nous avons non seulement perdu ces ventes, mais aussi augmenté le report pour l'année prochaine de 200 000 à 400 000 tonnes justement. Cela exerce des pressions à la baisse sur le prix escompté du canola cette année. C'est pourquoi nous affirmons que la Commission canadienne du blé n'applique pas de véritable système d'approvisionnement sur demande. Notre organisation préférerait que la Commission canadienne du blé demeure au silo et qu'elle ne touche pas au transport. Les grains qui ne relèvent pas d'elle, sauf pour le cas de cette vente importante qui a été perdue, répondent généralement à la demande tout simplement. C'est de cette façon que le système devrait fonctionner. C'est pourquoi nous disons que la Commission canadienne du blé n'applique pas de véritable système d'approvisionnement sur demande.

Il y a aussi les catastrophes multi-annuelles qui causent ou éliminent le revenu agricole et les excédents mondiaux.

Quant aux filets de sécurité, nous ne souhaitons pas qu'un programme vienne combler les lacunes d'un autre. L'ACRA couvre les marges négatives du producteur qui aurait pu avoir une assurance-récolte. Cela s'applique particulièrement à la Colombie-Britannique, où nous avons un programme d'assurance-récolte de base qui est presque gratuit. Il faut 100 $ pour s'inscrire, puis 75 $ par denrée en vue de garantir 60 p. 100 du rendement moyen à long terme multiplié par 80 p. 100 du prix du marché.

C'est un programme applicable en cas de catastrophe. Il est probable que personne ne se trouve jamais dans cette position. En élaborant le programme d'assurance pour l'ensemble de l'exploitation agricole, nous avons discuté de divers scénarios. Si le producteur disposait de cette assurance-récolte de base, il n'accumulerait probablement pas une marge très négative. L'assurance-récolte le sortirait presque de la crise dans la plupart des cas.

Nous n'aimons pas voir des limites imposées, qui donnent au petit producteur le maximum, alors que le gros reçoit la même somme et rien de plus.Cela me ramène à la règle des 20-80. C'est une question délicate dont personne n'aime discuter. Le coût par acre du producteur est pratiquement le même qu'il cultive 100 acres ou 10 000 acres; néanmoins, la personne qui cultive 100 acres obtient le montant maximal, ce qui n'a rien à voir pour le producteur qui cultive 10 000 acres.

Nous ne devrions pas inviter ainsi les autres pays à appliquer des mesures de compensation pour ce qui touche les régimes de protection du revenu. Nous ne devrions pas créer de disparité entre les provinces, par exemple, en ce qui concerne les bovins ou les légumes -- là où une province ferait du dumping dans l'autre pour se débarrasser de son excédent.

Nous ne devrions même pas avoir de risque moral. C'est un objectif assez élevé, mais nous devrions prévoir cela et le régler à l'avance, plutôt que réduire un bon programme pour éviter cela. Le RARB en est un bon exemple. L'industrie des grains estimait que le RARB était un programme excellent qui avait bien fonctionné durant les quelques premières années. Durant les années subséquentes, les producteurs ayant trouvé une façon de faire jouer le programme en leur faveur, ils se sont retirés sans rembourser. Comme le programme devait reposer sur une bonne base actuarielle, les producteurs qui restaient ont dû supporter des coûts plus élevés pour rester inscrits. On a réduit le programme jusqu'au point où il n'avait plus de sens pour personne, plutôt que de régler la question du risque moral.

Le régime de protection du revenu ne devrait pas dissuader les gens de diversifier. Le problème de l'ACRA tient en partie à cela. Il dissuade le producteur de diversifier.

Nous souhaiterions que les liens entre les programmes d'un régime de protection du revenu soient forts. Il doit y avoir complémentarité. Nous souhaiterions même que les programmes soient harmonisés jusqu'à un certain point. Dans notre cas à nous, nous verrions un programme du genre du RARB avec le CSRN, du moins pour l'industrie des grains.

Nous aimerions qu'il y ait une limite, pas une limite réelle, mais plutôt une limite fondée sur l'unité de production appropriée, qu'il s'agisse du grain ou du porc ou de quoi que ce soit d'autre. Un montant d'argent limité pourrait être distribué par l'entremise d'un programme choisi qui comporte comme critère, pour prendre l'exemple du grain, les acres viables, plutôt que l'argent total compté par producteur. Le paiement devrait aller au producteur et non pas au propriétaire foncier qui brille par son absence. En Colombie-Britannique, c'est une question très importante. Une part énorme des terrains appartient à des intérêts étrangers. Au cours des années passées, les paiements étaient effectués, les chèques étaient préparés pour l'Allemagne ou pour un autre pays où réside le propriétaire. Ce n'étaient que des propriétaires fonciers étrangers. La personne faisant les travaux agricoles ne recevait pas de prestation.

Nous aimerions voir des programmes cohérents qui protègent le producteur contre des problèmes qui échappent à sa volonté, que ce soit attribuable à un temps inclément ou à des guerres commerciales. Comme je l'ai dit plus tôt, la combinaison actuelle de filets de sécurité ne tient pas compte des guerres commerciales.

Pour l'industrie des grains en Colombie-Britannique, nous aimerions voir, notamment, un programme du genre du RARB, axé sur les revenus bruts. Sans aucun doute, c'est en réaction aux prix plus élevés du marché qui ont cours en ce moment. Les programmes actuels ne nous permettent pas de couvrir le coût de nos intrants. Nous souhaiterions que ce programme soit administré de la manière la plus simple et la plus efficiente possible. C'est probablement un autre objectif élevé. Le programme ne devrait pas avoir pour effet de fausser les signaux du marché. Nous ne voulons pas que les agriculteurs essaient de cultiver des graines de tournesol dans un coin où ils devraient cultiver de l'orge fourragère ou quelque chose d'autre.

Nous devons nous conformer aux règles du commerce mondial, mais, dans le même ordre d'idées, il faut que le gouvernement canadien ait une position forte quant à l'effet de ces règles sur nous; il doit se présenter à la table de négociations en ayant à l'esprit de nous sauver, nous les producteurs.

Une des choses auxquelles les agriculteurs m'ont dit tenir le plus, c'est la clarté. Le RARB est l'exemple qui est revenu le plus souvent. Lorsque l'agriculteur s'engageait à l'égard du RARB, il fallait un paiement en espèces au départ. Les agriculteurs savaient ce que représentait leur prime puisque c'était versé en espèces, mais ils savaient aussi, en cas de catastrophe, à quoi pouvait ressembler leur indemnité. Avec ces programmes, parfois l'agriculteur n'est pas au courant, parce qu'il travaille à partir d'une marge valable pour les trois années précédentes et qu'il y a d'autres facteurs qui entrent en ligne de compte, si bien qu'il est difficile de déterminer exactement à quoi le chiffre ressemble.

Les agriculteurs m'ont aussi dit qu'ils aimeraient voir une protection des marges. Ce serait pour garantir un niveau de revenu viable. Ils disent cela parce qu'en ce moment, le prix est si bas qu'ils veulent s'assurer d'être en mesure, après avoir injecté 200 000 ou 300 000 $ dans les travaux au printemps, de récupérer au moins la majeure partie de la mise.

J'aimerais maintenant traiter de quelques-uns des programmes de base. Nous croyons savoir que, selon une enquête réalisée, 75 p. 100 des répondants ont affirmé que le CSRN était un compte d'épargne-retraite. Je n'ai pas vu la formulation exacte des questions, mais je me méfie un peu de cela. Je crois que l'on obtient la réponse que l'on veut bien obtenir en posant la question de la bonne façon. Il me semble que c'est là une proportion anormalement élevée de producteurs qui affirment que c'est un compte d'épargne-retraite.

Permettez-moi de parler de certaines des questions entourant le CSRN dont le gouvernement fédéral ne tient pas compte lorsqu'il étudie le programme. Une des questions en jeu, du moins en Colombie-Britannique, c'est que les producteurs contractent des emprunts en mettant leur compte du CSRN en garantie. S'ils ne touchent pas à leur compte du CSRN et le proposent à la banque en guise de garantie, ils peuvent obtenir un effet de levier plus grand que ce qu'autoriserait le seul montant dans leur compte du CSRN, compte tenu de l'état de leur ferme. L'argent n'est peut-être pas vraiment à leur disposition, mais il est là dans leur compte, et il entre dans le calcul que le gouvernement fait, comme si le producteur pouvait le retirer et s'en servir. Peut-être qu'ils se servent de cela, mais ce chiffre ne peut être établi avec certitude.

Permettez-moi de passer à une autre question. Les facteurs déclencheurs n'ont été modifiés que récemment, et je ne crois pas que nous ayons encore constaté tout l'effet de cette modification. Il est trop tôt.

L'âge moyen du producteur céréalier s'approche de 58, 59, 60 ans. Je peux vous en dire quelque chose, car au moment où je me suis lancé en agriculture, j'allais à diverses réunions et je regardais autour de la salle. J'étais le plus jeune producteur là. Je vais encore aux réunions et je suis toujours le plus jeune producteur dans la salle. Pour l'industrie des grains, ça fait peur. Nous avons beaucoup investi dans notre ferme, et je ne sais pas à qui je la vendrai, à moins qu'il s'agisse d'un étranger qui voudrait venir au pays pour acheter cette terre. C'est une question énorme.

Quelqu'un a dit, à un moment donné, qu'il n'est pas impossible que de grandes sociétés arrivent et achètent la Saskatchewan ou la région de Peace River en Colombie-Britannique, et c'est vrai. Cela coûterait peut-être quelques milliards de dollars bien sonnés, mais elles pourraient posséder toutes les terres qu'elles souhaitent. Il y a quelques années, j'aurais dit que c'était impossible, mais je ne suis plus de cet avis.

Passons maintenant à un des problèmes survenus dans notre coin en ce qui concerne le CSRN. Un des producteurs est venu comparaître devant le comité permanent de l'agriculture et de l'agroalimentaire de la Chambre des communes et a fourni des statistiques au comité en question, selon lesquelles pendant trois années consécutives, il a fait des bénéfices moindres ou perdu de l'argent; néanmoins, il a choisi de ne pas se prévaloir du CSRN. Nous en avons parlé plus tôt, aujourd'hui, avec la Fédération canadienne de l'agriculture. Nous ne comprenons pas pourquoi il ne s'est pas prévalu du CSRN, mais il y a certains éléments de ce programme qui sont à l'origine d'un tel choix.

Dans mon cas à moi, je me suis prévalu d'un petit paiement du CSRN. Celui-ci m'est parvenu 18 mois après la catastrophe qui nous a touchés. Je crois que c'était autour de 1 600 $. Ma facture d'engrais au 31 décembre s'élevait à plus de 100 000 $. J'ai dû prendre une décision d'affaires. En tant que producteur, je dois me considérer comme un homme d'affaires. Je n'adhère pas à la vision selon laquelle l'agriculture est un mode de vie. Je suis un producteur. Je suis un homme d'affaires. Travailler la terre est peut-être un mode de vie, tout comme être médecin ou même être sénateur. Tout est un mode de vie. Lorsque je me suis prévalu des 1 600 $ en question, j'ai dû étudier cela du point de vue des affaires. Le montant est arrivé 18 mois après le moment où j'en avais besoin. J'ai connu une année raisonnable l'année suivante. Si je prenais ces 1 600 $, je paierais à cet égard un taux d'imposition plus élevé, ce qui réduirait ma capacité d'atténuer un problème à l'avenir. J'ai donc choisi de laisser les 1 600 $ dans mon compte du CSRN. Le gouvernement m'a demandé pourquoi je n'ai pas retiré cet argent de mon compte du CSRN.

Le sénateur Oliver: Vous ne pouviez vous le permettre.

M. Smolik: Tout à fait. De toute manière, cela ne marchait pas en ma faveur. C'était une bonne décision du point de vue des affaires. Il y a beaucoup de problèmes du même genre concernant le CSRN, que bien des gens ne comprennent pas.

Un des problèmes du gouvernement fédéral, c'est qu'il généralise. Il dit qu'il se trouve trois milliards de dollars, ou quel que soit le montant, dans l'ensemble des comptes du CSRN, mais cela ne veut pas dire que tout cet argent est à la disposition de tous les producteurs. Dans l'industrie des grains, depuis un an, de nombreux agriculteurs ont retiré le montant intégral. Il faut un nombre considérable d'années pour accumuler la somme dans un compte, et si vous prenez tout en un an, c'est la catastrophe, mais dans un an ou deux, vous allez devoir renflouer le compte. Comment faire cela lorsque le prix de votre denrée est si bas que vous avez de la difficulté à régler les factures à la maison, sans compter mettre de l'argent de côté pour renflouer le compte du CSRN?

D'autres producteurs affirment qu'il nous faut ce compte du CSRN pour faciliter le transfert entre générations. M. Wellbrock dit que ses fils veulent être agriculteurs. Est-ce qu'il leur remet le compte du CSRN pour qu'ils continuent les travaux agricoles s'ils connaissent une mauvaise année, ou encore l'argent qu'il a mis dans le compte devrait-il lui revenir pour sa retraite? Beaucoup d'agriculteurs se débattent avec cette question.

Nous croyons que le CSRN est un excellent programme. Plutôt que de perdre le programme ou de voir les gouvernements proposer que nous le réduisions, ou que nous en retirions quelque chose, nous aimerions voir un système obligatoire de déclenchement qui ferait en sorte que l'argent soit retiré du compte. Tout de même, pour revenir à ce que je disais avant, nous aimerions que l'argent sorte plus rapidement. Il faut que les éléments déclencheurs soient extrêmement rapides, et il faut que l'argent soit comptabilisé pour l'année où la catastrophe a lieu, pour que nous puissions payer le taux d'impôt sur le revenu approprié sur cette somme.

Une autre question dont nous avons parlé, mais qui ne se retrouve pas dans le document, c'est la possibilité de renoncer à la prime de 3 p. 100 à l'égard d'une contribution gouvernementale libre d'impôts.

À ce moment-là, cela ne relèverait pas d'une décision d'affaires. Cela serait déjà compter en dollars après impôt.

J'ai siégé au comité permanent chargé de l'examen indépendant de l'assurance-récolte en Colombie-Britannique. Un groupe de consultants s'est chargé de l'examen. L'aboutissement de tout cet examen a été de dissocier la prestation de l'assurance-récolte de la province de la Colombie-Britannique. Jusqu'à maintenant, notre gouvernement provincial n'a pas agi en ce sens, et nous avons toujours le même programme d'assurance-récolte.

Par exemple, à notre ferme, les primes pour les garanties supplémentaires atteignent presque 50 p. 100. Cela donne à penser que nous aurions une perte tous les deux ans. Chez nous, il y a une bonne part des terres qui est consacrée aux graines fourragères et aux semences fines. Pour notre seule ferme, la prime représenterait 28 000 $ environ cette année. Cela nous assurerait pour 67 000 $ supplémentaires, en sus de l'élément de base de notre assurance. C'est la couverture supplémentaire. Si vous tenez compte de cela, vous regardez la situation et dites: «Premièrement, ma couverture maximale représente seulement 80 p. 100 du rendement moyen à long terme multipliés par 100 p. 100 du prix du marché. Je dois perdre la première tranche de 20 p. 100. Je mange cela. Je perds ensuite l'équivalent de ma prime de 28 000 $. Avant d'avoir reçu 10 cents de l'assurance-récolte, j'ai une perte totale de près de 70 000 à 80 000 $». C'est une question de rentabilité. Ma ferme n'est pas à ce point rentable que je peux me permettre de perdre de 70 000 $ à 80 000 $ avant de recevoir quelque chose de l'assurance-récolte. C'est en partie attribuable au prix des denrées de nos jours. Au prix où elles se vendent aujourd'hui, avec la couverture maximale applicable à notre ferme, soit 80 p. 100, je n'arrive pas à couvrir mes frais divers pour certaines denrées. Nos frais divers sont inférieurs à ceux de certains autres agriculteurs. Nous avons la chance de n'être pas fortement endettés. Pour ceux qui sont fortement endettés et qui doivent garantir cette dette, l'assurance-récolte n'est pas la solution.

En Colombie-Britannique, l'assurance-récolte peut représenter une piètre stratégie de gestion des risques. Je parle du cas où on opte pour la garantie supplémentaire et non seulement les garanties de base. Le fait de contracter la garantie supplémentaire pourrait, de fait, accroître votre risque. Nous voilà revenus à une décision d'affaires. Vaut-il mieux de nous assurer nous-mêmes, ou suis-je à l'aise à l'idée que ma ferme puisse perdre 70 000 $ à 80 000 $ avant que je ne touche de l'argent de l'assurance- récolte?

Pour parler maintenant du programme d'assurance de l'ensemble de l'exploitation agricole et du Programme d'aide en cas de catastrophe liée au revenu agricole, nous estimons que ces deux programmes ont été créés pour appuyer des denrées uniques durant des cycles abrégés où le revenu décline. Le porc en est un bon exemple. Le grain, quant à lui, est pris dans un long cycle où le revenu décline. À un moment donné, j'ai apporté à une réunion des tableaux que j'avais pris à la Bourse de Winnipeg. Pour la période allant de 1996 jusqu'au moment présent, on y voit un fléchissement ressemblant à un virage à 45 degrés vers le bas. On peut prendre le cas du canola, du blé, de l'orge, de l'avoine -- n'importe quel tableau fait l'affaire. C'est la direction que prend notre denrée. Si on envisage le fait que l'ACRA donne 70 p. 100 de la marge comptabilisée pour les trois années précédentes, pour chaque année, sans qu'il y ait de problème de gestion, ni de difficultés liées au temps, la marge sur trois ans continue de baisser. La couverture continue de s'amoindrir tous les ans, car nous vivons ce long cycle de déclin du revenu. D'un autre côté, cela a été excellent dans le cas du porc.

Je suis d'accord avec la méthodologie du programme en question si la denrée, déjà dans une position stable, se dirige vers un court cycle de déclin, comme cela a été le cas pour le porc. C'est un excellent programme. Il est possible que l'on puisse s'organiser pour qu'il fonctionne dans le cas du grain. Une possibilité serait d'adopter quelque chose comme la MMPP, la moyenne mobile pondérée des prix, qui a servi dans le contexte du RARB. Cela nous conduirait à ce que le prix devrait raisonnablement représenter. Enfin, c'est un terme relatif.

Selon l'avis général de l'administration du CSRN, cinq fermes céréalières canadiennes sur six ne sont pas admissibles à l'ACRA cette année, et c'était en l'an 1999. Il n'est pas question ici du revenu reporté, grande question pour les producteurs céréaliers dans notre coin de la province aussi bien qu'en Alberta et en Saskatchewan. Nous employons le report pour niveler notre revenu. Ce n'est pas différent de ce qui se passe dans le cas des autres programmes. Nous essayons d'éliminer les hauts et les bas de notre revenu. Parfois, nous reportons l'argent jusqu'à l'année suivante. Comme nous avons perdu la possibilité de l'étalement en bloc sur cinq ans, c'est une façon pour nous de régulariser l'impôt sur le revenu que nous payons. Le programme ne règle pas la question dans la mesure où le revenu reporté durant une année où l'on présente une demande de remboursement est éliminé comme revenu pour l'année en question, ce qui est juste, mais il n'est pas remis dans la marge pour les trois années précédentes, là où il devrait être. J'ai tout fait pour faire valoir ce raisonnement à notre comité provincial, mais je me suis toujours heurté à un mur.

L'Albertain Wayne MacDonald, concepteur du FIDP, a affirmé que cela pouvait se faire, mais que les gouvernements ne voulaient pas le faire parce que les agriculteurs ne tiennent pas bien leurs livres. Il a dit qu'il n'y avait pas suffisamment d'agriculteurs qui tenaient leurs livres assez bien pour que cela en ressorte. Cela nous ramène à la règle des 80-20. On pourrait régler cela, mais on choisit de ne pas le faire. À notre ferme, en 1997, nous avons présenté une demande de remboursement dans le contexte du programme d'assurance de l'ensemble de l'exploitation agricole. En raison de la question du revenu reporté, nous avons reçu 30 000 $ de moins que nous aurions reçu si le programme mettait l'argent là où il doit être.

Encore une fois, le WFIP n'est pas conçu pour l'expansion ni l'innovation. Dans sa forme actuelle en Colombie-Britannique, il est trop étroit. Il exclut les agriculteurs qui ont consacré de l'argent et de l'énergie à la diversification et les pénalise pour l'innovation dont ils ont fait preuve. Pour celui qui s'est mis à élever le porc ou des bovins ou autre chose, ce secteur compensera les pertes subies dans l'autre secteur.

La ferme familiale, dans la majeure partie de l'ouest du Canada, vit une situation de crise. Elle se trouve à un carrefour. À moins que des changements significatifs ne soient apportés bientôt, des dommages irréversibles seront peut-être causés à un grand nombre de collectivités rurales et à l'industrie des grains et des oléagineux dans son ensemble. Ce serait une perte énorme, surtout que tout l'établissement et toute l'édification de l'économie de l'ouest du Canada se sont faits sur le dos des familles d'agriculteurs. Voilà une affirmation brutale, encore une fois, mais nous sommes d'avis que c'est rigoureusement vrai.

Le président: Merci d'avoir présenté cet exposé.

Le sénateur Wiebe: Quelle est votre définition de la «ferme familiale»?

M. Smolik: Le terme ne peut être défini. Dans notre coin du pays, nous avons une ferme familiale de 6 000 acres où il y a le père, trois fils et la femme. Il y a d'autres fermes familiales qui cultivent 200 acres. Ce ne sont pas des fermes familiales très viables, mais ce sont tout de même des fermes familiales. La définition d'une «ferme familiale» est une question clé pour l'étude des programmes de protection du revenu. Plutôt que d'essayer de décrire une «ferme familiale», j'aimerais mieux envisager une unité économique viable.

Le sénateur Rossiter: Comment Revenu Canada définit-il «ferme familiale»?

M. Smolik: En ce moment, si votre revenu agricole brut atteint 10 000 $ par année, vous êtes considéré comme un agriculteur.

Le sénateur Wiebe: Ma question suivante porte sur certaines des observations que vous avez formulées tout au long de votre exposé concernant les 20-80; c'est-à-dire que 20 p. 100 de nos agriculteurs sont à l'origine de 80 p. 100 de nos produits. Cela me pousse à poser la question suivante. Je ne veux pas présumer de votre réponse, mais diriez-vous que cela veut dire que le soutien devrait être dirigé vers les 20 p. 100 d'agriculteurs, plutôt que les 80 p. 100?

M. Smolik: Je savais que vous alliez poser cette question. On me donne à croire que ce chiffre se rapproche maintenant de 10 p. 100, plutôt que 20, ce dont il faut discuter.

La Saskatchewan et le Manitoba ont reçu 400 millions de dollars. Ils disposaient d'un montant limité d'argent, et ils voulaient le distribuer de manière équitable. Ils ont pris pour critère le compte de la personne, avec 10 p. 100 de cela, jusqu'à concurrence de 12 500 $. Lorsque vous donnez les 12 500 $ à un producteur qui cultive 500 acres, vous lui donnez l'indemnité maximale. Or, son voisin cultive 5 000 acres. Ses terres sont dix fois plus grandes, ses travaux coûtent dix fois plus cher, il faut tout multiplier par dix. S'il perd, il perd dix fois plus. Par contre, l'indemnité maximale a laquelle il a droit n'est, encore une fois, que de 12 500 $. Est-ce juste envers le producteur?

Dans toute cette discussion, il faut se poser la question suivante: quel est l'avenir de l'agriculture? Si le gouvernement fédéral détermine que l'avenir de l'agriculture se trouve chez les 80 p. 100 qui sont à l'origine de 20 p. 100 des produits, alors les 20 p. 100 qui sont à l'origine de 80 p. 100 des produits sont foutus. Ce sont des hommes d'affaires. Ils ne sont pas différents des autres. S'ils voient qu'ils vont perdre de l'argent, ils aimeront mieux vendre la ferme et aller travailler dans un champ de pétrole et toucher un revenu deux ou trois fois plus élevé que ce que leur procure l'exploitation agricole.

Ce sont des questions importantes. On peut avancer que l'agriculture est un «mode de vie» pour les 80 p. 100 qui sont à l'origine de 20 p. 100 seulement des produits. Si nous élaborons des programmes pour les 80 p. 100 en question, ceux-ci ne seront-ils encore que d'autres programmes sociaux?

D'une façon ou d'une autre, nous devons déterminer comment nous allons venir en aide à ces agriculteurs. Si vous disposez d'une somme d'argent limitée, nous vous proposons d'appliquer une formule: par exemple, dans le cas du grain, ce sera tel montant l'acre. Prenez cette somme d'argent limitée, divisez-la par le nombre d'acres et remettez l'argent aux producteurs en fonction de la formule en question. S'il s'agit de porcs, divisez la somme d'argent limitée par le nombre de porcs chez chaque producteur et remettez l'argent au producteur en fonction de cette formule.

Le sénateur Wiebe: Ma dernière question concerne l'observation selon laquelle l'agriculture devrait être vue non pas comme un mode de vie, mais plutôt comme une entreprise. En Saskatchewan, tout politicien qui ferait une telle remarque ne serait pas perçu de manière très favorable. Si le comité en arrive à cette recommandation, est-ce que votre organisation continuerait de l'appuyer dans toute la controverse qui nous entourerait alors?

M. Smolik: Comme je l'ai dit, il s'agit ici de discuter des choses. Il faudra régler la question un jour. Si vous faites partie des 20 p. 100 qui produisent la majeure partie des denrées, vous auriez l'impression de n'être pas traité équitablement, puisque les 80 p. 100 qui restent ne sont pas viables. Pourquoi voudriez-vous encourager les autres producteurs, qui ne peuvent faire de l'argent, à demeurer en affaires?

Notre organisation estime qu'il nous faut les deux: le producteur des 20 p. 100 et le producteur des 80 p. 100. Nous devons maintenir les deux au pays. Cela a trait à la façon dont le Canada s'est édifié. Toutefois, nous devons aussi reconnaître dans le contexte des programmes que même s'ils produisent les mêmes denrées, ces deux groupes distincts de producteurs ont des besoins tout à fait différents. Nous ne pouvons toujours avoir un seul et unique programme qui couvre l'industrie entière.

Nous avons essayé cela chez nous. La Colombie-Britannique est l'exemple patent. Nous avons plus de 200 denrées. Lorsque le gouvernement essaie de concevoir une solution tous azimuts en Colombie-Britannique, cela ne fonctionne pas. Une des questions en jeu concerne la Farm Practices Protection (Right to Farm) Act. Cette loi a été conçue pour la partie sud de la province, mais elle nous touche, nous, dans la partie nord. Cela ne devrait pas arriver: nous ne vivons pas les mêmes pressions que les gens du Sud.

En tant qu'organisation, nous devons envisager non pas forcément le ciblage, mais plutôt une méthode quelconque pour instaurer une plus grande équité parmi les producteurs.

Le sénateur Chalifoux: J'étais à Grande Prairie il y a quelques mois pour prendre la parole devant le Northern Alberta Development Council. Il s'y trouvait un certain nombre d'agriculteurs du nord de la Colombie-Britannique. Dans ce coin du pays, on ne peut dissocier cette partie de l'Alberta de Dawson Creek et de la Colombie-Britannique. Les agriculteurs de la Colombie-Britannique et les agriculteurs du nord de l'Alberta affirmaient, premièrement, que l'absence de consultation de la part du gouvernement fédéral au moment de la négociation avec la Saskatchewan et le Manitoba les mettait en colère. C'était la première plainte. Deuxièmement, la sécheresse fait mal. Nous en sommes maintenant à la quatrième année de sécheresse. Les agriculteurs dans le Nord ont droit à très peu d'aide. Troisièmement, ils ont soulevé la question du transport et du coût élevé du transport depuis la Colombie-Britannique, là où on ne recourt pas au port de Prince-Rupert.

Avez-vous une opinion sur ces questions?

M. Smolik: Concernant la consultation au sujet des 400 millions de dollars qui ont été distribués, nous avons eu droit à des versions variables de ce qui s'est passé. Nous avons entendu dire que l'Alberta a quitté la table essentiellement au moment de l'annonce. Nous avons entendu dire que le gouvernement fédéral essayait de faire pencher la Saskatchewan de son côté seulement à cause de ce qui se passe dans le domaine des soins de santé à l'approche d'élections possibles. Nous avons entendu toutes les raisons possibles pour expliquer ce qui s'est passé.

Nous ne savons toujours pas si notre ministre de l'Agriculture était à la table de négociations ou non. Je me suis adressé par écrit au ministre au moment où cela a été annoncé. Il a répliqué illico pour dire que son ministère voulait entamer les pourparlers immédiatement, mais qu'il y avait l'autre question des allocations de l'enveloppe fédérale pour la protection du revenu à ce moment-là. C'est peut-être une des raisons principales pour lesquelles notre ministre n'a pas défendu la cause aussi vivement qu'on aurait pu le croire.

Nous ne sommes pas très sûrs de la façon dont tout cela s'est produit. Pour ce qui est du changement de l'allocation pour la protection du revenu, notre position, c'est que c'est ce que souhaitait la Colombie-Britannique. Plutôt que de perturber les négociations, nous avons accepté le changement de l'allocation en premier, en tant que province. S'il devait y avoir une quelconque parité du côté de l'industrie des grains, cela proviendrait d'une façon ou d'une autre du changement de l'allocation.

Le sénateur Chalifoux: Et les questions liées au transport?

M. Smolik: La situation a déjà été décrite. Le système d'élévateurs, et c'est bien légitime dans le cas du Nord, veut dire que nous devons avoir plus de transport par camion, mais on a déjà dit que les routes en Saskatchewan sont terribles. Nous faisons rouler des «Super B» jour et nuit sur ces routes, qui n'ont jamais été conçues pour cela. Il y en a qui transporte 44 tonnes d'un seul coup. La nuit, sinon au moment où il n'y a pas de plate-forme de pesage, les «Super B» transportent probablement 50 ou 60 tonnes. Tout le monde est poussé jusqu'à la limite extrême et travaille le plus fort qu'il peut.

Quant à la rationalisation du système d'élévateurs dans notre coin, on est rendu à une sorte de super terminal, une sorte de silo terminal de l'intérieur. On s'éloigne des petits silos régionaux. C'est en partie attribuable aux coûts, car celui qui garde ouvert un grand nombre de silos paie cher.

En agriculture, il y a une rationalisation qui touche les agriculteurs et qui se fait aussi à l'intérieur des entreprises. Les entreprises ont un bénéfice à protéger et c'est comme cela qu'elles fonctionnent. Lorsqu'elles recourent aux trains-blocs, elles économisent de l'argent. Comme M. Wellbrock l'a dit, le changement d'un wagon en six à dix minutes permet de déplacer beaucoup de grains et de s'assurer que les silos ne sont pas bloqués. Voilà qui rend les agriculteurs heureux.

Le transport est une pilule qu'il n'est pas toujours facile à avaler, mais, pour l'avenir, voilà la bonne chose à faire.

Vous savez peut-être qu'il y a, près de Tumbler Ridge, une mine de charbon que l'on est en train de fermer. Les changements énormes de charbon à destination du Japon, il n'y en aura plus. Prince Rupert est un port incroyable pour les questions environnementales. Les eaux sont profondes, et il y a de la place pour l'expansion. Du point de vue de la navigation, il faut deux jours de moins pour se rendre au Japon. Tout de même, lorsque le port a été annexé par la ville de Prince Rupert, ils ont commencé à assumer les coûts, et cela a fait monter les frais de transit pour ce port. Cet élément de la question des transports doit être examinée et rationalisée, et rendue viable.

Le président: La Colombie-Britannique passe-t-elle toujours par la Commission canadienne du blé pour mettre en marché son blé, notamment son blé dur?

M. Smolik: Nous ne cultivons pas de blé dur. Nous cultivons du blé roux, du blé fourrager et du blé «extra fort». Il est commercialisé par l'entremise de la Commission canadienne du blé, à moins qu'il ne soit destiné à l'alimentation des animaux. À ce moment-là, il est acheminé au marché fourrager.

Le président: C'est la même chose que dans l'ouest du Canada?

M. Smolik: Oui.

Le sénateur Chalifoux: J'ai une question supplémentaire concernant la Commission canadienne du blé. Celle-ci a été établie durant les années 30, à l'époque où on en avait vraiment besoin. À votre avis, la Commission du blé devrait-elle rester ou évoluer?

M. Smolik: J'ai toujours appuyé vivement la Commission canadienne du blé. C'est en partie à cause de la situation où nous vivons. Nous avons été incapables de mettre notre produit en marché tout simplement parce que nous sommes loin du port.

La Commission canadienne du blé est née il y a bien des années et, malheureusement, elle n'a pas évolué de pair avec le marché. L'absence de changement ou le changement insignifiant est aussi mauvais que le changement draconien. Nous sommes en faveur du changement. Nous préférions que la Commission soit présente au silo, mais qu'elle ne touche pas à la question des transports. La vente perdue de canola est un facteur important dans cette nécessité de changement.

Le président: Qu'advient-il du prix de votre terre? Vous vous êtes demandé si vous alliez même trouver un acheteur. Le prix du terrain baisse-t-il? Dans certains cas, dans les basses terres continentales, je suppose que l'immobilier fait monter les prix à des niveaux exorbitants.

M. Smolik: Tout à fait.

Le président: Je m'entretenais avec l'ex-sénateur Eugene Whelan l'autre jour. Son voisin en Ontario a vendu une partie de ses terres pour 10 000 $ l'acre. Cela n'arrive pas en Saskatchewan ou au Manitoba. Je doute que cela arrive là où vous avez votre ferme.

M. Smolik: Non, cela n'arrive pas. Les terrains les plus chers dans notre coin se vendent 500 à 600 $ l'acre. Et le seul terrain vendu à ce prix passe par l'un des plus gros agriculteurs de notre région, qui est également propriétaire de l'une des plus grandes entreprises indépendantes de construction dans le monde. Il achète des terres partout. Je ne sais pas si c'est pour une déduction fiscale ou pour un rêve qu'il a toujours caressé. Si on s'éloigne des terres de première qualité, plus le prix est bas.

Le président: Est-ce que nous nous dirigeons vers une situation à l'américaine où une seule personne -- je crois que c'est Turner -- est propriétaire de milliers et de milliers d'acres? Croyez-vous que cela est en train d'arriver au Canada?

M. Smolik: Il y a quelques années, quelqu'un a laissé entendre qu'une personne pourrait venir acheter la Saskatchewan. Cela m'a rappelé la fois où mon père a dit que l'affirmation selon laquelle l'homme pourrait marcher sur la lune était considérée comme une blague de la presse libre. Or, il n'est plus exclu qu'une société multinationale puisse faire cela. Cela suppose des milliards de dollars, mais, une fois qu'elle peut dicter le prix, cela a du bon sens pour elle du point de vue des affaires. Je ne dis pas que cela va vraiment arriver.

Le président: À 50 milles environ au nord de notre ferme, un quart de section coûte 40 000 $. Donc, un peu plus de 20 000 $US. C'est un marché favorable à l'acheteur, pour tout investisseur qui souhaite contrôler l'industrie mondiale des grains.

Le SARM et Sinclair Harrison ont soulevé ici même la question de la propriété étrangère et des lois de la Saskatchewan qui, par le passé, ont restreint les intérêts étrangers. Le gouvernement du Canada devrait examiner la situation nationale.

M. Smolik: Je ne propose pas que nous envisagions des restrictions de la propriété étrangère ou des questions de ce genre. L'âge moyen d'un producteur céréalier est de 58 ans. S'il veut prendre sa retraite, il a peut-être besoin de vendre la ferme en prévision de sa retraite. Est-ce que nous l'envoyons à l'aide sociale ou est-ce que nous lui permettons de continuer à travailler la terre?

Le président: Je comprends cela. Par ailleurs, il y a le risque que le sol canadien échappe aux Canadiens eux-mêmes.

M. Smolik: Tout à fait.

Le président: En tant que pays, nos gouvernements doivent examiner la situation réelle à laquelle font face les agriculteurs.

M. Smolik: C'est pourquoi, dans la partie du mémoire qui est celle des producteurs céréaliers, nous proposons que le gouvernement saisisse bien les dommages que cela cause quotidiennement. La faille s'élargit. La capacité qu'on les producteurs canadiens de se remettre sur pied est amoindrie d'année en année. Bientôt, les producteurs canadiens seront tout à fait incapables de s'en remettre.

Le président: Merci d'être venu témoigner.

Je tiens à corriger un fait. Le programme d'assurance-récolte de la Saskatchewan qui s'applique en ce moment n'autorise pas le versement de 12 500 $. La limite admise est de seulement 7 500 $. L'agriculteur moyen touchera environ 3 500 $, au plus.

M. Smolik: L'indemnité maximale représentait 10 p. 100 du revenu des trois années précédentes, en prenant pour critère un chiffre d'affaires maximum admissible de 125 000 $.

Le président: C'est 6 p. 100 de 125 000 $.

M. Smolik: Vous me pardonnerez mon erreur.

Le président: Ils ont changé le ratio en Saskatchewan. Je ne sais pas ce qui en est du Manitoba.

M. Smolik: Le chiffre dont on nous a fait part est de 10 p. 100 du maximum, soit 125 000 $.

Le président: Je ne connais pas un agriculteur qui ait reçu cela encore. La réalité, c'est que toute somme d'argent versée ou à verser ne couvrira pas le coût du carburant qu'il faut payer.

M. Smolik: Nombre de producteurs se demandent si ce sera simplement une réduction de leur paiement dans le cadre de l'ACRA, ou même s'ils sont admissibles à l'ACRA. C'est une autre question que le gouvernement fédéral doit éclaircir.

Le président: Je tiens à vous remercier d'être venus témoigner ici aujourd'hui. C'est apprécié. Veuillez accepter nos meilleures salutations.

Sénateurs, nous accueillons maintenant notre dernier témoin, qui n'est pas du tout étranger au comité, M. Jack Wilkinson.

M. Jack Wilkinson, président, Fédération de l'agriculture de l'Ontario: J'aimerais dire quatre choses importantes au comité. Premièrement, cette histoire des revenus n'est pas le propre de l'ouest du Canada, même si c'est souvent signalé comme cela par la presse et, souvent, par les politiciens.

Deuxièmement, le Canada a les moyens d'appuyer sa communauté agricole plus qu'il ne l'a fait par le passé. Bien des gens comparent le Canada aux États-Unis avec des statistiques que l'on brandit au sujet des États-Unis et de l'Europe. Les gens disent qu'on ne peut simplement pas faire cela ici. Je crois que les statistiques indiquent autre chose.

Troisièmement, la nourriture est incroyablement bon marché au Canada. Même si on ajoute les mesures d'aide gouvernementale au revenu disponible net consacré à la nourriture, c'est au Canada que c'est le moins cher dans le monde. Je ne crois donc pas qu'il n'y ait de résistance aux mesures d'aide de la part du consommateur.

Quatrièmement, le problème est loin d'être résolu. Il n'y a pas suffisamment d'argent dans le budget actuel pour régler le problème. Si nous croyons avoir des difficultés aujourd'hui, je crois que les statistiques monteront que l'avenir est encore plus sombre et que le problème ne va pas disparaître, du point de vue du Canada rural.

Revenons au début. Souvent, on nous donne des statistiques concernant la Saskatchewan et le Manitoba, statistiques que je connais très bien. D'aucune façon je ne voudrais faire semblant que nous sommes plus mal pris en Ontario et que, de ce fait, l'argent ne devrait pas aller à l'Ouest. Tout de même, il est clair que si nous souhaitons trouver une solution au problème, nous devons regarder les statistiques de toutes les régions du pays, puis nous interroger sur la façon d'aborder la situation.

Pour être franc, lorsqu'on a annoncé à la réunion de la Fédération canadienne de l'agriculture que des mesures supplémentaires d'aide étaient prévues pour la Saskatchewan et le Manitoba, toutes les personnes présentes étaient heureuses, mais, à certains égards, nous étions déçus d'apprendre que l'argent n'avait pas été mis dans un filet de sécurité qui aurait élevé la barre pour tout le monde, qui aurait été une solution positive pour la Saskatchewan et le Manitoba et les autres régions où il y a des difficultés.

J'aimerais vous donner des chiffres. L'annexe à mon mémoire comprend les chiffres sur l'ensemble des programmes gouvernementaux appliqués en Ontario. Le revenu agricole net pour l'an dernier s'élevait à 281 millions de dollars. La production ontarienne s'élevait à 6,9 milliards de dollars. L'Ontario a la meilleure production agricole de toutes les provinces du Canada et présente un revenu agricole net, en comptant toutes les mesures d'aide gouvernementale, de 281 millions de dollars, ce qui est nettement inférieur à ceux de la Saskatchewan, du Manitoba, du Québec et de l'Alberta.

Je veux dire qu'il existe des problèmes de revenu très graves en ce qui concerne la régulation de l'offre et la stabilité que cela procure à la production ontarienne. Si on ajoute le revenu, l'Ontario est toujours derrière la Saskatchewan, au bout du compte. Les chiffres montrent que le gouvernement fédéral doit regarder le pays en entier lorsqu'il essaie de régler le problème.

Cette annexe donne à voir qu'il faut remonter à 1973 pour trouver un revenu agricole net moins élevé en Ontario. Voilà un scénario ahurissant. Il faut remonter trente ans pour trouver un revenu net qui est moindre. Clairement, il y a un problème de revenu dans notre province à nous aussi. Espérons que le Sénat regardera le pays au moment d'envisager des solutions et qu'il élèvera la barre des dépenses de façon générale.

Ensuite, pour parler du problème canadien en général, je vais citer un concept qui nous vient du Québec. La référence se trouve au troisième paragraphe de la première page du mémoire. Nous entendons souvent parler des 22 milliards qui sont dépensés aux États-Unis et des sommes incroyables qui sont investies en Europe. Le ministre de l'Agriculture, et nombre d'autres personnes, affirme malgré tout que nous n'avons pas les moyens d'adopter les mesures d'aide qui s'appliquent aux États-Unis. En fait de dollars bruts, c'est probablement une affirmation tout à fait exacte.

L'UPA, l'Union des producteurs agricoles du Québec, a étudié les chiffres de l'OCDE pour ventiler, par habitant, les dépenses consacrées à l'agriculture. C'est une belle façon de rationaliser le fait que votre pays a 30 millions de dollars, leur pays en a 300 millions et ce pays-là en a 400 millions. En eux-mêmes, les chiffres ne se prêtent pas à une comparaison intelligente. Toutefois, si vous établissez le montant par habitant dans chacun des pays, vous voyez ce que dépense la personne en subventions au monde agricole.

Les statistiques de paiement par personne consacré aux subventions agricoles sont assez intéressantes. Au Canada, cela représente 140 $ par habitant. Au sein de l'Union européenne, cela s'établit à 381 $ par habitant. Aux États-Unis, le chiffre est de 363 $. Au Japon, c'est autour de 300 $.

Cela n'aurait de sens que si nous étions d'avis que notre économie au Canada est trois fois plus faible que celle des États-Unis. De fait, si nous regardons les dépenses par habitant, la question ne concerne pas la capacité qu'a le gouvernement canadien d'appuyer le monde agricole: c'est la volonté politique, à notre avis, qui fait défaut. C'est la question à laquelle les politiciens doivent trouver une réponse et que les gens doivent soulever. Ce chiffre-ci n'est là que pour démythifier le débat sur les dépenses par habitant, qui tient pour acquis que nous n'avons pas les moyens de faire cela. Demandons-nous donc s'il y a la volonté de régler le problème des revenus partout au pays et oublions l'argument économique.

L'autre point que je veux soulever concerne la valeur en dollars. Un grand nombre de consommateurs diront, à juste titre, lorsqu'ils arrivent à l'épicerie: «Je paie cher ma nourriture.» Je crois qu'on ne se trompe pas en disant que les gens connaissent très peu la part qui va à l'agriculteur. C'est compréhensible; le consommateur ne gagne pas sa vie avec l'agriculture. Il remplit son chariot, et cela semble être beaucoup d'argent qu'il doit remettre à la caisse.

Les chiffres sont de nature à inquiéter. Le Canada, selon une étude du département américain de l'Agriculture, est l'endroit dans le monde où la part du revenu disponible net consacrée à la nourriture est le moins élevée. Cette statistique a déjà été soulevée. Nous sommes rendus à 9,9 p. 100. Le pays qui vient derrière nous est à 10,45 p. 100. J'aimerais comparer ces 9,9 p. 100, le chiffre le plus bas, aux 140 $ par habitant que nous consacrons à la nourriture au Canada, et les 10,45 p. 100 avec les 363 $ consacrés par habitant à la nourriture. De manière générale, il semble que le consommateur canadien ne se fait pas voler, quels que soient les chiffres que l'on prend, lorsqu'il passe à la caisse pour payer sa nourriture.

Pour être bien franc, à mon avis, lorsque la situation est expliquée de cette façon, le consommateur n'a aucune difficulté à dépenser cet argent s'il croit que celui-ci ira aux producteurs. Il serait prêt à essayer de maintenir l'intégrité du Canada rural et de l'Ontario rural. Ils ne manifestent aucune mauvaise volonté substantielle lorsqu'il s'agit d'offrir leur aide, à condition qu'ils soient certains que l'argent parvienne aux fermes familiales.

En outre, qu'est-ce qui a entraîné la chute des coûts? Comme M. Wellbrock et d'autres intervenants l'ont indiqué, les agriculteurs de notre pays sont devenus très efficients, tout comme l'industrie de la transformation. Au cours des dernières années, nous avons continuellement diminué la part du revenu net disponible qui est consacrée à l'alimentation, ce qui est un avantage pour le consommateur. Cependant, cela n'a pas beaucoup aidé l'agriculture pour ce qui est de son revenu net.

Une foule de raisons expliquent cette situation, notamment la concertation de l'industrie, les politiques d'établissement des prix, et de nombreux autres facteurs dont nous ne pouvons discuter aujourd'hui. Ce n'est pas en diminuant les coûts de revient des agriculteurs qu'on réglera le problème. Les chiffres montrent que, chaque fois qu'une telle diminution survient, les prix sont de plus en plus bas pour le consommateur, mais cela n'augmente pas nécessairement beaucoup la rentabilité nette de l'entreprise agricole lorsqu'on procède à une ventilation. Nous devons examiner un moyen d'équilibrer tout ça un peu mieux.

L'autre question que j'aimerais soulever est la suivante: y a-t-il suffisamment d'argent dans le système présentement pour aborder les préoccupations futures sans un degré intensif de rationalisation? Les prévisions le prouvent. Elles font partie de mon document. On prévoit, pour notre province, une modeste augmentation du revenu agricole net au cours des prochaines années. Cependant, ce revenu chutera de nouveau, comme l'indiquent les estimations de l'annexe. Il est juste d'affirmer qu'il s'agit d'un problème national.

Avec un peu de chance, nous effectuerons certains gains sur le plan commercial afin de nous débrouiller avec les subventions, ce qui pourrait quelque peu modifier la situation. Comme la température peut toujours modifier les circonstances dans un marché mondial, on ne sait jamais avec certitude quel sera le rendement. Toutefois, le comité consultatif national sur la protection du revenu voulait obtenir le soutien du gouvernement fédéral, afin que son budget soit augmenté de 1,1 milliard de dollars à au moins 1,4 milliard de dollars. Certaines estimations portent à croire que cette situation pourrait même se révéler pire.

Selon certaines rumeurs, le programme d'aide aux sinistrés ne disposerait pas de suffisamment de ressources pour répondre à la demande, même pour l'année 1999. Selon le dernier protocole d'entente intervenu entre le gouvernement fédéral et les provinces, le montant de 1,1 milliard de dollars n'a pas été modifié, mais on a transféré 65 millions de dollars du programme d'aide aux sinistrés pour financer une aide de base. Au total, les chiffres demeurent les mêmes, ce qui nous préoccupe, car on doit aborder cette question avant l'an 2000.

Si je peux me permettre un commentaire au sujet des propos de l'intervenant précédent, avant de décider si nous devrions cesser de soutenir le mode de vie des agriculteurs ou les personnes qui touchent les revenus substantiels à l'extérieur de la ferme, nous devons examiner la façon dont les programmes actuels fonctionnent. Je ne suis pas encore convaincu qu'il s'agit d'une mauvaise combinaison. Par exemple, on verse dans le CSRN les ventes admissibles nettes, une cotisation de 3 p. 100 de l'agriculteur, jumelée à un montant de 3 p. 100 des deux ordres de gouvernement. Plus les ventes sont élevées -- et je reconnais qu'il y a un plafond -- plus la cotisation du contribuable est justifiée. Pour un agriculteur traditionnel qui vend 10 000 $ de produits par année, 3 p. 100 de ventes admissibles nettes correspond à un montant très peu élevé. Celui qui produit le plus de volume recevra la plus grande part du soutien en dollars, même si le pourcentage est le même.

En ce qui concerne la question de l'assurance-récolte, il existe clairement un programme, même s'il contient certains montants maximaux; plus votre entreprise est grande, plus vous recevrez de soutien grâce à l'argent des contribuables versé sous forme de subvention accordée à l'assurance-récolte. Encore une fois, même si le programme n'est pas parfait, plus l'exploitation est grande -- on répond aux unités économiques plutôt que, dans la plupart des cas, d'imposer un plafond.

Il en va de même pour le Programme de secours en cas de catastrophe. Encore une fois, il y avait un plafond, qui variait selon la province, d'environ 175 000 $; il est différent d'une province à l'autre. Si, dans le cadre de ce programme, votre période de référence correspondait à 10 000 $, et que vous glissiez à 5 000 $, vous ne receviez que 2 000 $. Certains gros producteurs reçoivent le maximum de 175 000 $. Je sais que certains producteurs seront encore plus gros.

Parfois, ce genre de nouvelles se répand assez rapidement. On présume que tout ce qu'on a est mauvais et que tout ce qu'on ne connaît pas encore est bon. Toutefois, nous devrions peut-être considérer la façon de réparer et d'améliorer ce que nous avons et examiner si nous pouvons y faire quelque chose. Peut-être que je me sens particulièrement concerné à ce sujet, parce qu'à titre de président de la FCA, je crois que nous avons consacré de nombreuses années à essayer de concevoir un programme de filet de sécurité. Il n'est peut-être pas parfait, mais je n'ai pas eu vent d'idées suprêmement brillantes qui me convaincraient que nous devrions repartir de zéro.

En conclusion, voilà quelles étaient mes quatre points. Il s'agit d'un problème national. Nous n'avons pas encore suffisamment d'argent pour le régler. Tout indique que les contribuables tirent profit de la situation, en tant que consommateurs d'aliments, malgré le soutien supplémentaire qu'ils procurent.

Le président: J'ai une question qui me préoccupe depuis que nous nous sommes rencontrés ici, il y a environ un an et demi ou deux ans, à propos du programme ACRA. Dans notre ferme, et dans les régions agricoles qui ont été victimes de sécheresse, il se trouve que nous avons subi une tempête de grêle qui a détruit les récoltes. Notre assurance-récolte nous a versé l'équivalent d'environ 35 p. 100 de nos pertes. Sur une moyenne de trois ans, lorsqu'on connaît une mauvaise année, on n'obtient absolument rien.

M. Wilkinson: Non, je sais ça.

Le président: Cela a vraiment pénalisé l'agriculteur qui a été le plus touché. C'était très grave. Cela n'a pas fonctionné à la rivière de la Paix, comme nous l'avons mentionné plus tôt, et dans des endroits qui ont été victimes de sécheresse, d'inondations ou d'autres catastrophes. Et pourtant, les gens qui ont obtenu de bonnes récoltes durant ces trois années s'en sont très bien tirés, parce qu'ils ont reçu des chèques d'un montant élevé.

Voici donc ma question: le nouveau programme contient-il des dispositifs de protection qui permettront d'empêcher ce genre de situation dans les demandes de cette année?

M. Wilkinson: C'est bien simple, la réponse à cette question est non. À l'heure actuelle, rien de nouveau ne pourrait résoudre ce problème. On a apporté certaines modifications qui amélioreront la situation, sans régler la question en totalité.

Le problème, c'est que lorsque les membres du comité consultatif national sur la protection du revenu se sont réunis avec la plupart des représentants des provinces et des organismes de produits nationaux, ils voulaient, dans l'optique des droits compensateurs, que n'importe quel nouveau programme soit vert en raison des préoccupations et de la rhétorique concernant la fermeture des frontières des États du nord des États-Unis. Au même moment, le bétail faisait l'objet d'une enquête au chapitre des droits compensateurs. En ce qui concerne le porc, on craignait qu'il ne fasse l'objet d'un réexamen, et on voulait régler cette question et, avec un peu de chance, se débarrasser des enquêtes.

On entendait constamment: «Assurez-vous de ne mettre en place aucun programme qui ne soit vert aux yeux de l'Organisation mondiale du commerce». Quelques points sont très clairs dans l'annexe verte à propos de la période de référence: on peut avoir une période de référence de trois ans ou de cinq ans, laisser tomber la meilleure et la pire année, et le programme sera toujours vert.

Le président: Est-ce que ça aidera les choses?

M. Wilkinson: Oui. Les producteurs ont maintenant l'option de choisir la période de référence de cinq ans et de laisser tomber la meilleure et la pire années. Cependant, lorsqu'on subit quatre mauvaises années de référence, on fait face à un gros problème. Nous tentons de trouver les moyens d'assurer votre période de référence d'une autre façon, mais c'est vraiment un problème. Si nous allongeons la période de référence -- et les agriculteurs devront en discuter pour déterminer si c'est ce qu'ils veulent -- le programme sera peut-être orange plutôt que vert, mais il sera beaucoup plus utile. Cependant, cela risque de modifier la perception des droits compensateurs.

Le président: Dans le cas de notre ferme, lorsque la grêle nous a frappés durant une seule année, une période de référence de cinq ans, qui permet de laisser tomber la meilleure et la pire années, aurait pu fonctionner. Cependant, dans le cas où il y aurait trois ou quatre années consécutives de sécheresse, cela ne fonctionnerait pas.

M. Wilkinson: Voilà un défaut important. C'est pourquoi nous avons toujours considéré qu'on pouvait améliorer la combinaison du CSRN, de l'assurance-récolte et du programme ACRA, parce que ces programmes présentent des lacunes. Quoi qu'il en soit, on tient compte des trois programmes en bloc. J'espère que vous avez une assurance-récolte qui tient compte des années antérieures, parce que, dans la plupart des provinces, on obtient une moyenne de 10 ou 15 ans; la plupart ont une moyenne de 10 ans. Si vous avez eu l'occasion de verser des cotisations au CSRN pendant quelques années, cela devrait régler la question, une fois le programme ACRA terminé. Mais il ne fait aucun doute qu'il s'agit d'un problème important.

Le président: Est-il possible que le gouvernement puisse aborder cette situation? Par exemple, certaines régions de l'ouest de la Saskatchewan ont connu de graves sécheresses. La rivière de la Paix a subi le même sort.

M. Wilkinson: Voici une possibilité que nous examinons: les agriculteurs verseraient des primes pour acheter une période de référence plus longue. S'il s'agit de l'argent de l'agriculteur, on considère que c'est vert. Le comité examine cette question présentement afin de déterminer si cela pourrait fonctionner.

Le président: Vous avez répondu à ma question. Il ne s'agit certes pas d'un système parfait, mais si on l'améliore, il serait d'un meilleur secours.

Le sénateur Wiebe: Je suis un nouveau membre du comité. J'aimerais vous dire à quel point j'apprécie les chiffres que vous m'avez donnés relativement aux coûts par habitant. Le comité a-t-il reçu des documents sur support papier, en noir et blanc?

M. Wilkinson: Nous pourrions certainement les obtenir. Il s'agit de documents de l'OCDE. Je vais vérifier auprès de mon personnel et m'assurer que nous vous les ferons parvenir.

Le sénateur Wiebe: Vous avez déclaré que, il y a quelques années, vous avez mis sur pied un programme de filet de sécurité, ou que vous en avez suggéré un. Si le gouvernement avait accepté votre proposition, est-ce qu'il répondrait adéquatement aux préoccupations d'aujourd'hui?

M. Wilkinson: Le problème avec la combinaison actuelle -- même celle du comité national, à laquelle je fais référence --, c'est que, lorsque le comité national a été formé, nous voulions participer davantage au CSRN. Nous savions qu'il y avait des problèmes et que ce compte se viderait très rapidement. Nous voulions également nous assurer qu'on apporterait certaines améliorations au programme ACRA de 1998 à 1999. La façon dont les stocks étaient évalués constituait un problème important en 1998, et je crois que les changements effectués l'ont amélioré de façon substantielle.

On a recommandé certaines de ces améliorations dès le début. Si elles avaient été effectuées, le programme aurait été beaucoup plus acceptable partout au pays. Il n'aurait pas été accepté par tout le monde pour exactement la raison indiquée par le sénateur Gustafson. Nous savions dès le départ que la région de la rivière de la Paix connaissait certains problèmes météorologiques. La région de Saskatoon faisait face à des problèmes analogues. Il y avait quatre ou cinq points chauds, notamment la vallée de l'Annapolis et les Maritimes. Dans certaines régions de l'Ontario, la marge de référence était si peu élevée durant le désastre que cette marge a présenté des lacunes l'année même où elle a été établie. Elle était sous-financée depuis le début, et si nous y avions apporté toutes les améliorations nécessaires, on aurait obtenu un taux plus élevé de succès, sans toutefois atteindre la perfection.

Le sénateur Wiebe: Devrions-nous envisager de concevoir un programme ou un filet de sécurité à long terme qui tiendrait compte des opérations financières de la ferme ainsi que de la compétition mondiale, du commerce, et cetera, et un autre programme d'assurance axé sur le climat? Il s'agit de deux choses différentes. Parfois, je me demande si la raison pour laquelle nous n'arrivons pas à trouver le programme parfait de filet de sécurité, c'est parce que nous tentons d'y inclure trop de choses. On peut avoir une certaine maîtrise de ce qui se passe à l'étranger, ou du moins participer à ce que font d'autres pays ou à l'orientation qu'ils décident d'adopter, mais nous n'avons aucun contrôle sur le climat.

M. Wilkinson: Je ne crois pas que les gens qui ne sont pas au fait des détails de la négociation d'un programme de filet de sécurité se rendent compte qu'il s'agit d'un accord fédéral-provincial. Tout programme fonctionnant à l'échelle nationale doit être approuvé par la plupart des provinces, en raison de la façon dont l'administration est fractionnée. Je crois que la situation actuelle est passablement mauvaise, du moins en ce qui concerne les relations fédérales-provinciales relatives à l'agriculture. Tout le monde aime déclarer que la situation est meilleure que celle de la santé. Je n'ai jamais travaillé dans le domaine de la santé, mais je sais que, présentement, la situation dans le domaine de l'agriculture n'est pas rose. C'est de la manoeuvre à l'état pur. Les rencontres fédérales-provinciales ont lieu à huis clos. Si une province ne veut pas consacrer de l'argent supplémentaire à l'agriculture, on s'entend, derrière les portes closes, pour que le fédéral ne dépense pas d'argent non plus, afin que la province ne soit pas obligée de verser sa part de 40 p. 100. Puis, à l'extérieur de la salle, on ne s'entend plus, et tout tombe à l'eau -- c'est l'enfer. Par conséquent, la ferme familiale ne voit pas plus d'argent investi dans les filets de sécurité.

On pourrait améliorer de façon draconienne l'assurance-récolte si les gouvernements souhaitaient soutenir les améliorations de cette dernière. On pourrait augmenter les cotisations au CSRN, ce qu'on demande depuis la création de ce compte, si les gouvernements voulaient bien fournir une cotisation de contrepartie plus élevée. Le programme ACRA, dès le départ, aurait pu être amélioré quant à la façon dont la main-d'oeuvre, les stocks, les marges négatives, et cetera étaient traités. Tous ces postes budgétaires n'existaient pas.

La vraie question, qui nous ramène au paragraphe 3, est la suivante: à combien les citoyens de notre pays souhaitent-ils évaluer l'importance économique de l'industrie agro-alimentaire? Tout ce qui arrive à l'heure actuelle est évident, du moins en ce qui concerne les prix. Par conséquent, les citoyens encourageront-ils leurs députés à mettre de l'argent sur la table pour protéger la ferme familiale pendant qu'elle traverse cette crise? Nous ne demandons pas la protection de la ferme familiale comme s'il s'agissait d'un dinosaure, ni parce que nous sommes inefficaces. Nous demandons plutôt une protection en raison de ce que font deux superpuissances partout dans le monde -- elles pillent le marché commercial grâce à leurs subventions à l'exportation. Elles utilisent essentiellement du crédit gratuit, des prêts non remboursables, afin d'entrer dans des marchés commerciaux d'exportation canadiens, et volent des parts de marché à des prix inférieurs aux coûts de production. Elles vont continuer de le faire. Nous n'avons pas ce genre de soutien; par conséquent, lorsqu'on est un agriculteur, on doit s'adapter au prix du marché pour vendre le produit. Le blé qui demeure dans les conteneurs ne sert pas à nourrir qui que ce soit, il ne profite pas non plus aux banquiers; on doit donc vendre au prix mondial, quel qu'il soit. Nous l'acceptons parce que nous vendons au prix du marché. Par conséquent, nous nous battons jusqu'à ce que quelqu'un limite les ardeurs de l'Europe et des États-Unis. Nous avons commencé durant la dernière série de négociations de l'OMC et nous tenterons de nouveau notre chance durant les présentes négociations. Le succès sera modeste, vous savez ce que c'est.

À mon avis, il s'agit de déterminer si la deuxième plus industrie en importance au Canada est vraiment importante. Si elle l'est, ne serait-ce que pour toutes les perspectives d'emploi et non seulement pour la ferme familiale, alors nous devons obtenir un certain soutien durant les périodes de vaches maigres, jusqu'à ce que la situation mondiale se soit stabilisée. Mais 1,1 milliard de dollars n'est pas suffisant.

Le sénateur Wiebe: Revenons à ma question initiale -- et je comprends ce que vous venez tout juste de dire -- devrait-on concevoir deux programmes? Si nous pouvions surmonter tous les problèmes grâce au rapport 60-40 entre les provinces et le gouvernement fédéral, devrait-on vraiment considérer deux programmes -- un qui serait axé sur le marché et un autre sur le climat?

M. Wilkinson: Je suis surtout préoccupé par la question du partage. En ce qui concerne un programme axé sur le marché, les agriculteurs n'ont pas signé de telles transactions. Durant la dernière série de négociations de l'OMC, un programme axé sur les marchandises n'aurait vraisemblablement pas entraîné des problèmes liés aux droits compensateurs aux États-Unis. C'est pourquoi nous avons accepté la notion -- qui n'est pas positive aux yeux de la communauté agricole -- selon laquelle nous devons privilégier les revenus plutôt que les marchandises afin d'éviter des problèmes commerciaux. Je comprends votre philosophie en ce qui concerne les risques: les risques liés aux récoltes en raison de la température et ceux causés par l'établissement des prix internationaux. Le fait est que, comme ils ont un impact sur les revenus, les agriculteurs ne se soucient pas de la cause des dommages. Ce qui est important, c'est de stabiliser un certain degré de rentabilité.

Si nous devions subventionner le blé, nous sommes presque certains que cela entraînerait de l'action à la frontière américaine, parce que nous mettons énormément de blé sur le marché des États-Unis. À notre avis, une telle situation perturberait grandement les prix. Nous avons été témoins de ce qui est arrivé avec le bétail et la poursuite en justice, et malgré tout, nous avons gagné. En fait, cela a perturbé substantiellement les prix du bétail pendant un certain nombre de mois, alors on imagine aisément l'effet que la fermeture des frontières aurait sur les prix. C'est pourquoi nous avons toujours été si réticents, en raison de l'intégration au marché américain et du désir de la part des États-Unis, ces grands libre-échangistes, à fermer la frontière ou à menacer de la fermer à n'importe quel moment où cela leur convient politiquement. Cela nous a toujours donné des ulcères, dans les communautés agricoles. Nous n'avons pas accepté cette transaction, et c'est pourquoi nous sommes très inquiets à propos des programmes axés sur les marchandises.

Le président: Vous avez parlé des relations fédérales- provinciales. Vous connaissez probablement cette question depuis longtemps.

M. Wilkinson: Depuis plus longtemps qu'à peu près tous les sénateurs.

Le président: Depuis plus longtemps que moi en tout cas, c'est-à-dire 21 ans. Je me rappelle lorsque l'ancien ministre de l'Agriculture, John Wise, a tenté d'obtenir la collaboration des gouvernements provinciaux pour adopter un programme national il y a environ 20 ans. Cela ne s'est jamais matérialisé. La situation est toujours la même aujourd'hui, et il me semble qu'on n'est pas prêt d'obtenir un accord. Une province comme l'Alberta, par exemple, possède les fonds nécessaires et peut verser un financement de contrepartie. Je tiens cependant à souligner que je n'essaie pas de critiquer l'Alberta.

M. Wilkinson: Oui

Le président: Une province comme la Saskatchewan ne possède franchement pas l'assiette fiscale pour imiter l'Alberta. Elle ne pourrait pas se mesurer à l'Alberta ou à l'Ontario à ce chapitre. À moins que nous n'adoptions un programme national qui réglera cette question, je crois que nous ferons face à des problèmes pendant encore longtemps.

M. Wilkinson: Je crois que vous venez de soulever un point valide. Vous devez ramener la part des provinces au niveau des provinces qui ont atteint leur capacité maximale de payer -- ce qui représente pratiquement la moyenne nationale -- parce qu'elles n'ont plus d'argent à verser dans une formule de financement de contrepartie.

Je suis ontarien et j'aimerais vous dire à quel point il est difficile pour la communauté agricole d'obtenir de l'argent des gouvernements provinciaux. Parfois, les gens établissent des équations directes -- la valeur nette de la production d'une province quelconque équivaut à sa capacité de payer. Cela ne résout pas nécessairement le problème politique lié au désir de payer. C'est peut-être possible, et peut-être pas. Parfois, lorsqu'on possède une très importante assise industrielle qui génère des revenus, il est très difficile pour les gouvernements de convaincre ces provinces qu'il est préférable d'investir une grande partie de cet argent dans la communauté agricole. En fait, des gens qui vivent à moins de cent milles de Toronto n'ont aucune idée de la valeur de la communauté agricole de leur province.

En d'autres mots, ce qui semble une question évidente d'argent n'est pas toujours nécessairement le cas. Ayant connu les deux côtés de la médaille, je suis d'avis que le problème n'est pas nécessairement en train de se régler. En Saskatchewan, il y a une volonté politique, en raison de l'importance de la communauté agricole, mais la province ne possède peut-être pas les ressources économiques nécessaires. Dans d'autres provinces, il n'y a peut-être aucune volonté politique. Cela soulève la question suivante: comment devons-nous élever la barre pour tout le monde? Ottawa devra probablement hériter d'une portion de plus en plus grande afin de résoudre le problème.

Le président: J'ai une question à propos de la portée plus large du GATT et de la situation internationale. On prétend que nous sommes devenus des amateurs dans le cadre du GATT. En d'autres mots, on dit que nous nous sommes précipités à la table de négociation et que nous avons cédé le transport, en particulier le taux du Pas du Nid-de-Corbeau, et que nous avons effectué toutes sortes de sacrifices alors que tout le monde avait l'impression qu'il n'en était rien pour les États-Unis et l'Europe. Aujourd'hui, on a utilisé l'expression «le saint parmi les pécheurs»: le Canada est devenu un saint. En d'autres mots, nous avons fait la même chose. Le temps est-il venu de nous écrier: «C'est assez! C'est tout ce que le Canada peut faire!» Les Américains ne viennent pas à la table des négociations, pas plus que les Européens.

À titre d'exemple, lorsque les agriculteurs canadiens ont été victimes d'une tempête de grêle, notre assurance-récolte a couvert environ 30 p. 100 des pertes. Nous avons reçu environ 30 $ par acre. Mon voisin, de l'autre côté de la frontière, victime de la même tempête, a obtenu 150 $ US par acre. Il m'a dit qu'il s'en tirait mieux que s'il avait eu une récolte, parce qu'il n'a pas eu besoin de récolter et qu'il a reçu environ 225 $ canadiens. En fait, il espérait qu'il serait victime de la même catastrophe l'année suivante.

À Seatle, on a parlé de compromis, de se conformer au GATT, et partout, nous sommes pénalisés, quoi que nous fassions. Nous nous faisons avoir.

M. Wilkinson: Dans toute négociation, on ne cède rien à moins d'obtenir quelque chose en échange. Nombreux sont ceux qui affirment que le Canada désire trop ardemment imposer le ton des négociations en offrant des choses dans l'espoir que d'autres nous imiteront et que nous établirons de nouvelles normes. Il n'est pas productif d'entreprendre des négociations de cette façon, parce que, en tant que petit pays, nous n'avons aucune capacité de nous assurer que les autres nous suivront dans cette voie. Il n'y a rien de mal à vouloir être vertueux, à condition que les autres fassent de même. Cependant, s'ils vous laissent simplement vous immoler sur l'autel de la vertu, il faut être prudent. Le Canada a une excellente réputation, mais durant la dernière série de négociations, il était clair que l'Union européenne et les États-Unis, à la dernière minute, ont négocié une transaction politiquement admissible, qu'ils pouvaient faire accepter par leur gouvernement respectif, et même par leur puissant lobby agricole. Nous n'étions pas là à l'heure fatidique.

Soyons justes: on a blâmé l'OMC pour la plus grande partie de la réforme agricole qui a suivi. Dans cette réforme, rien ne précisait que nous devions éliminer le programme de transport. Il était clair, cependant, que nous devions réduire les dépenses de 36 p. 100 sur 20 p. 100 du volume des subventions à l'exportation. Cela aurait signifié un changement draconien. Je siège à titre de vice-président de la fédération internationale jusqu'à la fin du mois et je préside le comité du commerce. Dans presque chaque pays, les gouvernements ont blâmé l'OMC pour l'importante réforme agricole. Il est clair que quiconque a lu le texte sait qu'on a blâmé l'OMC pour de nombreux péchés qu'elle n'a pas commis. Les gouvernements ont choisi de blâmer l'OMC. Nous devons faire attention.

Nos revenus sont substantiellement moins élevés que nos dépenses. Nous avons dû réduire le soutien national de 20 p. 100, et moins de deux ans après, de 75 p. 100. Nous avons grandement besoin d'investissement. Nous avons éliminé les subventions au transport non seulement pour le programme d'exportation, mais également pour les programmes nationaux. Nous parlons seulement des pertes de l'Ouest, mais n'oublions pas que Terre-Neuve a perdu 45 $ la tonne et qu'elle ne possède plus une industrie avicole viable. Beaucoup de gens d'un bout à l'autre du pays ont perdu des plumes, mais ce n'était pas en raison de l'accord commercial.

Le président: Lorsque M. Gifford s'est présenté devant notre comité, il nous a dit que, à condition que nous ne dépensions pas plus de 2 milliards de dollars annuellement pour subventionner l'agriculture, nous pourrions faire partie du GATT.

Corrigez-moi si je me trompe, mais je crois que vous affirmez que, dans de nombreux cas, les gouvernements ont utilisé le GATT comme excuse pour ne pas se présenter à la table de négociation avec des fonds suffisants.

M. Wilkinson: En toute honnêteté, je crois que, au cours des dernières années, la priorité des autorités tant fédérales que provinciales consistait à équilibrer le budget et à dégager des surplus.

Nous, les agriculteurs, sommes de petits entrepreneurs, et nous avons admis le fait que le gouvernement ne pouvait financer éternellement le déficit. Nombre d'entre nous avons accepté les coupures qui ont été effectuées au cours des dernières années. Nous ne nous en sommes pas nécessairement réjouis, mais nous ne sommes pas descendus dans la rue et n'avons pas organisé d'énormes manifestations ni provoqué de scandale. Des budgets équilibrés sont maintenant en place dans à peu près chaque administration, et il existe des programmes qui visent à rembourser la dette. Nous croyons, comme M. Wellbrock l'a mentionné, que la communauté agricole a payé un lourd tribut en participant aux réductions du financement du déficit dans à peu près toutes les provinces. Cependant, maintenant que les agriculteurs se trouvent dans une situation de déficit, nous aimerions que le gouvernement réinvestisse dans notre secteur. En d'autres mots, maintenant que nos livres comptables sont couverts d'encre rouge, nous aimerions que les gouvernements, qui bénéficient tous de surplus budgétaires, fassent leur part et augmentent leurs dépenses afin de nous aider à traverser cette période difficile.

Le président: La Fédération canadienne de l'agriculture, au nom de tous les agriculteurs du Canada, fait-elle de grandes pressions auprès du gouvernement à cet égard?

M. Wilkinson: Durant l'hiver, nous avons travaillé très dur pour encourager les autorités fédérales et provinciales à faire face au manque à gagner prévu. Nous sommes présentement en pause, jusqu'à ce que nous recevions les estimations qui nous permettront d'évaluer la situation. À mon avis, nous exercerons de nouveau d'importantes pressions durant l'automne parce que, d'ici là, les chiffres seront clairs, et que je crois qu'ils ne seront pas satisfaisants.

Les agriculteurs des Prairies considèrent souvent avec envie de simples programmes, comme des programmes axés sur les revenus du marché, dont nombre d'entre vous n'avez probablement jamais entendu parler. Certaines marchandises qui ne sont pas exportées bénéficient d'un meilleur soutien que celui du programme d'aide aux sinistrés. Certains de nos programmes sont sous-financés et perdront de plus en plus d'importance si on ne prend pas d'engagement à long terme. Ils font partie de nos programmes complémentaires.

J'ai l'impression que, une fois que l'été sera terminé, on se rendra rapidement compte que, si le prix n'est pas modifié de façon draconienne, les ressources ne sont tout simplement pas suffisantes.

Le président: Les agriculteurs affirment donc que, s'ils n'obtiennent pas une récolte qui rembourse le coût des intrants, ils feront faillite.

M. Wilkinson: Oui.

Le président: Les gros agriculteurs font probablement face à de plus gros problèmes que les petits agriculteurs. Pour citer un exemple, un agriculteur qui exploite deux sections et exerce un emploi à l'extérieur de sa ferme et dont le coût des intrants est peu élevé pourrait survivre, mais ce n'est pas nécessairement le cas du gros agriculteur dont le coût des intrants s'élève à 5 000 $.

M. Wilkinson: Il est difficile de toucher à l'extérieur de la ferme des revenus qui permettront de couvrir ces pertes.

Le président: C'est une goutte d'eau dans l'océan. Ça ne fonctionnera pas.

M. Wilkinson: De nombreux agriculteurs planteront leurs cultures au printemps même si tout indique que, à moins qu'ils ne bénéficient d'une année exceptionnelle ou que les prix ne soient modifiés, ils ne pourront qu'atteindre, avec un peu de chance, le seuil de rentabilité. Il y a un risque réel de perte. Certains demanderont: «Pourquoi poursuivez-vous vos travaux d'agriculture dans ces circonstances? La réponse est très simple. Des paiements doivent encore être versés pour l'équipement et à la banque. On est agriculteur ou on ne l'est pas. On ne peut pas simplement s'asseoir en se disant: «Cette année, on ne peut être sûr de rien, je vais donc tout laisser à la banque et trouver l'argent quelque part pour effectuer mes paiements». Si l'automne tourne au fiasco, l'agriculteur fera faillite. Le midwest américain pourrait être victime d'une sécheresse, comme cela arrive souvent, et les prix pourraient augmenter de trois ou quatre dollars la tonne, et si nous avons une bonne récolte ici, on s'en sortira. Les estimations pourraient se révéler fausses, et les prix pourraient être meilleurs, et tout irait pour le mieux.

L'agriculteur doit planter des graines dans le sol. Si elles ne sont pas dans le sol, il est certain qu'il n'y aura pas de récolte.

Le président: Le degré d'optimisme que je constate, étant donné la situation, me stupéfie. Nos agriculteurs ont la peau dure.

Le sénateur Wiebe: C'est pourquoi ils ont survécu aux années 30.

Le président: C'est vrai. Y a-t-il d'autres questions? Dans le cas contraire, j'aimerais vous remercier, monsieur Wilkinson. Comme d'habitude, vous avez cerné le problème avec efficacité. Nous vous sommes reconnaissants de votre présence cet après-midi.

M. Wilkinson: Je vous remercie beaucoup. Je vais vous faire parvenir les chiffres de l'OCDE que vous m'avez réclamés.

La séance est levée.


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