Délibérations du comité sénatorial permanent
des
Banques et du commerce
Fascicule 2 - Témoignages du 1er décembre 1999
OTTAWA, le mercredi 1er décembre 1999
Le comité sénatorial permanent des banques et du commerce, à qui a été renvoyé le projet de loi S-3, Loi mettant en oeuvre un accord, des conventions et des protocoles conclus entre le Canada et le Kirghizistan, le Liban, l'Algérie, la Bulgarie, le Portugal, l'Ouzbékistan, la Jordanie, le Japon et le Luxembourg, en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion fiscale en matière d'impôts sur le revenu, se réunit aujourd'hui à 15 h 30 pour étudier ledit projet de loi.
Le sénateur E. Leo Kolber (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président: Notre premier témoin cet après-midi est M. Roy Cullen, secrétaire parlementaire du ministre des Finances.
Bienvenue, monsieur Cullen. Je vous cède immédiatement la parole. Peut-être pourriez-vous commencer par nous présenter vos collègues.
M. Roy Cullen, député, secrétaire parlementaire du ministre des Finances: J'ai avec moi aujourd'hui M. Brian Ernewein, directeur de la Division de la législation de l'impôt, Direction de la politique de l'impôt, ministère des Finances, ainsi que M. David Sénécal, chef par intérim, Conventions fiscales, également de la Division de la législation de l'impôt. Sont aussi parmi nous, Mme Ann Collins, du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international, et M. Gary Zed, de Revenu Canada.
Le président: Avez-vous une déclaration préliminaire?
M. Cullen: Oui. Madame le sénateur et messieurs les sénateurs, je suis heureux d'avoir l'occasion de comparaître devant vous aujourd'hui pour discuter du projet de loi S-3. Je serai bref pour qu'on ait plus de temps pour les questions.
[Français]
Ce projet de loi porte sur la mise en oeuvre de nouvelles conventions fiscales entre le Canada, le Kirghizistan, le Liban, l'Algérie, la Bulgarie, le Portugal, l'Ouzbékistan et la Jordanie. En outre, il remplace une convention fiscale existante avec le Luxembourg et modifie certaines parties du traité actuel avec le Japon.
[Traduction]
Cette mesure législative ne contient rien de nouveau ou de controversé -- heureusement. Le projet de loi s'inscrit simplement dans les efforts du Canada pour étendre son réseau de conventions fiscales avec d'autres pays. À l'heure actuelle, monsieur le président, notre pays est déjà signataire de 67 conventions de ce genre. Avec l'entrée en vigueur des nouvelles conventions proposées dans ce projet de loi, ce nombre passera à 74.
Les conventions fiscales sont particulièrement importantes pour les entreprises canadiennes qui exercent des activités à l'étranger et pour les particuliers qui tirent des revenus de l'étranger. Ces conventions nous assurent que les taux de retenue à la source ne pourront excéder certaines limites ni être majorés sans un préavis raisonnable.
[Français]
Elles permettent aussi d'instaurer un climat de certitude et de stabilité pour les investisseurs et les négociants, ce qui contribue à resserrer nos liens économiques avec d'autres pays.
[Traduction]
Ces conventions simplifient également le régime fiscal en éliminant la nécessité de payer un impôt sur certains bénéfices d'entreprise et en établissant un mécanisme de règlement des problèmes qui se posent. Enfin, et c'est là le plus important, elles permettent d'éviter ou d'atténuer la double imposition, lorsqu'un contribuable qui réside dans un pays touche un revenu dans un autre. En l'absence de convention fiscale, les deux pays pourraient alors percevoir un impôt sur ce revenu, ce qui amènerait certains Canadiens à être imposés en double.
Essentiellement, les conventions fiscales permettent d'éviter la double imposition de deux manières. D'abord, en établissant quels seront les droits d'imposition respectifs du pays de résidence du contribuable et du pays d'où il tire son revenu.
[Français]
Si le revenu en question demeure imposable dans les deux pays, le pays de résidence est tenu de renoncer à l'impôt sur le revenu ou d'accorder un crédit relativement à l'impôt payé au pays où le revenu a été gagné.
[Traduction]
Un élément important de toute convention fiscale est la réduction des taux de retenue à la source. Généralement, les pays exigent des retenues à la source sur les divers types de revenu versé à des non-résidents. En l'absence de convention fiscale ou d'exonération expressément prévue dans nos lois, le taux canadien de retenue à la source sur le revenu d'un non-résident est de 25 p. 100.
Le projet de loi S-3 énonce clairement, pour chacune des conventions sur lesquelles porte ce projet de loi, les taux réduits de retenue à la source qui s'appliquent sur les dividendes, les bénéfices d'entreprises associées, les intérêts et les redevances. Dans certains cas, les redevances concernant les droits d'auteur, les logiciels d'ordinateur, les brevets et le savoir-faire de même que les intérêts sur les instruments de dette publique sont exonérés d'impôt.
Le protocole signé avec le Japon exempte également du paiement des impôts japonais sur les entreprises les sociétés canadiennes qui exploitent des navires ou des aéronefs en trafic international. Les provinces canadiennes accordent déjà ce même traitement aux sociétés japonaises qui exercent des activités similaires.
[Français]
Avant de conclure, je tiens à signaler que les conventions signées avec le Luxembourg, le Portugal, le Liban et la Jordanie tiennent également compte des nouvelles règles proposées à l'égard de la migration des contribuables en éliminant les risques de double imposition résultant de l'exercice, par le Canada, de son droit d'imposer les gains réalisés par les émigrants avant leur départ.
[Traduction]
Si les conventions signées avec l'Ouzbékistan, la Bulgarie, l'Algérie et le Kirghizistan ne tiennent pas encore compte de la migration des contribuables, c'est qu'elles ont été négociées avant l'annonce des nouvelles règles proposées. Dans le cas du Japon, on reverra cette question dans le cours de futures négociations. Les sénateurs peuvent toutefois être assurés que le fait de ne pas tenir compte dans ces cinq conventions des nouvelles règles proposées concernant la migration des contribuables ne posera pas problème, vu que ces règles prévoient que le Canada accorde aux émigrants un crédit unilatéral pour impôt étranger jusqu'en 2007.
Cette disposition garantira qu'il n'y aura pas de double imposition sur les gains réalisés par un émigrant avant son départ de notre pays tant que le Canada n'aura pas pu renégocier ses conventions fiscales pour tenir compte des nouvelles règles projetées.
[Français]
En terminant, je tiens à souligner l'importance des conventions fiscales pour le commerce international des biens et des services, de même que leur impact direct sur la performance de l'économie canadienne.
[Traduction]
À l'heure actuelle, monsieur le président, les exportations canadiennes représentent plus de 40 p. 100 de notre PIB annuel. Notre vigueur économique annuelle dépend en outre des investissements étrangers directs de même que de l'afflux d'information, de capitaux, de technologies, de redevances, de dividendes et d'intérêts étrangers. Les conventions fiscales revêtent par conséquent une grande importance pour les entreprises et les particuliers canadiens qui exercent des activités sur la scène internationale ainsi que pour l'économie canadienne en général.
Ce projet de loi mérite donc votre appui.
Je me ferai maintenant un plaisir de répondre à vos questions; au besoin, je demanderai aux hauts fonctionnaires qui m'accompagnent de venir à ma rescousse pour les questions les plus techniques.
Le sénateur Lynch-Staunton: Merci, monsieur Cullen, de votre exposé. Si certains d'entre nous accordent un intérêt spécial à ce projet de loi, qui vient s'ajouter à toute une série de projets de loi que nous avons adoptés à peu près sans débat, c'est que le calendrier législatif du gouvernement au Sénat est plutôt mince ces temps-ci. Nous sommes donc portés à tourner et retourner ce qu'on nous soumet.
Je tiens à féliciter ceux qui se sont chargés de produire ce cahier d'information où l'on décrit le contexte propre à chaque pays. C'est un excellent document. Je dois avouer que je souhaiterais que d'autres l'utilisent comme modèle, car un cahier d'information comme celui-ci nous aide vraiment à cerner la question qu'on nous demande d'étudier.
Vous avez répondu à une question que j'avais à l'esprit concernant les dispositions de l'accord entre le Canada et le Japon relatives aux entreprises canadiennes qui exploitent des navires ou des aéronefs en trafic international. La condition, c'est que les provinces canadiennes n'assujettissent pas les entreprises japonaises de même nature à des impôts similaires.
Dois-je comprendre que les provinces ont accepté cette condition, ou qu'il y a eu un accord avec les provinces prévoyant que celles-ci ne prélèvent pas de tels impôts?
M. Cullen: Oui, c'est effectivement le cas.
M. Brian J. Ernewein, directeur, Conventions fiscales, Division de la législation de l'impôt, Direction de la politique de l'impôt, ministère des Finances: C'est plutôt que, dans les faits, les provinces ne prélèvent pas de tel impôt. Il n'y a pas, en vertu de la loi canadienne, d'impôt fédéral sur les profits des exploitants de d'aéronefs ou de navires en trafic international, simplement parce qu'il n'y en a pas non plus dans la plupart des autres pays. Il n'est pas facile d'établir quel montant de revenu doit être attribué à une société maritime ou aérienne non résidente. C'est pourquoi la plupart des pays s'entendent tacitement ou explicitement pour que les activités de ces entreprises ne soient assujetties à l'impôt que dans le pays de résidence.
Autrement dit, les provinces suivent les règles fédérales à cet égard et ne prélèvent pas d'impôt sur les profits que tirent de leurs activités en trafic international les sociétés maritimes ou aériennes non résidentes. Par conséquent, ce qui est prévu dans le protocole conclu avec le Japon, c'est que ce pays exonérera nos exploitants de navires ou d'aéronefs en trafic international de l'impôt local japonais sur les entreprises, pourvu que nous ne prélevions pas d'impôt fédéral, provincial ou municipal auprès des exploitants japonais exerçant des activités similaires chez nous.
Le sénateur Lynch-Staunton: En pareil cas, où il pourrait arriver qu'une province s'avise d'aller à l'encontre de l'accord, les provinces sont-elles consultées avant la signature du traité ou avant que son libellé soit définitif, ou se plaît-on tout simplement à croire ou à espérer que les provinces ne vont pas, une fois le traité en vigueur, passer outre à cette disposition en prélevant un impôt? Autrement dit, s'assure-t-on, pour éviter qu'elles ne viennent tout bousiller, qu'elles sont conscientes de l'existence de ce traité?
M. Ernewein: Nous n'avons pas le pouvoir de lier les provinces par nos conventions fiscales. Elles peuvent, en principe, prélever leurs propres impôts et, si vous voulez, faire fi des conditions de n'importe laquelle de nos 60 ou 70 conventions fiscales actuellement en vigueur. En pratique, toutefois, les provinces respectent les dispositions de nos conventions fiscales. Par exemple, elles ne perçoivent pas de retenues à la source. Ce problème ne se pose donc pas. Elles respectent, pratiquement sans exception, les principes auxquels nous adhérons dans nos conventions fiscales en ce qui touche le seuil d'imposition des non-résidents.
Je ne veux pas parler cette fois des sociétés maritimes ou aériennes, mais les sociétés non résidentes ne sont en général imposables au Canada que si elles y ont un établissement permanent. Les provinces adhèrent aux mêmes règles que nous. En pratique, nombre d'entre elles s'y conforment automatiquement du fait qu'elles sont parties à l'Accord de perception fiscale, en vertu duquel Revenu Canada ou l'ACDR perçoit les impôts en leur nom. Mais même les provinces qui perçoivent leurs propres impôts appliquent généralement -- et je veux dire par là presque sans exception -- les mêmes principes.
Le sénateur Lynch-Staunton: Dans votre cahier d'information, on trouve un tableau qui présente l'historique de toutes les conventions fiscales. La convention que le Canada a conclue avec le Nigeria a reçu la sanction royale il y a plus de cinq ans. Celle que nous avons conclue avec la Croatie a reçu la sanction royale et est entrée en vigueur cette semaine même, d'après un communiqué de presse du ministre des Finances.
Comment expliquer que, dans un cas, il faille tant de temps, plus de cinq ans, pour qu'un traité entre en vigueur?
M. David Sénécal, chef par intérim, Conventions fiscales, Division de la législation de l'impôt, Direction de la politique de l'impôt, ministère des Finances: Voulez-vous parler du Nigeria?
Le sénateur Lynch-Staunton: C'est le cas le plus patent, mais il y a aussi celui du Chili, d'après mes notes.
M. Sénécal: Depuis la production de ce cahier d'information, notre convention avec le Chili est entrée en vigueur, de même que celle que nous avons conclue avec la Croatie.
Le sénateur Oliver: Et qu'en est-il du Nigeria?
M. Sénécal: Ce n'est qu'une question de temps pour que la convention avec le Nigeria entre en vigueur. À ma connaissance, cette question a fait l'objet de discussions lors de la récente visite du premier ministre au Nigeria, et le ministère des Affaires étrangères s'apprête à soumettre au gouvernement nigérian la note diplomatique qui semble manquer pour que la convention puisse entrer en vigueur.
Le sénateur Lynch-Staunton: Est-ce à dire que nous attendons que les Nigérians prennent une décision finale?
M. Sénécal: Ils ont déjà fait connaître au Canada leur accord.
Le sénateur Lynch-Staunton: Une fois que le Parlement a approuvé ces conventions, peut-il les modifier ou les mettre à jour, ou cette responsabilité lui échappe-t-elle aux mains des hauts fonctionnaires?
M. Ernewein: Non, elle n'échappe pas au Parlement. L'approbation des conventions fiscales requiert l'intervention du Parlement.
Toute convention fiscale doit d'abord faire l'objet d'un accord entre les représentants du Canada et ceux de l'autre gouvernement concerné, mais, naturellement, si le Parlement rejetait tout ou partie d'une convention proposée, cette convention ne lierait pas l'autre pays.
En pratique, il faudrait que les représentants du Canada -- c'est-à-dire nous -- retournent auprès des représentants de l'autre pays pour les renseigner sur ce qui a transpiré des délibérations de notre Parlement et des directives qu'il a émises à cet égard.
Le sénateur Lynch-Staunton: Ma principale question concerne l'hypothèse de la signature d'une convention fiscale avec l'Ouzbékistan. À en juger par les notes d'information du gouvernement, le Canada n'entretient pratiquement pas de relations commerciales avec ce pays. En 1998, nos échanges commerciaux avec l'Ouzbékistan représentaient quelque 18 millions de dollars. Si les Canadiens ont été réticents à y investir, c'est que le régime en place n'inspire pas précisément confiance.
Si je ne m'abuse, certaines sociétés canadiennes qui ont vendu de l'équipement de haute technologie dans ce pays ont eu du mal à se faire payer en devises fortes. Il ne semble pas s'agir d'un endroit où les Canadiens sont particulièrement tentés de faire des affaires ou, à tout le moins, pressés de s'implanter. C'est un pays au régime très répressif. Il est question de toute cette situation dans le résumé que vous en faites dans le cahier d'information. On peut d'ailleurs en obtenir la confirmation auprès de Human Rights Watch et d'autres organisations. La situation qui règne dans ce pays est vraiment déplorable.
Pourquoi tiendrions-nous à conclure autre chose qu'une association minimale avec un tel pays, où le Canada et les Canadiens n'ont pas vraiment d'intérêts? À mon sens, la conclusion d'une convention fiscale ne ferait que sanctionner ce régime. Je sais qu'on me répondra que nous avons conclu des conventions fiscales avec d'autres pays dont nous avons bien raison de critiquer les régimes, mais, dans la plupart de ces cas, voire tous, il y a une présence canadienne importante dans les pays en question, où les citoyens canadiens ont le droit d'être protégés, tant physiquement que fiscalement.
Mais, d'après ce que j'ai lu jusqu'à maintenant à ce sujet, tel n'est pas le cas de l'Ouzbékistan. Alors, pourquoi continuer de chercher à conclure une convention fiscale avec ce genre de pays?
M. Cullen: Monsieur le sénateur, je vais répondre à votre question sur un plan général, après quoi Mme Collins, du ministère des Affaires étrangères, pourra peut-être vous donner un complément de réponse.
Le gouvernement croit que cette région du Caucase présente de l'intérêt. Il s'y produit des développements qu'il vaut la peine de suivre de près et auxquels on a avantage à s'intéresser. Il s'y trouve une importante industrie pétrolière et gazière. Le comité permanent des affaires étrangères de la Chambre des communes effectuera sous peu une étude de toute cette région de l'ex-Union soviétique et soumettra un rapport à ce sujet. Il se penchera, entre autres choses, sur la question du respect des droits de la personne dans ces pays, notamment sur le dossier de l'Ouzbékistan à cet égard.
Le Canada est déjà signataire d'un certain nombre de conventions fiscales avec tout un éventail de pays dont le dossier sur le chapitre des droits de la personne n'est pas des plus reluisants, mais le gouvernement n'en estime pas moins indiqué de continuer d'entretenir des relations avec ces pays dans un climat de dialogue et d'ouverture.
Le président: Sénateur Lynch-Staunton, je crois que c'est en partie grâce aux pressions que vous avez exercées que ce projet de loi sera soumis au comité des affaires étrangères.
Le sénateur Lynch-Staunton: C'est le gouvernement qui en a décidé ainsi, mais vous avez raison de dire que nous avons pressé le gouvernement de renvoyer ce projet de loi au comité des affaires étrangères plutôt qu'à notre comité, et le gouvernement a opté pour le soumettre aux deux comités.
Le président: Vous êtes libres de poser les questions que vous voulez, mais je vous rappelle que des sujets comme celui-là feront plus tard l'objet d'une étude par le comité sénatorial des affaires étrangères.
Le sénateur Lynch-Staunton: Je tiens à signaler à M. Cullen et aux hauts fonctionnaires de son ministère qu'il s'agit là d'une de nos préoccupations majeures, et j'aimerais qu'il nous dise, d'un point de vue technique, pour quelles raisons on a jugé souhaitable de chercher à conclure une convention fiscale avec ce pays.
M. Cullen: Monsieur le président, puisque ce projet de loi sera également soumis pour étude au comité des affaires étrangères, je suggère qu'en ce qui touche les questions relatives au contexte politique et diplomatique, on attende à cette étape pour en saisir les hauts fonctionnaires compétents -- qui seront sans aucun doute invités à témoigner devant ce comité -- et que les fonctionnaires du ministère des Finances s'en tiennent ici aujourd'hui aux aspects de ces conventions qui concernent la fiscalité.
M. Ernewein: Monsieur le président, en tant que négociateurs de conventions fiscales, il ne nous appartient pas d'établir si notre pays devrait entretenir des relations diplomatiques avec tel ou tel pays, puisque c'est au gouvernement qu'il incombe de le faire. Notre rôle de fonctionnaires nous impose de nous en tenir à analyser les principes des politiques fiscales qui entrent en ligne de compte dans la décision de signer ou non une convention. Autrement dit, s'il n'existe pas de relations diplomatiques normales avec un pays étranger, la condition de base n'est alors pas remplie pour que nous puissions envisager de conclure avec lui une convention fiscale.
Lorsqu'il existe des relations diplomatiques normales avec un pays étranger, nous nous disons, comme nous l'avons fait dans ce cas-ci -- je parle ici au passé, et la situation pourrait évoluer --, qu'il nous faut analyser l'hypothèse de la conclusion d'une convention fiscale sous l'angle de l'intérêt qu'elle présente sur le plan de l'investissement et des politiques fiscales. Nous devons alors prendre en considération l'importance réelle ou anticipée des investissements canadiens dans ce pays et la possibilité que des résidents de cet autre pays investissent chez nous.
Nous nous demandons si l'autre pays a un régime fiscal et, si oui, quelle en est la nature et comment il est administré. Nous nous demandons également si l'administration de ce régime fiscal est suffisamment fiable pour qu'on puisse compter que le pays en question respectera et appliquera les conditions de l'éventuelle convention fiscale. Cet aspect revêt une importance particulière au regard des dispositions relatives à l'échange d'information, comme en comportent la plupart de nos conventions, car nous tenons à avoir l'assurance que ces conditions seront prises au sérieux. Si nous voulons ou devons obtenir des autorités fiscales de l'autre pays certains renseignements qui nous semblent nécessaires, nous devons être à même d'escompter qu'en toute probabilité on nous les fournira sous une forme utile. De même, si on nous demande une information, nous devons avoir l'assurance que cette information ne sera utilisée qu'à des fins d'administration fiscale.
Les observations qui précèdent ont un caractère général, mais, dans le cas précis de la république d'Ouzbékistan, je tiens à rappeler au comité que, lorsqu'elle était membre de l'ex-Union soviétique, cette république était déjà, depuis 1985, partie prenante à une convention fiscale intervenue entre le Canada et l'URSS. En fait, cette convention avec l'URSS a continué de s'appliquer dans le cas de plusieurs républiques de l'ex-Union soviétique; en vertu de ce principe, nous avons, à l'instar de nombreux autres pays de l'OCDE, offert à l'Ouzbékistan de renouveler la convention que nous avions avec l'Union soviétique. L'Ouzbékistan nous a toutefois demandé de renégocier cette entente pour avoir sa propre convention avec le Canada. Mais nous ne sommes nullement les seuls à vouloir conclure avec ce pays une telle convention.
À l'heure actuelle, 11 conventions fiscales sont en vigueur entre l'Ouzbékistan et d'autres pays. De ce nombre, cinq ont été conclues directement entre l'Ouzbékistan et, respectivement, la Belgique, la Finlande, l'Inde, la Grèce et le Royaume-Uni, et les six autres, qui avaient été initialement conclues avec l'URSS et sont demeurées en vigueur, lient actuellement l'Ouzbékistan à l'Autriche, au Danemark, au Japon, aux Pays-Bas, à l'Espagne et aux États-Unis.
Ce pays a d'ailleurs signé quatre autres conventions fiscales, qui ne sont toutefois pas encore en vigueur, ce qui fait un total de 15.
Le simple fait que d'autres pays aient signé des conventions fiscales avec l'Ouzbékistan ne signifie pas qu'il nous faille le faire nous aussi, mais il est bon de noter que nous ne sommes pas les seuls à juger utile de le faire.
Le sénateur Lynch-Staunton: Je vais soulever de nouveau cette question, qui constitue ma principale préoccupation, devant le comité des affaires étrangères, car je ne voudrais pas vous entraîner sur un terrain qui ne relève pas de votre compétence.
Le Canada a-t-il déjà refusé de signer une convention fiscale avec un autre pays pour des raisons étrangères à son régime fiscal? Chaque année, le Département d'État des États-Unis procède à une évaluation de la situation de chaque pays en ce qui concerne le respect des droits de la personne, évaluation dont ce pays se sert peut-être ou peut-être pas dans l'établissement de ses politiques. Le Canada n'effectue pas de telle évaluation.
Au moment d'établir s'il y a lieu d'envisager la conclusion d'une convention fiscale avec tel pays, tenez-vous compte de considérations autres que fiscales, ou vous limitez-vous strictement à la prise en compte du régime fiscal du pays en question en vous disant que le reste ne relève pas de votre compétence?
M. Ernewein: Je ne me souviens pas que, pour des considérations autres que fiscales ou commerciales, nous ayons été contraints de renoncer à signer ou à donner suite à une convention fiscale. Il y a toutefois eu un cas, celui de l'Afrique du Sud, dans les années 80, où nous avons mis fin à une convention existante en raison de la rupture de nos relations diplomatiques avec l'autre pays signataire.
Le sénateur Tkachuk: Comme on a déjà répondu à ma première question, je vais en poser une qui va dans le même sens que ce qu'a demandé le sénateur Lynch-Staunton. Qu'est-ce qui appelle la conclusion d'une convention fiscale?
Je remarque que Cuba ne figure pas sur cette liste. Pourtant, si je ne m'abuse, le premier ministre et le ministre des Affaires étrangères ont fait état il y a quelque temps des liens étroits qui nous unissent à Cuba et du fait que de nombreux Canadiens sont disposés à investir dans ce pays. Je me demande pourquoi nous n'avons pas de convention fiscale avec les Cubains.
M. Ernewein: Je ne suis pas sûr que ce soit à nous de faire les premiers pas. Le gouvernement cubain n'a encore fait aucune démarche auprès de notre pays pour manifester son intérêt à conclure une convention fiscale avec nous. Le ferait-il qu'il ne nous faudrait pas moins tenir compte, même en nous en tenant à des considérations d'ordre purement fiscal, de questions du genre de celles que j'ai soulignées tout à l'heure -- par exemple celle de savoir s'il existe dans ce pays un régime fiscal -- dans notre décision de conclure ou non une telle convention.
Le sénateur Tkachuk: L'Ouzbékistan a-t-il pris les devants pour nous demander de conclure une convention fiscale? Comment ce genre de processus s'enclenche-t-il? Est-ce que ce sont les autres pays qui nous en font la demande ou est-ce l'inverse?
M. Ernewein: Les démarches en vue de la conclusion d'une convention fiscale peuvent s'amorcer de diverses manières. Ce peut être le pays étranger qui nous manifeste son intérêt à conclure une telle convention avec nous, ou l'inverse. Ce sont parfois les investisseurs de l'un ou l'autre des deux pays qui exercent des pressions pour qu'on entame de telles négociations. Ou encore, les deux pays peuvent juger souhaitable de renforcer leurs liens, et la conclusion d'une convention fiscale est une façon de le faire.
Le sénateur Tkachuk: Dans le cas de l'Ouzbékistan, par exemple, l'initiative est-elle venue de notre gouvernement, du gouvernement de ce pays, ou des investisseurs privés?
M. Ernewein: Comme je l'ai mentionné précédemment, l'Ouzbékistan est l'une des républiques de l'ex-Union soviétique. À ce titre, il était partie à une convention fiscale avec le Canada depuis 1985. La dissolution de l'URSS nous a amenés à nous poser la question de savoir ce que nous ferions à cet égard dans le cas des ex-républiques soviétiques. Nous avons alors établi que, grosso modo, nous serions disposés à maintenir, ou à reconduire, dans tous ces cas la convention avec l'URSS. Cela valait pour l'Ouzbékistan. Cette décision tenait en partie à l'intérêt que nous trouvions à maintenir nos relations avec les ex-républiques soviétiques -- au regard non seulement des conventions fiscales mais également de nos autres liens économiques. Il nous a donc semblé souhaitable de continuer d'avoir des conventions fiscales avec chacun de ces pays.
Le sénateur Tkachuk: Le sénateur Lynch-Staunton vous a amené à faire état de certains des motifs qui nous incitent à signer ce type de convention. Si j'ai bien compris, après l'adoption de ce projet de loi, nous aurons conclu des conventions fiscales avec 74 pays.
L'hypothèse de sanctions commerciales mise à part, la conclusion de ce type de convention n'est motivée par rien d'autre que par des considérations fiscales. Autrement dit, notre décision de mettre fin à notre convention fiscale avec l'Afrique du Sud s'est inscrite parmi les sanctions commerciales que nous avons prises contre ce pays dont les antécédents en matière de respect des droits de la personne étaient abominables. Mais aucun autre motif que l'imposition de telles sanctions ne peut nous amener à nous abstenir de signer une convention fiscale.
En d'autres termes, peu nous importerait qu'une société canadienne fasse affaire quelque part avec un véritable boucher. Une telle éventualité pourrait-elle nous amener à refuser d'être partie à une convention fiscale avec le pays concerné? Dans quelle mesure la conduite d'un pays doit-elle être répréhensible pour que nous nous refusions à traiter avec lui à cet égard? Voilà où je cherche à en venir.
M. Cullen: Dans l'exemple que nous avons donné, il s'agissait de l'Afrique du Sud, un pays avec lequel nous avions rompu nos relations diplomatiques. En gros, les conventions fiscales reposent sur la nécessité de niveler les règles du jeu en matière d'impôt. Les critères sur lesquels se fonde notre décision sont principalement d'ordre commercial.
Les sociétés ou particuliers qui désirent investir ou exercer des activités commerciales à l'étranger ont besoin qu'on établisse des règles du jeu qui soient équitables, de manière à ce qu'ils ne soient pas assujettis à une double imposition. Il semble donc que ce soit les intérêts commerciaux des Canadiens plutôt que le bilan de tel ou tel pays sur le plan du respect des droits de la personne qui nous amènent à conclure des conventions fiscales. Peut-être les hauts fonctionnaires du ministère aimeraient-ils ajouter quelque chose sur ce point.
M. Ernewein: Nous n'essayons pas d'anticiper la position qu'adoptera le gouvernement concernant sa perception de la conduite d'un gouvernement étranger. Si je crois personnellement qu'un pays ne respecte pas les droits de la personne ou que son bilan n'est pas édifiant en matière de protection de l'environnement, j'ai le droit à mes opinions. Cependant, je ne crois pas que la décision de conclure ou non une convention fiscale avec le pays en question doive reposer sur ce genre de considération.
À cet égard, je me réfère normalement au jugement du gouvernement, qui fonde sa position sur les informations qu'il tient du ministère des Affaires étrangères.
Le président: C'est au comité des affaires étrangères qu'il appartiendra de se pencher sur ce genre de questions. Je vous saurais gré de vous en tenir à des questions d'ordre proprement fiscal.
Le sénateur Tkachuk: D'accord, monsieur le président.
Le président: Vous êtes libres de poser les questions que vous voulez, mais je veux tout simplement que nous soyons efficaces.
Le sénateur Tkachuk: Je me plais dans l'examen des questions relatives aux droits de la personne. Je souhaiterais poursuivre la discussion sur ce sujet. Peut-être me conviendrait-il mieux de siéger au comité des affaires étrangères.
Permettez-moi de revenir sur le cas de Cuba. Le premier ministre a parlé d'établir de solides relations avec ce pays, et notre ministre des Affaires étrangères y a effectué une visite. Je trouve étrange que nous n'ayons pas de convention avec ce pays, alors que nous en avons avec des pays comme l'Ouzbékistan, un pays auquel je tiens à faire de nouveau référence en raison de sa fiche accablante en matière de droits de la personne et où je suis d'ailleurs sûr que personne ne veut même se rendre.
Votre réponse concernant le cas cubain ne me satisfait pas. Peut-être ce pays n'a-t-il pas de régime fiscal. Peut-être que les entreprises canadiennes n'y paient pas d'impôt et que c'est pour cette raison qu'elles ne demandent pas de traitement fiscal particulier, mais, si tel est le cas, j'aimerais bien qu'on me renseigne. J'aimerais vraiment savoir pourquoi nous n'avons pas conclu de convention fiscale avec Cuba.
Le président: Puis-je vous suggérer, monsieur Cullen, de fournir au sénateur une réponse par écrit sur ces aspects, qui n'ont rien à voir avec le sujet à l'étude.
M. Cullen: Volontiers, je serai heureux de le faire.
Le sénateur Oliver: J'ai deux questions. La première est à caractère plutôt général. La seconde a trait aux gains en capital, un sujet que vous abordez dans votre cahier d'information.
D'abord, cela fait maintes fois qu'on demande à notre comité de se pencher sur une convention que vous avez fini de négocier. Puis, quand nous vous posons des questions à propos de ce dont il a été question et de ce que vous avez négocié dans le cadre de vos discussions, vous vous montrez très réticents à nous renseigner.
Quelqu'un de notre comité a déjà suggéré que vous prépariez une sorte de feuille de pointage que nous pourrions avoir devant nous lors de votre comparution et que nous pourrions remplir en votre présence. Seriez-vous prêts à nous fournir une telle feuille de pointage pour que nous puissions avoir des critères sur lesquels nous fonder pour porter un jugement sur ces diverses conventions fiscales?
Ma seconde question a trait aux gains en capital. Notre comité se penche actuellement sur cette question. Dans votre cahier d'information, vous dites que le pays d'origine, c'est-à-dire le pays dans lequel le bien est situé, conserve son droit de prélever un impôt sur les gains en capital tirés de l'aliénation de biens immobiliers, d'actifs d'entreprise et d'actions de sociétés immobilières, ou encore d'intérêts dans des partenariats immobiliers ou des fiducies immobilières.
Supposons que je sois propriétaire d'une société dans l'un des pays dont nous parlons; disons que j'ai acheté un terrain, que j'y ai construit une usine et qu'au bout de cinq ans, la valeur de mon immeuble a augmenté de 50 p. 100. Se pourrait-il qu'aux termes de votre convention négociée, le traitement de mes gains en capital soit pire que celui que j'aurais obtenu au Canada, ou serait-il le même?
M. Cullen: À propos de votre première question, je suis sûr que le ministère pourrait produire une telle feuille de pointage. Je me demande toutefois si, en le faisant, il ne vous fournirait pas une sorte de fiche de rendement à propos de lui-même. Si vous disposez d'une équipe de recherche, il serait peut-être préférable de lui confier la tâche de produire une telle feuille, peut-être en collaboration avec le ministère. C'est tout ce que je pourrais vous offrir à cet égard.
Monsieur Ernewein, auriez-vous quelque chose à ajouter sur ce sujet ainsi que sur la question des gains en capital?
M. Ernewein: J'aurais un élément à ajouter à propos de la feuille de pointage. Nous ferons volontiers notre possible pour améliorer...
Le sénateur Oliver: Pour nous aider à connaître les principes qui sous-tendent la négociation de l'une de ces conventions.
M. Ernewein: À propos de feuille de pointage, si vous avez le cahier d'information devant vous, vous y trouverez, au deuxième onglet, sur la page intitulée «Annexe 2», vers la quatrième page de cette section, un tableau comparatif des taux relatifs aux retenues à la source pour chacun des neuf pays dont les conventions fiscales font l'objet du présent projet de loi. Il y est question de revenus, de dividendes, de bénéfices de succursale, d'intérêts, de redevances, de versements de pension, de rentes et de revenus de fiducie. Je ne mentionne cela qu'au cas où ce serait ce dont vous voulez parler.
Le sénateur Oliver: Non, ce n'est pas le cas.
M. Cullen: Il s'agit ici davantage d'un inventaire. Monsieur le sénateur, si j'ai bien compris votre question, vous voulez parler d'une sorte de feuille de pointage qui vous aiderait à établir si oui ou non nous avons négocié une bonne convention.
Le sénateur Oliver: Exactement.
M. Cullen: Sur quels éléments ou critères nous nous sommes basés?
Le sénateur Oliver: C'est précisément ce que je demandais.
M. Ernewein: En ce qui a trait aux gains en capital, nous n'avons nullement innové à cet égard. La plupart des pays et des conventions fiscales reconnaissent à chaque pays le droit d'imposer les gains tirés de l'aliénation de biens immobiliers situés sur son territoire, de même que sur les propriétés commerciales.
Le sénateur Oliver: À quels taux?
M. Ernewein: Aux taux en vigueur dans chaque pays. Il n'y a pas de limite. On applique donc les taux en vigueur dans le pays concerné. Au Canada, pour autant que le gain visé soit un gain en capital et non un gain tiré de l'exploitation d'un stock immobilier, auquel cas le gain serait considéré comme un revenu ordinaire, l'impôt combiné fédéral-provincial sur le gain en capital serait de l'ordre de 35 à 37 p. 100.
Pour ce qui est de la réponse à votre seconde question concernant les sociétés immobilières, étant donné le problème d'évitement qui se poserait inévitablement si vous vous réserviez le droit exclusif de prélever l'impôt sur les biens immobiliers, aucun non-résident, ou du moins aucun non-résident sensé, n'aurait idée d'acheter directement des biens immobiliers locaux. Il s'en porterait acquéreur invariablement par l'entremise d'une société de portefeuille et les aliénerait en offrant en vente les actions de ladite société.
Pour contrer cette pratique, nombre de pays de l'OCDE, dont le Canada, insèrent depuis un certain nombre d'années dans leurs conventions une disposition qui leur donne le droit d'imposer non seulement le bien immobilier comme tel, mais également les avoirs en actions de sociétés, ou encore la participation à des sociétés de portefeuille ou à des sociétés dont l'actif principal est composé de biens immobiliers.
Le sénateur Angus: Je remarque, monsieur Sénécal, que vous êtes le chef par intérim, Conventions fiscales, Direction générale de la politique de l'impôt.
M. Sénécal: C'est juste.
Le sénateur Angus: Y a-t-il eu un M. Déry à ce poste? Seriez-vous par hasard son successeur?
M. Sénécal: Malheureusement, M. Déry est en congé de maladie. Nous ne sommes pas encore en mesure de dire s'il nous reviendra.
Le sénateur Angus: J'essaie de m'y retrouver. M. Déry a comparu devant nous à deux ou trois reprises depuis trois ans à propos de projets de loi concernant les conventions fiscales. À chaque fois, j'ai posé une série de questions à propos de la possibilité de conclusion d'une convention fiscale avec la Colombie, et c'est M. Déry qui répondait à mes questions. Si j'ai posé ces questions, c'est que des gens d'affaires exerçant des activités en Colombie se sont adressés à moi pour me confier que l'absence de convention fiscale entre le Canada et ce pays leur était fort onéreuse. À un certain moment, nous avions appris que le Canada souhaitait conclure une telle convention, mais rien n'a abouti, et on était censé nous renseigner sur l'état de cette question.
Pourriez-vous nous dire où on en est actuellement à cet égard en ce qui touche la Colombie? Vous nous arrivez ici avec neuf nouvelles conventions fiscales, dont aucune n'a trait à la Colombie. Que se passe-t-il?
M. Sénécal: Le cas colombien est pour moi une préoccupation quasi quotidienne. Nous avons effectivement du mal à amener les Colombiens à la table de négociations. Ils se replient constamment. On note chez eux une certaine hésitation à conclure un accord visant à éviter la double imposition. Ils se montrent très inquiets. Les responsables qui y sont en poste actuellement sont très peu familiers avec les conventions fiscales, ce qui pose également problème.
Au cours de la dernière année, nous avons tenté d'effectuer un certain nombre de visites dans ce pays. Le printemps dernier, nous étions censés nous y rendre. J'étais déjà à bord de l'avion quand on m'a dit de rentrer. Si nous ne sommes pas encore parvenus à signer une telle convention avec ce pays, ce n'est pas par manque de volonté de notre part.
À l'heure actuelle, nous envisageons la possibilité de nous rendre dans ce pays au début de l'an prochain, mais on nous a fait savoir qu'on y procède actuellement à une sorte de réforme fiscale et que, par conséquent, on n'est pas sûr d'être en mesure de nous recevoir.
Le sénateur Angus: Il serait donc juste d'affirmer, me semble-t-il, que notre gouvernement ne demanderait pas mieux que de négocier et de conclure une convention fiscale avec la Colombie si nous pouvions obtenir l'accord des Colombiens à cet égard. Est-ce le cas?
M. Sénécal: Oui, et pourvu que ces négociations nous permettent d'en arriver à un accord sur les conditions d'une telle convention.
Le sénateur Angus: Y a-t-il quelque chose que nous pourrions faire pour vous faciliter la tâche?
M. Sénécal: Les hauts fonctionnaires des Affaires étrangères travaillent sur ce dossier constamment. Personnellement, je reçois presque quotidiennement des missives par courriel et des appels téléphoniques de notre ambassade à Bogot<#00E1>. Ce ne sont pas nos efforts qui font défaut.
M. Cullen: À mon avis, les entreprises canadiennes intéressées devraient faire des démarches auprès des autorités colombiennes pour les presser d'accélérer le processus.
Le sénateur Angus: Les avez-vous incitées à le faire?
M. Cullen: Pour ce qui est de la convention fiscale avec la Colombie, je n'ai jamais eu connaissance que des particuliers ou des entreprises réclament la conclusion d'une telle convention, mais si nous leur demandions d'exercer des pressions en ce sens, peut-être que leur intervention se révélerait utile.
Le sénateur Angus: Les représentants du ministère nous ont confirmé que cette situation pose problème pour le Canada, étant donné que nous faisons affaire avec ce pays. Nous y exerçons diverses activités commerciales, notamment dans le secteur maritime, et je sais, pour me l'être fait dire par certaines de ces personnes, que des démarches ont été faites à cet égard auprès des autorités colombiennes.
Si j'ai posé ces questions aujourd'hui, comme je l'ai d'ailleurs fait à diverses occasions par le passé, c'est que, compte tenu de tout ce qu'on entend à propos de la Colombie, je me disais que le gouvernement était peut-être réticent à entretenir des relations avec ce pays, mais vous venez de me confirmer que nous souhaitons bel et bien traiter avec les Colombiens. Il n'est donc pas question de boycottage de la Colombie, ni d'embargo contre ce pays. Le problème, c'est tout simplement que nous avons du mal à amener les responsables colombiens à la table de négociations.
M. Cullen: À la section 3 de notre cahier d'information, monsieur le sénateur Angus, nous indiquons que des négociations sont en cours au sujet d'une éventuelle convention avec la Colombie. Je veillerai toutefois à saisir de nouveau de la question les ministres responsables, pour voir s'il n'y aurait pas quelque chose à faire qui puisse accélérer le processus.
Le sénateur Angus: Je vous en suis reconnaissant.
Le sénateur Kelleher: Si j'ai bien compris, ce qui peut nous inciter à souhaiter la conclusion d'une convention fiscale avec un pays donné, c'est le fait que nous y investissons ou y exerçons des activités commerciales. Nous tenons à nous assurer que le Canada y obtient sa juste part et que les sociétés ou les particuliers canadiens qui y font des affaires n'y sont pas injustement traités. Compte tenu des inquiétudes que nous entretenons à propos de l'Ouzbékistan, pourquoi nous intéressons-nous maintenant à ce pays, quand, selon vos propres documents où il est question de l'Ouzbékistan...
Le sénateur Oliver: Pour le pétrole et le gaz naturel.
Le sénateur Kelleher: On peut lire, dans votre cahier d'information, que le Canada y a des intérêts commerciaux négligeables. La valeur totale de nos échanges commerciaux avec ce pays a été de 18 millions de dollars en 1998. C'est très peu. On y dit également que le Canada n'y a pas d'investissement d'importance. Compte tenu du bilan de ce pays en matière de respect des droits de la personne, pourquoi nous montrons-nous actuellement si pressés de conclure avec lui une convention fiscale?
M. Cullen: Cette question sera de nouveau abordée au comité des affaires étrangères, monsieur le président, mais les hauts fonctionnaires ont indiqué...
Le sénateur Kelleher: Je ne cherche pas à revenir ici sur la question des droits de la personne. Je me demande tout simplement à quoi tient notre empressement, compte tenu du fait que nous ne semblons pas avoir tellement d'intérêts commerciaux dans ce pays.
M. Cullen: Comme nous l'avons indiqué précédemment, l'Ouzbékistan faisait partie de l'Union soviétique. Or, par suite du démembrement de ce pays, nous avons cherché à conclure des conventions avec ses ex-républiques. À vrai dire, il ne nous presse pas vraiment de conclure une telle convention avec l'Ouzbékistan. Ce projet suit son cours, et la convention est en voie de négociation. Comme vous dites, il semble bien que nos intérêts commerciaux dans ce pays ne soient pas tellement importants.
Toutefois, le gouvernement est d'avis qu'il vaut la peine de surveiller cette partie de l'ex-Union soviétique. À l'heure actuelle, cette région est desservie par quelques-unes de nos ambassades -- par exemple, celles de Moscou et d'Ankara -- et on a le sentiment, si je ne m'abuse, qu'elle pourrait se mettre à marquer des points sur le plan commercial, étant donné que d'autres pays ont déjà commencé à y investir. Dans ce cas, une société canadienne qui voudrait entreprendre de traiter avec ce pays se rendrait vite compte qu'elle n'a pas choisi le bon endroit, puisqu'en l'occurrence, elle s'exposerait à subir un traitement fiscal préjudiciable à son investissement et à ses activités commerciales, car une telle convention ne se négocie pas en quelques jours ou quelques semaines. Il faut en effet beaucoup de temps pour conclure ce genre de convention.
Peut-être les hauts fonctionnaires voudraient-ils ajouter quelque chose sur ce point.
Le sénateur Oliver: Vous avez dit précédemment, je crois, que ce pays disposait de réserves pétrolières et gazières. Est-ce vraiment le cas, et si oui, ces réserves sont-elles considérables?
M. Cullen: C'est ce que j'ai cru comprendre.
M. Ernewein: Il semblerait que ce pays dispose effectivement de telles réserves. Nous ne sommes toutefois pas en mesure d'en établir l'importance. Pour reprendre le point soulevé par M. Cullen, il n'y a pas uniquement les investissements déjà effectués qui appellent la signature de ce genre de convention, mais également les investissements projetés ou potentiels. En l'occurrence, comme on l'a fait ressortir précédemment, il est important pour les investisseurs potentiels qu'une telle convention soit en vigueur, pour qu'ils aient l'assurance de pouvoir jouir du même traitement que leurs concurrents d'autres pays; autrement dit, il y a une valeur considérable, sur le plan commercial, de rattachée à l'existence d'une telle convention.
En ce qui touche la négociation des conventions fiscales, je tiens à vous faire remarquer que cette convention particulière a été négociée aux alentours de 1994 ou 1995, mais n'a été signée que tout récemment, ce qui illustre bien que ce genre de chose ne se fait pas du jour au lendemain. Si, par exemple, quelqu'un venait nous demander demain de négocier une convention fiscale avec tel ou tel pays, il faudrait -- pour des raisons qui dépendent de nous ou de nos homologues de l'autre pays, ou encore de problèmes d'ordre logistique -- un certain nombre d'années pour conclure la convention en question.
M. Sénécal: Comme nous l'avons mentionné précédemment, des pays comme les États-Unis, le Royaume-Uni, l'Allemagne et la Belgique ont déjà des conventions fiscales avec l'Ouzbékistan. Étant donné notre retard à cet égard, nos sociétés pourraient être désavantagées, car s'il se présentait un projet pour lequel elles voudraient se porter soumissionnaires, elles ne pourraient espérer être compétitives puisque nous ne pourrions pas conclure une telle convention du jour au lendemain.
Le sénateur Lynch-Staunton: Quand vous négociez une convention fiscale ou prenez l'initiative de vous engager dans la négociation d'une telle convention, ou encore quand un pays vous approche pour vous proposer ce genre de négociation, consultez-vous les autorités des Affaires étrangères, ou encore celles de tout autre ministère concerné, afin d'établir le statut de ce pays aux yeux du Canada et quelle doit être notre position à son égard sur le plan diplomatique, ou vous engagez-vous dans de telles négociations -- je ne dirais pas en isolement, mais en vous en tenant pratiquement au mandat qui est le vôtre -- en vous disant que votre responsabilité, c'est de négocier une convention fiscale, et qu'on verra ensuite pour le reste?
M. Ernewein: En règle générale, trois ministères interviennent dans le processus entourant la négociation et la mise en oeuvre d'une convention fiscale. C'est naturellement le cas des Affaires étrangères, et Revenu Canada intervient également. C'est le ministère des Finances qui dirige les négociations comme telles, avec l'aide directe des représentants de l'ACDR. Le ministère des Affaires étrangères est consulté et tenu au courant des négociations; il participe parfois directement aux négociations dès le départ ou en cours de route.
En ce qui touche les approbations, nous cherchons à obtenir l'aval explicite de chacun de ces trois ministères avant d'en arriver à l'étape de la signature de la convention.
Le sénateur Lynch-Staunton: Je crois que c'est le ministère des Affaires étrangères qui signe les conventions fiscales. Je vois ici la signature de M. Axworthy sur trois d'entre elles.
M. Ernewein: Je crois que c'est en effet presque toujours un représentant du ministère des Affaires étrangères qui signe ces conventions.
Le sénateur Lynch-Staunton: Le rôle du ministère des Affaires étrangères est de faciliter, auprès du gouvernement intéressé, le processus de préparation de la convention. M. Sénécal a fait allusion au cas de la Colombie. Il espère que le ministère des Affaires étrangères fera tout en son pouvoir pour faire avancer les choses vers la solution que souhaite le sénateur Angus.
M. Ernewein: Généralement, la participation du ministère des Affaires étrangères est essentielle sur le plan de la logistique et, souvent, sur le plan de la substance pour faire avancer les négociations.
Nous avons de longue date une convention fiscale avec les États-Unis, étant donné l'importance des investissements réciproques dans les deux pays et le fait que nous soyons voisins. Au ministère des Finances, nous traitons régulièrement et directement avec les gens du Conseil du Trésor, et généralement, nous n'avons pas besoin d'intermédiaire pour nous assister; il en va toutefois souvent autrement dans le cas des autres pays, où l'intervention du ministère des Affaires étrangères est de rigueur.
Le sénateur Fitzpatrick: Si j'ai bien compris, les gains en capital sont exclus de ce type de convention; autrement dit, l'impôt sur les gains en capital est payé dans le pays d'origine, aux taux qui y sont en vigueur. Puis, le Canada prélève à son tour son impôt sur les gains en capital, de sorte que ceux-ci sont doublement imposés. Est-ce bien le cas?
M. Ernewein: J'aurais peut-être moi-même une question à vous poser pour m'assurer que j'ai bien compris la vôtre. Voulez-vous parler du cas où, par exemple, un investisseur canadien réaliserait un gain en capital dans un autre pays et où ce pays prélèverait un impôt sur ce gain?
Le sénateur Fitzpatrick: Exactement.
M. Ernewein: Aux termes d'à peu près toutes, sinon de toutes, nos conventions fiscales, s'il s'agissait d'un gain réalisé sur un bien immobilier situé dans l'autre pays, ce pays aurait le droit de prélever un tel impôt. Nous permettrions au contribuable d'éviter la double imposition en lui accordant un crédit correspondant à l'impôt payé à l'étranger. Autrement dit, l'impôt prélevé par l'autre pays serait crédité contre notre propre impôt, de sorte que le contribuable finirait par payer seulement le montant le plus élevé des deux, effectivement.
S'il ne s'agissait pas d'un gain réalisé à l'occasion de l'aliénation d'un bien immobilier ou de la vente d'actions de sociétés immobilières -- encore là, je parle en général, car il y a des variantes dans nos conventions --, l'autre pays n'aurait pas le droit de prélever un impôt sur ce gain, qui ne serait assujetti qu'à l'impôt canadien au taux alors en vigueur.
[Français]
Le sénateur Hervieux-Payette: Depuis le début, on parle d'éviter la double imposition. On semble oublier le deuxième objectif de la loi, qui est de prévenir l'évasion fiscale en matière d'impôt sur le revenu et sur la fortune. Il y a des échanges d'informations entre deux ministères du Revenu dès qu'un traité entre en vigueur. Cela signifie-t-il que ces informations permettent, tant au Canada qu'aux autres pays, d'éviter que des citoyens aillent chercher refuge dans ces pays?
M. Sénécal: Oui, c'est exact.
Le sénateur Hervieux-Payette: Techniquement, est-ce qu'on échange plus d'informations lorsqu'il y a un traité que lorsqu'il n'y en a pas?
M. Sénécal: Oui, autrement, on n'aurait pas eu le droit.
[Traduction]
Le sénateur Tkachuk: Vous avez mentionné que vous étiez en négociation avec la Colombie. Auriez-vous la liste des pays avec lesquels vous négociez actuellement?
M. Cullen: Elle vous est fournie dans le cahier d'information, à la section 3.
Le président: Honorables sénateurs, s'il n'y a pas d'autres questions pour nos témoins, j'aimerais remercier nos invités d'avoir comparu devant nous aujourd'hui.
Puis-je nous épargner l'examen article par article?
Des voix: D'accord.
Le président: Puis-je faire rapport du projet de loi S-3 sans amendement?
Le sénateur Tkachuk: À qui devons-nous en faire rapport?
Le président: Si je ne m'abuse, ce projet de loi sera soumis au comité des affaires étrangères. Pour ce qui est du moment, je ne saurais le dire précisément.
Sénateur Lynch-Staunton, vous devez le savoir.
Le sénateur Lynch-Staunton: Non. D'après les directives que le Sénat nous a transmises, directives qu'il avait lui-même reçues du gouvernement, le projet de loi devait d'abord être soumis au comité des banques, puis au comité des affaires étrangères. Un comité ne peut renvoyer un projet de loi à un autre comité.
Le projet de loi doit retourner au Sénat. Le Sénat reçoit le rapport, puis décide de la prochaine étape.
Le président: M. Gary Levy, notre greffier, va nous expliquer la procédure.
M. Gary Levy, greffier du comité: Selon moi, il nous faut suivre dans ce cas-ci la procédure habituelle, en ce sens que nous devons adopter le projet de loi ici, puis en faire rapport au Sénat. Là s'arrête la responsabilité du comité. Ce qui se passe par la suite relève de la Chambre du Sénat.
Le président: Quand dois-je faire rapport du projet de loi au Sénat? J'ai dit que je le ferais mercredi.
Une voix: Non.
Le sénateur Hervieux-Payette: Pourquoi pas demain?
Le président: J'ai besoin qu'on me renseigne. Quelqu'un saurait-il quand le comité des affaires étrangères se réunira pour étudier cette question?
Le sénateur Lynch-Staunton: Je ne crois pas que ce comité puisse se réunir sur cette question avant que le Sénat l'ait saisi du projet de loi.
Le sénateur Fitzpatrick: Je propose que nous fassions rapport du projet de loi sans amendement. Le projet sera alors entre les mains du Sénat.
Le sénateur Lynch-Staunton: Après avoir proposé que le projet soit renvoyé à deux comités, le leader adjoint du gouvernement a dit très clairement qu'il serait d'abord soumis à notre comité, puis au comité des affaires étrangères.
Le sénateur Kenny: Je partage à ce sujet l'opinion exprimée par le chef de l'opposition. C'est bel et bien ce qui a été convenu.
Le président: Sur quoi avez-vous fondé vos observations, monsieur le greffier?
M. Levy: Sur la motion figurant dans les Journaux du Sénat. Je crois toutefois que la motion en question a été rectifiée le lendemain par le sénateur Hays à la Chambre.
Le sénateur Lynch-Staunton: Il nous faudra nous référer au hansard et à l'explication du sénateur Hays à propos de cette question.
Le sénateur Kenny: Quoi qu'il en soit, il s'agit de savoir si le président doit faire rapport du projet de loi au Sénat.
Le président: C'est juste. Je dois faire rapport du projet de loi, après quoi le Sénat pourra procéder comme il l'entendra.
Êtes-vous d'accord, chers collègues, pour adopter la motion?
Des voix: D'accord.
Le président: Je vais faire rapport du projet de loi au Sénat, sans amendement.
La séance est levée.