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BANC - Comité permanent

Banques, commerce et économie

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce

Fascicule 6 - Témoignages


OTTAWA, le mercredi 16 février 2000

Le comité sénatorial permanent des banques et du commerce se réunit aujourd'hui à 15 h 30 afin d'examiner la situation actuelle du régime financier canadien et international (l'impôt sur les gains en capital).

Le sénateur E. Leo Kolber (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Sénateurs, permettez-moi de souhaiter la bienvenue à notre témoin, M. Satya Poddar. M. Poddar est un associé en fiscalité du bureau d'Ernst & Young, à Toronto. Il est conseiller sur les questions de planification et de politique fiscales auprès de divers groupes de l'industrie, de sociétés et des gouvernements fédéral et provinciaux. Il a entrepris un grand projet de recherche pour la Commission européenne et de 1990 à 1994 il a été commissaire pour la Commission de l'équité fiscale de l'Ontario. Il a travaillé comme expert en politique fiscale pour le Harvard Institute for International Development, le Fonds monétaire international et la Banque mondiale. Il est l'auteur de nombreux articles sur la politique fiscale et collabore à une rubrique fiscale dans le Financial Post.

Monsieur Poddar, vous avez la parole.

M. Satya Poddar, associé, Impôt des sociétés, Ernst & Young: Monsieur le président, c'est un plaisir et un privilège d'être ici cet après-midi. J'ai l'intention de faire d'abord un exposé en vous présentant des transparents de rétroprojection, après quoi je serai heureux de répondre à vos questions.

En 1993, Ernst & Young a publié un bulletin. À l'époque, l'imposition des gains en capital était très controversée, comme cela a toujours été le cas. Voici ce que l'on disait dans ce bulletin:

L'impôt sur les gains en capital représente peut-être l'élément le plus complexe et le plus contentieux du régime canadien d'impôt sur le revenu.

L'impôt sur les gains en capital est l'équivalent fiscal de l'avortement et de la peine capitale.

Sur toutes ces questions, d'importants groupes de la population ont deux points de vue qui sont fermement et diamétralement opposés et sur lesquels ils ne sont prêts à faire aucun compromis.

Permettez-moi tout d'abord de résumer les principaux points que j'aborderai dans mon exposé aujourd'hui.

D'abord, les règles canadiennes pour l'impôt sur les gains en capital sont complexes et sont une source de distorsion économique. Cette complexité, et la distorsion qui en découle, font inévitablement partie des compromis politiques qui ont été faits dans un domaine aussi complexe que l'impôt sur les gains en capital.

L'impôt sur les gains en capital devrait être vu dans le contexte plus général de l'impôt sur tout le revenu du capital. Le revenu du capital peut provenir d'intérêts, de dividendes, de gains en capital, de bénéfices industriels et commerciaux et de profits d'entreprise. À titre d'économiste, j'estime qu'il s'agit là de substituts et que si l'on choisit un élément du revenu du capital, on crée davantage de distorsion dans le régime.

Une partie importante des gains en capital réalisés par les particuliers est tirée des biens immobiliers. Les gains en capital tirés des biens immobiliers doivent être considérés différemment des gains en capital provenant de l'investissement dans des actions, car les considérations stratégiques qui entrent en ligne de compte lors de l'élaboration des règles régissant l'impôt sur les gains en capital pour les actions sont différentes de celles qui visent les biens immobiliers. Par le passé, les gains tirés des biens immobiliers représentaient environ la moitié du total. Le pourcentage des gains totaux varie d'une année à l'autre, mais sur une période de 10 à 15 ans les gains sur les biens immobiliers représentent près de la moitié du total.

Le régime actuel prévoit un taux marginal d'imposition très élevé sur le revenu du capital, mais un taux d'imposition moyen peu élevé. Le fardeau fiscal moyen est peu élevé, car, comme nous l'avons constaté dans une étude que nous avons publiée il y a environ six mois, environ les trois quarts du revenu tiré de placements personnels individuels sont détenus dans des abris fiscaux sous forme de REER et de résidences, ce qui n'est pas imposable. En fait, seulement le quart de la richesse individuelle ou du revenu de placements qui génère de la richesse est détenu à l'extérieur des régimes enregistrés, et est imposable. Les trois quarts de cette richesse sont exonérés d'impôt. Cependant, pour le quart du revenu qui est détenu à l'extérieur, les taux d'imposition sont très élevés. Ces taux d'imposition peuvent atteindre de 35 à 50 p. 100. On considère que les conditions économiques sont touchées non pas par les trois quarts qui sont à l'abri de l'impôt, mais par le quart, soit les marges qui se déplacent dans divers secteurs de l'économie.

Il y a une marge considérable qui permettrait une simplification et une rationalisation économique, mais pour cela nous devons adopter un modèle purement fiscal. Un modèle purement fiscal pourrait être un modèle fondé purement sur l'impôt sur le revenu ou un modèle fondé purement sur la taxe à la consommation. Au Canada, nous avons actuellement un hybride, et ce régime hybride est source de complexité.

L'environnement économique change rapidement en raison du commerce électronique, qui a accru la mobilité du capital. Par conséquent, le régime fiscal canadien n'est plus concurrentiel. Afin de rendre le régime fiscal canadien concurrentiel, nous avons besoin de changements radicaux; des changements mineurs seront inutiles.

Le critère le plus important, lors de la conception de l'impôt sur les gains en capital, est la neutralité fiscale. Sans une application neutre de la taxe, on enrichit essentiellement les comptables et les avocats qui répondent aux besoins des contribuables.

Si le gouvernement n'est pas prêt à apporter des changements majeurs au régime fiscal, il peut faire certains changements entre-temps. Il peut entre autres réduire le taux d'incorporation des gains en capital de 75 p. 100 à deux tiers et réduire les taux d'impôt sur le revenu personnel et sur le revenu des sociétés.

J'aborderai ces questions plus en détail.

En 1999, en Ontario, le taux marginal d'imposition sur les revenus en intérêts était de 48,75 p. 100. Le taux d'imposition maximal sur les dividendes était de 32,9 p. 100. Sur les gains en capital, le taux d'imposition maximal était de 36,57 p. 100. Je me reporterai à cette gradation des taux d'imposition dans mes observations subséquentes.

Le total des gains pour 1996, soit l'année la plus récente pour laquelle nous avons des chiffres, était de 13,5 milliards de dollars. De ces gains, les actions représentaient 6 milliards de dollars et les biens immobiliers, 1,1 milliard de dollars. En 1999, la part des biens immobiliers était peu élevée, mais quelques années auparavant les gains sur les biens immobiliers représentaient entre 70 et 80 p. 100 du gain total et les gains sur les actions étaient très peu élevés.

Jusqu'à 500 000 $ en gains sur les actions des petites entreprises et des propriétés agricoles sont exonérés d'impôt, tout comme les gains sur les résidences principales et les investissements dans les régimes de pension enregistrés, notamment les REER et les RPA ainsi que d'autres types de régimes, comme les régimes de participation différée aux bénéfices. Ces gains exonérés, ainsi que d'autres types de revenus de placements exonérés, représentent 75 p. 100 du revenu de placements total personnel.

Vous avez entendu des témoins précédents déclarer que les problèmes causés par l'impôt sur les gains en capital posent une énigme aux décisionnaires. La Commission Carter a dit qu'un dollar, c'est un dollar, et que tout devrait être imposable. Carter parlait de neutralité fiscale. Il a dit que les gains en capital devraient être imposables d'une façon neutre, comme le sont d'autres types de revenus.

Un autre aspect de l'impôt sur les gains en capital doit être considéré en toute équité. D'aucuns sont d'avis que les gains en capital se retrouvent surtout dans les fourchettes d'imposition plus élevées et que, par conséquent, en accordant une exonération, ou toute concession sur les gains en capital, on offre des avantages qui sont régressifs, ou tout au moins qui ne sont pas progressifs.

Je crois que c'était M. Grubel qui, dans son exposé, vous a dit qu'une bonne partie des gains en capital sont déclarés par des particuliers avec un revenu de moins de 50 000 $. Si on regarde les données pour une seule année, il est très difficile d'évaluer qui sont ces gens. S'agit-il réellement de particuliers à faible revenu, ou est-ce qu'ils ont déclaré un faible revenu pour cette année en particulier?

Une façon probante de vraiment connaître quelle est la situation financière de ces particuliers, c'est de vérifier leur dossier pour les années précédentes plutôt que de tenir compte uniquement des données relatives à leur revenu et gains en capital pour une année seulement. Heureusement, le Canada dispose d'informations sur le dossier des particuliers. Lorsque j'étais au ministère des Finances, nous recueillions des données avec l'aide de Revenu Canada. Pour une personne sur dix, on constituait un dossier à partir des déclarations de revenus, et on gardait ces déclarations pour chaque année. Par conséquent, nous avons un profil de ces particuliers qui font partie de l'échantillon de 10 p. 100. À partir de ce profil, il est possible de déterminer le revenu de ces particuliers pendant toute leur vie, ou tout au moins leur revenu pour plus d'une année. On peut alors établir la moyenne de leur revenu pour une période de cinq ou dix ans et déterminer le montant des gains en capital qu'ils ont déclaré pour cette période. On obtient une bien meilleure idée de la concentration des gains en capital en examinant le dossier longitudinal plutôt que les données se limitant à une seule année.

Du point de vue de l'efficacité économique, les avis sont partagés chez les économistes. Certains font valoir que si l'on offre des conditions fiscales sélectives, on crée des distorsions économiques. Il est vrai que chaque fois que l'on impose quelque type de revenu que ce soit, cela fait mal, mais si on offre un allégement sur une base sélective, on empire la condition économique. Par conséquent, si des concessions doivent être faites, elles doivent être générales, et non pas sélectives.

Ceux qui sont contre l'impôt sur les gains en capital font valoir tout d'abord que les gains en capital ne sont imposables que lorsque les gains sont réalisés; qu'ils ne sont pas imposés selon une comptabilité d'exercice à mesure qu'ils sont gagnés -- ce qui crée un effet de blocage, car si on réalise un gain dans un portefeuille, on hésite à vendre ce portefeuille et à déclencher l'impôt. On veut donc retarder la réalisation de ce gain le plus longtemps possible. C'est ce qu'on appelle l'effet de blocage qui est peut-être inefficace du point de vue économique.

Il y a eu beaucoup de débats sur la question aux États-Unis. Lorsque le taux d'imposition sur les gains en capital américain a été réduit de 20 p. 100, bon nombre des études qui ont été effectuées ont permis de conclure qu'à cause de la réduction du taux d'imposition sur les gains en capital l'effet de blocage serait réduit, que beaucoup plus de gens encaisseraient leurs gains et que, par conséquent, le gouvernement gagnerait des recettes plutôt que d'en perdre.

Ceux qui sont contre l'impôt sur les gains en capital font valoir également qu'une grande partie des gains est attribuable à l'indexation en fonction du coût de la vie. Si on évalue et si on indexe les gains en fonction de l'inflation, la partie imposable diminue de façon considérable.

Le troisième argument est celui d'une double imposition des épargnes. Lorsqu'on gagne un revenu, on paie de l'impôt; lorsqu'on épargne de l'argent et que l'on gagne des gains sur le capital, on paie encore de l'impôt sur cet argent.

Un autre argument contre l'impôt sur les gains en capital est celui de la croissance économique, c'est-à-dire que si on n'impose pas les gains en capital, ou si l'on réduit l'impôt, on générera des épargnes et de l'investissement additionnels, ce qui créera davantage de croissance économique. Cela rendra également le Canada plus concurrentiel, lui permettant d'attirer davantage d'investissements d'autres pays.

Les deux côtés ont des arguments valables. C'est comme lorsqu'on parle de l'avortement ou de la peine capitale. On ne peut pas conclure de façon objective à ce qui est bien et à ce qui est mal, et c'est pourquoi nous avons besoin de groupes comme le Sénat ou la Chambre des communes pour arriver à une conclusion.

Voici ce que je pense personnellement: la disparité dans l'imposition des différents types de revenus mène à un évitement fiscal inapproprié, ce qui est difficile à contrôler et mène à la complexité fiscale. J'ai deux exemples. Tout d'abord, avant 1972, lorsqu'il n'y avait pas d'impôt sur les gains en capital, il y avait beaucoup d'activité de planification qu'on appelait le dépouillement de surplus, c'est-à-dire que les revenus de dividendes étaient transformés en gains en capital, qui étaient exonérés d'impôt. Ce fut une considération importante dans la recommandation de la Commission Carter en vue de rendre les gains en capital imposables. Le régime a été conçu pour qu'il y ait une uniformité approximative dans l'imposition des dividendes et des gains en capital.

Un autre exemple de planification fiscale massive qui peut être causée par l'absence d'uniformité est la surintégration. En 1976, le crédit d'impôt pour sur les dividendes a été augmenté considérablement.

Par conséquent, l'impôt sur les dividendes est devenu peu élevé par rapport à l'impôt sur les salaires. Il y a eu un mouvement important visant à incorporer les employés en sociétés. Ils prendront très peu comme salaires. Ils retireront tous leurs revenus des dividendes et profiteront de la surintégration de l'importante augmentation du crédit d'impôt pour dividendes.

Je me rappelle que des journalistes se sont incorporés en sociétés. Le gouvernement a apporté des changements majeurs en 1976 et en 1981 en vue d'empêcher la conversion des revenus d'emploi en revenus de dividendes.

En fait, aujourd'hui, bon nombre de petites entreprises ne fonctionnent qu'avec un employé et offrent des services à peut-être un ou deux clients tout au plus, même s'il y a des règles pour bloquer les avantage sur le plan fiscal. Cependant, cela montre que lorsqu'il y a un avantage, les gens planifient de façon à pouvoir profiter de cet avantage.

L'opposition à l'imposition des gains en capital reposait auparavant sur des arguments ayant trait à la croissance économique, à l'indexation pour inflation et à la double imposition de l'épargne. De tels arguments ne s'appliquent pas seulement aux gains en capital. Ils s'appliquent tout autant à l'imposition du revenu en intérêts, des dividendes et des bénéfices d'entreprises, ainsi que d'autres formes de revenus du capital.

Si je détache les coupons pour obtenir mon revenu en intérêts, je suis tout aussi touché par l'absence d'indexation que la personne qui réalise un gain en capital sur son portefeuille. S'il y a lieu d'appliquer un allégement à cause de la non-indexation pour l'inflation, alors l'allégement doit viser non seulement les gains en capital, mais aussi les autres types de revenus de placements, y compris l'intérêt de dividendes et le revenu d'entreprise.

Les arguments qui concernent la croissance économique et la double imposition de l'épargne ne s'appliquent pas dans la même mesure aux bénéfices découlant des biens immobiliers. En effet, dans certains pays l'imposition des bénéfices tirés des biens immobiliers est carrément punitive. Au Japon, par exemple, la terre est très rare. Les autorités ne veulent surtout pas encourager l'investissement en biens immobiliers. Ainsi, le traitement des gains en capital y est généreux d'une façon générale, mais punitif lorsqu'il s'agit de gains sur des biens immobiliers.

J'ai participé aux travaux de la Commission de l'équité fiscale de l'Ontario. L'une des mesures clés contenues dans le programme électoral du NPD cette année-là consistait à imposer une taxe sur la spéculation foncière qui visait à décourager les investissements en biens immobiliers. Heureusement, la recommandation n'a pas été adoptée.

Les effets de blocage et d'indexation de l'inflation de l'imposition des gains en capital peuvent être surmontés sans que l'on abandonne l'imposition de ce type de gains. En 1983 ou 1984, le gouvernement a introduit un régime de placements en titres indexés. Le régime visait à assurer l'indexation des gains en capital. Il avait également pour résultat de supprimer l'effet de blocage, étant donné que tout achat dans le cadre du régime n'avait pas pour effet de déclencher l'imposition immédiate de la taxe sur les gains en capital. Ainsi, dans la mesure où on s'inquiète de l'effet de blocage et de l'indexation, il existe des façons de régler ce genre de problèmes sans renoncer à l'imposition des gains en capital.

Le régime de placements en titres indexés a été aboli en 1985 ou 1986, au moment où le gouvernement conservateur a introduit l'exemption de 500 000 $ des gains en capital. Selon les Conservateurs, la mesure d'indexation n'était plus nécessaire, étant donné que les gains seraient exonérés de toute façon pour la vaste majorité des contribuables.

Le régime actuel, caractérisé par des taux d'imposition marginaux élevés et, par contre, par des taux d'imposition moyens faibles, est inefficace sur le plan économique. On prend des décisions économiques non pas en fonction des taux d'imposition moyens, mais plutôt en fonction de l'impôt versé sur le dernier dollar investi. Chez nous, le taux d'imposition qui vise le dernier dollar d'investissement est très élevé, mais nous tentons de réduire ce taux en accordant un allégement moyen par le truchement des REER et d'autres mécanismes de ce genre. Il s'agit d'un système qui n'est pas efficace.

À l'échelle internationale, les diverses forces qui ont tendance à exercer une pression à la baisse sur les taux marginaux d'imposition qui s'appliquent au revenu d'investissement sont considérables. Par exemple, en Suède, au Danemark, en Norvège et en Finlande, soit les quatre pays nordiques, il fut une époque où on appliquait au revenu d'investissement des taux d'imposition extrêmement élevés. Une taxe spéciale visait en effet l'investissement; il s'agissait d'une taxe distincte de l'impôt progressif sur le revenu salarial. On estimait que le revenu de placements était en quelque sorte un revenu passif. Puisqu'il n'exigeait pas d'efforts, on pouvait l'imposer à des taux très élevés. Au Royaume-Uni également, on appliquait une taxe spéciale punitive sur le revenu de placements passifs. Or, en 1991, 1992 ou 1993, quelque chose s'est produit. Ces pays ont fait l'objet de fuites de capitaux de grande envergure.

À l'heure actuelle, on y applique un régime d'impôt sur le revenu dit à deux volets. Un taux de 28 ou 29 p. 100 s'applique au revenu d'investissement. Les revenus en intérêts, les gains en capital, les dividendes et les bénéfices d'entreprises sont assujettis à un taux uniforme de 29 p. 100. Ce volet ne fait même pas partie du régime progressif d'imposition, qui ne s'applique qu'au revenu gagné, lié essentiellement aux salaires et aux pensions.

Le taux d'imposition qui vise le revenu de pension va jusqu'à 60 p. 100, soit davantage que celui qui s'applique aux salaires. Cependant, un taux unique de 29 p. 100 s'applique au revenu de placement de capitaux.

Je parle ici de pays où l'on préconise un régime d'impôt très progressif, à tel point qu'il devient dissuasif. Or, les forces du marché ont imposé un certain recul par rapport à ce genre de régime. À l'heure actuelle, on constate une inversion, à savoir que les taux qui visent les revenus d'investissement sont très bas et ceux qui visent les salaires sont très élevés.

J'ai eu l'occasion de participer à une étude pour le compte de la Commission européenne dans le cadre de laquelle je me penchais sur l'importance du phénomène de l'évitement fiscal par l'achat d'euro-obligations et l'utilisation de comptes secrets au Luxembourg, en Suède, en Suisse et dans d'autres pays étrangers. Par ailleurs, selon un article du Globe and Mail -- et je n'ai pas les chiffres exacts -- l'Allemagne aurait, en 1992 ou 1993, perçu 52 milliards de dollars en taxes visant les revenus d'investissement des particuliers. Or, pour le premier trimestre de 1996, le chiffre correspondant était égal à moins 15 milliards de dollars -- soit un écart de pratiquement 60 milliards de dollars sur une période de quatre ans.

Que s'est-il donc passé? L'économie ne s'était pourtant pas effondrée. Personne n'a fait d'étude détaillée de cette question, mais, à partir de certaines recherches que j'ai effectuées pour le compte de la Commission européenne, je puis affirmer qu'une partie du revenu a pris le chemin de ces fameux comptes de non-résidents ou de titres au porteur qui ne donnent lieu à aucune déclaration de revenus d'investissement. Il s'agit du même phénomène qui a obligé les pays nordiques à adopter un régime d'impôt sur le revenu à deux volets prévoyant un taux d'imposition de 28 p. 100 pour les revenus d'investissement.

Le Canada a été chanceux à cet égard. Les Canadiens sont très respectueux des lois, c'est bien connu. Il existe de bonnes mesures de contrôle, et la classe politique voit d'un très mauvais oeil les contribuables qui ne respectent pas les règles. Il faut espérer qu'un tel système continue d'exister. Cependant, dans les pays européens il s'est effondré.

Au Canada, les taux d'imposition du revenu des particuliers représentaient 14 p. 100 environ du PIB en 1997, comparativement à 11,6 p. 100 aux États-Unis pour la même année. Par le passé, les taux avaient été à peu près les mêmes, soit de 10 p. 100 environ. Toutefois, le taux d'imposition du revenu des particuliers a fortement augmenté au Canada. L'écart de 2,5 points constaté récemment représente 25 milliards de dollars de plus en impôt sur le revenu des particuliers, toute proportion gardée. Un tel écart n'est pas sans effet.

Je vais parler des avantages économiques importants qui découlent de l'adoption d'un modèle pur de taxe à la consommation ou d'un modèle pur d'imposition du revenu des particuliers. On peut se rapprocher d'un modèle pur de taxe à la consommation en élargissant les possibilités de cotisation à des REER. Dans ce cas, aucun impôt ne s'applique aux revenus d'investissement. Les limites seraient donc supprimées et d'autres mesures seraient prises pour mettre en oeuvre un régime pur de taxe à la consommation. On peut également envisager un régime pur d'impôt sur le revenu.

Sur le plan politique, on hésite à adopter de telles solutions extrêmes. On cherche plutôt une solution de compromis, un terrain mitoyen. J'estime pour ma part que les solutions marginales ou provisoires ne permettent, au mieux, que de limiter les dégâts.

Si on cherche à exploiter le système de marché et à en tirer des avantages, on ne doit pas se laisser imposer une solution par les forces du marché. En Irlande, les autorités l'ont bien compris. On qualifie désormais ce pays de tigre celtique. Les taux d'imposition sont très bas et l'économie roule à fond. Il y a deux ou trois semaines, l'Allemagne a réduit son taux d'imposition des sociétés de 40 p. 100 à 25 p. 100. Cela aura un effet spectaculaire sur les flux internationaux de revenus d'entreprise imposables. Les autorités allemandes n'ont pas agi de façon volontaire; elles ont constaté l'orientation du marché et s'y sont conformées.

Dans les économies émergentes de l'Inde et de la Chine, il n'existe pratiquement aucune taxe sur le revenu du capital. Par le passé, on pouvait ne pas tenir compte de ces deux économies. Tel n'est pourtant pas le cas aujourd'hui. Elles prennent une envergure très considérable, et leurs entreprises vont concurrencer celles de l'Amérique du Nord. Nous ne pouvons faire abstraction d'une telle concurrence.

Le climat économique évolue très rapidement. Il y a cinq ans à peine, le régime fiscal du Canada avait fière allure. Aujourd'hui, il est assez peu concurrentiel.

Lorsque la mer est houleuse, il faut donner de bons coups de barre et ne pas s'en tenir à des changements progressifs. Les mesures jugées radicales il y a cinq ans ne sont même plus à la hauteur aujourd'hui.

Il y a trois grandes possibilités. Premièrement, le modèle pur d'impôt sur le revenu, une forme plus pure de l'impôt. Si cette option était retenue, on abaisserait le taux marginal d'imposition. La seule façon d'y parvenir est d'avoir une assiette fiscale très large, peut-être en abolissant les REER et les déductions pour régimes de retraite et autres concessions du régime fiscal. On se sert de l'accroissement des recettes pour abaisser radicalement le taux de l'impôt. Vous pourriez peut-être réduire à 25 p. 100 le taux actuel de 50 p. 100 si vous abolissiez tous les allégements. Des pays comme la Nouvelle-Zélande se sont engagés dans cette voie. Ils visent un modèle pur d'impôt sur le revenu en élargissant l'assiette et en utilisant les recettes pour faire baisser l'ensemble des taux d'imposition.

Deuxièmement, il y a le modèle pur de taxe à la consommation, qui irait en sens inverse. On libéraliserait davantage les incitatifs fiscaux pour les revenus de placements, et seule la consommation serait frappée d'impôt.

Troisièmement, il y a les mesures mitoyennes, qui sont comme marcher dans la vase: quand on lève un pied, l'autre s'enfonce. Politiquement, si vous adoptez cette voie, vous devez vous assurer que tout excédent budgétaire sert à abaisser le taux marginal d'impôt des particuliers et des sociétés. À mon avis, il faut les abaisser immédiatement d'environ 10 p. 100, sans quoi vous assisterez à une sortie massive des revenus canadiens vers l'étranger.

Il faut réduire le taux d'inclusion des gains en capital et le faire passer de 75 p. 100 à au moins deux tiers, en tout cas pas plus de deux tiers, et si possible même 50 p. 100. Vous voudrez peut-être envisager de revenir au Régime de placements en titres indexés (RPTI), qui permet l'indexation des gains en capitaux et supprime l'effet de blocage. Vous pourrez aussi envisager d'autres changements sélectifs dans le domaine des gains en capital et des revenus provenant de placements en général.

Le sénateur Meighen: Monsieur Poddar, vous avez presque, je crois, répondu à vos propres questions, en ce sens que vous estimez vous aussi que les politiciens, étant des politiciens, vont sans doute choisir la troisième option. Je ne vais pas vous contredire.

Laissez-moi vous poser la question suivante: en ce qui concerne les mesures mitoyennes, patauger dans la vase, en imaginant que c'est là qu'il faut patauger, vous avez dit qu'à tout le moins vous voudriez que le gouvernement abaisse le taux marginal d'imposition des particuliers et des sociétés de 10 p. 100 au moins. Par principe, ou pour des considérations plus précises comme l'emploi, comme vous le mentionnez, préférez-vous réduire l'impôt des particuliers ou celui des sociétés?

M. Poddar: Les deux doivent être abaissés. Il ne peut pas y avoir de déséquilibre entre le taux maximum des particuliers et des sociétés. Imaginez que vous fassiez passer de 45 à 30 p. 100 le taux maximum des sociétés. Que va-t-il arriver demain? Les gens vont se mettre à investir tous leurs revenus dans des sociétés pour éviter le taux maximum d'impôt des particuliers. Vous n'avez vraiment pas le choix. Le taux maximum des particuliers doit baisser en même temps que le taux maximum des sociétés.

Le sénateur Meighen: Il y a un aspect dont vous n'avez pas parlé lorsque vous avez discuté de l'effet de blocage. Il me semble que l'un des reproches explicites et implicites visant les gains en capital, c'est que cela frise la spéculation. Pourquoi dans ce cas les gens devraient-ils empocher tout ce gain à la suite d'une opération de spéculation? Il est paradoxal que la plus grosse spéculation de toutes, la loterie, ne soit pas imposée. Mais ça, c'est une autre question. Qu'est-ce qui est plus spéculatif que d'acheter un billet de loterie?

Comme vous le savez, aux États-Unis, l'imposition des gains en capital est différente, sauf erreur, et varie en fonction de la période d'obtention du titre, à tout le moins. Qu'en pensez-vous?

Au risque d'être contredit par ceux qui ont beaucoup plus de succès que moi en politique, je pense que l'on pourrait atténuer cette accusation de spéculation si vous disiez: «Celui qui revend une action 24 heures après l'avoir achetée et dégage un gros bénéfice sera imposé à un taux plus élevé que celui qui hérite de 100 actions du Canadien Pacifique et qui doit les vendre pour payer le loyer.» Politiquement, il y a peut-être des arguments en faveur de cette façon de faire; du point de vue de l'économie, qu'en dites-vous?

M. Poddar: Il y a deux aspects à cela. D'abord, quand vous établissez une distinction entre les gains à court terme et les gains à long terme, vous créez un deuxième effet de blocage. Si vous avez détenu votre action pendant 363 jours, vous êtes bloqué pour deux jours de plus si vous voulez bénéficier du taux d'impôt plus bas.

La loi devient très compliquée, parce que vous devez séparer votre portefeuille en titres à court terme et en titres à long terme. Chaque fois que vous traversez la frontière, le portefeuille passe d'une catégorie à l'autre. Les règles aux États-Unis ne sont pas aussi simples que cela quand on veut distinguer les portefeuilles à court terme et les portefeuilles à long terme.

Du point de vue de l'économie, encore une fois, on pourrait poser la question de savoir pourquoi il n'y a plus de spéculation à partir d'un an. Pourquoi pas 12 mois, 13 mois ou deux ans? C'est une règle arbitraire, et, comme la plupart des règles de ce genre, il est difficile de soutenir que du point de vue de l'économie ce soit forcément la meilleure.

Le président: Le Canada a une solution partielle. Si vous avez l'habitude de revendre beaucoup d'actions, Revenu Canada dira que vous êtes un courtier et imposera l'impôt normal. Cela existe.

Sénateur Meighen, vous êtes avocat. N'êtes-vous pas d'accord?

Le sénateur Meighen: Cela existe. Vous pourriez faire une ou deux opérations dans l'année, et, vu le comportement de certaines de nos actions récemment, il y a des gens qui ont réalisé des sommes importantes en peu de temps. C'est précisément de cela que je veux parler.

L'autre jour, j'ai reçu une lettre de quelqu'un qui réagissait à une lettre que j'avais envoyée à un journal en faveur de l'abaissement de l'impôt sur les gains en capital. La personne m'a dit que ces gains sont de la spéculation et qu'il ne faut pas encourager cela.

Mais il y a un certain degré d'arbitraire, n'est-ce pas? Même en fin d'exercice, on peut ne pas vendre son action au milieu de décembre pour en être encore propriétaire au début de la nouvelle année et dégager un bénéfice de 12 mois.

Je ne trouve pas cela scandaleux de choisir un moment qui vous semble raisonnable pour vendre et d'appliquer un impôt différent si vous détenez un titre pour une période donnée. Par contre, je ne suis pas encore convaincu que ce système serait bon.

M. Poddar: Sénateur, de toutes les idées que j'ai vues pour supprimer l'effet de blocage et permettre un certain ciblage, c'est le RPTI qui me plaît le plus. Ce régime permet de placer tout votre portefeuille dans un compte distinct. Vous pouvez choisir le portefeuille que vous voulez. Il y a des avantages et certains coûts.

Parmi les avantages, il y a l'indexation; les coûts, c'est que vous payez l'impôt selon la méthode de la comptabilité d'exercice. L'effet de la fin de l'exercice et celui du blocage n'interviennent pas.

Une fois que vous avez créé un portefeuille distinct, vous pouvez choisir à votre guise. Vous n'avez pas à appliquer le taux d'impôt maximum; vous pouvez appliquer le taux plus bas. Lorsque le RPTI a été créé, on y a fait beaucoup de modulation pour que le régime soit attirant.

Le sénateur Meighen: Vous payez à la fin de chaque exercice, de la même façon que vous payez l'impôt sur l'accumulation des intérêts?

M. Poddar: Oui, mais le gouvernement avait alors autorisé certaines règles d'étalement.

Le sénateur Meighen: Nous sommes trop jeunes pour nous en souvenir. C'était en 1972.

M. Poddar: Cela fonctionnait un peu comme un fonds mutuel: vous faites votre placement et vous calculez la valeur de clôture à la fin de l'exercice. C'est le gain accumulé. Le gain accumulé était réduit en fonction de l'inflation pour calculer le gain total de l'année. Sur ce gain, le gouvernement appliquait une moyenne mobile qui vous laissait en déclarer la moitié dans l'exercice courant et l'autre moitié dans l'exercice suivant.

De cette façon, on atténue les variations annuelles. Quelquefois il y a un gain énorme, quelquefois une perte énorme. C'était très efficace du point de vue économique.

Le sénateur Meighen: Ne me faut-il pas toutefois avoir l'argent même si je n'ai pas vendu le titre?

M. Poddar: Pour le portefeuille liquide, il y a en effet pas mal de mouvement.

Le sénateur Meighen: Préconisez-vous de changer la méthode d'imposition des options, comme on l'a suggéré, et de considérer le moment où est vendue l'action plutôt que le moment où est exercée l'option?

M. Poddar: L'option d'achat d'actions pour les employés?

Le sénateur Meighen: Oui.

M. Poddar: Oui, c'est évident. Si nous devons continuer à avoir des taux marginaux d'imposition aussi élevés sur les revenus d'investissement et d'emploi, il faut faire quelque chose pour contrer la disparité entre les taux d'imposition américains et canadiens d'employés mobiles, et cet allégement serait très bienvenu.

Le sénateur Meighen: En fait de demi-mesures marginales, que penseriez-vous des transferts en franchise d'impôt au sein d'une industrie ou d'un secteur donné? Je crois que c'est quelque chose qu'on nous a suggéré dans le secteur de la technologie de l'information. Si vous liquidiez un investissement dans une société et le transfériez dans une autre du même secteur, vous ne seriez pas imposé.

M. Poddar: Cela peut dépendre de la façon dont c'est conçu et structuré.

Le sénateur Meighen: Les Américains ont un régime semblable.

M. Poddar: Même au Canada, évidemment, au sein de la même société, on est autorisé à échanger une action contre une autre. Il y a beaucoup de latitude en ce qui concerne les transferts. Pour les investissements d'une société en immobilier, nous autorisons les transferts.

Le président: Il vous posait la question en cas de liquidation et de rachat.

M. Poddar: Je comprends. Il faudrait que j'étudie les détails de la proposition pour vous donner un avis averti.

Le sénateur Kroft: Je trouve intéressante votre analyse ou votre observation concernant les pays nordiques, qui auraient abandonné tous leurs principes pour faire ce qu'ils avaient à faire. Après de nombreuses années de gestion très progressiste de gauche de leur économie, ils sont passés à un traitement très agressif du revenu du capital. Peut-être ma question est-elle un peu trop politique, mais, pour ce qui est du Canada, quels indicateurs vous porteraient à dire qu'il est temps d'envisager de procéder à ce genre de réévaluation fondamentale?

Peut-être que vous pouvez répondre en nous disant ce qui a déclenché cela dans ces pays. Vous avez dit que la Communauté européenne semblait avoir accusé une perte de revenu essentiellement parce qu'elle a perdu des capitaux qui sont allés ailleurs. Considérons les pays nordiques. Qu'est-ce qui les a menés à cela? Pouvez-vous essayer de comparer leur situation à la nôtre?

M. Poddar: C'est essentiellement que le revenu d'investissement personnel avait disparu et que, pour ce qui est des sociétés, il y a eu une très forte activité dans les prix de transfert entre sociétés, le transfert de revenus dans des pays où l'impôt est moins élevé, ce que l'on peut faire en planifiant bien sa situation fiscale sans déplacer les bâtiments. Quelquefois, cela aussi déménage.

Au Canada, il semble que les investissements diffèrent dans certains secteurs. Si vous considérez les investissements en capital risque au Canada par rapport aux États-Unis, ils augmentent beaucoup plus aux États-Unis. Ils ont monté de plusieurs centaines de pour cent. Au Canada, ils atteignent près de 2 milliards de dollars. Cela a un peu augmenté, mais rien d'énorme. Est-ce du fait des taux d'imposition? Je constate certainement que l'on parle beaucoup plus de déménager aux États-Unis. Certes, il y a aussi la question des débouchés, mais il est évident que les impôts jouent un rôle important. Un écart de 5 à 10 p. 100 dans les taux d'imposition est significatif. Pour ce qui est des gains en capital, c'est presque le double -- 20 p. 100 par rapport à 40 p. 100.

J'avoue que je ne pense pas que nous fassions face à la même crise pour ce qui est de la perte de revenus. Dans les pays nordiques, j'ai l'impression qu'il y avait une sortie massive d'investissements vers les comptes bancaires du Luxembourg et de la Suisse, et même vers d'autres pays étrangers. Dans des pays comme le Danemark, il y a des règles très strictes, et ils ont pu agir. Dans d'autres pays, c'était différent. Lorsque la Suède et la Norvège ont adopté le régime d'impôt sur le double revenu avec un taux maximum de 28 p. 100, le Danemark n'a pas eu le choix et a dû suivre.

Le sénateur Kroft: J'aimerais revenir sur ce que vous disiez tout à l'heure et sur les questions du sénateur Meighen, mais en posant la question un peu différemment. Vous discutiez de la durée pendant laquelle un investisseur, un homme d'affaires ou un professionnel, ou n'importe qui d'autre, qui investit dans le cadre de son régime d'épargne, gardait ses actions. J'aimerais que nous considérions plutôt l'investisseur de capital de risque, l'entrepreneur et l'investisseur, et je vous demanderais si vous pensez qu'il ne serait pas tout à fait justifié d'accorder un traitement nettement préférentiel aux gains en capital tirés d'investissements à long terme plutôt qu'à ceux qui résultent d'investissements d'un an, ou de trois à cinq ans, afin d'encourager les entrepreneurs à développer leurs affaires et d'encourager les investisseurs à investir dans ce développement. Cela favoriserait les investisseurs ou les entrepreneurs qui s'occupent vraiment de l'entreprise plutôt que ceux qui se contentent d'acheter des actions à la bourse. Cela me semble ramener à la question des options.

Une chose qu'il nous faudrait faire, et les Américains semblent bien le faire, c'est obtenir que les investisseurs et les entrepreneurs montent des affaires et les développent plutôt que de s'inquiéter simplement de leur portefeuille. Verriez-vous un inconvénient à accorder un réel encouragement à la personne, investisseur ou entrepreneur, qui met de l'argent dans la création d'une entreprise à long terme? On peut penser à une diminution du taux chaque année, jusqu'à ce qu'au bout de quatre ou cinq ans ces gains ne soient plus imposables.

M. Poddar: Il faut considérer l'imposition des gains en capital dans le contexte général de l'imposition du revenu du capital. Le régime américain est différent du régime canadien. Il ne prévoit pas l'intégration fiscale des actionnaires de sociétés. Ils n'ont pas l'équivalent du crédit d'impôt pour dividendes. Ils peuvent avoir le régime qu'ils veulent pour l'imposition des gains en capital parce que ce n'est pas lié à l'imposition des dividendes. Au Canada, si l'on optait pour un régime d'imposition différencié pour les gains en capital à court et à long terme, comment combiner cela avec l'imposition des dividendes?

En plus, vous avez aussi demandé comment traiter le revenu imposable d'une société. Est-ce qu'on maintient le taux d'imposition des sociétés à 43 ou 44 p. 100, ou est-ce qu'on le diminue? Si on ramène tous ces taux à 25 ou 30 p. 100, et ce ne serait pas exagéré dans la conjoncture actuelle, peut-être qu'alors le taux d'imposition des gains en capital ne dépassera pas beaucoup 20 à 25 p. 100. À ce taux, vous inquiétez-vous de faire une différence entre les gains à court et à long terme? Avec le taux actuel de 36 ou 37 p. 100, envisager un mécanisme permettant de réduire l'impôt sur les gains en capital n'est certainement pas inutile, mais si tous les taux retombaient aux alentours de 30 p. 100, cette différenciation ne serait peut-être plus nécessaire.

Le sénateur Kroft: À propos de l'absence de système intégré de crédits d'impôt pour les dividendes, je pense qu'il ne serait pas déraisonnable -- et il est normal de payer si l'on reçoit quelque chose -- de bénéficier d'un traitement beaucoup plus favorable pour les gains en capital lorsque l'investissement dans une entreprise est à long terme, que peut-être à cause du taux d'imposition on n'aurait pas intérêt à toucher des dividendes. Autrement dit, les dividendes seraient imposées au taux normal d'impôt sur le revenu.

Il me semble que ce qui nous manque, c'est un mécanisme qui nous encouragerait à investir dans une entreprise à long terme plutôt que dans plusieurs à court terme pour multiplier les chances de bénéfices.

Je me demande si un mécanisme différent régissant les plus-values, ou gains en capital, permettrait d'atteindre ce genre d'objectifs.

M. Poddar: Ce serait bon pour les entreprises. À dire vrai, pour éviter les complications, les plus-values ne devraient être régies que par une seule règle. Faudrait-il faire une distinction entre les plus-values immobilières et les plus-values boursières? N'offrirez-vous ce traitement préférentiel qu'aux plus-values boursières, ou aussi aux plus-values foncières, immobilières? Il y a les questions de court terme et de long terme, d'opposition entre les biens immobiliers et d'autres types de biens, les actions nationales et étrangères.

À l'heure actuelle, nous n'avons qu'un seul taux d'imposition qui s'applique à toutes les formes d'investissements, quoi qu'elles représentent. La situation pourrait peut-être être un peu plus simple, mais si vous faites ce genre de distinction, est-ce que cette simplicité ne disparaîtra pas?

Le sénateur Kroft: Cela me poserait moins de problèmes s'il s'agissait d'un bien immobilier servant à la création d'une entreprise. Si c'était un autre genre de bien ou de l'équipement, ou que sais-je, cela me préoccuperait moins. Ce pourrait être un immeuble de rapport dont je suis propriétaire. Je cherche ce que vous nous avez demandé de chercher, une mesure plus radicale et moins laborieuse.

M. Poddar: Un petit distinguo: le court terme et le long terme n'entrent pas dans ma définition de radical. Ce sera extrêmement complexe et radical dans cette mesure, mais par radicalisme économique il faut en fait entendre une réduction globale des taux d'imposition à 30 p. 100.

Le sénateur Kroft: Je proposerais une exonération totale ou une réduction encore plus spectaculaire, mais le prix à payer serait l'investissement à long terme inconditionnel.

M. Poddar: Mais encore une fois limité aux seules plus-values?

Le sénateur Kroft: C'est la question que je vous pose.

M. Poddar: Personnellement, je préférerais des mesures visant plutôt l'impôt sur les sociétés et l'impôt sur le revenu des particuliers d'une manière générale.

Le sénateur Angus: Je suis curieux. À Harvard, les cours que vous donnez concernent-ils la fiscalité canadienne ou les politiques fiscales d'une manière générale?

M. Poddar: Un peu de tout ça.

Le sénateur Angus: Dans le domaine fiscal?

M. Poddar: Oui, tous les régimes fiscaux, la fiscalité comparée. Je donne aussi beaucoup de cours sur la TVA.

Le sénateur Angus: J'ai eu l'impression en vous écoutant -- et je sais qu'il est difficile de généraliser -- que le système américain actuel semble plus favorable à une économie productive dans l'environnement moderne. N'est-ce pas?

M. Poddar: Les États-Unis sont aujourd'hui pratiquement le pays le moins imposé de tous les pays membres de l'OCDE. Le ratio entre les impôts et le PIB est de l'ordre de 30 p. 100. Il y a deux semaines j'ai fait un exposé devant l'Association canadienne d'études fiscales. Le paysage se transforme d'une manière assez extraordinaire. Les dépenses de défense des États-Unis représentaient environ 29 p. 100 du budget; aujourd'hui elles ne représentent plus que 19 p. 100. Cela signifie qu'ils ont aujourd'hui 10 p. 100 de plus de marge de manoeuvre qu'ils peuvent consacrer à d'autres priorités ou à une réduction de la fiscalité, qui est déjà très basse.

Le ratio impôt-PIB au Canada est d'environ 37 p. 100; aux États-Unis il est de 29,5 p. 100. Cet écart de 7 p. 100 correspond à 70 milliards d'impôts supplémentaires au Canada. Si les États-Unis utilisaient ne serait-ce qu'une partie de cette réduction des dépenses de défense pour réduire la fiscalité encore plus, la situation deviendrait alarmante. Je préfère ne pas y penser. J'ai travaillé au ministère des Finances pendant 20 ans. Je sais à quelles pressions le gouvernement est soumis, mais au cours des cinq dernières années le monde a évolué d'une manière spectaculaire.

Le sénateur Angus: Et nous n'arrivons pas à suivre.

M. Poddar: Exactement. Le Canada, qui était un pays à la fiscalité moyenne, est en train de devenir le pays le plus imposé du monde.

Le sénateur Angus: Je regarde vos options tout en écoutant vos commentaires. Je ne suis pas sûr d'être d'accord avec vous pour dire que ce sont les seules options. Permettez-moi de vous lancer un exemple. Étant donné l'environnement que vous venez de décrire et les sommes relativement minimes que rapporte au Trésor public l'impôt sur les plus-values et les tendances financières actuelles, quel problème pourrait poser une abolition pure et simple de l'impôt sur les plus-values?

M. Poddar: J'ai une solution encore plus généreuse à vous proposer. Si vous voulez, je peux vous donner le texte de l'exposé que j'ai fait devant l'Association canadienne d'études fiscales.

Le sénateur Angus: Cela nous ferait le plus grand plaisir.

M. Poddar: En 1996 ou en 1997, le total de l'impôt recueilli par le gouvernement du Canada sur les revenus d'investissement de particuliers était de l'ordre de 6 à 8 milliards de dollars.

Le sénateur Angus: J'ai vu les tableaux qui accompagnent ce document. Ils sont très révélateurs.

M. Poddar: Oui.

Le sénateur Angus: Vous dites que si vous aviez une baguette magique vous aboliriez totalement l'impôt sur les plus-values et que le pays ne s'en porterait que mieux?

M. Poddar: Politiquement, cela peut sembler un peu fou.

Le sénateur Angus: C'est un autre sujet. Je crains que les magiciens ne soient particulièrement doués pour la politique. Cela changera peut-être aussi.

Certains disent que si l'impôt sur les plus-values était réduit à zéro au Canada, il faudrait automatiquement accompagner cette mesure d'une modification de la structure fiscale. Je ne suis pas d'accord, mais j'aimerais savoir ce que vous en pensez.

Selon d'autres, si nous abolissons l'impôt sur les plus- values au Canada, nous nous retrouverons immédiatement avec des impôts sur les successions aussi élevés qu'aux États-Unis, impôts punitifs s'il en est. Je ne suis pas d'accord, parce que nous avons déjà le concept d'actifs réputés réalisés au moment du décès.

M. Poddar: Si vous abolissez simplement l'impôt sur les plus- values, ce sera la fête pour les fiscalistes. Nous sommes déjà très occupés. J'ignore ce qui pourrait nous arriver si vous preniez une telle décision. Une abolition de l'impôt sur les plus-values entraînerait des possibilités immenses de planification fiscale. Si c'est ce que vous voulez, faites-le, mais gardez les yeux ouverts.

Le sénateur Angus: Ce serait une bonne chose, n'est-ce pas?

M. Poddar: Non.

Le sénateur Angus: L'abolition de l'impôt sur les plus-values?

M. Poddar: Je n'approuverai cette idée ni du point de vue économique ni du point de vue de la stabilité du système fiscal.

Le sénateur Angus: Vous feriez d'autres choses?

M. Poddar: Je souhaite le maintien d'un traitement neutre des différents types de revenus d'investissements.

Le sénateur Angus: Qu'en est-il alors de votre proposition de n'imposer au Canada que 25 p. 100 des revenus d'investissements par opposition au revenu gagné? Comment peut-on être sûr des chiffres, étant donné toutes les possibilités de planification fiscale existantes? Vous avez parlé de la Belgique, du Liechtenstein et des îles Caïmans. Il me semble que les Canadiens investissent beaucoup d'argent, argent qu'on ne retrouvera pas dans ces pourcentages.

M. Poddar: Ce ne sont que des estimations. À mon avis, elles sont assez raisonnables. Ernst & Young bénéficie d'un trésor de données de base sur les particuliers par tranches d'impôt où la valeur est calculée sur la base des enquêtes de Statistique Canada sur les mises en chantier et sur le nombre de propriétaires. Nous connaissons pratiquement tous les chiffres sur les REER et les RPA. Nous recoupons toutes les données individuelles à partir des totaux cumulés qui nous sont fournis par Statistique Canada. Je crois que pratiquement tout le monde est d'accord pour dire que d'une manière générale, pour l'ensemble de la nation, près de 75 p. 100, ou même de 80 p. 100, de la richesse totale sont exonérés d'impôt. Il ne s'agit pas d'évasion fiscale dans les comptes non résidents.

Au Canada, si vous additionnez tout l'argent investi dans les REEE, les REER, dans les mises en chantier et dans les plus-values de petites entreprises, vous pouvez facilement arriver à ce chiffre de 75 p. 100. En fait, il est supérieur à 75 p. 100.

Le sénateur Angus: Le total auquel vous arrivez, je crois, et je dis, serait considérablement plus élevé s'il n'y avait pas d'impôt sur les plus-values. D'abord, pour commencer, l'effet de blocage disparaissant, il y aurait une plus grande frénésie d'investissement, la population se sentirait libre d'investir dans des entreprises, et il y aurait des projets d'investissement de toutes sortes sans cette peur de l'impôt.

M. Poddar: Si vous supprimez l'impôt sur les revenus d'investissements, naturellement, le fromage augmente. Dans ce cas, les économies et la richesse augmentent d'autant.

Le sénateur Angus: Vous avez présenté vos trois options, et vous avez comparé celle que vous aimez le moins au fait de marcher dans la boue. Au cours des trois derniers jours, il y a eu de nombreux articles dans les journaux, ce qui est la façon pour le gouvernement de préparer le terrain pour le budget avant le 28 février. On nous dit par exemple que le taux d'exclusion sur les gains en capital, qui est de 75 p. 100, diminuera, et pour certains tombera à 65 p. 100, pour d'autres à 62,5 p. 100. Quoi qu'il en soit, à votre avis cela constitue-t-il un changement de minimis?

M. Poddar: Il s'agit d'un changement marginal qui est justifiable sur le plan technique parce que l'impôt sur les dividendes est à l'heure actuelle d'environ 32 p. 100 et l'impôt sur les gains en capital est de 37 p. 100. Cette disparité peut être éliminée si on opte pour un taux d'inclusion des deux tiers pour les gains en capital.

Le sénateur Angus: En ce qui concerne les avantages découlant de la réduction de l'impôt sur les gains en capital, cela n'a aucun effet?

M. Poddar: Non, il s'agit d'un simple rajustement mineur.

Le sénateur Angus: Dans la même veine, le 20 p. 100 qui passera à 30 p. 100 sur une période de combien d'années? Est-ce que ce serait 2 p. 100 par année pendant cinq ans sur le contenu américain ou étranger des REER et des fonds de pension? Comment calculez-vous cela?

M. Poddar: L'augmentation de la règle du contenu étranger ne présentera pas d'avantage immédiat pour l'économie canadienne. Cette mesure est destinée à permettre aux pensionnés de faire des investissements internationaux productifs. J'ai l'impression que ceux qui arrivent à passer par des fonds clones peuvent avoir des REER qui se composent en totalité de titres étrangers.

Le sénateur Angus: Vous avez fait valoir l'argument selon lequel nous vivons à une époque tout a fait différente qu'il y a cinq ans et que le régime fiscal à une énorme importance pour la prospérité future du Canada et le bien-être de nos citoyens, compte tenu de la baisse réelle du niveau de vie que nous semblons constater.

M. Poddar: Je vais vous donner un exemple qui illustre très clairement mon argument. J'ai moi-même été atterré par cette information. Un client est venu nous voir et a dit: «Mon impôt canadien est trop élevé. J'aimerais trouver des solutions moins coûteuses.» Après une certaine planification, le revenu a été transféré à un État américain, et le contribuable n'a économisé que six points de pourcentage. Le taux d'imposition des sociétés aux États-Unis, en prenant ensemble les impôts fédéraux et ceux des États, était inférieur de six points de pourcentage à celui du Canada. Par conséquent, le contribuable obtenait un avantage de 6 points de pourcentage seulement. Cependant, le Canada a perdu la totalité des 44 points de pourcentage. Le gouvernement américain a obtenu 38 points de pourcentage. Le contribuable a reçu six points de pourcentage. Même si nous aimons aider nos clients, cette situation m'a chagriné. Je me suis dit: «Je déteste avoir à transférer les dollars d'impôt canadien aux États-Unis simplement pour épargner à mon client six points de pourcentage en impôt.» C'est ce qui se passe.

Le sénateur Tkachuk: Je suis d'accord avec une bonne partie des arguments que vous présentez dans votre exposé, mais il y a quelque chose que je n'ai pas bien compris. Vous avez cité M. Grubel, qui indique que le salaire moyen d'une personne qui a des gains en capital est de 50 000 $. Vous avez dit que c'était un chiffre pour une année plutôt qu'un chiffre à long terme. Je me demande si M. Grubel a tort ou a raison.

M. Poddar: Je l'ignore. Si on examine les chiffres sur un an, on peut obtenir des résultats trompeurs, surtout pour un élément de revenu comme les gains en capital, qui ne sont pas réguliers. Vous devriez pouvoir demander au ministère des Finances les données, fondées sur le dossier longitudinal, ce qui vous permettra d'examiner le profil temporel de ces personnes, non seulement sur une seule année, mais aussi sur une période de cinq ou de dix ans. Ces chiffres ne sont pas publiés, et je n'ai pas d'information me permettant de vous répondre.

Un ou deux rapports ont été publiés lorsque j'étais aux Finances, dont un, notamment, pour les agriculteurs. Nous avons considéré leur profil sur une période de 10 ans plutôt que sur un an. Nous avons fait des constatations singulières. Si vous voulez avoir une idée de la répartition des gains en capital par tranche de revenu, je vous recommande fortement de demander ce dossier au ministère des Finances.

Le sénateur Tkachuk: Vous avez parlé de neutralité fiscale. Je pense qu'il faudrait diminuer sensiblement l'impôt sur le revenu, l'impôt sur les entreprises et l'impôt sur les gains en capital, et c'est ce que je demande au Sénat depuis quatre ou cinq ans. Je suis toujours émerveillé de la créativité dont un contribuable peut faire preuve pour éviter l'impôt de la façon la plus légale possible. Est-ce que vous recommandez un impôt sur le revenu uniforme?

M. Poddar: L'impôt uniforme est un choix politique. Que l'impôt soit uniforme ou progressif importe peu à mon avis. Ce qui importe, c'est l'ensemble du fardeau fiscal; à vous de choisir entre l'impôt uniforme et l'impôt progressif. En tant que fiscaliste, je considère que l'institution ne peut supporter qu'une certaine charge. C'est à vous de décider comment répartir cette charge entre les tranches inférieures et supérieures de revenu. D'un point de vue économique, il n'y a guère de différence entre les deux, pour autant que le taux progressif le plus élevé soit concurrentiel au niveau international.

Le sénateur Angus: Ma question n'est pas très profonde, mais elle pourrait être lourde de conséquences dans cette étude. Vous avez parlé de ce qui est politiquement acceptable et de ce qui ne l'est pas. On entend dire constamment que la réduction ou l'abolition de l'impôt sur les gains en capital n'est qu'une faveur faite aux plus favorisés, aux plus riches, à des gens qui représentent une valeur nette élevée. Pourtant, tout montre qu'une telle mesure serait très avantageuse à tous les niveaux de la société canadienne, qu'elle assurerait une grande prospérité à tous les Canadiens et qu'il est faux de dire qu'elle ne profiterait qu'aux riches. Je ne sais pas ce qu'il en est, mais il me semble que la mesure profiterait à tous les secteurs de notre société et qu'il convient de renoncer à la fausse impression selon laquelle elle ne serait pas acceptable politiquement. Dans le contexte actuel, comme vous le dites, les gouvernements sont peu enclins à toucher aux taux de l'impôt sur les gains en capital.

M. Poddar: Je voudrais répondre à votre question en disant qu'il y a bien des choses qu'on pourrait faire et qui profiteraient à l'ensemble de la société. Cette mesure est-elle nécessairement la plus efficace pour favoriser la société? Je dois dire que la stabilité est une vertu cardinale du régime fiscal. À mon avis, un régime fondé sur le revenu où l'impôt sur les gains en capital serait très modeste ou nul et où les autres formes de revenus d'investissements seraient pleinement imposées n'offrirait pas de solution stable au plan technique.

Il risque même de pas être stable au plan politique. Je pourrais citer, par exemple, l'exemption de l'impôt sur les gains en capital d'un demi-million de dollars mise en oeuvre en 1984 par le ministre des Finances de l'époque, M. Wilson. Combien de temps a duré cette mesure? Elle a été supprimée très rapidement. Les seuls éléments qui aient persisté concernaient les actions des petites entreprises et la propriété agricole. C'est un exemple de conceptions qui ne sont pas tout à fait à la hauteur de leurs résultats.

Si l'on veut réduire l'impôt sur les gains en capital tout en préservant les taux d'imposition sur les profits des entreprises, l'intérêt et les revenus de dividendes, on est obligé de modifier fréquemment la législation fiscale pour prévenir une hémorragie.

Le sénateur Angus: Nous avons appris récemment que dans le but de s'adapter aux circonstances tout à fait nouvelles que vous décrivez, l'Allemagne abolissait totalement son impôt sur les gains en capital des sociétés. Qu'en pensez-vous?

M. Poddar: En Europe, il y a plusieurs pays qui n'ont pas d'impôt sur les gains en capital. Si ma mémoire est bonne, les Pays-Bas n'ont pas d'impôt sur les gains en capital, et il y a quelques autres pays dans le même cas.

Le sénateur Angus: L'Allemagne vient d'annoncer son intention.

M. Poddar: Oui, au niveau des sociétés. J'ai l'impression que ce changement concernant les gains en capital n'a été apporté que pour éliminer l'effet de blocage, parce que certaines entreprises gardaient des actions qui avaient été achetées à l'époque de la Deuxième Guerre mondiale. Elles n'arrivaient pas à les vendre parce qu'elles avaient tellement augmenté de valeur que si elles les avaient vendues, cela aurait déclenché l'impôt sur les gains en capital. Je n'ai pas toutes les précisions sur la façon dont cela influera sur le régime fiscal en Allemagne. Ces détails ne sont peut-être pas tous disponibles encore. Je ne peux pas vraiment vous indiquer si ce système sera stable ou non.

Comme ils font partie de l'Europe, ils font aussi face à la concurrence des pays voisins qui n'exigent aucun impôt sur les gains en capital. Ils ont peut-être décidé de prendre le risque d'accorder cette concession concernant les gains en capital et d'en assumer les conséquences.

Le sénateur Angus: L'Australie a également apporté des changements radicaux en réaction aux conditions que vous avez décrites, n'est-ce pas?

M. Poddar: Oui. Leurs taux d'imposition sont faibles maintenant, mais je ne suis pas au courant de changements apportés en ce qui concerne les gains en capital.

Le sénateur Meighen: Monsieur Poddar, revenons un instant à cet effet de blocage. Je crois comprendre que M. Russel, de l'ACCOVAM, a commenté votre article paru dans la Revue fiscale canadienne. Il a souligné que des particuliers au Canada possèdent pour plus de 400 milliards de dollars d'actions alors qu'ils n'ont rapporté que 9 milliards de dollars de gains en capital. Ce sont les chiffres pour 1996. Cela représente environ 2,25 p. 100, ce qui semble souligner un effet de blocage très important. Avez-vous des données comparatives pour d'autres pays?

M. Poddar: Non. De ce montant de 400 milliards de dollars d'actions, vous demandez combien était détenu dans des REER et des régimes de pension agréés, parce que la majorité des portefeuilles détenus sous forme de REER et de RPA feront partie de ce montant de 400 milliards de dollars, ce qui ne donne lieu à absolument aucun effet de blocage. Les seuls gains rapportés sont ceux détenus directement par les particuliers, et même dans ce cas-là, si vous détenez un portefeuille de fonds mutuels, ils ne seront pas rapportés en tant que gains de bourse, mais en tant que gains de parts de fonds communs de placement.

Le sénateur Meighen: Nous ne pouvons donc pas faire de comparaison avec d'autres pays en ce qui concerne l'effet de blocage dans notre régime fiscal?

M. Poddar: Non, pas plus que vous ne pouvez tirer de conclusion des chiffres cités par M. Russel.

Le président: Vous avez donné l'exemple d'un Canadien qui était l'un de vos clients et qui transférait son revenu aux États-Unis pour payer moins d'impôt. Savez-vous si cette façon de procéder est répandue? Le Canada n'est-il pas un grand perdant à cet égard?

M. Poddar: De plus en plus, monsieur le président. Étant donné que nos taux d'imposition divergent des taux en vigueur dans d'autres pays, on a de plus en plus recours à la planification fiscale. Il ne s'agit pas uniquement de planification fiscale, mais aussi de transfert d'activités à l'étranger. Je vous donne un exemple. Je fais beaucoup de travail en Inde. L'Inde n'a aucun impôt sur le revenu pour les bénéfices à l'exportation. L'industrie du logiciel est en train de transférer massivement ses entreprises en Inde, non seulement parce que le coût de la main-d'oeuvre est faible et qu'on y trouve une très bonne infrastructure pour y établir ce genre d'industries, mais aussi, et c'est la cerise sur le gâteau, parce qu'il n'y a pas d'impôt sur les profits. La plupart des entreprises n'arrivent pas à y croire. Elles n'étaient même pas au courant qu'on pouvait amasser tous ces profits en Inde sans payer un sou d'impôt.

Le président: Alors pourquoi la majorité des ingénieurs -- les plus compétents, d'après ce qu'on m'a dit -- à Silicon Valley sont-ils Indiens?

M. Poddar: Ils viennent peut-être de l'Inde, mais c'est une minorité. Dans des villes comme Bangalore et autres en Inde, pour chaque ingénieur qui travaille à Silicon Valley, il y en a 10 fois plus en Inde. Beaucoup travaillent dans l'industrie de l'animation cinématographique. Vous avez sans doute appris que Disney a fermé ses studios à Vancouver il y a deux ou trois jours. L'Inde est en train de devenir un très important centre d'animation, à cause du talent local, et parce que tout ce revenu en Inde est net d'impôt.

Le président: Monsieur Poddar, merci beaucoup d'être venu nous rencontrer. Cette discussion a été intéressante et instructive.

La séance est levée.


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