Délibérations du comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce
Fascicule 7 - Témoignages du 23 février 2000
OTTAWA, le mercredi 23 février 2000
Le comité sénatorial permanent des banques et du commerce se réunit aujourd'hui à 15 h 30 pour examiner la situation actuelle du régime financier canadien et international (l'impôt sur les gains en capital).
Le sénateur Leo E. Kolber (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président: Honorables sénateurs, nous reprenons l'étude sur l'impôt sur les gains en capital. Nous accueillons deux groupes de témoins. Le premier groupe représente le Formula Growth Fund et Pembroke MGMT. Je vous présente M. John Dobson, président et fondateur de Formula Growth Limited, de Montréal. Je vous signale que j'ai fait des investissements dans ce fonds et qu'il a un excellent rendement.
Le sénateur Angus: On dirait que c'est un conflit d'intérêts.
Le président: M. Dobson est diplômé de l'université McGill et de l'École d'études commerciales d'Harvard. Il est président de la John Dobson Foundation et a été nommé membre de l'Ordre du Canada en avril 1997.
M. Dobson est accompagné de Ian Soutar, membre de la direction et partenaire de Pembroke Management Ltd. de Montréal. M. Soutar est diplômé de l'université McGill et de la London School of Economics. Il travaille pour Pembroke Management depuis 1968. Avant cela, il travaillait pour All Canadian Funds et pour la Compagnie d'assurance-vie Sun Life du Canada. Bonjour, messieurs. Vous avez préparé des déclarations. Allez-y.
M. Ian Soutar, président, Pembroke Management Ltd.: Honorables sénateurs, M. Dobson et moi sommes heureux d'avoir l'occasion de comparaître devant vous pour discuter de la question de l'impôt sur les gains en capital. Bien que nous ayons des convictions bien ancrées sur ce sujet, nous avons hésité à venir faire un exposé parce que l'on soupçonne généralement les experts en investissement qui font des commentaires de prêcher pour leur chapelle. Cependant, étant donné que le sénateur Angus nous a encouragés à exprimer nos opinions à ce sujet, nous avons malgré tout décidé de venir.
L'impôt sur les gains en capital a été instauré en 1972. M. Dobson et moi-même sommes convaincus que c'était une mauvaise initiative. Nous persistons à croire qu'elle a eu des conséquences économiques très néfastes pour notre pays et ses citoyens. Le Canada était parmi les pays dont la performance économique était la meilleure avant 1972. Depuis lors, le niveau de vie des Canadiens a considérablement diminué par rapport à celui des Américains et des citoyens de bien d'autres pays. Nous estimons qu'une réduction considérable de l'impôt sur les gains en capital serait la meilleure initiative que notre gouvernement pourrait prendre pour améliorer le bien-être économique des Canadiens.
Nous pensons que c'est la raison pour laquelle l'Australie a décidé dernièrement de réduire son taux marginal maximum d'impôt sur les gains en capital de 47 à 23,5 p. 100 sur les actifs conservés une année complète; l'Allemagne vient aussi d'annoncer la suppression de l'impôt sur les gains en capital sur les ventes d'actions par les entreprises. Ces initiatives font suite aux réductions importantes de l'impôt sur les gains en capital effectuées aux États-Unis au cours des dernières années.
Nous nous réjouissons de votre décision d'examiner cette question importante et vous recommandons de faire appel à l'autorité que vous avez pour faire comprendre aux Canadiens qu'un taux d'imposition élevé sur les gains en capital est néfaste pour toute la population et pas seulement pour quelques privilégiés.
Je signale que M. Dobson et moi investissons dans des actions de croissance d'entreprises émergentes depuis les années 60. Pembroke investit au Canada et aux États-Unis. Formula n'investit qu'aux États-Unis. Cette entreprise investissait en Europe et un tiers de ses avoirs étaient investis au Japon au début des années 70. Pembroke et Formula ont fait des investissements dans des milliers d'entreprises. Formula a un rendement annuel composé de 17 p. 100 pour une période de 39,5 ans. Pour vous donner une idée du pouvoir de l'intérêt composé, un investissement de 9 $ au moment de la création du fonds vaut actuellement 4 700 $.
Nous estimons que c'est en vous exposant divers cas d'investissements qui ont été touchés par l'impôt sur les gains en capital que nous pourrons vous être le plus utiles. Je voudrais toutefois faire auparavant divers commentaires concernant des considérations macroéconomiques sur lesquelles nos opinions sont très différentes de celles des économistes universitaires et de ceux du ministère des Finances.
Premièrement, comme investisseurs, nous nous intéressons à la création de richesses. On a l'impression qu'il s'agit là d'une notion tellement détestée au Canada qu'elle est même bannie du vocabulaire et que l'on ne discute jamais de création de richesses. Les Canadiens semblent ne pas être des créateurs de richesses chevronnés, contrairement aux Américains. Par exemple, il n'existe que cinq fondations canadiennes ayant des actifs supérieurs à 100 millions de dollars, dont deux sont des fondations institutionnelles. Bill Gates est considéré comme un héros aux États-Unis; ce ne serait pas le cas au Canada. Pour faire admettre la nécessité de réduire l'impôt sur les gains en capital, nous devons par conséquent discuter de l'incidence positive du capital sur la création d'emplois au lieu de discuter de création de richesses. Tous les Canadiens reconnaissent que la création d'emplois dans le secteur privé nécessite des capitaux.
Deuxièmement, les modèles économiques et les professeurs d'économie semblent ne pas tenir compte de l'effet d'un changement de comportement personnel des investisseurs à la suite d'une modification du système de stimulation. Leurs modèles sont statiques et indiquent la même croissance économique, que l'impôt sur les gains en capital soit de 40 p. 100, de 20 p. 100 ou inexistant. Notre expérience dans le domaine de l'investissement nous a prouvé le contraire. En fait, ce n'est que depuis peu que quelques économistes universitaires tiennent compte du rôle de l'innovation et de la technologie dans la théorie de la croissance économique.
Le 24 janvier 1963, le président Kennedy a dit:
L'impôt sur les gains en capital a des répercussions directes sur les décisions d'investissement, sur la mobilité et les mouvements du capital-risque, sur la facilité ou la difficulté qu'ont les nouvelles entreprises à obtenir des capitaux et par conséquent sur la vigueur de la croissance économique et les perspectives de croissance.
Troisièmement, nous avons l'impression que le gouvernement fédéral et des économistes universitaires comme Jack Mintz sont obsédés par l'aspect technique du lien fiscal entre les gains en capital, les dividendes et l'impôt des petites entreprises. Les investisseurs n'en tiennent pas compte. Actuellement, le rendement du Dow Jones est de 1,4 p. 100. La plupart des personnes qui investissent dans les actions le font pour la plus-value en capital ou du moins pour le rendement et la croissance.
À la toute fin de son exposé, M. Jack Mintz a dit:
Je sais que ma recommandation est motivée par l'aspect technique que constitue la conversion du revenu en gains en capital mais je comprends très bien ceux qui recommandent d'essayer d'abaisser le taux d'imposition sur les gains en capital.
La principale question que nous nous posons et que l'on ne pose apparemment pas souvent est: quel taux d'impôt sur les gains en capital permettrait d'engendrer une croissance économique maximale dont tous les Canadiens pourraient bénéficier. D'après nous, il ne faudrait aucun impôt sur les gains en capital ou du moins le taux ne devrait pas être supérieur à celui de notre concurrent le plus proche, à savoir les États-Unis. C'est également l'opinion de M. Alan Greenspan qui a dit, et nous le signalons à la page 15 de notre mémoire:
J'ai déclaré au comité du budget que si l'impôt sur les gains en capital était supprimé, la croissance économique s'accentuerait probablement après un certain temps, ce qui ferait augmenter les recettes tirées de l'impôt sur le revenu des particuliers et sur le revenu des sociétés ainsi que les autres recettes fiscales. Le point crucial au sujet de l'impôt sur les gains en capital n'est pas sa capacité de produire des recettes. C'est une mesure fiscale très peu productive à cet égard. En fait, elle a pour principale conséquence d'être un obstacle à l'activité des entreprises et à la formation de capital. Alors que toutes les mesures fiscales ralentissent plus ou moins la croissance économique, l'impôt sur les gains en capital est celle qui la ralentit le plus. J'estime que le taux d'impôt applicable aux gains en capital devrait être nul.
Je terminerai ce passage en citant les propos de Bruce Bartlett, un expert américain renommé du National Center for Policy Analysis:
Alors que de nombreuses personnes sont en faveur d'un traitement préférentiel des gains en capital, voire de la suppression de l'impôt sur ces gains, on n'invoque pas souvent le principe fondamental qui veut que les gains en capital ne soient pas un revenu. Il faudrait invoquer constamment cet argument parce qu'il fait passer une telle initiative du stade de l'opportunisme politique ou de l'efficacité économique à celui du principe. Ça renforcerait la position des partisans d'un abaissement de l'impôt sur les gains en capital face à ceux et celles qui préconisent le contraire par principe, sous prétexte que les gains en capital devraient être imposables au même titre que le revenu ordinaire.
M. Dobson et moi tenons à préciser qu'à notre âge, nous ne pensons plus tellement à notre profit personnel. Nous voulons que les générations plus jeunes aient des possibilités aussi extraordinaires que celles dont nous avons bénéficié. Comme vous pourrez le constater, un impôt de 40 p. 100 sur les gains en capital réduit considérablement les possibilités et contribue beaucoup à l'exode des cerveaux. Il réduit en outre la motivation de créer des richesses alors que c'est avantageux pour tous les Canadiens.
M. Dobson va citer plusieurs exemples.
M. John Dobson, président, Formula Growth Limited: J'aborderai le sujet sous l'angle personnel d'un citoyen très privilégié et je citerai plusieurs exemples types.
J'ai commencé à m'intéresser aux investissements à un jeune âge parce que mon père versait 100 $ sur mon compte chaque année. Je n'ai jamais été autorisé à toucher au capital ni aux dividendes. C'est ainsi que j'ai pris conscience des bienfaits de l'investissement. Je voudrais transmettre ce message aux générations montantes. Je voudrais que les jeunes aient les mêmes avantages que moi. C'est pourquoi je vous présente les annexes suivantes.
Comme vous pourrez le constater dans l'annexe no 1, qui se trouve à la page 12 de notre mémoire (voir l'annexe qui suit les témoignages, page 7«1»:1), le pouvoir de l'intérêt composé et l'incidence des politiques ayant des répercussions négatives sur le capital sont une des grandes merveilles du monde et la plupart des gens n'en sont pas conscients. Ce document établit le facteur temps qui nous intéresse. La conclusion est qu'une somme de 1 000 $ placée à 20 p. 100 pendant une période de 40 ans se chiffre à 1,5 million de dollars à la fin de cette période si aucun impôt sur le gains en capital n'a dû être payé alors que la même somme ne représente que 93 000 $ s'il a fallu payer un impôt annuel de 40 p. 100.
Sur 40 ans, le gouvernement touche 22 000 $ si l'impôt est payé chaque année. J'ajouterais que si le gouvernement ne percevait l'impôt qu'à la fin de cette période, il toucherait 600 000 $. Ce calcul ne tient pas compte de la dévaluation de la monnaie -- le dollar canadien ne vaut plus que le quart de ce qu'il valait il y a 25 ans -- ni du pouvoir d'achat en devises internationales. Quand j'ai fait ce calcul en 1997, le dollar canadien valait 72,5c. américains. C'est l'élément central de notre raisonnement et de ce que nous voulons faire comprendre au sujet de l'investissement à long terme. Si vous investissez vos économies, ça permet de comprendre ce que vous pouvez obtenir, ce que le pays peut obtenir et la croissance qui en résulte. Dans le cas présent, la personne a créé des richesses pour 1,4 million de dollars et le gouvernement ne touche que 22 000 $. Ce n'est pas une très bonne affaire pour le pays.
Il s'agit d'un cas extrême. Nous avons pris un exemple portant sur un grand nombre d'années mais une période de 40 ans est toutefois raisonnable. Certaines personnes commencent à investir dès l'âge de 25 ans et nous voulons savoir ce qui s'est passé lorsqu'elles ont atteint 65 ans.
Le sénateur Meighen: Avez-vous dit que la personne en question possédait en fin de compte 1,4 million de dollars ou qu'elle perdait 1,4 million de dollars?
M. Soutar: Excusez-moi, honorable sénateur. Cette personne possède en fin de compte 93 000 $.
M. Dobson: Au lieu de 1,5 million de dollars.
Le sénateur Meighen: Le gouvernement ne touche que 22 000 $.
M. Dobson: C'est exact. Je m'excuse. Je devrais lire plus attentivement.
Il s'agit d'un cas extrême pour deux raisons: premièrement, un taux d'intérêt de 20 p. 100 est énorme mais nous avons déjà obtenu un taux de 17 p. 100; deuxièmement, nous partons du principe que l'on paie chaque année l'impôt sur les gains en capital, ce qui est peu probable. Nous imaginons un cas qui est extrême pour bien mettre en évidence l'importance de l'épargne, de la croissance et de l'intérêt composé. Un taux de 17 p. 100 est de loin supérieur à ce que la plupart des personnes pourraient obtenir, mais je pourrais vous faire le calcul pour un taux d'intérêt de 12 p. 100 ou un autre taux d'intérêt pendant la période des questions.
Passons à la deuxième annexe, à la page 13 (voir l'annexe qui suit les témoignages, page 7«1»:2). J'en tire deux conclusions. Dans l'exemple A, un intérêt composé de 7,9 p. 100 pendant 25 ans avec un taux d'inflation de 5 p. 100, un taux d'impôt sur les gains en capital de 40 p. 100 et une rotation de portefeuille tous les trois ans donnent un gain réel nul ce qui représente un impôt sur les gains en capital de 100 p. 100.
M. Soutar: C'est très proche du rendement d'un investissement dans des actions canadiennes au cours de cette période. Je crois que le rendement a été d'environ 9 ou 10 p. 100. En fait, le rendement réel est nul si l'on tient compte de l'impôt et de l'inflation.
M. Dobson: Si le taux d'intérêt est inférieur à 7,9 p. 100, la valeur réelle de votre capital a diminué. Comme le signale M. Soutar, la plupart des gens n'ont pas obtenu un rendement très supérieur à celui-là.
L'exemple B concerne la création de richesses sur une période de 25 ans. Qu'arrive-t-il si l'intéressé est à Hong Kong, s'il est au Canada ou s'il est aux États-Unis? S'il est à Hong Kong, il a 4,7 fois plus d'argent que s'il est au Canada et s'il est aux États-Unis, il a 2,2 fois plus d'argent que s'il est au Canada. Cette différence est due à l'impôt sur les gains en capital.
Je vous prie d'examiner l'annexe 3, à la page 14 (voir l'annexe qui suit les témoignages, page 7«1»:3). Dans le premier exemple, il s'agit d'un enfant qui reçoit 1 000 $. Je recevais 100 $ par an de mon père. La question de l'inflation vous intéresse peut-être. Mon père touchait 100 $ par an en 1900, lorsqu'il a commencé à travailler. Ça permet de comprendre comment évolue la valeur de notre devise au cours d'une certaine période.
L'investisseur no 1, l'enfant, reçoit 1 000 $ pendant 21 ans, qu'il réinvestit à 20 p. 100 en faisant une rotation de portefeuille tous les trois ans. Nous avons choisi une période de rotation de trois ans parce que des investisseurs sérieux comme John Templeton ou Peter Lynch ou encore notre propre fonds estiment nécessaire de faire une rotation complète tous les trois ans en moyenne. Attendre plus longtemps ressemble à du blocage. Cet enfant devrait donc avoir 270 000 $ après 20 ans mais il ne lui reste plus que 177 000 $ à cause des impôts. Les impôts réduisent le rendement de 92 000 $; en d'autres termes, l'enfant a perdu 37 p. 100 des gains sur son investissement non seulement parce qu'il a dû payer de l'impôt mais aussi parce qu'il avait en conséquence moins d'argent à réinvestir. C'est ce que j'aurais touché en moins si j'avais commencé à investir maintenant plutôt qu'à l'époque où je l'ai fait. J'ai eu de la chance parce que, avant 1972, il ne fallait pas payer d'impôt sur les gains en capital, et je suis né en 1928.
Que se passe-t-il dans le cas d'un jeune diplômé? Je signale que les diplômés de la Faculté de commerce de l'université McGill touchent en moyenne 41 000 $ cette année.
Le président: Où sommes-nous?
M. Dobson: Nous sommes au bas de la page 6 et je parle de l'annexe 3, à la page 14.
L'investisseur no 2 est le diplômé de la Faculté de commerce de McGill. Il économise et investit 5 000 $ par an pendant trois ans à un taux de 20 p. 100 et paie 30 p. 100 d'impôt sur les gains en capital. Au Québec, nous payons au maximum 39 p. 100 mais cet investisseur paierait moins parce qu'il est dans la tranche de revenu de 41 000 $ et pas dans celle de 60 000 $, bien qu'il y arrivera bientôt. Ce jeune diplômé devrait donc avoir 21 800 $ mais il n'a en réalité que 19 700 $, à cause des impôts. En fait, il perd 30 p. 100 de l'argent gagné sur son investissement au cours des trois premières années à cause de l'impôt sur les gains en capital.
L'investisseur no 3 est une secrétaire, et nous avons essayé de choisir le cas d'une secrétaire semblable à quelqu'un que vous pourriez connaître ou correspondant à des cas qui ont été cités au cours de vos audiences. À l'heure actuelle, une secrétaire de direction comme celle dont nous citons le cas, toucherait probablement un salaire de départ de 40 000 $. Si cette secrétaire investissait 5 000 $ pendant 10 ans à un taux de 20 p. 100, elle aurait 155 000 $ si elle ne payait pas d'impôt alors qu'en réalité il ne lui reste plus que 113 000 $ après avoir payé l'impôt. Elle perd donc 42 000 $ -- soit 37 p. 100 de son gain de placement.
Le sénateur Angus: C'est 39,7 p. 100.
M. Dobson: C'est exact. Dans le présent exemple, il n'y a pas de facteur d'inflation. Seulement 27 p. 100 de ce gain sont absorbés par les impôts. Ce que nous essayons de démontrer, c'est que la plupart des personnes qui investissent dans notre fonds ou des investisseurs en général sont des consommateurs à faible revenu qui font fructifier leurs économies. On estime que, d'une façon générale, ce sont ces personnes qui réalisent des gains en capital. Il ne s'agit pas uniquement de magnats.
Voici maintenant des exemples concrets tirés de nos dossiers; il s'agit de chiffres réels. Le premier cas, l'investisseur no 4, est un golfeur professionnel. Il a investi 3 612 $ dans notre fonds en janvier 1971. Vous pouvez constater que la valeur marchande de son investissement est de 340 883 $ cette année. Cependant, il a dû payer un impôt de 63 200 $ sur ses gains en capital. C'est un facteur qu'il est très important de comprendre parce que ce golfeur a dû trouver cet argent quelque part. C'est une somme qu'il avait économisée et il n'a donc pas dû la retirer du fonds. S'il avait puisé dans le fonds pour payer son impôt sur ses gains en capital, il aurait été également imposé sur la vente. Son investissement a une plus-value latente de 71 772 $. L'impôt total s'élève par conséquent à 134 920 $. Ça paraît beaucoup. Et ce montant ne tient pas compte de la dévaluation du dollar ou de la diminution du pouvoir d'achat international.
L'investisseur suivant est un de mes amis; c'est un médecin qui a commencé à investir quand nous avons créé notre fonds, en 1960. Il avait 4 000 $. En 1971, son investissement valait 23 500 $, époque où l'impôt sur les gains en capital était encore inexistant. Cette année, son investissement vaut 2,5 millions de dollars. Il a dû payer 410 000 $ d'impôt qu'il a dû trouver quelque part; en outre, la plus-value latente de son investissement est de 466 000 $, ce qui représente au total un impôt de 39,6 p. 100.
En ce qui concerne les investisseurs nos 4 et 5, le gain réel est nettement inférieur à cause de l'inflation et de la dévaluation du dollar. En outre, ils ont dû avancer l'argent pour payer l'impôt. Je me répète mais c'est important pour comprendre combien ce système est éprouvant pour les investisseurs à long terme.
L'investisseur no 6 représente un cas fréquent. Il s'agit d'un médecin à la retraite très respecté. Il a eu une prise de bec avec sa société de fiducie parce que celle-ci avait géré ses économies de façon ultraprudente et que ses avoirs n'avaient pas fructifié. Il s'est débarrassé de cette société de fiducie à la suite d'un procès et s'est adressé à un conseiller financier. Il ne s'agissait pas de nous. Pendant un certain temps, son portefeuille a été équilibré mais il y a deux ou trois ans, ses actions d'une banque et celles d'une société pharmaceutique américaine ont pris beaucoup de valeur. Son conseiller financier estimait qu'il fallait les vendre, et lui aussi. Cependant, son gain en capital aurait été tel qu'il a décidé de ne pas vendre. Par la suite, la valeur des deux actions a considérablement diminué. C'est un facteur qui a une influence énorme et que la plupart des détenteurs et des gestionnaires de portefeuilles connaissent bien.
Formula considère qu'il est aussi intéressant de conserver une action dont la valeur augmentera de 12 p. 100 que de la vendre pour la remplacer par une action dont la valeur augmentera de 20 p. 100. Comme gestionnaire professionnel de portefeuilles, je trouve que c'est déplorable. Si nous vendons l'action, nous ne disposons plus que d'une somme restreinte. Nous pouvons réinvestir 60 p. 100 du gain mais nous devons laisser 40 p. 100 au gouvernement. Ça réduit le montant des actifs d'autant. Le fait de conserver les actions d'entreprises dont le rendement est moins élevé au lieu d'acheter celles d'entreprises plus jeunes dont la croissance est plus rapide entraîne des pertes financières importantes. Je pourrais citer des dizaines de cas. On entend régulièrement parler de cas semblables.
L'exemple suivant concerne le fils d'un de mes amis. C'est un petit génie en informatique. Il est allé à l'Université de Waterloo et s'est ensuite installé à Kanata. Un jour, avec deux de ses amis, il a créé une société de services et d'ingénierie en informatique spécialisée dans la sécurité informatique. Dernièrement, cette société a été vendue à une grosse entreprise qui l'avait financée en partie: Newbridge. Le père de ce garçon lui a demandé combien il avait gagné sur cette vente. Il lui a répondu: «Avant impôt ou après impôt?» Le père lui a alors dit: «Je suppose qu'après ta période intermédiaire de 18 mois, tu créeras une autre société.» Son fils lui a répondu ceci: «J'ai gagné beaucoup. Il est possible que je recommence, mais pas au Canada, à cause de l'impôt sur les gains en capital.» Il s'agit de jeunes qui sont sérieux et très respectés dans la collectivité.
Nous discutons de certains cas en jouant au golf. En fait, c'est là que nous avons entendu l'histoire qui précède. Il y a aussi le dentiste qui a fait ses études à Concordia et qui souhaite qu'on parle de son cas. Il est intervenu dans notre discussion pour nous dire qu'il ne voulait pas suivre l'exemple de la plupart de ses amis qui prétendent qu'il a tort de ne pas transférer ses fonds à l'étranger. Le nombre d'amis qui lui disent qu'il est stupide de ne pas faire comme les autres le trouble et le sidère. C'est assez regrettable mais c'est un fait à cause du taux d'impôt de 40 p. 100. Comme dans les cas où les gens bloquent leur investissement au lieu de réinvestir les gains dans d'autres actions, le gouvernement ne touche rien lorsque les placements sont transférés dans des pays où les gains en capital sont exonérés d'impôt. Le gouvernement ne touche rien sur l'argent placé à l'étranger.
Le président: Faut-il payer de l'impôt quand on rapatrie ces fonds?
M. Dobson: Oui, mais entre-temps, vous pouvez utiliser les fonds accumulés. Vous payez 100 p. 100. On essaie d'instaurer un système d'accumulation interne, comme dans le système britannique. On paie l'impôt quand les fonds sont rapatriés mais entre-temps, ils fructifient. Vous auriez 1,5 million de dollars au lieu des 93 000 $ de notre exemple précédent et dans ce cas, le gouvernement toucherait 600 000 $.
Le sénateur Angus: Qu'entendez-vous par «accumulation interne»?
M. Dobson: Vous payez un certain montant d'impôt au gouvernement donc vous n'avez plus cet argent à faire fructifier au cours des années ultérieures. Ça correspond à peu près à l'impôt. C'est un facteur très important. Vous avez 100 $ le premier jour mais vous devez payer 20 p. 100 au gouvernement. Vous n'avez plus alors que 80 $ à réinvestir. Vous avez perdu une partie de vos actifs et l'intérêt composé correspondant.
L'investisseur no 9 est probablement l'exemple le plus négatif, à savoir celui de la perte que représentent les entrepreneurs qui renoncent à mettre leurs projets à exécution parce que l'impôt sur les gains en capital est trop élevé. Premièrement, ceux qui décident de rester au Canada ne peuvent pas trouver assez d'investisseurs d'appoint pour financer les démarrages d'entreprises du fait de l'absence de création de richesses. Deuxièmement, c'est une perte pour le Canada lorsque des Canadiens, estimant que l'impôt sur les gains en capital de 40 p. 100 pratiqué dans notre pays ne leur permet pas d'être aussi concurrentiels qu'aux États-Unis où cet impôt n'est que de 20 p. 100, vont établir une entreprise aux États-Unis. Cette situation a une incidence directe sur la création d'emplois. Soit que les emplois sont créés dans le secteur privé par des entrepreneurs qui doivent rendre des comptes sur la rémunération des travailleurs -- des emplois productifs --, soit que l'on se tourne vers le gouvernement pour créer des emplois dont la rentabilité économique et le bien-fondé sont douteux. La débâcle actuelle au ministère des Ressources humaines en est une belle preuve.
Le sénateur Angus: C'est honteux.
M. Dobson: L'exemple suivant est celui de l'investisseur no 10. Dans notre fonds et dans tous les fonds communs de placement, les nouveaux inscrits doivent assumer les gains non matérialisés d'emblée. À supposer que vous vous soyez inscrit à notre fonds le 1er janvier de cette année, alors qu'il était à 4 400 $, vous sauriez que nous avons environ 2 200 $ de gains non matérialisés. Votre part pourrait encore valoir 4 400 $ à la fin de l'année ou sa valeur pourrait être inférieure au prix d'achat. Si les gestionnaires vendaient toutes les actions sur lesquelles les gains n'ont pas été matérialisés, le nouvel investisseur recevrait un relevé d'impôt correspondant à son pourcentage de 2 200 $, même si la valeur du fonds n'a pas augmenté.
Le fait qu'il n'est pas nécessaire de payer de l'impôt sur les gains en capital sur les unités de fiducie au Royaume-Uni est intéressant. Autrement dit, l'administrateur du fonds peut modifier le contenu du portefeuille et l'investisseur ne paiera de l'impôt sur les gains en capital que lorsqu'il vendra ses unités. L'importance de ce système est démontrée à l'annexe 1, à la page 12. L'intéressé aurait en fin de compte 900 000 $ au lieu des 93 000 $ du cas cité en exemple, si le paiement de l'impôt de 40 p. 100 était reporté à la fin de la période de 40 ans. Dans ce cas, le gouvernement recevrait, comme nous avons pu le constater, 600 000 $. S'il s'agit d'un cas extrême, il n'en demeure pas moins que l'effet de «blocage» est grave. Il nuit à la création d'emplois parce qu'il incite les investisseurs à conserver leurs investissements au lieu d'en faire de nouveaux. La plupart de ces facteurs sont néfastes parce que les investisseurs doivent réagir contre l'impôt sur les gains en capital.
Compte tenu des frais et de la réglementation, les recettes que le gouvernement fédéral tire des gains en capital sur les actions ne sont pas très élevés. Vous êtes certainement très au courant des comptes du ministère des Finances. Les frais de perception et de contrôle doivent être déduits des recettes. Le problème est qu'il s'agit d'un actif. Il faut prendre note de la date et suivre ses fluctuations au cours d'une période d'un an ou de cinq ans. Étant donné que l'impôt sur les gains en capital s'étale sur une longue période, il est très compliqué à calculer et à administrer.
Pour les particuliers, cette situation entraîne de nombreux frais improductifs comme la préparation des déclarations d'impôt par H&R Block, les frais d'avocats, de comptables, les frais administratifs liés aux REER et autres frais analogues.
Le sénateur Hervieux-Payette: Et la création d'emplois?
M. Dobson: Je ne fais pas la publicité des services que nous offrons. Même si nous touchons des honoraires, nous estimons qu'il y a trop d'intermédiaires qui font inutilement augmenter les frais.
Les REER sont mieux que rien mais le rendement de ces placements n'est pas bon à cause des petites sommes investies et des frais administratifs élevés auxquels il convient d'ajouter le niveau de contenu canadien de 80 p. 100. D'autres problèmes gênants se posent; c'est notamment le cas des parts que possède l'investisseur dans le fonds d'une société de portefeuille privée. Les génies prétendent qu'il faut avoir une société de portefeuille privée quand on a des actifs américains; sinon, on doit payer de l'impôt sur les gains en capital. Lorsqu'on a une société de portefeuille privée, on n'a pas à payer d'impôt. J'ai des actifs selon ces deux formules et M. Soutar aussi. Sur un compte, nous payons de l'impôt sur les gains en capital alors que nous n'en payons pas sur l'autre. C'est le genre de renseignements que l'on passe sous silence mais ce sont des facteurs qui contribuent en réalité à accentuer le coût total et les problèmes causés par l'impôt sur les gains en capital.
M. Soutar: En conclusion, le bien-être des Canadiens a été nettement réduit par l'impôt élevé sur les gains en capital qui a été établi par notre gouvernement. Premièrement, il a considérablement restreint le processus de création de richesses. Deuxièmement, le fait qu'il fasse renoncer à réaliser les gains et à les réinvestir a des conséquences négatives sur le rendement de l'investissement. Troisièmement, cet impôt élevé a découragé l'implantation de bien des entreprises au Canada, faute de possibilités de financement d'appoint, ou a incités nos entrepreneurs les plus doués à aller investir à l'étranger. C'est un message qu'il est important de bien faire comprendre aux Canadiens. Une réduction de l'impôt sur les gains en capital n'aiderait pas uniquement les riches. Il aiderait tous les Canadiens à bénéficier d'un niveau de vie plus élevé en créant les richesses nécessaires pour leur permettre de recevoir une meilleure éducation, de meilleurs soins de santé ou tout autre service collectif dans lequel nous déciderions d'investir.
Le sénateur Angus: Nous apprécions le fait que vous soyez venus présenter cet excellent mémoire avec ses annexes. Nous étudions cette question depuis plusieurs mois. Nous avons entendu le témoignage de diverses personnes considérées comme des économistes universitaires spécialisés en matière fiscale. Ces témoignages sont parfois contradictoires et déroutants. Vous pourrez peut-être nous aider -- comme vous l'avez déjà fait -- à éclaircir certains points.
J'ai deux questions à vous poser. Vous avez parlé du blocage causé par l'impôt trop élevé qu'il faut payer au Canada sur les gains en capital. Vous en préconisez l'abolition pour faire disparaître cet effet de blocage. Dans ce cas, où iraient les fonds qui étaient bloqués? Que deviendraient-ils?
M. Soutar: Ces fonds ne seraient pas cachés sous un matelas ou ne disparaîtraient pas. Ils seraient réinjectés dans des investissements à rendement plus élevé. Ils seraient réinvestis dans la formation d'entreprises. Ils seraient distribués à divers organismes caritatifs. Ils serviraient à acheter des biens de consommation. Ils seraient réinjectés dans l'économie canadienne.
Une forte diminution ou la suppression de l'impôt sur les gains en capital aurait trois conséquences. La première, c'est que le gouvernement toucherait davantage, du fait que la diminution des taux d'imposition encouragerait plusieurs investisseurs à réaliser leurs gains. Ils attendent parce qu'ils sont réticents à payer l'impôt sur leurs gains en capital. Les fonds seraient réinjectés dans des placements plus rentables. La deuxième est que l'argent serait réinvesti dans des placements à rendement plus élevé, ce qui créerait davantage de richesses dans l'intérêt de tous les Canadiens. La troisième est que les fonds seraient recyclés dans diverses activités économiques, dans l'intérêt de tous les Canadiens. Le blocage des fonds a des conséquences très néfastes sur l'économie, sur la création d'emplois et sur la prospérité des Canadiens.
De nombreuses études effectuées aux États-Unis indiquent qu'une réduction des taux d'impôt sur les gains en capital stimule généralement l'activité économique de façon appréciable. La situation économique en Irlande et en Nouvelle-Zélande en est un exemple typique. Je ne pense pas que les taux d'impôt sur les gains en capital aient été réduits dans quelque pays que ce soit sans que cette initiative n'ait entraîné un accroissement important de l'activité économique et du bien-être des citoyens. C'est pourquoi les politiques refusent de réduire l'impôt sur les gains en capital. Ce n'est pas parce qu'ils ne veulent pas avoir accès aux fonds qu'ils refusent de réduire les taux d'impôt. Les politiques adorent avoir un certain contrôle sur les placements. Ils ne comprennent pas que ce système a des conséquences catastrophiques. Il est très avantageux sur le plan économique de laisser s'accumuler les fonds placés par des particuliers dans des investissements productifs et créer davantage de richesses.
Les Canadiens n'ont pas le choix. Nous ne sommes pas du tout compétitifs par rapport à la plupart de nos concurrents occidentaux. Si l'on ne réduit pas les taux d'impôt sur les gains en capital, nous continuerons d'encourager l'exode de nos citoyens les plus doués vers les États-Unis et d'autres pays. Nos citoyens ne bénéficieront pas des avantages auxquels ils ont droit.
Croyez-moi, si les taux d'impôt sur les gains en capital sont réduits, les citoyens croiront qu'il s'agit d'un miracle économique. Je pense que la valeur de notre devise augmenterait presque instantanément. Les dépenses d'investissement augmenteraient considérablement et la situation économique intérieure s'améliorerait de façon radicale.
Le sénateur Angus: Vous avez fait des déclarations très intéressantes et très péremptoires. Vous avez parlé de diverses études et de divers documents. Êtes-vous convaincus de leur bien-fondé? Avez-vous des desiderata? Vos affirmations sont-elles étayées par des preuves concrètes?
M. Soutar: Absolument.
M. Dobson: Je suis d'accord. L'Allemagne est aussi un bon exemple. Ce pays est doté d'un système bancaire qui facilite la circulation des capitaux. L'impôt sur les gains en capital des entreprises a été totalement supprimé. Les autorités allemandes ont pris cette décision parce qu'elles veulent que les fonds circulent librement et soient réinjectés dans la nouvelle économie au sein de laquelle les pays seront efficaces et modernes. Par conséquent, il faut retirer l'argent de l'ancienne économie et l'investir dans la nouvelle. Il faut trouver cet argent quelque part.
Quand un pays comme l'Allemagne juge nécessaire d'adopter une mesure aussi extrême, il n'y va pas doucement. En Allemagne, où les trois quarts des gains en capital étaient imposés, ce niveau avait été ramené à deux tiers, c'est-à-dire à 65 p. 100, puis l'impôt a été complètement supprimé. Je ne vis pas en Allemagne; ce sont d'autres que moi qui l'ont découvert. C'est une initiative que les Allemands ont jugée nécessaire pour être concurrentiels et pour régler le problème du chômage.
Le sénateur Angus: À propos de la nouvelle économie, par opposition à l'économie traditionnelle, ou de la restructuration économique au Canada, je signale que nous voulons cesser d'être des bûcherons et des porteurs d'eau et que nous voulons faire partie de cette économie nouvelle. Nous l'avons entendu dire à maintes reprises dans le cadre d'une autre étude que nous avons menée au sujet des possibilités d'obtention de capital-risque pour le démarrage d'entreprises au Canada. En ce qui concerne la participation à l'économie nouvelle, le Canada est apparemment en retard sur ses voisins, sur ses partenaires et sur les autres pays de l'OCDE. Même nos entreprises traditionnelles, axées sur les ressources, ont tardé à se rééquiper pour profiter de la technologie de l'économie nouvelle et accroître leur efficacité. Est-ce ce que vous voulez dire pour l'essentiel? La suppression ou la réduction de l'impôt sur les gains en capital contribuerait-elle à régler ce problème?
M. Dobson: Beaucoup. Au Canada, il y a le problème de ce que l'on appelle les «investisseurs d'appoint». Nous avons du capital-risque à notre disposition, généralement dans les institutions financières. Quand on veut faire démarrer une entreprise, on fait une levée de fonds dans la collectivité, comme nous l'avons fait à Montréal. Nous avons recueilli 134 000 $ et c'est ainsi que nous avons démarré. Ce n'est plus possible à l'heure actuelle, à cause de tous les règlements. Il faut plutôt s'adresser à ses amis ou à ses connaissances.
Le sénateur Angus: Vous dites que l'on ne peut pas trouver les fonds nécessaires au Canada à l'heure actuelle?
M. Dobson: Il y a des fonds disponibles mais pas autant qu'à l'étranger, surtout aux États-Unis. Nous n'avons pas autant de richesses dans notre pays. Si vous voulez former une équipe comme les Expos, vous avez intérêt à vous assurer le concours d'une personne comme Charlie Bronfman au cours de la première année. Il y avait 30 actionnaires mais c'est M. Bronfman qui a fini par avoir pour ainsi dire le contrôle absolu, avec Hugh Hallward et Lorne Webster. Il faut des fonds pour faire tourner l'économie.
Le deuxième facteur en est un que la plupart des gens perdent de vue. Quand on veut faire un investissement de ce genre, il faut être en mesure d'investir une deuxième et une troisième fois. M. Soutar et moi n'investissons généralement pas dans des entreprises émergentes mais nous le faisons occasionnellement. L'expérience nous a appris que lorsqu'on investit dans de telles entreprises, il faut être prêts à réinvestir une deuxième et une troisième fois. Si l'on veut investir de l'argent, il faut voir qui d'autre dans la collectivité pourrait racheter l'entreprise.
Les Expos sont un bon exemple. Il y avait au début 30 investisseurs qui se sont retirés l'un après l'autre, jusqu'au dernier. Le premier jour, c'était formidable et une trentaine d'investisseurs étaient prêts à démarrer, mais il faut pouvoir trouver les capitaux nécessaires ultérieurement. Si l'on risque de ne pas trouver le financement nécessaire ultérieurement ou un racheteur, il est préférable de bien réfléchir avant de se décider.
Le sénateur Angus: On dit très souvent que puisque le Canada est si proche de son grand voisin, il devrait instaurer un système de réglementation analogue au système américain, que ce soit dans le secteur bancaire, dans celui de la fiscalité ou dans d'autres secteurs économiques. Si nous prenions les États-Unis comme modèle, je suppose que nous en conclurions que son approche en matière de gains en capital pourrait être instructive. Qu'en dites-vous?
Étant donné que le Canada est un pays relativement petit, que son régime économique est ouvert et que nous sommes apparemment plus de 18 mois en retard sur les États-Unis en matière de commerce électronique, alors que nous sommes le voisin immédiat du moteur économique le plus puissant -- un vrai mastodonte --, conviendrait-il d'abaisser l'impôt sur les gains en capital afin d'attirer de nouveaux capitaux et d'accroître la richesse ou la prospérité des Canadiens?
M. Dobson: Dans le cadre du symposium du Fraser Institute sur les gains en capital, on avait réuni de 20 à 25 experts, dont deux ou trois Américains. On s'y est demandé s'il conviendrait d'instaurer le même régime au Canada qu'aux États-Unis. La réponse de ces experts a été résolument négative.
Le sénateur Angus: Pourquoi?
M. Dobson: Nous devrions avoir notre propre régime. Quels sont nos besoins?
Le sénateur Angus: Je suppose que vous êtes du même avis que les adversaires de l'adoption du même système au Canada? Est-ce bien le cas?
M. Dobson: Je ne pense pas que ça ait de l'importance. Ce qui est important, c'est le taux de l'impôt sur les gains en capital parce que c'est en fonction de ça que la décision d'investir ou de ne pas investir au Canada sera prise. Il ne s'agit pas de savoir s'il convient de calquer le régime américain; il faut plutôt se demander comment être assez concurrentiels pour attirer l'investissement étranger et retenir l'investissement canadien.
Le sénateur Angus: Plutôt que de voir cet investissement aller aux États-Unis?
M. Dobson: Ou dans n'importe quel autre pays. À l'heure actuelle, les Canadiens investissent en Irlande parce que c'est l'endroit le plus en vogue. Nous devons voir ce qui est bon pour nous, Canadiens, et quels sont nos besoins. Si nous avons besoin de capital pour créer des emplois, il faut que quelqu'un possède ce capital. Comme l'a si bien dit M. Alan Greenspan, rien n'est pire que de pénaliser le capital et les gains en capital. Ils sont nécessaires pour faire tourner l'économie. Il ne faut pas adopter le système américain en vrac mais, pour répondre précisément à votre question, si le taux d'impôt sur les gains en capital était inférieur de 3 à 5 p. 100 au taux d'impôt américain, ça indiquerait que notre pays veut grandir et franchir les étapes dont vous avez parlé tout à l'heure.
Le sénateur Furey: Je voudrais revenir à un point que le sénateur Angus a abordé précédemment. Monsieur Soutar, estimez-vous que nous obtiendrions les mêmes résultats avec un report de l'impôt qu'avec son élimination complète? La mobilité du capital serait-elle la même et par conséquent les possibilités d'investissement seraient-elles les mêmes?
M. Soutar: Toute réduction importante de l'impôt sur les gains en capital aurait une incidence positive.
Le sénateur Furey: Un report ou une réduction importante de l'impôt vous conviendrait-il?
M. Soutar: Un report de l'impôt, effectué grâce à un système prévoyant une disposition de roulement permettant l'accumulation de capital, ce qui est le facteur important, représenterait une amélioration importante. Il faudrait que ça se fasse sur une longue période pour créer davantage de richesses parce que ça ferait augmenter les recettes gouvernementales et que ce serait avantageux également pour les citoyens. Ce serait une amélioration considérable.
Si l'on me laissait faire, je réduirais radicalement le taux de l'impôt. Je ne créerais pas des outils de report parce que ça compliquerait les choses. L'idéal serait d'instaurer le système le plus simple possible. Cependant, un report considérable ou total de l'impôt sur une longue période, par exemple sur la durée de la carrière de l'intéressé, serait un gros avantage pour ce qui est de créer des richesses et d'encourager les entrepreneurs.
Le sénateur Furey: Ce serait probablement plus facile à faire accepter par la population canadienne.
M. Soutar: C'est possible. Notre mission consiste à rendre le système attrayant et à mettre les Canadiens au courant de ses avantages. On continue à croire, même aux États-Unis où les citoyens croient dans le capitalisme, que c'est un système qui privilégie les riches. D'une façon générale, cette opinion est due au fait que l'on ne réfléchit pas aux répercussions d'un tel système. Je trouve que cette perception est vraiment regrettable et qu'elle est due à une mauvaise connaissance du processus. Lorsqu'on comprend les pouvoirs fabuleux de l'intérêt composé sur de longues périodes, on se rend compte que le pays perd beaucoup en ne laissant pas le temps à la cagnotte de grossir. Un report de l'impôt améliorerait incontestablement la situation.
Le sénateur Oliver: En répondant aux questions d'autres sénateurs, vous avez dit que vous étiez en faveur d'une suppression totale de l'impôt sur les gains en capital. Le ministre des Finances n'a nullement envie d'accroître la teneur en éléments étrangers autorisés de 10 p. 100 d'un coup; il préférerait plutôt l'accroître de 2 p. 100 par an.
Pourriez-vous expliquer aux Canadiens si la suppression de l'impôt sur 75 p. 100 des gains en capital comporte certains risques? Quelles incidences néfastes la suppression instantanée de cet impôt pourrait-elle avoir sur l'économie canadienne ou pour les Canadiens?
M. Soutar: Un tel changement entraînerait à coup sûr quelques petits inconvénients. On a toujours craint que les contribuables n'essaient dans ce cas de faire passer un revenu pour des gains en capital en ayant recours à divers mécanismes fiscaux, pour éviter de payer de l'impôt. Cependant, je pense que les inconvénients de la suppression totale de l'impôt sur les gains en capital seraient tellement minimes par rapport aux avantages qu'ils ne méritent pas que l'on s'en préoccupe. Je ne passe pas mon temps à faire comme les experts fiscaux qui se posent des questions sur l'équité d'une formule par rapport à une autre. Je crois que la fraude serait minime alors que les avantages seraient tels en matière de création d'emplois et de prospérité que ça ne vaut pas la peine de s'en préoccuper.
M. Dobson: Dans le mécanisme de report, il faut tenir compte de deux facteurs. Le premier, que nous ne connaissons pas suffisamment, est le modèle britannique des fiducies d'investissement à participation unitaire. Ce système permet aux gestionnaires d'acheter et de vendre les actions du fonds commun de placement sans enregistrer des gains en capital pour les divers investisseurs concernés tant qu'ils n'encaissent pas leur part. Il permet de reporter l'impôt et serait avantageux pour bien des Canadiens à faible revenu.
Le deuxième facteur en est un auquel Jack Mintz s'intéresse beaucoup et qu'il appelle un transfert libre d'impôt. Comme M. Soutar, je n'aime pas les instruments. Je préfère que ce soit régulier et simple et que les investisseurs possèdent leurs actions. Cependant, si c'était nécessaire, nous pourrions placer toutes nos actions dans un instrument de placement puis les faire passer de l'instrument précédent à un instrument plus dynamique, ce qui permettrait d'accumuler des richesses pour le Canada tout en ne payant de l'impôt que lorsque nous vendons. Nous pourrions concevoir des instruments à cette fin. Il faut toutefois être conscients du fait que ça cause un gros problème parce que les Canadiens ne connaissent pas les ramifications de ces tactiques.
Le sénateur Kenny: Je me dois de signaler également que je suis un client de Formula Growth.
Vous avez expliqué le pouvoir de l'intérêt composé et l'érosion causée par l'inflation. Vous préconisez une réduction ou la suppression de l'impôt sur les gains en capital et avez parlé des avantages que ça représenterait pour les investisseurs et le gouvernement. Vous nous avez signalé qu'une telle initiative aurait le mérite de retenir les entrepreneurs au Canada.
La déclaration que vous faites à la première page de votre mémoire m'a frappé:
Nous estimons qu'une réduction considérable de l'impôt sur les gains en capital serait la meilleure initiative que notre gouvernement pourrait prendre pour améliorer le bien-être économique des Canadiens.
Je suppose que vous avez tenu compte de l'impôt sur le revenu et de la TPS. Vous n'en avez pas parlé, à moins que je n'aie pas entendu. Voudriez-vous expliquer pourquoi vous estimez qu'une telle décision serait préférable à d'autres que le gouvernement pourrait prendre?
M. Soutar: Je ne suis pas économiste et M. Dobson non plus. Par conséquent, nous ne sommes en réalité pas capables de nous justifier en nous appuyant sur quelque étude quantitative. Nous avons constaté la réaction enthousiaste à la suppression de l'impôt sur les gains en capital en Irlande, en Nouvelle-Zélande et dans plusieurs autres pays. Une des raisons pour lesquelles nous avons cité les propos d'Alan Greenspan, à qui l'on fait très confiance dans le monde entier, est que nous estimons que c'est probablement la meilleure initiative possible pour l'économie. J'ajoute qu'Alan Greenspan est un économiste très qualifié.
C'est l'impression que nous avons. Nous avons cette impression parce que nous travaillons dans le secteur de l'investissement depuis 40 ans et que nous avons observé les ramifications énormes de l'intérêt composé quant à l'accumulation de capitaux sur une longue période et l'accumulation de richesses qui en découle. Nous estimons que ce processus de création de richesses sera accéléré si l'on abaisse l'impôt sur les gains en capital et qu'il aura une très forte influence sur les dépenses d'investissement au Canada. Nous estimons que c'est là que se déroule le processus de création de richesses. Je ne suis toutefois pas en mesure de vous le prouver de façon satisfaisante.
M. Dobson: Quelques années après l'échéance de son mandat, la direction du groupe d'analystes Adam Smith de Londres a demandé au chancelier britannique qui avait établi la règle pour les fonds communs de placement quel était son plus grand regret. Il a répondu que son plus grand regret était que cette règle n'avait pas modifié -- en le supprimant complètement ou en le réduisant considérablement -- l'impôt sur les gains en capital pour les particuliers. Cette règle s'appliquait aux fonds communs de placement mais pas aux particuliers. Voilà quel était son plus grand regret après son départ. C'est donc la preuve que c'est efficace.
Le sénateur Kenny: Pour mes deux questions suivantes, je présumerai que vous avez raison. Je crois qu'il est important et utile que vous ayez déclaré que la création de richesses est un bien. On ne l'entend pas dire très souvent dans notre pays. Ça ne fait pas partie de notre culture. Pourquoi, d'après vous? Pourquoi les Canadiens ont-ils beaucoup de difficulté à accepter l'idée que la création de richesses est utile? Ils ne pensent pas nécessairement que ce soit un mal mais ils ne sont pas prêts à dire que ce soit un bien. Pourquoi le nombre de personnes disposées à vanter les mérites de la création de richesses, comme vous l'avez fait aujourd'hui, est-il aussi restreint?
M. Soutar: C'est une excellente question. Nous estimons que ce comportement est dû en partie au fait que les Canadiens n'apprennent pas dès leur jeune âge quels sont les avantages de la création de richesses. D'une façon générale, on pense que le seul moyen de s'enrichir est de s'adonner à quelque activité douteuse. Je pense également que les Canadiens ont tendance à être envieux -- à croire que si le gouvernement ne le fait pas pour nous, c'est que ce n'est pas bien -- et à avoir un esprit de dépendance -- ils préfèrent que le gouvernement prennent les initiatives à leur place. Il est toutefois regrettable que nous n'ayons pas une attitude plus positive à cet égard. Nous nous piquons de révéler dans les journaux le salaire et les options d'achat d'actions des dirigeants d'entreprises. Nous semblons mettre l'accent sur l'aspect négatif de la richesse au lieu d'en considérer les aspects positifs et de nous réjouir quand quelqu'un s'enrichit en se disant que nous en bénéficierons tous.
M. Dobson: L'impôt sur les gains en capital a été instauré en 1972; il est donc intéressant de se demander pourquoi et qui l'a instauré. Il y a parmi vous un représentant de la Nouvelle-Écosse. Mes parents sont originaires de cette province. Un soir où je dînais avec Bob Stanfield, je lui ai dit: «Monsieur Stanfield, vous êtes un bon Néo-Écossais. Vous étiez membre du Parti conservateur à l'époque où l'impôt sur les gains en capital a été instauré et, soit vous l'avez encouragé, soit vous n'en avez pas dénoncé les effets néfastes.» Il a dit qu'il n'était pas partisan de l'impôt sur les gains en capital lorsqu'il a quitté la Nouvelle-Écosse pour aller s'établir à Toronto, mais qu'on l'avait persuadé que le Canada était un pays très riche et qu'il fallait redistribuer les richesses, notamment en instaurant un impôt sur les gains en capital.
Je crois que c'est la principale raison. Nous avions le vent dans les voiles à l'époque de l'Expo 67 et même avant. Lorsque j'ai terminé mes études à la Harvard Business School en 1952, le Canada était le pays où les jeunes venaient s'établir. On a soudain un peu exagéré et on a jugé que ce n'était pas tout à fait équitable, qu'il fallait partager. On n'a pas beaucoup réfléchi aux dommages que pouvaient causer à un pays jeune comme le nôtre une entrave à l'accumulation de capital et son blocage à un stade précoce. C'est ce qui a engendré l'attitude mentionnée par M. Soutar.
Je dirais même que les écoles et les collèges canadiens sont en grande partie responsables de cette mentalité. On n'enseigne pas l'économie, et plus particulièrement l'entrepreneuriat dans la plupart des écoles, bien que l'on commence à le faire en Nouvelle-Écosse. L'éducation laisse à désirer dans ce domaine. Mes amis les économistes induisent leurs étudiants en erreur. Je m'explique, parce qu'il s'agit d'une déclaration assez catégorique. Nous appuyons le Canadian Institute of Applied Research, ou CIAR. Nous investissons une partie des fonds de notre fondation dans la croissance économique. Une réunion a eu lieu à Ottawa. J'y ai assisté. D'éminents économistes ont discuté entre eux et ont émis l'opinion étonnante, il y a environ cinq ans, que l'innovation et la technologie n'entraient pas en ligne de compte dans la théorie de la croissance économique. J'ai répliqué que c'était de la foutaise, que nous investissions depuis 30 ou 40 ans dans des entreprises en expansion. Je leur ai expliqué ce qui se passait dans la vie réelle, même s'ils prétendaient avoir découvert la bonne formule.
Dans le document, nous avons parlé de croissance statique, y compris du Budget Office américain. Si l'on modifie le système de stimulation, il faut tenir compte des résultats, à savoir un abaissement des impôts, un accroissement du PNB et des recettes. La perspective est tellement différente de celle de gens comme nous qui ont affaire à des entreprises dont la croissance est dynamique. Je parlais de Fonorola Inc. et d'autres sociétés en croissance il y a quelques minutes. Il en faut.
Le sénateur Kenny: Vous me guidez précisément vers ma troisième question qui implique que la création de richesses est un jeu à somme nulle dans une certaine mesure. Si quelqu'un s'enrichit, il le fait aux dépens de quelqu'un d'autre. Le principal argument en faveur de l'impôt sur les gains en capital a toujours été fondé sur l'équité. Vous en avez brièvement parlé mais pourquoi n'en parlez-vous pas de façon directe? Qu'avez-vous à répondre lorsqu'on affirme que ce n'est que juste? C'est la raison d'être de l'impôt sur les gains en capital et nous le maintiendrons probablement parce que personne ne répond à cette question.
M. Dobson: Il s'agit d'augmenter la grosseur du gâteau. Les chauffeurs de taxi de Montréal veulent que les affaires prospèrent. Ils souhaitent que le nombre de riches augmente. Il n'y en a pas assez. Pour permettre aux mendiants et aux diverses personnes qui vivent dans la rue de s'affranchir de l'aide sociale, il faut des gens qui augmentent la taille du gâteau, surtout dans le secteur privé. Le problème qui se pose actuellement au Canada est qu'un pourcentage beaucoup trop élevé du produit national brut revient aux divers paliers de gouvernement. Si l'on modifie le système, que l'on augmente la taille du gâteau et que toutes les affaires prospèrent, on aide les pauvres que l'on veut aider et qui en ont grand besoin pour la plupart. Il faut que le filet de sécurité soit meilleur et plus large; par conséquent, la seule façon d'y arriver est d'augmenter la taille du gâteau. Comment faire? Il faut créer davantage de productivité, de richesses et pour atteindre cet objectif dans le secteur privé, il faut du capital.
J'ai entendu parler au Sénat, et pas plus tard que cet après-midi à la Chambre des communes, des investissements que le gouvernement compte faire dans tel ou tel domaine et de la façon dont les deniers publics sont dépensés. Le gouvernement a décidé que c'est lui qui résoudra les problèmes. Il y a beaucoup de chômeurs au Canada et le gouvernement a décidé de prendre les choses en main. Je voudrais une société où l'intervention gouvernementale soit beaucoup moins prononcée et dans laquelle le système de stimulation permettrait au secteur privé d'accroître considérablement ses revenus. J'ai 71 ans et je ne doute nullement que dans une telle société, le sort des plus pauvres serait amélioré parce que nous aurions un plus gros gâteau à partager.
M. Soutar: Est-ce équitable pour les Canadiens dont le niveau de vie a considérablement baissé au cours des 30 ou 40 dernières années par rapport à celui de leurs voisins du Sud? Est-il juste que la valeur de notre devise ait considérablement diminué au cours des 25 dernières années? Est-il juste que les Canadiens qui voyagent en Europe occidentale ou en Asie se sentent appauvris?
Ce souci d'équité va à l'encontre de la solution que préconise M. Dobson qui consiste à augmenter la taille du gâteau à partager entre tous les citoyens. Je crois que si les Canadiens comprenaient le processus de création de richesses et tous les avantages qui en découlent, ils seraient pour la plupart en faveur d'une réduction de l'impôt sur les gains en capital même si certains individus profitaient davantage d'une telle mesure que d'autres. Il faut se rendre à l'évidence: l'équité absolue est un mythe en ce bas monde.
Le sénateur Angus: L'égalité aussi.
Le sénateur Meighen: Je partage les opinions de nos témoins. Vous les avez exprimées très clairement en répondant aux questions intéressantes du sénateur Kenny. Il est nécessaire d'en parler. Voyons ce que ça donne dans d'autres pays -- sans tenir compte des États-Unis, même si la réalité nous saute aux yeux. Voyons toutes les preuves. Des pays comme l'Allemagne, la Nouvelle-Zélande et l'Irlande ont peut-être autant de raisons que nous d'être méfiants, ce qui ne les a pas empêchés de passer à l'action. Avez-vous des renseignements sur la façon dont ils en sont arrivés là? Je ne pense pas que ce soit par voie de référendum ou de plébiscite. Ces pays-là n'avaient pas un voisin comme les États-Unis pour leur donner l'exemple. Peut-être qu'outre-Atlantique, ils ont une meilleure vision des choses ou que c'est une question de leadership politique. Je ne sais pas. Le savez-vous?
M. Soutar: En ce qui concerne la Nouvelle-Zélande et l'Irlande, leur situation était tellement désespérée qu'elles étaient prêtes à tout essayer.
Le sénateur Meighen: J'espère que vous ne voulez pas dire qu'il faudrait attendre d'en arriver à cette extrémité pour agir au Canada?
M. Soutar: Sur le plan économique, nous n'en sommes pas très loin. C'est une catastrophe de perdre nos citoyens les plus compétents et les plus doués. Ils quittent le pays en grande partie à cause des possibilités que leur offrent d'autres pays où le régime fiscal est différent.
Si l'on veut que notre pays reste prospère au cours des deux, trois ou quatre prochaines décennies, il faut y réfléchir très sérieusement. Nous sommes tous préoccupés par l'avenir de notre pays, par le bien-être de ses citoyens; nous tenons à ce qu'il subsiste encore une cinquantaine voire une centaine d'années. Si le Canada n'arrive pas à retenir ses citoyens les plus compétents et les plus brillants, il risque fort d'être complètement dépassé sur le plan économique et même d'être un jour rattaché aux États-Unis. Je crois que nous sommes confrontés à une crise de taille qui nous oblige à prendre des décisions radicales à ce sujet.
Le sénateur Meighen: Je suis d'accord. Étant donné ce scénario, que penseriez-vous d'une réduction de 75 p. 100 à 66 p. 100 dans ce budget, dont il a été question dans les journaux, suite à une fuite orchestrée? Est-ce qu'un tel changement aurait une incidence négative, une incidence très positive ou aucune incidence?
M. Soutar: Je crois qu'il aurait une incidence positive. Toute initiative visant à réduire l'impôt sur les gains en capital améliorerait la situation. Si le changement dont il a été question dans les journaux est effectivement prévu dans le budget, il sera loin d'être suffisant pour régler le problème. Il faut s'y attaquer de façon décisive. Si le gouvernement faisait un petit pas en avant dans ce domaine, il faudrait redoubler d'effort pour que les Canadiens soient mieux au courant. Ce serait utile, c'est indéniable. Ce ne serait toutefois pas suffisant. Ce serait du bricolage et ce ne serait pas du tout suffisant.
Le sénateur Meighen: J'ai une question d'ordre plus technique à poser. Si je comprends bien, bien que le taux d'impôt sur les gains en capital soit actuellement de 20 p. 100 aux États-Unis, les Américains doivent payer des droits sur les successions à l'État alors que nous pas. Est-ce le compromis? À supposer que vous puissiez donner un coup de baguette magique et faire disparaître l'impôt sur les gains en capital demain, instaureriez-vous un impôt successoral?
M. Soutar: En réalité, on paie un impôt sur les biens transmis par décès au Canada du fait de la réalisation présumée au décès. S'il fallait faire ce compromis -- et on paie déjà des droits de succession au Canada à cause de cette réalisation présumée --, la suppression de l'impôt sur les gains en capital et une forme d'impôt successoral seraient dans l'intérêt économique des Canadiens. L'impôt successoral n'encourage pas les transferts de fonds d'une génération à l'autre mais ce n'est pas nécessairement bon pour les enfants d'hériter d'une somme d'argent. Je voudrais que le gouvernement encourage ceux et celles qui créent des richesses, fondent des entreprises et créent des emplois. C'est le genre d'activité qui sera le plus utile pour notre pays.
Le sénateur Meighen: Je voudrais vous poser une question au sujet de l'investisseur no 10. Je crois que le sénateur Furey a abordé le sujet dans ses questions concernant le report d'impôt. C'est semblable au changement qui, d'après les rumeurs -- et j'espère que vous me pardonnerez de faire allusion à une autre fuite --, pourrait être prévu au budget en ce qui concerne les options, à savoir que l'on ne devrait dorénavant payer l'impôt sur une option qu'après l'avoir vendue au lieu de devoir le payer au moment de l'investissement.
M. Soutar: Le changement en ce qui concerne les options est imposé au gouvernement. Il le fait avec réticence à cause de l'exode qu'entraîne cette situation. Des gens d'affaires très connus, qui dirigent des entreprises comme Nortel, menacent de transférer encore davantage d'emplois à l'étranger si le gouvernement ne fait rien pour remédier à ce problème. Il s'agit donc d'une réaction à cette menace. Ce changement n'est pas dû à la volonté de prendre une initiative constructive, de rendre le Canada plus attrayant, d'attirer les Américains, de créer des emplois et des entreprises et d'investir dans l'économie nouvelle. Ce n'est pas par dynamisme. Que faisons-nous? Nous attendons, nous rafistolons et nous réagissons de façon négative quand nous y sommes contraints par une crise au lieu d'adopter une attitude positive ou préventive et de prendre des initiatives vraiment constructives pour le pays. C'est simple. Tous ceux et celles qui sont autour de cette table savent qu'il serait facile de rendre notre économie à nouveau florissante. Elle l'était avant que l'on ne crée cet impôt sur les gains en capital et elle en a souffert depuis. C'est presque aussi simple que ça.
Le sénateur Meighen: Il y a peut-être un ou deux autres facteurs qui ont eu une influence.
M. Soutar: Bien sûr.
Le sénateur Meighen: Et si le taux d'impôt sur les gains en capital variait selon la période pendant laquelle l'actif est conservé, comme aux États-Unis ou dans d'autres pays? Vous n'êtes sûrement pas en faveur d'un tel changement étant donné que vous préconisez une suppression complète de l'impôt sur les gains en capital, mais quels seraient les avantages et les inconvénients d'une telle formule, d'après vous? Dans certains milieux, on prétend qu'elle règle le problème de l'équité puisqu'ainsi les spéculateurs ne bénéficieraient pas des mêmes avantages que les investisseurs à long terme.
M. Soutar: S'il n'en tenait qu'à moi, je ne ferais pas de différence entre la spéculation et un investissement d'une durée de 10 ans. Il faut reconnaître que ce sont des types d'investissement très différents. Il est très injuste de faire payer de l'impôt pendant 40 ans aux détenteurs de parts d'un fonds étranger ou d'un fonds de croissance alors que le dollar a perdu les trois quarts de sa valeur au cours de cette période et que l'impôt est payé sur la valeur nominale. C'est un des problèmes qui se posent et c'est une des raisons pour lesquelles on propose des taux d'impôt variant selon la durée du placement.
Nous faisons une distinction entre investir et spéculer. Pour nous, investir, c'est soutenir des gens sérieux et fournir du capital pour permettre à des entreprises de prendre de l'expansion à long terme. Je suis en faveur d'un abaissement du taux d'impôt sur les gains à long terme notamment à cause de l'influence de l'inflation. En tout sincérité, j'estime que ce genre d'initiative entraîne des complications, nécessite la mobilisation d'une armée de fonctionnaires pour assurer la surveillance ou faire les vérifications et impose en outre de nombreuses contraintes aux investisseurs. J'essaierais de faire en sorte que le système reste le plus simple possible.
M. Dobson: C'est le cas actuellement. Si vous réalisez un gain considérable à la suite de transactions personnelles ou de présumées transactions de votre principale entreprise, la situation est différente. Il existe actuellement un outil qui est très flou et qui fait appel au jugement lorsqu'il s'agit de déterminer si l'intéressé est considéré comme un spéculateur ou comme un investisseur. Le montant à payer varie selon qu'il s'agit d'un spéculateur ou d'un investisseur. Il faut décider dans quel camp vous êtes. C'est une zone floue.
Le sénateur Kroft: J'avais plusieurs questions intéressantes à poser mais elles l'ont été pour la plupart par le sénateur Meighen. Nous voulons tous en arriver au même but. La rigueur du débat et la discipline sont très importantes. Il serait peut-être utile de remanier pour l'avenir le paragraphe de la page 1 parce qu'il exagère peut-être un peu l'importance des gains en capital.
J'ai à la fois une observation à faire et une question à poser. D'une manière générale, nous sommes tous d'accord sur ce point. Je ne pense pas que vous essayiez de nous convaincre car nous sommes généralement d'accord. Il s'agit de l'aspect culturel, qui me fascine littéralement. On a tendance à rendre le gouvernement responsable de cette situation. Je voudrais faire une proposition. Les gouvernements ont tendance à faire des sondages et à réagir en fonction des résultats. C'est peut-être là la forme de leadership du XXe siècle, mais c'est une réalité. Ces dernières années, j'ai appris que le sens du terme «richesses» a considérablement évolué en une décennie. Absolument toutes les institutions financières offrent maintenant des services de gestion des richesses. De tels services étaient inexistants autrefois ou alors ils étaient au fond du couloir et étaient intitulés «services à la clientèle». On fait maintenant de la publicité concernant la «gestion des richesses». Dans certaines publicités, il est même question de «création de richesses».
Nous nous demandons bien pourquoi les gouvernements ne prennent pas des initiatives qui nous semblent évidentes. La question que je veux vous poser -- et je signale que je vous confonds généralement avec les sociétés de placement et les sociétés de gestion de placement -- est la suivante: la réticence que vous avez à commercialiser vos services n'est-elle pas une des principales causes du problème? Je crois que nous avons fait des progrès. Cependant, si les sociétés de placement annonçaient de façon plus directe qu'elles veulent nous enrichir et que la richesse est un bien, je crois que ça réglerait le problème culturel que nous considérons tous comme une des principales causes du problème en question. Le gouvernement ne décidera pas du jour au lendemain que la richesse est un bien. Cependant, si vous faites tous paraître des annonces pleine page indiquant votre volonté d'aider les Canadiens à s'enrichir, ne croyez-vous pas que ça réglerait en grande partie notre problème culturel?
M. Soutar: Notre industrie ne s'est pas préoccupée de faire accepter les avantages de la création de richesses aux Canadiens. C'est effectivement notre responsabilité. Je suis entièrement d'accord avec vous.
M. Dobson: J'ajouterais que vous devez surveiller ces obstacles. Si dans 25 ans, il faut un rendement de 7,9 p. 100 pour rentrer dans ses frais, à cause de ces règlements, il sera difficile de convaincre les Canadiens d'investir dans ces conditions extrêmes. Je me base sur un taux d'inflation de 5 p. 100. Le taux réel est de 5,3 p. 100. C'est ce que je paie lorsque je vends actuellement un bien que je possède depuis 25 ans.
Le facteur d'inflation sur lequel Jack Mintz se base est de 2 p. 100 pendant une période de 20 ans. À ce niveau-là, on perd malgré tout un tiers de la valeur de son capital sur une période de 20 ans. Il y a des facteurs d'ordre structurel tels que les amendes et l'intervention des organismes régulateurs qui ont pour tâche de protéger les citoyens. Tous ces facteurs ralentissent le progrès. Nous tenons de nombreuses conférences et les avocats américains font allusion au Safe Harbor Act. Il ne faut pas s'arrêter à ce qu'ils disent parce que ce n'est peut-être pas vrai.
Les organismes régulateurs auxquels j'ai fait brièvement allusion et les impôts rendent l'entreprise peu attrayante dans plusieurs cas. Je ne pourrais probablement pas créer le Formula Growth Fund aujourd'hui. À l'époque, je ne travaillais pas dans ce secteur. La Commission des valeurs mobilières du Québec aurait sûrement pensé que je n'étais pas assez compétent pour gérer un fonds. Ce sont par conséquent les règlements qui mettent des bâtons dans les roues des entrepreneurs qui veulent prendre des initiatives.
Le président: On ne peut pas critiquer la présence des organismes régulateurs. Tous les entrepreneurs ne sont peut-être pas aussi honnêtes que vous.
M. Dobson: C'est excessif. Sur le plan économique, les avantages sont supérieurs aux inconvénients.
Le sénateur Kroft: J'ai eu des réponses à la plupart de mes questions. J'ai fort apprécié la réponse de M. Soutar. J'en arrive à la conclusion que ce problème culturel se réglera bien plus à l'extérieur qu'à l'intérieur de la fonction publique.
Le sénateur Hervieux-Payette: Préféreriez-vous que l'on abaisse le pourcentage ou que l'on oblige les investisseurs à attendre au moins un an avant de vendre pour éviter un roulement trop rapide des fonds? Préféreriez-vous que l'on abaisse considérablement le pourcentage ou que l'on instaure un délai d'attente d'un an? Estimez-vous qu'il serait mauvais d'obliger les investisseurs à conserver leurs actions pendant un an? Il semble que ce soit la règle dans certains pays de l'OCDE.
M. Soutar: Le changement le plus important est une réduction considérable du taux. Une période d'attente d'un an ne me gênerait pas.
Le sénateur Hervieux-Payette: À supposer que la semaine prochaine, le gouvernement nous fasse le grand plaisir de réduire considérablement les taux, compte tenu de la mondialisation, aurait-on la moindre garantie que tous les capitaux seraient investis dans notre pays? La mondialisation permet de produire plus à des coûts nettement moins élevés en utilisant la main-d'oeuvre de pays où la législation ouvrière et les salaires minimums sont inexistants et où une partie de la population est instruite. Je pense à des pays comme l'Inde où il y a notamment de nombreux experts en informatique et de nombreux ingénieurs. Comment s'assurer que tout cet argent en circulation ne soit pas investi à l'étranger?
M. Soutar: Je ne pense pas que l'on puisse s'assurer que tous les gains réalisés soient investis au Canada. Une partie de ces capitaux seraient investis à l'étranger. Ce qui importe le plus, c'est d'être concurrentiels par rapport aux autres pays. Le Canada a incontestablement beaucoup d'atouts. Notre population est très réduite, nous avons beaucoup d'air frais et beaucoup d'eau. Par ailleurs, le taux de criminalité est faible et la population fait généralement preuve de compassion envers les pauvres. Le Canada présente de nombreux attraits importants qui nous ont incités à rester ici. Ce n'est pas uniquement une question d'argent.
Par contre, nous accusons un très net recul sur le plan économique. À mon avis, une réduction du taux d'impôt sur les gains en capital entraînerait un accroissement des investissements au Canada. Je ne sais pas combien de millions ou de milliards de dollars ont été investis à l'étranger à cause de l'impôt; j'ai toutefois l'impression que ça représente des sommes considérables. Une partie de ces investissements seraient rapatriés. Les étrangers considéreraient le Canada comme un pays très intéressant pour les investissements si l'impôt sur les gains en capital était réduit.
Il y a au Canada des gens très instruits et des travailleurs très compétents. La plupart des Canadiens parlent plus d'une langue. Nous avons de nombreux avantages. Le Canada est un pays très attrayant. L'OCDE ne cesse de nous le faire remarquer. J'estime cependant que c'est sur le plan de l'impôt sur les gains en capital que nous ne sommes pas concurrentiels du tout. Une partie des capitaux seraient alors investis à l'étranger mais on en investirait davantage ici. D'une manière générale, je suis convaincu qu'une diminution de l'impôt sur les gains en capital entraînerait une amélioration de notre niveau de vie.
Le sénateur Hervieux-Payette: Les taux d'intérêt étaient toujours plus élevés au Canada qu'aux États-Unis mais actuellement, ils sont plus bas. Estimez-vous que ça dérègle complètement le système? Quelle en est la raison? On prétendait que les taux d'intérêt diminueraient lorsque le taux de chômage et le taux d'inflation seraient peu élevés, ce qui est actuellement le cas. Les taux d'intérêt sont très bas, plus bas qu'aux États-Unis. Pourtant, le taux de chômage et le taux d'inflation y sont moins élevés qu'ici. Pour quelle raison les taux d'intérêt sont-ils si peu élevés ici?
M. Soutar: Je ne suis pas expert en la matière. Je pense toutefois que si les taux d'intérêt sont plus bas au Canada qu'aux États-Unis, c'est précisément parce que notre taux de chômage est plus élevé. Nous avons encore des ressources, même si elles diminuent très rapidement. Le taux d'inflation est moins élevé au Canada qu'aux États-Unis. Par conséquent, notre banque centrale estime que les risques d'inflation sont moins élevés. Je pense que la Federal Reserve américaine est très préoccupée par les risques d'inflation et c'est une des raisons pour lesquelles elle pratique une politique de resserrement monétaire et augmente les taux d'intérêt. Je ne suis toutefois pas expert en la matière.
Le président: Merci. Vous avez exposé vos opinions d'une manière qui permet aux Canadiens de les comprendre, ce qui est très utile.
Nous donnons maintenant la parole au professeur Neil Brooks. Monsieur Brooks, tout ce que je sais de vous, c'est que vous êtes professeur à l'Osgoode Hall Law School, ce qui est un excellent titre. Soyez le bienvenu. Avez-vous des observations préliminaires à faire?
M. W. Neil Brooks, Osgoode Hall Law School: Je vous remercie de m'avoir invité à exprimer mes opinions sur le sujet important qu'est l'impôt sur les gains en capital. Lorsque le sénateur Angus m'a invité, je lui ai dit que j'avais diverses autres tâches à accomplir et que je n'aurais pas l'occasion de préparer un mémoire, ce dont je m'excuse. J'ai été malade au cours des derniers jours et même si je pensais pouvoir préparer des notes écrites, je n'ai pas été en mesure de le faire. Je voudrais vous être le plus utile possible et par conséquent, si vous souhaitiez avoir un texte écrit ou des renseignements plus précis sur certains aspects de mon exposé, je me ferai un plaisir de vous les procurer.
Je suis un avocat spécialisé en matière fiscale et pas un économiste ou un homme d'affaires. Je défendrai en outre l'autre point de vue. En fait, j'ai plutôt l'impression de me faire l'avocat du diable, ce qui est bien entendu assez normal pour un avocat.
Je crois non seulement qu'il ne faut pas que les gains en capital fassent l'objet d'un traitement encore plus avantageux sur le plan fiscal mais j'estime en outre qu'il faudrait cesser complètement de leur accorder un traitement préférentiel. Je suppose que vous vous en doutiez lorsque vous m'avez invité pour entendre l'autre point de vue, à moins qu'il ne s'agisse d'une erreur.
Le sénateur Angus: C'est de l'exode des cerveaux à rebours.
M. Brooks: Je tiens tout simplement à signaler que je défends l'autre point de vue.
J'ai cinq observations à faire. Je vous invite à m'interrompre pendant mon exposé. Ça devrait prendre entre 10 et 15 minutes. J'énumérerai ces cinq points puis je les développerai brièvement.
La première observation que j'ai à faire, c'est qu'il est évident qu'il n'est pas équitable d'imposer les gains en capital à un taux différent du taux d'imposition appliqué au revenu. L'exonération d'impôt des gains en capital va non seulement à l'encontre de l'équité horizontale mais elle tend en outre à favoriser considérablement les contribuables à revenu élevé. À ce propos, j'ajouterais que l'argumentation en faveur d'un traitement préférentiel des gains en capital, sous prétexte qu'ils ne sont pas indexés sur l'inflation, n'est pas fondée.
Ma deuxième observation est que le fait de ne pas imposer les gains en capital au même taux que le revenu est probablement une source d'inefficience économique supplémentaire. À ce propos, j'estime que le problème du blocage causé par le fait que l'impôt sur les gains en capital ne doit être payé qu'à la vente des actifs et pas chaque année, à mesure que les gains s'accumulent, n'est pas aussi grave qu'on ne veut le faire croire.
Le président: Que pensez-vous de la peine capitale?
M. Brooks: Comme vous pouvez le constater, je suis disposé à parler de n'importe quel sujet, honorable sénateur. Nous pourrons en discuter également, si vous voulez.
Le troisième point est que le traitement préférentiel des gains en capital accentue la complexité du régime fiscal qui est déjà considérable. Il impose une très lourde charge à l'économie en raison de la complexité des transactions dont il faut tenir compte et de la planification fiscale inutile qu'il encourage.
Ma quatrième observation est qu'il est absolument insensé d'essayer de subventionner les petites entreprises à risque par un allégement fiscal sur les gains en capital.
Enfin, contrairement à ce que d'autres témoins ont déclaré, j'estime qu'une réduction de l'impôt sur les gains en capital entraînerait un manque à gagner considérable au niveau des recettes fiscales.
Premièrement, en ce qui concerne la question de l'équité, je tiens à signaler que l'argument le plus convaincant en faveur de l'imposition des gains en capital au même taux que le revenu ordinaire est que c'est une question d'équité élémentaire. En matière de justice sociale, un des principes les plus fondamentaux est que les citoyens dont la situation est comparable doivent être traités de la même façon. C'est l'application constante de ce principe qui donne sa légitimité à nos lois. Tous les citoyens qui sont dans la même situation doivent être traités de la même façon.
En droit fiscal, le principe selon lequel deux personnes qui ont la même capacité de payer devraient payer le même montant d'impôt est le fondement moral de l'imposition du revenu. Il est un fait que le contribuable qui réalise 30 000 $ de gains en capital a la même capacité de payer que celui qui touche 30 000 $ d'intérêts ou que celui qui a des revenus d'entreprise de 30 000 $. Par conséquent, ils devraient tous payer le même montant d'impôt.
Le principe de la taxation égale de tout revenu n'est pas démodé. Comme je l'ai dit, c'est le fondement moral du régime d'impôt sur le revenu. Sinon, la définition du revenu ne serait que le résultat de l'exercice du pouvoir politique et pas de la mise en application de principes moraux primordiaux.
Le problème de l'équité horizontale est accentué du fait qu'entre 5 et 7 p. 100 seulement des Canadiens réalisent des gains en capital. En fait, la grosse majorité des contribuables ne réalisent jamais que des gains en capital minimes au cours de leur vie.
En ce qui concerne l'équité verticale, il ne fait aucun doute que tout traitement préférentiel des gains en capital ne profiterait pour ainsi dire qu'aux contribuables à revenu élevé. En 1996, c'est-à-dire au cours de la dernière année pour laquelle nous disposons de chiffres, les contribuables ayant un revenu supérieur à 250 000 $, qui représentaient moins de 0,3 p. 100 de l'ensemble des contribuables, ont réalisé plus de 40 p. 100 des gains en capital imposables. Les contribuables ayant un revenu supérieur à 100 000 $, qui représentaient moins de 2 p. 100 de l'ensemble des contribuables, ont déclaré plus de 65 p. 100 des gains en capital. En d'autres termes, les Canadiens qui ont gagné entre 20 000 $ et 40 000 $ ont déclaré des gains en capital de 150 $ en moyenne tandis que ceux qui ont gagné plus de 250 000 $ ont déclaré des gains en capital de 74 000 $ en moyenne. Ça veut dire que les contribuables à revenu élevé ont fait en moyenne 500 fois plus de gains en capital que ceux à revenu moyen.
Ceux qui recommandent des taux d'imposition préférentiels sur les gains en capital prétendent que ça ne pose pas vraiment de problème sous prétexte que l'inégalité n'est pas aussi grande que ces chiffres semblent l'indiquer et ce, pour diverses raisons. Ils signalent notamment que les contribuables à faible revenu et à revenu moyen représentent la grosse majorité des personnes qui déclarent des gains en capital, ce qui est vrai. Par exemple, environ la moitié des 1,5 million de contribuables qui en ont déclaré avaient un revenu inférieur à 40 000 $. Cependant, ce chiffre ne permet nullement d'évaluer l'équité d'une réduction d'impôt sur les gains en capital. Si un plus grand nombre de contribuables à faible revenu et à revenu moyen que de contribuables à revenu élevé déclarent des gains en capital, c'est uniquement parce que le nombre de contribuables se classant dans ces tranches de revenu est extrêmement élevé. En outre, les membres de ce groupe qui ont réalisé des gains en capital ont déclaré des gains moyens minimes par rapport à ceux qui ont été déclarés par les contribuables à revenu élevé.
Nous n'en sommes pas certains et on ne peut pas les identifier d'après les données qui ont été publiées. Vous pourriez peut-être essayer d'obtenir des données sur les personnes qui déclarent des gains en capital, même minimes, parce que la plupart des contribuables à revenu moyen ne peuvent même pas verser le maximum auquel ils ont droit dans un REER, c'est-à-dire qu'il leur reste des droits de cotisation à un REER. Il est difficile de savoir pourquoi ils réalisent des gains en capital ailleurs que dans un REER. Je pense que la plupart des Canadiens à faible revenu qui déclarent des gains en capital sont des personnes âgées qui ont de petits investissements dans des fonds communs de placement en plus de leur régime de retraite. La plupart sont probablement des conjoints ou d'autres membres de la famille de contribuables à revenu élevé qui profitent des dispositions concernant le fractionnement du revenu. Bon nombre de ces personnes peuvent aussi être des nantis qui sont parvenus à réduire leur revenu imposable grâce aux abris fiscaux.
Deuxièmement, les partisans d'un traitement fiscal privilégié des gains en capital prétendent que les données sur la répartition que j'ai citées sont trompeuses parce que la catégorie des contribuables à revenu élevé inclut des personnes ayant eu un revenu relativement modeste toute leur vie mais qui ont vendu une petite entreprise ou une exploitation agricole et ont réalisé un gain en capital important. C'est ce que l'on peut considérer comme la théorie du «souverain pour un jour». En fait, il serait peut-être utile que vous examiniez la question. Au Canada, on ne publie pas le genre de données qui nous permettraient de porter un jugement à ce sujet. Cependant, aux États-Unis, de nombreuses études ont tenté de répartir les gains en capital sur le revenu moyen du même contribuable sur plusieurs années. Ces études ont permis de constater que la répartition des gains en capital selon les classes de revenu varie très peu lorsque les calculs sont étalés sur une période de 10 ans au lieu d'un an. Alors que quelques personnes ayant un revenu modeste peuvent avoir réalisé un gain en capital important une fois dans leur vie, la plupart des contribuables à revenu élevé réalisent des gains en capital chaque année. En outre, s'il s'agit de propriétaires de petites entreprises, ceux-ci touchent probablement un salaire important ou ont des revenus de dividendes toute leur vie puis vendent leur entreprise.
Par exemple, d'après une étude américaine portant sur une période de 10 ans, de 1979 à 1988, près de 60 p. 100 des gains en capital ont été réalisés par des contribuables dont le revenu moyen au cours de cette période les classait dans la tranche d'imposition supérieure ne représentant que 1 p. 100 des contribuables. Par conséquent, il ne faut pas se laisser détourner de son intuition première. Je suis étonné que l'on mette ce résultat en doute. Au Canada, les richesses sont réparties de façon bien plus inégale que les revenus. En fait, les 1 p. 100 de Canadiens les plus nantis possèdent environ 30 p. 100 du patrimoine des particuliers et un pourcentage encore plus élevé du patrimoine financier. Naturellement, ce sont ces contribuables qui réalisent des gains en capital. En fait, les familles faisant partie du groupe des familles les plus riches possèdent davantage de richesses que les 80 p. 100 de Canadiens qui sont au bas de l'échelle. Les 40 p. 100 de Canadiens qui se situent à l'échelon inférieur ne possèdent que 2 p. 100 du patrimoine des particuliers et il s'agit surtout de maisons; par conséquent, il est difficile de savoir où ils pourraient trouver des biens sur lesquels réaliser des gains en capital.
On dit parfois qu'il faut accorder un traitement privilégié aux gains en capital par souci d'équité parce que ce ne sont pas les gains réels mais les gains nominaux qui sont imposables. Par conséquent, l'imposition de la portion des gains en capital correspondant à l'inflation est injuste. Pour redresser la situation, il convient donc d'accorder un traitement fiscal préférentiel aux gains en capital. L'idéal serait bien sûr que tout revenu du capital soit indexé sur l'inflation. Cependant, aucun pays industrialisé important n'a de système d'indexation de toute l'assiette fiscale ni n'est susceptible d'en avoir un. C'est non seulement difficile à réaliser sur le plan technique mais, en raison des problèmes d'application du crédit pour impôt étranger et autres chevauchements entre régimes fiscaux internationaux, ça nécessite également un degré de coopération internationale que l'on est peu susceptible d'atteindre dans l'immédiat.
Étant donné l'absence d'indexation globale absolue, il est peu raisonnable d'accorder un traitement privilégié aux gains en capital pour compenser en gros l'absence d'indexation sur l'inflation et ce, pour plusieurs raisons. La première est que, dans le cadre de notre régime d'imposition des gains en capital axé sur les gains réalisés, les contribuables peuvent reporter le paiement de l'impôt sur les gains en capital jusqu'à la vente de leurs actifs. Pour presque toutes les périodes historiques, l'avantage que confère ce report a largement compensé les inconvénients du paiement de l'impôt sur des gains nominaux.
La deuxième est que la plupart des contribuables qui réalisent des gains en capital ont financé l'acquisition de leurs biens par voie d'emprunt. Par conséquent, ils seront soumis à deux effets contradictoires de l'inflation. D'une part, leur revenu économique réel sera inférieur à leur revenu purement nominal du fait que la valeur réelle de leurs biens en immobilisation aura diminué à cause de l'inflation. D'autre part cependant, ils bénéficieront du revenu économique engendré par la diminution de la valeur réelle des obligations de remboursement.
Une troisième raison invoquée est que le régime fiscal ne devrait pas contenir de dispositions d'indexation ou d'exclusion pour compenser l'absence d'indexation uniquement pour les gains en capital. Les bénéficiaires de toutes les formes de revenu sur le capital sont pénalisés à cause de l'inflation; c'est notamment le cas des titulaires d'un compte d'épargne. Il semblerait extrêmement injuste de faire payer de l'impôt sur les gains nominaux des contribuables qui touchent des intérêts sans en faire payer sur les gains nominaux de ceux qui réalisent des gains en capital, surtout que les gains en capital sont généralement imprévus et réalisés le plus souvent par des contribuables se situant dans les tranches de revenu supérieures, qui ont déjà bénéficié du report. Si l'indexation du revenu de capital se justifie, elle se justifie surtout sur les autres types de revenu que les gains en capital.
Enfin, plusieurs types de dégrèvements offerts par le gouvernement, dont le crédit d'impôt pour enfants et le crédit d'impôt sur la TPS, ne sont pas indexés sur l'inflation. Il est déplacé de se soucier de protéger de l'inflation un groupe de contribuables composé principalement de nantis qui possèdent des capitaux alors que des millions de Canadiens sont victimes de l'inflation et ne bénéficient d'aucune protection.
La question de l'équité mise à part, l'autre raison pour laquelle il ne faut pas accorder de traitement fiscal privilégié aux gains en capital est que c'est une source d'inefficacité économique. L'imposition des gains en capital pour des raisons d'efficacité économique est évidente et est un des principes les plus fondamentaux sur lesquels repose une économie libérale: pour assurer une répartition efficace des ressources et favoriser la croissance économique, il faudrait toujours encourager la recherche du taux de rendement le plus élevé sur le capital. Quand les gains en capital ne sont pas imposables, le capital s'accumule entre les mains des contribuables qui ont des biens et dans les secteurs de l'économie où l'on peut réaliser des gains en capital non imposables et il est détourné des investissements qui offrent des perspectives de rendement supérieur avant impôt. De telles distorsions entravent l'efficacité de l'économie et entraînent par conséquent une diminution du niveau de vie. Les économistes ne se sont pas beaucoup intéressés à la question empirique du coût d'une telle situation mais divers facteurs semblent indiquer que ce coût pourrait être très élevé. Par exemple, si les gains en capital bénéficient d'un traitement préférentiel, les investisseurs peuvent réaliser un gain après impôt sur des investissements non rentables en empruntant les fonds nécessaires. Par exemple, si l'on emprunte pour investir dans des valeurs mobilières de croissance que l'on revend après un délai de cinq ans, on peut réaliser un gain même si le gain théorique n'est pas supérieur aux frais d'intérêts parce que ceux-ci peuvent être réduits du revenu régulier imposable au taux ordinaire. On peut déduire les frais d'intérêts chaque année alors qu'on ne doit pas payer d'impôt sur les gains en capital avant cinq ans. Quand on réalise son gain en capital, on ne doit payer de l'impôt que sur les trois quarts. Grâce à ce traitement préférentiel, les Canadiens peuvent réaliser des gains sur des investissements non rentables. Plus le traitement est préférentiel et plus le problème est grave.
Aux États-Unis, on a tenu compte de ce problème. Dans le but d'essayer de décourager les investisseurs de faire des investissements non rentables en comptant sur le régime fiscal pour transformer des pertes avant impôt en gains après impôt, les autorités américaines ont adopté une règle interdisant de déduire des frais d'intérêts supérieurs au revenu d'investissement au cours de la même année. Si notre ministère des Finances se préoccupait réellement d'assurer une répartition efficace des ressources économiques par le biais du régime fiscal, il songerait peut-être à adopter un règlement analogue.
Deuxièmement, si l'on accorde un traitement préférentiel aux gains en capital, on encourage non seulement les investissements considérés par certaines personnes comme des investissements ayant un rendement social mais aussi tous les investissements qui permettent de réaliser un gain en capital comme les investissements dans les antiquités et autres objets de collection, dans les contrats à terme, dans l'immobilier et dans des abris fiscaux astucieux. Il me semble que personne n'oserait contester que la plupart de ces investissements n'ont aucun intérêt sur le plan social, mis à part les gains réalisés par l'investisseur. On pourrait dire que la forte expansion parfaitement stérile du marché immobilier suivie d'un effondrement vers la fin des années 80 a été causée en partie par l'exemption d'impôt de 100 000 $ sur les gains en capital qui avait encouragé les Canadiens à faire des investissements non rentables ou de la spéculation dans le secteur immobilier.
Le troisième point est que l'octroi d'un traitement préférentiel aux gains en capital est parfaitement déplacé si l'on se préoccupe de l'efficacité économique parce qu'il fausse la politique financière économique. Il comporte notamment un avantage fiscal favorisant l'accumulation des gains des sociétés. Quand on accorde un traitement privilégié aux gains en capital, les actionnaires préfèrent réaliser un gain sur leurs investissements grâce à la plus-value des actions plutôt que par le biais des dividendes. Par conséquent, cette situation encourage les entreprises à accumuler le capital et elles ne doivent par conséquent plus compter autant sur les émissions de nouvelles actions pour financer leur expansion; le marché des valeurs mobilières est par conséquent moins apte à remplir son rôle qui est d'affecter des capitaux pour des projets susceptibles d'être rentables à brève échéance. Ce qui est ironique, c'est que si l'on accorde un traitement préférentiel aux gains en capital, on encourage les entreprises établies à accumuler leur capital au lieu de verser des dividendes. Ce système avantage bien entendu les entreprises établies par rapport aux entreprises nouvelles, même si, pour justifier l'exemption des gains en capital, on affirme souvent que c'est un moyen d'aider les entreprises nouvelles et les petites entreprises.
Les partisans de l'application d'un régime fiscal préférentiel aux gains en capital prétendent que si leur exonération d'impôt risque d'entraîner une mauvaise répartition des ressources, leur imposition au plein taux engendre un problème d'efficacité plus grave, à savoir l'effet de blocage. Ils affirment que ça découragerait les investisseurs de rechercher les investissements susceptibles de rapporter le plus parce qu'ils devraient payer de l'impôt sur leurs gains en capital s'ils vendent leurs avoirs.
Deux questions ont fait l'objet de nombreuses études, même si les conclusions sont encore discutables et ne sont pas concluantes. D'une part, on s'est demandé quelle était l'influence exacte de l'effet de blocage sur le comportement des investisseurs. D'autre part, on s'est demandé si le traitement préférentiel avait une influence sur l'efficacité économique même s'il en a bien une sur le comportement des investisseurs.
Quant à savoir si l'impôt sur les gains en capital entraîne un problème de «blocage», il est de nombreux contribuables pour lesquels cet impôt ne peut avoir aucun effet ou que très peu d'effet à cet égard. Bien entendu, ce n'est pas le cas en ce qui concerne les institutions exonérées d'impôt comme les caisses de retraite. Ce raisonnement n'est en outre pas valable en ce qui concerne les actionnaires qui sont forcés de liquider leurs actifs à cause d'une fusion ou d'une acquisition. Les chances qu'il ait une influence sur les investisseurs qui liquident leurs actifs dans un but de consommation sont minces également. Ce raisonnement ne s'applique pas non plus aux entreprises qui vendent leurs actifs pour en acquérir d'autres, parce que la loi contient des dispositions concernant le transfert. L'impôt n'a de toute façon pas beaucoup d'influence lorsqu'il s'agit de gains peu élevés. Il ne risque pas d'avoir beaucoup d'influence sur le comportement d'un investisseur qui possède un portefeuille diversifié et qui a des chances de pouvoir compenser un gain sur un investissement en réalisant les pertes sur d'autres.
L'effet de blocage est moins prononcé au Canada qu'aux États-Unis. Et même si c'est un problème dans ce dernier pays, il est beaucoup moins prononcé au Canada parce qu'on débloque les gains au décès de l'investisseur alors que ce n'est pas le cas aux États-Unis où le coût présumé est augmenté au moment du décès, ce qui encourage beaucoup les investisseurs à conserver leurs investissements.
Un très grand nombre d'études sur les incidences de l'effet de blocage ont été effectuées aux États-Unis. Je ne vous ferai pas perdre du temps en les passant en revue. Je suis prêt à vous les communiquer. Elles indiquent qu'une réduction du taux d'imposition sur les gains en capital peut inciter les investisseurs à débloquer leurs investissements au début, mais pas à la longue.
Même si l'on part du principe que l'impôt sur les gains en capital incite un grand nombre d'investisseurs à bloquer leurs investissements, est-ce que ça a des conséquences graves sur le plan de l'efficacité économique? On ne possède aucune preuve concluante à cet égard au Canada et vous devriez peut-être essayer de dénicher les études qui ont été faites à ce sujet. Intuitivement, je dirais que les conséquences ne peuvent pas être très graves parce que ceux qui prétendent que l'effet de blocage a de graves conséquences sur la répartition efficace des ressources se basent probablement sur le cas d'un investisseur qui a un taux de rendement peu élevé sur son investissement et qui pense pouvoir obtenir un meilleur rendement sur un autre investissement. Il n'y aura inefficacité économique que si la personne qui bloque son investissement est au courant d'un autre investissement plus lucratif sinon, c'est la personne à laquelle l'investisseur vendrait qui ferait l'autre investissement.
Autrement dit, il est difficile de déterminer l'influence qu'a sur la formation de capital la décision prise par certains investisseurs de bloquer leurs investissements. Alors qu'un investisseur a peut-être bloqué ses fonds, d'autres personnes qui auraient pu acheter cet investissement disposent de fonds à investir ailleurs. Les transactions boursières nécessitent toujours l'intervention de deux investisseurs et si les aspirations ou les compétences varient bien entendu d'un investisseur à l'autre, les acheteurs éventuels d'un investissement bloqué se servent généralement des fonds qu'ils ont à leur disposition de la même façon que l'investisseur bloqué. On ne peut créer un investissement. Pour débloquer un investisseur, il faut que quelqu'un consomme de l'investissement. Il est très possible que les fonds en question aient servi à faire l'investissement qu'aurait fait l'investisseur débloqué.
L'application du même taux d'imposition aux gains en capital qu'au revenu régulier peut se justifier avec des arguments basés sur l'équité, l'efficacité économique et la simplicité. Aucune de mes connaissances qui sont au courant des rouages du régime fiscal ne prétend que l'exonération d'impôt des gains en capital ne le simplifierait. En fait, elle le compliquerait énormément. Nous pouvons en parler et je connais beaucoup de personnes qui connaissent bien le sujet. Aux États-Unis, de nombreux commentateurs affirment que le traitement préférentiel accordé aux gains en capital est ce qui complique le plus le régime fiscal et qu'il entraîne de multiples transactions stériles sur le plan économique.
Enfin, examinons la question en nous basant sur le principe que l'imposition des gains en capital au plein taux ou du moins le refus de leur accorder un traitement préférentiel se justifie. Les arguments d'ordre fiscal mis à part, certaines personnes prétendent que ce n'est pas par souci de justice fiscale ou d'efficacité économique ou parce que cela simplifierait le système qu'il faut leur accorder un traitement préférentiel, mais parce que c'est nécessaire pour canaliser des investissements dans de petites entreprises à risque -- dans des entreprises émergentes ou des entreprises du secteur de la haute technologie. Selon elles, l'application des taux d'imposition réguliers aux gains en capital dissuade les investisseurs de faire des investissements à risque élevé.
Personnellement, je considère que cet argument n'est nullement fondé et ce, pour les raisons suivantes. La première est que le fait de prendre des risques financiers n'a rien de particulièrement intéressant. On n'a a priori aucune raison de penser que les investissements à risque sont plus productifs que les investissements prudents. Étant donné l'énorme taux de rendement de certains risques financiers, pourquoi ne pas laisser le marché décider comment le capital devrait être réparti? Pourquoi une politique industrielle implicite est-elle nécessaire pour encourager les investisseurs à prendre des risques?
La deuxième est que, même si le gouvernement devait intervenir sur le marché pour détourner le capital vers les investissements risqués ou pour encourager l'esprit d'entreprise, l'octroi d'une subvention sur les gains en capital n'est pas une formule rentable. Le ciblage d'une subvention est extrêmement inefficace. En fait, le programme gouvernemental de fonds de soutien à l'emploi paraît très efficace et très bien administré par comparaison.
Les subventions sont à la fois trop générales et trop restreintes. D'une part, le traitement fiscal préférentiel des gains en capital est avantageux pour bien des investissements ne comportant aucun risque. En outre, la plupart de ces investissements sont improductifs et l'offre n'est pas élastique. La spéculation sur des terrains sur lesquels aucune autorisation n'a encore été accordée est un excellent exemple. Bien que ce soit le cas le plus manifeste, ce traitement privilégié avantage également de façon non justifiée l'investissement dans les oeuvres d'art, les meubles anciens, les métaux précieux, les devises ou les chalets, par exemple. Même si l'octroi d'une telle subvention pouvait être restreint aux actions des sociétés...
Le président: Vos deux minutes sont écoulées depuis environ cinq minutes.
M. Brooks: Je suis tout disposé à arrêter et à répondre aux questions. J'ajouterais seulement que, même si cette subvention pouvait être appliquée uniquement aux actions, d'après certaines études américaines, les actions d'entreprises pouvant être considérées comme des entreprises à risque élevé ne représentent qu'environ 2 ou 3 p. 100 du volume des transactions boursières sur les actions. Par conséquent, en essayant de subventionner l'investissement dans ces entreprises, on subventionne en fait tous ceux qui investissent dans des valeurs sûres. Si l'on essaie de justifier une telle mesure en disant qu'elle a pour but d'encourager la prise de risques, le ciblage est extrêmement inefficace. En outre, le manque à gagner sur le plan fiscal est beaucoup plus élevé qu'on ne l'avait prédit mais c'est un sujet qui sera peut-être abordé dans les questions.
En conclusion, je signale à ceux et celles qui souhaitent élever le niveau de vie réel des Canadiens que ce n'est pas en réduisant l'impôt sur les gains en capital que l'on y arrivera. Ce serait surtout une manne pour les riches parce que tous les investisseurs en profiteraient. Ils en profiteraient même sur leurs investissements actuels. Par conséquent, ça ne modifierait pas le moins du monde leur comportement. Ce serait une aubaine pour eux. En outre, ce serait mauvais pour l'économie et pour le budget.
Le président: Personnellement, je pense que vous êtes passé complètement à côté de l'essentiel. Cependant, mes collègues ne sont peut-être pas d'accord avec moi. J'estime en outre que vous faites comme si le Canada était une île et que nous ne devions pas nous préoccuper d'être concurrentiels par rapport aux autres pays.
Le sénateur Angus: Je constate que vous êtes professeur à Osgoode Hall. Pourriez-vous donner des renseignements plus précis à ce sujet?
M. Brooks: J'enseigne le droit fiscal et la politique fiscale à la Osgoode Hall Law School. J'y enseigne depuis 25 ans.
Le sénateur Angus: Est-ce votre emploi à plein temps?
M. Brooks: Absolument.
Le sénateur Angus: Quels sont vos titres universitaires?
M. Brooks: Je ne possède pas de doctorat. J'ai un diplôme de droit et j'enseigne à Osgoode Hall depuis 25 ans. Je fais ce que font tous les universitaires: je consulte les gouvernements, j'écris et publie des documents universitaires et j'enseigne.
Le sénateur Angus: Que faisiez-vous avant d'enseigner à Osgoode?
M. Brooks: J'y enseigne depuis 25 ans. Avant cela, j'ai fait mes études de droit et j'ai été greffier d'un juge de la Cour suprême du Canada pendant un an. J'ai également enseigné quelques années aux États-Unis et j'ai travaillé pendant quelques années à la Commission de réforme du droit du Canada.
Le sénateur Angus: Étiez-vous ici lorsque les deux témoins précédents ont fait leur exposé?
M. Brooks: Je suis arrivé à la fin.
Le sénateur Angus: Je vous ai vu au fond de la pièce. Y a-t-il des points sur lesquels vous êtes d'accord avec eux?
M. Brooks: Aucun -- mais je n'ai pas entendu tout leur exposé. Peut-être qu'avant mon arrivée ils ont fait certaines déclarations que j'aurais approuvées.
Le sénateur Angus: Nous vous remettrons un exemplaire de leur mémoire. S'il y a des points sur lesquels vous êtes d'accord avec eux, faites-le-nous savoir. J'apprécie votre franchise parce que ça nous facilite beaucoup la tâche pour ce qui est de vous poser des questions. Nous avons entendu le témoignage d'autres professeurs tels que vous, qui sont des citoyens dévoués et des enseignants sérieux, et nous les avons écoutés attentivement. L'un d'entre eux est le professeur Grubel. Le connaissez-vous?
M. Brooks: Je connais Herb Grubel parce qu'il a fait partie du comité des finances de la Chambre des communes pendant plusieurs années et que j'ai témoigné à diverses reprises devant ce comité. Si vous voulez le savoir, je n'ai jamais été d'accord avec lui sur quelque point que ce soit ou plutôt, c'est lui qui n'a jamais été d'accord avec moi sur quelque point que ce soit.
Le sénateur Angus: C'est aimable de votre part de vous exprimer ainsi. Il y a toujours deux points de vue sur un même sujet.
J'ai été absolument sidéré par votre capacité de développer vos idées apparemment sans la moindre note. J'admire les gens qui parlent très bien et qui sont capables de s'exprimer clairement. J'ai la nette impression que vous vous intéressez surtout au traitement préférentiel des gains en capital plutôt qu'à d'autres questions comme l'exode de nos citoyens les plus doués aux États-Unis ou notre capacité d'adaptation à l'économie nouvelle. Ce sont des sujets en vogue qui font apparemment l'objet d'un débat légitime dans les milieux politique, dans les milieux gouvernementaux, voire dans les facultés de droit.
En ce qui concerne la question du traitement fiscal préférentiel qui a été abordée par ces autres témoins, vous avez déclaré que seuls les très riches en profitent. M. Grubel estime qu'environ la moitié des contribuables qui déclarent des gains en capital ont un revenu annuel inférieur à 50 000 $.
M. Brooks: Je suis d'accord. C'est exact. C'est uniquement parce qu'ils représentent environ 80 p. 100 des Canadiens. Leurs gains en capital sont minimes. J'aurais tendance à croire qu'il s'agit surtout de personnes âgées qui réalisent de petits gains en capital sur leur part dans des fonds communs de placement.
Le sénateur Angus: Par conséquent, ça ne représente pas des recettes importantes. Vous avez également déclaré que le manque à gagner pour le fisc serait beaucoup plus élevé que ne l'ont affirmé les autres témoins.
M. Brooks: Exactement.
Le sénateur Angus: On nous a dit que ça représentait des sommes minimes. Peut-on examiner la question d'un peu plus près? Pourquoi faites-vous une telle affirmation?
M. Brooks: Pour le moment, dans la meilleure des hypothèses, on estime que les recettes fiscales du gouvernement sur les gains en capital se chiffrent à environ un milliard de dollars. Le chiffre que vous voyez est de 900 millions de dollars. S'il est si peu élevé, c'est parce que l'exemption à vie de 500 000 $ pour gains en capital représente une perte d'environ un milliard de dollars. En outre, les investisseurs récupèrent une bonne partie de l'impôt qu'ils doivent payer sur les gains en capital en déduisant leurs frais d'intérêts. Plus de 9 milliards de dollars de gains en capital imposables ont été déclarés en 1996, la dernière année pour laquelle nous possédons des renseignements. Étant donné que la plupart de ces gains ont été déclarés par des contribuables à revenu élevé, on aurait pu s'attendre à ce que les recettes fiscales totales sur les gains en capital atteignent la moitié de ce montant. Pourtant, elles ne s'élèvent qu'à environ 900 millions de dollars. Je précise que cette différence ne concerne que le manque à gagner du gouvernement fédéral et pas celui des gouvernements provinciaux. L'exemption à vie pour gains en capital représente une exonération d'impôt qui se chiffre à environ un milliard de dollars.
Le sénateur Angus: Je suppose que ce montant est dans des REER. N'est-ce pas entièrement à l'abri de l'impôt?
M. Brooks: Oui. Ces investissements ne seront pas déclarés comme gains en capital imposables mais de nombreux investissements sont dans des REER, surtout en ce qui concerne les contribuables à revenu moyen. Pourquoi n'auraient-ils pas tous leurs investissements dans des REER?
Il est important de ne pas accorder un traitement préférentiel aux gains en capital car ça représenterait un manque à gagner beaucoup plus important qu'on n'aurait tendance à le croire. Je m'explique. Si vous accordiez un traitement préférentiel aux gains en capital imposables, ça inciterait fortement les contribuables à convertir d'autres types de revenus de placement, et même le revenu du travail, en gains en capital. Même si on a l'impression que le revenu tiré des gains en capital n'a pas été très influencé par ce traitement privilégié, on perd en fait toutes sortes de revenus d'autres sources. Pourquoi les entreprises verseraient-elles des dividendes si on réduisait considérablement cet impôt?
Le sénateur Angus: Ça favoriserait peut-être la création de quelques emplois et ça aurait peut-être des incidences bénéfiques sur l'économie.
M. Brooks: C'est possible, mais pour atteindre cet objectif, il suffirait de réduire l'impôt sur les sociétés. Toutes les sociétés auraient alors le même allégement fiscal et elles auraient divers types de revenus. Si vous voulez encourager l'activité économique par le biais du régime fiscal, vous devriez adopter des dispositions d'application générale pour éviter d'influencer les décisions en matière d'investissement.
Le sénateur Oliver: Ces décisions sont déjà biaisées actuellement.
M. Brooks: C'est ce que je veux dire. Ça ne devrait pas être le cas. Il faut supprimer ces préférences. La taxation des gains en capital a beaucoup d'importance parce que c'est en fait un cran de sécurité pour le régime fiscal. Demandez à n'importe quel avocat spécialiste en matière fiscale si l'on peut transformer un revenu de dividendes en gains en capital ou en revenu du travail. Il vous répondra sans hésiter qu'il peut le faire. Ces avocats touchent des honoraires énormes pour le faire et ils acceptent de le faire.
Si vous privilégiez les gains en capital, ça exercera tellement de pression par rapport aux autres types de revenus que tous les Canadiens transformeraient leurs revenus en gains en capital. À première vue, ça ne représenterait peut-être pas un manque à gagner très important pour le gouvernement parce que de nombreux gains en capital sont toujours en voie de réalisation; pourtant, le manque à gagner sur ces autres plans serait extrêmement élevé.
Le sénateur Meighen: Est-ce ce qui s'est passé avant 1972?
M. Brooks: Exactement. C'est un bon exemple. Le taux d'imposition maximal sur le revenu régulier était alors de 80 p. 100. À ce propos, à l'instar de diverses personnes, je dirais que c'est ce qu'on pouvait appeler la belle époque où les contribuables à revenu élevé devaient payer de l'impôt mais n'en payaient pas, comme nous le savons. C'est à l'époque où le taux d'imposition maximal était de 80 p. 100 que la croissance économique était la plus forte et que le taux de chômage était le plus bas. Pourquoi ne pas rétablir ce taux d'imposition maximal? C'est peut-être l'explication. Nous savons que la plupart des contribuables ne payaient pas ce taux d'imposition parce qu'ils pouvaient convertir leur revenu imposable en gains en capital non imposables.
Lorsque la commission Carter a recommandé d'abaisser le taux d'imposition à 50 p. 100 et de faire payer de l'impôt sur les gains en capital, le fardeau fiscal des contribuables à revenu élevé aurait considérablement augmenté. C'est pourquoi le gouvernement n'a pas suivi cette recommandation. Il ne fait aucun doute qu'avant 1972, très peu de contribuables payaient le taux maximum de 80 p. 100 sur leur revenu parce qu'il était très facile de le convertir en gains en capital qui n'étaient pas imposables.
Le sénateur Angus: On vient de supprimer l'impôt sur les gains en capital en Allemagne. En Australie, en Nouvelle-Zélande et en Irlande, il a été considérablement modifié. Je suppose que les gouvernements de tous ces pays commettent une énorme erreur, d'après vous.
M. Brooks: Ils commettent effectivement une énorme erreur. Je tiens à faire une rectification. La Nouvelle-Zélande n'a pas réduit son taux d'impôt sur les gains en capital. Les gains en capital n'y ont jamais été imposables même à l'époque où le pays était gouverné par les socialistes.
Je ne crois pas que l'impôt sur les gains en capital ait été très élevé en Irlande mais, même si c'était le cas, la croissance économique est due aux investissements étrangers et pas aux investissements faits par les Irlandais. La croissance n'est nullement due au taux d'imposition.
Le sénateur Oliver: Et l'Allemagne?
M. Brooks: Je ne suis pas au courant de la situation en Allemagne. Je dirais que l'impôt sur les gains en capital n'est pas et n'a jamais été très élevé dans la plupart des pays d'Europe. C'est parce que leur régime est axé sur l'imposition de l'actif net. Les contribuables doivent payer chaque année de l'impôt sur leur actif net. En outre, un impôt sur la fortune est également applicable à leur décès. Il n'est par conséquent jamais nécessaire de se préoccuper beaucoup d'impôt sur les gains en capital. Quand on fait une comparaison entre divers pays, il faut tenir compte de tous les aspects du régime fiscal sinon la comparaison est faussée.
Les États-Unis ont toujours été un des pays où le taux d'imposition des gains en capital est le plus élevé. Le président Clinton a augmenté le taux maximal en 1993 mais, entre 1986 et 1993, le taux d'imposition sur les gains en capital était le même que celui sur le revenu régulier. Le gouvernement fédéral appliquait un taux d'imposition de quelque 28 p. 100 sur les gains en capital. Certains États y ajoutaient 7 p. 100. Ça représentait au total un taux d'imposition qui se rapprochait beaucoup du taux canadien. Pourtant, c'est la période où le secteur de la technologie de pointe a littéralement explosé aux États-Unis.
Si les gains en capital font une telle différence pour les investisseurs, pourquoi les pays d'Europe occidentale ne regorgent-ils pas d'investisseurs en capital risque? Ce n'est pourtant pas le cas alors que les gains en capital n'y ont jamais été imposables. Ça signifie que d'autres facteurs que le taux d'imposition des gains en capital interviennent.
Le sénateur Meighen: Nous étudions l'impôt sur les gains en capital parce que plusieurs personnes considèrent que c'est une des principales causes de l'absence d'esprit d'entreprise au Canada, de l'absence de formation de capital, de la pénurie d'investissement de capitaux étrangers et de l'exode des cerveaux. Vous avez affirmé que l'impôt sur les gains en capital n'est pas la cause de ces problèmes. Quelle en est la cause? Est-ce le niveau d'imposition en général ou s'agit-il d'autres facteurs?
M. Brooks: Ce n'est pas le niveau d'imposition en général parce qu'en Irlande par exemple, les recettes fiscales représentent le même pourcentage du PIB qu'au Canada. Ce qui a fait le caractère unique de l'Irlande, c'est la réduction à 10 p. 100 du taux d'imposition des entreprises étrangères. Le taux d'imposition des entreprises locales était de 35 p. 100. D'après certaines personnes, c'est la raison pour laquelle l'Irlande a attiré autant d'investissements étrangers. Cette initiative a déplu à l'OCDE qui prétend que c'est de la concurrence fiscale déloyale et que l'Irlande doit aligner ses taux sur ceux des autres pays. L'Irlande a proposé un taux d'imposition de 12,5 p. 100 pour toutes les sociétés. Cette proposition déplaît de toute évidence également à l'OCDE parce que l'Irlande n'a probablement pas généré de nouveaux investissements. Elle a seulement attiré de l'investissement de l'étranger. C'est un jeu dont seulement un pays peut sortir gagnant.
L'Irlande est sortie gagnante en partie à cause des impôts mais en partie aussi parce que l'Union européenne a injecté des milliards de dollars en subventions en Irlande dans les années 80 et que ce pays a investi beaucoup dans l'éducation. Cette victoire est due à la conjugaison de plusieurs facteurs. Certains observateurs estiment que les pays industriels ne devraient pas exercer des ponctions sur le Trésor des autres pays comme l'a fait l'Irlande, ne fût-ce que par pure courtoisie internationale. Ce comportement a choqué la plupart des pays industriels. Vous pouvez être assurés que ça nous aurait bouleversés si l'Allemagne avait agi ainsi.
Ce n'est pas du tout grâce au taux d'imposition sur les gains en capital.
Le sénateur Meighen: À quoi est-ce dû alors?
M. Brooks: Le Canada est un des pays les plus riches du monde. À la fin des années 80, les pays les plus riches étaient le Luxembourg, la Suisse, les États-Unis, puis le Canada. Au cours des 10 dernières années, notre pouvoir d'achat a reculé au sixième ou au septième rang.
La principale cause de ce recul est qu'au cours des années 80 et au début des années 90, le taux d'activité était d'environ 63 p. 100 au Canada comme aux États-Unis. En 1997, il était toujours de 63 p. 100 aux États-Unis alors qu'au Canada, il avait baissé à 59 p. 100. Le pourcentage de la population active y était plus élevé de 4 p. 100 que chez nous. Si 4 p. 100 de plus de la population d'un pays est active, ça génère beaucoup d'activité économique et le niveau de vie moyen augmente.
Je crois que la plupart des gens estiment que notre taux d'activité a diminué à cause de notre politique monétaire. À la fin des années 80 et au début des années 90, l'écart entre les taux d'intérêt canadiens et américains avait atteint son point culminant, ce qui nous a plongés dans une récession qui a duré beaucoup plus longtemps qu'aux États-Unis. Ce n'était pas du tout à cause de notre taux d'imposition. En manipulant notre politique monétaire, nous mettions délibérément des Canadiens au chômage et notre niveau de vie a par conséquent baissé.
Un des témoins précédents a dit que lorsque le niveau de vie général augmente, le sort des pauvres s'améliore également. C'est absolument faux. On entend dire continuellement que le niveau de vie de l'Américain moyen est supérieur à celui du Canadien moyen, mais ça ne veut en fait rien dire. Il n'y a pas de citoyen moyen. Pour obtenir une moyenne, il faut diviser le revenu national total par le nombre d'habitants. Si le niveau de vie moyen des Américains est supérieur au niveau de vie moyen des Canadiens, c'est parce que le nombre de personnes extrêmement riches y est très élevé, ce qui fait remonter la moyenne.
D'après deux études portant sur le pouvoir d'achat des Canadiens par rapport à celui des Américains, celui des familles canadiennes est plus élevé que celui des familles américaines et ce, jusqu'au 60e centile. La famille canadienne médiane a actuellement un pouvoir d'achat supérieur à celui de la famille américaine médiane.
Le sénateur Oliver: Est-ce après impôt?
M. Brooks: Oui, et on ne tient même pas compte dans ce calcul des services gouvernementaux supplémentaires dans les secteurs de l'éducation et des soins de santé dont bénéficient les familles canadiennes. C'est vrai jusqu'au 60e centile.
Aux États-Unis, l'écart entre les très riches et les très pauvres est fort prononcé. Le nombre de personnes très riches fait bien entendu augmenter la moyenne américaine mais ce n'est qu'un concept statistique. Pourquoi aurait-on envie d'imiter une société dans laquelle la famille type a un pouvoir d'achat inférieur au nôtre?
Le président: Je pense que vous inversez les chiffres.
M. Brooks: Je vous ferai volontiers parvenir ces études.
Le président: Au cours des 10 dernières années, le revenu familial moyen a diminué de 2 p. 100 au Canada alors qu'aux États-Unis, il a augmenté de 18 p. 100.
M. Brooks: C'est absolument faux. Je répète que les moyennes ne sont pas significatives parce qu'on les obtient en divisant le revenu total. Et ceux qui se situent juste entre les deux extrêmes? Quelle est la situation au niveau médian? Je suis convaincu que la famille canadienne médiane a un pouvoir d'achat supérieur à celui de la famille américaine médiane.
Le sénateur Oliver: Quelle est la cause de l'exode des cerveaux?
M. Brooks: Nous pouvons tous faire un choix politique quant au genre de société dans laquelle nous désirons vivre mais la plus récente édition du Rapport mondial sur le développement humain publié par les Nations Unies contient un indice des carences humaines basé sur le taux d'alphabétisation, l'exclusion sociale, le chômage chronique, le taux de pauvreté et sur d'autres facteurs. Sur les 17 pays industrialisés examinés, les États-Unis sont en bas de liste, ce qui signifie que les carences humaines sont plus accentuées aux États-Unis que dans tous les autres pays industrialisés. Pourquoi vouloir les imiter?
Le sénateur Angus: Pourtant, on dirait que beaucoup de personnes veulent le faire.
M. Brooks: Je ne sais pas si c'est exact, honorable sénateur.
Le sénateur Angus: Beaucoup de personnes émigrent vers les États-Unis. Ce pays doit présenter certains attraits.
Le sénateur Hervieux-Payette: Je m'intéresse à la question depuis longtemps. Je suis originaire du Québec où les entrepreneurs prospéraient et les pauvres employés étaient privés de tout. Les entrepreneurs allaient s'acheter une maison et un bateau à Miami avec tous les bénéfices de l'entreprise. Nous avons appris qu'il était préférable de financer des entreprises ayant des capitaux suffisants et peu de dettes pour diminuer les risques. Nous ne pensons pas tous que les gains en capital sont réservés uniquement aux riches. Grâce à ce processus, bien des Canadiens ont acheté des actions et ont été initiés. Le jour où une de mes amies, qui est travailleuse sociale, a acheté des actions, je m'en suis réjouie, parce qu'elle a fait son entrée dans l'économie moderne.
Au cours des années 80, j'ai présidé un comité d'actionnariat des employés. Dans notre rapport, nous avons signalé qu'il était bon que les employés soient associés à la réussite d'une entreprise et soient rémunérés à la fois sous forme de salaire et d'actions. Si nous acceptons votre principe que toute forme de revenu doit être imposable au même taux, mon régime d'actuariat est inutile. Pourquoi ne pas payer uniquement un salaire si le taux d'imposition est le même? Je ne recommande pas de forcer les travailleurs à acheter des actions. C'est une question de changement de mentalité. L'achat d'actions par les employés engendre un sens de partenariat et d'appartenance. Cette pratique est beaucoup plus répandue aux États-Unis qu'au Canada. Certaines personnes prétendent que les gains en capital sont exclusivement réservés aux riches mais les régimes d'actionnariat ont permis aux employés américains de posséder une partie de leurs entreprises. C'est pourquoi ils participent de façon plus active à la prospérité économique que ne le font les Européens. Au Canada, on en arrive petit à petit à ce stade-là.
J'approuve bon nombre de vos arguments et je vous comprends en ce qui concerne le taux de participation. Comment peut-on inciter les membres de la nouvelle génération à avoir de l'initiative, à prendre les risques nécessaires et à créer de nouvelles entreprises sans leur donner une petite motivation?
M. Brooks: J'estime pour ma part qu'il faut laisser faire les marchés. J'ai confiance dans la capacité des marchés de répartir les ressources. C'est ce que je reproche au régime d'actionnariat des salariés si le gouvernement veut accorder un traitement fiscal plus favorable. S'il est utile pour les entreprises d'émettre des options d'achat d'actions pour leurs employés parce que ça les rend plus dévoués et plus productifs, elles n'ont pas besoin de subventions gouvernementales pour le faire. Si c'est utile sur le plan économique, qu'elles le fassent. Si ce ne l'est pas, il ne faut pas demander aux autres travailleurs qu'ils les subventionnent. À quoi cela sert-il?
Le président: Je ne comprends pas. Que voulez-vous dire en parlant de se faire subventionner par les autres travailleurs?
M. Brooks: Je veux dire que si l'on ne fait pas payer d'impôt sur les options d'achat d'actions distribuées aux employés, que les bénéficiaires ne doivent pas payer d'impôt en fonction de leur capacité contributive et qu'on leur permet de retarder le paiement de l'impôt ou qu'on leur accorde une exemption d'un quart comme c'est actuellement le cas, on les subventionne en réalité.
Le sénateur Furey: Vous affirmez que l'on est subventionné quand on doit payer au moment de la levée d'options au lieu de payer au moment de la vente.
M. Brooks: La levée d'options des employés est actuellement subventionnée grâce à la déduction d'un quart prévue dans la Loi de l'impôt sur le revenu.
Le sénateur Furey: Comment pouvez-vous affirmer que je suis subventionné quand je dois payer de l'impôt à la levée de mes options et non à la vente des actions?
M. Brooks: Aux termes des dispositions actuelles de la loi, vous ne devez pas payer de l'impôt sur la totalité du gain. Si vous achetez à votre employeur une action qui vaut 10 $ et ne la payez que 1 $, vous réalisez un gain de 9 $. C'est un gain équivalant à un salaire de 9 $ sur lequel vous devriez payer de l'impôt.
Le sénateur Furey: Il s'agit d'achat d'actions, c'est-à-dire de levée d'options. Si je lève mes options, je dois payer de l'impôt sur les gains en capital à ce moment-là et pas à la vente des actions. Est-ce ce que vous considérez comme des subventions?
M. Brooks: Non. Ce que je veux dire, c'est que d'après les dispositions actuelles de la loi, quand vous levez votre option, c'est-à-dire quand vous achetez l'action à votre employeur, si vous achetez pour 1 $ seulement une action d'une valeur de 10 $ parce que c'est le prix de levée de l'option, vous devez payer de l'impôt sur 9 $ parce que vous avez 9 $ de plus. Vous avez 9 $ de plus et vous devriez être obligé d'inclure ce supplément dans votre revenu, ce qui est le cas sous le régime actuel. Cependant, vous avez le droit de déduire un quart de la valeur de vos actions de votre revenu. C'est ça la subvention.
Le président: Vous n'avez pas répondu au sénateur Hervieux-Payette.
M. Brooks: Même si vous vouliez subventionner les employés de façon à les encourager à acheter davantage d'actions de leur employeur et même si vous estimiez que les marchés ne jouent pas parfaitement leur rôle -- à supposer que l'employeur ou l'employé soient irrationnels et ne se rendent pas compte qu'ils ont intérêt à acheter l'action -- et que c'est une bonne politique gouvernementale que d'intervenir de cette façon sur le marché, une exemption sur les gains en capital ne serait pas la solution. Une bonne solution serait de créer des fonds de type ESOP analogues à ceux qui existent aux États-Unis.
Le président: Vous n'avez pas répondu à la question. Comment motiver les travailleurs?
M. Brooks: Ils sont rémunérés pour leur travail. C'est la façon de les motiver.
Le sénateur Hervieux-Payette: Il y a deux grands syndicats au Québec. L'un est un syndicat des employés de la fonction publique et l'autre est un syndicat du secteur privé qui représente les travailleurs de la construction. Les membres de ce dernier ont commencé à acheter des actions. Les employés ont commencé à investir dans leurs entreprises. Leur caisse de retraite est également investie dans ces entreprises. On constate que ça fait une grosse différence. D'un côté, les grèves sont fréquentes alors que de l'autres, elles ont pratiquement disparu. Lorsque les travailleurs ont une part dans leur entreprise, leur comportement change beaucoup. Ils deviennent plus productifs. Ils sont davantage disposés à empiéter sur leurs loisirs pour permettre à l'entreprise de survivre en cas de difficulté. J'estime que c'est une récompense pour avoir pris le risque et pour s'être aventuré dans la course à la concurrence. Vous semblez nier que les régimes d'actionnariat ont incité les salariés à changer d'attitude. Quelle est l'utilité de posséder des actions si ça ne présente aucun avantage sur le plan fiscal? C'est un point sur lequel je suis d'accord avec vous. Vous affirmez qu'il faut se contenter de rémunérer les employés. Dans ce cas, la réussite de l'entreprise repose uniquement sur ceux qui ont investi.
D'après mon expérience, les régimes d'actionnariat ont accru la productivité des entreprises concernées. D'ailleurs, de nombreuses études le prouvent.
Le président: J'estime que vous négligez un point important. Vous prétendez qu'il faut se contenter de rémunérer les employés mais que faire dans le cas d'une jeune entreprise qui n'a pas les moyens de les rémunérer? Tout ce qu'elle a, ce sont des actions et des espoirs.
Le sénateur Angus: Pourquoi le témoin rit-il?
Le président: Ne riez pas. En 1957, j'ai créé une entreprise appelée Fairview. En 1972, cette entreprise devenait la Cadillac Fairview. Je vous assure que pendant les années 50 et 60 nous n'avions pas d'argent pour rémunérer nos employés. J'avais également besoin d'entrepreneurs. Comment trouver des entrepreneurs?
M. Brooks: En leur donnant des options d'achat d'actions. Ça ne veut pas dire que nous devons vous subventionner. Si c'est une formule intéressante pour vous et vos employés, donnez-leur des options mais lorsqu'ils lèvent leurs options, faites-leur payer leur juste part d'impôt.
Le président: Au lieu de toucher un salaire élevé, ils ont l'espoir de réaliser un gain en capital dans une vingtaine d'années.
M. Brooks: Bien sûr.
Le président: Si ces gains sont entièrement imposables, ils ne réalisent aucun profit.
M. Brooks: Pourquoi pas?
Le président: Avez-vous d'autres questions, sénateur Hervieux-Payette?
Le sénateur Hervieux-Payette: Non.
Le président: La discussion est close.
M. Brooks: Ne voulez-vous pas que je réponde?
Le président: Non. Merci.
La séance est levée.