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BANC - Comité permanent

Banques, commerce et économie

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce

Fascicule 8 - Le quatrième rapport du comité


Le MARDI 28 mars 2000

Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce a l'honneur de déposer son

QUATRIÈME RAPPORT

Votre Comité, qui a été autorisé par le Sénat le mardi, 23 novembre 1999 à examiner, pour rapport, la situation actuelle du régime financier canadien et international, dépose maintenant un rapport intérimaire intitulé Loi sur l'expansion des exportations.

Respectueusement soumis,

 

Le président
E. LEO KOLBER


LOI SUR L'EXPANSION DES EXPORTATIONS

Rapport du Comité sénatorial permanent des banques et du commerce

Le président : L’honorable E. Leo Kolber

Le vice-président : L’honorable David Tkachuk 

Mars 2000


COMPOSITION DU COMITÉ

Président: L'honorable E. Leo Kolber
Vice-président: L’honorable David Tkachuk

et

Les honorables sénateurs :

Angus

Kelleher, c.p.

*Boudreau, c.p. (ou Hays)

Kenny

Fitzpatrick Kroft
Furey *Lynch-Staunton (ou Kinsella)
Hervieux-Payette, c.p. Meighen
Joyal, c.p. Oliver

*Membres d'office

(Quorum 4)

Nota : L’honorable sénateur Grafstein a été membre du comité à diverses étapes de cette étude.

Personnel de la Direction de la recherche parlementaire, Bibliothèque du Parlement :

M. Marion Wrobel, analyste principal et

M. Blayne Haggart, attaché de recherche, Division de l’économie.

Personnel de la Direction des comités et de la législation privée :

Mme Lise Bouchard, adjointe administrative.

 

Le greffier du comité
Gary Levy


ORDRE DE RENVOI

Extrait des Journaux du Sénat du mardi 23 novembre 1999 :

«L’honorable sénateur Kolber propose, appuyé par l’honorable sénateur Ferretti Barth,

Que le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce soit autorisé à examiner, afin d’en faire rapport, la situation actuelle du régime financier canadien et international;

Que les documents et témoignages recueillis à ce sujet au cours de la première session de la trente-sixième législature et tout autre document parlementaire et témoignage pertinent concernant ledit sujet soient renvoyés à ce Comité;

Que le Comité soit habilité à permettre le reportage de ses délibérations publiques par les médias d’information électroniques, en dérangeant le moins possible ses travaux;

Que nonobstant les pratiques habituelles, le Comité soit autorisé à déposer un rapport intérimaire sur ledit sujet auprès du greffier du Sénat, si le Sénat ne siège pas, et que ledit rapport soit réputé avoir été déposé au Sénat; et

Que le Comité soumette son rapport final au plus tard le 31 décembre 2000.

La motion, mise aux voix, est adoptée.»

 

Le greffier du Sénat
Paul Bélisle


TABLE DES MATIÈRES

INTRODUCTION

RECOMMANDATION 14 : LE NOEUD DU PROBLÈME

A. Contexte
B. Les raisons de l’absence des banques

1. Structure du mécanisme de garantie
2. Créneau particulier
3. Puissance commerciale

C. Avantages et inconvénients possibles d’un programme de garantie
D. Sommaire et Recommandation

Recommandation

ANNEXE 1 (TÉMOINS)

ORGANISATIONS QUI ONT ENVOYÉ DES MÉMOIRES OU DE LA CORRESPONDANCE MAIS QUI N'ONT PAS COMPARU


INTRODUCTION

En 1993, le gouvernement modifiait la Loi sur l’expansion des exportations en vue d’accroître substantiellement les pouvoirs de la Société pour l’expansion des exportations (SEE), l’organisme de crédit à l’exportation (OCE) du Canada. Aux termes de l’article 25 de la Loi en question, la SEE doit faire l’objet d’un examen cinq ans après l’entrée en vigueur des modifications, et tous les dix ans par la suite, examen dont le résultat doit ensuite être soumis à un comité de la Chambre et à un comité du Sénat. Le 21 juillet 1999, le ministre du Commerce international de l’époque, Sergio Marchi, déposait le Rapport sur l’examen de la Loi sur l’expansion des exportations réalisé par la firme Gowling, Strathy et Henderson et le renvoyait au Comité et au Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international de la Chambre des communes.

Dans son rapport, intitulé Exporter dans l’intérêt du Canada : examen de la Loi sur l’expansion des exportations, le Comité de la Chambre a effectué une analyse approfondie du rapport Gowlings et a réagi aux 39 recommandations qu’il contenait. Il a tenu des audiences durant tout le mois de novembre 1999 durant lesquelles il a entendu quelque deux douzaines de témoins représentant la SEE, les exportateurs, des organisations de protection de l’environnement et des droits de la personne, ainsi que des entreprises canadiennes qui font concurrence à la SEE au niveau du financement des exportations.

Soucieux de ne pas faire double emploi, le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce s’est concentré sur quelques points particuliers pour compléter l’étude effectuée à la Chambre. Plus spécifiquement, il s’est intéressé surtout à une question qu’il considère comme primordiale, à savoir le manque de participation du secteur privé au financement à moyen terme des exportateurs canadiens. La SEE a pour mission de promouvoir le commerce extérieur et de développer la capacité d’exportation du Canada. À en juger par ses rapports annuels, la SEE s’est effectivement employée à soutenir les exportateurs canadiens, mais elle n’a pas réussi aussi bien à stimuler la participation des institutions financières canadiennes comme les banques, les sociétés d’assurance et les sociétés d’affacturage, au financement des exportations. D’après les témoignages entendus, les banques en particulier pourraient contribuer à accroître la capacité d’exportation des PME si elles pouvaient opérer sur ce marché sur un pied d’égalité avec la SEE.

L’opinion du Comité à ce sujet est fort simple : plus la concurrence est vive dans le financement des exportations canadiennes, mieux se portent les exportateurs et le Canada. Comme l’a dit Guy David, le chef de projet qui a dirigé l’équipe d’examen de Gowlings, « au chapitre du bien-être économique du Canada, le Canada dépend trop du commerce extérieur pour confier une responsabilité excessive à une seule institution financière ». (15 décembre 1999)

Le Comité a aussi reçu des mémoires de groupes de la société civile. Le Comité de la Chambre a déjà étudié leurs préoccupations en détail, mais nous aimerions nous arrêter sur un point important. En tant que société d’État, la SEE a des responsabilités et des obligations spéciales. Les Canadiens sont à juste titre fiers de l’importance que nous accordons tous à des valeurs comme le respect des droits de la personne et de l’environnement, et nous nous attendons de nos institutions qu’elles respectent ces valeurs. Étant donné qu’elle participe au financement de projets dans le monde entier, la SEE est un symbole hautement visible du Canada, et les Canadiens sont en droit de s’attendre qu’elle respecte les valeurs canadiennes dans son action, comme d’ailleurs toutes les sociétés d’État.

À ce sujet, le Comité note que la SEE continue de tenir compte de ces préoccupations par la voie de son Cadre de référence pour l’examen des questions environnementales (institué en 1999) et de son Code d’éthique commerciale. La SEE a indiqué par ailleurs qu’elle était en train d’élaborer des lignes directrices en matière de déclaration de l’information qui assureront une plus grande transparence à ses actions. Le Comité s’attend que la SEE continuera de tenir compte des préoccupations des Canadiens dans ses politiques. Il s’attend aussi que le gouvernement prenne en considération le rôle de la SEE comme représentant du Canada à l’étranger quand il modifiera sa loi habilitante.

Le Comité ne veut pas dire par là que la SEE ne répond pas actuellement à ses obligations envers la société civile. Il est aussi conscient du fait que la SEE est d’abord et avant tout une société commerciale et il n’a pas l’intention de recommander des mesures qui rendraient la réalisation de ses objectifs commerciaux plus difficile et plus coûteuse. Il reste qu’il est important que ces principes soient reconnus et compris et qu’ils soient reflétés dans les activités de la SEE.


RECOMMANDATION 14 : LE NOEUD DU PROBLÈME

Recommandation 14 du rapport Gowlings - Le gouvernement devrait mettre à la disposition des banques un programme rattaché au Compte du Canada qui offrirait des garanties à l’égard des prêts assujettis aux règles du Consensus. Le coût de l’établissement et de la mise en œuvre de ce programme serait imputé aux banques par l’entremise de frais de garanties en fonction du risque conformément au Consensus. Le programme ne serait établi que si un nombre suffisant de banques était prêt à y souscrire.

Réponse du Comité des affaires étrangères et du commerce extérieur de la Chambre des Communes - Le Comité recommande au gouvernement d’étudier attentivement la question de la mise sur pied d’un nouveau programme de garantie des prêts à moyen terme assujettis au Consensus qui seraient consentis par les banques, et de prendre une décision en fonction des meilleurs intérêts des exportateurs canadiens et pour le bénéfice du Canada.

 

A. Contexte

Pour les fins de l’étude de ces recommandations, le Comité a entendu les représentants des cinq grandes banques, qui appuient les recommandations, et de la SEE, qui ne souscrit pas à l’établissement d’un mécanisme de garantie distinct, mais est tout à fait disposée à participer à l’étude des recommandations. Cela fait plusieurs années que la création éventuelle d’un mécanisme de garantie est une pomme de discorde entre la SEE et les banques. Actuellement, la SEE est essentiellement le seul prêteur aux termes du Consensus au Canada. Sur les 6,1 milliards de financement direct consenti en 1999 par la SEE, quelque 25 % étaient des prêts aux termes du Consensus.

Les organismes de crédit à l’exportation (OCE) sont réglementés par l’Accord sur les subventions et les mesures compensatoires de l’Organisation mondiale du commerce, lequel limite le recours au crédit à l’exportation comme subvention, et par l’Arrangement relatif à des lignes directrices pour les crédits à l’exportation bénéficiant d’un soutien public (le Consensus), un « engagement d’honneur » entre les membres de l’OCDE. Cet accord institué en 1978 exige que les exportateurs qui ont recours aux OCE se livrent concurrence sur la base du prix, de la qualité et du service et non sur la base du niveau d’aide publique dont ils bénéficient.

Aux termes des règles du Consensus, les OCE peuvent garantir jusqu’à 85 % des prêts à moyen terme (p. ex., financement du commerce extérieur – financement de biens d’investissement – financement de projets – projets à une grande échelle). Ce type de crédit est généralement plus complexe et risqué que le crédit à court terme (moins d’un ou deux ans). En conséquence, cette garantie permet d’intéresser les banques à des prêts qu’elles considéreraient autrement comme trop risqués. Depuis une dizaine d’années, l’importance de ces prêts a diminué, tant à la SEE que dans les OCE en général.

Pour essayer de remédier au problème, une entente a été conclue en 1994 entre le gouvernement, la SEE et les banques. Elle reposait sur trois principes :

· Les intérêts des exportateurs canadiens sont prioritaires. La participation des institutions financières doit permettre d’augmenter le financement accordé aux exportateurs à des conditions plus compétitives. En matière de crédit, les exportateurs devraient toujours pouvoir choisir entre la SEE et les institutions financières.

· Cela ne doit pas entraîner de coûts supplémentaires pour le Trésor.

· Le partage du risque entre les institutions financières et la SEE est essentiel au partenariat et doit tenir compte des réalités du marché.

Le mécanisme de garantie établi par la SEE à la suite de cette entente diffère sensiblement des modalités offertes par les autres OCE. La plupart accordent la garantie maximale de 85 %. Pour sa part, la SEE offre une garantie maximale de 65 à 75 % de la tranche de 85 % autorisée, selon le degré de risque de la transaction. Autrement dit, les banques qui ont recours au mécanisme de la SEE jouissent d’une garantie maximale de 64 %.

Malgré l’existence de cette garantie, les banques consentent peu de prêts aux termes du Consensus. Cette situation inquiète le Comité, lequel estime qu’une plus grande activité des banques serait avantageuse dans la mesure où elle permettrait de stimuler la concurrence : ceci pourrait entraîner un meilleur service et des choix plus nombreux pour les exportateurs, qui ne seraient pas forcés de s’en remettre à une seule institution. Une plus grande participation des banques permettrait par ailleurs de servir davantage d’exportateurs, et, partant, d’augmenter la capacité.

 

B. Les raisons de l’absence des banques

Quand le Comité a cherché à expliquer l’absence des banques du financement à moyen terme, il a d’abord cherché à savoir si les règles du jeu étaient les mêmes pour les banques et pour la SEE. On lui a proposé plusieurs explications de la faible activité des banques dans ce domaine.

 

1. Structure du mécanisme de garantie

D’après le rapport Gowlings, la structure de la garantie de crédit à moyen terme de la SEE incite les banques à localiser leurs opérations de crédit à moyen terme en dehors du pays, où elles sont de peu d’utilité pour les exportateurs canadiens. En fait, les banques reprochent à la SEE d’offrir de moins bonnes conditions que les autres OCE tant sur le plan de la quantité (un plafond de 64 % comparativement à 85 %) et du prix (les banques affirment que la prime de risque de la SEE est plus élevée que celle des autres OCE et que ces dernières permettent aux banques un rendement modeste sur la tranche garantie).

Au cours des consultations menées dans le cadre de l’examen, le milieu des banques canadiennes, notamment certaines filiales de banques étrangères, a exprimé ses préoccupations au sujet du financement du commerce extérieur à moyen terme, en particulier l’absence d’un programme de garantie qui leur apporterait un appui comparable à celui que reçoivent des banques d’autres pays de la part de leur OCE pour le commerce à moyen terme (Rapport sur l’examen de la Loi sur l’expansion des exportations, p. 69)

Pour sa part, la SEE doute que les banques s’intéresseraient vraiment à un mécanisme de garantie, même s’il existait.

Les banques canadiennes disposent d'un programme assorti d'une garantie totale auprès de l'Eximbank des États-Unis. Elles ont probablement prôné ce modèle, comme elles le font depuis plus de 15 à 20 ans. Or, en 1999, le montant total des activités des banques canadiennes de l'annexe I avec l'Eximbank a été de 250 millions de dollars, contre 15 milliards de dollars de transactions avec la SEE -- de plus, une partie de ces 250 millions de dollars est allée à Boeing Aircraft. De toute évidence, les garanties ne sont pas la panacée pour les banques canadiennes qui s'engagent dans le financement du commerce international. Leur rhétorique sonne un peu creux à cet égard. (A. Ian Gillespie, président et chef de la direction, SEE, 10 février 2000)

L’économiste Stan McRoberts de Gowlings Research a lui aussi fait part de ses préoccupations sur ce point.

Si nous nivelons les règles du jeu de manière que le Canada soutienne les prêts commerciaux dans le secteur du financement du commerce extérieur de façon identique à ce que font les autres pays, on ne peut que se demander si les banques emboîteront le pas. C’est ce que les banques nous ont dit. Elles ont dit que, si elles ne participent pas, c’est qu’il n’y a pas assez d’activités. Les clients de la SEE acceptent largement cette situation, et les banques elles-mêmes admettent que les prêteurs commerciaux ne sont pas suffisamment actifs dans ce domaine. Les banques le reconnaissent. Elles disent que, pour régler le problème, il faudrait établir un programme qui offrirait le même genre de soutien pour elles au Canada que ce qu’on trouve dans d’autres pays. (15 décembre 1999)

 

2. Créneau particulier

La SEE estime que les banques ne s’intéressent pas au financement du commerce extérieur parce qu’il s’agit d’un créneau où les rendements sont très variables. Comme la SEE cherche d’abord à maximiser les exportations et non les profits, elle est mieux placée pour supporter les risques élevés que présente le financement d’exportations à moyen terme :

Le financement du commerce international, en raison de l'instabilité des rendements et des capitaux requis, n'est pas un secteur suffisamment rentable pour elles. Les banques n'ont pas un aussi grand appétit pour le risque que les organismes de crédit à l'exportation, en fait, que la SEE. (A. Ian Gillespie, 10 février 2000)

Dans le même ordre d’idées,

Je ne critique pas les banques, mais les banques canadiennes ont reconnu qu’il fallait énormément de personnel et de capitaux pour maintenir le financement de projets dans toutes sortes de secteurs […]. Les frais généraux sont considérables, il faut conserver une présence internationale et ce n’est tout simplement pas rentable pour les banques. Nous les avons vu soit réduire le nombre de secteurs dans lesquels elles acceptent d’intervenir, soit tout simplement mettre fin à leurs opérations. Certaines banques ont fermé leur antenne de Londres ou de New York parce qu’elles estimaient le rendement insuffisant. Il y a eu une concentration mondiale des banques. Elles sont encore plus fortes et peuvent avoir des équipes encore plus grosses. Résultat : le Canada se trouve vulnérable. Nous avons pu intervenir pour combler le vide. C’est pourquoi ce sont surtout nos activités à moyen et à long terme qui ont augmenté; c’est parce que nous faisons quelque chose que les autres ne peuvent pas faire. (Eric Siegel, vice-président général, Services financiers à moyen et à long terme, SEE, 2 décembre 1999)

Pour leur part, les banques signalent qu’elles font du financement commercial à long terme, mais par l’intermédiaire de leurs filiales à l’étranger. Cependant, dans un mémoire au Comité, M. Bernard Kruyne, de la Banque Royale, affirme que sa banque ne cherche plus vraiment à s’assurer une présence mondiale dans le secteur du commerce. Il attribue cette politique aux contraintes auxquelles les banques font face au Canada.

Il est évident maintenant que nous n’avons pas au Canada une base suffisante pour constituer cette présence. Contrairement aux banques internationales qui disposent d’une OCE qui leur offre des conditions plus intéressantes dans leur pays d’origine, RBFG (et d’autres banques de l’annexe 1) ne peut pas se livrer à beaucoup d’opérations de ce genre au Canada avec la concurrence que lui fait notre OCE. Or, de faire ce type d’opérations sur les marchés étrangers, presque exclusivement à l’appui de clients non canadiens s’inscrit mal dans la stratégie de RBFG, axée sur le Canada. Si nous ne pouvons pas faire grossir nos opérations de financement du commerce sur notre propre marché, pourquoi nous lancer dans ce type d’opérations à l’étranger s’il faut pour cela utiliser des ressources rares? (Mémoire, Bernard Kruyne, directeur général, Global Trade Finance, RBC Dominion Securities, 15 février 2000, p. 1)

 

3. Puissance commerciale

Les sociétés d’État servent à combler des lacunes du marché en fournissant des services que réclament les Canadiens, mais que l’entreprise privée n’offre pas. Si un service dispensé par une société d’État peut être offert par le secteur privé, il faut laisser le secteur privé s’en occuper. La SEE a été constituée parce que le financement des exportations comportait des lacunes.

Cependant, le statut privilégié de la SEE ne devrait pas porter atteinte à la concurrence. Or, les banques affirment que c’est le cas.

Dotée d'avantages déloyaux, la SEE se dirige peut-être progressivement vers une situation de monopole dans le secteur du financement à l'exportation à moyen et à long termes. Une telle orientation sera porteuse de dangers pour les exportateurs canadiens et les autres contribuables. (Peter Wren, directeur général, Financement des opérations commerciales, Banque de Montréal, 9 février 2000)

Le rapport Gowlings souligne à plusieurs reprises la dépendance du Canada d’une institution unique, la SEE, pour la promotion des exportations. En sa qualité de société d’État, la SEE ne verse pas de dividendes ni ne paie d’impôts, et elle peut emprunter aux taux d’intérêt du gouvernement, ce qui lui donne un avantage concurrentiel inhérent. Ces deux facteurs confèrent à la SEE une certaine puissance sur le marché en matière de financement des exportations.

En fait, les banques hésitent généralement à recommander à un client de consulter la SEE, par crainte d'être laissées pour compte. La plupart des affaires que nous traitons directement avec les grands exportateurs et les grosses opérations excluent l’intervention de la SEE, soit en raison du type de transaction ou du choix de l'exportateur. Quand les exportateurs pensent pouvoir s'en tirer rien qu'avec les banques, ils préfèrent réserver le recours à la SEE pour les transactions plus difficiles.

Nous avons aussi des exemples d'opérations très commerciales et viables, pour lesquelles trois banques se faisaient concurrence. Nous avons obtenu le contrat, puis la SEE est intervenue et a fait une offre encore plus avantageuse. C'était pourtant une opération très réalisable rien qu'avec les banques. (Peter Wren, 9 février 2000)

Le Comité est réconforté par les constatations du rapport Gowlings, confirmées par la SEE, selon lesquelles les prix de celle-ci sont généralement concurrentiels par rapport aux prix normaux du marché. Cependant, le Comité n’est pas convaincu que l’absence des banques du financement à moyen terme est purement le résultat des insuffisances du marché.

 

C. Avantages et inconvénients possibles d’un programme de garantie

Tout nouveau mécanisme de garantie devrait augmenter les possibilités de financement des exportateurs canadiens, suivant les principes convenus en 1994. La SEE et les banques ont des positions diamétralement opposées quant aux effets d’un programme de garantie : les banques soutiennent qu’elles ont quelque chose à offrir aux exportateurs; la SEE affirme que la création d’un nouveau mécanisme serait coûteuse et ferait en fait double emploi.

Les banquiers qui ont comparu devant le Comité ont affirmé qu’ils pourraient, en collaboration avec la SEE, augmenter la capacité de crédit au bénéfice des exportateurs canadiens.

Les vastes capacités de distribution à valeur ajoutée des banques, qui présentent un avantage particulier pour les PME, l'expertise de la SEE en matière de financement des opérations commerciales et la capacité des assureurs privés relativement aux risques sont autant d'éléments clés qui assurent le succès de la recommandation 14. (John Leckie, directeur général, Institutions financières et Financement des opérations commerciales, Banque Toronto Dominion, 9 février 2000)

On a également soulevé la possibilité d’un accroissement de la concurrence émanant des banques canadiennes et des banques étrangères. Les banques affirment que la création d’un programme de garantie les encouragerait à accroître leurs opérations de crédit à l’exportation au Canada.

Nous avons mentionné antérieurement qu'une garantie ou une garantie partielle de la part de la SEE nous aiderait à prendre pied plus rapidement sur un plus grand nombre de marchés étrangers. Si l'on procure un tel appui à toutes les banques en exploitation au Canada, qu'elles soient canadiennes ou étrangères, on verra s'accroître le montant total du financement auquel ont accès les exportateurs canadiens. (Peter Wren, 9 février 2000)

Quand la recommandation 14 sera mise en application, nous prévoyons qu'elle attirera les banques étrangères sur le marché canadien du financement des exportations. Elle constituera une incitation pour les grandes banques internationales à utiliser leurs ressources considérables pour soutenir les exportateurs canadiens par des formules de financement des exportations concurrentielles […] La concurrence qui s'exerce sur le marché garantira que cet intérêt se traduira par une baisse des prix, un rallongement des durées de prêt, une augmentation des montants ou d'autres avantages qu'apprécient les importateurs de produits et de services canadiens. (Bernard Kruyne, 9 février 2000)

Il importe de remarquer que le financement à moyen terme concerne de gros contrats qui intéressent le plus les grands exportateurs capables d’assumer des projets d’envergure. Il reste que les banques affirment qu’il existe quand même un effet de percolation pour les PME exportatrices.

Le principal effet de percolation, c'est que les transactions d'envergure attireront énormément l'attention. Dans la foulée de ces transactions, on élargit les occasions d'affaires et on a tendance à progresser en aval. En fait, c'est là que les PME seront gagnantes car on mettra davantage l'accent sur les entreprises en aval. Une capacité plus grande est avantageuse pour les PME. Cela crée davantage de débouchés. Il y a plus de gens qui font des affaires et par conséquent, un soutien accru. (David Robbie, vice-président, Division du financement des opérations commerciales)

Dans son témoignage, la SEE a pris vigoureusement position contre l’établissement d’un programme de garantie comme celui qu’on recommande dans le rapport Gowlings. La SEE a affirmé au Comité que le coût de ce genre de mécanisme dépasserait ses avantages potentiels et que, de toute façon, cela n’accroîtrait en rien la capacité.

D'après nous, cela ne créerait pas une plus grande capacité, mais augmenterait les coûts pour les contribuables et les coûts pour les exportateurs. Bref, cela n'aide en rien la compétitivité du Canada.

[…]

La SEE soutient simplement que notre mandat est de venir en aide aux exportateurs et aux investisseurs canadiens dans le monde. Leurs intérêts sont primordiaux. Oui, nous allons contester toute décision qui, selon nous, nuira à la compétitivité des exportateurs canadiens. Nous pensons que cela va retarder le règlement des transactions. Nous pensons que cela va augmenter les coûts pour les exportateurs et, par conséquent, réduire les activités commerciales. (A. Ian Gillespie, 10 février 2000)

Le Comité n’est toujours pas convaincu par les affirmations de la SEE. En effet, nous ne voyons pas en quoi la multiplication des participants sur le marché des prêts consentis aux termes des règles du Consensus pourrait nuire à la compétitivité des exportateurs canadiens, bien au contraire. En fait, nous sommes persuadés que cela ne peut qu’accroître la capacité globale d’exportation des entreprises canadiennes.

Au chapitre des coûts pour le contribuable, il importe de tenir compte de l’expérience des autres OCE, lesquelles, contrairement à la SEE qui est autosuffisante, dépendent de crédits gouvernementaux.

[…] pour tous les organismes de crédit à l’exportation, les résultats sont très clairs. Les pertes se chiffrent en milliards de dollars. (A. Ian Gillespie, 10 février 2000)

Le Comité estime que, si le gouvernement décide d’offrir aux banques des garanties à l’égard des prêts consentis aux termes des règles du Consensus, il instituera un mécanisme qui n’accroît pas le risque moral.

Ni la SEE ni les banques n’ont présenté de données solides sur les répercussions potentielles de l’établissement d’un mécanisme de garantie indépendant. La SEE affirme que cela ne peut pas fonctionner, tandis que le représentant de la Banque de Montréal, Peter Wren, est d’avis que la non-participation des banques entraîne des pertes pour les entreprises, mais qui sont difficiles à quantifier.

La SEE semble aussi craindre qu’un mécanisme de garantie ne marque le début de la fin de son rôle de prêteur direct.

Cependant, tôt ou tard, les banques disent que ce n'est pas rentable d'offrir du financement assorti d'une garantie si la SEE ne peut pas financer directement l'exportateur. On a proposé hier que la SEE décide si la garantie ou le financement suit la bonne voie. (Eric Siegel, 10 février 2000)

À ce sujet, dans le mémoire qu’elle a présenté lors des audiences du Comité permanent de la Chambre, l’Association des banquiers canadiens réclame que l’on restreigne considérablement le rôle de prêteur de la SEE et que la SEE ne finance des contrats qu’en l’absence de participation du secteur privé, ce qui placerait la SEE dans la même position que les OCE des autres pays de l’OCDE. (Mémoire au Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international de la Chambre des communes, 29 novembre 1999, p. 2)

Cette proposition va plus loin que le rapport Gowlings, dans lequel on recommande explicitement que la création d’un mécanisme de garantie offert par le gouvernement ne compromette pas l’aptitude de la SEE à agir comme prêteur direct. Dans le même ordre d’idée, le statut de la SEE en tant que concurrent des banques et des autres institutions financières donne à penser qu’il vaudrait mieux que le mécanisme de garantie soit distinct de la SEE de façon que cette dernière ne risque pas de se retrouver en situation de conflit d’intérêts, ce qui pourrait arriver quand le garant est aussi le prêteur direct potentiel.

 

D. Sommaire et recommandation

Le mécanisme de garantie envisagé n’a pas pour objet de répondre aux besoins des banques mais plutôt d’accroître la capacité du Canada de soutenir ses exportateurs. Si les témoignages entendus par le Comité étaient souvent vagues et contradictoires, plusieurs points sont très clairs.

  1. Le principal problème tient au fait que, bien que la SEE et les banques collaborent dans plusieurs domaines, la première est à la fois le concurrent des banques et leur garant. Cela apparaît être une position presque intenable pour une société d’État chargée d’attirer davantage de joueurs dans le domaine du financement des exportations.
  2. Les sociétés d’État sont là pour prendre le relais du secteur privé. Il n’y a donc pas de raison qu’une société d’État soit active là où le secteur privé offre les services voulus. La SEE ne fournit pas d’arguments convaincants justifiant pourquoi elle devrait demeurer le seul fournisseur de facto de prêts consentis aux termes des règles du Consensus au Canada. Il faudrait à tout le moins donner aux banques la possibilité de concurrencer la SEE sur un pied d’égalité.
  3. La SEE offre certes un service professionnel de valeur aux exportateurs canadiens, mais elle ne peut pas le faire seule. À preuve, le Comité note qu’un grand nombre d’exportateurs ayant fait l’objet d’un sondage réalisé par la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante n’avait jamais entendu parler de la SEE (Rapport sur l’examen de la Loi sur l’expansion des exportations, p. 104). Cela donne à penser que les exportateurs canadiens sont mal servis, par la SEE et par le marché en général. Ils auraient tout à gagner d’une initiative qui rendrait les options de financement des exportations plus visibles, par exemple d’un recours accru aux réseaux de succursales des banques.
  4. Les banques devraient pouvoir concurrencer la SEE sur un pied d’égalité. Actuellement, les garanties offertes par la SEE, son statut de société d’État et sa position qui en fait à la fois un concurrent et un administrateur de ces garanties, font pencher la balance en faveur de la SEE.
  5. La SEE a dit que le mécanisme de garantie recommandé par Gowlings finira par coûter de l’argent aux contribuables sans pour autant créer de capacité additionnelle. On a cependant du mal à voir comment un tel mécanisme de garantie administré sur une base de recouvrement des coûts et établi uniquement après de sérieuses expressions d’intérêt de la part des banques pourrait empirer la situation actuelle. Il importe aussi de se rappeler que, dans l’ensemble, les prêts en question consentis aux termes du Consensus diminuent. Si l’on a recours à un mécanisme de garantie aux termes du Consensus, les exportateurs canadiens en profiteront. Comme l’a fait remarquer le premier vice-président de la Banque de Nouvelle-Écosse, Tim Plumptre (Financement commercial et banques correspondantes) :

En résumé, si l’option de garantie des banques n’apporte rien aux exportateurs, ceux-ci s’en détourneront. Il ne s’agit pas de remplacer le mode de financement des règles de la SEE, mais plutôt d’ajouter une option. Si les exportateurs boudent cette option, elle mourra dans l’œuf. Par contre, s’ils la choisissent, c’est qu’ils croient qu’elle favorisera leurs exportations. Ne devrait-on pas leur accorder le droit de choisir? (9 février 2000)


Recommandation

Le Comité souscrit à la participation des banques au financement des exportations à moyen terme sur un pied d’égalité avec la SEE. En conséquence, il recommande au gouvernement d’instituer un mécanisme de garantie qui égalise les chances sans pour autant porter atteinte à la capacité de la SEE de servir les exportateurs, et qu’il fasse rapport dans les six mois sur les mesures prises en ce sens.


ANNEXE 1

TÉMOINS

No DE FASC. DATE

TÉMOINS

2

Le 2 décembre 1999 Pour la Société pour l'expansion des exportations :

M. A. Ian Gillespie, président et chef de la direction;

M. Eric Siegel, vice-président directeur, Services financiers à moyen et à long terme;

M. Gilles Ross, premier vice-président du Contentieux et secrétaire; et

Mme Louise Landry, vice-présidente, performance générale et communication.

4

Le 15 décembre 1999 De Gowling, Strathy & Henderson :

M. Guy David, Associé, responsable du projet, Équipe chargée de l'examen;

M. Gerald E. Shannon, président des audiences publiques, Équipe chargée de l'examen;

M. Stan McRoberts, économiste-chercheur, Équipe chargée de l'examen; et

M. Maxime Faille, avocat, responsable adjoint du projet, Équipe chargée de l'examen.

5

Le 9 février 2000 De la Banque de Montréal :

M. Peter Wren, directeur général, Financement des opérations commerciales.

De la Banque de la Nouvelle-Écosse :

M. Tim Plumptre, vice-président principal, Financement des opérations commerciales et banques correspondantes.

De la CIBC :

M. David Robbie, vice-président, Division du financement des opérations commerciales.

Du Groupe financier Banque Royale :

M. Bernard Kruyne, directeur général, Commerce mondial, RBC Dominion Valeurs mobilières.

 

De la Banque Toronto Dominion :

M. John Leckie, directeur général, Institutions financières et Financement des opérations commerciales.

5

Le 10 février 2000 De la Société pour l'expansion des exportations :

M. A. Ian Gillespie, président et chef de la direction;

M. Eric Siegel, vice-président directeur, Services financiers à moyen et à long terme;

M. Gilles Ross, premier vice-président du Contentieux et secrétaire; et

Mme Louise Landry, vice-présidente, Performance générale et communication.

 

ORGANISATIONS QUI ONT ENVOYÉ DES MÉMOIRES OU DE LA CORRESPONDANCE MAIS QUI N'ONT PAS COMPARU :

Alliance des Manufacturiers et des Exportateurs du Canada

L'Institut Nord-Sud

Probe International


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