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BANC - Comité permanent

Banques, commerce et économie

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce

Fascicule 9 - Témoignages


OTTAWA, le jeudi 6 avril 2000

Le comité sénatorial permanent des banques et du commerce se réunit ce jour à 11 heures pour examiner la situation actuelle des systèmes financiers national et international.

Le sénateur E. Leo Kolber (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Sénateurs, notre témoin aujourd'hui est le gouverneur de la Banque du Canada, M. Gordon Thiessen. Nous avons eu la chance depuis plusieurs années que le gouverneur accepte nos invitations à comparaître devant le comité sénatorial permanent des banques et du commerce. Nous avons ainsi toujours eu des réunions utiles et intéressantes. Étant donné que c'est la première fois qu'il comparaît depuis que je suis président, je tiens à le remercier de sa collaboration depuis des années et d'avoir accepté de comparaître aujourd'hui.

M. Thiessen a été nommé gouverneur de la Banque du Canada le 1er février 1994. Je crois savoir qu'il est né dans le magnifique village de South Porcupine, en Ontario et qu'il a passé son enfance dans plusieurs villes de la Saskatchewan. Après l'école secondaire, il a travaillé pour une banque à charte et a étudié les sciences économiques à l'Université de la Saskatchewan. Il a obtenu son B.A. avec spécialisation en 1960 et sa maîtrise en 1961, puis il a donné des cours de sciences économiques à cette université. Il est ensuite allé à la London School of Economics où il a obtenu son doctorat en sciences économiques en 1972. Il est entré à la Banque du Canada en 1963 et est membre du conseil d'administration de la banque et de son comité de direction depuis sa nomination à titre de premier sous-gouverneur en 1987.

Avant de commencer, j'aimerais expliquer certaines des règles que nous essayons de suivre pour ce genre de réunion. Je demanderais au gouverneur de faire une rapide déclaration liminaire. Nous passerons ensuite aux questions des membres du comité à qui je demanderais d'être concis afin de permettre au gouverneur de répondre à autant de questions que possible. Au premier tour, je donnerai environ dix minutes par sénateur, questions et réponses comprises. S'il y a d'autres questions, nous aurons un second tour rapide. Je donnerai la parole aux sénateurs à tour de rôle et je leur demanderai de ne pas essayer de tricher en posant des questions complémentaires qui sont en fait de nouvelles questions. Enfin, si nous en avons le temps, je permettrai à ceux qui ne sont pas membres du comité de poser des questions.

Je donne maintenant la parole au gouverneur. Bienvenue, monsieur Thiessen.

M. Gordon G. Thiessen, gouverneur, Banque du Canada: Monsieur le président, je tiens à vous présenter mes collègues. Malcolm Knight est le premier sous-gouverneur de la banque et Sheryl Kennedy est également sous-gouverneure.

Je suis très reconnaissant de la chance qui m'est donnée de me présenter devant votre comité. J'aimerais profiter de l'occasion qui s'offre à moi aujourd'hui pour vous entretenir de l'évolution de l'économie et des conditions monétaires et pour discuter avec vous de toute autre question que vous aimeriez soulever.

Laissez-moi d'abord vous donner un aperçu de ce qui s'est passé au cours de la dernière année. Lorsque je me suis présenté devant vous en avril dernier, il planait encore sur l'économie mondiale une grande incertitude découlant de la crise financière qui a frappé les pays à marché émergent en 1997 et 1998 et de la chute des cours internationaux des produits de base qui a accompagné cette crise. Ces difficultés ont eu pour effet de modérer le rythme de l'activité économique au Canada. Mais, au milieu de 1999, notre économie s'était ressaisie, soutenue par la forte demande aux États-Unis, le redressement des cours des produits de base et l'essor de la dépense intérieure.

Sur les quatre trimestres de 1999, la production a augmenté d'environ 4 3/4 p. 100 et 425 000 nouveaux emplois ont été créés; grâce à cela, le taux de chômage à l'échelle nationale est tombé à 6,8 p. 100 en février dernier, son plus bas niveau depuis 23 ans. Parallèlement, le taux de l'inflation tendancielle est demeuré bas.

Comment expliquer que le Canada se soit remis si rapidement des chocs d'origine externe qui l'on secoué en 1997 et 1998? À mon avis, une importante raison à cela est que l'assise sur laquelle repose la politique économique canadienne est plus solide maintenant qu'elle ne l'a été depuis plusieurs décennies, ce qui s'explique par deux facteurs fondamentaux. Le premier est l'assainissement des finances publiques qui a fait baisser le ratio de la dette publique à la taille de notre économie. Le second est la création d'un climat d'inflation faible et stable, et la perception que ce climat devrait se maintenir étant donné l'objectif de maîtrise de l'inflation que poursuit la Banque du Canada.

[Français]

Depuis le début des années 1990, la conduite de la politique monétaire canadienne est axée sur cet engagement d'atteindre des cibles explicites de maîtrise de l'inflation. Cette approche a contribué à calmer les craintes d'une montée de l'inflation. Elle a aussi aidé la banque à réagir à point nommé aux modifications de la conjoncture économique et financière et à mieux rendre compte de ses actions auprès du public. Un élément essentiel du cadre de mise en oeuvre de notre politique monétaire est le régime de change flottant du Canada. Sans lui, notre pays n'aurait pas pu établir ses propres cibles de maîtrise de l'inflation.

En plus d'avoir une bonne idée de succès de notre approche fondée sur des cibles de maîtrise de l'inflation et d'un régime de change flottant, on voit que les taux d'intérêt canadiens sont demeurés inférieurs aux taux américains, sauf pendant la période de turbulence enregistrée en 1999. Cela a été possible parce que le niveau de l'inflation était plus bas au Canada qu'aux États-Unis et qu'on s'attendait à ce que l'inflation reste faible. Dans le passé, les dépréciations de notre monnaie ont souvent eu pour effet de nourrir les craintes d'une montée de l'inflation et de provoquer des hausses de taux d'intérêt. Les difficultés survenues ces deux dernières années ont aussi montré qu'un taux de change flottant permet d'amortir efficacement les chocs économiques. La dépréciation du dollar canadien entre le milieu de 1997 et la fin de 1998 était due en grande mesure à la chute des cours mondiaux des produits de base que le Canada exporte.

Notre économie devait s'adapter à cette réalité. La baisse du taux de change a facilité un déplacement de l'activité du secteur primaire vers le secteur manufacturier et vers d'autres secteurs d'exportation. De plus, elle a encouragé nos entreprises à profiter du dynamisme de l'activité aux États-Unis. Grâce à ces ajustements, l'économie canadienne a pu poursuivre son expansion en 1998, et sa croissance a été accélérée l'année dernière.

Lorsque je me suis présenté devant votre comité la dernière fois, monsieur le président, on s'est posé un certain nombre de questions sur la croissance de la productivité au Canada et sur l'écart entre la productivité chez nous et aux États-Unis. Je suis heureux de vous signaler que l'évolution dans ce domaine a été prometteuse au cours de la dernière année. Non seulement nos gains de productivité ont-ils été meilleurs en 1999, mais en plus les exportations de machines et de matériel ont augmenté de 18 p. 100 pendant l'année. Cette augmentation prolonge les soldes des investissements en machines, matériel et dans les nouvelles technologies que l'on observe depuis 1996. Cet essor rappelle la relance des investissements qui s'était amorcée un peu plus tôt aux États-Unis.

[Traduction]

Bien sûr, nous trouvons encourageante l'amélioration des perspectives de croissance de la productivité au Canada, mais nous ne savons pas très bien quelle sera l'ampleur et la durée des gains éventuels, ni jusqu'où ils pousseront la capacité de production de notre économie. Cette incertitude soulève une importante question pour la conduite de la politique monétaire canadienne, compte tenu surtout du fait que, selon certaines mesures, l'économie canadienne fonctionne actuellement tout près des limites de sa capacité de production.

Par ailleurs, notre climat de faible inflation et l'engagement de la Banque du Canada à en assurer le maintien nous donnent davantage de latitude que nous n'en avons eu depuis un bon moment pour explorer les limites de notre appareil de production. Cependant, étant donné les niveaux d'activité élevés et la vigueur actuelle de l'économie, le banque doit veiller à empêcher cette dernière de s'approcher trop rapidement des limites de sa capacité de production. Nous ne voulons pas provoquer de goulots d'étranglement ne de pénuries susceptibles d'exercer des pressions inutiles sur l'inflation. Vu le temps qu'il faut pour que les mesures de politique monétaire fassent pleinement sentir leurs effets, nous serons mieux en mesure d'aider l'économie à atteindre son plein potentiel et à le conserver si nous amenons celle-ci à absorber les capacités inutilisées de façon graduelle et prudente.

Nous avons pris tous ces facteurs en considération lorsque nous avons décidé, en novembre, février et mars derniers, d'augmenter le taux d'escompte, après que la Réserve fédérale américaine eut opéré des hausses équivalentes.

Les mesures prises pas nos voisins du sud sont un autre signe d'une accentuation possible des retombées de la demande américaine sur notre secteur des exportations. Par conséquent, la demande globale de produits canadiens pourrait être plus forte qu'on ne l'avait d'abord prévu. Dans un tel contexte, la Banque du Canada se doit de faire preuve de vigilance.

Comme je l'ai déjà indiqué, les résultats que nous avons obtenus jusqu'ici au chapitre de l'inflation ont été bons; en fait, je dirais même qu'ils ont été meilleurs que ce à quoi nous nous attendions. Il est vrai qu'en raison d'une hausse marquée des cours de l'énergie, le taux d'accroissement sur 12 mois de l'indice global des prix à la consommation a augmenté en février pour s'établir à 2,7 p. 100; mais si l'on s'en tient à la tendance fondamentale de l'inflation, on constate que la hausse des prix à la consommation mesurée par notre indice de référence se situait à 1,6 p. 100 en février, soit dans la moitié inférieure de notre fourchette cible de maîtrise de l'inflation, qui va de 1 à 3 p. 100.

Pour ce qui est de la montée des prix de l'énergie, je dirai simplement que la Banque du Canada va suivre de près la situation afin de veiller à ce que la récente augmentation n'entraîne pas un renforcement des attentes relatives à l'inflation. Nous pensons que la diminution des prix de l'énergie observée dernièrement à l'échelle mondiale va se poursuivre et entraîner une baisse du taux d'accroissement de l'IPC global, qui devrait se rapprocher du point médian de notre fourchette cible d'ici la fin de l'année.

Je n'insisterai jamais assez sur l'importance que nous accordons, à la Banque du Canada, au maintien de la tendance future de l'inflation au Canada à un niveau bas et stable. C'est là la principale contribution que la politique monétaire peut apporter à l'expansion durable de l'économie canadienne et à de nouveaux gains de productivité.

Je suis maintenant prêt à répondre à vos questions, monsieur le président.

Le sénateur Meighen: Bienvenue, monsieur Thiessen, à vous et à vos associés. C'est un plaisir que de vous retrouver. Nous vous sommes très reconnaissants de participer régulièrement à ces réunions.

Vos observations liminaires m'amènent tout de suite à une question. Si nous avons tellement bien réussi -- et je crois que c'est vrai en ce qui concerne l'inflation et d'autres fronts -- si les problèmes en Asie ont dans l'ensemble été rectifiés et si les prix des marchandises remontent, comment se fait-il que notre dollar continue à languir par rapport au dollar américain?

Je crois que vous avez dit à d'autres occasions qu'il nous fallait faire preuve de patience et que si nous rétablissions tous les éléments essentiels, l'univers se déroulerait comme il se doit. Toutefois, l'univers du dollar ne semble pas se dérouler comme il se doit. Quelle explication pouvez-vous nous donner?

M. Thiessen: Je continuerais à dire qu'il faut faire preuve de patience. Une des choses les plus importantes à ne pas oublier est que nous comparons toujours notre dollar au dollar américain et que ce n'est pas un critère de comparaison objectif. C'est la devise du plus grand pays au monde et du pays qui réussit pratiquement le mieux au monde et de loin sur le plan économique. Il pousse constamment sa capacité de production et éclate presqu'aux coutures. Les États-Unis ont d'autre part enregistré les gains de productivité les plus remarquables de n'importe quel pays au monde tout en maintenant un très faible taux d'inflation.

Si vous considérez les trois éléments importants au sujet d'une devise, la demande par rapport à la capacité, la productivité et l'inflation, tous vous mènent à attendre un dollar américain extrêmement fort. C'est exactement ce que nous avons connu.

Le dollar canadien a quelque peu regagné du terrain sur ce dollar américain très fort, mais tant que l'économie américaine continuera à se développer, il sera difficile pour toute autre devise de gagner du terrain. C'est pourquoi je recommande souvent que l'on choisisse l'eurodollar comme critère de comparaison car notre devise se comporte assez bien face à lui.

Le sénateur Meighen: J'aimerais passer à votre rôle de star médiatique, monsieur le gouverneur. Il semble que certains Canadiens ne pensent pas que vous devriez faire continuellement des discours. Un journaliste national notamment mais, pour ma part, je pense qu'il est bon que vous preniez la parole et je ne peux que vous en féliciter. Je remarque d'ailleurs que vous n'êtes pas le seul à le faire. M. Greenspan aux États-Unis ne s'en prive pas non plus et fait continuellement des déclarations concernant la politique monétaire.

Si je ne m'abuse, son mandat est similaire au vôtre. Il a évidemment certaines responsabilités de supervision supplémentaires que nous confions pour notre part au BSIF. Toutefois, vous et lui avez un rôle assez similaire. J'aimerais vous rappeler une des déclarations qu'il a faites et qui semble avoir été largement commentée, et vous demander si vous êtes d'accord avec lui. En 1977, alors qu'il témoignait devant le comité sénatorial des banques des États-Unis, il a déclaré que l'effet principal de l'impôt sur les gains en capital était de limiter l'entrepreneuriat et la formation de capitaux. Sachant que tous les impôts freinent la croissance économique dans une certaine mesure, l'impôt sur les gains en capital arriverait en tête de liste. Il a même dit qu'à son avis le taux d'imposition approprié pour les gains en capital était zéro.

Je vous signale que notre comité a récemment tenu des audiences sur cette question, et je crois pouvoir dire sans crainte de me faire contredire que de façon quasiment unanime, on nous a déclaré que le Canada bénéficierait grandement d'une réduction importante des impôts sur les gains en capital. Le gouvernement a même fait un pas dans ce sens dans son dernier budget.

Le sénateur Oliver: Pas suffisamment.

Le sénateur Meighen: C'est une question d'opinion et je ne veux pas entraîner le gouverneur dans des questions d'opinion politique.

Convenez-vous avec nos témoins, monsieur, et avec moi et M. Greenspan, qu'une réduction sensible de l'impôt sur les gains en capital serait une excellente façon de promouvoir l'activité économique de notre pays, sans forcément entraîner d'inflation?

M. Thiessen: Sénateur, je suppose que vous ne serez pas surpris, m'ayant déjà entendu à ce sujet, que je vous dise qu'il me semble assez difficile d'entrer dans ce genre de débat qui renferme un élément de choix politique. Il est très délicat pour le gouverneur de la banque centrale de s'intéresser de trop près à ce genre de chose.

Je ne sais pas trop ce que dirait M. Greenspan aujourd'hui, mais en 1977 il n'était pas président de la Federal Reserve Bank.

Le sénateur Meighen: Ai-je dit 1977? Je voulais dire 1997.

Le sénateur Angus: Vous n'êtes pas pour autant sorti de l'auberge.

M. Thiessen: Je pensais que c'était une bonne façon de m'en sortir.

Le président: C'est ce que l'on appelle un piège.

M. Thiessen: Vous n'êtes pas censé changer de date au milieu de la question.

Le sénateur Meighen: C'est récent, monsieur le gouverneur.

M. Thiessen: Je trouve vraiment difficile, sénateur, de parler de ces questions. Je puis certainement dire que toute incitation est importante. Je ne suis pas un expert en matière d'incitation car ma responsabilité se limite en fait à la politique monétaire. Il s'agit de macroéconomie. Aussi, je ne puis faire office d'expert pour les autres questions. Je peux simplement dire que je crois que les questions d'impôt et d'incitatifs fiscaux sont importantes et doivent être examinées attentivement.

Le sénateur Meighen: M. Greenspan le peut et je sais que vous le pouvez aussi. J'attendrai vos déclarations régulières.

Le sénateur Fitzpatrick: Bienvenue, monsieur le gouverneur. Pour vous ce n'est pas une première mais, pour moi, c'est la première fois que je suis au comité des banques et j'espère que ma question ne vous semblera pas trop politique. Elle est très générale.

Je m'inquiète beaucoup du niveau de notre dette nationale qui s'élève à plus de 550 milliards de dollars, ce qui représente je crois environ 60 p. 100 de notre PNB et nous coûte plus de 40 milliards de dollars par an d'intérêt. Ce n'est peut-être pas grave en période de forte croissance économique et de déficit zéro. Toutefois, si l'économie continue à se développer, le chômage va diminuer. Si nous poursuivons une politique de dépenses accrues qui ajoute à la croissance économique et que nous devons faire face à la menace de l'inflation -- je crois que cela pourrait mener à une majoration des taux d'intérêt. Cela accroîtrait le coût du service de la dette, compliquerait la politique monétaire et mènerait peut-être à un ralentissement qui ferait diminuer les recettes gouvernementales, et cetera.

À votre avis, notre niveau d'endettement est-il acceptable étant donné la situation actuelle et les prévisions économiques ou devrions-nous rembourser la dette publique plus rapidement afin d'éviter de nous retrouver dans des difficultés économiques semblables à celles que nous connaissions il y a seulement quelques années?

M. Thiessen: Je dois admettre, sénateur, que je préfère parler de dettes que de taxes. La dette a vraiment des implications financières et des implications directes sur la politique monétaire. Au début des années 90, même si notre taux d'inflation commençait à diminuer, nous ne pouvions en profiter pleinement parce qu'on avait l'impression, sur la scène nationale et internationale, que la situation financière du Canada n'était pas bien contrôlée et que les niveaux d'endettement augmentaient. On n'avait pas l'impression que cela allait s'arrêter. Ce n'est qu'après les budgets fédéral et provinciaux de 1995, où le rapport dette-PIB a commencé à diminuer au Canada, que nous avons pu pleinement bénéficier du déclin de l'inflation. Je suis en effet convaincu que les niveaux d'endettement sont très importants.

J'avoue qu'il est difficile de donner une justification économique simple pour un rapport dette-PIB particulier. Toutefois, il me semble qu'il est extrêmement important pour nous de ne pas avoir des niveaux d'endettement qui nous rendent plus vulnérables que d'autres lorsque frappera la prochaine crise internationale -- et nous savons que nous n'en sommes jamais à l'abri -- car les investisseurs risqueraient de prendre peur et de fuir notre devise. Je serais donc certainement favorable à l'idée de poursuivre la réduction de notre dette.

D'autre part, si l'on considère l'avenir et le vieillissement de la génération d'après-guerre, on a un autre bon argument pour préconiser un taux d'endettement faible plutôt qu'élevé.

Le sénateur Oliver: Mon savant collègue a posé exactement la question que j'allais poser. J'y apporterai toutefois une nuance supplémentaire. À l'heure actuelle, la dette est d'environ 557 milliards de dollars. Si nous continuons à la rembourser au même rythme que cette année, c'est-à-dire avec des paiements de l'ordre de 3 milliards de dollars, il nous faudra 192 ans pour nous en acquitter. Est-ce assez rapide à votre avis?

M. Thiessen: Sénateur, je ne suis pas certain qu'il faille rembourser entièrement la dette, à moins que vous estimiez que le gouvernement fédéral ne possède pas d'actifs à long terme qui rapporteront des dividendes aux Canadiens au fil des ans. On pourrait dire qu'il est normal qu'il y ait un certain endettement en contrepartie de ces actifs de longue durée. Je serais toutefois d'accord pour que le niveau de la dette soit inférieur à ce qu'il est maintenant.

M. Malcolm Knight, premier sous-gouverneur, Banque du Canada: Sénateur, il ne faut pas voir le montant de la dette uniquement dans l'absolu, il faut aussi considérer la taille de l'économie. Au fur et à mesure que l'économie croît, le ratio de la dette par rapport au PIB diminue.

Cela dit, il est vrai qu'au Canada, le ratio dette-PIB est plus élevé que dans certains des autres pays du G-7. S'il y a un risque d'augmentation des taux d'intérêt, nous préférerions que le niveau de la dette soit moins élevé.

Le sénateur Oliver: Le service de la dette coûte actuellement 42 milliards de dollars par année. Si l'on devait augmenter le taux d'intérêt de 2 à 3 p. 100, serions-nous en mesure de supporter l'augmentation du coût du service de la dette?

Il y a aussi un autre type d'endettement dont je voudrais parler, et c'est celui des consommateurs. Au cours des dernières années, l'endettement des ménages a beaucoup augmenté. Cet endettement atteint maintenant au total près de 600 milliards de dollars, ce qui représente une augmentation de 40 milliards de dollars par rapport à l'an dernier et de 200 milliards de dollars par rapport à 1993. En fait, on a passé un seuil critique l'été dernier. Si on additionne tout ce qui est dû en hypothèques, en cartes de crédit, en prêts étudiants, en prêts automobiles, etc, on constate que les Canadiens sont actuellement plus endettés que le gouvernement. Le niveau actuel d'endettement des ménages vous inquiète-t-il, monsieur le gouverneur? Vous inquiétez-vous de ce que l'endettement personnel soit aussi élevé, de ce que les conséquences d'une augmentation du taux d'intérêt risquent d'être plus mortelles encore que par le passé?

M. Thiessen: Il m'est bien difficile de répondre à cette question. Les niveaux d'endettement ont augmenté progressivement depuis la fin de la guerre. Il est difficile de savoir quels degrés d'endettement dépasseraient la capacité des ménages, mais nous avons fait un certain nombre d'études à ce sujet. Nous avons comparé les degrés d'endettement aux revenus et à la valeur nette des ménages. Si l'on compare le degré d'endettement à la valeur nette, on se rend compte que ce n'est pas mauvais du tout. Enfin, si l'on compare l'actif et le passif, la valeur nette des ménages semble continuer à augmenter. Autrement dit, l'avoir des gens augmente plus rapidement que leur endettement, et cela me rassure grandement.

Je suis très heureux, sénateur, de nos faibles taux d'intérêt actuels. Cela est dû au fait que notre taux d'inflation est faible également. Il arrive à l'occasion que les taux d'intérêt doivent augmenter, mais ils n'atteindront plus jamais les niveaux des années 70 et 80, tant que nous conserverons de faibles taux d'inflation. Nous n'aurons plus les taux d'intérêt qui ont tant affligé les gens dans les années 80 et 81, à l'époque où les taux hypothécaires avaient atteint les 25 p. 100, tant que la banque réussira à contenir l'inflation. Nous y sommes absolument déterminés.

Le sénateur Oliver: Nous le savons, monsieur le gouverneur, par vos expériences antérieures.

Le sénateur Grafstein: Je suis ravi de siéger de nouveau à ce comité. Je n'en suis pas membre, mais je suis invité occasionnellement à assister aux réunions et, dans ce cas-ci, à échanger quelques idées avec vous.

Je tiens à vous rappeler, monsieur le gouverneur, que le sénateur Bolduc et moi avions soulevé la question de l'euro il y a quelques années. Le Sénat avait prédit que l'euro serait plus faible que les devises américaines et canadiennes. La prophétie du comité du Sénat s'est maintenant réalisée, pour le plus grand profit du commerce européen. Je tenais à vous le rappeler parce que nous avions eu une discussion très intéressante à cette époque. Ce n'est pas la question que j'avais à vous poser, mais vous pouvez me dire ce que vous en pensez.

Ma question est en deux volets. Elle porte sur la nouvelle économie et sur la confusion que ressentent ceux d'entre nous qui se sentent plus à l'aise dans l'ancienne économie. Il semble qu'il y ait presque un problème de division entre la répartition des éléments de l'économie, entre la nouvelle économie et l'ancienne. La nouvelle économie a-t-elle modifié l'orientation de la politique monétaire de la banque, compte tenu spécialement de ce qu'a dit M. Greenspan à ce sujet? Êtes-vous étonné par la capacité de l'économie canadienne de conserver un faible taux d'inflation et des taux élevés d'utilisation des capitaux? Autrement dit, y a-t-il un risque que la politique monétaire corresponde davantage à l'ancienne économique qu'à la nouvelle?

M. Thiessen: Je vous répondrai bien sûr par la négative, la politique est adéquate.

Il ne fait aucun doute que des choses intéressantes se produisent. Comme je l'ai dit dans ma déclaration préliminaire, les investissements dans la machinerie, l'équipement ou la technologie ont augmenté énormément au Canada en proportion de notre PIB, et cela depuis 1996. Illustrée en tableau, on constate que la situation est remarquablement similaire à ce qui s'est produit aux États-Unis en 1992. Même si les investissements sont encore plus faibles au Canada qu'aux États-Unis, ils sont semblables à ce qu'ils étaient aux États-Unis à un moment semblable.

Nous savons que les investissements aux États-Unis ont produit des gains de productivité remarquables -- pas immédiatement, mais un peu plus tard. Quelques années plus tard, les États-Unis semblent maintenant tirer les fruits de ces investissements. Cela m'amène à croire qu'il se produit quelque chose d'assez particulier.

Je dois toutefois vous dire, sénateurs, que même si notre productivité et notre rendement semblent s'être améliorés durant toute l'année 1999, ils ne sont pas encore suffisamment solides pour laisser entrevoir de nouveaux développements.

Il s'agit encore de prévisions; mes collègues et moi surveillons cela de très près, car il ne fait aucun doute que nous voulons veiller à ce que notre économie puisse tirer tous les avantages possibles de ces gains de productivité éventuels. C'est l'un des domaines où nos objectifs en matière d'inflation nous sont très favorables. Si le taux d'inflation est moins élevé que prévu, dans le bas de l'échelle que nous visons, nous sommes davantage prêts à laisser l'économie connaître une expansion rapide que ne serait le cas si le taux était élevé, c'est-à-dire au haut de notre échelle. Le taux d'inflation nous indique qu'il se produit quelque chose.

Vous avez raison. Le taux d'inflation est inférieur à ce que nous nous attendions et c'est un indice intéressant. Nous suivons la question d'aussi près que possible. Nous suivons tous les indices que nous pouvons trouver afin de bien comprendre ce qui se produit. Mais les gains réels sont encore à venir.

Le sénateur Grafstein: Ma question supplémentaire porte sur l'affectation des capitaux dans la nouvelle économie pour créer des gains d'efficacité. Je ne veux nommer personne, mais nous avons pu lire récemment dans les journaux que des organismes dotés de capitaux importants, comme des fonds de pension, prennent des décisions plus ou moins appropriées en fonction de l'économie. Je m'inquiète de ce que ces fonds confèrent désormais de trop grands pouvoirs. Je ne sais pas ce que vous en pensez. Je comprendrai que vous ne veuillez pas faire d'observation à ce sujet.

M. Thiessen: Il est très difficile de commenter cela, sénateur. Il ne fait aucun doute qu'il y a actuellement des accumulations de trésorerie importantes, mais elles ne sont pas aussi importantes que par le passé. Je dois dire, cependant, que cela ne pose pas encore de problème. Y en aura-t-il à l'avenir? C'est une bonne question, mais je n'ai pas vraiment d'opinion à ce sujet, sénateur.

Le sénateur Angus: Bonjour, monsieur le gouverneur, et bienvenue. Votre comparution tombe fort à propos compte tenu des événements. J'ai été intéressé de voir que dans vos remarques, vous avez traité d'emblée de mes sujets préférés. Je n'aurai donc pas à en discuter puisque, comme vous l'avez dit, les éléments fondamentaux de l'économie canadienne continuent de très bien se porter d'après vous. Vous n'êtes pas en faveur de l'alignement de notre dollar sur le dollar américain, même si certains ne sont pas de votre avis.

Je vais donc passer à un sujet plus contemporain. Je manquerais à mon devoir si je ne vous posais pas de questions au sujet de l'activité des marchés au cours des derniers jours. Prévoyez-vous que les fluctuations frénétiques du marché, au cours des derniers jours, auront des effets importants, bons ou mauvais, sur l'économie?

J'ai remarqué que le sénateur Grafstein a parlé de la «nouvelle économie», et c'est une expression qu'on entend beaucoup de nos jours. J'ai entendu récemment des commentaires intéressants d'un économiste éclairé qui demandait ce qu'on entend par la nouvelle économie. Il disait qu'il n'y a qu'une économie. Vous pouvez répondre à ma question dans le contexte de cette activité de marché et de ses fluctuations prononcées qui semblent liées aux valeurs mobilières transigées sur l'Internet et à tout ce qu'on appelle la nouvelle économie.

M. Thiessen: Ce n'est pas très logique de dire qu'il y avait une ancienne économie et qu'il y en a maintenant une nouvelle, que l'ancienne est mauvaise et que la nouvelle est meilleure. Il ne fait toutefois aucun doute qu'il y a de grands changements technologiques dans le monde et au Canada. Ces changements sont en effet très importants. De nombreuses sociétés, vieilles et nouvelles, sont en train de tirer parti de cette évolution technologique. Toutefois, puisque cette évolution est rapide, il est très difficile de prédire quels seront les gains futurs de ces sociétés -- qu'il s'agisse des anciennes qui profitent de la technologie ou des sociétés nouvelles. Tout cela produira, par définition, des fluctuations sur le marché boursier, puisque tous les nouveaux éléments d'information montrant ces gains futurs influent sur la valeur des actions. Je ne suis donc pas du tout étonné de ces fluctuations. Sous cet angle, le redressement que nous avons constaté peut être très positif. Il amène les gens à réévaluer les gains futurs et à se demander une fois de plus quelle est la valeur actuelle des actions et combien ils sont prêts à payer. Cela est fort bien.

Tout cela a-t-il des conséquences pour l'économie? Oui, bien sûr, si cela nous amène une croissance rapide du taux de productivité, comme celle qu'on a connue aux États-Unis. Ce sera en effet très important. Cela entraînera une augmentation des revenus, et nous n'en avons pas vraiment eue au cours des dernières années.

Il y a parfois des indices qui me rappellent un peu les années 50, quand il y avait eu d'énormes changements technologiques et qu'au Canada, comme partout ailleurs au monde, les gens avaient utilisé en temps de paix des technologies élaborées durant la Deuxième guerre mondiale. Cela avait permis des gains de productivité très rapides.

Ce qui est essentiel, du point de vue de la politique monétaire, c'est d'être prudent dans la prévision de ces gains. Si nous commettons l'erreur d'appliquer une politique monétaire trop relâchée, en prévision de ces merveilleux gains à venir, et si ces gains ne se concrétisent pas, nous pourrions nous retrouver en pleine inflation. Dans ce cas, il y aurait une augmentation des taux d'intérêt -- pas seulement des taux d'intérêt sur lesquels nous pouvons influer, mais sur tous les taux. Cela découragerait fortement les nouveaux investissements, et c'est une situation que nous voulons éviter. Nous devons être très prudents dans notre approche.

Je dois vous dire, sénateur, que quelque chose s'en vient. Que l'on parle de nouvelle économie ou non, nous sommes au coeur d'une grande évolution technologique. Si les Canadiens en profitent pleinement, il y aura des gains de productivité et de revenus supérieurs à ce que nous avons eu depuis longtemps.

Le sénateur Angus: Je trouve votre réponse intéressante, monsieur, surtout quand vous parlez, pour le Canada, de profiter pleinement de cette évolution technologique. Nous avons déjà discuté avec vous de cet écart, si on veut l'appeler ainsi, entre le Canada et notre voisin du Sud pour ce qui est d'adopter et de profiter pleinement de la nouvelle économie et de cette évolution. En fait, au cours de la dernière année, notre comité a entendu des témoignages disant que le retard du Canada par rapport aux États-Unis pourrait atteindre les 18 p. 100 en ce qui a trait à l'Internet et au commerce électronique.

À votre avis, où en sommes-nous maintenant dans ce domaine? Croyez-vous que la situation s'améliore au Canada? Cela nous amène au sujet dont nous avons discuté vous et moi l'an dernier, et dont vous aviez également parlé à mes collègues sénateurs -- c'est-à-dire le Canada a-t-il ou non une devise qui repose sur les produits de base. Il me semble y avoir un lien et j'aimerais savoir ce que vous en pensez.

M. Thiessen: Je dois avouer que c'est dur à dire. Il n'existe pas de statistiques très utiles dans ce domaine.

D'après les statistiques sur l'accès à l'Internet, il semble que les États-Unis soient les seuls à nous damer le pion et que nous soyons bien en avance sur les autres, du moins pour ce qui est des grands pays. Je ne suis pas certain de ce que cela signifie et si cela permet vraiment de savoir si nous profitons pleinement de cette nouvelle technologie. Il semble, et j'insiste sur le mot «semble», sénateur, que les plus grands gains se feront surtout dans les relations entre entreprises, du moins à cette étape-ci. Il est très difficile de savoir dans quelle mesure cela se produit au Canada et s'il y a un écart important par rapport aux États-Unis. Tous les autres pays du monde ont du retard par rapport aux États-Unis, puisqu'ils sont en tête de peloton. Ce qu'il faudrait savoir, c'est si ce retard est supérieur à ce qu'il devrait être, et cela est difficile de l'évaluer.

Sénateur, je puis vous répéter l'information anecdotique que je recueille lors de mes discussions avec les entreprises. Les entreprises parlent toutes de ce qu'elles font et du profit qu'elles tireront de la nouvelle technologie.

Le sénateur Angus: Je trouve votre réponse très utile et je vous en remercie.

Le sénateur Furey: J'ai une toute petite question, gouverneur, dans la même veine que celle du sénateur Angus. Certains nous ont dit que nous avons un tel retard dans le commerce électronique, par rapport aux États-Unis, que nous ne pourrons jamais le rattraper. J'aimerais savoir ce que vous en pensez.

Vous pourriez peut-être nous dire également en général comment on pourrait améliorer le marché canadien du capital-risque.

M. Thiessen: Il me semble exagéré de dire que notre retard est si grand que nous ne pourrons jamais le rattraper. Nous sommes tous derrière les États-Unis, c'est certain, mais je ne suis pas d'accord avec l'idée que nous ne puissions jamais les rattraper. Ce n'est pas vrai.

De nos jours, les gens savent exactement ce que cela signifiera pour l'avenir. Nous sommes encore au beau milieu d'une évolution énorme, et les gens découvrent de nouvelles façons de profiter de l'Internet. Les prévisions de l'an dernier sur l'avenir du commerce électronique ne valent peut-être plus aujourd'hui. Il est très difficile de faire de telles déclarations.

Pour ce qui est du capital-risque, je ne crois pas que je puisse vous proposer de solution, sénateur. L'une des grandes forces des États-Unis a été la souplesse du financement des entreprises qui se lançaient dans le domaine de la haute technologie. Cela est dû en grande partie aux «anges» de Silicon Valley, ces gens de l'industrie de la haute technologie qui ont gagné beaucoup d'argent et qui étaient prêts à réinvestir dans cette industrie. Cela se fait également au Canada mais, bien sûr, nous n'avons pas autant de créateurs d'entreprises prospères.

Autre chose qui semble aussi s'être produit aux États-Unis, c'est que certains éléments du secteur des institutions financières se sont associés aux anges en se nourrissant pour ainsi dire de renseignements d'initiés. Je ne sais pas dans quelle mesure c'est le cas au Canada, mais je dirais qu'il y a là quelque chose.

Il est très important d'examiner attentivement le système financier parce qu'on n'obtient pas le genre de rendement économique que connaissent les Américains dans une économie très complexe sans un secteur financier qui fonctionne très bien, même si c'est parfois un peu vague, comme les anges. Il doit bien fonctionner.

Le sénateur Tkachuk: Bienvenue, monsieur le gouverneur. La faiblesse du dollar canadien continue à m'inquiéter comme beaucoup d'entre nous qui vivons dans les régions importatrices du pays.

On a débattu ces dernières années de l'idée d'une devise nord-américaine. On dit souvent au Canada que nous ne pouvons envisager cela du fait de considérations de souveraineté et de symbolisme. J'aimerais que vous oubliez cela un instant et que vous me donniez votre avis sur ce que pourrait représenter pour le simple citoyen canadien une devise nord-américaine. Si nous utilisions ici le dollar américain, en quoi cela améliorerait ou empirerait les choses pour le Canadien moyen?

M. Thiessen: Il ne fait aucun doute que lorsqu'on élimine les différences entre les devises, toutes les transactions transfrontalières deviennent légèrement plus simples. Il n'y a pas à traduire les prix ou les moyens de règlement d'une devise à l'autre. Cela réduit certainement le coût de toute transaction transfrontalière. C'est certainement là le principal attrait d'une devise commune.

Le revers de la médaille est que fréquemment au Canada, les situations qui nous touchent sont un peu différentes de celles qui touchent les États-Unis. Même lorsque nous sommes les uns et les autres frappés par le même événement, l'effet est différent sur notre économie et sur la leur.

Je fais allusion dans ma déclaration liminaire à la crise financière asiatique et à l'effet qu'elle avait eu sur le prix des marchandises. Même si les produits primaires prennent moins de place aujourd'hui dans l'économie canadienne, ils demeurent un élément important de nos exportations. Lorsque les prix chutent de 20 p. 100, comme ils l'ont fait pour les matières premières produites au Canada entre le milieu de 1997 et la fin de 1998, cela a un effet négatif sérieux sur notre économie, et en particulier sur les régions qui dépendent toujours fortement du secteur primaire comme l'ouest du Canada, la Colombie-Britannique, le nord de l'Ontario et certaines régions des Maritimes. Lorsque ces prix chutent, le Canada souffre.

Il est également vrai que nos recettes à l'exportation diminuent parce que nous ne recevons pas autant pour nos exportations de matières premières. Si nous avons un déficit de notre balance des paiements, il augmente. Nous n'avons pas le choix, nous devons nous adapter. Nous devons accepter un niveau de vie moindre et le fait que certaines de nos exportations ne seraient plus aussi profitables qu'elles ne l'étaient.

Comme en 1997-1998, notre devise flotte à la baisse pour refléter cette nouvelle réalité. Cela encourage notre économie à se réorienter vers les secteurs secondaires et autres. Au Canada, lorsque nous avons été frappés ainsi, notre économie a commencé à exporter davantage de produits transformés et d'autres marchandises, en particulier vers les États-Unis, afin de compenser ces autres pertes.

Si l'on n'a pas ce coup de pouce que donne une devise plus faible, l'ajustement prend plus longtemps. De façon générale, les salaires doivent diminuer au Canada si nous voulons être plus compétitifs et exporter davantage d'autres produits à l'étranger. Ce peut être un processus très pénible. En général, les salaires ne diminuent qu'en période de récession. Avec notre devise flottante, nous avons réussi à éviter une récession suite à ce choc. Comme je le disais dans ma déclaration liminaire, nous nous sommes trouvés en 1999 avec une économie qui se développait très bien.

Tant que nous avons une situation où ces chocs qui ont frappé le Canada sont différents de ceux que connaissent les États-Unis ou nous touchent différemment, je pense qu'il est très utile d'avoir une devise flottante.

Le sénateur Tkachuk: Je ne suis pas sûr que vous ayez répondu à ma question. La différence entre notre dollar et celui des Américains maintient en fait les capitaux dans des secteurs qui sont en difficulté. Autrement dit, lorsque les prix des marchandises chutent et que le dollar tombe, on continue à exporter vers les États-Unis à un niveau qui présente des avantages économiques pour le Canada plutôt que de pousser le capital vers de nouvelles formes d'économie. Peut-être que le réajustement à court terme serait pénible, mais je pense que ce serait mieux à long terme.

C'est probablement la raison pour laquelle nous sommes tous un peu perdus. Tout semble aller très bien, mais notre dollar est à 68 cents. Peut-être avons-nous là une subvention permanente et continuons-nous ainsi à investir dans la vieille économie alors que le monde avance. Avec cette différence dans notre dollar, nous continuons à prendre du retard.

M. Thiessen: Imaginez que nous ayons eu un taux de change fixe durant cette même période. Nous sommes frappés par ce choc, les prix de nos exportations chutent, nous avons un déficit plus important dans nos échanges et il y a une forte pression à la baisse sur le dollar canadien, mais celui-ci doit rester fixe. Cela signifie que la banque doit relever les taux d'intérêts pour maintenir la parité du dollar canadien avec le dollar américain. Cela provoque une récession au Canada, et je ne pense pas que ce soit très facile non plus pour la population. Avec des taux d'intérêts élevés et une récession, il faut un certain temps pour que les entreprises déclarent: «Parfait, il nous faut réagir.» Le processus est finalement plus pénible.

Je ne crois pas ce soit tout simplement parce que nous aurions une devise fixe, que nous réussirions à nous adapter plus rapidement et à faire face aux problèmes plus efficacement. Du moins, je ne vois pas comment cela se ferait.

M. Knight: Monsieur le président, je voudrais ajouter une chose à ce que disait le sénateur Tkachuk à propos de la redistribution des capitaux. Je crois que 1998 et 1999 nous donnent un bon exemple parce que c'est à ce moment que les prix des marchandises ont diminué. Il est vrai que la dépréciation du taux de change a amorti les gains à l'exportation par rapport à ce qu'ils auraient pu être si le taux de change était resté fixe. Toutefois, étant donné que le prix des produits transformés n'a pas décliné au cours de cette période, la poussée a transféré des ressources dans le secteur secondaire. Nos exportations de produits transformés ont beaucoup augmenté en 1999. Cela a considérablement aidé l'économie et a mené à une redistribution des capitaux et des investissements vers ces secteurs.

[Français]

Le sénateur Poulin: Je tiens à vous féliciter, tout comme l'a fait le sénateur Meighen, de l'accessiblité que vous démontrez aux Canadiens, en dépit des critiques de certains journalistes et d'un certain journal que nous ne nommerons pas. Les Canadiens veulent comprendre l'impact de la politique monétaire sur le dollar pour lequel ils travaillent de plus en plus fort.

Ma question touche la nouvelle économie. Il y a quelques mois, j'ai déposé au Sénat une étude intitulée «Au fil du progrès», qui analyse le positionnement du Canada dans le nouveau monde des communications.

[Traduction]

Tous les témoins nous ont parlé de l'incidence de ces nouvelles communications et de la chute des barrières géographiques, ainsi que de l'adaptation nécessaire. Je vais vous interroger sur votre vision de la participation du Canada, mais j'ai l'impression que vous avez tellement bien répondu à la question du sénateur Angus qu'il est inutile que je continue là-dessus.

Je reviendrai donc à la productivité et à l'emploi. Je pensais aux jeunes créateurs d'entreprises, comme dans le nord de l'Ontario d'où je viens, qui ont la créativité et la motivation nécessaires pour lancer de nouvelles entreprises et offrir des produits ou des services n'importe où dans le monde. En quoi la politique monétaire encourage-t-elle, aide-t-elle ou soutient-elle cette nouvelle façon de faire des affaires? Ces jeunes ont une bonne formation et veulent vraiment travailler dans leur région sans devoir nécessairement déménager dans une grande ville. En quoi notre politique monétaire nous aide-t-elle sur les marchés internationaux?

M. Thiessen: La politique monétaire a évidemment des effets nationaux très larges. Si elle aide, je crois que c'est en maintenant les taux d'intérêts à un niveau faible. Tant que le taux d'inflation reste faible, nous maintenons des taux d'intérêts faibles. Cela veut dire que le coût d'emprunt -- mais également le coût d'émission de capitaux -- est inférieur à ce qu'il serait autrement. C'est un élément extrêmement important pour encourager les entreprises. Très peu de gens d'affaires peuvent financer toutes leurs activités. Ils ont besoin de moyens de financement. En période de forte inflation et de taux d'intérêts élevés, la plupart des bailleurs de fonds -- la plupart des investisseurs et des épargnants ordinaires -- prennent peur. On s'inquiète tellement de la valeur de son épargne qu'on est moins prêt à investir et qu'on n'est certainement pas prêt à prendre tellement de risques. Ainsi aboutit-on à des taux d'intérêts très élevés et à des taux d'inflation également très élevés. La politique monétaire est donc très importante à cet égard. Ce n'est pas tout à fait par hasard que ce qui s'est passé aux États-Unis s'est passé en période de faible inflation et de taux d'intérêts très bas.

Le sénateur Poulin: Mes collègues, les sénateurs Furey et Grafstein, ont parlé des fonds de capital-risque. Comment pouvez-vous systématiser la volonté de ceux qui y investissent d'adopter ces nouvelles entreprises, dans la nouvelle économie? Nous ne voulons pas que vous soyez nécessairement un ange gardien, mais nous nous attendons à ce qu'il y ait de bonnes politiques et une bonne structure économique.

M. Thiessen: Je ne vois pas très bien quelle peut être précisément la contribution de la politique monétaire dans ce domaine. Dans une certaine mesure, c'est une question d'apprentissage. Pour chaque lancement d'entreprise réussi, un autre investisseur est prêt à prendre des risques dans ce secteur. C'est ce qui est arrivé à Silicon Valley, aux États-Unis, dans une certaine mesure. Les choses ne sont pas arrivées du jour au lendemain, elles ont évolué avec le temps. Chaque réussite encourageait d'autres investisseurs à prendre des risques. Je ne vois pas très bien comment faire autrement, bien franchement.

Mme Sheryl Kennedy, sous-gouverneure, Banque du Canada: J'aimerais formuler un commentaire sur quelque chose qui s'éloigne un peu, mais pas complètement, de la politique monétaire. Quand on se rend dans ces collectivités canadiennes où, comme vous le dites, des entreprises du secteur des nouvelles technologies sont créées, on constate que beaucoup de gens qui y travaillent sont bien ancrés dans la collectivité locale. Il y a toutefois une bonne mobilité dans l'économie. Si on considère ce qui est arrivé tout dernièrement -- et traditionnellement -- aux États-Unis, il y a là aussi une grande mobilité dans ce secteur de l'économie. Il semblerait que le capital d'investissement soit lui aussi mobile. Les gens quittent une entreprise ici et vont travailler ailleurs, pour une grande entreprise, mais quand ils reviennent chez eux, ils ramènent avec eux leurs contacts et leurs sources de fonds d'investissement qui, comme le disait le gouverneur, constituent en fin de compte un amalgame des sources plus traditionnelles et de ses anges particuliers ou de ces sources d'investissement d'entreprises. Si on ajoute à cela une faible inflation et de faibles taux d'intérêt, les gens sont prêts à investir et on commence à voir l'émergence de pôles d'attraction.

Le sénateur Kelleher: Bienvenue encore une fois. Monsieur le gouverneur, je remarque dans votre exposé que vous parliez d'un thème dont nous nous étions entretenus l'an dernier, l'écart dans la productivité.

Les partisans de l'union monétaire avec les États-Unis prétendent notamment que les Canadiens se sont servis de la dévaluation du dollar canadien comme écran entre eux et le marché. Ils prétendent qu'un dollar faible camoufle la faible productivité, surtout en comparaison avec notre principal partenaire commercial, notre voisin du sud. C'est l'argument qu'a avancé le Conseil canadien des chefs d'entreprises mardi dernier.

Monsieur le gouverneur, croyez-vous qu'il y ait un lien entre la faiblesse du dollar canadien et notre manque de compétitivité au niveau international? Est-ce que des faits donnent à croire que des entreprises ou des secteurs de notre économie se cachent derrière un dollar faible pour protéger leur marché national contre des importations ou pour gruger des parts de marché aux États-Unis?

M. Thiessen: Je dois dire qu'il y a certainement un lien entre la valeur du dollar et la productivité. Je crois toutefois que les choses ne vont pas dans le sens que vous décrivez, monsieur le sénateur.

Si notre productivité n'augmente pas aussi rapidement que celle des États-Unis, la valeur du dollar américain s'en trouvera renforcée par rapport au dollar canadien. Il ne faut pas voir les choses dans l'autre sens. Ce n'est pas le dollar qui a un effet sur la productivité, c'est la productivité qui a un effet sur le dollar.

J'ai bien du mal à accepter l'argument selon lequel la dévaluation du dollar camoufle une faible productivité. Si c'est vrai, je dois dire que c'est bien malheureux pour notre milieu des affaires. Je crois que notre milieu des affaires et ses interactions avec l'économie mondiale sont suffisamment forts pour qu'il y ait de la concurrence sur la plupart des marchés. Dans un milieu concurrentiel, il est impossible de dire: «Eh bien, le dollar est faible. Je suis un exportateur. J'accepte le prix international et maintenant, le prix en dollar canadien est un peu plus élevé parce que notre devise s'est affaiblie. Cela me donne un peu plus de profits et je ne travaillerai pas trop fort pour augmenter la productivité, ni pour réduire mes coûts de production.»

Bon sang, si vous faisiez cela et si je faisais partie de votre conseil d'administration, je vous tomberais dessus à bras raccourcis, craignant que la concurrence ne fasse pas de même. Si vous cherchez des gains de productivité, comme on est censé le faire dans un milieu concurrentiel, si vous cherchez à réduire vos coûts, votre part du marché s'amenuisera et votre conseil d'administration sera très mécontent. Je ne pense pas que le milieu des affaires fonctionne ainsi et les choses ne se passent certainement pas ainsi avec la mondialisation.

Les gens d'affaires vont tous vous dire: «On nous fait la vie dure. La concurrence est féroce.» Les entreprises sont certainement incitées à trouver tous les gains de productivité possibles, le plus rapidement possible, et je doute que quiconque puisse se cacher derrière la faiblesse du dollar.

[Français]

Le sénateur Hervieux-Payette: Monsieur le gouverneur, j'avais promis d'être dure avec mes questions mais c'était une petite blague. Au début de la semaine, des événements se sont déroulés que l'on pouvait peut-être prévoir. Les effets de la décision des tribunaux américains dans l'affaire Microsoft se sont fait sentir à la bourse canadienne et américaine. On disait que dans une seule semaine, on avait enregistré une perte de 30 milliards de dollars. On sait que la plupart des portefeuilles de nos fonds de pension contiennent des actions de Microsoft. Il y aura bientôt un jugement final et nous saurons si la compagnie devra subir un démantèlement.

Certains individus ont aussi joué sur marge en empruntant pour investir dans une compagnie. Le retour sur l'investissement dans une compagnie qui risque d'être démantelée ne serait pas très important pour ces investisseurs. Je considère cela dans une perspective globale. On a une méga-entreprise qui, tout en n'étant pas le résultat d'une fusion entre deux grands, mangeait tous les petits. La tendance est à une concentration dans le domaine des télécommunications, dans le domaine pharmaceutique, par exemple. Ces mouvements de concentration demandent énormément de capitaux qui ne sont pas investis ailleurs et qui n'augmentent pas la productivité de ces entreprises. L'inquiétude que j'ai -- et je me demande si vous partagez cette inquiétude -- c'est de revoir le scénario que nous avons constaté au Japon. La situation n'est pas identique. Il semblait qu'on avait délaissé les normes traditionnelles et qu'on n'avait pas été prudents. Quel avis donneriez-vous à des parlementaires devant cette tendance à la création de méga-entreprises dans des secteurs vitaux aussi importants que le haute technologie, les télécommunications, le domaine pharmaceutique, où le Canada investit beaucoup dans cette économie nouvelle? La décision de juin qui affectera Microsoft aura-t-elle un impact, un effet d'entraînement dommageable pour nos économies et entraînera-t-elle des hausses des taux d'intérêt et des difficultés pour l'économie canadienne et nord-américaine?

M. Thiessen: Il est difficile de dire si les fusions sont efficaces ou non, si elles vont créer des gains de productivité ou non. Toutefois, les coûts des changements de technologie sont énormes. Je comprends bien pourquoi les compagnies désirent être assez importantes pour pouvoir investir dans les nouvelles technologies. Toutes les fusions sont-elles nécessaires? Je ne le sais pas. Dans le cas de Microsoft, je crois que le gouvernement américain va regarder de très près si le démantèlement de cette entreprise serait une bonne idée. Je n'en suis pas du tout certain. Je crois qu'ils essaieront de contraindre un peu les activités de Microsoft, de limiter la possibilité pour cette entreprise de créer des petits monopoles. Je crois que le démantèlement de cette entreprise serait un très grand risque.

Il est difficile de répondre à votre question parce que lorsqu'on regarde dans le monde, on peut voir des fusions partout. Il est très difficile pour nous de dire si elles sont nécessaires ou non. Je ne suis pas certain.

Mme Kennedy: Nous venons de parler des «startup» dans le domaine de la haute technologie. Nous avons les deux tendances: d'une part, nour retrouvons des forces pour la concentration où on a besoin des économies d'échelle pour faire de grands investissements mais, d'autre part, nous devons assurer l'innovation et développer de nouvelles idées et se rendre compte que les petites entreprises dans ces domaines sont également très importantes. Ce n'est pas seulement difficile de déterminer quels seront les points forts et les problèmes de ces fusions. On constate cependant ces deux développements.

Vous avez aussi mentionné l'aspect de l'investissement à marge dans les bourses. Nous avons les statistiques de la fin de 1999, où l'on voit qu'au Canada, environ 1 p. 100 du revenu disponible personnel fait partie du portefeuille des équités des individus canadiens. Les institutions ont certaines restrictions et on s'assure que les gens qui jouent sur marge ont un portefeuille assez diversifié. Cela aide à gérer les risques. Au Canada, c'est peut-être un tiers du 1 p. 100 du revenu disponible, c'est 3,6 ou 3,7 aux États-Unis au cours de la même période.

[Traduction]

Le président: Que voulez-vous dire par une marge de 1 p. 100?

Mme Kennedy: Un pour cent du revenu disponible des particuliers investi en bourse est acheté sur marge, ce qui représente 1,2 p. 100 de tout l'actif des portefeuilles d'actions des Canadiens.

Le président: Y compris leurs maisons et tout le reste?

Mme Kennedy: Je parle de leurs portefeuilles de valeurs mobilières dont 1,2 p. 100 sont achetées sur marge.

[Français]

Le sénateur Bolduc: Vous avez dit dans votre texte que:

[Traduction]

Cette incertitude soulève d'importantes questions pour la politique monétaire, surtout quand on sait que d'après certains étalons, l'économie canadienne roule actuellement au maximum de sa capacité et même au-dessus.

[Français]

J'ai des doutes quant à cette affirmation. On semble prendre pour acquis que le taux de participation dans l'économie est fixe alors qu'aux États-Unis, depuis 1960, à chaque décennie, il y a eu une augmentation de 2 p. 100 du taux de participation au travail. Cela veut dire qu'ils sont passés de 58 p. 100 de travailleurs jusqu'à 68 p. 100 de nos jours. Au Canada, on a eu ce phénomène mais le taux de participation n'est pas le même. Si ma mémoire est bonne, je pense qu'on est à 66 p. 100, 2 p. 100 de moins qu'eux. C'est énorme. C'est ce qui fait qu'on n'a pas de problème d'inflation. Il n'y a pas de danger immédiat d'inflation à cause de cela.

Étant donné cette situation, vous avez dit qu'en 1999, on avait eu une croissance de productivité assez importante. En fait, on suit les Américains sans les rattraper. Je vous ferai remarquer que ce phénomène a été remarqué vraiment au cours de la dernière année. C'était différent avant. On a un bon décalage par rapport à eux. Si le taux de change est à 68, 69 cents, cela signifie que lorsqu'on importe de la machinerie pour des nouveaux investissements, c'est plus cher. Est-ce qu'on peut maintenir, étant donné que cela nous coûte plus cher pour importer parce que le dollar est bas, un taux de productivité qui provient en bonne partie de ces acquisitions, l'autre partie provenant de la main-d'oeuvre plus qualifiée?

M. Thiessen: Certainement, les profits possibles sur un investissement dans les hautes technologies sont très élevés. Avec un taux d'intérêt très bas et même avec un taux de change très bas, cela n'empêche pas les investisseurs d'importer l'équipement et la machinerie nécessaires. Je ne crois pas que cela empêchera l'investissement.

Le sénateur Bolduc: Si ce n'est pas de ce côté qu'on a un problème pour accroître notre productivité, cela veut dire que c'est dans le venture capital management. On remarque souvent aux États-Unis des banques spécialisées pour General Electric ou Microsoft. Ceux qui gèrent ce capital ont déjà travaillé dans ces compagnies. Il y a une sorte de réseau que nous n'avons pas au Canada. Est-ce que c'est de ce côté qu'il faudrait chercher à améliorer la situation?

M. Thiessen: Je crois qu'il existe un tel réseau au Canada. Est-il aussi important qu'aux États-Unis? Probablement pas, mais il existe au Canada.

Pour ce qui est du taux de participation, vous avez raison. Si on a un taux de participation plus élevé, on peut avoir un taux de croissance dans notre économie plus élevé. Mais on n'est pas certain du taux de participation possible optimal.

Le sénateur Bolduc: Optimal?

M. Thiessen: On ne le sait pas. Il faut regarder cela de très près, mais ce n'est pas une bonne idée d'émettre l'hypothèse que cela va augmenter.

Le sénateur Bolduc: Avec la fiscalité canadienne, vous admettrez que les incitatifs dans le domaine des corporations et du personnel ne sont pas très forts pour ramener les gens au travail.

M. Thiessen: Il faut toujours regarder les incitatifs, oui.

[Traduction]

Le président: J'ai une brève question. Vous n'y répondrez probablement pas, mais nous aurions tort de ne pas vous demander si la Banque du Canada veut réagir au barrage de critiques formulées par le CCCE.

M. Thiessen: Probablement pas, monsieur le président. Sans revenir nécessairement sur les commentaires du CCCE ou de quiconque, il faut certainement insister sur l'importance qu'il y a de comprendre la très grande complexité de l'économie. On trouve rarement des solutions simples pour la faire mieux marcher, et il n'y a certainement jamais de solution miracle. Il faut vraiment envisager toute une gamme de questions. Nous devons le faire. La fiscalité est très importante. Les mesures incitatives, comme vous venez de le dire, sont aussi extrêmement importantes. Mais il y a aussi un tas d'autres choses tout aussi importantes: la formation et la souplesse de la main-d'oeuvre, l'esprit d'entreprise, la volonté de prendre des risques. Je réagis toujours un peu négativement lorsque j'entends dire qu'il y aurait des solutions simples.

Le président: Aurait-on raison de conclure qu'il pourrait être salutaire de réduire la confrontation entre le milieu des affaires et le gouvernement?

M. Thiessen: Sans aucun doute, le milieu des affaires et le gouvernement, et d'ailleurs les Canadiens ordinaires aussi, doivent considérer qu'il s'agit d'un partenariat. Si nous voulons profiter de la nouvelle économie, nous devrons tous nous adapter et changer, dans une certaine mesure. Nous devrons tous songer à de nouvelles façons de faire et les mettre en oeuvre.

M. Knight: J'ai assisté à une réunion du CCCE hier, et j'y ai entendu une bonne partie de la discussion.

Le président: On vous a laissé entrer?

M. Knight: Oui, monsieur. J'ai été très impressionné de voir que le milieu des entreprises est très au courant des enjeux que représente l'Internet et du fait que la concentration de capital de risque et la création de ces réseaux d'entreprises encouragent la croissance de la productivité aux États-Unis. D'après ce que j'ai entendu, on est bien conscient de la nécessité qu'il y a de faire progresser considérablement les structures de production, l'organisation et le financement des entreprises au Canada pour arriver au niveau d'augmentation de la productivité qu'on a constaté chez nos voisins du sud. C'est bon signe.

[Français]

Le sénateur Meighen: Monsieur le gouverneur, je devrais peut-être vous poser ces questions en français, parce que tout comme le sénateur Angus, j'ai l'impression que dans la langue de Molière, vous êtes plus direct.

[Traduction]

Mais je ne le ferai pas parce que je ne sais pas dire en français «productive capacity».

Or, ma question porte sur ce sujet. Vous en avez beaucoup parlé ce matin dans vos réponses. Vous l'avez fait aussi à Halifax, à New York et aussi lors de votre dernière hausse des taux d'intérêt. C'est manifestement très important.

M. Thiessen: Oui.

Le sénateur Meighen: Il est en effet essentiel que nous ayons ce qu'il faut. Si nous ne savons pas bien mesurer la capacité de production, nous risquons d'avoir des taux d'intérêt plus élevé que nécessaire par exemple.

Deux choses me frappent. Premièrement, que c'est une chose cruciale et, deuxièmement, sauf votre respect, je me demande si vous avez les bons instruments de mesure, et s'ils sont précis. J'aimerais que vous me disiez comment vous faites cette mesure. Vous avez dit vous-même, et je peux vous citer: «Nous ne sommes pas certains»; «risque de»; «peut-être»; et «il est possible». Quels sont ces outils de mesure et sont-ils à votre avis suffisamment précis pour mesurer la capacité de production du Canada?

M. Thiessen: C'est une excellente question, sénateur. Vous m'inquiétez beaucoup en me disant que je suis plus franc en français qu'en anglais. Il faut que je fasse encore plus attention à ce que je dis.

Il y a un défi réel, mais pas seulement pour nous. Si vous avez l'occasion de lire les propos d'Alan Greenspan, vous aurez constaté qu'il traite fréquemment de la même question. Nous ne savons pas si les gains importants de productivité se poursuivront. En effet, traditionnellement, les gains de productivité étaient plutôt lents et stables et on pouvait présumer que la capacité de production de l'économie croîtrait progressivement avec le temps. La politique monétaire se concentrait sur le rapport entre la demande de dépenses et la capacité de production. Désormais, la capacité de production évolue, et d'une manière un peu imprévisible pour nous. Il nous faut être particulièrement prudents.

Comme je le disais plus tôt, notre régime axé sur l'inflation est vraiment utile dans ce cas-ci. S'il est vrai que la capacité de production augmente plus rapidement que nous le prévoyons en raison des gains de productivité, il y aura une pression à la baisse sur le taux d'inflation et les prix. On nous dit qu'il est impossible d'augmenter les coûts et qu'en fait, on s'inquiète plutôt d'une baisse des prix. Il faut suivre la situation de très près.

Par ailleurs, si c'est le contraire et qu'il n'y ait pas de gain de productivité, nous assisterons à des pressions à la hausse. On se plaindra de congestion et de pénurie, les prix augmenteront ici et là et le marché du travail se resserrera. De là le genre de tendance que nous devons suivre. Dans les périodes d'inflation élevée, où tout le monde a peur, cela ne fonctionne pas très bien. Au premier signe d'inflation, tout le monde cherche à se protéger. Les taux d'intérêt augmentent, les salaires augmentent; les gens font monter les prix. La banque centrale doit alors intervenir. Ce qui est attirant, avec ce faible taux d'inflation, c'est le fait que les gens croient que la banque ne le laissera pas augmenter, c'est qu'on évite des réactions soudaines, ce genre de réflexe. Nous avons donc une meilleure marge de manoeuvre. Si on se retrouve un peu dans le positif, nous le verrons bien et nous réagirons, et de même pour le négatif. Je pense que cette stabilité de l'inflation nous permet de fonctionner même quand on ne sait pas exactement ce qu'il advient de la capacité de production.

Le sénateur Fitzpatrick: Monsieur le gouverneur, il vous sera peut-être un peu plus difficile de répondre à cette question qu'à ma première, mais elle la complète et je crois qu'il est de bon ton de la poser. Elle se rapporte au régime gouvernemental canadien.

Nous avons parlé de la question de la dette et de ce qui a été fait pour la réduire. Les gouvernements provinciaux n'ont pas encore fait autant de progrès, particulièrement en Colombie-Britannique et au Québec. Est-ce que cela complique ou alourdit la tâche du gouvernement national, qui a un objectif quant au ratio dette-PIB, étant donné la taille de l'économie de certaines de ces provinces et le fait que d'autres gouvernement n'ont pas notre régime fédéral? Y a-t-il pour nous des moyens d'atteindre les objectifs fixés quant au ratio dette-PIB?

M. Thiessen: Sénateur, vous devez examiner à la fois la situation provinciale et fédérale. Je dois dire que nous tenons toujours compte de l'ensemble et sans aucun doute, ce ratio baisse. Il va sans dire que certaines provinces reviennent de plus loin que d'autres. Dans un sens, les marchés et les forces ont accéléré.

Les mêmes principes s'appliquent partout. C'est une période de vaches grasses. C'est maintenant qu'on peut agir pour obtenir un excédent et réduire la dette. Tous les gouvernements doivent en profiter.

Le sénateur Oliver: Mes premières questions portaient sur l'endettement des consommateurs, et j'aimerais continuer dans la même veine. En parlant de la dette fédérale, nous avons aussi parlé du ratio dette-PIB. En 1995, ce ratio était de 72, et il n'est plus maintenant que de 57 ou 58. Quel est le chiffre optimal? Quels objectifs souhaitez-vous pour l'inflation et pour la politique relative au taux d'intérêt?

Vous dites que vous ne vous inquiétez pas d'une hausse de la dette à la consommation parce que les Canadiens ont un avoir net plus élevé. Pourtant, ils épargnent de moins en moins chaque année. Cela ne vous inquiète-t-il pas?

Une série d'articles dans The Wall Street Journal et d'autres journaux américains affirment depuis deux ou trois semaines que M. Greenspan n'a pas réussi à éliminer les attentes inflationnistes aux États-Unis, avec son petit rajustement d'un quart de point, et qu'il faudra peut-être songer à une hausse d'un point. S'il faut augmenter ces taux d'un point en mai, quel effet cela aura-t-il sur vous?

M. Thiessen: Monsieur le sénateur, je ne peux pas vous dire s'il y a un ratio optimal dette-PIB.

Le sénateur Oliver: Est-ce moins de 57?

M. Thiessen: Il y a par ailleurs diverses façons de le mesurer. Avec la méthode traditionnelle des comptes budgétaires, on obtient plutôt 90 p. 100 pour le fédéral plus le provincial. C'est en effet très élevé. Il va de soi qu'il faut réduire ce chiffre. Nous ne voudrions pas être à part des autres. Même si je ne peux vous dire précisément quel devrait être le chiffre optimum pour le ratio dette-PIB, je peux vous dire que pour une petite économie comme la nôtre, il serait mauvais de se singulariser. Nous voulons faire baisser ce ratio pour ne pas être aux yeux des investisseurs internationaux le pays qui se distingue parce qu'il traîne de la patte.

Vous avez raison au sujet des très faibles taux d'épargne au Canada. Nous profitons aussi des améliorations prévues des revenus futurs qui ont un effet sur le marché boursier, et les Canadiens en tiennent compte dans leur perception de leur avoir net. Dans une certaine mesure, c'est tout à fait légitime. Il faut craindre une exagération des valeurs du marché boursier, mais la probabilité d'une amélioration de la productivité et la faiblesse des taux d'intérêt qui réduisent le taux d'escompte servant à l'évaluation des revenus futurs justifie certainement une augmentation du prix des actions. Les Canadiens peuvent en toute légitimité en tenir compte dans leur perception de leur propre richesse et décider par eux-mêmes de ce qu'ils feront. Dans ces circonstances, ils peuvent choisir d'épargner une fraction moindre de leur revenu actuel que ne serait le cas autrement.

Le sénateur Oliver: En tant que gouverneur conservateur, cela vous préoccupe-t-il?

M. Thiessen: Le taux d'épargne demeure positif, même s'il est faible. Manifestement, sénateur, les choses ne peuvent continuer comme cela à l'infini. Quant à savoir si on est arrivé à la limite, c'est difficile à dire. Prenons par exemple le ratio entre le service de la dette et le revenu individuel. On constate qu'il est encore très faible parce que les taux d'intérêt sont faibles, et il est bien inférieur à ce qu'il était pour la plupart des particuliers dans les années 70 et 80.

Le sénateur Oliver: J'ai posé une question sur une augmentation d'un point des taux d'intérêt aux États-Unis en mai.

M. Thiessen: De très fortes augmentations de taux d'intérêt se produisent quand on accuse un retard marqué par rapport à l'inflation, ou lorsqu'au départ il y a une inflation très importante. C'est précisément pour cette raison qu'il y a eu de très fortes hausses des taux d'intérêt pendant les années 70 et 80. Maintenant que l'inflation est relativement faible, le risque d'avoir à recourir à de fortes augmentations n'est pas très grand. Cela ne signifie pas qu'il n'y aura pas d'augmentation de plus d'un quart de point. Mais de fortes augmentations seraient inhabituelles. Elles signifieraient que quelque chose de plus dramatique se produit. Vous ne nous étonnerez pas, sénateur, que je ne vous dise pas ce que nous ferons.

Le sénateur Grafstein: Monsieur le gouverneur, j'aimerais revenir au sujet soulevé par d'autres sénateurs au sujet du Conseil canadien des chefs d'entreprise, qui regroupe les dirigeants du monde canadien des affaires. J'ai lu des articles de journaux et des extraits des commentaires sur les discours prononcés. Je ne crois pas que les médias aient parlé hors contexte, et il me semblait qu'on faisait de lourds reproches au gouvernement fédéral. Je me suis demandé si cette critique était ou non justifiée et j'ai pris l'exemple de l'Internet. J'ai examiné notre infrastructure, ici au Canada. Nous avons un taux de connectivité supérieur à celui des États-Unis. Nous avons un taux d'utilisation d'ordinateurs à la maison plus élevé par habitant. Nous avons des réseaux plus accessibles et des coûts de transmission inférieurs. Tout cela, nous le devons à des créateurs d'entreprises ainsi qu'aux politiques gouvernementales. Pourtant, les leaders du monde des affaires n'ont pas fait leur autocritique.

N'y a-t-il pas au Canada un fossé des générations entre les anciens chefs d'entreprises, représentés par le CCCE, et les nouveaux et les jeunes qui ne peuvent obtenir des fonds pour lancer de petites entreprises parce que les vieux dirigeants ne comprennent pas ce qui se passe avec l'évolution si rapide de l'environnement? N'est-ce pas l'un des problèmes fondamentaux du Canada? Peut-on dire que la classe dirigeante devrait prendre un miroir et réfléchir à ces problèmes inhérents pour arriver à comprendre la nouvelle économie?

M. Thiessen: J'ai du mal à répondre à cette question, sénateur, parce que je ne sais pas si c'est vrai. Je sais qu'il est certainement très édifiant de regarder ce qui se passe aux États-Unis. Il y a eu là un rendement assez extraordinaire au cours des six dernières années, et particulièrement les trois dernières. Il est dans l'intérêt de tous, et pas seulement des Canadiens, de suivre de près ce qui se passe et de se demander s'il n'y a pas des méthodes, des attitudes ou des façons de faire dont on devrait envisager l'adoption. Je ne sais pas ce que je pourrais dire de plus, monsieur.

Le sénateur Angus: Au sujet de la nouvelle économie, gouverneur, il y a environ une heure un de mes employés m'a donné une copie diffusée sur l'Internet des commentaires que vous avez faits devant le comité, ici même, ce matin. Il est vraiment plaisant de voir que la banque est tout à fait synchronisée sur la nouvelle économie.

J'aimerais revenir aux questions se rapportant à votre mandat, plus particulièrement à la politique monétaire. Lorsque je suis devenu membre du comité et que vous avez comparu devant nous, l'écart des taux d'intérêt était positif. Autrement dit, nos taux étaient substantiellement plus élevés que ceux des États-Unis. Depuis la fin de 1995, c'est l'inverse. Je comprends que vous ayez choisi d'agir ainsi pour protéger les Canadiens contre les effets d'un resserrement de la masse monétaire. Mais il me semble que le revers de la médaille, c'est que notre dollar ne s'est pas relevé. J'aimerais savoir quels sont vos projets actuels.

Il me semble qu'il est peut-être temps de renverser la vapeur et de revenir à un rapport positif. Autrement dit, les taux canadiens devraient redevenir plus élevés. Je crois que cela contribuerait à satisfaire votre principal désir, contrer l'inflation.

M. Thiessen: Monsieur le sénateur, l'objectif de la politique monétaire canadienne est de garder le taux d'inflation entre 1 et 3 p. 100, et c'est ce que nous devons faire.

Le sénateur Angus: Est-ce là le seul objectif?

M. Thiessen: C'est certainement le moyen de créer l'économie la plus performante que peut permettre une politique monétaire. Cela ne vous permet pas, sénateur, d'avoir des objectifs quant au taux de change. Vous pouvez tenir compte du taux de change et de son effet sur notre économie, mais il est impossible, avec un seul instrument, soit le taux de financement à un jour, de cibler à la fois un faible taux d'inflation et une valeur donnée pour la devise canadienne. Parfois, les deux peuvent aller de pair, mais souvent ce ne sera pas le cas.

Je vous dirais que la raison pour laquelle nos taux d'intérêt sont inférieurs à ceux des États-Unis, c'est que nous avons besoin de taux d'intérêt faibles pour éviter une hausse de l'inflation. Aux États-Unis, l'économie bouillonne et risque de déborder. Pas ici. On peut donc constater que, lorsqu'il y a des gains de productivité élevés et une forte croissance de l'économie, il y a aussi une augmentation des taux d'intérêt. L'économie américaine croît plus rapidement, forçant la capacité, et les gains de productivité sont supérieurs aux nôtres.

Dans ces circonstances, il leur faut donc des taux d'intérêt plus élevés que les nôtres pour contrer l'inflation. Permettez-moi de vous dire que nous ne pouvons pas nous contenter de penser: «Bon, gardons de faibles taux d'intérêt pour les Canadiens.» Nous pensons plutôt: «Nous garderons l'inflation dans les limites sur lesquelles nous nous sommes entendus avec le gouvernement, et il s'ensuivra des taux d'intérêt plus faibles qu'ailleurs, mais aussi une plus grande stabilité de l'économie.» Je crois que c'est ainsi qu'il nous faut nous orienter.

Si l'économie canadienne connaît une soudaine croissance accélérée, ou s'il y a des gains de productivité ou des pressions inflationnistes, vous verrez une réaction dans les taux d'intérêt canadiens. Dans ces circonstances, nos taux d'intérêt seraient supérieurs à ceux des Américains.

Tant que notre taux d'inflation est plus faible et qu'il nous est plus facile de maintenir l'inflation à son faible niveau au Canada, nous aurons probablement des taux d'intérêt plus faibles aussi.

Je dois aussi dire, sénateur, que j'aime bien qu'on m'attribue du mérite pour ce que je fais, mais je ne saurais l'accepter pour les taux d'intérêt sur 10 ans, 15 ans ou 30 ans. Je vous en ai expliqué les raisons. Les taux d'intérêt sont directement reliés à ce que pensent les investisseurs canadiens et étrangers de nos perspectives inflationnistes et de l'avenir du Canada. Ils ne sont pas influencés par le taux de financement à un jour contrôlé par la banque.

Le sénateur Furey: Monsieur le gouverneur, vous avez parlé récemment à Halifax de ce que la banque devait faire pour augmenter l'imputabilité et la transparence de la politique monétaire. Je vous en félicite. Il semble aussi que vous ayez pris le temps et consacré l'argent nécessaires pour mettre en oeuvre des mesures destinées à atteindre cet objectif. Comment cela va-t-il? Est-ce utile pour vous? Est-ce utile pour le grand public, ou est-ce que cela crée des problèmes que vous n'auriez pas eus autrement?

M. Thiessen: Non. Je crois que c'est utile, sénateur. Quand on effectue des changements, on peut avoir quelques pépins en cours de route. Ce n'est pas particulier à la Banque du Canada, je dois vous le dire, et sans aucun doute, les banques centrales du monde entier se rendent compte qu'une plus grande ouverture est propice à de bonnes politiques monétaires. Par conséquent, nous vivons tous ce changement.

Je dois aussi reconnaître qu'il y a quelques années encore, les banques centrales travaillaient derrière des portes closes, estimant qu'il fallait préserver le mystère de la politique monétaire. Nous en sommes venus à comprendre que ce n'était pas une bonne idée, et qu'en étant plus ouvert, on obtenait de meilleures réactions de la part des marchés et on constate, en général, que le grand public comprend mieux ainsi ce que veut faire la banque.

En conséquence, les gens comprendront mieux lorsqu'il faudra prendre des mesures qui, autrement, seraient impopulaires. Je suis tout à fait convaincu que nous devons expliquer aux gens ce que nous faisons et pourquoi. Nous devons également être à leur écoute parce que -- et c'est peut-être parce que je viens de la Saskatchewan -- je sais que tout ne se passe pas en Ontario et au Québec. C'est une bonne idée de passer du temps dans le reste du pays également et de comprendre ce qui s'y passe.

La politique monétaire ne peut pas être axée sur une région particulière. Elle doit être axée sur l'économie nationale. Toutefois, il faut bien comprendre les éléments qui constituent cette économie nationale, et cela n'est possible que si l'on va parler aux gens qui sont directement concernés. Ce processus est en deux volets: expliquer, mais aussi écouter.

Le sénateur Tkachuk: Vos réponses au sujet du taux de change et du rapport entre notre devise et le dollar américain me préoccupent encore un peu. En 1998, lorsque le dollar était en chute libre, la banque est intervenue, ou du moins a essayé de contrôler la valeur de notre dollar par rapport au dollar américain à court terme. Sauf erreur, la banque a acheté des dollars et a essayé de soutenir notre devise pour qu'elle ne tombe pas au-dessous du seuil de 60 cents. américains.

À vous entendre aujourd'hui, contrairement à l'an dernier, vous semblez vous réjouir de la valeur actuelle du dollar. Cela me préoccupe. Si vous êtes satisfait du niveau actuel du dollar, la banque prend-elle des mesures pour maintenir délibérément le dollar à ce niveau de façon à garantir la poursuite de cette politique?

M. Thiessen: Absolument pas. Je le répète, nous n'avons pas d'objectif précis pour le dollar, et je serais heureux si sa valeur était supérieure à ce qu'elle est actuellement. Je sais que si le dollar était plus fort qu'il ne l'est, cela témoignerait également que bien des choses vont très bien dans notre économie; que nous avons peut-être réalisé d'énormes gains de productivité et que tout l'investissement dont j'ai parlé a commencé à payer. Cela me réjouirait.

Ce que vous remarquez peut-être, sénateur, c'est que le dollar américain est extrêmement fort ces derniers temps. Notre devise suit le dollar américain, mais ne gagne pas de terrain par rapport à lui. C'est une norme de mesure qui est à la hausse. Le fait que notre dollar soit aligné sur le dollar américain est très révélateur. Comme je l'ai dit, à moitié en plaisantant, par rapport à l'eurodollar, le dollar canadien est effectivement assez fort.

Si nous comparons notre économie avec l'économie américaine en plein essor, on ne peut pas être surpris de constater que nous avons gagné moins de terrain que nous ne l'aurions souhaité. Je peux vous donner l'assurance que nous ne fixons aucun objectif pour le dollar canadien et que nous n'adoptons aucune politique pour le maintenir à un niveau bas. Nous essayons simplement de maintenir le taux d'inflation au milieu de notre fourchette cible. Parfois, cela signifie une devise forte et des taux d'intérêt élevés, et d'autres fois cela signifie une monnaie un peu plus faible et des taux d'intérêt plus bas. À long terme, c'est la meilleure chose que la politique monétaire puisse faire pour notre économie.

Le sénateur Poulin: Ma question fait suite à celle de mon collègue, le sénateur Tkachuk.

Dans votre exposé liminaire, vous avez parlé de gains de productivité. Nous nous rappelons tous les années 80, où tous les organismes ont connu une restructuration et un remaniement fondamentaux. Cela s'est poursuivi dans les années 90, avec la fusion supplémentaire dont nous avons entendu parler jour après jour. Par conséquent, j'ai été enthousiasmée de vous entendre dire que nous avions réalisé des gains de productivité semblables. Un peu plus tard dans la discussion, toutefois, vous avez dit que les gains de productivité sont directement liés à la valeur du dollar canadien.

Pourquoi faut-il tant de temps pour constater ce rapport si ces gains de productivité ont déjà commencé à être enregistrés il y a un certain temps? Il y a là quelque chose qui m'échappe.

M. Thiessen: J'ai dit effectivement que le dollar se traduisait par des gains de productivité, mais tout est relatif lorsqu'on parle de devises. Lorsque nous parlons du dollar canadien, c'est en général pour le comparer au dollar américain.

Le sénateur Poulin: Malheureusement, c'est également ce que font les Européens, les Asiatiques et les Africains.

M. Thiessen: Oui. Ensuite, si l'on considère les répercussions des gains de productivité, il faut également faire une comparaison avec ceux des États-Unis. Lorsqu'on considère les devises, tout doit être relatif. Ce qui importe, ce n'est pas le gain de productivité proprement dit au Canada, c'est la rapidité avec laquelle nous enregistrons ces gains de productivité par rapport aux Américains. Dernièrement, les États-Unis ont connu des gains de productivité extraordinaires. Au quatrième trimestre, ils ont enregistré un taux annualisé de gain de 6,4 p. 100. Au Canada, pour toute l'année, nous sommes peut-être à 2 p. 100. En conséquence, nous traînons toujours de l'arrière.

Le sénateur Poulin: Quels sont les principaux facteurs qui expliquent cet important accroissement de la productivité aux États-Unis?

M. Thiessen: D'une part, l'énorme investissement, depuis 1992, dans les équipements, le matériel et la nouvelle technologie. À mon avis, au Canada, nous n'avons entamé ce processus qu'en 1996. Nous avons donc quatre ans de retard. Il a fallu quelques années pour que cet investissement commence à rapporter gros pour les Américains. Ils ont traversé une longue période où ils investissaient à tour de bras, et la productivité n'augmentait pas en conséquence. L'investissement a maintenant commencé à payer, surtout au cours des trois dernières années. J'espère -- et il faut donc faire preuve de patience -- que ce sera la même chose pour nous un jour prochain.

Le sénateur Kelleher: Certains soutiennent depuis longtemps que la politique financière et la politique monétaire doivent être complémentaires. À l'heure actuelle, votre politique monétaire semble être axée sur la stabilité des prix et le ralentissement de la croissance économique, pour éviter une flambée. Dans votre communiqué de presse, où vous justifiez la hausse récente de 0,25 p. 100 des taux d'intérêt, la Banque du Canada a dit aux Canadiens que le regain d'expansion économique a absorbé rapidement notre capacité de production et risque d'exercer des pressions excessives sur les limites de notre capacité.

Pourtant, dans son tout dernier budget, le gouvernement a annoncé un nouveau programme d'infrastructure. Les programmes publics d'infrastructure ont par le passé été mis sur pied sous prétexte de stimuler l'économie. En se lançant dans ce programme, outre les nombreuses autres nouvelles initiatives de dépense, le gouvernement du Canada poursuit-il aujourd'hui une politique financière qui risque d'aller à l'encontre de la politique monétaire de la banque?

M. Thiessen: Il ne fait aucun doute que les politiques financière et monétaire doivent être interdépendantes. Il peut arriver, même si ce n'est pas souhaitable, que la politique financière ne permette pas vraiment d'enrayer les déficits budgétaires, ce qui était notre cas dans les années 80 et au début des années 90, et qu'une politique monétaire favorable non seulement réussisse à réduire l'inflation -- ce que nous avons fait -- mais offre également l'avantage de taux d'intérêt faibles. Dans cette mesure, il y a vraiment interdépendance.

Lorsqu'on se trouve dans ces circonstances extrêmes, cela revêt une grande importance. Lorsque les conditions sont plus favorables, je pense que ce n'est pas aussi important. En conséquence, la politique monétaire n'a pas vraiment besoin d'être responsable des facteurs macroéconomiques, de la rapidité de la croissance économique par rapport à la capacité.

J'espère, sénateur, que lorsque les gouvernements adoptent divers plans financiers et de dépenses, c'est parce qu'ils sont convaincus de leur intérêt intrinsèque, et non parce qu'ils sont nécessaires pour stimuler l'économie.

[Français]

Le sénateur Hervieux-Payette: Dans vos remarques préliminaires, vous avez parlé de la baisse du taux de chômage à 6,8 p. 100. Un facteur qu'on ne rappelle pas très souvent est le taux de participation des travailleurs au marché du travail. Lorsqu'on fait des comparaisons de productivité, grosso modo, aux États-Unis, il y a environ 5 p. 100 de chômage. Mais il y a un écart de 5 à 8 points entre le Canada et les États-Unis quant à la participation de la main-d'<#0139>uvre. On ne le mentionne pas souvent dans les rapports. On se réjouit du chiffre de 6,8.

Je reviens aux commentaire de nos amis du CCCE de réduire les dépenses sociales. Il y a un impact social direct dans la façon de traiter les gens. Si ces derniers, en fin de compte, ne veulent pas travailler au salaire minimum ou s'ils ne reçoivent pas des bénéfices sociaux, ils ne participeront pas au marché du travail.

Est-ce que, dans vos études, vous étudiez ce taux de participation versus la productivité? Quels seraient les facteurs qui feraient que le taux de participation est si bas au Canada?

Est-ce à cause de nos programmes sociaux ou si d'autres raisons sont données?

M. Thiessen: Vous avez raison. Plusieurs facteurs ont une influence sur le taux de participation. Dans nos études, une chose est très importante. Chez les jeunes, il faut avoir une période de formation plus longue à l'école. C'est très important. Ce n'est pas une mauvaise chose en soi. Si nos jeunes veulent rester à l'école pour une période plus longue et recevoir une formation plus utile, cela serait une très bonne chose. Il y a certainement une possibilité d'avoir un taux de participation plus élevé au Canada.

Il faut que nous, à la Banque du Canada, regardions cela de très près parce que vous pouvez avoir un taux de croissance quand votre économie est plus élevée avec un taux de participation qui augmente en même temps. Peut-on avoir le même taux de participation qu'aux États-Unis? Je n'en suis pas certain.

Vous pouvez avoir des moeurs sociales différentes dans deux pays. Par exemple, les Australiens avaient une performance économique très élevée au cours des six ou sept deernières années, mais avec un taux de participation beaucoup moins élevé que nous. C'est très intéressant.

M. Knight: Je veux ajouter un mot aux propos du gouverneur dans ce domaine. Il est très intéressant de constater qu'à la fin des années 1980 et pendant le recul des années 1990, il y a eu une réduction du taux de participation au Canada et aux États-Unis. Aux États-Unis, la forte croissance de la production et le faible taux de chômage ont incité la main-d'oeuvre à retourner dans les secteurs productifs. Ce serait pour nous un signe très positif. C'est en soutenant la croissance à long terme qu'on anticipe de tels signes très positifs.

Le sénateur Bolduc: J'ai lu dans une étude de Pierre Fortin, professeur à l'Université du Québec à Montréal, que la politique monétaire canadienne avait été trop serrée en 1990 et qu'aujourd'hui, elle tend à avoir un ratio de 1 à 3. Selon lui, il serait mieux de 2 à 4 pour favoriser la croissance. Que pensez-vous de cela?

M. Thiessen: Je pense qu'il a tort, ce n'est pas vrai. L'idée qu'on peut encourager les gens à travailler plus tort, à accepter des salaires moins élevés avec un taux d'inflation plus élevé n'est pas crédible.

[Traduction]

L'idée que les gens vont dire: «J'accepterai une baisse de traitement après inflation parce que je ne le comprends pas» n'est pas crédible. Ce n'est pas pensable. Le principe selon lequel on peut réduire le taux de chômage en augmentant le taux d'inflation est tout à fait faux. Cela témoigne d'une certaine stupidité de la part des Canadiens que je n'accepte pas.

Le sénateur Tkachuk: Nous voulions qu'il soit plus franc, et je pense qu'il l'a été.

Le président: J'ai une brève question à poser. Pourquoi y a-t-il eu une tendance, réelle ou apparente, dans notre politique monétaire, à maintenir le taux d'inflation fondamentale dans la partie inférieure de la fourchette cible? Est-ce tout à fait évident, ou y a-t-il des raisons à cela?

M. Thiessen: Le taux d'inflation fondamentale s'est maintenu dans la partie inférieure de la fourchette cible, monsieur le président. Cela s'explique par le fait que nous avons subi un choc important en 1997-1998. Même si, comme je l'ai déjà dit, nous nous en sommes plutôt bien tirés grâce à notre taux de change flottant, nous avons quand même subi un gros coup. Tous ceux qui ont séjourné en Colombie-Britannique à cette époque savent très bien à quel point cela a été pénible. Ce n'était pas la seule province touchée, mais il en est allé de même dans d'autres secteurs de denrées primaires. Nous avons fini par avoir une économie plus faible que nous ne l'escomptions, ce qui s'est soldé par un taux d'inflation inférieur.

Le sénateur Angus: Je n'ai pas bien compris lorsque nous avons parlé de la différence entre les taux d'intérêt américains et canadiens. Je pensais que vous aviez dit que, pour maintenir l'inflation à un niveau bas au Canada, il fallait que les taux d'intérêt soient bas également, du moins ces dernières années. Si c'est le cas, j'ai du mal à comprendre pourquoi nous avons suivi, apparemment de près, la Réserve fédérale américaine les cinq dernières fois où elle a augmenté ses taux d'intérêt. J'ai l'impression que nous sommes liés de façon inexplicable à la politique monétaire américaine.

M. Thiessen: Ce n'est pas le cas. Nos taux d'intérêt sont faibles parce que notre taux d'inflation est faible. Nous n'avons pas eu besoin d'augmenter les taux d'intérêt pour maintenir notre taux d'inflation à un niveau faible par rapport à celui des États-Unis. Cela explique pourquoi ils sont en fait plus bas.

Comme j'ai essayé de l'expliquer dans mon allocution liminaire, notre économie connaît actuellement un véritable regain. Même si nous pensons que notre productivité va s'accroître, nous ne savons pas dans quelle mesure. La capacité de l'offre augmente, même si nous ne savons pas vraiment de combien, et la demande reprend vraiment. Si nous en arrivons au point où la demande atteint le plafond de la capacité de l'offre, nous risquons d'avoir des problèmes.

J'ajoute que nous n'avons suivi que trois fois, sur les cinq dernières, les augmentations de taux d'intérêt aux États-Unis. Auparavant, nous avons réduit les nôtres à deux reprises de notre propre chef. Nous avons suivi leur exemple dernièrement parce que chaque fois que les dirigeants de la Réserve fédérale se sont réunis, ils ont conclu que la demande, dans l'économie américaine, est plus forte qu'elle ne devrait l'être selon eux. Nous savons que la demande déborde au-delà des frontières et dans notre secteur d'exportation. C'est un élément nouveau pour nous dont nous ferions mieux de tenir compte. Dans ces conditions, il nous a semblé logique d'intervenir dès le lendemain au lieu de laisser flotter une incertitude quant à la façon dont nous interprétons cette nouvelle information.

Le président: Madame Kennedy, monsieur Knight, monsieur Thiessen, merci beaucoup de votre présence. Nous avons eu une discussion très intéressante et nous vous remercions de votre témoignage.

Pour ma part, comme c'est la première fois que je préside le comité lors de la comparution du gouverneur, je suis particulièrement fier de présider le comité et d'être entouré de collègues aussi érudits pour poser des questions. Faute de place, nous allons céder la salle au gouverneur pour une conférence de presse à la suite de notre réunion, nous devrions quitter la salle.

La séance est levée.


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