Délibérations du comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce
Fascicule 11 - Témoignages
OTTAWA, le mercredi 3 mai 2000
Le comité sénatorial permanent des banques et du commerce, auquel a été renvoyé le projet de loi S-19, Loi modifiant la Loi canadienne sur les sociétés par actions et la Loi canadienne sur les coopératives ainsi que d'autres lois en conséquence, se réunit à 15 h 45 pour étudier le projet de loi.
Le sénateur E. Leo Kolber (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président: Nous accueillons comme premier témoin le représentant de la Démocratie en surveillance et du Citizens' Council on Corporate Issues.
M. Duff Conacher, coordonnateur, Démocratie en surveillance: Mesdames et messieurs, merci de me donner l'occasion de témoigner aujourd'hui et de vous parler de cet important projet de loi qui vient modifier une autre loi importante, la Loi canadienne sur les sociétés par actions. Je viens témoigner aujourd'hui à titre de coordonnateur de la Démocratie en surveillance, mais je représente également la Coalition pour la responsabilité des sociétés (Corporate Responsibility Coalition), coalition de 27 organisations de citoyens représentant les mouvements antipauvreté, les consommateurs, le développement communautaire, les syndicats, le développement international, les droits de la personne et d'autres mouvements de justice sociale, et qui comptent 16 groupes nationaux et 11 chapitres de six provinces du Canada.
Je serai assez bref aujourd'hui, car nous enverrons d'ici quelques semaines au comité un rapport plus détaillé. Je crois que les honorables sénateurs ont reçu la lettre que nous avons envoyée à M. John Manley, ministre de l'Industrie, pour résumer nos propositions.
Il y a exactement 330 ans hier, le 2 mai 1670, Charles II accordait à la Compagnie de la Baie d'Hudson une charte lui permettant de s'étendre sur plus de 1,5 million de milles carrés de territoire qui constituent aujourd'hui le Canada. Vous parlez d'une charte royale! Aujourd'hui, 330 ans plus tard, nombre des problèmes auxquels nous faisons face avec les sociétés sont ceux-là mêmes qu'a engendrés la présence de la Compagnie de la Baie d'Hudson à ses débuts et au cours des siècles suivants.
Ainsi, de 1688 à 1690, même si la compagnie était déficitaire, huit de ses grands actionnaires principaux reçurent 50 p. 100 de dividendes, pendant la première année, et 25 p. 100 de dividendes pendant la deuxième année, puis 74 p. 100 de dividendes en 1690. C'est le genre de scénario qui se reproduit encore fréquemment aujourd'hui dans le monde des sociétés. Or, à l'époque, enquête fut faite, mais sans que l'on puisse tirer de conclusion. Voilà, à nouveau, des résultats auxquels nous sommes habitués lors des enquêtes sur les écarts de conduite des sociétés. On n'a pas à s'étonner non plus que six des huit actionnaires principaux de la compagnie remettaient leur démission au cours des deux années qui suivirent et vendaient leurs actions dont les valeurs étaient gonflées. On comptait parmi eux John Churchill, à l'époque gouverneur de la Compagnie de la Baie d'Hudson et très lié au Parlement britannique.
En 1690, la Compagnie de la Baie d'Hudson envoyait au Parlement britannique une pétition lui demandant de confirmer sa charte royale par une loi. Le Parlement adopta judicieusement cette loi qui ne fut pourtant en vigueur que pendant sept ans. Malheureusement, nous avons abandonné cette pratique et l'avons remplacée par l'octroi de chartes à des sociétés qui durent indéfiniment. En créant de gigantesques sociétés qui ont une durée de vie et des pouvoirs qui dépassent de loin ceux des citoyens, nous avons créé des entités qui fonctionnent impunément à bien des égards et dont les activités ne sont pas nécessairement des plus respectables.
Les sociétés établies au titre de la Loi canadienne sur les sociétés par actions sont des forces de poids au Canada et à l'échelle internationale. Citoyens, collectivités, gouvernements, employés, actionnaires et autres intervenants s'intéressent de très près au dossier de ces entreprises, et s'intéressent tout particulièrement à leur comportement environnemental, social et déontologique, du simple fait que les écarts de conduite de ces sociétés peuvent avoir d'énormes répercussions négatives.
Plusieurs sondages effectués au cours des dernières années ont démontré que les Canadiens sont les citoyens du monde qui se préoccupent le plus de la responsabilité des sociétés. Dans notre lettre à M. Manley, nous citons justement un sondage mené l'année dernière par Environics International dans 23 pays répartis dans six continents. Les Canadiens arrivaient au deuxième rang, pour ce qui est de leur préoccupation à l'égard de la responsabilité des sociétés, tout juste derrière les Australiens.
Le sondage révélait que, pour 43 p. 100 des Canadiens, le rôle principal des grandes sociétés n'était pas de faire des profits, de payer des impôts, de fournir de l'emploi et d'obéir aux lois; ces sociétés devaient plutôt établir des normes déontologiques élevées, se comporter scrupuleusement en citoyens respectueux de la loi, et édifier activement une meilleure société pour tous. Seuls 11 p. 100 des Canadiens croyaient que les sociétés devaient se contenter de faire des profits, de payer leurs impôts et de fournir des emplois.
Il saute aux yeux que les Canadiens veulent que les sociétés soient des citoyens responsables. Malheureusement, le Canada tire loin de l'arrière par rapport aux autres pays pour ce qui est de certains aspects clés de cette responsabilité des sociétés. Le niveau de préoccupation des Canadiens, qui arrive au deuxième rang dans le monde, n'a pas trouvé de réponse auprès des gouvernements canadiens. Un grand nombre des obstacles qui empêchent la responsabilisation des sociétés se retrouvent dans la Loi canadienne sur les sociétés par actions alors que d'autres découlent d'une absence de lois et de règlements musclés en matière de responsabilité des sociétés.
Je ne m'attarderai pas sur les obstacles qui nuisent aux propositions des actionnaires, car les autres témoins vous en parleront plus en détail. Je préciserai néanmoins que notre coalition prône la réduction de ces barrières. À notre avis, les ébauches de règlement qui ont été publiées par Industrie Canada devraient être modifiées, car elles servent au contraire à renforcer les obstacles de la façon qui suit.
En premier lieu, les actionnaires faisant des propositions doivent être détenteurs d'un nombre beaucoup trop élevé d'actions dont la valeur doit être, elle aussi, élevée, et ils doivent démontrer que la proposition touche directement et surtout la société; de plus, ils doivent assumer les frais de toute contestation devant les tribunaux, advenant que la société refuse toujours de faire circuler leur proposition. Au contraire, ce devrait être aux sociétés de démontrer que la proposition ne les touche pas au premier chef et ce devrait être à elles d'assumer les coûts d'une contestation devant les tribunaux, en totalité ou en partie.
Trois raisons expliquent pourquoi réduire les obstacles qui se dressent devant les propositions des actionnaires ne suffit pas pour faire en sorte que les sociétés constituées en vertu de la LCSA agissent de façon responsable. D'abord, il faut que les autres obstacles soient réduits pour que les actionnaires puissent demander des comptes aux sociétés, surtout pour ce qui est des déclarations obligatoires. Nous recommandons de resserrer considérablement les exigences en matière de déclaration de conformité aux lois. On pourrait facilement le faire autour d'un site web sur lequel chaque société pourrait soumettre son dossier de conformité en regard de toutes les lois qui s'appliquent à elle. L'actionnaire pourrait ainsi suivre facilement l'information.
La deuxième raison pour laquelle la réduction des obstacles qui nuisent aux propositions des actionnaires ne suffit pas pour assurer la responsabilité des sociétés est la suivante: un grand nombre des sociétés constituées en vertu de la Loi canadienne sur les sociétés par actions sont parmi les plus grandes au Canada, tout en étant des filiales en propriété exclusive d'entreprises étrangères ou canadiennes ou des filiales appartenant à 100 p. 100 à une famille. Ainsi, aucun actionnaire autre que la société mère ne pourra jamais faire de proposition, ce qui revient à dire que les propositions des actionnaires ne pourront jamais servir à assurer la responsabilité des sociétés. Voici quelques exemples de telles sociétés: General Motors, Ford, Toyota, Honda, Chrysler, Volkswagen, IBM, Hewlett Packard, Mobil Oil, Amoco Canada, Chevron Canada, Imperial Oil, Husky Oil, Les aliments McCain, les restaurants McDonald, Zellers, Cargill, Le Canadien Pacifique, General Electric, Bayer, Merck Frosst, Glaxo Canada, Purolator, 3M Canada et Monsanto Canada. Je suis sûr que vous reconnaissez ces noms, car ce sont les noms de grandes sociétés canadiennes qu'aucun actionnaire ne pourra jamais tenir responsable, car elles sont toutes des filiales en propriété exclusive d'entreprises étrangères ou canadiennes ou des filiales appartenant exclusivement à une famille.
Troisième raison pour laquelle il faut aller plus loin qu'une simple réduction des obstacles qui empêchent les actionnaires de faire des propositions: compter uniquement sur les actionnaires pour qu'ils représentent et défendent leurs propres intérêts est une façon inefficace, insuffisante et improvisée de s'assurer de la responsabilité des sociétés.
La Loi canadienne sur les sociétés par actions est en quelque sorte la loi sur la citoyenneté des plus grandes sociétés canadiennes. Par conséquent, il faut changer des règles, rehausser les normes de citoyenneté et exiger de cette catégorie de citoyens qu'ils assument leurs responsabilités. Voilà une solution efficace, efficiente et exhaustive, plutôt qu'une façon de faire improvisée.
Nous proposons que les administrateurs soient obligés de tenir compte des intérêts des intervenants non actionnaires avant de prendre une décision. Actuellement, les administrateurs ne doivent tenir compte que des intérêts de la société, c'est-à-dire des intérêts des actionnaires. Cette disposition de la LCSA devrait être modifiée pour que les administrateurs soient obligés de prendre en compte les intérêts des non-actionnaires et d'expliquer publiquement dans quelle mesure ils le font.
Je répète que nous exigeons des déclarations détaillées. Une autre façon de faciliter les déclarations de conformité aux lois par les sociétés, c'est de protéger les dénonciateurs. Il existe déjà dans quelques lois une certaine protection, qui toutefois n'est pas aussi étendue qu'aux États-Unis. La meilleure façon de protéger les dénonciateurs, c'est d'inscrire leur protection dans la Loi sur les sociétés par actions, ce qui permettrait de protéger tous les gardiens de la morale, et tous les employés des sociétés constituées en vertu de la Loi canadienne sur les sociétés par actions.
De plus, les fonds publics ne devraient pas servir à verser des subventions ou à payer des contrats à des sociétés qui se moquent des lois. Nous souscrivons à la proposition américaine voulant que toute société qui défie la loi soit privée de subventions et de contrats pendant une période donnée. Le gouvernement dépense beaucoup d'argent dont profitent en grande partie les sociétés. Si l'on enlève aux contrevenantes le droit de recevoir des fonds publics, cela pourrait servir à inciter les autres sociétés à se comporter de façon responsable.
De plus, nous souscrivons à la proposition faite il y a quelques années par le ministère de la Justice, selon laquelle les sociétés devraient être passibles de sanctions. Les obstacles qui empêchent de tenir les sociétés responsables d'actes criminels commis par leurs employés devraient être réduits. Toutefois, la proposition qu'avait fait le ministère de la Justice a fini par disparaître devant les pressions exercées par de puissantes sociétés.
Nous souhaitons que les actionnaires aient le droit de demander un examen des activités d'une société, ce dont mon collègue vous parlera plus en détail.
Même si l'on adoptait toutes ces mesures, les actionnaires feraient toujours face individuellement à de gigantesques sociétés et ne pourraient compter que sur eux-mêmes. Il y a une façon très simple de résoudre ce problème, et c'est d'exiger de toutes les sociétés constituées en vertu de la LCSA qu'elles incluent dans leurs envois à leurs actionnaires, en même temps que le rapport annuel et les procurations en vue de l'assemblée générale annuelle, une lettre d'une page et son enveloppe port payé. Cette lettre décrirait une association pancanadienne invitant les actionnaires à devenir membres moyennant des frais annuels de 20 $. Il suffirait à l'actionnaire d'insérer son chèque dans l'enveloppe et de l'envoyer à ce nouveau groupe qui serait formé en vue de soutenir financièrement les actionnaires de tout le pays. Cette association pourrait les aider à formuler des plaintes, à préparer des propositions d'actionnaire et à informer les actionnaires en particulier et les Canadiens en général qui ont besoin de conseils de planification financière. Il saute aux yeux, je l'espère, que les Canadiens ont désespérément besoin de ce type de conseils, étant donné le comportement des marchés et les nombreux investissements faits par les Canadiens pris individuellement.
Enfin, cette association pourrait défendre les intérêts et les actionnaires lors de l'élaboration des politiques aux paliers provincial et fédéral. Comme l'association paierait pour la circulaire d'une page, celle-ci ne coûterait pas un sou à la société ni au gouvernement. Et pourtant, ce serait une méthode simple et efficace de rassembler les actionnaires de tout le Canada.
Je ne vois pas comment on pourrait être contre cela ni contre l'une ou l'autre des propositions que nous faisons. Les entreprises affirmeront peut-être qu'elles agissent déjà en bons citoyens et qu'elles protègent déjà les dénonciateurs; dans ce cas, elles ne peuvent que souhaiter l'inclusion de ces mesures dans la loi, pour protéger les citoyens contre toutes les autres entreprises qui n'en font pas autant. Les sociétés sont toujours d'accord pour égaliser les règles du jeu. Égalisons-les, mais mettons la barre plus haute et exigeons plus d'elles en matière de responsabilité sociale. Voilà pourquoi nous proposons ces mesures, outre les propositions des actionnaires, pour nous assurer que les grandes entreprises établies au Canada agissent de façon responsable.
M. Gil Yaron, directeur, Citizens' Council on Corporate Issues: Mesdames et messieurs, merci de m'avoir invité. C'est la première fois dans l'histoire du Canada qu'on invite ainsi la population à prendre part à l'élaboration d'une loi visant les sociétés. Un aperçu des dossiers du Parlement révèle que jusqu'à maintenant, lorsque l'on élaborait des lois visant les sociétés canadiennes, on consultait seulement les conseillers juridiques d'entreprise, les comptables et le milieu des affaires. Les conséquences sans précédent que peut avoir l'activité des entreprises sur la société canadienne moderne exigent que la population ait voix au chapitre dans le façonnement de ces entreprises.
Notre conseil est une organisation apolitique qui s'intéresse à la responsabilité des entreprises. Nous faisons partie de la Coalition pour la responsabilité des sociétés, dirigée par Duff Conacher et Démocratie en surveillance. Voilà pourquoi nous souscrivons aux propos de notre collègue. Nous avons également plusieurs autres mémoires qui viennent appuyer les propositions de réforme des sociétés pour en faire des entités plus durables et démocratiques. Ces propositions ont reçu l'aval de plusieurs autres organisations des quatre coins du pays, notamment le chapitre de Saanich du Conseil des Canadiens, la Labour Environmental Alliance Society de la Colombie-Britannique, et d'autres organismes de la Saskatchewan et de l'Alberta.
Nous estimons qu'une société doit continuer à chercher des débouchés sur le marché, sans pour autant nuire au bien-être social et environnemental de la société canadienne. Le projet de loi S-19 contient certaines tentatives intéressantes en vue de trouver un juste équilibre, mais il ne va pas assez loin. L'entreprise canadienne moderne, telle que la définit actuellement la LCSA, n'est certainement pas assez avertie pour pouvoir sauvegarder les principes sociaux, environnementaux et démocratiques chers aux Canadiens. On peut bien prétendre que les entreprises n'ont jamais été créées pour défendre de tels objectifs; toutefois, la taille et la puissance de beaucoup des entreprises d'aujourd'hui, de même que l'influence qu'elles exercent sur le processus démocratique, les obligent à être beaucoup plus sensibilisées comme institutions.
On peut démontrer aisément aujourd'hui que la structure actuelle des entreprises n'a pas évolué au même rythme que la société, dans sa grande complexité. À toutes fins pratiques, les entreprises d'aujourd'hui se soucient peu de nos intérêts non économiques. Dans leur quête insatiable de croissance, elles ne cessent de consommer le capital humain et naturel à des rythmes disproportionnés par rapport à leur contribution à la société canadienne. C'est ce déséquilibre qui entraîne la disparité croissante entre les riches et les pauvres de même que la dégradation environnementale du Canada.
Or, la population se préoccupe de plus en plus des répercussions que peuvent avoir les activités des entreprises. Dans un récent sondage du millénaire mené par Environics International sur la responsabilité sociale des entreprises, 89 p. 100 des Canadiens répondaient qu'à leur avis, les entreprises ne devaient pas uniquement chercher à faire des profits ou se contenter de payer des impôts et d'offrir des emplois à la population, mais qu'elles devaient aussi se fixer des objectifs sociaux plus vastes et adhérer à des normes déontologiques plus élevées.
Personne n'est en mesure d'illustrer mieux que les dirigeants de ces entreprises eux-mêmes l'inadéquation de l'entreprise moderne. Voici ce qu'a déjà affirmé John De Lorean, qui a longtemps été un des dirigeants chez General Motors:
La moralité du système comme groupe est différente de celle des individus, ce qui permet au premier de produire délibérément des produits inefficaces ou dangereux, d'agir de façon dictatoriale et souvent injuste avec ses fournisseurs, d'offrir des pots-de-vin aux gens d'affaires, d'abroger les droits des employés en exigeant d'eux qu'ils soient aveuglément loyaux à leur direction ou de détourner le processus démocratique gouvernemental en faisant des contributions politiques illégales.
De plus, Clive Allen, ancien vice-président exécutif et chef du contentieux chez Nortel, une des compagnies dominantes au Canada dans la technologie de pointe, admettait volontiers ce qui suit:
Nortel et d'autres entreprises canadiennes n'ont pas prêté serment d'allégeance au Canada... Ce n'est pas parce que Nortel a vu le jour au Canada qu'il nous faudra y demeurer indéfiniment. Les Canadiens ne doivent pas croire qu'ils nous possèdent. Pour que nous soyons intéressés à demeurer ici, il faudra que le territoire reste attrayant pour nous.
Quel autre citoyen canadien peut se dire du même avis?
En bref, la LCSA et les modifications qui la visent dans le projet de loi S-19 perpétuent un système qui place les intérêts des entreprises au-delà des intérêts de la population. Les problèmes dont les entreprises sont la source, et qui incluent la destruction de l'environnement, l'iniquité sociale et le détournement de notre processus démocratique par le truchement du financement politique, exigent du Parlement qu'il réforme de façon audacieuse la structure des sociétés.
Nous proposons au Sénat trois recommandations, dont l'une a déjà été faite par Duff Conacher. La première porte sur la résidence des administrateurs et leurs obligations. Nous nous opposons aux modifications actuelles du projet de loi S-19 portant sur la résidence et les obligations des administrateurs. Nous croyons qu'en réduisant le pourcentage des administrateurs qui doivent être des résidents du Canada, on finira par compromettre l'obligation que devraient avoir les entreprises de rendre des comptes aux collectivités locales. Associée à la proposition d'une structure de responsabilité à deux paliers et de la responsabilité proportionnelle des administrateurs, cette modification pourrait entraîner une absence totale de responsabilité de la part des administrateurs non résidents du Canada dans les décisions qu'ils pourraient prendre au nom de leur entreprise.
Notre deuxième recommandation porte sur la responsabilité limitée. Ce principe a été introduit il y a plus de 150 ans pour encourager les investisseurs à se lancer dans des entreprises risquées. Bien qu'il ait servi de cadre en vue de promouvoir au cours du dernier siècle les nouvelles entreprises, le principe de la responsabilité limitée a fini par coûter très cher à la société. En effet, entreprises et actionnaires ont eu recours à ce principe pour esquiver toute responsabilité devant les conséquences non économiques de leurs gestes. Les sociétés mères et les actionnaires profitent des gains tirés des activités de l'entreprise tout en évitant toute responsabilité associée aux mesures prises par cette entreprise, exception faite des pures pertes sur leurs investissements. Voici ce qu'affirmait le professeur Blumberg:
Le droit des sociétés et les théories sur la personne morale, modelés il y a bien longtemps en vue de servir les besoins d'un monde très différent, sont devenus désuets.
Nous souscrivons à l'idée d'englober la responsabilité de l'entreprise au cadre de régie canadienne des entreprises. La théorie des entreprises concerne les regroupements de sociétés et déclare responsable tous les membres du groupe même si les gestes répréhensibles n'ont été commis que par un de leur membre, peu importe la faute. En bref, les sociétés mères et les filiales d'un regroupement sont tenues responsables des actions commises par l'un ou l'autre des membres de ce groupe. Ce principe a été adopté par les tribunaux américains et incorporé à nombre de lois américaines. Toutefois, les tribunaux canadiens ont refusé expressément d'adopter cette même position, et ont préféré adhérer au principe de la personne morale énoncé dans l'arrêt britannique Salomon c. Salomon et Cie, il y a déjà plus d'un siècle.
Notre troisième recommandation porte sur les fonctions de l'administrateur. Dans le droit canadien des sociétés, il existe un principe de longue date portant que les administrateurs doivent agir dans l'intérêt de l'entreprise. Nous sommes d'accord avec Duff Conacher, lorsqu'il a dit qu'il fallait élargir les fonctions des administrateurs, pour qu'ils tiennent compte des intérêts des autres actionnaires et des autres intéressés lorsqu'ils prennent des décisions.
Outre les trois recommandations que je viens d'énoncer, j'aimerais aborder brièvement la question de la dissolution de l'entreprise. Toute la législation de l'entreprise au Canada, que la loi soit fédérale ou provinciale, prévoit que les administrateurs et actionnaires peuvent dissoudre volontairement une société. Dans bien des cas, la loi provinciale permet également à l'agent comptable des registres d'une société de dissoudre involontairement la société pour des motifs administratifs. Plusieurs lois provinciales et la common law permettent au procureur général ou au lieutenant-gouverneur en conseil de dissoudre une société, dès lors que celle-ci a un dossier notoire d'infractions aux lois ou a clairement agi contre l'intérêt public.
En 1947, le juge en chef de la Cour suprême de la Colombie-Britannique affirmait cette prérogative de l'État. Votre propre comité, au cours de ses délibérations autour de la Loi sur les corporations canadiennes, qui a précédé la LCSA, reconnaissait en février 1965 les commentaires d'un représentant du secrétaire d'État selon lesquels les dispositions de dissolution de la LCC pouvaient s'appliquer dans le cas d'une société dont les activités étaient contraires à l'éthique. Ce représentant citait comme exemple de pratiques illégales la pratique de la médecine et les opérations de jeu.
Pour clore, mesdames et messieurs, nous vous exhortons à relire l'ensemble de nos recommandations qui sont jointes au mémoire dont vous avez reçu copie. Dans nos recommandations, nous proposons plusieurs autres changements à certaines dispositions précises du projet de loi. Toutes nos recommandations se fondent sur le principe de politique gouvernementale éprouvé selon lequel les institutions nationales du Canada devraient servir les intérêts des Canadiens, et non l'inverse.
L'entreprise est l'institution phare de notre époque. La législation canadienne sur les entreprises doit donc veiller à ce que l'entreprise ait à coeur l'intérêt public le plus vaste, et non seulement l'intérêt de ses actionnaires et de ses dirigeants. Dans le traité The Modern Corporation and Private Property, reconnu par les avocats des entreprises comme étant l'un des ouvrages précurseurs dans le domaine du droit des entreprises, Adolf Berle et Gardiner Means prédisaient que l'entreprise se transformerait comme suit:
On peut concevoir -- et, de fait, c'est même essentiel pour que le système des entreprises survive -- que le contrôle des grandes entreprises se transformera en une technocratie parfaitement neutre qui soupèserait les revendications des divers groupes de la collectivité et qui accorderait à chacun une portion des bénéfices futurs en se fondant sur la politique gouvernementale plutôt que sur la cupidité privée.
Honorables sénateurs, pour édifier un monde qui puisse durer et qui soit vraiment équitable, le droit des entreprises doit illustrer la primauté des citoyens sur des institutions créées par des lois.
Le président: Merci. Pourquoi citer John De Lorean, dont la réputation n'est certes pas reluisante?
M. Yaron: Justement, pour cette raison même. Que cet homme accepte de faire une telle affirmation en dit très long, surtout à la lumière de son dossier.
Le président: Vous me perdez complètement.
Le sénateur Angus: Monsieur Conacher, vous êtes déjà venu témoigner devant nous et j'avais essayé alors de déterminer qui au juste vous représentiez. Je n'ai jamais très bien compris votre réponse. Depuis lors, j'ai vu Démocratie en surveillance à l'oeuvre. Je vais donc vous reposer ma question. Je vois ici une liste des membres de la Corporate Responsibility Coalition et je vois que Démocratie en surveillance en est membre. Je vois également que la Corporate Responsibility Coalition a des membres nationaux et provinciaux. Pouvez-vous nous dire qui sont les membres du groupe que vous venez défendre ici? De qui Duff Conacher est le porte-parole?
M. Conacher: J'interviens aujourd'hui en tant que président de la coalition.
Le sénateur Angus: Pour tous les membres qui la constituent, et pas seulement vous?
M. Conacher: C'est exact. Démocratie en surveillance est un groupe de citoyens qui a son siège à Ottawa. Nous avons des membres dans toutes les provinces et dans tous les territoires, certaines organisations mais surtout des particuliers. Nous comptons au total 1 000 membres.
Le sénateur Angus: J'imagine qu'ils payent quelque chose pour financer votre organisation.
M. Conacher: En effet. Nous avons également de l'argent qui provient de la vente d'un livre qui est déjà en librairie et nous en avons un autre en projet. Nous avons également certains financements offerts par des fondations.
Le sénateur Angus: Peut-on donc conclure que les groupes qui font partie de la coalition ont essentiellement tous le même point de vue? Nous entendrons demain M. Yves Michaud qui est un visage connu dans les assemblées d'actionnaires un peu partout au Canada.
M. Conacher: Et d'ailleurs, son groupe fait également partie de la coalition.
Le sénateur Angus: Oui, c'est ce que je vois ici. Vous n'avez pas tous des points de vue différents de la même question. Essentiellement, vous défendez tous l'intérêt non pas des actionnaires, mais des citoyens en général.
M. Conacher: C'est exact.
Le sénateur Angus: Je suis pour l'essentiel en accord avec ce que vous avez dit tous les deux. Sans vouloir être péjoratif, je dirais que ce sont là des évidences. Lorsque j'étais petit, on m'a appris à être un bon citoyen et, même si je suis un particulier, à faire preuve de civisme au sein de l'entreprise. Lorsqu'on a la chance d'avoir fait de bonnes études et d'avoir certains privilèges, il faut essayer de rendre la pareille. Je pense que c'est ce qu'on enseigne communément dans les écoles et aussi ce que les parents essaient d'inculquer à leurs enfants.
J'ai constaté que pour l'essentiel au Canada, les entreprises font preuve de civisme. Je n'ai pas constaté le genre d'abus que les gens comme vous essayent de mettre en exergue. L'une des choses qui m'a frappé lorsque M. Yaron faisait son exposé, c'est que selon lui une entreprise ne devrait pas pouvoir quitter le Canada à sa guise. Nous vivons à l'ère de la mondialisation. Le Canada essaie d'attirer des sièges sociaux sur son territoire, pas seulement pour créer des emplois ou pour financer la mise en valeur de certaines de nos ressources, mais bien pour que ces entreprises viennent conduire des recherches ici et renforcent ainsi notre économie. Je pense personnellement que c'est une bonne chose. Mais si le climat que ces entreprises rencontrent au Canada n'est pas propice, loin de moi l'idée de leur refuser le droit de partir ailleurs. Est-ce que je me trompe lorsque je dis que vous semblez penser pour votre part qu'une fois que ces entreprises sont ici, elles sont coincées.
M. Yaron: Il s'agit plutôt de savoir si nous allons exiger de ces entreprises qu'elles rendent compte de leurs actes lorsqu'elles sont en activité ici. Pour ce qui est de savoir si elles peuvent se contenter de fermer la porte et de quitter le territoire, il faut se demander plutôt si ce genre de comportement est moral ou non. Je parle tout particulièrement ici des compagnies du secteur des ressources. Il suffit de voir ce que les compagnies forestières font en Colombie-Britannique, ce que les compagnies minières font dans l'Arctique et dans toute la frange septentrionale de la plupart des provinces. Nous partons du principe que ce comportement est contraire à l'éthique et que ces entreprises doivent rendre compte de ce qu'elles font. Elles ne peuvent pas se contenter de s'implanter ici, d'y travailler lorsque cela leur convient puis de s'en aller. Il est certain que nous ne permettons pas ce genre de choses à nos citoyens.
M. Conacher: Sénateur, vous dites que nous voulons offrir à ces entreprises un climat séduisant. Cela étant, nous voudrions également avoir un climat séduisant mais au sens propre du terme, pour nous autres aussi.
Le sénateur Angus: Je n'en disconviens pas. Vous dites par contre que nous demandons aux citoyens de rendre compte de leurs actes. Moi qui suis citoyen, je suis libre de quitter le Canada quand bon me semble. Personne ne me retiens. Je ne pense pas que nous ayons des comptes à rendre au sens où vous l'entendez. Les citoyens canadiens doivent respecter certaines règles ici au Canada. Nous avons une société ordonnée. Le Parlement légifère dans le sens où, il faut l'espérer, le veut le consentement populaire. Nous devons obéir aux lois sous peine d'aller en prison. Il y a également des lois pour les entreprises. L'expression «rendre compte» me pose un gros problème. Peut-être est-ce une question de sémantique, et c'est d'ailleurs la raison pour laquelle je voulais être sûr d'avoir bien compris.
M. Conacher: Pour ce qui est des entreprises qui agissent sans souci de leurs responsabilités, j'ai ici quelques manchettes. L'une parle d'un avertissement lancé par la CVMO au sujet d'une augmentation du nombre de crimes dans le secteur des valeurs mobilières. Cet article demande d'ailleurs que soit créée une escouade complète de la GRC pour faire enquête sur les fraudes en bourse.
Le sénateur Angus: Mais nous avons des lois qui punissent déjà cela.
M. Conacher: Oui, mais qui surveille cela? L'article prétend qu'il faudrait une escouade complète de la GRC. La GRC d'ailleurs l'admet également et elle n'a toujours pas les ressources nécessaires.
Le sénateur Angus: Peut-être sommes-nous sur la même longueur d'ondes. Moi aussi, je suis contre le crime. Tout ce qui tend à corrompre la moralité me répugne.
M. Conacher: Le problème tient à ce qu'il y a énormément de failles, que ce soit dans les règlements, dans les droits et les responsabilités ou alors dans la mise à exécution de ces mêmes règlements, droits et responsabilités. La meilleure façon d'uniformiser les règles du jeu consisterait, au lieu d'une approche à l'emporte-pièce, à intégrer tout cela dans la Loi canadienne sur les sociétés par action. Le sénateur Kelleher en a d'ailleurs parlé pendant la comparution des fonctionnaires d'Industrie Canada. Il est plus efficace de tout mettre dans cette loi que d'avoir un méli-mélo de règles en matière de travail, d'environnement et ainsi de suite. Il y a déjà des lois qui protègent les dénonciateurs dans les entreprises. Si nous mettions une disposition de ce genre dans cette loi-ci, tous les dénonciateurs seraient protégés peu importe l'entreprise dans laquelle ils travaillent. Pourquoi ne devrait-on les protéger que dans le cas du code du travail, du bureau de la concurrence et de quelques autres domaines? Pourquoi ne sont-ils pas protégés peu importe la loi qui est enfreinte?
La Loi canadienne sur les sociétés par actions est, pour les compagnies canadiennes, une véritable loi sur la citoyenneté. Tout ce que nous disons, c'est qu'il faut placer la barre plus haut.
Le sénateur Angus: Je comprends mieux maintenant. Ma modeste expérience du monde des affaires m'a appris que le fait de rendre compte de ses actes, pour utiliser vos propres termes de la façon dont j'interprète votre définition, signifie que les entreprises sont en quelque sorte détournées de leur objet premier. Peut-être leur objet premier est-il de trouver un nouveau remède contre le cancer. Pourtant, à toutes leurs assemblées annuelles, elles sont sans cesse prises à partie par des gens qui leur demandent de rendre compte de leurs actes alors qu'elles le font déjà devant leurs actionnaires qui sont après tout ceux qui investissent dans l'entreprise.
M. Conacher: Mais uniquement les actionnaires.
M. Yaron: Je suis d'accord avec M. Conacher. Par contre, je vais plus loin encore en prétendant que les entreprises ne doivent pas rendre compte de la même façon que le simple citoyen. Pour moi, cette notion de rendre compte a une connotation différente. Un citoyen du Canada n'est pas en mesure de s'installer ailleurs et de vivre à l'extérieur du Canada.
Le sénateur Angus: Et pourquoi pas? Cela fait deux ans et demi que nous parlons ici même de l'exode des cerveaux.
M. Yaron: Certes, à condition d'obtenir une carte verte pour aller travailler aux États-Unis ou en Europe, à condition de réunir les conditions exigées, effectivement vous pouvez aller ailleurs.
Le sénateur Angus: Chaque jour que Dieu fait, ils viennent chercher les cerveaux les plus brillants. Si vous ne le savez pas encore, c'est que vous rêvez en couleur.
M. Yaron: Ne vous en déplaise, ce sont les gens les plus qualifiés qui sont ainsi sollicités, mais cela ne vaut pas pour la majorité des Canadiens. Certes une infirmière, un physiothérapeute ou quelque autre professionnel dont les États-Unis pourraient avoir besoin à un moment donné a automatiquement son billet de séjour, mais l'inverse n'est pas vrai. Par contraste, les entreprises canadiennes peuvent tout simplement fermer la porte et aller s'implanter ailleurs à leur guise. Cela nous pose des problèmes impossibles dès lors que nous voulons leur demander des comptes. Toute la restructuration du monde des affaires, les liens très subtiles qui unissent les filiales et les maisons mères dont les responsabilités sont limitées protègent les secondes contre ce que pourraient faire les premières et vice-versa.
Lorsque vous provoquez un accident de voiture, sénateur, vous êtes responsable. Lorsque vous sortez un revolver de votre poche et abattez quelqu'un, vous êtes responsable. Lorsqu'une maison mère aide une filiale dans une activité conduite ici au Canada, la maison mère n'est pas responsable. L'incident qui s'est produit récemment dans le cas des compagnies de tabac en Colombie Britannique le prouve bien. Le jugement de la Cour suprême de la Colombie-Britannique déclarait que le juge n'allait pas poursuivre les filiales implantées dans d'autres juridictions pour les actes commis par celles qui étaient en activité en Colombie- Britannique. Ainsi, les compagnies ne doivent-elles pas rendre compte de leurs actes.
Le sénateur Angus: Je ne veux pas aller plus loin, même si nous pourrions avoir une discussion sociologique fort intéressante à ce sujet. Au bout du compte, je ne pense pas qu'il y ait beaucoup de membres du comité qui soient prêts à nier que les entreprises doivent respecter la loi et que le Canada doive avoir les lois qui permettent le mieux de protéger le pays dans son ensemble ainsi que notre mode de vie. Ce qui me dérange, c'est d'entendre dire qu'il y aurait tout un tas d'autres normes et de lois à créer pour que les entreprises rendent compte de leurs actes. C'est pour cette raison que j'ai fait précéder ma question de cette introduction.
J'ai le sentiment, même si nous vivons dans une économie de marché, qu'on semble avoir horreur des compagnies. Pour ce qui est de la responsabilité limitée, vous nous dites que la réglementation est vielle de 100 ans et qu'elle est périmée. Personne n'investirait dans une compagnie, ne prendrait de risque et ne ferait tout ce qui, après tout, constitue le système capitaliste d'entreprise. Si vous n'aimez pas ce système, c'est une toute autre discussion que nous pourrions avoir vous et moi.
Il y a dans le monde de l'entreprise des éléments qui ne sont peut-être pas nécessairement de votre goût. Mais si nous voulons qu'il y ait des investisseurs, si nous voulons qu'il y ait des mécanismes permettant de réunir du capital pour mettre sur le marché de nouveaux produits comme les produits biotechnologiques dont nous parlions il y a quelques instants, il faut se souvenir de cet élément-là également. Nous devons parler de cette responsabilité dans un climat favorable.
M. Conacher: Le problème, c'est qu'il est trop facile pour les compagnies d'avoir leurs frais généraux à l'étranger et de se contenter d'encaisser les bénéfices. Nous voulons que les compagnies tiennent compte de l'intérêt des parties prenantes afin de ne pas imposer à celles-ci tous ces frais généraux qu'elles ont à assumer dans la recherche de toutes ces choses qui sont parfois merveilleuses. Il faut tenir compte également des autres parties prenantes et pas simplement chercher à obtenir un bénéfice maximum. C'est tout ce que nous disons.
Le sénateur Angus: Voulez-vous dire par là que chaque compagnie devrait avoir un comité sur la responsabilité sociale, ce qui existe déjà souvent dans les conseils d'administration, une résultante en somme de votre bon travail?
M. Conacher: N'importe quel actionnaire peut poursuivre la compagnie si elle ne veille pas à l'intérêt maximum de l'actionnaire. C'est cela l'un des principaux problèmes.
Le sénateur Angus: Cela se produit tous les jours.
M. Conacher: C'est bien là le problème. La bourse de Toronto affirmait dans un rapport qu'il est parfaitement légitime pour un administrateur de tenir compte de l'intérêt des parties prenantes, mais la loi dit le contraire. C'est cela le principal problème. Si nous procédions différemment, si nous avions davantage de transparence, davantage de protection pour les dénonciateurs, si nous faisions quelque chose pour le petit actionnaire, à ce moment-là les règles du jeu seraient les mêmes pour toutes les compagnies. Et par contrecoup, les règles du jeu pour les compagnies et pour les citoyens seraient également plus semblables. À ce moment-là, la société n'en serait que meilleure.
Le président: Essayez de ne pas trop vous répéter.
Le sénateur Furey: J'avais une question pour M. Yaron. Il s'agit de ce que vous avez dit à propos des devoirs des administrateurs. J'en conclus que vous n'êtes pas en faveur de la modification proposée qui remplacerait la condition de la bonne foi par celle de la diligence raisonnable.
Dans vos propos, vous laissez entendre que vous préféreriez que le Canada adopte certaines dispositions législatives qui existent déjà ailleurs, aux États-Unis par exemple, et je ne veux pas dire par là que je ne suis pas d'accord avec vous. Par contre, ce n'est pas vraiment une référence car il s'agit plutôt d'un régime imposé par la loi.
Par exemple, vous avez dit qu'il fallait considérer une foule de choses, et au premier chef, l'intérêt supérieur des employés. Vous avez dit ensuite que la règle de conduite qui s'applique aux gens dans leur vie quotidienne doit s'appliquer aux administrateurs et agents des entreprises canadiennes. C'est assez clair, je le vois bien, mais qu'entendez-vous par cela au juste? Vous en avez parlé, mais j'aimerais savoir quelles règles de conduite s'appliquant à la vie quotidienne d'une personne s'appliquent à un particulier qui siège au conseil d'administration d'une entreprise?
M. Yaron: J'ose croire que tout bon citoyen responsable dans notre pays prend en compte les effets de ses actes sur ses concitoyens, et qu'en ce sens, il ne causera aucun tort à une autre personne et ne profitera pas non plus de ses concitoyens.
Le sénateur Furey: En feriez-vous une règle de conduite pour les membres des conseils d'administration ou vous en remettriez-vous au régime de confiance? Pensez-vous que tout le monde agira bien du fait que chacun appliquera désormais la règle de conduite qui régit sa vie à toute décision que son entreprise pourrait prendre?
M. Yaron: Je structurerais cela.
Le sénateur Furey: Comment?
M. Yaron: Je privilégierais l'obligation et non la discrétion. Je dirais simplement que les administrateurs doivent agir non seulement dans l'intérêt supérieur de l'entreprise mais également dans l'intérêt supérieur des autres intérêts que nous jugeons importants de protéger.
Pour ce qui est de la diligence raisonnable par rapport à la bonne foi et d'autres considérations, depuis qu'il existe des lois sur les entreprises, nous avons réussi à imposer des normes. Je ne vois pas pourquoi nous ne pourrions pas changer cela et améliorer la règle de conduite. Il reste à savoir comment nous formulerions cela. Je n'ai pas de formule à vous proposer, mais si nous avons réussi à le faire auparavant, je ne vois pas pourquoi on ne pourrait pas le refaire.
Le sénateur Kroft: Je n'ai jamais été autant intimidé par un témoin parce qu'on nous a dit que rien ne nous permettait de réfuter l'une quelconque de vos propositions. Voilà pourquoi j'hésite à contester vos thèses, je me limiterai donc à des questions.
Ce dont vous parlez en fait, c'est de la question des propositions émanant des actionnaires ou de la faculté qu'ils ont de soulever des questions à l'assemblée générale et de demander des comptes à l'entreprise. J'aimerais que vous nous disiez jusqu'où vous voulez aller.
À mon avis, cette loi vise, et c'est aussi l'intention de notre comité, à établir des liens entre ces propositions et la raison d'être de l'entreprise de telle sorte que ces assemblées générales ne deviendront pas simplement un forum pour un groupe quelconque qui aurait une cause à défendre. Ces assemblées servent de plus en plus simplement de tribune à ceux qui défendent des causes qui n'ont presque rien à voir avec l'entreprise. Comment allez-vous instaurer une discipline quelconque qui permettra aux gens de faire valoir des préoccupations légitimes sans pour autant monopoliser le forum de l'entreprise? Les entreprises se donnent beaucoup de mal pour expliquer à leurs actionnaires et au public ce qu'elles ont fait au cours de l'année résolue. Croyez-vous qu'il y a des excès de ce côté? Croyez-vous que ces assemblées doivent être ouvertes à tous les griefs? Existe-t-il des règles? Je n'en vois pas. Si je comprends bien ce qu'on dit ici, on peut exiger des comptes d'une entreprise pour à peu près n'importe quoi, que cela ait trait ou non à son secteur d'activité. Ai-je mal compris?
M. Conacher: Nous croyons que la règle américaine qui dit que tout sujet doit s'appliquer à l'entreprise est parfaite. Cependant, on énumère un certain nombre de causes, et l'on dit ensuite: «toute autre cause semblable». Essentiellement, tout sujet qui est lié à une cause étrangère à l'entreprise peut être rejeté. L'entreprise a beau jeu de le faire étant donné qu'elle dispose de ressources énormes pour s'adresser aux tribunaux et retarder les choses. Souvent, l'on parle de petits actionnaires qui ont des griefs légitimes, comme on l'a reconnu dans l'affaire où Yves Michaud s'est opposé aux banques.
Ainsi, nous vous proposons de supprimer la mention des causes, de retenir une règle qui dit que tout sujet doit être lié aux activités de l'entreprise et d'obliger celle-ci à prouver qu'il n'y a aucun rapport avec ses activités. On aura ainsi égalisé les chances et donné à chaque actionnaire le droit de parole.
Ajouter, comme le veut le libellé proposé, que le sujet doit présenter un rapport important avec les activités de l'entreprise et obliger les actionnaires à payer de leur poche tout recours devant les tribunaux si l'entreprise rejette leur proposition, ce n'est pas du tout égaliser les chances. C'est en fait un recul.
Le sénateur Kroft: Je sais d'expérience que si on n'utilise pas des termes comme «avoir un lien important» ou quelque chose de ce genre, ceux qui croient avoir une cause à défendre vont faire valoir qu'il y a un lien lointain ou marginal. Je pense qu'il faut une certaine discipline et qu'il faut indiquer ce qui est convenable. Il est insuffisant de supprimer les qualificatifs et de dire simplement qu'il faut inverser le fardeau de la preuve et obliger l'entreprise à prouver que la cause n'a aucun rapport avec ses activités.
M. Conacher: Aux États-Unis, la règle dit qu'il doit y avoir un rapport. C'est au coeur du capitalisme. On ne voit pas d'entreprise faire faillite ou détourner de son but à cause de cela.
Le sénateur Kroft: J'avoue ne pas être un expert de la jurisprudence, cependant, j'ai la certitude que le terme «lié», si ce n'est pas déjà fait, sera défini. Car il y a des conséquences.
M. Conacher: La mention «un rapport raisonnable» est plus favorable aux actionnaires que la mention «un rapport important». Cette dernière mention est importante, et ce sont les tribunaux qui la définiraient. Ceux-ci pourraient dire que le sujet doit présenter un rapport avec la moitié des activités de l'entreprise, sans quoi il n'y a pas de rapport important. Un grand nombre d'actionnaires ayant des préoccupations tout à fait légitimes seraient ainsi exclus.
Si vous voulez définir cela plus clairement, nous en serions heureux. Cependant, définissez ces termes dans le sens de l'ouverture, et non de la fermeture comme c'est le cas ici. J'ai la certitude que la Social Investment Organization et le Taskforce on the Churches and Corporate Responsibility en feront état beaucoup plus longuement.
Le sénateur Kroft: J'aimerais exprimer mon désaccord avec vous sur un point en particulier. Notre comité a discuté de la question de la réduction des exigences relatives à la résidence des administrateurs, et l'on propose ici de passer d'une majorité à 25 p. 100. On recommande cette mesure parce qu'elle est compatible avec la pratique internationale des entreprises et les régimes réglementaires qui apparaissent dans un monde compétitif et sans frontière, et l'on dit que c'est un compromis: si nous voulons que les gens viennent faire affaire chez nous, tout comme nous voulons que nos gens aillent faire affaire ailleurs, nous avons besoin de cette ouverture sur le monde. C'est un sujet de discussion qui a fait l'objet de nombreuses interventions. Quel est votre avis à ce sujet? La thèse de l'ouverture sur le monde présente-t-elle un avantage quelconque dans votre esprit?
M. Conacher: Notre coalition n'a pas pris position là-dessus. Le groupe de M. Yaron s'en inquiète particulièrement. D'un point de vue personnel, je dirais qu'il faut être vigilant parce que les administrateurs forains peuvent ressembler à des propriétaires forains. Nombreux sont ceux qui ont de mauvais souvenirs de ces propriétaires qui sont ailleurs, qui ne sont pas sur place pour voir ce qui se passe tous les jours. Cela peut les empêcher d'agir dans les intérêts de l'entreprise et du secteur environnant.
M. Yaron: Je veux bien que l'on crée au Canada un climat propice à l'entreprise, mais cette considération ne pèse pas lourd à côté du danger que pose une entreprise présente dans notre pays et dont le conseil d'administration est à l'étranger, compte tenu surtout des effets qu'ont aujourd'hui les activités des entreprises.
Le sénateur Kroft: Vaut-il mieux se priver d'une entrepris que d'en avoir une présente ici à 25 p. 100?
M. Yaron: Oui.
Le sénateur Kroft: Ce serait un choix difficile.
M. Yaron: À mon avis, la crainte dans notre société que les entreprises vont tout simplement fuir notre pays si nous modifions ces règles, ne repose sur rien. Notre pays a beaucoup à offrir. Les entreprises ont besoin de nos ressources et de nos compétences. On ne verra pas toutes les entreprises fuir vers le Delaware si l'on maintient à 50 p. 100 le critère de résidence pour les administrateurs. Ces entreprises vont rester ici et vont continuer de faire affaire chez nous.
Le président: Vous ai-je bien compris: si un actionnaire a un grief ou veut obtenir réparation et qu'il s'adresse à la société, il incombera à la société de prouver qu'il n'y a pas matière à grief?
M. Conacher: Si un actionnaire présente une proposition, la société peut rejeter la proposition pour les motifs énoncés à l'article 137. L'actionnaire doit alors s'adresser au tribunal, assumer les frais judiciaires et prouver que sa proposition est conforme aux critères de l'article 137.
Le président: Le fardeau de la preuve incombe à l'actionnaire?
M. Conacher: Oui. Voilà pourquoi nous estimons que vous devriez inverser le fardeau de la preuve et éliminer les obstacles.
Le président: Vous êtes d'avis que le fardeau de la preuve devrait incomber à la société?
M. Conacher: Il devrait incomber à la société de prouver que la proposition n'est pas liée à la société.
Le président: Est-ce que cela ne va pas à l'encontre de la règle de droit générale? Je ne veux pas entrer dans les détails, cependant.
M. Conacher: Cela ne va pas à l'encontre de l'équité.
Le président: Voilà 40 ans que j'ai obtenu mon diplôme de droit, alors, je peux me tromper.
Le sénateur Angus: C'était au Québec, et on n'y reconnaît pas l'équité.
Le sénateur Meighen: Le sénateur Kroft a posé bon nombre de mes questions sur l'article 137, mais j'aimerais aller un peu plus loin. Monsieur Conacher, avez-vous bien dit que, aux États-Unis, le terme «pertinent» n'est nullement nuancé?
M. Conacher: On a interprété ce terme, mais les Américains n'ont pas de liste de motifs de rejet. Toutefois, le lien avec la société ou ses activités est cité.
Le sénateur Meighen: On n'emploie pas de terme tel que «de façon importante», «raisonnablement» ou «étroitement»?
M. Conacher: Pour autant que je sache, on se fonde uniquement sur l'effet de la proposition sur la valeur des actions. Je crois savoir que l'interprétation se fonde là-dessus.
Le sénateur Meighen: Je n'ai pas compris. La pertinence se fonde sur la valeur des actions?
M. Conacher: Oui. Si la proposition est liée à 5 p. 100 des actifs ou des activités de la société, elle est jugée pertinente et ne peut être rejetée.
Le sénateur Meighen: On tient donc compte de la valeur de l'actif?
M. Conacher: Oui.
Le sénateur Meighen: Êtes-vous pour cela?
M. Conacher: D'après l'expérience américaine, je dirais que cette méthode est plus ouverte et semble constituer un progrès. Je m'en remets à ceux qui ont davantage d'expérience, soit les prochains témoins, qui représentent le Comité inter-Églises sur les responsabilités des entreprises. Voilà pourquoi j'ai été si bref sur ce sujet. Les prochains témoins ont davantage d'expérience du dépôt de propositions de la part d'actionnaires et sont en contact avec des groupes d'un peu partout dans le monde qui font la même chose, surtout par le biais d'investissements faits par des Églises. Ils seront mieux en mesure que moi de vous donner des détails. Nous estimons néanmoins que la norme américaine est inférieure à celle proposée dans le projet de loi S-19.
Le sénateur Meighen: Comme l'a dit le sénateur Angus plus tôt, tous les gens de bonne foi -- et je présume que nous en sommes -- veulent établir un régime où les questions pertinentes peuvent et doivent être soulevées. Comme l'a mentionné le sénateur Kroft, je doute que nous soyons nombreux à vouloir transformer les assemblées d'actionnaires en tribune ne permettant que l'expression d'intérêts particuliers. Sinon, quand pourra-t-on traiter des affaires de la société par opposition aux affaires de certains actionnaires?
M. Conacher: Si la proposition est liée à la société, c'est qu'elle traite des affaires de la société.
Le sénateur Meighen: Ce dont nous discutons, en fait, c'est de savoir dans quelle mesure la proposition d'un actionnaire devrait être liée à la société avant qu'elle soit présentée à tous les actionnaires.
M. Conacher: Nous estimons que ce qui est proposé relève l'obstacle plutôt que de l'abaisser.
Le sénateur Meighen: Je ne comprends pas vraiment. Il me semble qu'au contraire, ce serait utile, même si cette mesure ne va pas aussi loin que vous le souhaiteriez. D'après mon interprétation de la modification proposée à l'article 137, il serait plus facile pour les actionnaires de présenter une proposition, même si ce ne serait pas aussi facile que vous le souhaiteriez.
Le sénateur Oliver: C'est ce qu'affirme aussi le ministère.
Le sénateur Meighen: Vous n'êtes pas d'accord?
M. Conacher: Non. Les différents motifs sont toujours là. Pourquoi ne pas tout simplement exiger que la proposition soit liée aux affaires de l'entreprise? Pourquoi le sujet devrait-il importer?
Le sénateur Meighen: Ce serait mieux, mais je continue de croire que la modification proposée améliorera la situation, mais peut-être pas comme vous le souhaitez.
M. Conacher: C'est difficile à dire. On dit dans la modification que la proposition doit être «liée de façon importante» à la société. Ce sont les tribunaux qui trancheront, mais vous connaissez maintenant notre interprétation.
Le sénateur Meighen: J'ignore si nous avons abordé l'exigence selon laquelle le groupe qui présente la proposition doit être le propriétaire inscrit ou véritable d'actions avec droit de vote en circulation d'une juste valeur marchande de 2 000 $ ou représentant 1 p. 100 du nombre total des actions de la société en circulation. Vous opposez-vous à cela, compte tenu du fait que les actionnaires peuvent regrouper leurs avoirs pour répondre à cette exigence?
M. Conacher: Ce n'est pas mal, mais, encore une fois, cela m'apparaît un peu élevé. Nous verrons ce que cela donnera en pratique, mais je prévois que ce sera trop élevé. Il n'est pas facile de trouver le bon niveau.
Le sénateur Meighen: Pour terminer, je ferai une remarque plutôt que de vous poser une question. N'oublions pas que les sociétés régies par la Loi canadienne sur les sociétés par actions ne sont pas toutes de la taille de Nortel et n'ont pas non plus les ressources de Nortel. Dans tous vos exemples, vous avez fait allusion à des mégasociétés aux vastes ressources. La plupart des entreprises n'ont pas de telles ressources. Il arrive même que certains actionnaires aient davantage de ressources que leur société. Cela modifie les règles du jeu. On ne devrait pas toujours décrire la situation comme une lutte entre David, l'actionnaire, et Goliath, la société.
M. Conacher: C'est une remarque pertinente. La plupart de ces petites entreprises ne sont pas cotées en bourse. Elles comportent souvent peu d'actionnaires. Nous voulons donc égaliser les chances pour tous en relevant les normes et en exigeant que les actionnaires soient pris en compte lorsque la société prend des décisions.
Le sénateur Kroft: Êtes-vous d'accord pour dire que bien des entreprises cotées en bourse ne sont pas rentables?
M. Conacher: Oui.
Le sénateur Oliver: J'aimerais que vous m'expliquiez l'extrait suivant de votre mémoire qui m'a abasourdi, s'il veut vraiment dire ce que je crois.
On dit ceci:
Étant donné les responsabilités qui incombent aux entreprises dans notre société, l'admissibilité au poste d'administrateur doit faire l'objet de conditions plus strictes afin de protéger les intérêts des employés, des tiers, des actionnaires et des autres administrateurs de l'entreprise. À tout le moins, nous recommandons que ceux reconnus coupables de crimes en col blanc ou de violation des règlements ne puissent constituer une société par actions ou être administrateur d'une telle société pendant au moins cinq ans après la condamnation.
Recommandez-vous que l'on interdise à quelqu'un qui a violé un règlement relevant de la loi sur les terres et forêts, par exemple, de constituer une société par actions?
M. Yaron: Oui, sénateur.
M. Conacher: Je précise que la coalition n'a pas de position à ce sujet.
Le sénateur Oliver: J'ai sûrement mal compris.
M. Yaron: Il n'est pas permis aux citoyens de violer les dispositions des lois ou des règlements. Il existe des sanctions pour dissuader les gens de commettre de telles violations. Une peine quelconque est imposée, que ce soit une peine d'emprisonnement ou une amende.
Le sénateur Oliver: Celui qui n'a pas payé à temps une amende qui lui avait été imposée pour avoir violé un règlement ne devrait pas pouvoir devenir administrateur?
M. Yaron: Vous voudrez peut-être ratisser moins large que ce que laisse entendre notre mémoire. Toutefois, le principe général veut que le poste d'administrateur au sein d'une société comporte des responsabilités. J'estime que quiconque a commis une infraction criminelle ou violé une loi ne devrait pas avoir le droit d'occuper un tel poste de responsabilité.
Le sénateur Tkachuk: C'est déjà le cas.
M. Yaron: Comment cela?
Le sénateur Tkachuk: Si vous avez un casier judiciaire, vous ne pouvez siéger au conseil d'administration d'une société ouverte, mais vous pouvez siéger au conseil d'administration d'une société fermée. C'est vérifié auprès de la police. Ce règlement existe déjà.
M. Yaron: Peut-être bien, mais cela devrait aussi s'appliquer aux sociétés fermées.
Le sénateur Tkachuk: Un peintre qui voudrait constituer une société de régime fédéral ne pourrait le faire, même après avoir purgé toute sa peine?
M. Yaron: Nous avons eu du mal à formuler l'exemple que nous avons employé. Vous pourriez prévoir que l'interdiction s'appliquera pour une période minimale ou pendant la période d'incarcération. Vous voudriez peut-être formuler cela différemment. Ce que nous voulons dire, c'est que les critères d'admissibilité au poste d'administrateur prévus par la Loi canadienne sur les sociétés par actions sont insuffisants. Essentiellement, ils sont inutiles et sans signification. Ils disent simplement que si vous êtes fou ou si vous êtes un enfant, vous ne pouvez diriger une société. La barre n'est tout simplement pas assez élevée.
Le président: Tout cela m'apparaît bien étrange. Une entreprise privée est la personne morale d'une personne physique. La personne physique choisit de constituer une personne morale pour limiter sa responsabilité.
Le sénateur Fitzpatrick: Ma question est complémentaire à celle du sénateur Oliver. Je comprends votre suggestion dans les cas d'infraction criminelle, mais je ne suis pas certain que cela puisse s'appliquer dans les cas de violation d'un règlement. Ainsi, déposer un rapport d'initié erroné constitue une violation réglementaire, mais il peut s'agir d'une erreur de bonne foi. Voulez-vous dire que celui qui fait une erreur semblable ne devrait pas avoir le droit de constituer une société?
M. Yaron: Encore une fois, cela pourrait faire l'objet de discussion. Dans certains cas, nous estimons que la violation est suffisamment grave pour justifier une telle sanction. Peut-être pourrait-on prévoir que cette interdiction s'appliquera après un nombre donné de violations sur une période donnée. Je ne souhaite pas être plus précis quant au seuil qu'il faudrait prévoir.
Le sénateur Hervieux-Payette: Je dirais que les fonds communs de placement et les fonds de pension représentent la grande majorité des investisseurs. Vous prétendez être le porte-parole des actionnaires. Quel pourcentage de gens est-ce que cela représente? Combien de gens achètent seuls des actions? Je crois que cela ne représente pas plus de 10 p. 100 des actionnaires, et que tous les autres actionnaires sont regroupés en fonds communs de placement et en fonds de pension. J'ai aussi l'impression que les gens qui gèrent eux-mêmes leur portefeuille d'investissement sont de moins en moins nombreux. Savez-vous quel est leur pourcentage au sein de votre club?
M. Conacher: Ce ne serait pas notre club.
Le sénateur Hervieux-Payette: Votre association.
M. Conacher: Non, ce serait leur association, formée par les actionnaires, dirigée par les actionnaires et financée par les actionnaires. Nous voulons simplement que les sociétés soient tenues de distribuer ce prospectus, qui serait aussi remis aux participants à des fonds communs de placement. C'est là notre proposition. Vous restez un actionnaire individuel même quand vous participez à un fonds commun de placement. Nous estimons que ce prospectus devrait être distribué à tous les investisseurs individuels.
Je sais que le gouvernement fédéral ne peut exiger des sociétés de fonds communs de placement qu'elles fassent cela, mais nous avons aussi amorcé des démarches auprès de la Commission des valeurs mobilières de l'Ontario.
Le sénateur Hervieux-Payette: Savez-vous combien de gens investissent seuls dans de grandes sociétés?
M. Conacher: Tous ceux qui participent à un fonds commun de placement le font seuls.
Le président: Monsieur Conacher, vous ne répondez pas à la question.
M. Conacher: Je suis d'accord avec vous pour dire qu'ils représentent environ 10 à 20 p. 100 des investisseurs, mais ce pourcentage est probablement à la hausse avec l'arrivée des spéculateurs à jour. Cela change tous les jours. Toutefois, nous souhaitons que ce prospectus soit distribué aux détenteurs de parts dans les fonds communs de placement aussi, car il faut sensibiliser les gens. Il y a quelques années, l'Association des banquiers canadiens a mené un sondage exhaustif. La majorité des Canadiens y ont déclaré qu'ils souhaitaient des renseignements de source indépendante. Ils ne voulaient pas d'information provenant des vendeurs, car ils savaient que ceux qui vendent des services financiers ont intérêt à voir les consommateurs acheter leurs produits plutôt que ceux de leurs concurrents. Il y a 1 000 fonds communs de placement. Il est extrêmement difficile pour l'investisseur individuel d'être bien informé. Par conséquent, nous souhaitons que ce prospectus soit distribué à ceux qui figurent sur les listes d'actionnaires des sociétés, mais aussi à ceux qui figurent sur les listes d'envoi des fonds communs de placement, qui, eux, relèvent des provinces.
Le président: Merci, messieurs.
Honorables sénateurs, notre témoin suivant représente la Social Investment Organization.
M. Eugene Ellmen, directeur exécutif, Social Investment Organization: Monsieur le président, merci beaucoup de permettre à la Social Investment Organization de vous faire part de son point de vue. Je vous décrirai d'abord notre organisation, puis j'aborderai les dispositions touchant les actionnaires qui se trouvent à l'article 137 de la loi actuelle.
La Social Investment Organization est une association-cadre nationale, à but non lucratif, qui fait la promotion de l'investissement socialement responsable au Canada. Nous représentons ce qu'on appelle les fonds communs de placement à caractère social. Les fonds de travailleurs sont membres de notre organisation. Nous comptons de 20 à 25 conseillers financiers, conseillers en investissement et experts financiers parmi nos membres, ainsi qu'environ 200 investisseurs ordinaires qui souhaitent que leurs investissements reflètent leurs valeurs.
Les institutions membres de notre organisation gèrent des fonds au nom d'environ 200 000 Canadiens. Notre mandat est de faire progresser la cause de l'investissement à caractère social, de sensibiliser le public, d'informer les médias et les organismes non gouvernementaux et, de temps à autre, de faire des représentations auprès d'organes publics tels que le vôtre.
Ce qui nous préoccupe le plus dans la Loi canadienne sur les sociétés par actions, c'est la possibilité pour les actionnaires d'exercer leur influence comme investisseurs au sein d'une société pour provoquer des changements sociaux et environnementaux positifs au sein de cette société. La Social Investment Organization est intimement convaincue qu'on ne peut faire de compromis entre la responsabilité sociale et environnementale et la viabilité à long terme. De plus en plus de preuves étayent ce point de vue.
Michael Jantzi Research Associates, une entreprise membre de notre organisation, a récemment rendu public un indice de 60 entreprises socialement responsables au Canada. On l'appelle l'indice social Jantzi. Il n'existe que depuis le début de l'année et il ne fournit pas encore de rendement instantané. Toutefois, cet indice a été établi à partir de données, sur ces 60 sociétés, allant jusqu'à 1994. Sur une base annualisée, il indique une augmentation de 18,9 p. 100. Le TSE 100 est un peu plus de 18 p. 100, alors que le TSE 300 est à environ 17,4 p. 100. Cela s'apparente aux indices américains, et indique qu'on s'entend de plus en plus pour dire qu'il y a de plus en plus d'information qui nous indique que les sociétés qui se soucient du sort de la collectivité et de leurs employés et qui fuient les litiges concernant les droits de la personne à l'échelle internationale sont celles qui donnent un bon rendement à leurs actionnaires à long terme.
Pour que ces sociétés aient une conscience sociale, il faut que leurs actionnaires assument leurs responsabilités à l'égard de la société. Les actionnaires de bonne volonté qui s'intéressent aux dossiers sociaux et environnementaux en parlent aux autres actionnaires, aux actionnaires d'autres entreprises et aux gestionnaires.
Nous avons différentes préoccupations qui sont décrites dans notre mémoire. Nous les avons aussi signalées au ministre Manley. Notre principale préoccupation concerne l'article 137 dont M. Conacher vous a entretenu un peu plus tôt. Cet article stipule que la société peut rejeter les propositions des actionnaires qui ont pour objet principal de servir à des fins générales d'ordre économique, politique, racial, religieux, social ou analogue.
Le meilleur exemple, et l'exemple le plus d'actualité, est celui de Talisman Energy, une entreprise qui tient aujourd'hui son assemblée générale annuelle à Calgary. L'an dernier, elle a invoqué cette disposition de la loi, ainsi qu'une autre de nature technique, pour dénier à certains actionnaires religieux le droit de présenter une proposition réclamant de l'entreprise une vérification de ses activités au Soudan. Il a fallu un an pour que cette affaire fasse les manchettes, après quoi elle est devenue une source de maux de tête pour les dirigeants de la société. Le président a déclaré que la controverse entourant le Soudan a provoqué une baisse d'environ 20 p. 100 du cours de l'action de son entreprise.
Cela étaye notre affirmation selon laquelle, si les actionnaires pouvaient aborder ce genre de questions avec les dirigeants par le biais des assemblées annuelles, certaines des controverses qui se transforment en véritable casse-tête pour les sociétés pourraient être évitées ou seraient moins graves.
Le projet de loi S-19 stipule notamment que la société doit généralement déposer les propositions des actionnaires, à quelques exceptions près. L'une de ces exceptions est celle de toute proposition dont il est clair qu'elle a pour objet principal de servir à des fins générales d'ordre économique, politique, racial, religieux, social ou analogue, sauf si l'auteur de la proposition établit qu'elle est liée de façon importante aux activités commerciales ou aux affaires internes de la société. Le gouvernement maintient que cela ajoute à la protection dont jouissent les actionnaires, car cela oblige la société à présenter la proposition, à moins qu'elle soit sans importance. Le problème, c'est que si vous êtes un petit actionnaire -- et on en a donné bien des exemples, tels que de petits ordres religieux, de petits groupes de religieuses -- et que vous voulez présenter une proposition qui est d'un grand intérêt pour la société, mais que la société invoque cette échappatoire pour interpréter la proposition, on confère à la société un droit de veto sur toute proposition. Les actionnaires se verront forcés de défendre devant un tribunal le lien important de leur proposition avec les activités commerciales ou les affaires internes de la société. Nous estimons que cette disposition devrait tout simplement être éliminée du projet de loi.
Nous croyons que la loi devrait prévoir un article qui protège les sociétés contre les propositions farfelues ou frivoles. Nous estimons que des exigences relativement aux actions détenues et au temps -- nous préconisons des actions d'une valeur de 1 000 $ ou représentant 1 p. 100 de toutes les actions et une période d'un an -- suffiront pour faire en sorte que seuls les actionnaires sérieux, et non pas les actionnaires avides de publicité, soumettent des propositions.
Dans le règlement américain, on n'emploie pas de termes comme religieux, moral ou social, la U.S. Securities and Exchange Commission applique un critère de pertinence, le critère des 5 p. 100 dont il a été question plus tôt. Toutefois, la SEC interprète ce critère de façon libérale.
Il y a quelques jours, je me suis entretenu avec Tim Smith du Interfaith Center on Corporate Responsibility aux États-Unis, l'équivalent de notre comité inter-Églises sur les responsabilités des entreprises. Il m'a indiqué que, pendant la saison de procuration actuelle, 50 sociétés ont contesté des propositions de leurs actionnaires et que la SEC n'en avait rejeté que quatre. La SEC interprète donc de façon très libérale la règle de la pertinence et donne aux actionnaires une grande marge de manoeuvre pour ce qui est de soumettre des propositions aux assemblées annuelles.
Le sénateur Poulin: Merci de votre témoignage. Pourriez-vous nous en dire un peu plus long sur la Social Investment Organization et ceux que vous représentez?
M. Ellmen: Nous représentons les fonds communs de placement à caractère social, tels que Ethical Funds Inc. et Fiducie Desjardins, du Québec, qui comptent les fonds mutuels à caractère social. VanCity et d'autres coopératives de crédit sont aussi membres de notre organisation. Comme je l'ai indiqué, nous comptons aussi des membres professionnels, des conseillers financiers qui vendent des fonds communs de placement ou qui sont courtiers en valeurs mobilières. Dans cette catégorie, notre organisation comprend aussi des gestionnaires de portefeuille qui gèrent les investissements au nom d'institutions. Nous représentons enfin environ 200 investisseurs individuels.
Le sénateur Poulin: Vos recherches vous ont-elles permis de dégager des tendances, au sein des organisations, petites ou grandes, en ce qui a trait à la participation dans la collectivité. Il semble y avoir une tendance selon laquelle les sociétés assument mieux leurs responsabilités à l'égard de la société, auprès des organismes de charité, de santé, d'éducation, de protection de l'environnement, des arts visuels ou du patrimoine, et je suis certaine que vos études le confirment. Avez-vous fait des recherches sur ce sujet?
M. Ellmen: Vous voulez savoir si les entreprises sont plus responsables?
Le sénateur Poulin: Oui.
M. Ellmen: On ne s'entend pas là-dessus. Mes collègues du comité inter-Églises pourraient peut-être aussi vous répondre. Ils ont rendu public une étude cette semaine dans le cadre de laquelle on a examiné un échantillon de huit entreprises qu'on a évaluées en fonction de certains repères internationaux. Essentiellement, six des huit sociétés ne se conformaient pas à ces critères de base. Par conséquent, je dirais qu'il est vrai qu'on parle beaucoup de responsabilité sociale, mais pour ce qui est de la pratique, le jugement n'a pas encore été rendu.
Le sénateur Meighen: J'aimerais avoir une précision: avez-vous dit, comme les témoins précédents, que vous étiez d'accord pour qu'on impose, non pas aux actionnaires, mais aux sociétés, le fardeau de prouver la pertinence ou l'absence de pertinence d'une proposition?
M. Ellmen: Notre mémoire indique aussi, et je n'en ai pas parlé dans mon exposé, que nous souhaitons aussi la création d'un tribunal administratif qui trancherait ces litiges à peu de frais. Si une entreprise voulait contester la pertinence d'une proposition, elle pourrait le faire devant ce tribunal. Au Canada, notre système de valeurs mobilières est si fragmenté qu'il n'y a pas d'organisme correspondant à la SEC. Nous ne proposons pas la création d'une SEC au Canada, mais plutôt un tribunal administratif qui réglerait rapidement et à peu de frais ces différends. Nous n'aurions pas d'objection à ce que les parties partagent les coûts.
Le sénateur Meighen: À qui devrait incomber le fardeau de la preuve? À la société ou à l'actionnaire?
M. Ellmen: À la société. L'actionnaire présenterait sa proposition; la société la rejetterait; l'affaire serait renvoyée devant le tribunal administratif. La société devrait prouver pourquoi elle est d'avis que la proposition n'est pas liée de façon importante à ses activités.
Le sénateur Meighen: Cela étant, que pensez-vous du critère des actions représentant 2 000 $ ou 1 p. 100 de toutes les actions en circulation de la société?
M. Ellmen: Dans notre mémoire, nous proposons 1 000 $, mais je ne crois pas que nos membres s'opposeraient à ce que ce seuil soit établi à 2 000 $.
Le sénateur Meighen: Êtes-vous d'accord pour que les actionnaires puissent regrouper leurs avoirs?
M. Ellmen: Oui. Nous sommes contre les obstacles économiques à l'accès. Nous ne considérons pas qu'un seuil de 1 000 $ ou de 2 000 $ constitue un obstacle économique.
Le sénateur Meighen: Ne craignez-vous pas que la mise en commun des actions et un seuil relativement peu élevé feraient en sorte qu'un très grand nombre de propositions seraient débattues aux assemblées annuelles qui deviendraient alors interminables?
M. Ellmen: L'expérience des États-Unis, où l'on est beaucoup plus ouvert aux actionnaires, nous prouve que tel n'est pas le cas. L'an dernier, 232 propositions relatives à la responsabilité sociale ou environnementale ont été présentées par des actionnaires lors d'assemblées générales annuelles aux États-Unis pour je ne sais combien de sociétés cotées en bourse -- elles doivent bien être des milliers. À mon avis, 232 propositions, ce n'est pas beaucoup et cela n'a pas submergé les entreprises.
C'est beaucoup de travail que de se conformer aux exigences de dépôt d'une proposition, de faire la recherche, de respecter les échéances et de formuler sa proposition; cela n'intéresse pas les investisseurs excentriques.
Le sénateur Meighen: J'essayais de voir si le seuil du SEC, soit 5 p. 100 des actifs, est supérieur à celui qui est proposé.
M. Ellmen: Je crois savoir que la SEC juge une proposition pertinente lorsqu'elle touche au moins 5 p. 100 de la société.
Le sénateur Meighen: Des actifs de la société.
M. Ellmen: Je crois savoir que ce sont les revenus, mais je peux me tromper. La SEC est très généreuse dans son interprétation. Les propositions ont généralement de grandes conséquences au niveau éthique et environnemental et je crois que la SEC préfère pécher en favorisant les actionnaires.
Le sénateur Kroft: Ma première question porte sur ces 5 p. 100. Je ne sais trop quoi penser. L'industrie du tabac est une cible facile. Si elle met en marché un produit et qu'elle vise les enfants de six ans et moins, c'est un comportement que vous jugeriez manifestement inacceptable.
M. Ellmen: Bien sûr.
Le sénateur Kroft: Mais cela n'est pas mesurable en fonction des actifs ou des ventes. C'est tout simplement ce que fait cette industrie. Ces comportements semblent représenter une grande partie de ce qui nous offusque dans ces domaines. Mais comment peut-on les évaluer?
M. Ellmen: À mon avis, cela explique pourquoi, en règle générale, la SEC ne compte pas beaucoup sur cette norme de pertinence de 5 p. 100. Lorsqu'elle étudie une proposition, si cette dernière lui paraît raisonnable et concerner une part importante des activités de la société, elle en réserve l'adoption.
Le sénateur Kroft: Très bien. Cela fait longtemps que je m'intéresse aux Fonds d'investissement responsables ou socialement responsables. Avez-vous adopté des définitions suffisamment claires pour délimiter ce genre de fonds afin d'en comparer le rendement à celui des investissements plus conventionnels? J'aimerais bien savoir quels sont les résultats de ces investissements.
M. Ellmen: Je viens de parcourir les chiffres au 31 mars car je fais un exposé demain soir là-dessus. Notre définition d'un fonds socialement responsable est assez simple.
Un tel fonds compte en général des critères sociaux ou des normes de durabilité environnementale au sein de son processus de sélection des investissements, et cela est inscrit dans le prospectus d'émission de telle sorte que les gestionnaires ne puissent se contenter de belles paroles. D'ailleurs, ces critères doivent figurer dans le prospectus afin que le public investisseur soit au courant de leur existence.
En fonction d'une telle norme, il existe quelque 30 fonds, y compris des fonds de travailleurs, qui se sont dotés de critères de vérification sociale. Si vous parcourez la liste de ceux qui remontent à il y a cinq ans, vous remarquerez qu'il y en a de très récents. Il y en a même un assez grand nombre qui ont été créés lors de la dernière saison des régimes d'épargne-retraite. Toutefois, si vous vous reportez aux fonds remontant à il y a cinq ans, trois quarts d'entre eux ont réussi à atteindre le même niveau de rendement moyen que celui des fonds plus conventionnels dans leurs catégories, ou les ont même dépassés. On peut donc penser qu'à long terme, les fonds figurant sur notre liste donnent un assez bon rendement.
Le sénateur Wilson: J'ai deux questions. D'abord, la nouvelle législation adoptée en Colombie-Britannique au sujet des sociétés par actions comporte un seuil obligatoire de possession d'actions et une période minimale de possession mais aucune disposition d'exclusion fondée sur la responsabilité sociale. Quant à l'Ontario, sa loi relative aux sociétés par actions comporte une disposition d'exclusion fondée sur la responsabilité de la société mais aucun seuil pour le nombre d'actions ni de durée minimale de leur possession. La législation de l'Alberta quant à elle comporte une disposition d'exclusion fondée sur la responsabilité sociale mais aucun seuil du nombre d'actions ni de durée minimale de leur possession.
Je n'aimerais pas que la législation canadienne soit beaucoup plus conservatrice que les principales lois provinciales, mais cela étant dit, s'il fallait choisir entre la disposition d'exclusion fondée sur la responsabilité sociale ou une durée minimale de la participation, que choisiriez-vous?
M. Ellmen: L'exigence de durée minimale de la participation nous paraît satisfaisante. Notre mémoire propose d'ailleurs un minimum d'un an. Si donc des investisseurs sont en possession de leurs actions depuis un an, ils ont le droit de présenter une proposition d'actionnaire.
À notre avis, la plupart des actionnaires adhérant aux fonds socialement responsables que nous représentons sont sérieux, et certains d'entre eux ont même acquis des fonds communs, qui se consacrent certainement à de sérieux investissements à long terme.
Nous n'avons pas d'objection à ce qu'on exige des investisseurs sérieux qu'ils détiennent leurs actions depuis au moins un an avant de présenter une résolution d'actionnaire.
Le sénateur Wilson: Vous êtes favorable à cela, mais espérez donc que l'autre exigence soit exclue?
M. Ellmen: Cela nous paraît essentiel. M. Conacher a appelé cela un libellé des causes. Je ne suis pas sûr que c'est ainsi que je décrirais la chose, mais nous aimerions que l'alinéa 137(5)b), où il est question de fins générales d'ordre social, moral et religieux, soit éliminé du projet de loi.
Le sénateur Wilson: J'aimerais savoir ce que vous pensez du jugement rendu par la Cour récemment, dans l'affaire Michaud c. La Banque nationale, où la Banque nationale avait cherché à rejeter une proposition présentée en vertu de la Loi sur les banques pour des raisons identiques à celles qui figurent dans la Loi canadienne sur les sociétés par actions. Le tribunal a estimé qu'en dépit du fait que M. Michaud ne possédait qu'une seule part, il détenait une véritable participation dans la gestion de la banque, et a donc émis un jugement qui lui était favorable. Que pensez-vous de cela?
M. Ellmen: Cela nous a paru très intéressant. Bien qu'il ne possède qu'une action, il détient quand même une participation à l'entreprise. Cela vient étayer notre position selon laquelle même les petits actionnaires, dans le cas où le minimum d'actions exigé serait, par exemple, de 1 000 $ ou de 2 000 $, détiennent une participation importante aux activités de l'entreprise.
Le président: Pensez-vous que ce genre de décision peut donner naissance à une véritable petite industrie, comme on l'a observé aux États-Unis, où il y a toutes sortes de groupes d'actionnaires militants, qui se sont constitués tout simplement parce que leurs administrateurs sont bien payés? Vous vous souviendrez peut-être d'Evelyn Y. Davis et des frères Gilbert. Il s'agit de gens de mon époque. Tout cela peut dégénérer en cirque assez déplorable. Est-ce qu'il y a un danger de cela ici?
M. Ellmen: S'il y a suffisamment d'investisseurs responsables, si les actionnaires de certains des fonds mutuels deviennent vraiment actifs, cela me paraîtra une excellente chose. Cela voudrait dire que les gestionnaires devraient rendre davantage de comptes dans les dossiers sociaux et écologiques pour lesquels ils n'assument pas de responsabilité en ce moment.
Le président: Peut-être est-ce à cause de mon âge, mais j'ai siégé pendant des années au sein de conseils d'administration, et je n'ai manifestement pas appris grand-chose, car je dois dire que votre proposition me paraît difficile à accepter, non parce qu'elle est bonne ou mauvaise; elle me laisse simplement perplexe. Si j'ai compris, à votre avis, les gouvernements sont incapables de bien faire leur travail, et vous tenez à ce que les actionnaires individuels le fassent à leur place?
M. Ellmen: Non, nous ne sommes pas d'avis que le gouvernement pourra abdiquer ses responsabilités en raison des activités des actionnaires.
Le président: Non, mais vous estimez que son intervention ne suffit pas?
M. Ellmen: Les positions de nos divers membres sont assez variables par rapport à la réglementation gouvernementale. Selon certains, dans bon nombre de secteurs de l'économie, la réglementation devrait être beaucoup plus stricte. D'autres adoptent une attitude beaucoup moins interventionniste. Là où nous sommes tous d'accord, cependant, en tant qu'actionnaires, c'est que nous nous sentons les gardiens de nos actions, des investissements que nous avons faits dans la société, et en tant que tels, nous tenons à pouvoir parler aux autres actionnaires des questions qui nous préoccupent et attirer sur ces dernières l'attention du conseil d'administration.
Le président: Pouvez-vous me donner un exemple d'une circonstance où un actionnaire pourrait venir à une assemblée générale et dire aux administrateurs qu'ils ont bousillé le travail et qu'il faut que les choses changent. Donnez-moi un bref exemple de cela, et expliquez-moi comment cela fonctionnerait, comment le gouvernement ou la loi ne suffirait pas pour régler le problème.
M. Ellmen: Je vais vous donner un bon exemple. L'année dernière, aux États-Unis, un certain nombre d'actionnaires se sont rendus à l'assemblée générale annuelle de la société Home Depot, et ont demandé à l'entreprise de cesser progressivement de vendre dans ses magasins du bois d'oeuvre provenant des forêts anciennes. La proposition a été rejetée car elle n'a reçu que 10 ou 11 p. 100 des voix exprimées. Toutefois, elle a suffisamment embarrassé la compagnie, et les actionnaires ont fait une impression assez forte sur le conseil d'administration, et n'oublions pas que les consommateurs menaçaient aussi de boycotter les produits. Je ne dirai pas que c'est uniquement grâce aux actionnaires que la protestation a porté fruit, mais grâce à la collaboration entre ces derniers et les groupes de consommateurs ainsi que d'autres groupes communautaires, à la longue, l'entreprise a cessé de vendre du bois d'oeuvre provenant d'anciennes forêts, et maintenant, elle ne vend que du bois d'oeuvre provenant de forêts renouvelables.
Le président: Merci beaucoup. Votre exposé a été intéressant.
Honorables sénateurs les sénateurs, nos témoins suivants proviennent du groupe appelé Taskforce on the Churches and Corporate Responsability; il s'agit de M. William R. Davis et du père Richard Soo, S.J.
Messieurs, soyez les bienvenus parmi nous. Est-ce que chacun d'entre vous va faire une déclaration, ou s'agira-t-il d'un exposé conjoint?
Le père Richard Soo, S.J., Taskforce on the Churches and Corporate Responsibility: Monsieur le président, je vais commencer après quoi mon collègue va prendre le relais.
Le président: Quoi qu'il en soit, vous avez au total dix minutes à vous partager.
Le père Soo: Honorables sénateurs les sénateurs, nous vous sommes reconnaissants de pouvoir témoigner devant vous encore une fois.
Le groupe Taskforce on the Churches and Corporate Responsibility coordonne les rapports entre les Églises-actionnaires et les sociétés par actions. Les Églises ont été des pionnières au sein du mouvement canadien d'actionnaires responsables. Cela fait 25 ans que nous y oeuvrons. Aujourd'hui, nous aimerions parler du problème que représente l'alinéa 137(5)b) par rapport aux droits des actionnaires.
Industrie Canada prétend qu'il souhaite étendre davantage les investissements responsables. Nous approuvons sans réserve un tel objectif. Dans son communiqué du 21 mars, le ministère promet que des modifications à la loi élargiraient les droits des actionnaires en leur donnant de meilleurs moyens de communication afin de faire des propositions et de participer à la prise de décision.
Or, en dépit des modifications proposées par Industrie Canada, qui ont cherché à apporter bon nombre d'améliorations aux articles de la loi, nous estimons qu'on a omis de s'occuper de l'article qui empêche de présenter efficacement une proposition d'actionnaire.
En effet, à l'alinéa 137(5)a), l'actionnaire se voit accorder le droit de présenter une proposition. Le texte précise dans quelles circonstances une société peut juger irrecevable une telle proposition. Nous estimons que ces exceptions sont raisonnables, sauf celle figurant à l'alinéa 5b), sur lequel notre exposé va d'ailleurs porter aujourd'hui.
De façon plus précise, selon l'alinéa 5b), les administrateurs peuvent rejeter une proposition s'«il leur apparaît» que cette proposition a pour objet principal de servir des fins générales d'ordre économique, politique, racial, social ou analogue, entre autres. Les Églises ne s'opposent pas à l'exclusion de propositions fondées uniquement sur des revendications ou des griefs personnels. Ce qui nous paraît problématique, et pour les Canadiens en général, c'est le fait que l'alinéa 5b) autorise les administrateurs à exclure de façon arbitraire toutes les propositions de la part des actionnaires, annulant ainsi les droits que leur accorde la loi par ailleurs, ces droits qu'Industrie Canada essaie de favoriser et d'étendre.
Cette disposition présente deux problèmes: celui du contenu et celui de la fonction. Pour ce qui est du contenu, les motifs permettant aux administrateurs d'agir ainsi sont tellement vastes qu'ils ont toute latitude pour exclure toutes les propositions d'actionnaire qui leur déplaisent. Quels que soient la pertinence, le libellé et la légitimité d'une proposition par rapport aux activités de l'entreprise, le conseil d'administration l'exclura et enverra une lettre citant l'alinéa 5b) et une raison quelconque pour justifier le rejet.
Quand une entreprise a des activités quelque part dans le monde, cela entraîne toujours des liens quelconques sur le plan économique, politique ou social. La façon dont une entreprise traite ces aspects et les actionnaires a un effet direct sur la rentabilité de ses activités, et est donc une préoccupation légitime. Nous estimons donc que certaines questions sont des soucis légitimes de la part des actionnaires face à une entreprise, et qu'elles sont directement liées aux actions et aux omissions de l'entreprise en question, que ce soit sur le plan économique, politique ou social.
Quant à l'aspect de la fonction, il concerne avant tout le processus. L'article crée un système autorisant les seuls gestionnaires de décider si une proposition donnée peut faire l'objet d'un rejet en fonction de la loi. Or le conseil d'administration est à la fois juge et partie. Pire, c'est comme s'en remettre au renard pour garder le poulailler, car cela crée un très grave conflit d'intérêts pour la gestion. Les propositions émanant d'actionnaires sont conçues pour faire connaître au conseil d'administration la volonté des propriétaires, particulièrement dans les cas où les gestionnaires et les propriétaires pourraient être d'avis divergent par rapport à l'exploitation de l'entreprise. L'alinéa 5b) permet donc au conseil d'administration d'empêcher que les propriétaires expriment leur volonté.
Selon les modifications proposées, les actionnaires ont pour seul recours de s'adresser aux tribunaux. Or cela est carrément prohibitif pour la plupart des petits actionnaires. Cela l'est même pour les Églises comme institutions. Cela mène à un comportement arbitraire de la part des gestionnaires et à un plus grand mécontentement de la part des actionnaires.
Nous estimons que les tribunaux doivent uniquement servir de dernier recours pour les actionnaires, une fois que ces derniers auront épuisé tous les autres moyens. Les tribunaux ne devraient pas être le seul moyen à la disposition de ceux qui veulent réagir à l'oppression des dirigeants.
Le président: Votre groupe ne croit-il pas à la discipline de marché? Je n'ai entendu personne en parler cet après-midi. En d'autres termes, si ce que fait la compagnie ne vous plaît pas, vous pouvez vendre vos actions.
Le père Soo: C'est dans la loi et dans la pratique.
Le président: Ce n'est pas dans la loi.
Le père Soo: Selon nous, ce n'est pas une question de responsabilité des actionnaires. C'est toujours une option, mais en tant qu'actionnaires nous estimons avoir la responsabilité d'exprimer notre volonté à la direction. Nous avons le pouvoir d'élire d'autres administrateurs si nous ne croyons pas que les administrateurs actuels font un bon travail et de dire à la compagnie quelles devraient être les orientations de politiques générales. Nous ne voulons pas enlever aux administrateurs le contrôle de la gestion.
Les modifications proposées ne font pas disparaître les dispositions contradictoires que contient la loi. D'un côté, elle affirme le droit des actionnaires à faire des propositions et de l'autre, elle met en place un système qui permet pratiquement de toutes les invalider. De plus, elle crée un vaste pouvoir discrétionnaire qui permet à la direction d'ignorer et de réduire au silence les actionnaires alors que l'intention expresse de la loi était justement d'offrir une tribune de participation aux actionnaires. Si l'alinéa 5b) n'est pas supprimé, toutes les bonnes intentions d'Industrie Canada en matière de communication avec les actionnaires resteront lettre morte.
M. William R. Davis, Taskforce on the Churches and Corporate Responsibility: J'aimerais dire quelques mots de plus sur l'intention déclarée d'amélioration des mécanismes de proposition d'Industrie Canada et sa traduction dans un texte qui semble contredire cet objectif.
J'ai lu l'exposé que Mary Walsh, qui était à l'époque directrice chargée des affaires des entreprises à Industrie Canada, a fait lors du sommet des directeurs d'entreprise organisé par Insight Information Inc. Dans son exposé intitulé «Shareholders vs. Management» (les actionnaires et la direction), elle a cité l'extrait suivant de l'arrêt dans l'affaire Michaud:
La compétence de ces gestionnaires ne les autorise pas à ignorer les opinions des actionnaires. Un actionnaire qui se fait entendre ne devrait pas être considéré comme un adversaire ou un intrus.
À mon avis, le juge ne s'est pas trompé en qualifiant ce problème de problème d'attitude.
Mme Walsh poursuivait son exposé en soulignant certains des avantages et des inconvénients de l'article qui nous intéresse plus précisément. Elle concluait que la vaste majorité les intéressés réclamaient une nouvelle rédaction des motifs d'exemption.
Nous croyons que l'ébauche que nous avons vue ne modifie en rien le texte initial à l'exception de l'ajout de cette partie de phrase dont vous avez déjà entendu parler: «... sauf si son auteur établit qu'elle est liée de façon importante aux activités commerciales ou aux affaires internes de la société.» Nous pensons que cela fait pencher encore plus la balance en faveur des exemptions. Je ne pense pas que ce soit l'intention d'Industrie Canada mais c'est le résultat pratique.
Une fois que les dirigeants ont pris la décision de rejeter une proposition, il est fort peu vraisemblable que son auteur puisse les persuader de son importance. Comme le père Soo vient de le dire, ils sont à la fois juge et jury.
Nous ne comprenons pas ce qui provoque la crainte d'un déluge de propositions frivoles exprimée par plusieurs autres témoins. À la suite des arrêts rendus concernant la Loi sur les banques, un assez grand nombre de propositions ont été présentées lors d'assemblées annuelles de banques. Elles avaient pour origine deux sources: Robert Verdun, un actionnaire militant, et l'organisation de M. Yves Michaud, l'apeiq.
Plusieurs de ces propositions ont recueilli un soutien important et ont eu pour résultat des changements au niveau de la gouvernance des banques. Si quelqu'un estime que le nombre de propositions est excessif, ou que le nombre d'interventions pendant l'assemblée était excessif, il y a des recours, comme par exemple limiter le nombre de propositions par personne, limiter le nombre d'interventions pendant l'assemblée.
Cependant, il est absolument clair, si vous participez à ces assemblées, que les actionnaires considèrent que ces propositions méritent leur attention et que les dirigeants en y répondant évitent de transformer ces assemblées annuelles en cirque. Les discussions lors de ces assemblées restent responsables, polies et pertinentes. Les assemblées annuelles des banques ne sont pas un mauvais modèle de ce qu'autres assemblées pourraient être si les principes de la démocratie étaient étendus aux actionnaires.
Nous recommandons la suppression de cet article sur les exemptions, hormis peut-être la partie traitant des griefs personnels, et, si quelques propositions impropres se glissent, faites confiance au bon sens des actionnaires. Ils les rejetteront sans hésiter un seul instant.
J'aimerais vous dire quelque chose à propos de la compétitivité dans le contexte canadien. Notre groupe d'étude vous a envoyé à chacun copie d'une lettre adressée par les Frères des Écoles chrétiennes au ministre de l'Industrie, où ils disent estimer que les investisseurs étrangers éviteront d'investir au Canada si notre loi leur nie des droits qu'ils tiennent pour acquis dans d'autres pays. Je vous prie de ne pas sous-estimer l'importance de cette possibilité. Les investissements étant devenus moins sensibles aux frontières internationales, beaucoup de pays se voient contraints d'ouvrir leurs pratiques administratives pour les rendre plus conviviales envers les actionnaires, contraints de modifier leur réglementation des marchés des valeurs, et les droits des actionnaires sont respectés et protégés.
J'aimerais maintenant revenir à ces adjectifs d'exemption. Si vous ne pouvez vous résoudre à supprimer tout cet article sur les exemptions, pour le moins proposez la création d'une instance indépendante d'arbitrage. Les dirigeants peuvent difficilement jouer les arbitres entre eux-mêmes et les actionnaires. Les propositions que les dirigeants jugent «politiques», et rejettent, peuvent pour les actionnaires être le facteur crucial influant sur leur décision de renouveler ou non leur investissement. Les dirigeants peuvent prétendre que la compagnie ne prend pas position sur les questions raciales ou sur les causes économiques et sociales générales, mais les actionnaires estiment que toute décision a des retombées sur tous ces domaines.
La mondialisation du commerce en fait un acteur dans les questions sociales, dans les décisions qui touchent aussi bien les habitants du monde entier que nos concitoyens. Ne nous leurrons pas. Impossible de dissocier les affaires du politique, du religieux ou du social. Il serait fallacieux de limiter la religion à l'église, la synagogue ou la mosquée. Il ne suffit pas de financer une table lors d'un banquet de fraternité pour régler les questions raciales. Les activités commerciales ne se bornent pas simplement à ce que vous faites dans votre bureau, pas plus que les activités familiales à ce que vous faites pendant le week-end, et la participation communautaire, est plus que la simple contribution que votre compagnie fait à Centraide. C'est un tout.
Le commerce est un tout et je crois que l'art de la gestion consiste à respecter équitablement les besoins de tous les actionnaires. C'est ça: bien gérer. Selon moi, les compagnies bien gérées reconnaissent l'importance de satisfaire les attentes de tous les actionnaires. Ces compagnies agissent, elles ne réagissent pas. C'est d'ailleurs ironique. Les compagnies qui reçoivent des propositions d'actionnaires sont celles qui réagissent. Ce sont celles à qui on a donné ce droit d'exemption, et ce sont celles qui sont les plus susceptibles de dissocier ces domaines.
Nous pourrions vous citer des exemples des avantages apportés par ce recours élargi aux propositions d'actionnaires, si certains d'entre vous sont sceptiques, mais je conclurai en vous suppliant simplement de supprimer l'alinéa d'exemption, l'alinéa 137(5)b).
Le sénateur Tkachuk: Comme le sénateur Meighen l'a rappelé tout à l'heure à d'autres témoins, toutes les compagnies ne sont pas de grosses compagnies. Il y a des petites compagnies qui sont publiques et de grosses compagnies qui sont publiques. Vous semblez utiliser indifféremment les termes «actionnaire» et «intervenant». Les actionnaires sont des propriétaires et les intervenants sont les personnes touchées par leur décision. De plus, mesurer le degré de leurs responsabilités par rapport à celles des gouvernements est assez subjectif.
Vous pourriez peut-être faire une mise au point car vous avez utilisé «intervenant» à un certain nombre de reprises, alors que j'aurais plutôt pensé qu'il s'agissait de «actionnaire». Par exemple, prenons Wal-Mart ou Zellers. Pouvez-vous me donner un exemple de ce que vous voulez dire lorsque vous parlez de questions sociales, économiques, et cetera.? Je suis un peu perdu.
M. Davis: «Intervenant» est un terme plus général. Un actionnaire est un intervenant; les employés sont des intervenants; les collectivités dans lesquelles vous êtes présent sont des intervenants, tout comme le sont les fournisseurs et les employés. Il y a tout un éventail d'intervenants et, si vous ne tenez pas compte de tous les intervenants, si vous en soignez un plus qu'un autre, il y a déséquilibre et il en résulte un coût. C'est une théorie. Je ne pense pas qu'elle soit ni nouvelle ni extraordinaire. Cela fait un certain temps que les écoles d'administration l'enseignent. Parfois on parle plutôt du «public».
Le sénateur Tkachuk: J'essaie de comprendre ce que vous voulez. J'aimerais avoir des exemples. Prenons l'exemple de Wal-Mart et de Zellers. Est-ce que le problème ce sont les bénéfices des sociétés? Est-ce que c'est désormais interdit? Ou s'agit-il des intérêts particuliers des actionnaires dans une compagnie? Ils ont des fonds de pension et toutes ces autres choses. De quel problème s'agit-il exactement? De problèmes politiques? C'est ce que je crois.
M. Davis: C'est ce que j'essaie de dire. La définition de «politique» dépend de ce que vous voulez faire.
Le sénateur Tkachuk: Donnez-moi des exemples dans un sens et dans l'autre.
M. Davis: Je ne prendrai pas Wal-Mart comme exemple. Wal-Mart ne m'intéresse pas vraiment.
Le sénateur Tkachuk: Cette proposition touchera Wal-Mart parce que c'est une législation universelle. Prenons Wal-Mart, Zellers ou La Baie. Nous pouvons nous en servir et vous pouvez me donner des exemples.
M. Davis: Nous commencerions par parler à Wal-Mart avant de communiquer une proposition d'actionnaires, mais supposons qu'un groupe s'intéresse à l'environnement et demande à Wal-Mart de se joindre au groupe de ces compagnies qui publient des rapports environnementaux. Wal-Mart répond que la chose ne l'intéresse pas, donc, à titre d'actionnaire, nous faisons une proposition dans laquelle nous disons que cette compagnie devrait publier des rapports environnementaux, comme beaucoup d'autres le font. Il faut alors sonder l'opinion des actionnaires. Nous avons un débat raisonnable lors de l'assemblée. Je suppose que Wal-Mart a plusieurs possibilités à sa disposition pour être responsable sur le plan de l'environnement. Un rapport environnemental signalerait un certain nombre de choses auxquelles ils n'ont peut-être pas pensé jusque-là. Est-ce utile?
Le sénateur Tkachuk: D'une certaine manière, si vous êtes un Weyerhaeuser fabricant de pâte à papier ou une compagnie pétrolière, confrontés à des questions environnementales, mais cela ouvre la porte aux questions politiques. Quelle est la pertinence pour Zellers?
M. Davis: Zellers fait appel à toutes sortes de fournisseurs et pourrait, en conséquence, établir des procédures instituant des codes assurant que la fabrication des produits qu'elle achète est sans danger pour l'environnement. Nous pourrions aussi parler des droits de la personne en matière de fournisseurs. Quels sont ces fournisseurs? Beaucoup de compagnies s'intéressent à leur impact sur l'environnement, et pas simplement dans les secteurs les plus évidents, comme par exemple l'exploitation forestière ou le pétrole. Les banques ont des politiques environnementales assez conséquentes.
Le sénateur Tkachuk: Pour revenir à l'argument du président, si vous êtes propriétaire d'une compagnie publique, s'il y a une trésorerie c'est pour que vous puissiez récupérer votre investissement si vous n'aimez pas ce qu'elle fait. Vous pouvez demander à d'autres instances de la collectivité de faire respecter certaines règles environnementales, et cetera. Une société respecte les mêmes lois que tout autre être humain. En conséquence, si elle est aussi responsable environnementalement que je le suis ou que l'est le sénateur Fitzpatrick, elle ne peut violer ces lois.
Vous voulez que ces sociétés fassent plus. Vous estimez qu'elles devraient assumer une responsabilité sociale supérieure pour la simple raison que ce sont des sociétés plutôt que des êtres humains vivant dans une maison et travaillant, par exemple, pour une entreprise de plomberie.
M. Davis: Je crois que c'est faire une grave erreur que d'égaler l'obéissance à la loi à la responsabilité sociale. Nous obéissons tous à la loi. Nous sommes tous censés commencer par obéir à la loi. Ce n'est pas un exploit. Votre responsabilité en tant que citoyen corporatif est beaucoup plus grande qu'une simple obéissance à la loi. C'est un axiome.
La question est de savoir si l'actionnaire a toujours la possibilité de faire ce qu'on appelait autrefois le Bay Street walk ou le Wall Street walk (quitter la Bourse de Toronto ou de New York). Oui, vous avez toujours le choix de vendre vos actions. Cependant, la croissance des fonds de pensions privées et publiques rend de plus en plus difficile la vente des actions. Le marché canadien n'est pas très grand. Même les investisseurs américains se rendent compte qu'en occupant des positions aussi considérables dans des compagnies, simplement vendre parce qu'un des aspects de la société vous dérange est tout simplement impossible. Une société est une créature à multiples facettes. Il y a beaucoup d'aspects qui peuvent vous plaire dans une société. Si vous voulez changer une facette ou en discuter, donnez-nous le moyen de le faire plutôt que de simplement claquer la porte.
Nous sommes en plein milieu de l'affaire Talisman. La solution de facilité serait de récupérer notre investissement sans leur donner la possibilité de s'expliquer.
Le père Soo: Je n'ai pas d'objection à ce que des gens vendent leurs actions et réinvestissent dans une autre société. Cependant, la loi donne également aux actionnaires cette option de proposition d'actionnaire. C'est une option qui leur permet d'influer sur la politique générale de la compagnie ou tout du moins qui leur permet d'exprimer leur opinion.
Le sénateur Tkachuk: Si nous élisons des administrateurs c'est pour qu'ils administrent en notre nom.
Le père Soo: C'est un autre moyen. Il y a le moyen des propositions d'actionnaire: les actionnaires peuvent dire à la compagnie: «C'est notre volonté». Il y a un autre moyen, comme par exemple l'élection d'un nouveau conseil d'administration, si nous n'aimons pas le conseil actuel. Un autre moyen, c'est de vendre nos actions.
Il n'y a pas de fossé véritablement bien défini entre les préoccupations sociales dans leur concept le plus large et les bénéfices. Il se peut fort bien que d'autres compagnies, qui sont plus conscientes de l'environnement, sont plus compétitives. Si ma compagnie ne l'est pas, peut-être que j'aimerais qu'elle le soit, ce qui serait à la fois meilleur et pour l'environnement et pour mon investissement. Il se peut fort bien que je ne veuille pas que ma compagnie soit impliquée dans la guerre civile au Soudan parce que c'est risqué, et qu'à n'importe quel moment les gisements de pétrole risquent de sauter, et alors qu'arrivera-t-il à mon investissement?
Ce n'est pas une alternative. Comme M. Davis l'a dit, c'est un tout. Les actionnaires doivent en tenir compte et la loi leur donnerait la responsabilité de le faire si ce n'était pour cette disposition qui, à toutes fins utiles, nous bâillonne.
Le président: Je vous remercie infiniment, messieurs. Nous vous souhaitons du succès dans vos entreprises.
La séance est levée.