Délibérations du comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce
Fascicule 12 - Témoignages
OTTAWA, le jeudi 4 mai 2000
Le comité sénatorial permanent des banques et du Commerce se réunit aujourd'hui à 11 heures pour étudier le projet de loi S-19, Loi modifiant la Loi canadienne sur les sociétés par actions et la Loi canadienne sur les coopératives ainsi que d'autres lois en conséquence.
Le sénateur E. Leo Kolber (président) occupe le fauteuil.
[Français]
Le président: Nous étudions le projet de loi S-19. Ce matin, nous recevons l'Association de protection des épargnants et investisseurs du Québec, M. Yves Michaud, président-fondateur, M. Paul Lussier, président et M. Réjean Belzile, professeur à la faculté des sciences comptables de l'Université du Québec à Montréal.
[Traduction]
Vous avez 10 minutes à votre disposition pour faire votre déclaration liminaire, après quoi les sénateurs voudront peut-être vous poser des questions.
[Français]
M. Yves Michaud, président-fondateur, Association de protection des épargnants et investisseurs du Québec: Monsieur le président, c'est la deuxième fois que nous comparaissons au comité sénatorial permanent des banques et du commerce. Nous sommes venus il y a environ 18 mois présenter les 20 recommandations que nous avons soumises au ministère de l'Industrie concernant la Loi des sociétés par actions.
L'Association des épargnants et investisseurs du Québec est le seul organisme bénévole au Canada voué exclusivement à la protection, la défense, l'illustration et la promotion des droits des actionnaires ainsi qu'en font foi les vingtaines de propositions que nous avons faites depuis cinq ans à toutes les banques du Canada, parmi les plus importantes, et certaines grandes entreprises comme BCE.
Notre action a mené au cours des cinq dernières années à des progrès majeurs et significatifs dans la démocratie d'entreprise et dans la participation des actionnaires à la vie de leurs affaires. Nous avons obtenu l'adoption d'un code de procédure, le vote distinct pour chaque administrateur sur le formulaire de procuration, la divulgation des honoraires des vérificateurs comptables, la détention d'un minimum raisonnable d'actions par les administrateurs, l'accès de l'information aux actionnaires et le reste.
Nous comptons 1 400 membres dont la grande majorité au Québec, des adhésions ont été enregistrées en provenance de plusieurs états de la fédération canadienne et certains actionnaires américains détenteurs d'actions de sociétés canadiennes.
Nous serons d'une brièveté et d'une concision exemplaires pour vous présenter notre point de vue et en faire un résumé.
Quatre sujets nous préoccupent principalement. Le premier est le maintien à l'article 137.5(b) de la Loi canadienne des sociétés par actions, d'un article que nous croyons contraire aux Chartes canadiennes et québécoises des droits et libertés et qui n'a pas été amendé, bien que celui qui présidait, il y a 18 mois, quand nous lui avons mentionné cet article, le sénateur Kirby disait qu'il était étonné qu'une telle disposition soit incluse dans la Loi des sociétés par actions.
La Loi canadienne des sociétés par actions dans son ensemble nous apparaît réductrice des droits des actionnaires et non pas ce que prétend le ministre Manley dans son communiqué disant que cela va étendre et conforter le droit des actionnaires.
Réductrice pourquoi? Un, pour le maintien de l'article 137, qui non seulement est maintenu, mais on y ajoute le fardeau de la preuve aux actionnaires, à l'actionnaire qui voudrait faire un proposition, en lui demandant de faire en sorte que sa proposition n'est pas contraire à ce que dit la loi, c'est-à-dire une réclamation personnelle, la réparation d'un grief, servir des fins générales d'ordre économique, politique, racial, religieux, social ou analogue. Comme si l'ensemble de la vie publique n'était pas effectivement politique, social, économique, religieux ou analogue.
Nous reviendrons sur cette question, puisque c'est une de nos recommandations. C'est le premier article que nous dénonçons comme un article stupide et indécent dans la Loi canadienne des sociétés par actions.
Notre deuxième préoccupation est la répartition de l'indemnité entre les vérificateurs comptables et entre les membres du conseil d'administration.
M. Réjean Belzile, docteur en sciences comptables, Ph.D, membre du conseil d'administration de notre association, élaborera plus longtemps sur cette inclusion dans l'article de la Loi canadienne des sociétés par actions qui arrive comme une verrue, comme par hasard, à la suite du lobby -- ce qu'on appelle en français des vestibules corporatifs -- auprès du ministre Manley afin que l'on inclut cette nouvelle disposition qui incidemment est contraire au droit civil et qui pourrait enclencher une nouvelle bataille constitutionnelle entre l'État fédéral et les États fédérés puisqu'il s'agit là d'une question relevant de la juridiction des provinces et non du gouvernement fédéral. Nous avons assez de chicanes constitutionnelles. Nous croyons que le gouvernement fédéral n'aurait pas intérêt à en rajouter une autre sur la répartition de l'indemnité.
La troisième question qui nous gène, qui nous irrite et qui nous agace, c'est l'abus de la réglementation. La ruse est cousue de fil blanc, on dirait que le jupon dépasse. Quand le législateur appréhende trop de remous ou trop de contestations autour d'une loi, il la noie sous la réglementation.
La man<#0139>uvre n'a d'ailleurs pas échappé à un membre du Sénat, le sénateur Tkachuk, qui disait que le gouvernement optait trop rapidement pour la réglementation. Le fait que nous abandonnions lentement le Parlement sur ce sujet me préoccupe depuis longtemps.
Contrairement à la Loi canadienne sur les sociétés par actions adoptée en 1975, ce projet de loi ne prévoit pas d'adoption par le Parlement, par la Chambre des communes, par les élus du suffrage universel. Cela nous semble contraire aux règles fondamentales de la démocratie.
J'ai intitulé « Silence aux pauvres » le troisième point. Pour la première fois dans l'histoire canadienne des sociétés par actions, le législateur établit une distinction entre les actionnaires nantis et ceux qui le sont moins en qui fixant à 1 p. 100 le nombre total des actions avec droit de vote en circulation ou le nombre total d'actions avec droit de vote équivalant à 2 000 dollars, calculé sur la juste valeur du marché des actions.
Qu'en sera-t-il à la prochaine révision de la loi? Faudra-t-il 5 000, 10 000, 50 000 ou même 100 000 dollars pour faire une proposition aux entreprises, aux banques ou aux sociétés par actions?
L'engrenage est amorcé, les ploutocrates rigolent et on risque de voir la démocratie glisser lentement vers la ploutocratie, le gouvernement des riches. La loi était exemplaire, elle le devient moins. Avant la loi, tous les actionnaires sont égaux devant la loi et ce, sans égard à la richesse de leur portefeuille.
Ces dispositions sont exemplaires, respectueuses de la démocratie et si la loi est adoptée telle quelle, on retournera à Jean de La Fontaine qui disait:
Selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blanc au noir.
À titre d'exemple, si l'APEC voulait continuer son action auprès d'une centaine de banques ou de sociétés régies par la loi, il nous faudrait engager 200 000 dollars, détenir 2 000 dollars de chacune des actions pour continuer notre action en faveur de la démocratie d'entreprise.
Je souhaite qu'avec la révision de la loi, le Sénat canadien ait l'occasion de démontrer son importance et son utilité dans la gouverne des affaires publiques. Plusieurs dispositions de la loi sont bancales, inopportunes, et réductrices des droits des actionnaires. Le Sénat peut et doit faire entendre sa voix au législateur et faire en sorte qu'il fasse alliance avec le peuple, retournant ainsi à sa raison d'être et aux sources du droit romain, senatus populus que, le Sénat et le peuple.
Je suis le président fondateur et je ne fais qu'inaugurer les chrysanthèmes, mais nous avons un président actif de l'association, M. Paul Lussier.
M. Paul Lussier, président, Association de protection des épargnants et investisseurs du Québec: La dernière fois que nous nous sommes présentés devant le comité du Sénat, nous avions présenté un mémoire accompagné d'une vingtaine de recommandations.
Je vais vous rappeler le titre de ces recommandations qui sont toutes d'ordre de démocratie d'entreprise:
C'est pour la séparation des postes, justement, que le président du conseil est le directeur général d'une entreprise;
La facilitation d'une nomination d'administrateur par les propriétaires réels, soit les actionnaires;
L'éligibilité d'un fournisseur de services à un conseil d'administration d'entreprise;
La divulgation des liens commerciaux entre les administrateurs d'entreprise et l'entreprise à laquelle ils siègent au conseil d'administration;
La limitation à dix ans dans l'occupation d'un poste d'administrateur par une seule personne;
L'accès à la liste des actionnaires véritables, autant pour les entreprises que pour les autres actionnaires;
Le droit de déposer des propositions pour les actionnaires non inscrits. Presque tous les actionnaires aujourd'hui sont inscrits au nom du courtier, alors que la loi prescrit qu'il faut être actionnaire inscrit pour proposer des propositions.
Enlever la limitation d'objectifs de tous ordres pour limiter les propositions d'actionnaires;
Mandater les commissions des valeurs mobilières de l'Ontario ou du Québec pour juger de la recevabilité des propositions d'actionnaires. Dans le moment, ce sont les entreprises elles-mêmes qui décident si elles reçoivent ou non les propositions de leurs actionnaires;
Interdire la préidentification des fondés de pouvoir qui voteront les procurations. On sait que très peu d'actionnaires se présentent aux assemblées d'entreprise;
Instaurer le vote distinct pour chacun des administrateurs d'entreprise plutôt qu'en bloc;
L'adoption d'un code de procédure pour la tenue des assemblées des actionnaires;
La soumission de la politique de rémunération de hauts dirigeants aux actionnaires;
L'examen des états financiers qui maintenant ne sont déposés que devant l'assemblée des actionnaires;
Le vote cumulatif pour les administrateurs et les actionnaires afin qu'ils puissent signifier leur satisfaction ou leur insatisfaction envers certains administrateurs;
Favoriser la communication avec les actionnaires;
Permettre la sollicitation de procuration par les autres actionnaires que ceux qui détiennent la gestion de l'entreprise;
L'obligation pour les entreprises d'envoyer un procès-verbal d'une assemblée annuelle d'actionnaires à tous les actionnaires; et
L'interdiction des contributions aux partis politiques.
Essentiellement, ce que l'APEC souhaite, c'est que les choses fondamentales reviennent à ce qu'elles devraient être, c'est-à-dire que les actionnaires, qui sont de véritables propriétaires des entreprises, élisent vraiment les administrateurs de ces entreprises et qu'ils ne soient pas contraints d'élire les quelques administrateurs choisis par le groupe du management, d'une part.
Et d'autre part, que les vérificateurs comptables nommés par les actionnaires fassent leur travail de vérification et répondent aux actionnaires du travail qu'ils ont fait.
M. Réjean Belzile, professeur à la faculté des sciences comptables de l'Université du Québec à Montréal: Je voudrais rappeler les points importants qui ont été soulignés dans notre mémoire au sujet de l'ajout des articles 237(1) à 237(9) portant sur la répartition de l'indemnité.
Il faut noter que c'est l'introduction d'un changement important dans notre régime de responsabilité professionnelle et que nous avons été surpris de voir apparaître dans les derniers projets cet ajout parce que lors des consultations menées en 1994, il y avait aucune mention de ce changement au principe de responsabilité professionnelle.
Et même dans les documents de travail qui ont été publiés suite à ces consultations de 1994, n'apparaissait pas ce principe qui nous arrive, effectivement, aux heures tardives.
Nous nous interrogeons sur le principe de la consultation. Pourquoi avoir consulté tant de monde et ne pas avoir mentionné ce projet? D'après ce qu'on a pu voir, les consultations sur l'ajout ont été limitées à un cercle relativement restreint.
Ce principe de répartition de responsabilité proportionnelle emprunté aux États-Unis, adopté en 1995, ne faisait pas l'unanimité à ce moment-là aux États-Unis, mais il faut rappeler que cela s'inscrivait dans un contexte un peu différent. On voulait, entre autres, restreindre les possibilités de recours frivoles et aussi, concurremment, on a étendu les responsabilités des vérificateurs, ce qui n'apparaît pas évidemment dans le projet de loi actuel.
Je veux rappeler aussi qu'en Angleterre, où le régime de droit ressemble peut-être plus au nôtre que le régime américain, on a étudié la possibilité d'instaurer ce régime et on a conclu qu'il n'y avait pas lieu d'aller de l'avant avec ce régime de responsabilité proportionnelle.
Pour conclure, il nous apparaît que la preuve reste à faire de la nécessité de modifier de façon aussi importante le régime de responsabilité professionnelle. La preuve n'a pas été faite et il nous apparaît qu'elle reste à faire pour justifier ce changement aussi important. Je voudrais peut-être conclure de la même façon que M. Michaud a commencé; on mentionne dans le communiqué d'Industrie Canada que le nouveau projet étend le droit des actionnaires, alors on peut se poser la question en quoi ce changement important modifie de façon favorable les droits des actionnaires.
Le sénateur Meighen: Est-ce que j'ai bien compris que vous suggérez l'élimination des procurations et que les actionnaires doivent se présenter en personne?
M. Michaud: Non. Ce que nous suggérons, c'est la disparition des noms plantés sur le formulaire de procuration. Vous savez, le conseil d'administration recommande monsieur un tel comme président ou à défaut et laisse une ligne blanche. Dans une démocratie normale, lorsqu'on vote, on n'a pas un bulletin de vote en disant le gouvernement fédéral souhaite que soit élu monsieur Jean Chrétien ou monsieur un tel. On voudrait que les noms des dirigeants disparaissent du formulaire de procuration et que l'actionnaire ait la faculté lui-même de désigner son fondé de pouvoir s'il ne peut assister à l'assemblée des actionnaires, et non lui suggérer insidieusement de l'envoyer au président, au chef de la direction ou à un membre du conseil, qui voteront en bloc contre les propositions des actionnaires.
Le sénateur Meighen: Mais pour savoir qui se présente aux divers postes, il va falloir passer au travers du rapport annuel.
M. Michaud: Non, les noms des membres des conseils d'administration apparaissent. Nous voulons que les noms au haut du formulaire de procuration disparaissent.
Le sénateur Meighen: Prenons l'hypothèse que je veux voter pour la réélection des membres du conseil d'administration. Vous allez m'obliger à faire quoi?
M. Lussier: Ce qu'on suggère, c'est un vote distinct pour chaque administrateur et un vote dit cumulatif. Essentiellement, chaque actionnaire ou chaque action a un vote par nombre par administrateur. S'il y a dix administrateurs ou dix postes d'administrateurs à combler, on a dix votes d'administrateurs pour chaque action. Je pourrais alors voter mes dix votes pour M. Meighen et pour aucune des neuf autres personnes concernées, c'est le vote cumulatif.
Le sénateur Meighen: Ou bien je peux voter neuf.
M. Lussier: Oui, je pourrais voter neuf pour M. Meighen puis un pour Mme Poulin. C'est d'instaurer un système où on vote pour chaque administrateur distinctement plutôt qu'en bloc d'actionnaires. Actuellement, dans la plupart des cas, s'il y a 15 postes d'administrateur à combler, on dit: êtes-vous pour ou contre. Il y a 15 personnes qui sont proposées, non pas 18 ou 22.
M. Michaud: On pourrait ajouter que le vote cumulatif est distinct du vote par procuration traditionnel et classique. Nous souhaiterions que la loi oblige le vote cumulatif. Cela permettrait aux actionnaires d'élire une personne, ou au maximum deux, sur l'ensemble des 24 proposées par le bloc d'actionnaires. Le vote cumulatif permettrait à des actionnaires de ne voter que pour la personne qu'ils choisissent et ils s'abstiendraient sur les 24 autres. Nous pourrions donc avoir un représentant des actionnaires minoritaires -- les petits, les humbles et les sans grades -- au conseil d'administration, ce serait 1 sur 24. C'est le vote cumulatif qui existe dans la Loi des banques et dans la Loi des sociétés par action. On voudrait le rendre obligatoire dans la réglementation à la fois des banques et des sociétés par actions. Quant au vote distinct, les sept banques ont maintenant un vote distinct sur leur procuration, c'est-à-dire qu'ils mettent les noms de tous les administrateurs et les actionnaires peuvent, à loisir, choisir l'un ou l'autre ou voter en bloc.
Le sénateur Meighen: Mais pas cumulatif?
M. Michaud: Le vote cumulatif n'est pas prescrit par la loi.
M. Lussier: Seule la banque Laurentienne a le vote cumulatif parmi les banques, mais cela n'est pas vraiment appliqué. Le jour où ce sera répandu, cela permettra au moins aux actionnaires, petits ou grands, de signifier que tel administrateur, qui pour une raison ou une autre n'a pas tellement bien performé, que les actionnaires de l'entreprise en question préfèrent en général d'autres. Si la plupart des administrateurs reçoivent 90 ou 95 p. 100 du vote et puis qu'il y en a un qui ne reçoit que 45 p. 100, il y a peut-être un message des actionnaires qui serait transmis aux administrateurs.
Le sénateur Meighen: En ce qui a trait à la responsabilité conjointe et solidaire, êtes-vous d'accord pour dire, même si vous estimez que le rapport a trouvé la mauvaise solution, qu'il existe quand même un problème, surtout vis-à-vis les vérificateurs qui sont toujours visés étant ceux qui ont les poches profondes? Ils le sont peut-être à tort. Vous connaissez les cas où la responsabilité est peut-être limitée à un pour cent, mais tant pis, ayant les poches profondes, ils sont obligés de payer en premier lieu. C'est cela de toute façon que les vérificateurs nous présentent et nous expliquent. Pensez-vous qu'il existe un problème et que nous ayons trouvé la mauvaise solution ou qu'il n'existe pas de problème pour ces gens qui ont des poches profondes concernant la responsabilité conjointe et solidaire?
M. Belzile: Nous croyons que la preuve est à faire qu'il y a un problème. Au Canada, à ce que je sache, il n'y a jamais eu de faillite de cabinet d'expert-comptable.
Le sénateur Meighen: Ils sont assurés.
M. Belzile: Ils sont assurés, bien sûr.
Le sénateur Meighen: Ils nous disent que l'assurance est de plus en plus difficile à obtenir, sinon impossible.
M. Belzile: Je crois avoir lu dans les documents que les société d'assurances, ont indiqué au comité sénatorial qu'elles n'étaient pas en mesure d'affirmer qu'il y aurait une réduction de prime, même si on introduisait ce projet de loi. Alors où est le problème? De toute façon, ce sont les clients qui paient les primes d'assurance. Aux États-Unis, effectivement, il y a eu des faillites de bureaux d'experts-comptables. Toutefois au Canada -- je ne suis pas un Ph.D en droit -- d'après les recherches qu'on a effectuées, en général cela se règle hors cour, donc la preuve n'est pas faite. Établissons la preuve qu'il y a vraiment un problème. D'après nous, nous n'avons vu nulle part dans les documents que cette preuve a été faite. C'est la raison pour laquelle on dit que oui, s'il y avait vraiment un problème, il faudrait arriver avec une solution, mais le problème n'a pas été documenté pour le Canada, à la différence de la situation américaine.
M. Michaud: Le sénateur Meighen, qui connaît bien le droit civil québécois... Je ne sais pas s'il est sensible à notre argumentation à l'effet qu'il s'agit d'un empiétement sur les juridictions des provinces. Je crois savoir que l'Alberta a déjà manifesté son mécontentement et il y a des rumeurs qui bruissent dans la capitale québécoise à l'effet que le gouvernement du Québec n'est pas très, très content de ce nouvel envahissement du fédéral dans un domaine de juridiction qui appartient aux provinces. Lorsqu'on intente une poursuite civile en dommages et intérêt, c'est de juridiction provinciale, et non de compétence fédérale.
Le sénateur Poulin: J'aimerais vous poser une question supplémentaire à la première question du sénateur Meighen. Suite aux suggestions que vous faites au sujet d'un changement de méthodologie du vote, d'après vous, quels seraient les impacts sur nos grandes et petites sociétés publiques d'ici cinq ans?
M. Michaud: Ce qui nous apparaît le plus important, c'est de légiférer l'obligation du vote cumulatif. Il y a deux façons pour les actionnaires de faire accéder leur représentant au conseil d'administration. La façon classique est celle où le président et chef du conseil d'administration cumule les deux postes. C'est toujours les copains d'abord, le «old boy's network» qui forme une cohorte compactée dans un kilomètre carré. Sur Bay Street à Toronto, il y a 140 administrateurs qui siègent sur 1 800 conseils d'administration. C'est-à-dire que chaque administrateur siège sur environ une quinzaine de conseils d'administration et ils contrôlent 80 p. 100 de l'économie canadienne. On se demande quand ils travaillent. Aujourd'hui, si on veut présenter un candidat, la loi nous impose de détenir 5 p. 100 du capital actions en circulation. À la Banque Royale du Canada, il nous faudrait avoir 80 millions de dollars d'actions pour présenter un candidat. On ne peut pas trouver cela, on est trop pauvre. Silence au pauvre! Par le vote cumulatif, on pourrait présenter un candidat pour accéder au conseil d'administration et cela changerait la face de la démocracie «actionnariale» dans le fonctionnement des conseils d'administration. Cette possibilité existe présentement dans la Loi sur les banques et dans la Loi des sociétés par actions du vote cumulatif. Si on légiférait le vote cumulation, cela serait un progrès immense dans la démocratie des entreprises.
Le sénateur Meighen: Dans le contexte des propositions venant des actionnaires, si j'ai bien compris, vous voulez que le bien fondé de ces propositions soit jugé par "un tribunal indépendant" tel que la Commission des valeurs mobilières.
M. Lussier: Lorsque les propositions sont refusées par la direction de l'entreprise, évidemment, si une proposition est faite, l'entreprise accepte de la mettre dans la circulaire de direction des procurations pour l'assemblée annuelle, il n'y a pas de problème. Cependant si la direction de l'entreprise ne veut pas la mettre, il faudrait qu'il y ait un mécanisme extérieur qui juge de l'acceptabilité.
Le sénateur Meighen: Quel critère mettez-vous autour de cette proposition d'actionnaires?
M. Michaud: L'abolition de l'article 137 sur les scènes économiques, religieuses, et politiques. Son abolition est de faire en sorte que la proposition pourrait être relibellée de la façon suivante: la proposition de l'actionnaire doit concerner les affaires de l'entreprise. On n'a pas besoin de politique économique raciale. On a pensé à un moment donné faire le test de la loi à la Cour suprême du Canada. Cette loi serait invalidée par la Cour suprême si on y allait. Si vous pouvez trouver des ressources financières, on pourrait vous le démontrer. Une proposition d'actionnaires doit se référer aux affaires de la compagnie.
Le sénateur Meighen: Cela peut toucher les affaires de la corporation d'une façon significative ou d'une façon marginale. Les États-Unis ont un critère qui est, si je ne me trompe pas, de 5 p. 100 de la valeur du marché de la corporation pour que la proposition puisse être jugée.
M. Michaud: Non, avec beaucoup d'égard et de respect, je crois que vous faites erreur, sénateur. Le 5 p. 100 concerne les propositions d'actionnaires pour faire élire quelqu'un au conseil d'administration. Pour les propositions d'actionnaires, on peut avoir une action, une seule.
Le sénateur Meighen: Avec tout le respect que je vous dois, monsieur Michaud, je pense qu'il existe un seuil au ECC.
M. Michaud: Pour faire une proposition?
Le sénateur Meighen: ... d'actionnaires.
M. Michaud: J'aimerais qu'on me cite l'article de la loi. Vous parlez de la loi aux États-Unis ou de la loi canadienne?
Le sénateur Meighen: De la loi américaine.
M. Michaud: Je prends rarement un exemple des États-Unis d'Amérique. J'aime mieux vivre au Québec et au Canada.
Le sénateur Meighen: Oui, mais il faut regarder de par le monde.
M. Michaud: Il y a d'autres exemples dans le monde sur la répartition, comme la Grande-Bretagne.
Le sénateur Meighen: Il y a des exemples pour ou contre notre point de vue partout au monde. Envisagez-vous une limite quelconque aux propositions venant des actionnaires? Vous dites que vous voulez abolir l'article 137 et que cela touche tout simplement aux affaires de la compagnie.
M. Michaud: Nous souhaitons l'abolition de la l'article 137(5)b):
Il apparaît nettement que la proposition a pour objet principal de faire valoir [...]
Nous souhaitons son abolition. Le reste, cela va.
Le sénateur Meighen: Si j'ai bien compris, vous voulez que les propositions venant des actionnaires touchent au moins aux affaires de la compagnie pour être reçues et débattues.
M. Michaud: Oui, mais sans qu'il y ait la nécessité de 2 000 $. Nous avons actuellement la loi la plus démocratique, la plus exemplaire dans le monde entier du fonctionnement des grandes entreprises. On dit qu'un actionnaire qui a une ou plusieurs actions peut faire une proposition. Le projet de loi de M. Manley, suggère qu'il faudrait avoir 2 000 $ pour faire une proposition et détenir cette somme depuis six mois. Ces restrictions ne sont pas dans la loi actuelle. Vous restreignez alors les droits des actionnaires. Vous leur imposez un avoir de 2 000 $. Pourquoi 2 000 $? Pourquoi pas 10 000 $, 100 000 $ ou un million tant qu'à y être?
M. Michaud: Le cumul est permis.
M. Michaud: Il faut donc prendre son bâton de pélerin et aller chercher des groupes, un cumul, et cetera. Je le répète, la loi est très bien faite actuellement, on ne la conteste pas. Pourquoi ne pas laisser la loi telle qu'elle est à l'effet qu'un actionnaire bona fide de l'entreprise peut faire une proposition?
Le sénateur Meighen: Prenons le cas d'une grande entreprise, prenons Nortel pour les fins de l'exercice: si j'avais une proposition sur l'environnement en général, est-ce que cela ne touche pas aux affaires de la compagnie? Autrement dit, je cherche à savoir si sous la rubrique de «touche aux affaires de la compagnie», on n'aura pas des propositions de toutes les sortes, même des propositions frivoles.
M. Lussier: D'où notre proposition de confier à la Commission des valeurs mobilières le soin de statuer sur ce qui est acceptable ou frivole si la direction de l'entreprise considère que c'est frivole.
M. Michaud: Si la direction de l'entreprise, une banque par exemple refuse nous devons aller au tribunal. Ce que j'ai fait il y a cinq ans, me battant seul, nu comme ver n'étant pas avocat, simplement journaliste, ayant à faire face à huit avocats, parmi les plus brillants du Barreau montréalais, allant en Cour supérieure, en Cour d'appel pour faire entendre mes droits et c'est là que j'ai été affublé du surnom de Robin des banques. J'ai mis 70 ans de ma vie à me faire un nom, je n'ai maintenant qu'un surnom.
Le sénateur Meighen: Pensez-vous qu'une loi fédérale pourrait imposer ce devoir à la Commission des valeurs mobilières du Québec?
M. Michaud: La loi fédérale pourrait le faire dans la loi en laissant la responsabilité aux commissions des valeurs mobilières de l'Ontario, du Québec et des autres provinces. Le fédéral pourrait demander au Bureau du surintendant des institutions financières de regarder le libellé et lui dire si cela concerne les affaires de la compagnie ou non, sans pour autant laisser aller la possibilité d'interjeter appel en Cour supérieure ou en Cour d'appel. Si la réponse du Bureau du surintendant des institutions financières est négative on pourra toujours aller en appel, mais on décidera. Cependant notre position sera faible si un organisme compétant et objectif comme le Bureau du surintendant dit que la proposition est irrecevable.
On risque de reprendre nos dossiers et de ne pas les plaider. On voudrait une sorte de "clearing house" de nos propositions d'un organisme objectif. Quand la banque ou la grande corporation refuse, elle n'est pas objective. Elle nous dit que nous venons les gêner avec nos propositions. On voudrait un organisme que le gouvernement fédéral pourrait désigner dans la loi qui pourrait juger du mérite de nos propositions. J'avoue que la Commission des valeurs mobilières veut entrer dans une chicane constitutionnelle et on en a assez comme cela.
Le sénateur Meighen: Je vous taquine un petit peu.
M. Michaud: Le gouvernement fédéral a des tentatives velléitaires d'englober sous un même régime toutes les Commissions des valeurs mobilières des provinces, mais c'est un autre débat.
[Traduction]
Le sénateur Furey: Messieurs, je vous remercie d'avoir bien voulu être des nôtres aujourd'hui. Ma question paraîtra peut-être répétitive, car elle porte sur la même chose que ce que le sénateur Meighen vient de soulever à l'instant.
Vous nous avez dit très clairement ce que vous aimeriez que l'on fasse de l'article 137. Toutefois, aux yeux de certains, il s'agit d'une bonne disposition, et il faudrait la conserver. Compte tenu de cela, monsieur Michaud, que substitueriez-vous à sa place? Quel autre article conserverait les avantages destinés aux actionnaires tout en éliminant certains des problèmes que vous avez évoqués?
[Français]
M. Michaud: Si je vous perçois bien, vous parlez de l'article 137.5(b).
Le sénateur Furey: Oui.
M. Michaud: Nous souhaitons que ce texte disparaisse parce que nous le croyons contraire à la Charte canadienne des droits et libertés et à la Charte québécoise. Nous souhaitons qu'il disparaisse et soit remplacé par une autre formulation stipulant que la proposition faite par un actionnaire doit concerner les affaires de l'entreprise. Libellé comme c'est là, on parle des fins générales d'ordre économique. Toute proposition d'un actionnaire à une entreprise rencontre des fins générales d'ordre économique. C'est une vieille disposition d'une loi qui ne correspond plus au fonctionnement démocratique de notre état moderne.
[Traduction]
Le sénateur Furey: Hier, nous avons discuté quelque peu des répercussions que pourrait avoir l'insertion d'une expression comme: «... la proposition est étroitement liée...». À en juger d'après l'essentiel des remarques entendues, on a l'impression que cette approche risque de donner lieu à toutes sortes de problèmes, dont l'interprétation juridique n'est pas le moindre. Estimez-vous que cela corrigerait quelque peu ce que vous estimez être problématique dans cette proposition ou est-ce que ça n'ouvrirait pas plutôt la porte à une autre série de problèmes, particulièrement en ce qui a trait à l'interprétation juridique?
[Français]
M. Michaud: Je ne verrais pas d'objection à ce que la loi soit changée et que la proposition ait une relation significative avec les affaires de la société. Ce serait nettement mieux que ce qui apparaît actuellement et qui donne lieu à des interprétations les plus abusives. Notre position rejoint celle du Social Investment Organization et du Taskforce on the Churches and Corporate Responsibility qui ont émis les mêmes réserves que nous émettons ce matin, si je ne m'abuse.
Le président: Nos prochains témoins sont M. Jacques Cartier, président, Agropur, Coopérative agroalimentaire, M. Serge Riendeau, vice-président, M. André Gauthier, secrétaire corporatif et M. Yvon Martineau de Fasken, Martineau et DuMoulin.
[Traduction]
Messieurs, soyez les bienvenus parmi nous. Vous disposez au total de 45 minutes, je vous proposerais donc de limiter votre déclaration liminaire à 10 minutes afin que nous puissions ensuite vous poser des questions. Toutefois, je m'en remets tout à fait à votre décision. La parole est à vous.
[Français]
M. Jacques Cartier, président, Agropur, Coopérative agroalimentaire: Je tiens d'abord à remercier les membres du comité sénatorial des banques et du commerce de nous accorder l'occasion de faire certaines représentations concernant le projet de loi S-19 sur la Loi canadienne sur les coopératives.
D'abord je veux me présenter. Il est clair que je n'ai pas le talent de mon prédécesseur. Je suis producteur laitier et céréalier de la région de Saint-Hyacinthe et choisi par mes confrères comme représentant et président de la Coopérative.
Pour faire un bref rappel, Agropur est la plus importante coopérative laitière au Canada. Elle est la propriété de plus de 5 000 producteurs laitiers actifs. Nous avons à notre emploi plus de 2 700 employés et au-delà de 1 000 contractuels, fournisseurs ou distributeurs. Nous avons des usines réparties dans les diverses régions du pays. Nous avons en tout 18 usines au Canada dont certaines au Québec, en Ontario, en Alberta et en Colombie-Britannique. Notre distribution est pancanadienne. Le chiffre d'affaires combiné d'Agropur est d'un milliard et demi de dollars habituel et annuel.
Le but de notre demande ce matin est que nous portons un grand intérêt pour la Loi canadienne sur les coopératives. Nous sommes en processus de transfert de la loi du Québec vers la loi fédérale.
Certains dossiers, je pense, nous touchent particulièrement. Nous avons reçu le mandat de nos membres, il y a déjà deux ans, de procéder à l'ouverture, et à l'élargissement du sociétariat à l'intérieur du Canada et de permettre à tous les producteurs laitiers canadiens qui le désirent d'adhérer à notre coopérative et de contrôler la distribution et la mise en marché de leurs produits laitiers. Il y a des points qui nous touchent particulièrement, entre autres, au niveau de la démocratie, la représentation des sociétaires et aussi toute la notion du lien d'usage des membres avec la coopérative.
La situation actuelle est la suivante: au niveau du sociétariat nous retrouvons chez Agropur 5 000 sociétaires regroupés en 15 régions qui choisissent 15 administrateurs soit un représentant pour chaque district. Ce sont les membres de chacune des régions qui choississent leur représentant au conseil. Le mandat de chacun des administrateurs est de trois ans, dont le tiers est renouvelable à chaque année. Il est important pour nous de maintenir cette représentation pour une raison importante; ce sont les sociétaires de la région qui connaissent le mieux leur représentant et s'assurent que celui-ci est un producteur laitier actif et représentatif de son milieu. On a parlé de représentation et de vote au conseil d'administration, et je crois que les droits des membres sont importants.
L'autre sujet dont nous voulons traiter, c'est celui de la notion du lien d'usage. Au Canada, depuis maintenant près de 30 ans, il existe un système fédéral de plan conjoint pour la mise en marché du secteur laitier. Ce système, par les pouvoirs accrus dévolus au cours des années, mine le lien d'usage entre les membres de la coopérative et sa coopérative. Cela conduit à la destruction graduelle de l'essence même de nos coopératives laitières. Les coopératives devraient être les premières à recevoir le lait de leurs membres et pouvoir rémunérer l'opération du membre avec sa coopérative, pour ainsi en arriver à développer ou à maintenir ce lien d'usage. Le système actuel résultera à ce que les coopératives seront appelées à rémunérer le capital de leurs membres et graduellement miner et détruire l'essence même et la vie de la coopérative. Ce sont des points importants à traiter. Il y a d'autres points accessoires. Par contre, ce sont les deux points principaux que je voulais soulever.
M. Martineau, avocat, Fasken Martineau DuMoulin: Monsieur le président, le but de notre présentation ce matin c'est de relever auprès de vous deux éléments importants liés à la vie coopérative dans son essence même.
D'abord, sachez que le projet de loi dans son ensemble, tel que proposé actuellement, nous satisfait. On doit vous dire que Agropur a choisi de se proroger sous le régime fédéral. Agropur est une coopérative québécoise et bientôt elle ira devant ses membres pour demander sa prorogation comme coopérative sous le régime fédéral. Au Québec, une loi a permis la prorogation d'Agropur sous le régime fédéral.
Ce faisant, Agropur a une vie coopérative historique reconnue par ses membres. Le président a soulevé que les administrateurs étaient élus par des membres provenant d'un territoire. Nous pensons que la loi actuelle, dans son article 15(2) ne permet mais cette division par groupe où les administrateurs pourraient être élus par des membres d'un territoire donné. Si Agropur, par exemple, connaît une expansion et recrute des membres au Canada, il est facile d'imaginer que nous aurons des membres en Alberta et en Colombie-Britannique, alors il serait bon que des administrateurs proviennent de ces régions. La loi permet l'élection des administrateurs par catégorie. Je ne pense pas qu'on aura une classe B ou une classe C, mais bien des gens qui viennent de régions données. On diviserait le territoire d'une coopérative en plusieurs régions. Nous ne pensons pas que la loi permette cela à ce stade-ci.
Le sénateur Meighen: Excusez-moi. Avez-vous une opinion juridique là-dessus?
M. Martineau: L'opinion juridique est la mienne. On pourrait aménager des règlements administratifs pour permettre la qualification d'un administrateur pourvu qu'il soit nommé et provienne d'une région. On ne pense pas que c'est une démocratie directe.
L'autre point que le président a soulevé, c'est celui du lien d'usage où l'on voit ce lien rompu par une présomption établie par l'article 159 de la Loi canadienne sur les coopératives. Si vous lisez cet article, le législateur canadien reconnaît que la coopérative n'existe pas pour des fins données puisque dans des programmes de commercialisation, le membre est réputé avoir satisfait ses obligations s'il répond au plan conjoint. Quand vous établissez une présomption de cette nature dans une loi, vous mettez de côté l'essence même d'une coopérative. Je parlais tantôt avec un rédacteur législatif et il mentionnait que son objectif en était un de fiscalité. Je peux admettre cet objectif fiscal, car il est important que l'objectif fiscal soit respecté. Toutefois, il ne faudrait pas, par une présomption donnée, briser le lien d'usage entre un membre et sa coopérative. Si vous lisez le texte que nous vous avons soumis, dans l'exemple d'Agropur, le lait est dirigé dans des usines qui n'appartiennent pas nécessairement aux membres des coopératives, et partant la coopérative n'a plus de lien avec son membre. C'est l'office des producteurs qui détermine où va le lait du membre. On ne voudrait pas par une présomption consacrer cette rupture du lien d'usage avec une coopérative. C'est l'essence de nos propositions.
[Traduction]
Le président: Il me semble que certains de ces amendements sont de pure forme, je me demande donc si une approche différente ne conviendrait pas mieux. Il y a justement des représentants du ministère ici ce matin. Peut-être pourraient-ils demeurer dans la salle après l'audience et nous dire si une autre approche est possible.
[Français]
M. Martineau: Je ne soulève pas ici une dizaine de propositions dont plusieurs sont très techniques. Les deux propositions fondamentales concernent l'élection des administrateurs comme principe, et la rupture du lien d'usage qu'entrainerait une présomption prévue dans la loi. Ce sont les deux seuls points d'essence.
[Traduction]
Le président: Est-ce que cela porte uniquement sur les coopératives?
M. Martineau: Oui, monsieur le président.
[Français]
Le sénateur Meighen: Mais ces deux propositions pourraient théoriquement être réglées par un changement technique du projet de loi.
M. Martineau: Sénateur Meighen, au niveau des administrateurs et du lien d'usage, oui.
Le sénateur Meighen: Peut-être que tout peut se résoudre.
M. Martineau: Si cette assemblée souscrit à notre démarche, nous en seront très heureux. Ce sont des principes. Si vous dites à tous ceux qui vous appuient que vous agréez aux principes que nous évoquons, techniquement nous trouverons les solutions.
[Traduction]
Le président: Hier et aujourd'hui, nous avons reçu toute une liasse d'amendements ou de règlements, et il faudra les examiner. Nous nous enquerrons donc au sujet des deux points que vous avez soulevés.
Le sénateur Kroft: Dans un esprit de collaboration -- et je ne vous demande pas de défendre la cause opposée à la vôtre --, pouvez-vous nous dire s'il existe des complications que nous ignorons? Y a-t-il des arguments contre que nous ne connaissons pas et d'après lesquels ces modifications ne seraient peut-être pas aussi faciles qu'il y paraît? Si quelqu'un a justement des arguments contre à nous soumettre, il devrait le faire. Dans la vie, les choses ont souvent deux côtés.
[Français]
M. Martineau: Dans toute l'honnêteté intellectuelle que vous posez votre question, je vais vous répondre. L'article 159 reconnaît l'existence des offices de producteurs, ce qu'on appelle communément au Canada des «marketing boards». Ces «marketing boards» déterminent l'allocation et la répartition du lait dans une région donnée. Une coopérative voudrait que le lait qui provient de ses membres aille dans ses usines. Vous pouvez facilement imaginer que le «marketing board» et la coopérative auront des vues différentes. Nous ne voulons pas que le législateur canadien vienne consacrer la suprématie du «marketing board» sur la coopérative. Les gens du "marketing board" vous diront le contraire.
[Traduction]
Le sénateur Kroft: Merci. Cela m'a été extrêmement utile.
[Français]
M. Cartier: J'ai un point important à ajouter. En tant que producteur laitier, une partie importante de notre production est sous gestion de l'offre et contrôlée par les «marketing boards». On ne veut pas remettre en question le système de gestion de l'offre et des «marketing boards» au Canada. Il y a un élément important additionnel: on ne veut pas détruire nos coopératives. Je pense qu'il y a un juste milieu. Il y a une place pour les deux organisations. Les deux ont un rôle très important à jouer.
Il est clair qu'en tant que représentant et membre de coopérative, je veux pouvoir continuer à livrer mon lait à ma coopérative. Il est impensable, comme président de la coopérative, que mon lait aille chez notre propre compétiteur. Ce qui arrive à l'heure actuelle, compte tenu de la direction du lait qui est donnée aux «marketing boards» ou aux fédérations, le lait de n'importe quel membre peut être dirigé dans n'importe quelle usine, coopérative ou non. Cela fait que mon lait va chez mon principal compétiteur. On dit oui au système de gestion de l'offre, aux «marketing board», ils ont leur raison d'être. Il faut reconnaître la priorité et la primauté des coopératives.
Il est un élément important à vous mentionner. Au Québec, cette semaine, il y a eu l'annonce de disposition du groupe Lactil qui est un regroupement de coopératives. Je pense que c'est important de vous le souligner ce matin parce qu'au Québec, il restera une coopérative importante qui sera Agropur. Si on regarde la situation au pays, il reste Agropur au Québec, AgriFood dans l'Ouest canadien, une en Ontario et quelques coopératives régionales dans les provinces maritimes. Cela fait partie de notre patrimoine au Canada, de notre culture. Les producteurs se sont donnés des instruments. Dans le cas d'Agropur, cela date de 1938 pour contrôler notre mise en marché et des plans conjoints ont été mis en place pour devenir des moyens supplémentaires pour les gens qui n'étaient pas membres de coopératives. Graduellement on a dit que pour qu'un plan soit efficace, il faut que tous les producteurs adhèrent au plan conjoint et par le fait même, ce que cela a fait avec les années, c'est qu'on a détérioré carrément le système coopératif et on est en train de le détruire complètement. Si on veut garder les quelques entités coopératives qui restent au Canada sous leur forme actuelle, je pense que c'est important. La survie d'Agropur comme institution n'est pas menacée mais comme coopérative, si on considère l'article 159, ce qu'on fait carrément, c'est qu'on détruit le lien d'usage et comme coopérative, il va falloir revoir notre statut. Si on commence à rémunérer du capital, on pourra se considérer comme une compagnie à capital-actions au même titre que les autres et par le fait même, il n'y aura plus de justification de maintenir Agropur comme coopérative au Canada.
[Traduction]
Le président: Franchement, je ne connais rien à l'industrie laitière, mais est-ce que vous êtes en train de dire que les rédacteurs de la loi n'en connaissent pas plus long? Est-ce là où vous voulez en venir?
[Français]
M. Martineau: Je crois que les gens qui ont écrit cette disposition n'ont pas réalisé les conséquences de l'article 159. Cet article a été écrit peut-être pour des raisons fiscales. Comme vous le savez, une coopérative a un traitement fiscal différent d'une corporation, d'une personne morale parce que le membre de la coopérative est présumé avoir le revenu. Pour des raisons fiscales, on a fait cela. Mais il y a d'autres lois qui s'appliquent dans les circonstances de mise en marché et particulièrement dans l'industrie du lait où plusieurs «marketing boards» ont joué des rôles envahissants, qu'on a même appelés en vertu de l'Organisation mondiale du commerce, des organismes qui sont maintenant presque publics au nom du syndicalisme agricole.
Le président a dit des lois ne doivent pas consacrer la suprématie d'un régime par rapport à l'autre. Les deux doivent coexister et probablement que le régime d'Agence de commercialisation est un régime supplémentaire aux régimes coopératifs de commercialisation.
Dans ce cadre, si Agropur a choisi de proposer à ses membres d'aller sous le régime fédéral, je dois vous dire que cette loi est une loi très avant-gardiste. C'est une loi coopérative très avant-gardiste qui mérite beaucoup de louanges. Tantôt, j'entendais que la Loi canadienne sur les sociétés par actions est une loi citée de façon exemplaire dans le monde. C'est une loi très avant-gardiste. La Loi canadienne sur les coopératives va être aussi avant-gardiste. Cette loi canadienne sur les coopératives fait la promotion du lien coopératif entre le membre et sa coopérative. C'est un mode de commercialisation de produits et de services qui n'est malheureusement pas compris. Mais il est très important. Ce mode de commercialisation est souvent confronté avec des programmes d'office, de plans conjoints, de programmes de commercialisation qui font accroc au principe du droit coopératif que l'on connaît.
C'est pour cela que je dis au législateur -- m'adressant à vous, sénateurs -- de faire attention à l'article 159 parce qu'il crée des présomptions qui peuvent alimenter des débats dont vous n'avez pas besoin.
[Traduction]
Le sénateur Tkachuk: J'aimerais comprendre un peu mieux. Vous livrez le lait à une usine de transformation qui vous appartient. L'office de commercialisation fixe bien le prix du lait, n'est-ce pas? En ce cas, pourquoi l'office voudrait-il que vous vendiez le lait à quelqu'un d'autre?
[Français]
M. Cartier: Le système de commercialisation a des pouvoirs beaucoup plus étendus que la notion du prix. Le système de commercialisation dirige le lait pour approvisionner et privilégier d'abord certains marchés. On parle du marché frais du lait de consommation, ensuite les différentes classes de lait, les produits de yogourt, les fromages de spécialité. Il y a une répartition aux usines selon les jours de la semaine. Si vous voulez avoir pour le consommateur le lait le plus frais possible avec un code de péremption le plus long possible, les usine de lait de consommation peuvent être approvisionnées seulement trois ou quatre jours par semaine. Les usines de l'industrie de fromage, de yogourt et autres produits seront desservies par la suite. Compte tenu de ces éléments, il y a beaucoup plus que la notion du prix. Il y a la notion de la direction du lait et les autres éléments ajoutés au cours des années.
Il faut comprendre que dans certaines régions du pays, il n'existe pas de coopératives. Je prends l'exemple de l'Ontario où le mouvement coopératif est presque inexistant. Au Québec, c'est au-delà de 75 p. 100 des producteurs qui sont membres des coopératives. Leur rôle est très différent et le rôle donné aux fédérations ou au Milk Marketing Board a pris beaucoup d'ampleur au cours des années.
De moyens supplémentaires qu'il était au début des années 1970 pour aider les producteurs non membres de coopératives, il est devenu un moyen universel pour l'ensemble des producteurs, soit par convention ou par décrets gouvernementaux. Aujourd'hui on se retrouve dans cette situation où toute la notion du lien d'usage est remise en question dans les provinces. Un des problèmes fondamental pour nous, c'est que nous sommes en processus de prorogation sous la loi fédérale, à l'article 159. On donne la primauté au système de commercialisation, détruisant par le fait même cette notion de lien d'usage. C'est pour cela qu'on a des craintes importantes.
Compte tenu de l'autre élément mentionné, le but d'Agropur est de prendre de l'expansion et de permettre à tous les producteurs du pays de devenir membre de la coopérative et de contrôler et de développer leur transformation et leur production à la ferme. Le fait qu'on contrôle notre transformation et notre mise en marché va faire qu'on va développer d'abord notre production. Le but premier d'une coopérative est de développer la production à la ferme. On est là pour dynamiser le plus possible la commercialisation et la mise en marché du produit et par la suite, de générer des excédents qu'on retourne aux producteurs.
Au cours des dernières années, on a retourné au-delà de 75 millions de dollars en argent comptant aux membres. Ce sont les excédents des coopératives qu'on dynamise vers les producteurs. Cela recrée un dynamisme dans chacune des régions du pays. On ne voudrait pas que toute cette notion de lien soit brisée et qu'on devienne une entreprise commerciale au même titre que n'importe quelle compagnie à capital-actions.Le rôle de chacun doit être clairement identifié et justifié et non pas compétitif l'un par rapport à l'autre.
M. Martineau: Je peux compléter la réponse. Est-ce seulement le prix? Je dois vous dire que non. Un «marketing board» peut décider que le lait de M. Cartier qui sera transporté par un camion va être livré à l'usine de Saputo à Montréal et non pas à l'usine de sa coopérative. Vous avez, au Québec, un marché fondé essentiellement sur des coopératives en termes de production.
En Ontario, comme monsieur le président l'a mentionné, c'est différent. Vous avez des personnes morales qui sont des corporations. Les «marketing boards» dirigent le lait en fonction de la demande. C'est la gestion de l'offre. Si vous écoutez seulement les règles de gestion de l'offre, le lait provenant des fermes des membres ne va pas directement dans les coopératives. Si vous avez dans la législation une disposition selon laquelle vous reconnaissez la suprématie des «management supply rules» sur celle d'une coopérative, vous faites accroc au principe d'une coopérative où le lien d'usage, c'est-à-dire la provenance du lait de la ferme à la coopérative du membre, est brisé puisqu'on va dans une direction autre que celle de la coopérative. Le «marketing board» peut parfois jouer des règles qui vont à l'encontre des principes d'une coopérative.
La loi fédérale que vous proposez et qui est celle qu'Agropur a choisi de proposer à ses membres propose une suprématie par une présomption. Quand le membre livre au «marketing board» selon ses directives, le «marketing board» est réputé respecter les règles de la coopérative. Dans ce contexte, on ne voudrait pas que le législateur canadien le dise aussi clairement, mais qu'il le dise d'une façon complémentaire. La meilleure manière peut-être de régler le problème serait de l'abroger.
[Traduction]
Le sénateur Tkachuk: La solution serait peut-être de se débarrasser des offices de commercialisation.
[Français]
M. Martineau: Cela, c'est de la politique. Moi, je suis ici pour présenter un point de vue juridique.
[Traduction]
Le sénateur Kroft: Merci de nous avoir donné une réponse très utile à ma question plutôt innocente. Toutefois, en tant que Manitobain ayant grandi dans le milieu de l'agriculture, je comprends maintenant mieux ce qui se cache derrière l'enjeu évoqué. Vous tenez certainement à maintenir tout au moins une certaine neutralité afin de ne pas favoriser une orientation plutôt qu'une autre, face à un enjeu et à un combat beaucoup plus vastes, afin que nous ne glissions pas par inadvertance dans autre chose que ce dont nous sommes saisis aujourd'hui.
Tout ce que je peux dire pour vous rassurer, c'est que nous comprenons maintenant que l'enjeu porte sur plus que l'aspect strictement formel et visible de la question. Nous allons certainement examiner l'autre aspect très attentivement.
[Français]
Le sénateur Meighen: Maître Martineau, ai-je bien compris que votre solution, entre guillemets, à ce problème, serait d'abroger tout simplement la proposition? Est-ce la meilleure solution?
M. Martineau: Si vous livrez à votre coopérative, vous respectez le «marketing board». Ce serait la meilleure proposition pour nous. Actuellement, les deux systèmes coexistent parallèlement. Vous devez être très prudents lorsque vous rédigez l'article 159 si vous voulez aider fiscalement le membre.
M. Cartier: J'ai un élément à ajouter. Contrairement à Maître Martineau, je suis producteur et il est clair que je souhaite qu'il y ait primauté à la coopérative. Abroger, c'est un élément, mais le meilleur élément qu'on pourrait souhaiter serait de maintenir le lien d'usage. Le sénateur Kroft parlait du Manitoba. On sait qu'il y a une différence fondamentale entre les «wheat pool» et le secteur laitier. Dans le secteur laitier, il existe ce qu'on appelle des «milk marketing boards», ce qui n'existe pas dans les «wheat pools». Le problème est légèrement différent. La loi dont on parle, c'est la Loi des coopératives. Normalement, on devrait faire la promotion de la coopération. C'est le minimum auquel on peut s'attendre de la Loi des coopératives.
Le sénateur Meighen: Les deux vont ensemble. Monsieur le président, peut-être qu'on pourrait voir s'il y a des changements techniques à effectuer pour venir en aide à la plupart des provinces.
[Traduction]
Le président: Il faudra que nous discutions de cela avec les hauts fonctionnaires de M. Manley, s'ils peuvent rester avec nous une fois la réunion terminée.
Le sénateur Kelleher: Je n'ai pas de question à poser, monsieur le président. Toutefois, fort de mon expérience dans le secteur du commerce, j'observerais que par rapport aux produits agricoles, la gestion de l'offre et les offices de commercialisation constituent le pilier de notre politique commerciale. C'est deux réalités sont également extrêmement importantes par rapport à l'accord de libre-échange, à l'ALENA, et maintenant à l'OMC, le successeur du GATT. Je ne prétends pas que ces mécanismes ne sont pas fondés, mais je tiens à prévenir le comité de faire bien attention avant de s'engager dans ce bourbier. Il faudra donc que nous consultions aussi les hauts fonctionnaires du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international, monsieur le président.
Ces messieurs savent sans doute que nos offices de commercialisation des produits agricoles et notre système de gestion de l'offre sont soumis à des attaques à la fois de la part de l'Europe et des États-Unis. Ce que ces deux derniers ont fait lors de la dernière série de négociations au sujet des contingents m'a tout à fait terrifié. Ils ont aboli les contingents et décidé de recourir plutôt à un tarif douanier sur tous ces produits, avec le résultat que ces derniers font maintenant l'objet d'attaques.
Nous devrions donc faire très attention avant de nous hasarder dans ce genre de dossier. Ce n'est pas que nous nous opposons à venir en aide aux nôtres. Il s'agit simplement du fait qu'il y a là un véritable bourbier. À mon avis, il n'y a pas de solution facile aux problèmes de nos témoins, du moins pas pour le moment.
Le président: Je ne pense pas qu'ils essaient de modifier ces organismes, mais bien plutôt de collaborer avec eux, si j'ai bien compris.
Le sénateur Kelleher: Je suis sûr qu'ils en sont persuadés. Toutefois, à mon avis, nos responsables du commerce verraient la chose sous un angle différent, et je n'ai pas entendu leur son de cloche à cet égard. Tout ce que je dis, c'est que nous n'avons entendu qu'une partie des choses.
[Français]
M. Cartier: J'aurais un commentaire. J'approuve entièrement ce qui vient d'être mentionné. Nous sommes aussi des promoteurs des systèmes de gestion de l'offre. Étant producteurs laitiers, je pense qu'on a une valeur importante de nos entreprises qui sont nos valeurs de quota. D'aucune façon nous ne remettons cela en question. Par contre, je voudrais vous rappeler que les trois plus grandes entreprises laitières au Canada -- vous avez Parmalat, Agropur et Agri Food -- comptent pour au-delà de 65 p. 100 de la mise en marché au Canada et les deux plus importantes sont des coopératives. Il ne faudrait pas l'oublier.
Pour ce qui est de la gestion de l'offre, on parle de la disponibilité du lait aux entreprises. Quant au commerce, je vous rappellerai très bien qu'il n'y a aucun système de «milk marketing board» qui transforme ou met en marché quelque produit que ce soit sauf de rendre disponible le lait des producteurs. Les seules entreprises qui font du commerce, de la transformation et de l'exportation, ce sont les entreprises commerciales, qu'elles soient coopératives ou privées. Il ne faudrait pas l'oublier non plus. D'aucune façon on a remis en question les «milk marketing boards» ou la mise en marché ordonnée. On est ici pour parler de la Loi des coopératives, pour défendre et faire la promotion de notre coopérative sans détruire ce qui existe au niveau de la gestion de l'offre ou des «milk marketing boards». Il est important de le souligner. Il est important aussi de se rappeler que ce qui fait le commerce au Canada, ce sont les entreprises qui font de la transformation, de la distribution et de l'exportation et non pas nécessairement des «milk marketing boards». Les «milk marketing boards» sont là pour défendre les politiques générales au niveau de la mise en marché des produits à l'intérieur du pays, pour développer ou s'assurer que les entreprises aient la disponibilité de la matière, sauf que pour ce qui est du secteur commercial, ceux qui commercialisent sont les gens qui sont capables de faire des affaires et qui ont les outils pour le faire.
[Traduction]
Le président: Merci beaucoup, messieurs.
Mesdames et messieurs les sénateurs, nos témoins suivants viennent de l'Association canadienne des coopératives. La parole est à vous.
Mme Mary Pat MacKinnon, directrice, Affaires gouvernementales, Association canadienne des coopératives: Nous tenons à remercier le comité de l'occasion qu'il nous donne de témoigner devant vous aujourd'hui.
La dernière fois que nous avons témoigné devant le comité, nous avons abordé la Loi canadienne sur les coopératives. Nous vous avons été reconnaissants de votre temps et de votre attention à l'époque, et nous sommes heureux d'être de retour aujourd'hui pour vous parler de nos préoccupations au sujet du projet de loi S-19.
Nous approuvons sans réserve la plupart des dispositions du projet de loi S-19. C'est un bon projet de loi. Cela dit, nous avons quelques préoccupations.
Je vais commencer par vous donner quelques renseignements au sujet de L'Association canadienne des coopératives. Notre organisme a été créé pour venir en aide aux coopératives et aux coopératives de crédit, surtout celles situées au Canada anglais. Nous comptons 31 organisations membres, dont certaines sont des coopératives constituées en nom collectif en vertu de la loi fédérale, de plus grandes coopératives commerciales comme les Coopératives fédérées, la Coop Atlantique, le Co-operators Group Limited et des organisations un peu plus modestes comme la Canadian Worker Co-operative Federation, la Fédération de l'habitation coopérative du Canada et le Arctic Co-operative Development Fund. La CCA elle-même est constituée en société à nom collectif en vertu de la loi fédérale, tout comme notre pendant francophone, le Conseil canadien de la coopération.
Les membres de la CCA représentent au total quelque 50 milliards de dollars en actifs. Nous regroupons près de 300 coopératives et coopératives de crédit à l'échelle provinciale et locale. Les coopératives desservent des millions de Canadiens au sein de secteurs très divers, y compris les services financiers, la commercialisation agricole, l'habitation, les épiceries et le reste. Ensemble, les coopératives et les coopératives de crédit emploient plus de 150 000 personnes et disposent d'avoirs supérieurs à 167 milliards de dollars. Nous ne sommes donc pas un mouvement de petite taille.
Ainsi que je l'ai dit un peu plus tôt, la CCA félicite le Sénat d'avoir pris l'initiative de présenter le projet de loi S-19. Nous appuyons en effet les mesures visant à moderniser le droit canadien des sociétés. Nous nous réjouissons aussi tout particulièrement du fait que les modifications proposées dans le projet de loi S-19 pour actualiser la Loi canadienne sur les coopératives reflètent et reconnaissent l'importance de ces organismes au sein de l'économie canadienne.
Vous n'ignorez sans doute pas que la Loi canadienne sur les coopératives a été considérablement modernisée et modifiée en 1998, et est entrée en vigueur le 30 décembre 1999. Cette loi nous accorde les pouvoirs et la souplesse dont nous avons besoin pour être concurrentiels à l'échelle nationale et internationale. Il nous paraît donc extrêmement important que les modifications apportées à la Loi canadienne sur les coopératives par le truchement du projet de loi S-19 poursuivent sur cette lancée; autrement dit, que ces dispositions nous donnent les pouvoirs et la souplesse voulus.
Aujourd'hui, nous aimerions soulever sept points, dont deux ou trois sont primordiaux. Dans quelques instants, je demanderai à notre conseiller juridique, Me Joe Dierker, de prendre la parole à leur sujet mais auparavant, je vais mettre en perspective la première question, à savoir les communications électroniques.
Lorsque nous nous sommes penchés sur la loi qui nous concernait en 1998, nous savions qu'il serait question des carences en matière de communication électronique. Nous nous sommes alors efforcés de faire insérer certaines dispositions qui en traiteraient, et avons réussi à le faire. Toutefois, nous savions aussi qu'on présenterait bientôt des modifications visant aussi bien la Loi canadienne sur les sociétés par actions que la Loi canadienne sur les coopératives. Nous nous attendions donc à ce que la loi prévoie un régime général pour les communications électroniques.
Lorsque nous avons reçu ce projet de loi S-19, bien entendu, nous l'avons examiné très attentivement, et avons alors noté avec inquiétude qu'il ne comportait pas les mêmes dispositions en matière de communication électronique que dans la Loi canadienne sur les sociétés par actions. Nous avons fait part de nos préoccupations aux hauts fonctionnaires d'Industrie Canada, qui se sont montrés très ouverts à ces questions.
En cette matière, à notre avis, la loi nous régissant doit comporter les mêmes dispositions que celles qui figureront dans la Loi canadienne sur les sociétés par actions. Cela étant dit, je vais maintenant demander à Me Dierker de développer ce point et quelques autres.
M. Joseph Dierker, Gauley & Company, Association canadienne des coopératives: Mesdames et messieurs les sénateurs, la question la plus importante sur laquelle nous aimerions que votre comité se penche est le code régissant les communications électroniques qui sera créé à l'intention des coopératives du Canada par l'adoption du projet de loi S-19. Pour les besoins de la Loi canadienne sur les coopératives, on ajoute donc un code complet au texte de la loi. Les modifications corrélatives vont d'ailleurs mettre à jour ce dernier et tenir compte des répercussions du projet de loi C-6.
Pour ce qui est des coopératives, il est proposé que le code soit établi par voie de réglementation. Or ici, il importe de noter que les pouvoirs réglementaires prévus dans la Loi canadienne sur les sociétés par actions et dans la Loi canadienne sur les coopératives sont parallèles, sinon identiques. Cependant, dans la Loi sur les sociétés par actions, figure également le code exprès grâce auquel les communications électroniques peuvent se faire.
Il est extrêmement important qu'il y ait uniformité des modalités de communication électronique. Ainsi par exemple, lorsqu'une coopérative et une société par actions procèdent à une offre publique de vente de titres, les communications effectuées dans les deux cas doivent être uniformes pour éviter toute incertitude sur le marché.
En outre, la Loi sur les sociétés par actions comprend bon nombre de mécanismes de protection du consommateur lorsqu'il se sert des moyens électroniques de communication, aspect qui nous paraît tout aussi important. Ce genre de code devrait également s'appliquer aux communications de la part des coopératives.
Nous estimons impératif que les communications soient uniformes. Notre demande est donc simple et claire, à savoir que la partie 20.1, qu'on propose d'ajouter à la Loi canadienne sur les sociétés par actions, soit également inscrite dans la Loi canadienne sur les coopératives afin qu'il y ait un véritable parallélisme des deux structures. Cela veut donc dire que la Loi canadienne sur les sociétés par actions et la Loi canadienne sur les coopératives seraient intégralement parallèles, aussi bien dans le cas des textes de loi que des règlements.
Le président: Y a-t-il une raison quelconque de penser qu'il en sera autrement?
Me Dierker: Ça n'a pas été prévu.
Le président: S'agit-il d'un oubli ou y a-t-il une raison à cela?
Me Dierker: Il faudra peut-être que vous demandiez cela aux représentants du ministre. Ainsi que le disait Mme MacKinnon, lorsque nous avons collaboré avec le ministère de la Justice lors de la rédaction de la Loi canadienne sur les coopératives, il y a à peine un an de cela, nous avons proposé des dispositions relatives aux communications électroniques que nous estimions pouvoir ajouter sans trop préjuger des modifications qu'on pourrait apporter à la Loi canadienne sur les sociétés par actions. Il y a donc peut-être eu un malentendu, dans la mesure où de telles dispositions étaient prévues dans la Loi canadienne sur les coopératives.
Nous n'avons certainement pas inséré le code électronique que nous prévoyions, et qui figure maintenant dans la Loi canadienne sur les sociétés par actions. À l'époque, cela aurait été tout à fait inapproprié. Il y a donc eu méprise, mais dans le sens où nous ne savions pas tout à fait ce qui figurerait dans la loi.
Notre deuxième point porte sur la proposition relative à la Loi canadienne sur les sociétés par actions voulant que l'on modifie les exigences de résidence permanente pour ce qui est des membres des conseils d'administration. À cet égard, nous estimons que l'on doit traiter les coopératives de la même manière que les sociétés par actions. Cela dit, nous ne nous prenons pas partie dans un sens ou dans l'autre sur ce point. À notre avis, il faudrait simplement qu'il y ait parallélisme entre les deux lois. Cela ne signifie pas qu'une coopérative ne sera plus administrée par ces membres car la loi protège déjà le droit de regard de ces derniers, et l'amendement ne modifierait donc pas cet aspect.
Nous proposons un certain nombre d'amendements de forme, monsieur le président. À moins que vous ne vouliez que je les parcours, je vais vous en laisser le texte.
Au troisième point, nous demandons simplement qu'on ajoute un renvoi aux règlements qui figurent dans l'amendement. Nous approuvons l'amendement en question, nous demandons simplement que la disposition soit davantage intégrée à la loi.
Au point 4, nous ne faisons qu'attirer votre attention sur une erreur de rédaction, et il s'agit donc d'établir entièrement le rapport sur le plan de la forme afin que ce qui est envisagé par le projet de loi atteigne effectivement cet objectif.
Le point 5 vise lui aussi à maintenir les rennes du pouvoir de la coopérative entre les mains de ses membres.
Le point 6 n'est qu'un amendement de forme, pour insérer un terme qui a été omis.
Au point 7, nous demandons que le comité corrige l'erreur de rédaction que j'ai commise lorsque j'ai travaillé sur cet article. Monsieur le président, toute l'élaboration de la Loi canadienne sur les coopératives s'est fondée sur la collaboration avec le ministère de la Justice. C'est en effet le secteur coopératif qui a conçu la Loi canadienne sur les coopératives et l'a ensuite soumise au ministère de la Justice pour examen et amélioration. Toutefois, lorsque j'ai rédigé l'article 8, je me suis malheureusement trompé d'expression. Bien que votre comité ne soit pas vraiment saisi de cette disposition puisqu'elle ne fait pas l'objet d'une modification, il est néanmoins très important de la modifier, afin de favoriser le développement du secteur coopératif au Canada. Je vous demanderais donc de faire preuve d'indulgence et de permettre qu'on corrige l'erreur.
Je serai heureux de répondre à vos questions.
Le président: Lorsque commencera notre étude article par article, il faudra que nous nous occupions d'une façon ou d'une autre des amendements de pure forme. Est-ce que quelqu'un a des propositions à faire à ce sujet?
Le sénateur Kroft: Pour ce qui est des exigences en matière de résidence permanente, pourriez-vous m'aider à comprendre ce qu'on exige des membres du conseil d'administration? Si un membre du conseil doit être un membre de la coopérative, alors si vous avez besoin d'administrateurs qui ne sont pas des résidents permanents, il en découle logiquement qu'il peut aussi y avoir des membres qui ne sont pas des résidents permanents. Cela dit, je ne comprends pas tout à fait dans quelles circonstances une association coopérative pourrait compter des membres non résidents.
Me Dierker: La Loi canadienne sur les coopératives permet à une coopérative d'avoir des activités internationales et de recruter des membres à ses points de service, où qu'ils soient. Il n'est donc pas exigé de ces membres qu'ils soient des résidents permanents du Canada.
Le sénateur Kroft: Qu'en serait-il s'il s'agissait d'une coopérative de crédit? Donnez-moi un exemple de cela.
Me Dierker: Je dois rappeler à monsieur le sénateur que le projet de loi ne porte que sur les coopératives marchandes ou commerciales et non sur les coopératives de crédit, qui sont des institutions financières.
Le sénateur Kroft: Merci de cette précision.
Pouvez-vous me donner un exemple des activités internationales d'une coopérative? Pouvez-vous me décrire certaines des activités commerciales qui pourraient déborder des frontières du Canada
Me Dierker: Il existe une coopérative en Ontario qui s'appelle la GROWMARK dont les activités comportent un important volet américain.
Le sénateur Kroft: De quoi s'occupe-t-elle?
Me Dierker: De vendre des épiceries et des fournitures agricoles.
Mme MacKinnon: La GROWMARK est surtout connue pour ses intrants de fournitures et de services agricoles, ainsi que pour certaines activités de commercialisation. Une proportion importante de ces intrants sont constitués de semences.
Le sénateur Kroft: Cette coopérative compte des membres.
Mme MacKinnon: Il s'agit en fait d'une organisation Nord-Sud oeuvrant aux États-Unis et en Ontario.
Le sénateur Kroft: Et ses membres proviennent des deux pays?
Mme MacKinnon: C'est exact.
Le président: Merci de votre présence ici.
La séance est levée.