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BANC - Comité permanent

Banques, commerce et économie

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce

Fascicule 13 - Témoignages du 11 mai 2000


OTTAWA, le jeudi 11 mai 2000

Le comité sénatorial permanent des banques et du commerce, auquel a été renvoyé le projet de loi S-19, Loi modifiant la Loi canadienne sur les sociétés par actions et la Loi canadienne sur les coopératives ainsi que d'autres lois en conséquence, se réunit aujourd'hui à 11 heures pour en faire l'examen.

[Traduction]

M. Gary Levy, greffier du comité: Honorables sénateurs, nous avons quorum et je me dois de vous informer de l'absence du sénateur Kolber et du vice-président. Par conséquent, il faut que quelqu'un propose un président suppléant.

Le sénateur Kroft: Je propose que le sénateur Furey agisse aujourd'hui en qualité de président.

M. Levy: Honorables sénateurs, est-ce d'accord?

Des voix: D'accord

L'honorable George J. Furey (président suppléant) occupe le fauteuil.

Le président suppléant: Honorables sénateurs, avant de commencer, j'aimerais faire quelques observations. En raison de circonstances indépendantes de leur volonté, ni notre président, le sénateur Kolber, ni notre vice-président, le sénateur Tkachuk, ne sont en mesure d'être ici aujourd'hui.

Je veux faire écho à certains commentaires exprimés par le président hier et préciser que l'étude d'une mesure législative aussi importante et complexe que le projet de loi S-19 exige que nous recevions les mémoires des témoins en temps opportun.

Je crois avoir que le greffier du comité, M. Levy, avise les témoins par écrit qu'ils doivent nous soumettre leurs mémoires écrits bien avant leur date de comparution. Le fait de recevoir les mémoires et les exposés la veille ou le jour même de la comparution complique notre tâche.

Néanmoins, nous essaierons de faire de notre mieux, peu importe la situation dans laquelle nous nous retrouverons. Comme l'a dit le président hier, il faudra faire le point à la fin des audiences d'aujourd'hui et décider s'il y a lieu de demander aux témoins soit de revenir devant le comité soit de nous soumettre d'autres documents écrits.

Avant de commencer, je rappelle que nous avons réservé environ 40 minutes à chaque témoin. Vous êtes libres d'utiliser ce temps à votre guise pour votre déclaration liminaire et les membres du comité prendront le temps qui reste pour vous poser des questions.

Je donne la parole à notre premier témoin, M. Tom Gunn.

M. G. Tom Gunn, agent principal des investissements, Caisse de retraite des employés municipaux de l'Ontario: Honorables sénateurs, je peux vous donner l'assurance que la Caisse de retraite des employés municipaux de l'Ontario ne présentera pas aujourd'hui un mémoire de 50 pages renfermant des amendements de forme.

J'aimerais aborder à un niveau assez élevé certains principes du projet de loi. J'avoue que j'ai remis notre mémoire il y a peu de temps. Je m'attacherai à des questions fondamentales plutôt qu'aux détails du mémoire, ce dernier ayant plutôt été déposé à titre de document de base.

Tout d'abord, l'OMERS est la deuxième caisse de retraite du secteur public en importance en Ontario. Elle est gérée par un conseil de 13 membres nommés par le gouvernement de l'Ontario afin de représenter les diverses municipalités et rassemble environ 1 100 groupes de la province.

Le conseil d'administration compte deux membres qui sont des élus municipaux, soit un retraité et un représentant du gouvernement provincial. Environ 280 000 participants et retraités adhèrent au régime. Aujourd'hui, la Caisse gère des actifs de l'ordre de 37 milliards de dollars environ au nom de ses membres.

La Caisse oeuvre dans un cadre international, investissant tant au Canada qu'à l'étranger. Nous connaissons bien les lois régissant les sociétés par actions au Canada, aux États-Unis, en Europe et ailleurs dans le monde. Aujourd'hui, nous souhaitons aborder sept points principaux.

Premièrement, nous nous percevons comme les propriétaires d'actions plutôt que comme des actionnaires. Nous considérons que l'argent de la caisse de retraite constitue une source permanente de capitaux, mais nous estimons également que les sociétés sont notre propriété. Il s'agit là d'une tendance croissante parmi un certain nombre de régimes de retraite tant au Canada qu'à l'étranger, et nous prenons très au sérieux nos responsabilités à titre de propriétaires de sociétés.

Nous adhérons fermement aux principes d'une saine administration corporative. À notre avis, toutes les sociétés devraient viser à intégrer l'optique de l'ensemble des intervenants, que ce soit le conseil d'administration, la haute direction, les propriétaires, les clients et les autres parties, et être assujetties à des règles reflétant le fait qu'elles sont assujetties à des responsabilités multiples.

Nous faisons aussi nôtres les propos de l'ancien premier ministre Laurier, selon qui le Canada devait se considérer comme un acteur international. En effet, il était convaincu que le XXe siècle serait celui du Canada. Pour notre part, nous pensons que ce sera peut-être le XXIe siècle.

Nous estimons que le projet de loi S-19 devrait habiliter les sociétés canadiennes à l'échelle mondiale. Il est bon d'examiner les amendements à la British Corporations Act et les changements en cours aux États-Unis pour s'assurer que les pouvoirs corporatifs relevant de la mesure proposée s'harmonisent avec ces derniers et que les sociétés domiciliées au Canada ne sont pas désavantagées d'une manière ou d'une autre.

De façon générale, les sociétés devraient être plus sensibles aux droits des actionnaires, et nous saluons les changements prévus dans la LCSA au sujet de l'allocation des capitaux et de la capacité de réagir aux conditions économiques.

À notre avis, il y a lieu de mettre sur pied une commission nationale des valeurs mobilières. De plus, nous considérons certains des changements visant à simplifier la législation fédérale et provinciale comme un pas dans la bonne direction.

Nous souhaitons proposer une chose qui peut paraître évidente, soit que certains des changements à la LCSA soient intégrés au futur projet de loi sur les banques.

Un dernier point, sur lequel la Caisse insiste depuis un certain temps. Nous pensons qu'il serait utile de séparer les fonctions de président du conseil d'administration et de directeur général de société. C'est une tendance que nous observons dans d'autres pays et qui nous semble fondée du point de vue pratique. Cela ne figure pas dans la mesure, mais les dirigeants d'un certain nombre de sociétés nous ont dit qu'ils ne sont pas contre un tel changement en principe. Cependant, chacun attend que quelqu'un d'autre prenne l'initiative. Une telle distinction favoriserait une meilleure régie d'entreprise, mais rien ne se fera à moins d'une intervention législative.

Voilà qui résume notre position. Je suis maintenant prêt à répondre aux questions.

Le président suppléant: J'ai une question sur ce dernier point. Quel est le grand avantage lié à la séparation des fonctions de président du conseil et de directeur général?

M. Gunn: Les sociétés qui sont gouvernées selon ce régime de séparation offrent un meilleur rendement à leurs actionnaires. Cette façon de faire est pratiquée avec succès au Royaume-Uni, et c'est la pratique dans certains secteurs au Canada. Elle permet de dissocier la gestion du conseil, avec les diverses responsabilités que cela implique -- particulièrement dans le cas de grandes entreprises en pleine croissance qui oeuvrent dans divers pays -- de la gestion des activités quotidiennes.

Des conglomérats et des entreprises fusionnées ont à leur tête deux personnes. Il était peut-être raisonnable de croire il y a 20 ans qu'une seule personne pouvait cumuler ces deux fonctions, mais ce n'est pas nécessairement le cas aujourd'hui.

Le président suppléant: Est-ce davantage une question d'efficience que de conflits entre les deux postes?

M. Gunn: Il peut toujours y avoir des conflits mais nous préconisons d'adopter la meilleure pratique possible sans pour autant invoquer la possibilité d'inconduite ou d'inefficience.

Le sénateur Stratton: Pourquoi devrions-nous adopter des mesures législatives dans ce domaine? Pourquoi ne laisse-t-on pas aux sociétés elles-mêmes le soin d'y veiller au nom d'une régie d'entreprise optimale?

M. Gunn: Je conviens qu'il appartient aux sociétés de prendre cette initiative au nom d'une régie d'entreprise optimale. Lorsque nous avons rencontré les membres des comités de régie d'entreprise de grandes sociétés, nous leur avons posé directement la question en leur demandant d'énoncer leur position. Cette option recueille davantage de soutien qu'on ne le croit généralement parmi les compagnies canadiennes, mais parallèlement, on sent une certaine réticence à agir. On nous a laissé entendre que le moment opportun pour séparer les deux fonctions est celui de la succession. Cependant, pour être franc, je crois que dans bien des secteurs, personne ne veut être le premier à bouger. Aucune société ne veut être la première, particulièrement dans le secteur bancaire.

Le sénateur Kroft: Je suis d'accord avec ce que vous dites au sujet de la séparation des fonctions de président du conseil et de directeur général. Je suis convaincu du bien-fondé de cette solution. En fait, avant mon arrivée, notre comité a recommandé ce principe. Il n'est pas allé jusqu'à recommander qu'il soit intégré dans la mesure législative.

Comme c'est un sujet qui m'intéresse, j'ai étudié les arguments d'un côté comme de l'autre, cherchant toujours à voir la légitimité de ceux de l'autre côté, qui semblent s'inscrire dans deux catégories. Premièrement, il y a toute une gamme d'entreprises de tailles différentes pour qui cette solution n'est guère commode. Vous conviendrez avec moi que plus l'entreprise est imposante et ouverte, plus ses responsabilités sont grandes et plus nombreux ses actionnaires, plus les arguments en faveur de la séparation deviennent convaincants. Par conséquent, pensez-vous qu'on pourrait trouver un compromis selon lequel les exigences législatives à cet égard différeraient selon la catégorie de l'entreprise? Voilà pour le volet pratique.

D'autre part, il semble que cette idée ne plaise guère aux banques. Lorsqu'on examine les tenants et les aboutissants de cette question, c'est la réalité qui se dégage. De nombreuses sociétés importantes chez nous fonctionnent selon ce régime de séparation. Malheureusement, je n'ai pas de statistiques à cet égard. Savez-vous quels sont les chiffres?

Lorsque les fonctionnaires du gouvernement ont comparu, je leur ai demandé qui exerçait des pressions en ce sens. Ils ont abondé dans votre sens. Bien des gens se disent d'avis que c'est une excellente idée lorsqu'on leur parle en privé, mais on sent une certaine réticence et il n'y a guère eu de pressions en faveur d'un tel changement. Je ne veux pas rater cette occasion qu'a notre comité de mieux comprendre cette réalité.

M. Gunn: Je peux vous relater des anecdotes concernant différents secteurs. Nous savons qu'il existe une différence matérielle d'une industrie à l'autre. Par exemple, dans le secteur du pétrole, du gaz et des ressources naturelles, je dirais qu'au moins un tiers des entreprises ont déjà séparé ces fonctions. La séparation a aussi cours dans les sociétés immobilières gouvernementales. Le secteur des banques est très distinct en ce sens que les deux fonctions y sont combinées de façon pratiquement uniforme.

Dans une banque, le titulaire de ces fonctions combinées a expliqué aux représentants de la Caisse de retraite des employés municipaux de l'Ontario que cette distinction est considérée comme un avantage concurrentiel, que si une personne est clairement désignée comme la personne assumant à la fois les fonctions de président du conseil et de directeur général, les clients importants de la banque savent qu'ils ont affaire aux décideurs ultimes. Si les fonctions sont séparées, cela donne à entendre que cette personne n'est pas le décideur ultime. Aucun banquier ne veut être le premier à adopter cette position, car en théorie, cela reviendrait à habiliter quelqu'un d'autre.

Cet argument est parfaitement plausible, mais je ne suis pas sûr pour autant qu'il soit valable. Une banque au Canada fonctionne de cette façon. Chose certaine, un certain nombre de banques américaines appliquent ce régime sans difficulté. Dans ce dossier, je pense que nous sommes simplement en présence de la réticence typique des Canadiens à agir. Je peux certainement comprendre que l'on ne souhaite pas conférer un avantage apparent à un concurrent, et c'est sans doute la raison pour laquelle la voie législative semble la meilleure et la plus confortable.

Je ne pense pas qu'il se trouve quiconque pour affirmer que l'intérêt des actionnaires serait mal servi par la séparation de ces deux fonctions, particulièrement si elle était prévue dans la loi.

Quant à savoir si elles devraient être séparées dans des entreprises modestes, ou s'il devrait y avoir un seuil financier, cela implique-t-il que ces dernières devraient avoir des conseils d'administration plus restreints dont les membres n'ont pas nécessairement besoin d'être aussi avisés ou de calibre supérieur? Étant donné qu'un grand nombre de petites entreprises au Canada obtiennent leurs capitaux auprès de caisses de retraite, je serais plutôt d'avis contraire. J'estime que nous devrions encourager toute compagnie qui souhaite prospérer à se doter d'une régie d'entreprise optimale dès le début et à aspirer à devenir une grande entité plutôt qu'une entité de taille intermédiaire.

Lorsqu'une entreprise se dote d'une bonne régie, son propriétaire peut compter sur un deuxième avis valable, celui du président du conseil d'administration, pour évaluer son plan d'entreprise et s'assurer que personne ne lui coupe l'herbe sous le pied. Cela renforce à la fois l'organisation et la régie d'entreprise.

Dans les organisations privées où notre financement est substantiel, nous demandons habituellement que les deux fonctions soient séparées. C'est uniquement dans des circonstances particulières que nous consentons à ce qu'elles soient réunies. Nous ne sommes pas inflexibles à cet égard, mais nous considérons que c'est un gage de pratiques saines. Toutes choses étant égales, nous estimons qu'une bonne régie d'entreprise favorise l'accroissement de la valeur des actions, ce qui est dans l'intérêt de tout le monde.

Le sénateur Poulin: Ma question fait suite à celles de mes collègues et porte sur la régie d'entreprise et la séparation des fonctions de président du conseil d'administration et de directeur général de la société.

Il y a une douzaine d'années, alors que j'occupais un poste de direction à la Société Radio-Canada, cet organisme gouvernemental était doté d'un directeur général qui assumait aussi la présidence du conseil d'administration. À la fin des années 80, dans la foulée des changements apportés à la Loi sur la radiodiffusion, nous avons hérité d'un président du conseil et d'un directeur général.

Ce changement a eu une incidence certaine sur le conseil, conférant davantage de pouvoirs à ses membres et créant du même coup au sein de l'organisation une «chambre de mure réflexion». En outre, nous avons noté un changement dans les rapports entre la haute direction et le conseil d'administration.

Pensez-vous que le directeur général devrait être un membre votant du conseil d'administration si les deux postes sont distincts?

M. Gunn: Oui je le crois, car le directeur général représente en fait une entité légitime et dans la mesure où, dans le monde corporatif, un vote officiel est exigé, il importe qu'il puisse faire entendre sa voix.

Cependant, je signale que dans le monde corporatif au Canada, rares sont les dossiers qui font l'objet d'un vote officiel. Dans les bons conseils, on fonctionne davantage par consensus.

Le sénateur Poulin: Comme dans les comités sénatoriaux?

M. Gunn: Sans doute. Cependant, il est préférable qu'une société dégage un consensus parmi les divers points de vue pour décider de son orientation. C'est plutôt l'exception qu'un vote officiel doive être consigné.

En cas de conflit, les participants sont prêts à l'identifier et un vote tend à ressortir à cet égard. Il est plus important qu'un conseil atteigne un consensus et que se rallient des éléments de réflexion pour dégager une solution plus vigoureuse.

Le sénateur Poulin: Étant donné que vous recommandez une approche législative, croyez-vous que le législateur devrait avoir la responsabilité supplémentaire de faciliter une telle transition dans le monde des affaires au Canada?

M. Gunn: Sénateur, le comité l'a peut-être déjà fait en suggérant d'assouplir les exigences concernant la résidence des administrateurs. Chose certaine, nous sommes favorables à l'idée d'élargir le champ des administrateurs au Canada. Cela contribue à faire comprendre à tous les Canadiens que le modèle d'une société gagnante au XXIe siècle sera sans doute une multinationale implantée au Canada. Être le principal fournisseur de services sur le marché intérieur, c'est très bien, mais le Canada n'est pas le monde.

Radio-Canada serait une entité plus imposante si elle diffusait partout dans le monde et sa régie d'entreprise serait enrichie par la présence à son conseil d'administration de représentants ayant l'expérience de la radiodiffusion en Grande-Bretagne, au Canada et aux États-Unis. Forte des enseignements tirés du succès d'autres entités, la Société Radio-Canada aurait sans doute pu promouvoir plus vigoureusement la culture canadienne.

L'assouplissement des exigences liées à la résidence devrait attirer un plus vaste bassin d'administrateurs et permettre une meilleure sélection de présidents et de membres de conseils d'administration.

Le sénateur Kroft: Faire du Canada un lieu attrayant et accueillant pour une société multinationale est un défi de taille tant pour le secteur privé que pour le secteur public chargé de l'élaboration des politiques.

Avez-vous des suggestions à faire au comité, sans nécessairement faire référence à un élément particulier du projet de loi? Quelles mesures législatives seraient susceptibles de rehausser l'attrait du Canada aux yeux des sociétés multinationales?

M. Gunn: De façon générale, nous devons reconnaître qu'en tant que nation, il nous arrive parfois d'être plutôt insulaires, sans nous en rendre compte.

La mondialisation, le commerce électronique, l'ALENA et le marché commun européen sont toutes des tendances qui touchent de nombreux autres pays au même titre que le Canada.

Nous serions bien avisés de nous intéresser davantage à ce qui passe dans les autres pays qui essaient de trouver une solution aux mêmes problèmes. Le gouvernement britannique a révisé sa réglementation des sociétés pour essayer de faire de la Grande-Bretagne un lieu d'investissement plus attrayant, particulièrement dans le domaine des nouvelles technologies et de la recherche médicale.

J'ai entendu le premier ministre de la Grande-Bretagne annoncer publiquement qu'il ne faut pas hésiter à fermer une entreprise et à reconnaître une perte, mais que cela ne devrait pas empêcher la création de nouvelles compagnies. Je ne suis pas sûr que nous en soyons là sur le plan législatif ou commercial.

À l'heure actuelle, un entrepreneur canadien peut fort bien avoir accès à des capitaux, soit au Canada ou aux États-Unis, sans nécessairement juger que le Canada est pour autant le meilleur endroit pour son entreprise.

Les restrictions relatives aux investissements des caisses de retraite ont un effet néfaste. D'ailleurs, j'ai fait valoir devant le comité des finances de la Chambre des communes qu'au bout du compte, dans le contexte de l'ALENA, les limites imposées aux investissements des caisses de retraite peuvent avoir un effet très négatif.

Aujourd'hui, au lieu de favoriser une capacité d'autofinancement canadienne, en bout de ligne, les sociétés et les actions canadiennes deviennent des proies faciles pour des compagnies américaines, mais non le contraire. La prochaine usine construite par une entreprise canadienne acquise par une société américaine et désormais inaccessible à nos investissements, sera probablement en Ohio, plutôt en Ontario ou au Québec.

Si une entreprise canadienne fait l'acquisition d'une entreprise américaine, il y a fort à parier que la prochaine usine et les emplois qui s'ensuivront s'implanteront ici. Les restrictions à l'investissement étranger peuvent au bout du compte se traduire par la perte d'emplois en faveur de l'étranger. Limiter les investissements à l'étranger peut en fait diminuer le nombre d'emplois au Canada.

Dans le contexte de l'ALENA, en vue de générer des emplois et la croissance économique au Canada, le cadre législatif canadien devrait être plus positif, dans l'optique de la concurrence, et chose certaine, plus ouvert aux autres endroits où les chefs d'entreprise peuvent vouloir s'installer, tel que les États-Unis.

Le président suppléant: Monsieur Gunn, je vous remercie d'avoir pris le temps de venir nous présenter votre exposé ce matin.

Notre prochain témoin est Mme Jane Beatty.

Mme Jane Beatty, conseillère juridique, Placements, Conseil du Régime de retraite des enseignantes et des enseignants de l'Ontario: Honorables sénateurs, je comparais devant vous à la demande de notre président et directeur général, qui ne pouvait être ici ce matin.

Je suis heureuse de vous faire part de la réaction généralement favorable de notre organisation au projet de loi S-19 modifiant la Loi canadienne sur les sociétés par actions et le projet de révision de la réglementation connexe.

Je travaille pour le Régime de retraite des enseignantes et des enseignants de l'Ontario depuis environ huit ans et je suis chargée de prodiguer à son conseil d'administration des avis juridiques sur toutes les questions d'investissement. À ce titre, je travaille en étroite collaboration avec des professionnels du monde des finances et des investissements pour assurer la gestion quotidienne d'une caisse de retraite comptant des éléments d'actifs nets d'environ 70 milliards de dollars.

Après dix ans d'existence, cet organisme indépendant chargé de s'assurer que la caisse de retraite des enseignants et enseignantes est suffisamment garnie pour verser à ses membres actifs et retraités pour le reste de leurs jours des prestations de revenu de retraite déterminées et indexées se passe de présentation.

Il y a dix ans, la Caisse comptait 520 millions de dollars en capital-actions canadien. Aujourd'hui, nous en détenons près de 20 milliards. La capitalisation du TSE 300 s'élevait à près de 743 milliards de dollars à la fin de 1999. Par conséquent, notre portefeuille d'actions canadiennes à la fin de l'année représentait près de 2,5 p. 100 du TSE 300, indice qui rassemble les 300 plus grandes entreprises cotées en bourse au Canada.

Au début des années 90, nous avons rapidement pris conscience des contraintes que la législation canadienne applicable aux sociétés et aux valeurs mobilières impose aux investisseurs au Canada et ressenti l'urgence de moderniser la Loi canadienne sur les sociétés par actions, vieille de 25 ans.

Nous félicitons Industrie Canada et votre comité des efforts qu'ils ont déployés jusqu'à maintenant. Ce fut un dur travail que d'essayer de moderniser la LCSA et sa réglementation pour l'adapter aux temps modernes. C'est une mesure importante qui s'adresse à une clientèle vaste et diversifiée. Il doit être gratifiant de voir cette démarche couronnée de succès.

En tant que partie intéressée, le Conseil du Régime de retraite des enseignantes et des enseignants de l'Ontario a tenté de jouer un rôle valable dans le processus de réforme de la LCSA au cours des cinq dernières années. Nous avons répondu à huit demandes de commentaires que nous a présentées Industrie Canada en 1995 et en 1996. M. Lamoureux a témoigné devant votre comité en 1996. Nous avons participé à la table ronde organisée par Industrie Canada sur la réforme de la LCSA en janvier 1999 et nous avons soutenu les positions de divers groupes d'intérêt relativement aux changements proposés. Nous saluons l'engagement du gouvernement du Canada à l'égard de ce processus et nous attendons impatiemment la date d'entrée en vigueur des réformes apportées à la LCSA et à la réglementation.

Pourquoi notre organisation s'intéresse-t-elle autant au droit des sociétés au Canada? En tant qu'investisseur important du secteur public ayant une obligation fiduciaire à l'égard de ses bénéficiaires captifs, et en tant que propriétaire d'un pourcentage substantiel de sociétés canadiennes ouvertes, force nous est de nous intéresser de près aux lois applicables aux sociétés et aux valeurs mobilières qui encouragent les gestionnaires d'entreprise à augmenter la valeur pour l'actionnaire. Notre régime, de concert avec l'OMERS et la Caisse, sont les trois grands fonds de pension du secteur public qui se sont imposés dans ce bassin relativement modeste au Canada depuis dix ans, mais l'environnement change rapidement avec l'apparition au niveau fédéral de l'Office d'investissement du Régime de pensions du Canada et le Conseil d'investissement du secteur public. Cela se traduira par une concurrence accrue sur les marchés financiers canadiens et d'intenses pressions s'exerceront sur le gouvernement du Canada pour qu'il adopte et applique une législation moderne relativement aux sociétés et aux valeurs mobilières.

Cela dit, le régime s'intéresse vivement à l'élaboration d'une législation sur les sociétés et les valeurs mobilières, et notre position sur la réglementation dans ce domaine au XXIe siècle est conforme à la position exprimée par M. Lamoureux devant le comité en 1996.

Nous sommes d'avis qu'à mesure que des institutions comme le Régime de retraite des enseignantes et des enseignants continuent d'assumer un rôle de plus en plus important à titre de superviseurs du processus de régie d'entreprise, en obligeant gestionnaires, administrateurs et grands actionnaires à rendre des comptes, le besoin d'une réglementation directe et dérangeante diminue. Un certain nombre de règles juridiques ont vu le jour au XXe siècle afin de combler le manque de responsabilités créé par l'absence de grands actionnaires désintéressés.

Les actionnaires institutionnels et même individuels jouent un rôle dans la régie d'entreprise, au même titre que la direction et les conseils d'administration, et ils devraient contribuer à l'atteinte des résultats souhaitables sur le plan de la performance globale des sociétés et aider ainsi l'économie canadienne à mieux performer. Plus les grands actionnaires institutionnels sont nombreux et actifs, plus il convient d'infléchir le cadre réglementaire de manière à laisser le marché imposer ses propres solutions aux problèmes de régie. Cela, au lieu d'imposer des solutions spécifiques sous forme de procédures obligatoires ou d'interdictions frappant les transactions ou les comportements. Les ingérences directes dans le marché peuvent prendre du temps à mettre en place et peuvent devenir non pertinentes, ayant pris du retard sur les problèmes qu'elles étaient censées régler au départ.

Nous reconnaissons le besoin de règles qui jouent un rôle critique pour garantir la mise en place de bonnes solutions dans un marché libre peuplé en partie par de grands actionnaires institutionnels comme le régime -- des investisseurs patients, axés sur le long terme. Dans un tel marché, les règles doivent garantir que personne n'est lésé, c'est-à-dire que les détenteurs d'actions doivent avoir des droits et des garanties de base suffisamment solides. Bon nombre des modifications à la LCSA proposées par le projet de loi S-19 et le règlement atteindront ce but.

Dans ses travaux qui ont débouché sur le projet de loi S-19, Industrie Canada a déclaré dans l'exposé présenté en janvier 1999 dans le cadre de la table ronde que la réforme de la LCSA vise à «renforcer la compétitivité canadienne dans une économie mondiale axée sur le savoir». Industrie Canada a reconnu en outre que la mondialisation de l'économie fondée sur le savoir place le Canada dans une compétition mondiale et que dans ce contexte, premièrement, les partenariats sont la clé; deuxièmement, la vision est essentielle; et troisièmement, le plus rapide gagne.

Je m'interroge sur la perception d'Industrie Canada voulant que le plus rapide gagne. Nous travaillons à cette réforme depuis plus de cinq ans et l'adoption et l'application du projet de loi S-19 et du règlement connexe doivent être prioritaires si le Canada veut avoir la moindre chance de gagner la course.

Je vais maintenant faire des observations sur des propositions précises. Comme je l'ai dit, notre réaction au projet de loi S-19 et au règlement proposé est généralement favorable. Je me propose de traiter brièvement de quatre points précis qui ont tous, de temps à autre, une incidence sur nous à titre d'actionnaires institutionnels. Ces points sont les suivants: les communications aux actionnaires et les règles relatives aux procurations; les offres d'achat visant à la mainmise; les transactions d'initiés et les rapports à ce sujet; et les exigences relatives à la résidence des administrateurs et à leurs responsabilités.

Les communications entre actionnaires de compagnies constituées sous le régime fédéral sont une source de préoccupations pour le régime depuis le début des années 90. Nos préoccupations relativement à la définition très large du terme «sollicitation» dans la loi, qui comprend notamment «l'envoi d'un formulaire de procuration ou de toute autre communication à un actionnaire dans des circonstances telles que l'on peut raisonnablement s'attendre à ce qu'il en résulte l'obtention, le refus ou la révocation d'une procuration», a incité le régime à faire des démarches auprès d'Industrie Canada à plusieurs reprises, tout récemment encore le mois dernier, en vue de chercher à obtenir une exemption de l'exigence de publier une circulaire dissidente sollicitant des procurations pour pouvoir communiquer avec 15 actionnaires ou moins.

Depuis la première fois que nous avons demandé une telle ordonnance d'exemption, le directeur de la direction des sociétés d'Industrie Canada, peut-être aiguillonné par les demandes présentées par le régime et par d'autres intervenants, a publié une déclaration dans laquelle il déclare expressément que de telles ordonnances d'exemption visant à permettre de communiquer avec au plus 15 autres actionnaires seront accordées automatiquement.

Le projet de loi S-19, ou tout au moins l'article 62 du règlement proposé, nous accordera maintenant la latitude de pouvoir communiquer avec des actionnaires sans avoir besoin de demander une ordonnance d'exemption. C'est un exemple manifeste d'une réforme axée sur l'efficacité et ce sera très utile pour les actionnaires à qui on posera la question: «Où étaient donc les actionnaires?»

Si l'annonce publique de l'intention du régime de se prononcer dans un sens ou dans un autre sur une question n'a jamais fait problème, nous sommes heureux que l'on propose un amendement permettant aux actionnaires de faire de telles annonces publiques sans déclencher les règles relativement aux procurations dissidentes. Les intérêts des actionnaires sont mieux servis par l'absence d'ingérence inutile de la réglementation dans le processus de discussion, et plus les obstacles à la communication seront levés, mieux ce sera.

Nous sommes convaincus que le projet de loi S-19 reflète le bon choix en abrogeant complètement les dispositions de la LCSA relativement aux offres publiques d'achat. Les lois provinciales sur les valeurs mobilières établissent un code détaillé, complet, élaboré avec soin pour la réglementation des offres publiques d'achat de sociétés ouvertes au Canada. Les responsables de la réglementation des valeurs mobilières sont des experts dans l'administration et la mise en application de ces codes relatifs aux offres de rachat, et les dispositions de la LCSA sur les OPA constituent une forme d'inefficacité réglementaire et donc un coût financier pour les participants au marché des capitaux.

La stratégie d'investissement du Régime de retraite des enseignantes et des enseignants a clairement subi l'incidence négative du régime de la LCSA en matière d'offres publiques d'achat, qui constitue un dédoublement par rapport aux lois et aux codes des provinces. Le seuil est différent -- 10 p. 100 au niveau fédéral, au lieu de 20 p. 100 au niveau provincial -- et il y a un lourd fardeau associé à différentes exigences en matière de calcul et de rapport. L'élimination des dispositions relatives aux offres d'achat dans la LCSA représente un retrait, de la part des autorités fédérales, d'un dossier qui est géré avec compétence par les autorités provinciales des valeurs mobilières, et ce retrait est bien accueilli.

La LCSA impose actuellement des disposions en matière de rapport à certaines personnes et sociétés -- celles qui correspondent à la définition d'«initié». Les lois provinciales en matière de valeurs mobilières imposent aussi des exigences quant à la divulgation des transactions d'initiés. Par conséquent, le marché reçoit relativement rapidement des renseignements pertinents sur les transactions d'initiés, en application des lois provinciales sur les valeurs mobilières. À certains égards, l'identité des initiés aux fins de la divulgation est calculée différemment dans la LCSA par rapport aux lois provinciales, ce qui entraîne des dédoublements coûteux et lourds en matière d'exigences et de rapports. Le projet de loi S-19 abroge les dispositions pertinentes de la LCSA et nous appuyons cet amendement.

Par contre, si le projet de loi S-19 élimine la réglementation des transactions d'initiés dans la LCSA, il maintient le droit d'intenter des actions au civil pour obtenir un dédommagement à la suite de transactions d'initiés. En même temps, il rapproche la LCSA des lois provinciales en la matière. Aux termes des dispositions proposées, il ne sera plus nécessaire d'établir que l'initié a utilisé des renseignements confidentiels pertinents pour pouvoir intenter une action relativement à une transaction d'initié. C'est également le cas sous le régime provincial, aux termes duquel il suffit de prouver que l'initié a opéré une transaction en étant au courant de certains renseignements confidentiels pertinents. Il y a toutefois lieu d'être prudent pour ce qui est d'adopter le modèle provincial.

Si, de façon générale, les lois provinciales sur les valeurs mobilières accordent le droit d'intenter des poursuites en cas de transactions d'initiés, comme c'est le cas par exemple en Ontario, il faut préciser que le règlement pris aux termes de la Loi sur les valeurs mobilières de l'Ontario permet à l'initié de se défendre en prouvant que l'achat a été fait aux termes d'un réinvestissement automatique de dividendes ou d'un régime d'achat d'actions auquel l'intéressé a adhéré avant d'être mis au fait de l'information confidentielle importante.

On peut également invoquer cette défense lorsque l'achat est réalisé aux termes d'une obligation légale qui a été imposée à l'intéressé avant que celui-ci ne prenne connaissance du renseignement confidentiel pertinent. Le droit de poursuite proposé dans le projet de loi S-19 ne s'accompagne d'aucune défense semblable et il est important que l'on réfléchisse à la question en vue de prévoir une telle défense dans les dispositions proposées de la LCSA.

Nous sommes d'accord avec l'assouplissement des exigences relatives à la résidence des administrateurs que l'on propose dans le projet de loi S-19. Nous vivons dans un marché mondial et pour être compétitif sur la scène mondiale, le Canada doit se doter des meilleurs talents disponibles au sein des conseils d'administration, en insistant moins sur les considérations nationales. Dans ce but, les modifications aux dispositions relatives aux responsabilités des administrateurs représentent aussi une amélioration.

En terminant, le projet de loi S-19 et le règlement connexe, de même que les amendements que ces textes proposent d'apporter à la loi et ce que ces amendements représentent en fait d'engagement de la part du Canada d'opérer une réforme de la Loi sur les sociétés devraient aider à faciliter la transition vers l'établissement au Canada d'un environnement dans lequel les investisseurs actifs, responsables et institutionnels pourront participer pleinement au processus de régie des sociétés, ce qui permettra d'en améliorer le rendement.

Le régime aimerait que les efforts déployés à ce jour par Industrie Canada et par le comité débouchent très bientôt sur la mise en vigueur du projet de loi S-19 et du règlement connexe.

Enfin, nous vivons actuellement des changements rapides dans le marché mondial et nous assistons à une évolution graduelle de la régie des sociétés. Nous aimerions que le gouvernement fédéral prenne continuellement acte de ces changements dans la réglementation des sociétés et des valeurs mobilières.

Le projet de loi S-19 montre un engagement clair envers une réforme fondée sur l'élimination des dédoublements, l'allégement de la réglementation et une plus grande efficacité. Nous encourageons le comité, dans cet esprit, à prendre en considération des propositions visant l'introduction au Canada d'un régime national de réglementation des valeurs mobilières.

Le sénateur Kroft: J'ai une question qui découle du paragraphe qui se trouve au milieu de la page 2. Vous semblez dire qu'il faut laisser le marché jouer un plus grand rôle pour ce qui est de déterminer le caractère approprié de la loi et des règlements, et que le gouvernement, compte tenu des réalités du marché moderne, devrait prendre du recul et s'y intéresser moins qu'il ne le fait actuellement.

Comme il y a aujourd'hui des investisseurs institutionnels plus nombreux et plus importants par rapport à ce qui existait auparavant, le gouvernement devrait reconsidérer la pertinence d'intervenir dans ce domaine. Est-ce bien ce que vous dites?

Vous dites que plus il y a de grands investisseurs institutionnels et plus ils sont actifs, plus il faut infléchir le cadre réglementaire de manière à laisser le marché trouver lui-même des solutions aux problèmes de régie.

Quel est votre message général quant au rôle du gouvernement et, par conséquent, quant à notre rôle, en tant que législateurs, dans ce domaine?

Mme Beatty: Notre position est la suivante: les sociétés et les marchés financiers peuvent fonctionner sans trop d'intervention et les institutions qui représentent des particuliers, les caisses de retraite du secteur public, qui représentent un nombre considérable de personnes, peuvent promouvoir une saine régie d'entreprise, ainsi qu'un bon rendement. Une réglementation trop serrée n'est sans doute pas nécessaire.

Le sénateur Kroft: D'autres disent que le gouvernement doit se protéger d'une poignée de grandes institutions qui développent une influence indue sur les marchés financiers. D'après moi, il y a un revers à la médaille.

Mme Beatty: Certains craignent que les investisseurs institutionnels comme le régime et la Caisse de retraite des employés municipaux de l'Ontario deviennent trop puissants. Chose certaine, le pouvoir est une chose relative. Il y a aux États-Unis des caisses de retraite dont la taille est le triple ou le quadruple de n'importe quelle autre au Canada.

Le sénateur Kroft: Tour comme leur économie.

Mme Beatty: C'est exact. Cependant, il importe de reconnaître que même si un petit nombre d'institutions ont un pouvoir considérable, elles ont aussi des obligations juridiques et fiduciaires envers leurs membres. Notre régime compte 220 000 membres et nous prenons très au sérieux nos responsabilités fiduciaires.

Le sénateur Kroft: Franchement, je trouve que vous allez un peu loin lorsque vous affirmez qu'il existe sans doute sur le marché une forme de gouvernement de rechange qui serait meilleure que la nôtre. Peut-être trouverez-vous que j'exagère.

Mme Beatty: Effectivement.

Le sénateur Fitzpatrick: J'ai écouté vos commentaires avec intérêt et j'en conclus que vous appuyez le projet de loi S-19 dans son ensemble?

Mme Beatty: C'est exact, sénateur.

Le sénateur Fitzpatrick: Vous semblez aussi l'appuyer dans ses détails. C'est peut-être votre dernière chance de vous plaindre de quoi que ce soit dans le projet de loi. Je veux vous en donner encore une fois l'occasion.

Mme Beatty: Ce projet de loi nous satisfait.

Le président suppléant: J'aimerais intervenir sur le même sujet avant de donner la parole au sénateur Poulin. Vous avez dit plus tôt que votre régime finance un certain nombre d'entreprises canadiennes. Je suppose que cela fait partie du financement par actions consenti par un grand nombre de caisses de retraite. Êtes-vous satisfaite de la position qui est la vôtre, c'est-à-dire celle d'actionnaires minoritaires, en ce qui a trait à certains des changements proposés à cet égard?

Mme Beatty: Pourriez-vous préciser, je vous prie?

Le président suppléant: À l'heure actuelle -- et je reviens à ce que vous disiez au sujet des communications avec les actionnaires -- vous vous retrouvez la plupart du temps actionnaires minoritaires lorsque vous investissez des capitaux propres?

Mme Beatty: Oui.

Le président suppléant: Certains des changements portent là-dessus. Voici la question qui fait suite à celle du sénateur Fitzpatrick: pensez-vous que cela répond aux souhait d'un fonds comme le vôtre d'avoir davantage son mot à dire dans les sociétés où il se trouve en position minoritaire?

Mme Beatty: En tant que régime de retraite, nous sommes pratiquement sans exception en position minoritaire. Faites-vous référence aux dispositions relatives à l'unanimité des actionnaires?

Le président suppléant: Oui.

Mme Beatty: En toute franchise, nous ne nous y sommes pas particulièrement attachés. Depuis cinq ans, nous nous sommes surtout intéressés au volet de la LCSA concernant les communications avec les actionnaires et la loi n'a guère eu d'incidence sur notre statut d'actionnaire minoritaire.

Le sénateur Stratton: Je m'interroge au sujet de l'influence que le Régime de pensions du Canada peut avoir sur le marché financier, étant donné sa taille. Pensez-vous que nous réussissons à nous adapter à cette incidence? Avez-vous examiné cet aspect?

Mme Beatty: Je n'ai pas examiné l'incidence du Régime de pensions du Canada à titre de conseillère juridique du Régime de retraite des enseignantes et des enseignants de l'Ontario. D'autres que moi ont participé à l'émergence de ce fonds.

Il y aura une concurrence beaucoup plus vive pour un éventail réduit de produits au Canada avec l'arrivée sur les marchés financiers du RPC. Notre action s'inscrit dans un marché mondial et il faut en tenir compte. Il y aura davantage de concurrence pour moins de produits ou pour le même produit.

Le sénateur Stratton: À votre avis, quelles seront les conséquences d'une telle situation? Je suppose que vous avez une idée à ce sujet. Cette concurrence va-t-elle gonfler artificiellement les valeurs boursières ou convient-il de prendre des mesures qui nous permettront d'investir davantage sur la scène internationale?

Mme Beatty: Récemment, nous avons pris connaissance d'amendements qui nous permettent d'investir davantage à l'étranger. C'est une bonne chose. Il nous faudra travailler d'arrache-pied pour faire en sorte que le Canada soit un lieu d'investissement et d'affaires plus attrayant, pour qu'il y ait davantage de produits ici. Je m'en tiendrai là.

Le sénateur Poulin: J'ai trouvé votre exposé très intéressant. Je pense que nous aurions tous souhaité que nos portefeuilles de titres canadiens grossissent au même rythme que le vôtre en moins de dix ans, puisqu'il est passé de 520 millions à 20 milliards de dollars. Votre conseil d'administration et les membres de la haute direction méritent des félicitations. Je suis sûr que vous les transmettrez à M. Lamoureux.

Aux fins du compte rendu, pourriez-vous nous dresser le profil de votre conseil d'administration, nous dire combien de personnes en sont membres et comment elles sont nommées? J'aimerais aussi que vous commentiez le sujet que nous avons abordé avec le témoin précédent, la séparation entre les fonctions de président du conseil d'administration et de directeur général d'une organisation.

Mme Beatty: J'aimerais tout d'abord apporter une précision au sujet de ce gain de 520 millions à 20 milliards de dollars. En 1990, le Régime de retraite des enseignantes et des enseignants de l'Ontario était entièrement investi à revenu fixe, de sorte que si les résultats semblent spectaculaires -- et c'est une entrée spectaculaire sur les marchés financiers -- ils reflètent la transition d'un revenu entièrement fixe à un portefeuille plus diversifié, outre le fait que les marchés se sont bien comportés.

Le régime compte neuf membres. Quatre sont nommés par la Fédération des enseignantes et des enseignants de l'Ontario et quatre par le gouvernement de l'Ontario. Ensemble, ils nomment un président, ce qui porte leur nombre à neuf.

En ce qui a trait à la séparation entre les fonctions de président du conseil d'administration et de directeur général, le régime estime que nous avons besoin de freins et contrepoids pour assurer le bon fonctionnement du système.

Le conseil d'administration du régime recommanderait sans doute de ne pas préciser dans la loi qu'une régie saine exige la séparation du pouvoir et encourage une moindre intervention réglementaire. De l'avis des membres du conseil, une saine régie sera un facteur et dans la plupart des cas, une société bien gérée qui peut se le permettre fera la distinction entre les deux fonctions. Nos directives sur le vote par procuration suggèrent que nous votions pour la séparation des fonctions, tout en reconnaissant qu'une solution unique ne convient pas à toutes les entreprises. Nous préférons que la loi reste muette à ce sujet.

Je viens d'énoncer mon opinion personnelle sur ce que serait la position du régime, et je peux en donner confirmation au comité s'il désire une réponse plus officielle.

Le sénateur Poulin: Pourrions-nous recevoir de la part du régime une opinion plus officielle sur cette question de la séparation des deux fonctions?

Mme Beatty: Je vous en ferai parvenir une.

Le président suppléant: Notre prochain témoin représente la Coalition pour la réforme de la LCSA.

M. John Kazanjian, associé, Osler Hoskin & Harcourt et avocat-conseil de la Coalition pour la réforme de la LCSA: Comme vous le savez, notre coalition se compose de dix grandes sociétés publiques canadiennes. La liste en figure à la fin du mémoire que nous avons présenté.

M. Purdy Crawford, président de la coalition, m'a demandé de vous transmettre ses excuses car il n'a pu venir aujourd'hui. M. McAusland et moi-même sommes ici à sa place.

La coalition a été formée en 1994 ou 1995 et a participé très activement à l'initiative d'Industrie Canada relative à la réforme de la LCSA, ainsi qu'à l'étude des questions pertinentes menées par le comité. Nous avons déposé des mémoires fouillés portant, si je ne m'abuse, sur plus de 200 questions. Ces documents faisaient suite aux requêtes que nous a présentées Industrie Canada ainsi qu'aux problèmes évoqués par nos membres ayant une expérience quotidienne de l'application de la LCSA.

Nous avons regroupé nos points de vue autour de quatre grands principes: souplesse, efficience, certitude et équilibre des intérêts. Nous avons également fondé notre opinion sur une observation fondamentale, soit que le droit des affaires doit donner lieu à une législation habilitante et non réglementaire. Le droit des affaires doit fournir aux entreprises canadiennes les assises dont elles ont besoin pour fonctionner efficacement dans un environnement futur caractérisé par le changement rapide. Cela ne signifie pas que les groupes d'intérêt spéciaux qui ont comparu, des firmes comptables aux actionnaires militants, n'offrent pas une perspective valable sur de multiples questions. Cependant, au bout du compte, il s'agit d'une mesure législative concernant les sociétés, c'est-à-dire une mesure habilitante destinée à la coalition et aux grandes sociétés publiques. Par ailleurs, 95 p. 100 des compagnies visées par la LCSA ne sont pas de grandes sociétés publiques.

Dans l'ensemble, nous pensons qu'Industrie Canada a fait de l'excellent travail avec le projet de loi S-19. Nous regrettons le temps qu'il a fallu pour passer du stade du débat public, qui a pris fin il y a plus de trois ans, à l'étape d'aujourd'hui. Il ne fait qu'amplifier l'urgence d'aller de l'avant et d'adopter le projet de loi aussi rapidement que possible.

Des sociétés canadiennes de haute technologie, des sociétés de pointe comme Nortel et BCE ne devraient pas avoir à aller devant les tribunaux pour se soustraire aux restrictions archaïques de la LCSA concernant les communications électroniques. Comme vous pourrez le lire dans notre mémoire, la société Newbridge a dû avoir recours aux tribunaux le mois dernier pour obtenir de pouvoir communiquer efficacement avec ses employés actionnaires par voie électronique.

M. David McAusland, vice-président, directeur général des Services juridiques et secrétaire, Alcan Aluminium Limitée; membre de la Coalition pour la réforme de la LCSA: Je voudrais aborder la question particulière de la résidence des administrateurs principalement en tant que membre de la coalition mais aussi en tant que membre de la haute direction d'Alcan. Je voudrais revenir sur les observations de M. Kazanjian, qui a dit que nous sommes ici pour discuter de la LCSA en tant que mesure efficace pour nous aider à créer un environnement concurrentiel au Canada.

Ce que l'on oublie souvent de dire, mais qui est très important, c'est que le droit des affaires doit être vu comme un outil de développement économique même si, malheureusement, on n'a pas tendance à le percevoir de cette façon. Pourtant, c'est effectivement un outil de développement économique car un cadre juridique efficace et équilibré attirera des entreprises que d'autres pays ne pourront attirer du fait que leur législation n'est pas à la hauteur. Franchement, il y a de plus en plus de concurrence dans le monde pour ce qui est de la législation des sociétés et il est difficile de demeurer à l'avant-scène. De plus en plus de pays nous rattrapent. Le projet de loi nous donne l'occasion de rester en tête du peloton, et il ne faudrait pas la rater.

La question de la résidence des administrateurs est cruciale pour toutes les entreprises qui souhaitent prendre de l'expansion. Encore une fois, j'aborde cette question dans l'optique de sociétés canadiennes ouvertes sur le monde contrairement à d'autres qui veulent ériger des barricades et se protéger contre la venue de sociétés hostiles. Nous devons faire en sorte de créer des avantages pour nos entreprises qui souhaitent prendre de l'expansion à l'étranger.

J'ai le privilège de travailler chez Alcan, l'un des fleurons de l'industrie canadienne et l'une de ses plus grandes sociétés, sinon la première à l'échelle mondiale. Par conséquent, nous savons de quoi nous parlons. Pour s'implanter dans le monde, il faut créer un réseau de contacts dans tous les coins de la planète. Le réseau d'une société commence avec son conseil d'administration. Le conseil a pour rôle essentiel d'aider la société à prospérer en mettant en place le réseau qui lui permettra d'atteindre ses objectifs et de faire la preuve qu'elle a avec les communautés et les marchés qu'elle dessert les liens qui s'imposent.

Si nous ne prenons pas au Canada les mesures nécessaires pour assouplir les restrictions actuelles, nous ne serons tout simplement pas compétitifs. Je pense que des arguments convaincants militent en faveur de l'élimination complète des restrictions en matière de résidence. Nous estimons que ces restrictions sont superflues, mais la coalition est disposée à souscrire au principe des 25 p. 100.

Aux yeux des avocats et d'autres professionnels concernés, les restrictions actuelles vont à l'encontre du but visé. Non seulement elles découragent les sociétés de rechercher les administrateurs de qualité supérieure, elles les forcent également à avoir recours à des «bizarreries» en ce sens qu'elles nomment des administrateurs qui sont en fait des porte-parole fantoches d'actionnaires étrangers qui doivent être représentés au conseil. Ils choisissent un professionnel local qui n'est qu'un porte-parole. Il n'y a rien d'illégal à cela, mais ce n'est pas crédible. Je ne comprends pas pourquoi nous aurions une loi qui encourage cette façon de faire.

Ceux qui pensent que c'est une question de contrôle canadien doivent comprendre qu'il existe une myriade de solutions artificielles pour contourner la loi actuelle sans pour autant permettre à la société de recruter les personnes appropriées. Le meilleur moyen de remédier au problème du contrôle canadien dans les situations où cela est jugé nécessaire pour des raisons de politique consiste à adopter des mesures législatives portant précisément sur le seuil de propriété. À ce moment-là, ce sont les actionnaires qui décident, en temps opportun, qui devrait faire partie de leur conseil d'administration, en se fondant sur le fait qu'il devrait y avoir un certain pourcentage de propriété canadienne.

Je terminerai par une observation au sujet des marchés de capitaux. Le facteur de la valeur pour l'actionnaire intervient. Que cela nous plaise ou non, un escompte canadien s'applique toujours sur de nombreuses entreprises, à l'exception des plus grandes. En règle générale, nous n'obtenons pas les mêmes multiples commerciaux. J'ignore si quelqu'un a témoigné précisément à ce sujet, mais c'est le cas. Nous devons être en mesure de montrer que nos entreprises sont vraiment capables d'être des citoyens internationaux, tout en ayant leur siège au Canada, afin qu'il n'y ait pas de différence entre les entreprises canadiennes, américaines et autres en termes de valeurs. De cette façon, notre accès aux marchés financiers n'est pas compromis.

Enfin, sur une note personnelle, je dirai qu'à la lumière de ses récents efforts de fusionnement, Alcan est en mesure d'offrir un témoignage éloquent sur la résidence des administrateurs, entre autres questions. Dans nos discussions sur la fusion, nous avons littéralement fait une analyse de matrice comparant le Canada, les États-Unis, la Grande-Bretagne et d'autres pays sur la base des avantages relatifs de la fiscalité, de la régie d'entreprise et du cadre réglementaire des marchés boursiers, de même que leur incidence sur l'évaluation de la valeur des capitaux et de multiples autres facteurs. À la suite de cette analyse, le Canada a réussi à l'emporter, mais par une faible marge.

La question de la résidence des administrateurs a joué un rôle critique. Comme on peut le lire dans les documents que nous avons envoyés à nos actionnaires, nous avons été obligés de convenir par écrit que si, à long terme, nous demeurons assujettis à une exigence relative à la majorité, nous devrons déménager la société ailleurs, au Nouveau-Brunswick, au Yukon ou peut-être au Québec, là où il n'y a pas de critères de résidence. Bon nombre d'entreprises qui viennent au Canada mais qui ne veulent pas se plier aux exigences de la résidence s'implantent au Yukon. Je n'ai rien contre le Yukon, mais il semble plutôt ridicule que la LCSA, censément la mesure législative de pointe applicable aux sociétés, nous amène à jouer les seconds violons par rapport au Yukon.

M. Kazanjian: Je conclurai en ajoutant deux choses. À la lecture de notre mémoire, vous verrez que nous pensons qu'Industrie Canada a fait beaucoup de progrès en ce qui concerne les communications électroniques, mais nous avons trois ou quatre suggestions qui, nous l'espérons, seront prises au sérieux. Cette mesure est le fruit d'un effort ambitieux, mais dans certains domaines, il reste nécessaire de la peaufiner par le biais de simples amendements de forme.

Nous demandons au comité d'accorder une attention particulière à la partie de notre mémoire où nous réclamons un examen plus attentif de ces trois ou quatre aspects des communications électroniques, car ces dispositions ont certains effets non voulus dans le projet de loi S-19.

Deuxièmement, le projet de loi s'en remet à la réglementation. Nous reconnaissons qu'en tant que mesure générale, ce n'est sans doute pas toujours la démarche la plus utile du point de vue législatif ou réglementaire, mais en l'occurrence, nous jugeons que c'est essentiel, particulièrement à cause du long «cycle de vie» de la mesure proposée et du rythme rapide des changements qui surviennent dans le monde dans le domaine de la technologie et des communications.

Cependant, étant donné ce renvoi à la réglementation, nous jugeons important que soit conservée la disposition sur les avis et commentaires figurant dans la loi actuelle. Les avis et les consultations doivent être possibles. Nous ne savons pas pourquoi cette disposition n'a pas été maintenue dans le projet de loi S-19, mais compte tenu de l'accent mis sur la réglementation, nous estimons qu'il devrait y avoir un processus plus ouvert. En fait, dans des mémoires antérieurs, nous avons suggéré au comité de mettre sur pied un groupe consultatif d'experts de l'extérieur chargé de conseiller les responsables de la réglementation. Cette suggestion tient toujours.

Nous sommes maintenant prêts à répondre aux questions.

Le sénateur Kroft: Je regrette que M. Crawford ne soit pas là. C'est un de mes collègues à un autre endroit et il n'y a assurément personne dont l'opinion sur ces questions est plus éclairée et avisée.

Monsieur McAusland, vous nous apportez une perspective unique car si quelqu'un a réussi à transporter le débat du monde de la théorie au monde de la réalité du marché, c'est vous. L'expérience récente d'Alcan est très utile à titre d'étude de cas concret en ce qui concerne certaines de ces questions.

Vous avez évoqué le critère de résidence. J'aimerais obtenir une précision. Je crois vous avoir entendu dire que vous préconisiez sa suppression. Je déduis de vos propos et de ceux tenus par d'autres témoins que la principale raison en est qu'à la limite, il y a d'autres moyens d'atteindre cet objectif. Cependant, ils ne sont pas aussi efficaces et il serait préférable de prendre les devants et de conférer un avantage au Canada. Y a-t-il un aspect positif lié à cette exigence de maintenir une présence canadienne?

M. McAusland: Honnêtement, je ne dis pas que les administrateurs canadiens ne sont pas bons.

Le sénateur Kroft: Je comprends ça. Je me demande s'il n'y aurait pas lieu de communiquer un autre signal ou d'adopter une autre orientation sur le plan politique.

M. McAusland: Je n'en vois pas la nécessité. Un nombre incalculable d'autres juridictions n'appliquent pas ce critère sans pour autant être désavantagées. Dans la province de Québec, la loi provinciale applicable aux sociétés ne renferme absolument aucun critère de résidence. Chose certaine, de nombreuses sociétés québécoises ne sont pas dominées par des administrateurs étrangers. Je ne pense pas que ce soit un problème.

En tant que membre de la coalition, je serais disposé à appuyer le principe des 25 p. 100 par rapport à l'élimination totale en guise de transition, tout en reconnaissant que cela n'est pas particulièrement utile. Si, dans une perspective politique, ce principe peut favoriser l'adoption du projet de loi, nous l'appuierions volontiers.

Le sénateur Kroft: Vous avez décrit un monde idéal et, idéalement, la législation applicable aux sociétés et le cadre réglementaire doivent être des outils de développement économique. J'estime que c'est là un contexte positif dans lequel s'inscrit cette discussion. Je vous invite à aller au-delà de votre liste spécifique, ou même au-delà de l'ébauche de projet de loi dont nous sommes saisis. Passons-nous à côté de solutions concrètes pour promouvoir davantage cet objectif? Ratons-nous l'occasion d'être innovateurs ou créateurs d'une autre façon dans nos efforts pour favoriser le développement économique? Au lieu de vous en tenir aux dispositions actuelles, je vous offre l'occasion de présenter des idées toutes nouvelles.

M. Kazanjian: Dans le contexte de la législation applicable aux sociétés et aux marchés financiers, il y a à l'horizon des problèmes qu'il faudra régler, mais à mon avis, nous devons posséder la souplesse nécessaire pour mieux comprendre ce que nous réserve la technologie des communications afin de choisir la meilleure façon de réagir. Évidemment, il y a des projets de loi fédéraux dans d'autres domaines qui tentent de régler ces problèmes, que ce soit le projet de loi sur la confidentialité des renseignements personnels ou d'autres. Personnellement, dans l'optique du droit des affaires ou des sociétés, j'estime que pour l'instant, le mieux serait d'adopter le projet de loi et de voir, d'ici trois ou quatre ans, où nous nous situons d'un point de vue technologique. Cela me permettrait sans doute de répondre à cette question avec plus d'assurance.

M. McAusland: Industrie Canada a fait du bon travail. Je ne pense pas que l'on puisse décortiquer le projet de loi et exiger davantage. À mon avis, on a réussi à actualiser la loi et à la rendre raisonnablement pointue. C'est une mesure législative qui pourrait faire la différence pour le Canada et lui permettre d'attirer des investissements commerciaux.

La meilleure chose que vous puissiez faire, concrètement, c'est d'adopter la mesure le plus rapidement possible. Ces problèmes revêtent une certaine urgence. Bon nombre d'entre eux créent des inefficiences sur les marchés de capitaux et pénalisent quotidiennement les entreprises canadiennes. Cessons de tergiverser. Agissons. Au bout du compte, c'est ce qui importe le plus.

Le sénateur Fitzpatrick: Tout d'abord, je voudrais aborder une question ayant trait aux fonctions de M. McAusland en tant que directeur général d'Alcan. Je suis de la Colombie-Britannique et je tiens à remercier Alcan du soutien qu'elle a apporté hier au projet St-Roch, qui sera un projet du millénaire fascinant. Pour ceux qui ne le sauraient pas, Alcan est venu à la rescousse d'un bailleur de fonds privé et a contribué, si je ne m'abuse, quelque 300 000 $ pour donner le coup d'envoi au projet.

Je voudrais revenir sur la question de la résidence des administrateurs. La plupart des sociétés en quête d'administrateurs non résidents sont de grande taille et leur conseil d'administration compte probablement entre 12 et 14 membres. La règle des 25 p. 100 signifie 25 p. 100 de l'ensemble.

Je vous ai entendu dire qu'il fallait adopter le projet de loi et qu'au besoin, vous étiez disposé à appuyer le principe des 25 p. 100. Toutefois, je me demande s'il ne serait pas plus pratique, à votre avis, de fixer un nombre minimum, soit un ou deux membres du conseil d'administration. La constitution d'un conseil d'administration est dictée par le caractère national ou international de l'entreprise, et je comprends que vous vouliez bénéficier de cette souplesse. Cependant, ne devrions-nous pas fixer un nombre précis, que ce soit un ou deux, ou 10 ou 25 p. 100, selon la taille du conseil?

M. McAusland: Je ne pense pas que ce soit critique de nos jours car exception faite des banques et d'une poignée d'autres institutions, les conseils d'administration comptent moins de membres qu'avant. Je pense que les représentants du Régime des enseignantes et des enseignants ou de la Caisse de retraite des employés municipaux de l'Ontario conviendront avec moi qu'il n'est pas nécessaire d'avoir un conseil d'administration composé d'une quinzaine de membres dans les grandes sociétés. En règle générale, les actionnaires n'aiment pas les conseils d'administration imposants. Ils préfèrent des conseils plus petits, motivés et ciblés. Dans le cas d'une grande société, on trouvera plus souvent qu'autrement un conseil composé de 9 à 13 membres.

M. Kazanjian: J'en conviens. En fait, les directives de la Bourse de Toronto donnent à entendre qu'une bonne régie passe par des conseils d'administration plus petits et plus efficients.

M. McAusland: Dans ce contexte, tout bien considéré, la règle des 25 p. 100 fonctionne, et elle fonctionnera également pour les petites entreprises. C'est une approche raisonnable. Dans nos discussions au sujet du projet de loi, nous avons envisagé la possibilité d'un nombre fixe. Il y a des arguments en faveur de cette option, mais je ne vois pas tellement de différence. Il ne vaut pas la peine de pinailler.

Le sénateur Fitzpatrick: Je veux moi aussi parler de la composition des conseils d'administration. Je suis au courant de la tendance. Ayant siégé à certains conseils d'administration nationaux dotés de comités de régie d'entreprise, de vérification, de rémunération et d'environnement, je suis sensible au fait que le fardeau des administrateurs devient de plus en plus lourd, non seulement à cause de la prolifération des comités, mais aussi de l'ampleur de la tâche à accomplir.

Je sais que ce n'est pas là le propos du projet de loi, mais j'aimerais entendre vos commentaires à ce sujet car je connais quantité de bons administrateurs. J'en connais d'autres qui feraient de très bons administrateurs mais qui trouvent que la tâche est trop lourde. Les choses sont particulièrement difficiles pour quiconque vit dans l'Ouest du Canada car il faut compter trois jours pour assister à une réunion du conseil d'administration à Toronto. Je ne suis pas sûr que nous puissions attirer les meilleurs candidats à nos conseils d'administration en raison de la charge de travail.

M. McAusland: Il ne fait aucun doute que la charge de travail, les attentes et les responsabilités vont croissants. J'aurais dû parler d'entrée de jeu de «responsabilités» car c'est la raison pour laquelle la charge de travail s'alourdit. Résultat, de moins en moins de personnes seront en mesure de siéger à plusieurs conseils d'administration, comme elles le faisaient dans le passé. Cela n'est plus possible. En outre, la rémunération des membres du conseil devra être augmentée. Ce n'est que normal compte tenu des responsabilités et de la charge de travail en cause.

D'ailleurs, être membre d'un conseil d'administration, ce n'est plus comme avant. Ce rôle a bien changé. Ce n'est plus faire partie d'un réseau de vieux copains. Ce n'est plus une simple marque d'appréciation ou une question de standing social. Ce rôle exige travail ardu, diligence et acceptation de responsabilités, et les choses ne deviendront pas plus faciles.

Pour ce qui est d'avoir accès à des gens compétents, il faut veiller à ce que la responsabilité ne prenne pas des proportions extrêmes, qu'elles soient maintenues à un niveau raisonnable. C'est une question très importante. Il est légitime que les membres de conseils d'administration assument une certaine responsabilité, mais on a aussi poussé les choses à l'extrême. Il suffit de voir chez nos voisins du Sud les effets des problèmes liés à la responsabilité dans certains secteurs comme la médecine et l'aéronautique. C'est dévastateur.

Dans l'optique où la législation applicable aux sociétés est considérée comme un cadre de développement économique, si la charge des administrateurs est équilibrée, si les attentes et les responsabilités sont convenables, nous serons en mesure d'attirer les meilleurs candidats, probablement plus facilement que d'autres pays. Par conséquent, cela rendra le Canada attrayant. Je ne pense pas que le projet de loi à l'étude soit à côté de la plaque. Il est plutôt juste, mais je ne pense pas que nous devions insister davantage sur la question de la responsabilité; bien au contraire.

M. Kazanjian: Au sujet de la taille du conseil d'administration et de la gestion en général, de nombreux facteurs externes objectifs influencent la composition d'un conseil d'administration, ce qui n'a pratiquement rien à voir avec la LCSA. Les bourses et les commissions de valeurs mobilières ont des règles, les investisseurs exercent des pressions et il y a aussi les attentes des investisseurs institutionnels, dont on vous a parlé. Il y a une myriade de facteurs qui vont au-delà de ce que nous avons sur notre table collective. L'un des aspects positifs du projet de loi S-19, c'est qu'il s'abstient d'entrer dans des domaines où ce genre de chose est déséquilibré. Je pense que la prudence est de mise lorsqu'on se demande jusqu'où aller car d'autres facettes du jeu peuvent être bouleversées.

Le sénateur Poulin: Nous constatons que la convergence a une influence prépondérante sur la régie publique, même sur la façon dont différentes mesures législatives et différents ministères touchent le monde des affaires au Canada aujourd'hui. Je pose cette question à deux titres, en tant que membre du comité mais aussi du Sous-comité des communications où nous effectuons une étude spéciale sur les politiques qu'exige le XXIe siècle sur la convergence, la concurrence et la consommation. Étant donné que je préside à cette étude spéciale, je vous demanderais d'étoffer les commentaires que vous avez faits tout à l'heure au sujet de l'évolution technologique.

Je conviens sans réserve que notre gouvernement a fait des progrès considérables pour offrir aux Canadiens, qu'ils oeuvrent dans le monde des affaires ou ailleurs, un accès à des communications plus souples en raison de cette révolution technologique. Nous avons vu cela avec le projet de loi C-6, sur la confidentialité des renseignements personnels, qui entrera en vigueur le 1er janvier prochain.

Quelles observations supplémentaires pouvez-vous nous communiquer au sujet de la nouvelle technologie?

M. Kazanjian: En raison de la composition de notre coalition, depuis que nous avons commencé à présenter des mémoires il y a quatre ans, j'ai beaucoup appris de mes collègues au sujet des nouvelles technologies qui se profilent à l'horizon. Nous avons tenté d'énoncer certains principes généraux; notamment, on ne peut réglementer en détail un domaine où l'on ne peut prévoir ce qui va se passer. D'ailleurs, cette façon de voir les choses a influencé l'approche de la U.S. Security and Exchange Commission qui doit toujours articuler sa réglementation autour de grands principes. Par la suite, la réalité peut être interprétée à la lumière de ces grands principes, à mesure qu'elle évolue.

Par exemple, à l'instar du juge Farley, nous préconisons de ne pas utiliser l'adjectif «téléphonique» à la LCSA. En effet, je peux me brancher sur la Toile au moyen de ma ligne téléphonique, mais je peux utiliser mon téléphone cellulaire sans fil. À quoi rime à ce moment-là «téléphonique»? Nous devrions viser la neutralité technologique et nous en tenir au niveau des objectifs et des principes dans l'ensemble de notre législation dans ce domaine, ce qui nous donne la possibilité d'évoluer et d'interpréter la réalité. Ainsi, la loi ne fait pas obstacle au changement technologique.

Le sénateur Poulin: Je trouve intéressante votre observation sur la neutralité technologique car le Sous-comité des communications a déjà publié deux études consacrées au positionnement international du Canada dans le contexte de l'expansion mondiale de la technologie. Nous avons constaté que certains termes, plutôt que de définir certaines activités, suscitent davantage de complications. Nous nous sommes penchés sur la véritable signification de termes comme «radiodiffusion» et «télécommunications». Pour votre part, vous avez inventé l'expression «neutralité technologique».

M. Kazanjian: J'aimerais bien en tirer le crédit, mais je ne suis pas l'auteur de cette expression.

À notre avis, le principe régissant les règles de procuration est excellent, mais la libéralisation des règles relatives aux procurations dissidentes devra bientôt subir un changement car elle est fondée sur la distinction entre «envoyer», ce qui à l'heure actuelle signifie par courrier, et «diffuser publiquement», ce qui signifie acheter de l'espace dans le Globe and Mail. Cependant, une fois que l'on introduit l'aspect électronique, la distinction entre «envoyer» et «diffuser» disparaît. Les règles relatives aux procurations énoncées dans le projet de loi sont fondées sur un principe valable, mais elles supposent le maintien de cette distinction qui, à mon avis, ne sera pas conservée.

Le sénateur Poulin: Il est également intéressant que vous mentionniez ce point car le New York Times a publié il y a environ deux semaines un article où l'on disait que Monica Lewinsky avait appris cela à ses dépens.

Le président suppléant: Comme il n'y a pas d'autres questions, nous vous remercions beaucoup d'avoir pris le temps de nous présenter vos exposés aujourd'hui.

La séance est levée.


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