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BANC - Comité permanent

Banques, commerce et économie

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce

Fascicule 14 - Témoignages


OTTAWA, le jeudi 1er juin 2000

Le comité sénatorial permanent des banques et du commerce, auquel a été renvoyé le projet de loi C-22, Loi visant à faciliter la répression du recyclage financier des produits de la criminalité, constituant le Centre d'analyse des opérations et déclarations financières du Canada et modifiant et abrogeant certaines lois en conséquence, se réunit aujourd'hui à 11 heures pour examiner ce projet de loi.

Le sénateur E. Leo Kolber (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Bonjour, honorables sénateurs. Nous nous réunissons aujourd'hui pour discuter du projet de loi C-22.

Nous accueillons le représentant du ministère des Finances, M. Charlie Seeto, qui fera une déclaration liminaire pour bien nous informer de tous les aspects du projet de loi.

Bienvenue, monsieur Seeto.

M. Charlie Seeto, directeur, Direction de la politique du secteur financier, ministère des Finances: Monsieur le président, je suis heureux de pouvoir discuter avec vous aujourd'hui du projet de loi C-22, Loi sur le recyclage des produits de la criminalité, ou loi sur le blanchiment d'argent.

Honorables sénateurs, ni le Canada ni aucun autre pays ne sont à l'abri du crime organisé ou des activités de blanchiment d'argent. On entend par blanchiment d'argent la conversion des produits de la criminalité en actifs afin qu'il soit plus difficile d'en retracer l'origine illicite.

Cette conversion commence habituellement par le placement de sommes en espèces à l'intérieur des circuits financiers. Cela peut aussi prendre la forme d'opérations financières complexes au cours desquelles l'argent à blanchir fait l'objet de virements successifs, dans le but de brouiller les pistes, puis est intégré ou investi dans des actifs apparemment légitimes.

Il est toujours difficile d'évaluer l'ampleur des activités criminelles, y compris le blanchiment d'argent. Toutefois, des études reposant sur des méthodes adoptées par des organismes internationaux évaluent entre 5 et 17 milliards de dollars la valeur des produits de la criminalité recyclés au Canada ou via le Canada chaque année. Ainsi que le révèle l'expérience acquise dans d'autres pays, la plus grande partie des fonds blanchis au Canada proviennent du trafic des stupéfiants.

Le coût social du blanchiment d'argent prend de nombreuses formes. Une fois blanchi, l'argent tiré du crime peut servir à financer de nouvelles activités criminelles, ce qui crée un cercle vicieux.

Dans la même veine, étant donné que les criminels doivent habituellement recycler les produits de la criminalité pour pouvoir en profiter, le blanchiment d'argent constitue une incitation financière aux activités criminelles.

En outre, les bénéfices élevés pour ceux qui se livrent au blanchiment d'argent peuvent servir à corrompre des personnes qui seraient par ailleurs d'honnêtes citoyens, ce qui montre l'effet de distorsion que peut exercer ce type d'opération criminelle sur les activités financières et commerciales. Les entreprises honnêtes risquent de faire face à une concurrence déloyale de la part de celles qui tirent une partie de leur revenu du blanchiment d'argent. Lorsque les fonds sont blanchis par le truchement d'institutions financières, cela peut porter atteinte à la réputation et à l'intégrité de ces dernières.

Les éléments de base d'une programme de lutte contre le blanchiment d'argent sont en place au Canada depuis 1989. Les modifications apportées au Code criminel, à la Loi sur les aliments et drogues et à la Loi sur les stupéfiants ont fait du blanchiment d'argent une infraction criminelle, et elles prévoient des procédures de saisie, de rétention et de confiscation des produits de la criminalité.

La Loi sur le recyclage des produits de la criminalité adoptée en 1991 portait l'établissement du système actuel de tenue de documents et d'identification des clients qui sont parties aux transactions menées par l'entremise d'institutions financières ou de professionnels, y compris des avocats et des comptables, agissant en qualité d'intermédiaires financiers.

En plus de ces mesures, certaines institutions de dépôt ont conclu des accords de coopération avec la GRC, en 1993, concernant la déclaration volontaire à la police de toute activité pouvant avoir pour objet le blanchiment d'argent.

Ces mesures et d'autres initiatives prises jusqu'ici ont donné des résultats. Le problème est que les techniques utilisées pour blanchir l'argent sont de plus en plus complexes, tandis que la détection ainsi que la dissuasion posent de plus en plus de difficultés. Il est certain que le Canada doit miser sur des instruments législatifs plus efficaces. Ainsi, l'efficacité de la modalité actuelle de déclaration des opérations douteuses est limitée par son caractère volontaire et par son application variable par rapport aux différents points à partir desquels les fonds illégaux peuvent pénétrer le système.

Même si cette modalité est étayée par des accords de coopération entre la GRC et certaines institutions de dépôt, aucun accord de la sorte ne s'applique à d'autres intermédiaires par lesquels les fonds illégaux peuvent être investis: pensons aux sociétés d'assurance, aux courtiers en valeurs mobilières, aux casinos, aux comptoirs de change, et à divers professionnels, y compris les avocats et les comptables.

La solution ne consiste pas à étendre les accords de déclaration volontaire des opérations douteuses à d'autres institutions ou professions. En effet, même lorsque de tels accords sont en vigueur, les activités de déclaration ne sont pas systématiques. On a constaté que certains renseignements que possèdent des institutions au sujet d'opérations douteuses et qui seraient fort utiles dans le cadre des enquêtes en matière de blanchiment d'argent ne sont pas communiqués. En raison de ces lacunes, les organismes d'exécution de la loi ont misé sur les méthodes traditionnelles, par exemple des opérations menées par des agents d'infiltration à partir de comptoirs de change. Toutefois, ces méthodes ne sont utiles que pour les activités de blanchiment menées à une échelle relativement petite, et elles ne peuvent viser qu'une fraction de l'ensemble de ces activités.

De plus, les mesures actuelles ont tendance à se limiter à l'investissement initial des fonds sur les circuits financiers. Ces mesures continueront d'être un élément important des initiatives de lutte contre le blanchiment d'argent; néanmoins, une modalité de déclaration obligatoire de portée plus étendue serait pour la police une source d'information précieuse pour traiter des virements successifs de l'argent à blanchir, alors que des opérations financières complexes sont utilisées pour dissimuler les produits de la criminalité.

Les organismes d'exécution de la loi du Canada et d'ailleurs ainsi que le Groupe d'action financière sur le blanchiment des capitaux, dont le Canada fait partie, ont demandé à notre pays de rendre obligatoire la déclaration des opérations douteuses.

Ainsi que les membres du comité le savent, le Groupe d'action financière sur le blanchiment des capitaux a été créé en 1989 par les dirigeants du G-7 dans le but d'établir des normes applicables à la lutte contre le blanchiment d'argent à l'échelle nationale et internationale. Dans ce but, le Groupe a formulé 40 recommandations, auxquelles ses 28 membres, dont le Canada, ont accepté de se conformer.

J'ai le plaisir de déposer devant votre comité trois documents du Groupe dans lesquels ont explique le problème du blanchiment d'argent, les efforts internationaux pour lutter contre cette activité et l'importance des mesures comme celles contenues dans le projet de loi C-22. Il s'agit du plus récent rapport annuel du Groupe d'action financière sur le blanchiment des capitaux, de ses rapports de 1999-2000 sur les divers types de blanchiment d'argent et de ses 40 recommandations. Je crois savoir que nous en avons déjà remis un exemplaire à votre greffier.

L'une de ces recommandations consiste pour chaque pays à exiger de ses institutions financières de faire rapport aux autorités compétentes lorsqu'elles soupçonnent que des fonds sont reliés à des activités criminelles. Le Canada est le seul pays membre du Groupe qui n'ait pas encore mis en place un mécanisme de déclaration obligatoire des opérations suspectes. L'expérience acquise dans d'autres pays montre les avantages découlant de la déclaration des opérations financières sous l'angle des activités d'exécution de la loi. Le gouvernement a en outre pu examiner aussi différents modèles lors de l'élaboration du présent projet de loi et de la structuration du Centre d'analyse des opérations et déclarations financières du Canada.

Pour constater l'efficacité des mécanismes de déclaration dans d'autres pays, il suffit de se pencher sur le plus récent rapport annuel de l'agence australienne de lutte contre le blanchiment d'argent. Ce rapport contient des notes concises sur un échantillon d'environ 200 affaires où l'information contenue dans les déclarations sur des opérations financières a servi à lancer une enquête criminelle ou a contribué à des enquêtes en cours. Pour sa part, Le Royaume-Uni estime que, en moyenne, environ un tiers de tous les rapports d'opérations douteuses ont été au cours des quatre dernières années une source de renseignements utiles sur les activités criminelles. Sur une plus petite échelle, les statistiques pour la Belgique indiquent que, des 24 000 rapports sur des opérations douteuses reçus par l'agence belge de lutte contre le blanchiment d'argent entre décembre 1993 et 1998, environ 1 400 ont été transmis aux autorités judiciaires. De ce nombre, 117 ont conduit à des condamnations touchant plus de 200 personnes.

Outre la déclaration des opérations douteuses ou visées par règlement, les organismes d'exécution de la loi ont demandé que soient déclarés les mouvements transfrontaliers d'espèces, conformément à une autre recommandation faite par le Groupe d'action financière sur le blanchiment des capitaux à ses membres. Il s'agit d'une mesure importante en vue de garantir que la prise de mesures plus rigoureuses en matière de blanchiment d'argent au Canada n'aura pas pour conséquence de simplement déplacer le problème.

Monsieur le président, le gouvernement a déposé le projet de loi C-22 parce qu'il comprend la nécessité de renforcer la législation en vigueur. Les dispositions sur la tenue de documents et l'identification des clients contenues dans la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité sous sa forme actuelle sont maintenues; en outre, le projet de loi comporte les dispositions suivantes: la déclaration obligatoire des opérations douteuses et d'autres opérations visées par règlement; la déclaration des mouvements transfrontaliers d'espèces représentant un montant élevé; la mise sur pied du Centre d'analyse des opérations et déclarations financières du Canada.

Avant de vous parler de ces différentes mesures, je tiens à souligner que chacune d'entre elles, de même que le mécanisme pris globalement, a été conçue, non seulement pour combler les besoins aux fins d'exécution de la loi, mais également pour protéger dans toute la mesure du possible les renseignements personnels des Canadiennes et des Canadiens. J'aborderai certaines des principales mesures de protection contenues dans le projet de loi dans un moment, lorsque je décrirai les caractéristiques du centre.

En ce qui concerne la modalité de déclaration obligatoire, les institutions financières réglementées, les casinos, les comptoirs de change et les autres intermédiaires financiers seront tenus de déclarer toute opération financière lorsqu'il y a lieu de soupçonner que celle-ci sert à recycler les produits de la criminalité. Certaines opérations particulières, par exemple les dépôts d'espèces excédant un montant réglementaire, devront aussi être déclarées.

Le deuxième élément du projet de loi consiste à établir que les personnes ou les entités qui importent ou exportent des espèces ou effets d'un montant élevé, par exemple des chèques de voyage, doivent déclarer ces importations ou ces exportations à l'Agence des douanes et du revenu du Canada, qui transmettra les rapports au Centre d'analyse des opérations et déclarations financières du Canada.

Les espèces peuvent être saisies si elles ne sont pas déclarées, et elles seront rendues contre versement d'une pénalité, sauf si les autorités douanières ont des motifs raisonnables de soupçonner qu'il s'agit de produits de la criminalité. Un mécanisme de révision et d'appel sera mis en place relativement aux pénalités et aux saisies à la frontière.

Le troisième élément du projet de loi est la mise sur pied du Centre d'analyse des opérations et déclarations financières du Canada. Le centre aura comme tâche principale de recevoir et d'analyser les rapports exigés aux termes de ce projet de loi. Cette analyse permettra d'établir si certains renseignements désignés contenus dans ces rapports seront transmis aux autorités compétentes. On a pris soin de faire en sorte que la conception du centre et le cadre législatif de ses activités assurent la protection des renseignements personnels des Canadiens.

J'aimerais discuter de certaines des mesures de protection prévues dans le projet de loi pour garantir un contrôle strict des activités de collecte, d'utilisation et de communication du centre.

L'une des principales caractéristiques du régime proposé est que les rapports exigés aux termes du projet de loi ne seront pas communiqués directement aux organismes d'exécution de la loi. Comme je l'ai mentionné, ces rapports seront plutôt transmis au Centre d'analyse des opérations et déclarations financières du Canada. Le centre sera un organisme autonome et indépendant des organismes d'exécution de la loi ou autres auxquels il pourra fournir des renseignements. Cela veut dire que les renseignements fournis au centre sur des opérations douteuses ou visées par règlement, ou encore sur des mouvements transfrontaliers d'espèces, feront l'objet d'une analyse objective.

Les renseignements reçus par le centre seront assujettis à des dispositions rigoureuses de protection des renseignements personnels afin d'éviter toute divulgation non autorisée. Toute utilisation ou communication non permise des renseignements personnels relevant du contrôle du centre fera l'objet de sanctions pénales; les amendes pourront atteindre 500 000 $ et une peine d'emprisonnement d'une durée maximale de cinq ans pourrait aussi être infligée.

De plus, les situations où le centre sera autorisé à communiquer des renseignements seront restreintes et expressément énoncées dans la Loi. C'est seulement lorsque le centre, se fondant sur les résultats de son analyse, établira que des renseignements désignés seraient utiles aux fins d'enquête ou de poursuite à l'égard d'une infraction de recyclage des produits de la criminalité que ces renseignements seront communiqués aux forces policières.

Les «renseignements désignés» sont définis dans le projet de loi et se limitent à certaines données d'identification clés concernant des opérations et des mouvements transfrontaliers d'espèces. Par exemple, dans le cas d'une opération déclarée, les renseignements qu'il sera possible de communiquer aux forces policières comprennent le nom du client, le nom du bureau où l'opération est effectuée, le numéro de compte et d'autres faits relatifs à l'opération.

Le centre ne pourra communiquer de renseignements additionnels qui si un organisme d'exécution de la loi monte un dossier à des fins de poursuite et obtient du tribunal une ordonnance de communication de renseignements ayant trait à des activités de blanchiment d'argent. Le centre ne pourra faire l'objet de mandats de perquisition.

Le centre sera également autorisé à communiquer des renseignements désignés à certains autres organismes publics canadiens, mais uniquement dans des conditions bien précises. Par exemple, le centre fournira des renseignements désignés au Service canadien du renseignement de sécurité s'il a des motifs raisonnables de penser que ces renseignements sont reliés à une infraction de recyclage des produits de la criminalité et s'il estime qu'ils se rapportent à des activités qui pourraient constituer une menace envers la sécurité nationale.

Le critère du soupçon quant au lien avec une infraction de recyclage de produits de la criminalité est applicable chaque fois que le centre communique des renseignements. Le fait que le centre soit indépendant des organismes d'exécution de la loi est un aspect important des mesures de protection des renseignements personnels prévues dans le projet de loi. C'est entre autres en raison de cette qualité de protection des renseignements personnels que ce modèle a été préféré à celui d'un certain nombre d'autres pays où les organismes équivalant au centre sont intégrés aux organes d'exécution de la loi ou de réglementation financière.

L'indépendance et l'autonomie du centre en vue de décider des renseignements à communiquer à la police sont contrebalancées par le fait qu'il est comptable envers le Parlement.

Le centre relèvera du ministre des Finances et présentera à ce dernier un rapport annuel. Le ministre déposera devant chaque chambre du Parlement un exemplaire de ce rapport.

Même si les activités courantes du centre relèveront manifestement de son directeur, le ministre aura le pouvoir de fournir des instructions au centre sur les questions de politique publique. Également, le centre sera assujetti à la Loi sur la protection des renseignements personnels et aux mécanismes de protection qu'elle contient. Par exemple, le commissaire à la protection des renseignements personnels aura le pouvoir d'obtenir des renseignements du centre en vue d'enquêter à la suite d'une plainte présentée en application de la Loi sur la protection des renseignements personnels. De même que dans le cas d'autres institutions publiques, le commissaire à la protection des renseignements personnels pourra se prévaloir de ce pouvoir pour faire enquête à la suite de plaintes déposées par des particuliers contre le centre ainsi que pour déposer lui-même une plainte et mener une enquête. Les particuliers pourront également porter leur cause devant la Cour fédérale, sous le régime de la Loi sur la protection des renseignements personnels.

Permettez-moi de parler maintenant des pouvoirs de réglementation prévus dans le projet de loi concernant les entités visées, l'identification des clients, la tenue de documents et les exigences de déclaration. Il importe que le gouvernement puisse s'adapter rapidement en fonction de l'évolution constante de la nature des activités de recyclage des produits de la criminalité ainsi que des méthodes utilisées par les intermédiaires financiers. Ces pouvoirs nous conféreront cette capacité. Le gouvernement vise à élaborer des règlements qui soient conformes aux principes sur lesquels repose le projet de loi. Il faut à cette fin parvenir à un juste équilibre entre les objectifs d'exécution de la loi, de protection des renseignements personnels, de minimisation des coûts d'observation et d'appui à la contribution du Canada aux initiatives internationales de lutte contre le blanchiment d'argent. Des consultations poussées sont déjà en cours afin d'élaborer les règlements dans cette perspective.

En outre, le projet de loi exige que les règlements proposés soient publiés 90 jours au préalable et qu'un préavis supplémentaire de 30 jours soit donné à l'égard de tout changement aux règlements proposés, avant qu'ils entrent en vigueur. Ces exigences vont bien au-delà de celles de bon nombre de lois fédérales et donnent aux différentes parties des occasions suffisantes de faire connaître leurs opinions.

Le président: Où les règlements sont-ils publiés?

M. Seeto: Dans la Gazette du Canada.

Le président: Il n'y a pas de surveillance. Que pouvez-vous faire à ce sujet?

M. Seeto: Nous invitons les gens à nous faire part de leurs opinions.

Le président: Si je mentionne cette question, c'est que le problème se pose chaque fois qu'un projet de loi nous est confié. Nous recevons le projet de loi, mais par la suite, les bureaucrates peuvent ajouter tous les règlements qu'ils veulent, à peu près sans surveillance. Lorsque cette surveillance est exercée, c'est par un comité parlementaire qui ne connaît pas le projet de loi.

Je n'aime pas beaucoup cette idée d'un pouvoir de réglementation sans surveillance. Quelqu'un vous posera peut-être une question à ce sujet et vous pourrez peut-être y répondre. Désolé de vous avoir interrompu, mais je tenais à vous faire savoir que c'est un sujet délicat.

M. Seeto: Une autre question étroitement liée à la précédente a trait à l'orientation qui sera fournie aux institutions et aux personnes qui, en vue de se conformer aux exigences de déclaration énoncées dans le projet de loi, doivent déterminer si elles ont des motifs raisonnables de croire qu'une opération particulière est reliée à une infraction de recyclage des produits de la criminalité. Des lignes directrices seront établies par l'organisme de lutte contre le blanchiment d'argent que l'on propose de mettre sur pied afin de les aider à ce sujet. C'est d'ailleurs l'approche pour laquelle ont opté de nombreux autres pays membres du Groupe d'action financière sur le blanchiment des capitaux, dont l'Australie, le Royaume-Uni et les États-Unis.

Ces lignes directrices seront rédigées en consultation avec les groupes représentant les parties concernées, et elles tiendront compte des circonstances propres aux secteurs et aux professions assujettis aux exigences de déclaration contenues dans le projet de loi C-22. Il convient également de préciser qu'il existe déjà des lignes directrices au sujet du recyclage des produits de la criminalité, et qu'elles pourraient servir de modèle. Ainsi, le surintendant des institutions financières a publié en 1996 des lignes directrices intitulées «Mécanismes efficaces de repérage et d'élimination des opérations de blanchiment de fonds». De plus, l'expérience acquise dans d'autres pays qui exigent que les opérations douteuses soient déclarées peut servir à la rédaction de lignes directrices judicieuses aux fins des dispositions législatives proposées.

En terminant, honorables sénateurs, je tiens à indiquer que le projet de loi C-22 a été préparé en consultation avec de nombreux partenaires clés, notamment les provinces et territoires, la communauté financière, les groupes de consommateurs et les organisations qui s'intéressent à la question de la protection des renseignements personnels. Le projet de loi met à jour et renforce la loi actuelle, et il se traduit par une amélioration de la détection, de la prévention et de la dissuasion des activités de recyclage des produits de la criminalité au Canada. De plus, les organismes d'exécution de la loi disposeront des outils dont ils ont besoin, sans que cela se fasse au détriment de la protection des renseignements personnels. Enfin, ces mesures feront en sorte que le Canada se conforme aux normes reconnues internationalement en matière de lutte contre le blanchiment d'argent.

Monsieur le président, je répondrai maintenant avec plaisir à vos questions.

Le président: L'article 72 du projet de loi prévoit un examen de l'application de la loi par:

[...] le comité désigné ou constitué par le Parlement à cette fin [...]

Ce genre de libellé pourrait porter à penser qu'un comité sénatorial puisse ne pas participer à un tel examen. Pourriez-vous nous en dire davantage?

Le sénateur Furey: Mais l'article qui précède parle clairement d'un rapport devant être déposé devant chaque chambre.

Le président: Oui, mais pas l'article 72.

M. Seeto: L'article 72 porte que, dans les cinq ans suivant l'entrée en vigueur de l'article en question, un comité du Parlement procède à l'examen de l'application de la loi. Cette disposition laisse le Parlement libre de constituer le comité qui sera chargé de cet examen. Le Parlement s'entend à la fois de la Chambre des communes et du Sénat, et c'est le Parlement qui décidera de ce qu'il entend faire pour constituer le comité en question.

Après avoir examiné d'autres lois, nous avons constaté que ce genre d'article n'était pas formulé de façon normalisée. Selon le texte du projet de loi C-22, il appartient au Parlement d'arrêter la composition du comité. Cette disposition produit le même résultat que ce qui est prévu dans d'autres lois, par exemple, la Loi sur la protection des renseignements personnels, qui toutes parlent d'un comité de la Chambre, du Sénat, ou d'un comité des deux chambres, selon la décision du Parlement.

Le président: Lorsqu'on parle du Parlement, le problème est que ce terme désigne à la fois la chambre haute et la chambre basse.

M. Seeto: En effet, c'était là l'intention.

Le président: Je pense que cela manque un peu de clarté, si vous me permettez l'expression. Serait-il possible que le ministre nous écrive pour préciser que le terme «Parlement» s'entend bien des deux chambres?

M. Seeto: Monsieur le président, je vais en saisir le ministre.

Le sénateur Furey: Si vous regardez l'article qui précède, celui qui prescrit un rapport annuel, on y parle très clairement des deux chambres. Pourquoi n'en serait-il pas de même dans l'article 72?

M. Seeto: Notre intention est de permettre aux deux chambres d'en décider.

Le sénateur Furey: Vous le dites à l'article 71, mais non à l'article 72.

Le président: Si c'est bien votre intention, mettez-nous la par écrit.

M. Seeto: C'est ce que nous allons recommander au ministre.

Le sénateur Tkachuk: Pourriez-vous répondre à la question du sénateur Furey?

M. Seeto: Je pense qu'il s'agissait d'une question de phraséologie. Il s'agissait de faire référence à la procédure utilisée par le Parlement, ce dernier terme s'entendant des deux Chambres. C'est ainsi que le ministère de la Justice nous a interprété la chose.

Le sénateur Kroft: Ce n'est pas parce que je suis parrain du projet de loi et que j'ai déjà pris la parole à ce sujet, que je dois nécessairement me rallier à votre opinion. Chaque Canadien doit commencer par se sentir mal à l'aise par rapport à ce projet de loi, et il nous appartient donc de trouver le moyen de le rassurer.

Sur le plan théorique, toute mesure législative qui fait des Canadiens, à titre individuel ou collectif, des dénonciateurs ou pire encore, porte forcément à s'inquiéter. Nous devons nous demander si ce problème est suffisamment grave et complexe pour exiger ainsi une action aussi extraordinaire, et ensuite nous demander si cette action est adéquate et proportionnelle à sa cause. Il est important de le faire parce que je ne pense pas qu'il y ait ici qui que ce soit qui affectionne le principe de base.

Je voudrais essayer de me rassurer à plusieurs égards, afin que nous puissions être sûrs qu'il s'agit là d'une réponse adéquate à un problème grave. Je voudrais aborder trois éléments en particulier. Il y en aurait sans doute beaucoup plus, mais j'ai personnellement trois questions à poser, trois repères à vous demander.

Pour commencer, pourriez-vous nous faire la comparaison entre ce projet de loi et d'autres mesures législatives en vigueur ailleurs? Vous nous dites que nous sommes les derniers à «entrer dans la danse» dans ce domaine législatif. Pouvez-vous nous dire si nous sommes moins rigoureux, ou encore plus diligents, que d'autres pays? Y a-t-il eu des questions particulièrement controversées? Vous avez beau dire qu'il s'agit d'une mesure législative en gestation, mais comment celle-ci s'inscrit-elle dans le contexte de la Charte? Comment nous situons-nous par rapport aux autres pays?

En second lieu, à quel niveau d'entente est-on parvenu avec les autres protecteurs reconnus de nos libertés civiles? J'ignore qui va intervenir à ce sujet, mais d'après ce que j'ai appris, il y aurait eu des consultations, notamment avec l'Association du Barreau canadien. J'aimerais savoir ce qu'il en est de ces consultations. Les assurances nécessaires ont-elles été trouvées? Cela vaudrait également pour les comptables. Comme je suis avocat, j'aimerais savoir quels ont été vos entretiens avec les membres de la profession étant donné qu'il s'agit là d'un domaine extraordinairement délicat. Je constate dans le texte du projet de loi que le «secret professionnel» est protégé, mais vous parlez également d'avocats qui auraient un rôle différent, et c'est une question particulièrement intéressante.

En troisième lieu, quelle a été la teneur de vos discussions avec le Commissaire à la protection de la vie privée et dans quelle mesure avez-vous pu lui donner les assurances qu'il souhaite?

M. Seeto: Je vais demander à M. Richard Lalonde de répondre à vos deux premières questions.

M. Richard Lalonde, chef, Section des crimes financiers, Direction de la politique du secteur financier, ministère des Finances: S'agissant des régimes adoptés par d'autres pays, nous savions comment ceux-ci avaient essayé de s'y prendre au moment où nous avons commencé à élaborer la proposition. Notre balise était à ce moment-là les normes internationales du GAFI. Notre proposition s'inspire de ces normes internationales. Il se trouve d'ailleurs que, depuis 10 ans, d'autres pays ont également mis en place des régimes comparables qui utilisent les mêmes normes, même s'il y a des différences d'un pays à l'autre, étant donné que chaque pays a sa propre loi sur la protection de la vie privée, sa propre constitution, sa propre charte et son propre type d'administration publique. Dans certains pays, l'organisme compétent est greffé aux autorités policières. Ailleurs, il s'agit d'un organisme complètement distinct et indépendant, comme c'est le cas dans ce projet de loi. Il est difficile de dire si notre régime est plus ou moins rigoureux que ceux des autres pays. En revanche, nous avons profité de l'expérience de ceux-ci au moment où nous mettions au point le régime proposé par le projet de loi. Celui-ci présente toutes les caractéristiques positives des autres régimes. Il respecte assurément notre Constitution, notre Charte, et il contient des éléments qui s'inscrivent dans le droit fil de nos lois fondamentales.

Le sénateur Meighen: Serait-il possible d'avoir un tableau qui nous montrerait, parmi les 28 pays membres ayant un régime à déclaration obligatoire, ceux qui exigent d'en saisir un organisme indépendant plutôt que les forces de l'ordre?

M. Lalonde: Nous pourrions effectivement vous préparer un tableau de ce genre, mais à part le Canada, tous les pays ont pour l'instant un régime à déclaration obligatoire. Vous voudriez plutôt savoir, sénateur, quel pays a adopté tel ou tel modèle?

Le sénateur Meighen: En effet. Je ne m'étais pas rendu compte que nous étions les derniers du groupe de 28 membres.

M. Lalonde: Nous pourrions transmettre ce renseignement au comité.

Le sénateur Kroft: Vos entretiens avec l'Association du Barreau canadien et le commissaire à la protection de la vie privée se sont-ils soldés par un constat d'harmonie?

M. Lalonde: Ces derniers mois, nous nous sommes entretenus à plusieurs reprises avec des représentants de l'Association du Barreau canadien. Tout en appuyant les objectifs poursuivis par le projet de loi, ils ont fait valoir un certain nombre de préoccupations au sujet du rôle que la loi obligerait les avocats à jouer en ce qui concerne les déclarations, et en particulier la déclaration des opérations douteuses. Nous leur avons signalé que le projet de loi disait très clairement qu'ils ne devraient nullement trahir le secret professionnel ou déclarer quoi que ce soit qui procède de ce même secret professionnel. J'imagine d'ailleurs que vous allez bientôt les rencontrer vous aussi. Cela dit, leurs préoccupations demeurent entières.

Nous leur avons signalé, et nous vous le signalerons également, que si nous avons fait en sorte que les avocats soient visés par le projet de loi, c'est pour que l'ensemble du secteur financier soit couvert. Nous savons que les avocats jouent différents rôles, et notamment celui d'intermédiaires financiers. Dans ce dernier cas, ils ne se différencient guère des autres protagonistes du secteur financier qui sont visés par le projet de loi.

Nous sommes tout disposés à bien préciser que la portée et l'application de ce projet de loi visent les avocats lorsqu'ils agissent en tant qu'intermédiaires financiers. Il faudrait que nous trouvions un texte dans ce sens, mais c'est là l'idée, et c'est effectivement ce que nous entendons faire.

Le sénateur Kroft: Et le commissaire à la protection de la vie privée?

M. Lalonde: Ici aussi, nous sommes en pourparlers avec son bureau depuis quelques mois. Cela étant, le commissaire n'a pas d'objections particulières à la façon dont le projet de loi a été rédigé. Sa principale préoccupation demeure que le régime qui est ainsi proposé est un choix qui appartient au Parlement, en ce sens qu'il impose aux particuliers l'obligation de faire une déclaration à propos de leurs clients, ce qui pose par conséquent certaines questions importantes concernant la protection des renseignements personnels.

J'ignore par contre si les dispositions du projet de loi qui protègent les renseignements personnels posent au commissaire des problèmes particuliers.

M. Seeto: Je voudrais ajouter que pendant tout le processus préparatoire, nous nous sommes entretenus plusieurs fois avec le commissaire à la protection de la vie privée. Voici d'ailleurs ce que disait son bureau: «Étant donné l'objectif poursuivi, il semble bien que la "plomberie" est en bon état». Nous avons essayé de tenir compte des préoccupations du commissaire sans déroger aux objectifs du projet de loi.

Le sénateur Kelleher: Vous avez déjà répondu en partie à certaines questions que je voulais poser. Étant donné que nous avons été les derniers à proposer quelque chose, nous avons pu observer et examiner ce qui s'était fait ailleurs. Je me demande par contre si nous avions vraiment besoin d'un organisme autonome avec tout ce que cela suppose de frais et de bureaucratie supplémentaires.

Il serait peut-être bon, monsieur le président, d'examiner d'abord ce que les autres pays ont fait avant nous et voir le tableau que le sénateur Meighen a demandé, fort raisonnablement d'ailleurs. Nous pourrions en rester là pour l'instant, mais il est certain que je continue à me demander s'il est vraiment nécessaire d'ajouter à la bureaucratie en créant une nouvelle entité. J'imagine que tous les pays n'ont pas procédé de cette façon, n'est-ce pas?

M. Lalonde: En effet, mais de nombreux pays s'y sont également pris de la même façon que nous, les États-Unis, l'Australie et la France par exemple. L'Allemagne est peut-être l'exception. Le Japon a également un organisme autonome. Il y en a d'autres également.

La principale différence est qu'étant donné les dispositions de la Charte et de la Constitution, il est impératif que les organismes d'exécution de la loi, les forces policières, soient indépendants du gouvernement afin qu'il y ait ce juste milieu entre les droits de la personne d'une part et la nécessité de faire appliquer la loi de l'autre. Si l'organisme était greffé à une force policière, ce juste milieu serait compromis. C'est la raison pour laquelle nous avons structuré aussi minutieusement les dispositions de la partie 3 du projet de loi.

Le sénateur Kroft: Nous avons ici un autre expert en la personne du sénateur Kelleher, qui a parlé du volet économique. J'aimerais savoir, étant donné ses responsabilités ministérielles passées à la tête d'organismes qui auraient pu constituer d'autres choix possibles, si le sénateur Kelleher a une opinion au sujet du bien-fondé de cette formule.

Le sénateur Kelleher: J'imagine que cette question pourrait s'adresser aussi bien à vous qu'à moi, sénateur Kroft. Dans le même ordre d'idée, il n'y a pas seulement le fait qu'on crée un nouvel organisme avec tout ce que cela suppose comme frais, mais aussi et je me demande d'ailleurs pourquoi -- j'imagine que j'affiche ici mon ancienne allégeance à l'endroit du Bureau du solliciteur général --, c'est le ministre des Finances plutôt que le solliciteur général qui reçoit les déclarations. Je ne suis pas contre le principe de l'autonomie, mais puisqu'il s'agit ici d'un texte destiné à réprimer la criminalité, pourquoi le centre ne ferait-il pas rapport, via le Parlement, au solliciteur général plutôt qu'au ministre des Finances?

Ne vous déplaise, le ministère des Finances est déjà passablement occupé à Ottawa et il ne lui ferait pas de mal de partager une partie de ses fonctions avec d'autres ministères. Peut-on être plus diplomate que cela?

M. Seeto: L'actuelle législation sur les produits de la criminalité est du ressort du ministre des Finances étant donné qu'elle concerne les intermédiaires financiers.

L'essentiel des discussions qui ont eu lieu au moment de l'élaboration de ce texte de loi et de son cadre de référence a été axé sur la formule à utiliser pour établir le centre sans déroger à la Charte. Que faire en effet si les tribunaux venaient à juger qu'il s'agit d'une intrusion dans la vie privée aux termes de la Charte? Nous avons eu des discussions longues et laborieuses à ce sujet.

Nous avions envisagé de subordonner le centre au solliciteur général, mais au bout du compte, les experts nous ont dit qu'il devrait plutôt faire rapport à un ministre qui n'a pas pour attribution la répression de la criminalité. Il a donc ainsi été décidé que cet organisme serait subordonné au ministre des Finances, mais ce n'est pas là quelque chose que le ministère des Finances avait lui-même voulu.

Le sénateur Kelleher: Il serait peut-être utile, monsieur le président, d'entendre à ce sujet un témoin du ministère du solliciteur général car, et n'en prenez pas ombrage, la réponse de M. Seeto ne m'a pas tout à fait convaincu. Quiconque fait rapport au Parlement de quelque chose qui relève essentiellement de la répression de la criminalité devrait au préalable avoir une certaine expérience et une certaine connaissance de la question. Encore une fois, ne le prenez pas mal, le solliciteur général est plus compétent à ce sujet que le ministère des Finances.

Je sais qu'il y a dans la salle quelqu'un du ministère du solliciteur général, mais cela ne me satisfait pas totalement, étant donné que la personne en question est en quelque sorte assise entre deux chaises.

M. Seeto: Je voudrais que M. Stan Cohen du ministère de la Justice réponde à votre question.

Le sénateur Kelleher: Je voulais simplement dire qu'à mon avis, ce n'est pas ce témoin-là que nous devrions entendre. J'aimerais avoir une opinion d'un haut fonctionnaire du bureau du solliciteur général.

Le président: Sénateur, nous allons prendre les dispositions nécessaires, mais d'ici là, entendons ce que ce monsieur a à dire car il pourra peut-être faire un peu la lumière sur la question.

M. Stanley Cohen, avocat-conseil principal, Section des droits de la personne, ministère de la Justice: Je pourrais peut-être vous expliquer en partie le raisonnement qui a conduit à cela. J'ai une fonction d'expert-conseil sur les questions relatives à la Charte des droits qui intéressent le système de justice pénale et, en l'occurrence, les questions qui touchent le phénomène du blanchiment de l'argent.

S'agissant de la décision de faire relever le centre du ministre des Finances plutôt que d'un autre ministre, il est vrai que, du point de vue de la stricte efficacité, il aurait été préférable de greffer cette entité à un organisme d'exécution de la loi. En revanche, la dynamique qui joue dans ce contexte est un phénomène relativement nouveau au Canada et, en ce qui concerne la Charte elle-même, elle fera assurément précédent.

En gros, l'organisme en question reçoit des renseignements personnels obtenus sans mandat, sans la sanction d'un magistrat ou tout autre contrôle préalable. Il s'agit d'une information qui est recueillie à partir de la norme du «soupçon raisonnable», par opposition aux «motifs raisonnables et probables» qui gouvernent l'obtention d'une information par le biais d'un mandat de perquisition.

Un organe central compile une masse d'informations qui, pour l'essentiel, ne permettent pas encore d'affirmer qu'il y a des motifs raisonnables et probables de croire qu'une infraction quelconque ait été commise. Il importe par conséquent -- et je pense que je puis vous rappeler ici la jurisprudence --, de protéger les renseignements personnels, ce qui est à l'évidence la raison d'être de la nature et de la structure mêmes du système tout entier.

On part donc du principe qu'avant que cette information, qui a été recueillie sur la base d'un simple soupçon, en plaçant donc la barre relativement bas, soit transmise aux forces policières, il faut qu'elle soit au préalable évaluée et validée.

Il fallait donc essentiellement que l'organe en question soit relativement indépendant des organismes d'application de la loi. Autrement, il aurait été beaucoup plus facile de leur transmettre automatiquement l'information aux forces policières, ce qui aurait fait du centre un dispositif de surveillance et de renseignement d'une envergure assez impressionnante.

Une fois que l'on accepte l'idée que quelqu'un doit s'interposer entre le moment où les informations sont recueillies et celui où elles sont remises aux autorités d'application de la loi, il faut se pencher sur le modèle que l'on veut avoir.

On pourrait avoir un modèle intégré aux forces de l'ordre, mais cela nécessiterait la création de toute une infrastructure bureaucratique pour faire le tri entre les informations initiales et celles qui seront remises aux enquêteurs policiers si l'on veut protéger la vie privée des gens. N'oubliez pas que d'autres modèles, comme le SCRS, ont une vaste structure bureaucratique très sophistiquée et coûteuse. Il y a un inspecteur général et l'organisme lui-même, et puis il y a le ministre, qui est à une certaine distance du SCRS, et il y a aussi des exigences de rapport.

Si l'on sépare cet organisme des autorités d'application de la loi, on lui permet de «décoller»; autrement dit, on ne réalise pas un investissement énorme de fonds publics qui auront été dépensés en pure perte dès lors qu'à la première contestation constitutionnelle sérieuse on pourra dire qu'il y a eu détournement injustifié d'information privée appartenant à des Canadiens.

L'idée était d'avoir une structure qui protégerait mieux la vie privée tout en répondant efficacement aux exigences d'application de la loi.

Le sénateur Kelleher: Je voudrais vous faire remarquer très respectueusement que vous n'avez pas entièrement répondu à mes préoccupations.

Supposez un instant que nous soyons d'accord avec vous pour juger que cet organe indépendant et sans lien de dépendance constitue la meilleure solution. À mon avis, cet organisme devrait faire rapport au solliciteur général et non au ministre des finances, qui franchement s'y connaît moins en matière d'application de la loi que le solliciteur général, par exemple.

M. Cohen: Si vous dites que l'organisme doit soumettre ses rapports au solliciteur général, vous allez avoir un ministre responsable de la police -- autrement dit de la surveillance de la GRC -- et de la sécurité nationale par le biais du SCRS, et qui va aussi diriger un organisme qui est censé être sans lien de dépendance avec les autorités d'application de la loi. Étant donné la façon dont cela pourrait être perçu dans le public, ce serait difficile à faire passer. C'est une possibilité, mais on donnerait l'impression qu'il y a des liens beaucoup plus étroits que ceux que le public ou les tribunaux sont prêts à accepter.

Le sénateur Kelleher: Nous pourrons y revenir un autre jour.

Le sénateur Furey: Je crois que le gros problème, ce n'est pas tant la perception du public que la question de savoir si un tel dispositif résisterait à une contestation en vertu de la Charte. Est-ce exact?

M. Cohen: C'est exact.

Le sénateur Furey: C'est plutôt à cela que vous pensez.

M. Cohen: Nous pouvons commencer par cela, mais cela nous ramène à toute la question de savoir ce que cela implique et à la notion d'obtention initiale des informations. Les contestations en vertu de la Charte s'appuieront sur une accusation d'intrusion dans la vie privée. Comment peut-on protéger la vie privée des gens? Cela nous ramène à la structure fondamentale de toute cette entreprise.

Le sénateur Furey: J'espère que personne ne parle de clause dérogatoire.

Le sénateur Kelleher: Si je peux continuer sur cette idée des répercussions au niveau de la Charte des droits -- et je crois que nous avons le bon témoin «à la barre», si vous voulez --, êtes-vous convaincus que les dispositions de fouille et de perquisition du projet et les dispositions de déclaration obligatoire résisteront à une contestation en vertu de l'article 8 de la Charte qui, comme vous le savez mieux que moi, précise que chacun peut être protégé contre les perquisitions et les saisies abusives?

M. Cohen: La meilleure façon de répondre à cette question, c'est de dire que ce dispositif a été élaboré avec un certain nombre de garanties qui guideraient les tribunaux dans leur évaluation de la validité constitutionnelle de cette entreprise.

Il s'agit d'un organisme indépendant, sans lien de dépendance avec les autorités d'application de la loi, ce qui est une des garanties de la vie privée, cette vie privée qui est au coeur de l'article 8.

Deuxièmement, vous avez un organisme impartial qui s'interpose entre le moment où l'information est recueillie et celui où elle est communiquée aux autorités d'application de la loi. Il s'agit du Centre d'analyse des opérations et déclarations financières du Canada. C'est une garantie de divulgation initiale limitée de l'information. Au lieu de remettre tout le dossier ou tout ce qui a été recueilli, on ne divulgue qu'une partie de l'information -- les «renseignements de base» -- aux organismes chargés de l'application de la loi. C'est ensuite à eux de monter un dossier s'ils veulent obtenir d'autres informations.

Il y a aussi la protection de ce que j'appelle la «non-disposition» de l'organisme à divulguer obligatoirement des informations allant au-delà des enquêtes sur le recyclage d'argent. On a érigé une sorte de mur, c'est-à-dire que l'information peut être transmise à l'organisme d'application de la loi, aux forces policières, mais elle n'est pas automatiquement transmise à Revenu Canada, à Citoyenneté et Immigration ou au SCRS, sauf s'il s'agit d'une question de recyclage financier qui relève de leur mandat précis.

Avant que l'organisme ne communique des renseignements complémentaires, il faut obtenir un mandat ou une ordonnance. C'est encore une protection du système.

Parmi les autres protections, il y a le rapport annuel dont on a déjà parlé, le réexamen quinquennal et les sanctions criminelles en cas de divulgation illégale.

Nous pensons que nous avons là un équilibre entre la protection des renseignements privés des particuliers et l'efficacité des organismes d'application de la loi.

Le sénateur Kelleher: J'ai l'impression qu'on ne définit pas très bien dans le projet de loi les types d'opérations qui doivent être signalées au centre. Je pense que cela pourrait susciter des problèmes dans le contexte de la Charte, et aussi entraîner la présentation de déclarations sur toutes sortes d'information extérieure. D'un autre côté, peut-être qu'on n'en transmettra pas suffisamment du type de celles que l'on recherche. Pensez-vous que nous pourrions resserrer ou préciser la définition des opérations qui devront être signalées?

M. Cohen: Je pense que vous avez mis le doigt sur le problème de la définition d'une «opération douteuse». Il faudra évidemment que les règlements répondent à cette question.

Le sénateur Kelleher: C'est le genre de choses qui préoccupent non seulement le président mais plusieurs autres membres du comité. On va reporter beaucoup trop de choses dans le règlement.

M. Cohen: Je pense qu'on peut répondre en partie à cette objection en mentionnant l'examen. Cinq ans, c'est peut-être long, mais c'est une durée qui nous aura permis de voir comment fonctionne le système et s'il répond bien aux attentes du public. Je pense que la façon dont les deux Chambres du Parlement exerceront une supervision sur ces règlements est un autre élément de réponse.

Le rapport annuel pourrait très bien être un moyen d'informer encore mieux le public sur ce qui se fait exactement avec le règlement. On ne pourra jamais définir avec une précision absolue la notion de soupçon raisonnable ou d'opération douteuse. Cette notion de motifs raisonnables de suspecter, ou de suspicion raisonnable, doit constamment être clarifiée dans la jurisprudence concernant la Charte. La meilleure définition de cette notion de soupçon raisonnable -- cela a été établi dans une cause approuvée par la Cour suprême du Canada -- c'est qu'il s'agit d'une constellation de faits objectivement discernables qui donnent à l'agent un motif raisonnable de soupçonner que l'auteur de l'information participe de façon criminelle à l'activité qui fait l'objet de l'enquête. Un soupçon purement intuitif fondé sur l'expérience de l'individu ne suffit pas, quelque soit l'exactitude de ce soupçon.

Cela ne nous donne pas beaucoup de précision, mais les tribunaux se servent de cette norme et l'appliquent à certaines situations concrètes dans des affaires criminelles pour déterminer si les agents avaient ou non des motifs raisonnables de soupçonner l'existence d'un crime.

Il faudra dans une certaine mesure se fonder sur l'expérience et les raffinements qui seront apportés aux lignes directrices. Ces lignes directrices peuvent comporter des exemples de situations hypothétiques qui pourraient être plus précises que la norme elle-même. Elles pourraient servir à clarifier la façon dont l'information doit être recueillie au départ.

Le sénateur Tkachuk: Dans ce cas, toutefois, ce ne sont pas les employés du centre mais les personnes appelées à soumettre une déclaration qui vont juger de ce qui est douteux: les employés d'une banque, d'une institution, d'un casino, par exemple. Ce sont ces personnes qui vont se prononcer sur la nature «douteuse» d'une opération. Ce ne sont pas des agents d'application de la loi, ce sont des civils du monde des affaires. Comment des amateurs vont-ils pouvoir prendre cette décision?

M. Seeto: Le projet de loi prévoit deux catégories d'opérations douteuses. Nous stipulerons que certaines opérations doivent être signalées au centre. Par exemple, nous demanderons à la banque de signaler si quelqu'un se présente avec 10 000 $ en espèces, ce qui est inhabituel. Il faudra qu'elle le signale au centre.

Le sénateur Tkachuk: Et 9 999 $?

M. Seeto: La banque n'aurait pas à le signaler.

La deuxième catégorie, ce sont les transactions qui seraient jugées douteuses. Si quelqu'un se présentait avec 9 999 $ et demandait à partir de quel montant la banque signale une transaction au centre, on pourrait envisager de le signaler. Il faudrait cependant être sûr des motifs pour lesquels on soupçonnerait la présence d'une opération douteuse. Il y a deux catégories dans le projet de loi.

Le sénateur Tkachuk: Est-ce que c'est l'utilisation de l'argent qui entraîne un soupçon, c'est-à-dire que même si le montant n'est pas de 10 000 $ mais de 9 999 $ ou de 7 950 $, on va quand même demander à un amateur de prendre une décision? À partir de 10 000 $, c'est automatique, mais en dessous de ce montant, il y a une décision subjective.

M. Seeto: Pour aider ces institutions, nous proposons que le centre élabore des lignes directrices permettant de déterminer si une opération est douteuse ou non. Comme je l'ai dit, le Surintendant des institutions financières a élaboré un ensemble de directives à l'intention des institutions régies par le gouvernement fédéral pour les aider à déterminer si une opération est douteuse ou non. D'autres pays ont des régimes analogues et ont élaboré des lignes directrices sur les opérations douteuses en fonction de l'expérience. Nous examinerons cela et le centre élaborera un ensemble de lignes directrices pour aider ces intermédiaires financiers à juger s'il y a ou non une opération douteuse.

Le sénateur Oliver: J'ai peur que cela ne serve à entretenir les stéréotypes ethniques. Si j'appartiens à une minorité visible et que j'arrive du Nigéria, de la Jamaïque ou de l'Inde dans un de ces établissements, je serai certainement plus suspect que si je suis un blanc qui arrive de Bay Street avec 9 000 $ en espèces. J'ai l'impression que vous allez encore entretenir l'existence de stéréotypes négatifs chez les bureaucrates et les juristes, et je crois que c'est inadmissible. On va tout simplement entretenir la racisme systémique, voilà tout.

M. Cohen: Vous dites que les caissiers de banque et d'autres personnes auront une attitude qui va entretenir un racisme systémique, et je ne sais pas trop comment vous répondre. Il y a deux niveaux de recueil de l'information avant qu'elle puisse porter à conséquence. Il faut qu'il y ait un premier niveau de recueil de l'information. Si quelqu'un se présente à la banque, le caissier va préparer un rapport selon qu'il juge que l'opération est ou non douteuse. Certes, cette information va être transmise au Centre d'analyse des opérations et déclarations financières, mais elle n'ira pas plus loin tant qu'il n'y aura pas eu une évaluation plus objective et plus professionnelle, en fonction de renseignements beaucoup plus poussés. Il y a donc un deuxième contrôle professionnel de l'information avant qu'elle soit transmise aux organismes d'application de la loi.

C'est une garantie supplémentaire ou une raison supplémentaire d'avoir cet organisme entre l'institution bancaire et l'organisme d'application de la loi.

Je crois que cela répond à la question de savoir s'il y aura des conséquences pour les individus lorsqu'on recueillera ces informations initiales. Il n'y aura aucune divulgation de ces informations aux organismes d'application de la loi tant qu'il n'y aura pas eu une deuxième évaluation.

Le sénateur Oliver: Pourriez-vous nous dire de quelle affaire de la Cour suprême vous avez tiré votre définition de «soupçon raisonnable»?

M. Cohen: Il s'agissait initialement d'une décision de la Cour d'appel de l'Ontario. Elle a été ensuite ratifiée par une décision de la Cour suprême dans l'affaire la Reine c. Jacques. La citation que j'ai est 1996, 110 Canadian Criminal Cases, 3rd, page 11.

Le sénateur Angus: Le projet de loi à l'étude est fort intéressant. Étant donné sa complexité manifeste, je suis ravi que vous ayez pou venir nous en parler ce matin.

Certaines de mes questions vont peut-être vous sembler naïves. Croyez bien cependant qu'elles sont tout à fait sincères. L'expression «recyclage des produits de la criminalité» est devenue un peu «folklorique». Je discutais l'autre soir avec quelques autres personnes de cette fameuse notion. On parle d'argent de provenance illégale. Nous avons commencé à nous demander de quels actes illégaux il s'agissait au juste. Certains pensaient que c'était la fraude fiscale, par exemple, et que ce projet de loi faisait partie d'un effort concerté de la plupart des 28 pays dont vous avez parlé pour réprimer la fraude fiscale et la fuite d'argent. D'autres disent qu'il s'agit du trafic de drogue ou d'autres choses.

Pourriez-vous me donner un petit aperçu du genre de crimes dont vous parlez, et éventuellement quelques exemples de la façon dont l'argent est recyclé? Nous voyons tous à la télévision des émissions où l'on parle sans arrêt de cela; mais nous en sommes maintenant à l'étape législative et nous essayons d'être aussi précis que possible. Nous avons besoin de comprendre ce qui se passe.

M. Lalonde: Monsieur le président, je peux vous expliquer très brièvement en quoi consiste ce recyclage. Toutefois, nous avons aussi des témoins de la GRC qui sont prêts à vous communiquer des exemples plus détaillés.

Sous sa forme la plus élémentaire, le recyclage désigne le produit d'une activité criminelle. Notre code criminel définit les infractions pour lesquelles vous pouvez être accusé de recyclage. Cela consiste à utiliser les produits d'une activités criminelle et à les recycler dans le système financier en essayant de cacher leur origine illicite par le biais d'une série de transactions. C'est la forme la plus simple.

Le sénateur Angus: Pourriez-vous me donner un exemple simple, en dehors de celui du trafiquant de drogue?

M. Lalonde: Eh bien par exemple, un négociant en valeurs mobilières qui tente d'escroquer ses clients va prendre une partie de son argent, en espèces ou sous une autre forme, et essayer de le mettre en circulation dans le système bancaire. N'ayant pas éveillé les soupçons, il va continuer avec une succession d'autres transactions pour continuer à brouiller sa trace depuis l'activité criminelle initiale.

Le sénateur Angus: Je ne comprends pas bien. Vous parlez d'un négociant en valeurs mobilières qui obtient de l'argent d'un client?

Le président: Puis-je faire une suggestion, sénateur? Dave Beer, qui est le surintendant de la Direction générale des produits de la criminalité à la GRC est ici aujourd'hui. Peut-être pourrait-il nous donner un exemple.

Vous parlez d'un problème totalement différent, si je puis me permettre, sénateur. Vous parlez de la fraude directe, c'est-à-dire du vol, par opposition aux activités liées à la drogue, qui concernent uniquement de l'argent en espèces. Vous nous donnez un exemple de quelque chose qui se produit plutôt rarement dans le secteur des valeurs mobilières, j'imagine.

Le sénateur Angus: Apparemment, c'est très fréquent.

Le président: Quelqu'un de la GRC pourrait-il nous éclairer?

M. Dave Beer, surintendant, Direction des produits de la criminalité, Gendarmerie royale du Canada: Monsieur le président, pour remettre les choses en perspective, je vais appeler dans un instant mon collègue, l'inspecteur Garry Clement, qui est agent responsable de notre bureau des produits de la criminalité, c'est-à-dire notre unité opérationnelle ici à Ottawa.

Quand on parle de recyclage d'argent, on parle de la circulation des gains malhonnêtes d'organisations criminelles. Cela se produit lorsque les forces de l'ordre ne réussissent pas à démanteler ou à bloquer les activités de crime organisé par des moyens conventionnels. Il s'agit en fait de mettre au jour des groupes criminels organisés. Pendant des années, nous nous sommes attaqués à des groupes de criminels de niveau inférieur ou moyen par le biais d'enquêtes approfondies. Les enquêtes sur le recyclage nous permettent de frapper à la tête de ces groupes de criminels organisés, là où aboutissent en fin de compte ces sommes d'argent. Cela dit, c'est très compliqué et c'est devenu un problème international de déplacement de l'argent qui est divisé et réparti après avoir été obtenu illégalement, de manière à être réintégré dans le «monde des affaires légitimes», si vous voulez.

Je demanderais maintenant à l'inspecteur Clement de vous donner quelques exemples du genre d'activités criminelles qui vous intéresse, en dehors du trafic des stupéfiants. Essentiellement, toute activité criminelle donnant lieu à des rentrées en espèces peut déboucher sur une tentative de recyclage de cet argent en vue de l'investir dans des secteurs légitimes de l'économie et ainsi d'en camoufler l'origine.

Le sénateur Angus: Je suis heureux d'avoir ce complément d'information. Toutefois, ce que je voulais savoir au fond, c'était la véritable raison de ce projet de loi et des projets de loi semblables dans 27 autres pays, qui sont censés lutter contre le crime organisé et les réseaux internationaux de criminalité, par opposition à la fraude fiscale au Canada. C'est bien cela?

M. Beer: L'objectif, c'est le crime organisé.

Le sénateur Angus: Je comprends que les produits de la criminalité sont imposables, et il y a donc une question de fraude fiscale aussi. Toutefois, ce n'est pas particulièrement la fraude fiscale des particuliers que vous poursuivez ici, même si globalement cela entre dans le champ d'ensemble de ces recherches?

M. Lalonde: Soyons clairs. Au Canada, vous pouvez être accusé de recyclage au titre de divers crimes. Cela peut aller de la prostitution ou d'une infraction liée au trafic de drogue à la pornographie infantile -- il y a toute une liste de crimes dans le Code criminel. La fraude fiscale n'est pas directement mentionnée au titre du recyclage au Canada. Dans d'autres pays, par exemple au Royaume-Uni, la fraude fiscale est une infraction qui relève du recyclage. Par conséquent, même si nous avons le même objectif de lutte contre le crime organisé, notre projet de loi s'adresse spécifiquement au recyclage des produits d'un certain nombre d'infractions clairement stipulées.

M. Beer: Je vais demander à l'inspecteur Clement de nous donner quelques exemples en dehors du domaine de la drogue.

M. Garry Clement, inspecteur, responsable de la Section des produits intégrés de la criminalité, Division «A», Gendarmerie royale du Canada: Monsieur le président, prenons comme exemple quelque chose que nous lisons constamment dans les journaux. Prenons les gangs de motards. Nous sommes au courant, nous savons qu'il y a des guerres de motards au Québec. Je m'occupe de l'application de la loi dans ce domaine depuis le début des années 70, et nous avons vu ces bandes de malfrats au départ se transformer en sociétés multinationales d'activités criminelles. Nous avons des groupes cibles pour les stupéfiants. Nous nous sommes concentrés sur un groupe et nous l'avons vu se développer. Nous avons réussi à saisir des stupéfiants, mais jamais les produits de cette criminalité. Le crime organisé se déplace partout où il peut faire de l'argent. Il pourra très bien s'agir d'un autre type d'infraction demain, mais la plupart du temps il s'agit d'infractions qui sont prescrites par le Code criminel, et il y a donc de nombreuses infractions sur lesquelles nous pouvons intervenir. Il y a notamment la prostitution. Le commerce des femmes esclaves, comme je l'appelle, est très répandu dans le monde de nos jours. Ces gangs gagnent énormément d'argent avec ce commerce. Nous pouvons intervenir contre eux en nous appuyant sur la Loi sur les produits de la criminalité.

Nous pensions tous que nous réussissions bien à appliquer la loi. Toutefois, nous avons examiné deux ingrédients, à savoir l'activité criminelle elle-même et ce que faisait les individus. Nous avons ensuite essayé de cerner ces individus, mais nous sommes passés à côté d'un élément absolument fondamental, le profit. Toutes ces activités criminelles génèrent des profits considérables. Le trafic d'armes est un autre secteur en pleine expansion qui rapporte beaucoup. La Chambre examine actuellement le problème du passage d'immigrants clandestins, mais ce n'est pas considéré comme une entreprise criminelle. Il va pourtant falloir s'en occuper.

Ce genre d'activités rapporte beaucoup d'argent. La seule façon de nous en prendre au crime organisé, c'est de considérer qu'il s'agit d'un conglomérat d'entreprises criminelles et de s'attaquer à leurs sources d'approvisionnement financier, car c'est là que réside leur pouvoir. Nous ne réussirons pas tant que nous continuerons à nous en tenir uniquement à ce type d'infraction criminelle.

Le sénateur Angus: Voilà qui est utile. À propos de prédicats de crimes, ce que l'on entend populairement, ce sont des commentaires du genre: «Tu vois ce restaurant? Il appartient aux Hell's Angels». On met ça sur le compte de quelqu'un qui a beaucoup d'imagination et qui regarde trop la télévision. Pourriez-vous tout de même nous donner quelques exemples de la façon dont se déroule le recyclage dans ce cas?

Est-ce que c'est ce genre de choses -- une entreprise légitime alimentée par l'argent des Hell's Angels?

L'inspecteur Clement: Au fond, ce qui se passe, c'est que des individus essayent de recycler de l'argent pour donner l'impression qu'il est légitime; ils se servent donc de l'infrastructure financière à leur disposition. Une organisation qui fonctionne très bien, par exemple un gang de motards, va se servir de pays étrangers où règne le secret bancaire, et établir des fiducies, des sociétés de portefeuille et des sociétés à dénomination numérique. On va par exemple acheter un petit restaurant au coin de la rue avec de l'argent emprunté à une entreprise du Liechtenstein, qui se trouve être la propre société de ce gang. C'est la technique de l'auto-prêt. Quand le projet de loi que vous étudiez sera finalement adopté, nous pourrons aussi intervenir sur ce genre de mouvement de fonds. Les informations seront transmises au centre une fois que l'on suspectera ce genre d'activité. Le centre aura des critères pour analyser l'information et voir s'il y a effectivement recyclage. En conséquence, on nous transmettra ces «données de base».

Grâce à nos banques de renseignements, nous pourrons bien gérer tout cela. Depuis six ans, les banques nous signalent occasionnellement des opérations douteuses, et cela nous a été très utile. Toutefois, elles ne le font pas de façon très systématique, et je crois c'est le problème pour tout le monde. C'est très sporadique et il n'y a pas de véritable mécanisme.

Je pense que le projet de loi va combler cette lacune au Canada et nous aider à lutter contre le recyclage. Nous allons pouvoir poursuivre ces sociétés qui se réfugient à l'étranger. Nous en saurons plus sur les groupes de criminels organisés. Ce n'est certainement pas une panacée, mais cela nous sera très utile.

Le sénateur Angus: Monsieur Seeto, j'ai une autre question. Je trouve étrange, surtout dans une société comme le Canada où nous prenons très au sérieux ces questions de vie privée, que nous soyons le dernier de ces 28 pays à «entrer dans la danse»? Pourquoi? C'est un peu gênant que le Canada soit le dernier de ces 28 pays à le faire.

M. Seeto: Je ne connais pas le dossier depuis très longtemps, mais je crois que l'un des gros problèmes était de mettre sur pied une structure qui serait défendable du point de vue constitutionnel. Il a fallu beaucoup de temps pour examiner les différentes structures possibles avant d'en proposer une qui, à notre avis, pouvait se défendre, une structure qui allait renforcer les moyens des organismes d'application de la loi tout en protégeant le plus possible la vie privée des citoyens. Je pense que c'est cela, la raison. Nous avions un problème bien particulier en raison de notre Constitution et de nos lois.

M. Lalonde: J'aimerais ajouter quelque chose et rectifier une impression. Il existe déjà au Canada un régime de tenue de documents où les clients sont identifiés, et d'autres lois. Ce n'est pas comme si nous étions partis de zéro. Nous avons déjà de nombreux éléments de cette architecture qui sont en place. Le système de rapport volontaire, malgré ses lacunes, a tout de même donné de bons résultats. C'est probablement pour cela que le Canada a mis un peu plus longtemps à mettre en place cette «plomberie» supplémentaire que les autres pays ont déjà.

Le sénateur Angus: Ai-je raison de penser que le projet de loi C-22 va regrouper ces dispositions législatives antérieures au sein d'un même projet de loi?

M. Lalonde: En effet.

Le sénateur Angus: Je pense que c'est donc bien du point de vue des organismes d'application de la loi. Vous êtes satisfait du dispositif proposé? Est-il satisfaisant, et est-ce que le projet de loi, s'il est adopté tel quel, nous donnera le pouvoir de collaborer avec les autres pays pour lutter contre ce problème?

M. Beer: Je pense que M. Lalonde a bien répondu à la question. Nous avons eu l'occasion d'examiner les systèmes au sein du G-7 et nous sommes persuadés que nous pourrons à la fois maintenir les principes démocratiques canadiens et atteindre certains des objectifs d'application de la loi qu'il est à notre avis nécessaire d'atteindre en ce qui a trait à la déclaration obligatoire.

Le sénateur Angus Vous aurez dit «certains» des objectifs?

M. Beer: Oui. Il est clair que nous n'allons pas tous les atteindre. Dans un régime démocratique, il faut tenir compte des préoccupations relatives à la protection des renseignements personnels, ce que nous avons fait. Je crois que nous avons trouvé un juste équilibre.

Le sénateur Furey: Ma question porte sur la création de ce nouvel organisme. On a répondu à la plupart des questions que je voulais poser, mais il m'en reste quand même quelques unes. Quel est le coût estimatif? A-t-on fait une analyse des coûts, en tenant compte de certaines des observations de M. Cohen au sujet de sa séparation des autres organismes d'application de la loi?

M. Horst Intscher, directeur exécutif, Équipe de transition -- Centre canadien d'analyse des opérations et déclarations financières et des rapports, ministère des Finances: Monsieur le président, le ministère des Finances a mis sur pied une petite équipe de transition qui s'occupe de certains préparatifs en vue de la création du centre une fois le projet de loi adopté. Nous avons longuement réfléchi à la façon dont d'autres utilités du genre ont été créées ailleurs. Nous avons examiné le mandat énoncé dans le projet de loi C-22 et nous avons pu établir une estimation approximative de ce que cela coûtera. Selon nos estimations, le centre coûtera environ 15 millions de dollars par an et emploiera environ 90 personnes. Cela inclut le soutien technique pour la réception de telles déclarations; l'analyse des déclarations; la vérification de la conformité des entités de déclaration; et la gestion de la divulgation aux organismes d'application de la loi.

Cela est à peu près comparable à un organisme semblable qui a été créée en Australie. Le coût est considérablement moindre que ce que les États-Unis dépensent pour la même chose. Nous n'avons toujours pas déterminé l'ampleur des coûts de lancement pour mettre en place les systèmes de technologie de l'information en vue de traiter ce genre d'information.

Il s'agit là de coûts ponctuels qui s'étaleront sur les deux premières années d'exploitation du centre. Nous estimons cependant qu'il coûtera environ 15 millions de dollars par an.

Le sénateur Furey: Avez-vous une idée de la façon dont ce coût pourrait se comparer à la mise en place d'un système greffé à un organe existant, en tenant compte des observations de M. Cohen?

M. Intscher: Étant donné l'exigence d'indépendance des organismes d'application de la loi, je pense que les coûts seraient très semblables. On pourrait faire quelques petites économies au niveau du soutien administratif, mais il faudrait de toute façon avoir des systèmes distincts et ces systèmes sont sans doute le principal élément de ce genre d'entité. Par conséquent, je ne crois pas que l'on réaliserait des économies majeures si le centre se trouvait au sein d'un organe existant.

Le sénateur Furey: Selon vous, le coût estimatif serait de 15 millions de dollars par an?

M. Intscher: Oui, mais je souligne qu'il s'agit pour le moment d'une estimation très approximative.

Le président: Je voudrais poser une question au représentant de la GRC. Si vous le pouvez, je vous demanderais de répondre oui ou non. Auriez-vous été plus heureux si cette responsabilité vous avait été confiée?

M. Beer: Voulez-vous une réponse du policier ou du citoyen d'un pays démocratique? Non, sénateur, je pense que c'est très bien ainsi. Je suis fermement convaincu que dans l'intérêt de la protection des renseignements personnels et des principes démocratiques que nous préconisons, ce n'est pas une mauvaise idée que le centre soit indépendant des services de police.

Le président: Ce n'est pas vous mais nous qui sommes les diplomates ici.

M. Beer: Pour être tout à fait franc, si les renseignements étaient remis directement à la police, l'opération serait de toute évidence plus efficace et plus efficiente. En même temps, cela pourrait donner lieu à toutes sortes d'abus. C'est l'une des raisons pour lesquelles cela se fera, nous l'espérons, comme il est proposé.

Le président: On a posé des questions au sujet de la fraude fiscale. N'est-ce pas le contraire de la fraude fiscale? Lorsqu'il y a blanchiment d'argent, il faut payer des impôts sur cet argent, n'est-ce pas?

M. Seeto: Dans ce cas, oui.

Le président: Ça devrait se payer tout seul. Nous allons passer au prochain intervenant.

Le sénateur Tkachuk: J'ai un certain nombre de questions dont certaines font suite aux observations du sénateur Kroft tout à l'heure, qui a dit que la plomberie du projet de loi ne posait pas de problème. Je ne suis pas sûr de ce qu'il voulait dire. Dans son rapport annuel de 1999-2000, le commissaire à la protection de la vie privée exprime un certain nombre de préoccupations, notamment, en ce qui concerne la notification, la collecte et la divulgation des renseignements des clients. En d'autres termes, supposons que le sénateur Kroft, le sénateur Kelleher ou moi-même allons dans une banque et que cette dernière estime que nous avons fait une opération de nature douteuse et la déclare. En sommes-nous informés, même si en fin de compte on détermine que tout est en règle. Le sénateur Kroft sera-t-il avisé que ces renseignements sont envoyés au centre?

M. Seeto: L'obligation de l'institution financière de faire rapport au centre peut être communiquée au client. L'institution pourrait par exemple mettre des affiches ou distribuer des dépliants aux clients pour décrire les exigences en matière de déclaration. Par ailleurs, l'institution pourrait choisir d'aviser un client qu'elle déclare au centre une opération visée par règlement. Il pourrait s'agir par exemple d'espèces d'une valeur supérieure au montant réglementaire. Cependant, le projet de loi interdit à quiconque qui fait une déclaration d'opération douteuse de le divulguer, ou d'en divulguer le contenu, avec l'intention de nuire à une enquête criminelle.

Le sénateur Tkachuk: Par conséquent, la banque ou toute institution financière peut simplement dire: «Cette opération est douteuse». Il ne faut pas oublier qu'il y a un article qui donne une plus grande marge de manoeuvre que le critère d'un simple montant en espèces, car l'opération semble bizarre ou louche. Quoiqu'il en soit, l'opération semble douteuse et elle est déclarée. Cependant, le centre conclut que l'opération ne pose aucun problème car après avoir fait enquête sur la personne en question -- sa vie sexuelle, ses dossiers bancaires, ses antécédents de travail et tout le reste --, elle n'a rien trouvé de douteux. Qu'arrive-t-il à ce moment-là? Cette personne est-elle avisée qu'elle a fait l'objet d'une enquête, même si rien n'a été déclaré à la police?

M. Seeto: Permettez-moi de préciser une chose.

L'organisme proposé n'a pas de pouvoirs d'enquête. En fait, c'était l'un des critères lorsque la proposition a été élaborée.

Le sénateur Tkachuk: Nous y arriverons plus tard, mais veuillez d'abord répondre à la question.

Le citoyen est-il avisé?

M. Seeto: Non. Tous les droits du citoyen sont protégés par la Loi sur la protection de la vie privée. Notre projet de loi reconnaît cela, mais lorsqu'il y a déclaration d'opération douteuse aux termes de l'article 7, il ne faudrait pas s'attendre à ce que cela soit divulgué à la personne ou au client, et ce, pour deux raisons. Tout d'abord, l'efficacité ou l'application de la mesure proposée risque d'être compromise si cela était divulgué au client. Un client qui serait impliqué dans le crime organisé et qui aurait facilement accès au fait qu'il y a eu une déclaration serait en mesure de déterminer dans quelles circonstances des déclarations futures pourraient être faites. Cela nuirait certainement à l'application de la future loi.

Deuxièmement, les déclarations d'opération douteuse sont de toute évidence faites à la discrétion de l'institution financière, d'un caissier ou d'un agent d'application de la loi.

Si la personne qui fait l'objet d'une déclaration était au courant qu'un caissier de banque, un agent d'application de la loi ou quelqu'un d'autre avait fait une déclaration, cela pourrait nuire ou compromettre l'application de la mesure. On pourrait se demander si un employé de banque chargé d'appliquer la loi serait à l'aise de faire une déclaration s'il savait que la personne visée par cette déclaration pouvait en être informée. Il craindrait peut-être pour sa sécurité personnelle en pareil cas.

Lorsque nous parlons d'autres opérations qui font l'objet d'une déclaration aux termes du projet de loi, par exemple, les opérations visées par règlement, tout le monde sait que le règlement stipule que les banques doivent déclarer ce type d'opérations. Ce n'est un secret pour personne et l'intéressé le saura.

De la même façon, lorsqu'une personne déclare qu'elle traverse la frontière avec 10 000 $ ou plus en espèces ou en effets, elle sait qu'une déclaration sera envoyée au centre. Nous parlons ici de déclarations concernant les opérations douteuses qui sont faites aux termes de l'article 7. Comme j'ai tenté de l'expliquer, si l'intéressé était mis au courant qu'une déclaration a été faite à son sujet, cela compromettrait l'efficacité de la loi et nuirait à son objectif.

Le sénateur Tkachuk: Il y a deux choses. Si un citoyen dépose 11 000 $ dans un compte de banque, par exemple, il sait fort bien que cette opération sera déclarée, même ce dépôt s'explique par le fait qu'il est propriétaire d'un restaurant ou a tout simplement eu une bonne journée.

La personne qui fait le dépôt sait que l'opération sera déclarée. Cependant, elle ne se rend pas compte que cette opération est considérée douteuse. En posant la question, je ne voulais pas savoir si la personne obtiendrait une certaine légitimité du fait qu'elle ait été avisée.

J'imagine que lorsque le centre reçoit la déclaration, il effectue une vérification du casier judiciaire. Selon ce document, le commissaire à la protection de la vie privée semble croire que le centre pourrait, en plus des renseignements concernant les antécédents criminels de la personne, recueillir de l'information concernant son emploi, ses transactions financières, ses déplacements, ses revenus et peut-être même ses relations personnelles. Le centre peut-il faire cela même avant de faire rapport à la police?

M. Seeto: Il y a plusieurs questions ici.

Le sénateur Tkachuk: Effectivement.

M. Seeto: Outre les déclarations, le centre a-t-il accès à d'autres renseignements? Le projet de loi stipule que le centre ne peut conclure des ententes pour avoir accès aux bases de données de la police que dans le cas de blanchiment d'argent. En d'autres termes, pour obtenir des renseignements à partir des bases de données de la police, il faut que ce soit dans un but pertinent au projet de loi, c'est-à-dire pour dissuader et déceler le blanchiment d'argent.

Je pense que le projet de loi dit clairement si le centre doit ou non avoir accès à des bases de données qui contiennent de l'information tout à fait différente. L'information doit être obtenue dans le but précis de dissuader et de déceler le blanchiment d'argent.

Le sénateur Tkachuk: La déclaration est automatique, n'est-ce pas?

M. Seeto: Oui.

Le sénateur Tkachuk: L'institution fait la déclaration, puis le centre fait enquête, n'est-ce pas?

M. Seeto: Oui.

Le sénateur Tkachuk: Va-t-il recueillir ce genre d'information? Pouvez-vous m'assurer qu'il ne va pas recueillir cette information, ou dites-vous qu'il le fera?

M. Seeto: Il recueillera les déclarations.

Le sénateur Tkachuk: De qui?

M. Seeto: Le centre sera un récipiendaire passif des déclarations qui seront faites conformément au projet de loi proposé. Il ne peut pas demander d'autres renseignements. Par exemple, si le centre reçoit une déclaration d'opération douteuse d'une banque, et qu'il trouve cette déclaration intéressante, il ne peut aller chercher d'autres renseignements au sujet du client en question auprès de l'institution. Cela outrepasserait son mandat aux termes du projet de loi proposé.

Le sénateur Tkachuk: Que fait le centre?

Le président: Si vous me permettez d'intervenir une seconde, vous m'avez complètement embrouillé.

Le sénateur Tkachuk: Oui, je m'y perds.

Le président: Je ne sais pas si c'était vous ou quelqu'un avant vous, qui a dit que le centre n'a pas de pouvoirs d'enquête. Vous nous dites maintenant le contraire.

M. Seeto: Le centre n'a pas de pouvoirs d'enquête.

Le président: S'il recueille des renseignements, qu'est-ce qu'il en fait?

M. Seeto: C'est peut-être pour faire une analyse des données. C'est peut-être une question de terminologie.

M. Beer: Je pense que le terme que vous cherchez est «analyse» plutôt que «enquête».

Le président: Voyons donc.

Le sénateur Tkachuk: Comment va-t-on déterminer si la police devrait faire enquête au sujet d'une opération? Recevez-vous tout simplement un document de la banque? Décidez-vous tout simplement que le nom du client ne vous revient pas, ou faites-vous sur ce dossier une enquête du genre qui préoccupe le commissaire à la protection de la vie privée -- emploi, transactions financières, déplacements, revenus, relations professionnelles et d'affaires et même relations personnelles?

Le président: Vous devez peut-être faire une enquête. Je ne le sais pas.

Le sénateur Tkachuk: Je ne le sais pas non plus.

Le président: Autrement, à quoi sert le centre? Est-ce tout simplement un organisme qui recueille des chiffres? J'espère que ce n'est pas le cas, car pour être efficace, vous devez agir.

Êtes-vous en train de dire que ce sont les services de police qui devraient faire l'enquête que vous dites ne pas faire?

M. Beer: Puis-je intervenir?

M. Clement: Monsieur le président, je peux peut-être vous aider. Au cours des cinq dernières années, tout comme mon collègue à l'arrière, j'ai sans doute lu des milliers de déclarations d'opérations douteuses qui nous ont été envoyées.

Je pense qu'il y a malentendu concernant l'expression «opérations douteuses». Elles sont douteuses aux yeux d'un directeur de banque dans une petite ville qui connaît bien sa clientèle. Les directeurs de banque ne sont pas différents de nous. Nous connaissons très bien nos clients. Si une personne entre dans cette banque et fait quelque chose qui sort tout à fait de l'ordinaire, après avoir été client pendant des années, cela fait naître des soupçons. Par conséquent, une opération douteuse est déclarée.

Au fil des ans, j'ai traité avec de nombreux directeurs de banques locales au niveau local et de banques plus importantes. Ils font ces déclarations lorsque quelque chose sort de l'ordinaire. La plupart du temps, il y a une explication. Ce ne sont pas des opérations de nature criminelle. Nous recevons ce genre de déclarations aujourd'hui.

L'autre côté de la médaille, c'est qu'il y a un nombre considérable de cas de blanchiment d'argent. Par exemple, on a déclaré à la Chambre des communes vers 1992 que plus de 800 millions de dollars provenant de la contrebande passaient par l'une des six grandes banques, ici à Ottawa. S'il y avait eu une exigence de déclaration des opérations douteuses au centre, ces opérations auraient pu être décelées beaucoup plus tôt. Nous aurions pu prendre des mesures.

Le président: Je ne veux pas interrompre le sénateur Tkachuk; personne n'est en désaccord avec cela. Tout ce que nous voulons, ce sont des éclaircissements. Tout d'abord, on nous a dit qu'il n'y avait pas d'enquête. Maintenant, vous dites qu'il y a une différence entre l'analyse et l'enquête. En fait, je croyais que l'enquête était une analyse.

Le centre devrait peut-être pouvoir faire enquête. Je dis tout simplement que le projet de loi n'est pas très clair.

M. Intscher: Je pourrais peut-être tenter de vous expliquer ce que le centre fera avec les renseignements qu'il recevra.

Tout d'abord, il recevra des renseignements d'une large gamme d'entités déclarantes -- les banques, les sociétés de fiducie, les caisses populaires, les caissiers, les bureaux de change, les casinos, et cetera. Le centre examinera toutes les données qu'il a reçues des ces différentes entités déclarantes pour voir s'il y a une déclaration semblable à celle d'une autre entité. Il déterminera si la personne qui fait l'objet d'une déclaration est également cliente de plusieurs autres institutions où elle a peut-être fait des opérations qui sortent quelque peu de l'ordinaire. Nous vérifierons ensuite les données par rapport aux déclarations sur les transactions transfrontalières. Par exemple, M. Bodgins, qui fait l'objet d'une déclaration d'opération douteuse à la banque, a également fait l'objet d'une déclaration récente pour avoir fait entrer un montant considérable de devises à la frontière. Dans ce cas, nous examinons toutes les données que nous avons reçues pour voir s'il y a un fil directeur qui pourrait permettre de soupçonner des activités de blanchiment d'argent, ou s'il s'agit tout simplement d'activités d'affaires normales.

Par ailleurs, le centre sera en mesure de négocier des ententes pour avoir accès à certaines bases de données maintenues à des fins d'application de la loi. Par conséquent, si après avoir reçu ces déclarations, il se trouve qu'un certain nombre d'entre elles portent sur une personne dont les opérations n'étaient pas très claires, nous pourrions tenter de savoir si le CIPC a de l'information à ce sujet dans sa base de données. S'il s'avère, par exemple, que cette personne a été trouvée coupable de contrebande récemment, cela pourrait alimenter nos soupçons.

Si nous avons par ailleurs des renseignements provenant d'une entité étrangère de renseignements financiers à l'effet que cette personne, ou son compte de banque, a été associé à des activités qui ont été portées à leur attention, alors nous ajouterions cet élément au dossier. Nous ferions ensuite une évaluation. Est-il raisonnable de soupçonner le blanchiment d'argent? Si c'est le cas, nous divulguerions le moins possible de renseignements, les renseignements de base, aux forces policières compétentes. Nous les informerions que M. Bodgins a fait cette opération à telle ou telle institution à telle date et que nous soupçonnons le blanchiment d'argent. À ce moment-là, l'information analysée que nous avons recueillie serait classée et la police s'occuperait de l'enquête. Si, au terme de l'enquête, la police a des motifs raisonnables de croire qu'il y a ou qu'il y a eu blanchiment d'argent, elle peut alors demander une ordonnance d'un tribunal pour obtenir le reste de notre analyse.

Le sénateur Tkachuk: À la page 25 du projet de loi, l'alinéa 55(3)b) stipule qu'il est utile aux fins d'enquête ou de poursuite d'une infraction de recyclage des produits de la criminalité que le centre communique les renseignements désignés aux forces policières compétentes, ce qui est bien, ou:

b) À l'Agence des douanes et du revenu du Canada, s'il estime en outre que les renseignements se rapportent à une infraction, consommée ou non, d'évasion fiscale -- y compris le non-paiement de droits -- définie par une loi fédérale dont l'application relève du ministre du Revenu national.

Pour revenir à la préoccupation qu'a soulevée le sénateur Angus sur cette question, vous avez certainement un rôle à jouer au niveau fiscal, en plus d'un rôle à jouer au niveau du blanchiment d'argent.

M. Intscher: Ce qui déclencherait une divulgation à Revenu Canada, au SCRS ou à l'Immigration, serait que l'on soupçonne le blanchiment d'argent à la suite d'une opération particulière ou d'une série d'opérations. Si, en plus de soupçonner le blanchiment d'argent, nous soupçonnons également l'évasion fiscale, alors nous pourrions communiquer les renseignements à Revenu Canada.

Cependant, si nous avons des renseignements au sujet de M. Smith qui, croyons-nous, ne paie pas ses impôts, mais que rien n'indique le blanchiment d'argent, nous ne pourrions pas divulguer ces renseignements.

Le sénateur Tkachuk: Un avocat pourrait peut-être m'aider ici, mais le paragraphe 55(3) stipule:

[...] a des motifs raisonnables de soupçonner [...] qu'ils seraient utiles aux fins d'enquête ou de poursuite d'une infraction de recyclage des produits de la criminalité [...]

Cela semble vouloir dire que même s'il n'y avait pas de problème de recyclage des produits de la criminalité, vous pourriez dire: «Nous devrions peut-être déclarer cela au fisc.» Vous pouvez le faire sans que le blanchiment d'argent soit un problème.

Le président: Est-ce un fait que lorsque l'on recycle ou tente de recycler des produits de la criminalité, cela commence par des fonds illégaux? Autrement, il ne serait pas nécessaire de blanchir cet argent. Si on a de l'argent illégal, est-ce que cela ne veut pas dire nécessairement que l'on se soustrait à l'impôt? Il y a peut-être quelque chose qui m'échappe ici.

M. Seeto: Les deux sont souvent associés.

Le président: Que voulez-vous dire par «souvent»? Ne sont-ils pas toujours associés?

M. Lalonde: Je ne peux pas l'affirmer. Je laisserais plutôt aux représentants des organismes d'application de la loi le soin de répondre à cette question. Les criminels veulent peut-être conserver une apparence de légitimité en payant des impôts.

Le président: Êtes-vous en train de me dire que les passeurs de drogue qui sont payés en argent comptant disent au gouvernement qu'ils vont payer de l'impôt sur cet argent?

M. Yvon Carrière, avocat-conseil législatif, Services juridiques généraux, ministère des Finances: Si vous me le permettez, je vais commencer par répondre à la question du président, puis je reviendrai à la vôtre. Vous avez parlé de fonds illégaux. Le projet de loi définit l'origine des fonds illégaux et parle des produits de la criminalité. C'est défini dans le Code criminel.

Les fonds illégaux sont définis comme les produits du trafic de drogue, mais aussi comme les produits d'autres infractions, notamment le trafic d'armes, la fabrication d'une arme à feu automatique et la pornographie juvénile. Cependant, l'évasion fiscale ne fait pas partie de ces infractions.

Si votre banque vous soupçonne de fraude fiscale à la suite d'un dépôt d'argent, elle n'est pas tenue de faire une déclaration aux termes du projet de loi. Il ne s'agit pas de recyclage des produits de la criminalité. Cependant, si après avoir reçu et analysé la déclaration, le centre vous soupçonne de blanchiment d'argent, il vous déclarera à la police. S'il vous soupçonne également de fraude fiscale, il peut vous déclarer à l'Agence des douanes et du revenu du Canada. Les deux éléments doivent cependant être présents.

Le bill est très clair là-dessus: il faut qu'il y ait des motifs raisonnables de soupçonner que l'information sera utile à l'enquête ou aux fins de poursuite d'une infraction de recyclage des produits de la criminalité, et il faut aussi que l'on estime que l'information sera pertinente à un cas d'évasion fiscale. Par conséquent, la seule évasion fiscale ne suffit pas à constituer un motif raisonnable pour que le centre en fasse rapport à l'ADRV.

Le sénateur Tkachuk: Pas suffisante pour que le centre en fasse rapport à l'agence de perception de l'impôt sur le revenu?

M. Carrière: C'est exact.

Le sénateur Tkachuk: Ce n'est pas ce que dit le projet de loi, mais je l'interprète peut-être de la mauvaise façon. Le texte dit: «ou de poursuite d'une effraction de recyclage des produits de la criminalité».

Il me semble que dès lors que l'on reçoit de l'information d'une institution financière et que l'on conclut qu'il n'y a pas de problèmes de recyclage des produits de la criminalité, mais possiblement une évasion fiscale, on peut le signaler à l'Agence du revenu.

M. Carrière: Lorsque le projet de loi dit que l'information doit être utile «aux fins d'enquête ou de poursuite d'une infraction de recyclage des produits de la criminalité», cela implique qu'il faut qu'il y ait «poursuite d'une infraction de recyclage des produits de la criminalité». Or, l'évasion fiscale ne constitue pas une infraction au titre du recyclage des produits de la criminalité. L'infraction que constitue le recyclage des produits de la criminalité peut découler, comme je l'ai expliqué, du trafic de drogue, de la pornographie infantile, du trafic d'armes, de l'esclavage, ou d'autres activités dans cette même veine, mais certainement pas de l'évasion fiscale.

La disposition déterminante, est le sous-alinéa 55(3)b), que vous avez lu, et je la cite encore: «Si (le centre) estime qu'en outre». Lorsque l'on dit «en outre», cela signifie qu'il doit y avoir à la fois recyclage des produits de la criminalité et évasion fiscale.

Le sénateur Tkachuk: Vous avez dit, dans vos propos liminaires, que l'utilisation non autorisée d'information personnelle détenue par le centre fera l'objet de sanctions, y compris d'amendes pouvant aller jusqu'à 50 000 $ et d'une peine maximale de cinq ans d'emprisonnement. À qui ces sanctions s'appliquent-t-elles?

M. Carrière: Elles s'appliquent aux employés du centre, ainsi qu'à ceux qui ont conclu avec le centre des contrats de biens et de services. Autrement dit, ces sanctions s'appliquent à quiconque peut avoir accès à l'information qui se trouve entre les mains du centre.

Le sénateur Tkachuk: Ces gens-là devront assumer personnellement l'amende de 50 000 $? Ce n'est pas le gouvernement qui payera?

M. Carrière: En effet.

Le sénateur Tkachuk: Si l'information est transmise à la police, les mêmes sanctions s'appliquent-t-elles à cette dernière?

M. Carrière: Non, car la police est soumise aux dispositions de confidentialité prévues par la loi qui s'applique spécifiquement à elle.

Le sénateur Tkachuk: Informer les médias le plus rapidement possible.

M. Carrière: La police est également assujettie à la Loi sur la protection des renseignements personnels. Par conséquent, elle ne peut révéler des renseignements personnels touchant une personne qui fait l'objet d'une enquête, à moins, bien sûr, que l'enquête ne se traduise par une mise en accusation. La loi qui régit la police précise tout cela.

Le sénateur Tkachuk: Monsieur le président, il y quand même certaines choses qui me chiffonnent toujours dans le projet de loi. Il y a une autre chose que j'aimerais savoir, après quoi je poserai les mêmes questions aux autres témoins.

Le gouvernement s'attend-il à ce que l'on utilise les numéros d'assurance sociale pour analyser les données qui sont colligées par le centre et établir des liens avec d'autres données?

M. Intscher: En bref, non.

Le sénateur Tkachuk: Si vous nous en donnez l'assurance, je vous remercie.

Le président: Nous terminerons avec le sénateur Kroft, qui a une petite question, mais auparavant, je voudrais demander à M. Seeto des explications au sujet du règlement qui a été mentionné plutôt. J'aimerais qu'il m'envoie une lettre m'expliquant comment cela se passe, car notre comité a l'impression d'être inondé par toute cette affaire de règlement.

À vrai dire, nous ne savons pas trop comment procéder, à défaut de demander un amendement obligeant à déposer auprès de notre comité les règlements une fois par an. Je ne dis pas que c'est ce que nous ferons. Toutefois, la seule façon de nous en sortir, à mon avis, c'est d'exiger le dépôt des règlements découlant des divers projets de loi une fois par an. Nous ne serions pas obligés d'organiser des audiences sur ces règlements, mais s'il arrivait qu'un problème saute aux yeux, nous aimerions bien être mis au courant.

Le sénateur Angus: Nous aurions le droit d'organiser des audiences.

Le président: Bien sûr.

J'aimerais savoir ce que pense votre ministère de l'idée. Comment vous organiseriez-vous? Allons-nous devoir nous battre ou allons-nous plutôt trouver un compromis?

Le sénateur Kroft: Ma question sera très brève: pouvez-vous nous donner une idée du nombre de déclarations qui, à votre avis, parviendront au centre au cours d'une année? Y en aura-t-il 100, 100 000 ou 10 millions? Pouvez-vous nous donner un ordre de grandeur?

M. Intscher: C'est une question que nous essayons nous-mêmes de cerner depuis déjà quelque temps. En effet, cela peut avoir des conséquences très importantes pour le genre de système dont nous aurons besoin pour colliger et analyser l'information, et c'est difficile à évaluer.

Nous avons regardé ce qui s'est passé dans d'autres pays, notamment en Australie, aux États-Unis et en Grande-Bretagne. Les organismes de ces divers pays ont signalé avoir été inondés au départ de déclarations d'opérations supposément douteuses, jusqu'à ce que les institutions financières saisissent mieux ce qu'ils considéraient véritablement douteux. Après ces envois massifs du début, le nombre de déclarations s'est ensuite stabilisé.

En Australie, au cours de la première année de fonctionnement, le centre a dû faire enquête sur quelque 15 000 transactions douteuses. Le nombre de déclarations a ensuite chuté à environ 8 000 par année, et il s'est stabilisé depuis à ce niveau. Je parle évidemment des déclarations d'opérations douteuses.

Nous avons consulté le milieu financier pour essayer d'évaluer le volume de déclarations d'opérations au comptant que nous pourrions recevoir si nous établissions notre seuil à 10 000 $. Nous avons estimé au jugé que nous pourrions en recevoir de 2 à 3 millions par année. Toutefois, nous cherchons des façons de resserrer les critères de déclaration pour pouvoir réduire ce nombre quelque peu.

Pour ce qui est des déclarations concernant des mouvements de devises transfrontières, nous ne pouvons que faire des hypothèses. J'ai l'impression qu'au début, nous allons recevoir beaucoup de déclarations. Si le centre décidait de fixer au début son seuil de déclaration pour les mouvements de devises à 15 000 $, par exemple, les voyageurs s'organiseraient simplement pour transporter un maximum de 15 000 $.

C'est d'ailleurs ce que les États-Unis ont constaté, eux qui ont fixé depuis déjà un certain temps leur seuil de déclaration à 10 000 $ US. La plupart des Américains qui vont à l'étranger transportent du comptant, des mandats ou des chèques de voyage dont le total se situe en deçà de cette somme. Voilà pourquoi les agents américains reçoivent finalement assez peu de déclarations relatives aux mouvements de devises transfrontières. C'est un nombre assez modeste pour les États-Unis, puisqu'il atteint, je crois, quelques milliers par année.

Le sénateur Meighen: Je voudrais demander une précision à M. Lalonde. Quand vous nous enverrez le tableau que vous nous avez gentiment promis, pourriez-vous nous indiquer à qui un organisme indépendant fait rapport?

J'ai aussi une autre question à laquelle on n'a pas encore répondu. Y a-t-il une préférence quant à l'endroit où le centre devrait être situé? Faut-il qu'il soit à Ottawa, par exemple?

M. Beer: Je ne crois pas que cela soit important, étant donné les communications d'aujourd'hui. Les nouvelles tendances nous permettront évidemment d'établir à quel endroit nous devrions stratégiquement déployer nos ressources pour réagir à l'information que nous recevrons. J'imagine qu'au début, nous nous concentrerons sur les grands centres financiers que sont Toronto, Montréal et Vancouver. Mais nous devrons également suivre les tendances qui ressortiront.

La séance est levée.


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