Délibérations du comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce
Fascicule 15 - Témoignages du 7 juin 2000
OTTAWA, le mercredi 7 juin 2000
Le comité sénatorial permanent des banques et du commerce, auquel a été renvoyé le projet de loi C-22, Loi visant à faciliter la répression du recyclage financier des produits de la criminalité, constituant le Centre d'analyse des opérations et déclarations financières du Canada et modifiant et abrogeant certaines lois en conséquence, se réunit aujourd'hui à 15 h 45 pour en faire l'examen.
Le sénateur E. Leo Kolber (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président: Mesdames et messieurs, nous poursuivons aujourd'hui nos audiences sur le projet de loi C-22 et nous avons l'honneur d'avoir pour premier témoin M. Jean Spreutels, le président du Centre sur le blanchiment d'argent de Belgique.
Souvenez-vous, je vous prie, que l'un des objectifs du projet de loi -- et je dis bien l'un des objectifs -- vise à aligner le Canada sur le reste du monde, ce que nous n'avons apparemment pas encore fait.
Bienvenue donc au Canada, monsieur. Je crois comprendre que vous avez quelques mots à nous dire et que vous nous les direz en français. Veuillez procéder, je vous prie.
[Français]
M. Jean Spreutels, président du Centre sur le blanchiment d'argent de Belgique: C'est un grand honneur que vous me faites de me donner l'occasion de m'exprimer devant votre comité. J'ai préparé le texte écrit de mon exposé, mais comme je n'ai pas pu établir de version anglaise, faute de temps, le ministère canadien des Finances m'a fort aimablement proposé d'en établir une version anglaise.
Je suis avocat général à la Cour de cassation de Belgique que l'on pourrait traduire par «Deputy Attorney General of the Supreme Court of Belgium», mais c'est surtout en raison de ma qualité de président de la Cellule de traitement des informations financières que je suis amené à parler devant vous aujourd'hui. Cette cellule est l'équivalent du centre d'analyse que le projet de loi que vous êtes en train d'examiner vise à instituer.
J'ai été président du GAFI (Groupe d'action financière international) -- Financial Action Task Force en 1997-1998. Actuellement, je suis président du groupe ad hoc du GAFI sur les pays et territoires non coopératifs chargés d'établir une liste des pays et territoires non coopératifs en matière de lutte contre le blanchiment. Cette liste doit être établie dans 15 jours.
Je voudrais aborder successivement divers points. D'abord, j'aimerais parler de l'ampleur du phénomène du blanchiment et de la nécessité de lutter contre ce phénomène. Ensuite, je vous présenterai les résultats du système antiblanchiment en Belgique et le contexte international dans lequel ce système se situe. J'insisterai peut-être, dans le cadre de ce contexte international, sur la nécessité d'instaurer une obligation de déclaration de transactions suspectes -- déclarations faites à une unité centrale indépendante. J'aimerais peut-être ajouter quelques mots sur les organismes et professions soumis aux mécanismes préventifs. Enfin, j'aimerais faire une brève description du système belge qui répond à ces deux conditions essentielles, c'est-à-dire un système de déclaration obligatoire des soupçons et l'instauration d'une autorité ou d'un service central indépendant.
En ce qui concerne l'ampleur du phénomène et la nécessité de lutter contre lui, je ne peux mieux faire que de citer M. Michel Camdessus, alors directeur général du Fonds monétaire international. En février 1998, il déclarait que:
Le blanchiment de capitaux fausse le fonctionnement des marchés et nuit donc gravement à la croissance économique.
Tout en gardant à l'esprit:
[...] les retombées sociales et politiques de la criminalité organisée et du blanchiment d'argent qui en résultent, les souffrances des victimes et l'affaiblissement général du tissu social et de l'éthique collective. Il est donc urgent de combattre le blanchiment, en s'attaquant aux activités criminelles là où elles sont les plus vulnérables, c'est-à-dire au moment où cet argent mal acquis entre dans le circuit financier.
Cet argent mal acquis représente une masse considérable qu'il est difficile d'évaluer avec précision, mais que les divers experts estiment entre 500 et 1000 milliards $U.S. annuellement. Nous avons parlé aussi de 2 à 5 p. 100 du produit intérieur brut mondial.
Les sources principales de cet argent proviennent surtout de la criminalité organisée sous toutes ses formes, non seulement le trafic de stupéfiants, mais aussi, puisque cette criminalité s'est diversifiée au cours des temps, de la grande criminalité économique et financière qui entretient souvent des liens avec les formes classiques de criminalité organisée. Il s'agit d'une masse énorme qui risque de déstabiliser l'économie mondiale, de fausser la redistribution de la masse monétaire, d'infiltrer des structures économiques légitimes, voire même -- car cette masse est aussi source de corruption -- mettre en cause certains régimes politiques.
Donc, les dangers de ce phénomène ne pouvaient manquer d'attirer l'attention de la communauté internationale qui intervient par l'adoption de textes s'attachant, d'une part, au volet répressif d'incrimination, de l'infraction pénale de blanchiment, des saisies, confiscations et, d'autre part, à développer ce que nous avons appelé un volet préventif, parce que l'axe répressif se heurte à certaines limites en raison du caractère sophistiqué de ces opérations de blanchiment et de leur aspect naturellement occulte. Donc, le système préventif est rapidement apparu comme la meilleure façon de préserver les structures financières et de mettre un frein à la multiplication exponentielle des opérations de blanchiment par une détection précoce, à la base, de ces opérations lorsque leur réalisation s'effectue principalement via le secteur financier et maintenant aussi via d'autres professions. Nous assistons à un déplacement des activités de blanchiment du système financier vers des professions non financières.
Mon deuxième point concerne les résultats bien réels d'un système ayant prévu la déclaration obligatoire des soupçons de blanchiment et la création d'une unité centrale de nature administrative jouissant d'un statut d'indépendance et d'autonomie, appelée à recevoir et analyser ces opérations de soupçons.
Voilà donc le système belge. Bien entendu, il faut se rendre compte qu'il s'agit du système d'un petit pays aux moyens forcément limités. Le système a été mis en place en 1993. Il fonctionne depuis près de sept ans. Pendant cette période, nous avons reçu 38 000 déclarations de soupçons émanant des organismes financiers et d'autres personnes visées par la loi. Il ne s'agit pas de déclaration automatique, mais uniquement de déclaration de soupçons dont la responsabilité et la première analyse appartiennent d'abord aux responsables des institutions financières et des professions visées.
Ces 38 000 déclarations ont permis d'ouvrir, à notre niveau, un peu plus de 7 000 dossiers distincts. Après analyse et découverte d'indices sérieux de blanchiment, la cellule a transmis au parquet 2 200 de ces dossiers, soit 31 p. 100 de l'ensemble des dossiers que nous avions constitués. En termes de déclaration de soupçons, cela représente 62 p. 100 de l'ensemble des déclarations. Ce qui montre qu'il y a une bonne collaboration de la part du secteur financier d'abord et puis maintenant des autres professions visées, et que ces professionnels et organismes ont du flair puisque 62 p. 100 des déclarations qui nous ont été transmises ont pu être liées à des formes graves de criminalité visées par notre loi. Les capitaux concernés par ces dossiers transmis aux autorités judiciaires s'élèvent à 214 milliards de FB, ce qui correspond à un peu plus de 7 milliards de $CAN.
Les formes de criminalité sous-jacentes de ces dossiers transmis aux autorités judiciaires représentent pour 60 p. 100 le trafic de stupéfiants, ce qui semble confirmer les estimations faites par d'autres pays. Ce n'est pas uniquement le trafic de stupéfiants, c'est aussi les autres formes de criminalité organisée ainsi que toute une série de trafics illicites de biens ou de marchandises.
Bien entendu, le système judiciaire doit alors absorber cette source nouvelle d'alimentation. J'ai les chiffres au 30 juin de l'année passée. Les cours et tribunaux, sur la base des dossiers transmis par la cellule au procureur, avaient prononcé des condamnations dans 184 de ces dossiers. Cela a donc permis de prononcer des peines de prison, des peines d'amende et aussi de confisquer un montant équivalant à plus de 8 milliards de FB, ce qui fait à peu près 240 millions de $CAN.
Je crois pouvoir dire que sans ce dispositif de déclaration obligatoire à une autorité centrale et indépendante, l'immense majorité de ces crimes seraient demeurés impunis. Les statistiques policières montrent que 90 p. 100 des dossiers de blanchiment en Belgique, qui sont traités par les services de police, proviennent des déclarations de soupçons qui sont faites à la cellule par les organismes financiers et autres personnes visées par la loi.
Ce système n'a pas entraîné des coûts supplémentaires inutiles et disproportionnés pour les organismes financiers. Au contraire, il leur a permis de renforcer leur système d'audit interne et donc d'améliorer la détection et la prévention des fraudes, tant internes qu'externes, dont ils sont eux-mêmes les victimes potentielles. Aucun secteur ne se plaint actuellement des coûts qu'aurait entraînés la mise en place du système antiblanchiment en Belgique, bien au contraire.
Sur le plan international, je dois mentionner que les premières initiatives remontent aux années 80 lorsqu'on a, pour la première fois, demandé une coopération active des organismes financiers avec les autorités chargées de veiller au respect des lois. Le premier texte à cet égard émanait du Comité de Bâle, le comité des règles et pratiques de contrôle des opérations bancaires dont le Canada est membre. Je tiens d'ailleurs, à cette occasion, à souligner le rôle actif du Canada dans les diverses enceintes internationales qui ont «policiarisé» la lutte contre le blanchiment. L'organisme principal en matière de lutte contre le blanchiment, c'est-à-dire le GAFI, comme vous le savez, est une émanation du G-7 qui a élaboré 40 recommandations. Je pourrais aussi citer sur le plan international une directive européenne de 1991 qui a repris, pour les appliquer dans l'Union européenne, les 40 recommandations du GAFI.
Le GAFI, c'est actuellement 26 États et territoires indépendants et deux organisations internationales. Trois nouveaux membres en feront partie à la fin du mois: l'Argentine, le Brésil et le Mexique. Bien sûr, tous ces pays ont adhéré aux principes du GAFI, mais ils ne sont pas les seuls. Je peux citer, sans être complet, les États membres du Commonwealth. Je pense qu'il y en a 52, même s'il y a parfois des recoupements. Il y a 10 États du Groupe des autorités de contrôle bancaire des centres extraterritoriaux, 11 pays membres de la Coopération économique de la mer Noire, 11 membres du Groupe d'action financière des Caraïbes, 22 membres du Comité restreint du Conseil de l'Europe sur l'évaluation des mesures antiblanchiment de capitaux, et 17 pays du Groupe Asie-Pacifique sur le blanchiment de capitaux. La liste n'est pas complète parce qu'il faudrait encore citer les initiatives adoptées par la CICAD (Commission interaméricaine de lutte contre les abus de drogues), toujours sur la base des recommandations du GAFI, dans le cadre de l'organisation des États américains qui sont 33 membres.
Cela s'élargit bien plus loin puisque au niveau des Nations Unies -- donc là nous touchons à l'échelle vraiment planétaire --, on est en train d'élaborer une convention contre la criminalité transnationale organisée qui prévoit des mesures de lutte antiblanchiment inspirées directement des recommandations du GAFI et qui prévoit surtout l'obligation d'identifier les clients et les endroits économiques véritables, l'enregistrement des opérations financières, la création d'un service central de collecte, d'analyse et de diffusion des informations, la déclaration obligatoire des déclarations suspectes auprès de ce service et la coopération et l'échange d'informations entre les divers services de cette nature des États membres de l'ONU. Cette convention est en négociations à Vienne pour l'instant, elle est sur la bonne voie et elle s'appliquera bientôt dans le monde entier.
Tout cela pour dire qu'il y a actuellement une très large partie de la communauté internationale qui a adhéré à ces règles considérées comme un socle de base minimal dans le cadre de la lutte contre le blanchiment. Le GAFI a pris l'initiative à l'égard des États coopératifs, c'est le groupe ad hoc que je préside pour l'instant. Parmi les critères dommageables qui ont été retenus pour considérer qu'un État est non coopératif, ceci n'étant pas exhaustif, il faut tenir compte de l'ensemble des systèmes. Parmi les critères dommageables, il y a l'absence de caractère obligatoire de la déclaration des transactions suspectes et l'absence d'une centralisation de ces déclarations auprès d'un organisme central. Ces critères sont d'ailleurs applicables aussi pour devenir nouveau membre du GAFI et pour l'instant, trois pays sont en train d'être évalués à cet égard.
Je voudrais insister sur l'importance cruciale de la déclaration de soupçons. C'est au c<#0139>ur des instruments internationaux dont je viens de parler, non seulement par le GAFI. J'aurais pu ajouter aussi la Commission des stupéfiants des Nations Unies et Interpol, ces organisations insistent également sur ce critère. Le GAFI lui-même a évolué puisque depuis 1996, ce qui était une simple faculté est devenue une obligation.
C'est d'ailleurs le cas aussi dans le nouveau modèle de législation sur le blanchiment et les produits du crime établi en 1998 par le programme des Nations Unies pour le contrôle international des drogues. Évidemment, ce système peut constituer une certaine dérogation aux principes de discrétion ou de secret professionnel des organismes financiers, voire même là où il existe, au secret bancaire.
Je pense -- et je ne suis pas le seul à le dire puisque je vous ai cité tous les États et toutes les organisations internationales qui se sont prononcés dans ce sens -- que c'est l'un des principaux, sinon l'un des seuls actuellement, à pouvoir contrecarrer la réalisation d'opérations de plus en plus complexes et ce, avec célérité. Il faut avant tout avoir une vue d'ensemble aussi complète que possible du phénomène. Que ce mécanisme acquière un caractère obligatoire est sans aucun doute la meilleure façon d'assurer une équité entre les clients des organismes qui ne peuvent plus décider arbitrairement de transmettre tel ou tel dossier.
Toute opération suspecte doit être transmise, l'effectivité de l'obligation étant assurée par un mécanisme de sanction qui, selon les États, revêt la forme pénale ou administrative. Je terminerai en disant que liée à ce mécanisme de décision obligatoire de soupçons, il y a la création d'un organisme qui doit les recevoir. Cet organisme, pour pouvoir remplir son rôle efficacement, mais aussi pour être légitime, c'est-à-dire pour sauvegarder dans la mesure du possible la vie privée des clients des organismes et les libertés fondamentales, doit disposer d'une grande autonomie dans sa gestion et surtout dans son processus de décision.
Ce n'est qu'à ce titre et à cette condition qu'un lien de confiance peut être instauré entre les organismes, les personnes visées par la loi et l'unité qui recueille et analyse les déclarations de soupçons qui doivent servir de filtre, de façon à ne laisser passer vers les autorités de police et vers la justice que les cas graves de blanchiment provenant des formes de la criminalité grave.
J'ajouterai à cet égard qu'après en avoir pris connaissance, j'ai pu constater que le projet de loi canadien semble être l'un des textes les plus protecteurs à l'égard de ces libertés et de cette vie privée, également en ce qui concerne le statut d'autonomie et d'indépendance du centre en création. Je ne citerai qu'un seul exemple, c'est le fait qu'il exclut même la perquisition au centre d'analyse et ne permet l'accès aux renseignements détenus par celui-ci par un policier, moyennant l'autorisation du juge, que dans les conditions limitativement énumérées par la loi. Il en est de même des garanties qui entourent la protection du secret professionnel des conseillers juridiques et des avocats. Ceci étant aussi dans la ligne de l'évolution des instruments internationaux en la matière qui, de plus en plus, visent non seulement les organismes financiers, mais aussi des professions non financières, notamment des professions juridiques et comptables.
C'est en ce sens que le GAFI s'est déjà prononcé en 1996. La directive européenne est en cours de renégociation actuellement. Il est prévu que son champ d'application sera expressément étendu aux professions telles que les marchands de grande valeur, aux professions immobilières, aux casinos, mais aussi aux professions comptables et juridiques, y compris les avocats. Bien sûr, pour les avocats, il ne faut les viser de façon complète, ils doivent être visés dans la mesure où ils exercent une activité d'intermédiaire financier. Il n'est pas question de toucher au rôle fondamental de l'avocat dans l'exercice des droits de la défense. Voilà, je suis à votre disposition si vous avez des questions.
[Traduction]
Le sénateur Kroft: Nous vous remercions d'être venu d'aussi loin pour nous aider dans notre examen de ce projet de loi.
Je voudrais vous poser deux ou trois questions sur des plans différents. Lorsque vous parlez du montant que représentent sur le plan mondial ces transactions qui ont conduit à cette intervention, vous avez parlé je crois de 500 milliards à 1 000 milliards de dollars américains par an. Même si nous n'utilisons pas les zéros de la même façon d'un pays à l'autre, cela représente néanmoins beaucoup d'argent.
Vous avez également dit que des sommes aussi considérables risquaient de déstabiliser des économies ou des gouvernements. C'est là une perspective qui fait très peur. Pourriez-vous nous dire de quelle façon tous ces mouvements d'argent sont coordonnés ou orchestrés? C'est bien beau de dire que tout cet argent est sous le contrôle d'une seule personne, d'une seule famille ou d'un seul conseil d'administration, mais ce risque dont vous parlez n'est-il pas un peu exagéré? N'est-ce pas simplement une statistique dérivée d'une myriade de transactions et qui fait paraître ce risque pire qu'il n'est en réalité? En d'autres termes, à quel point les méchants sont-il organisés? Je m'en tiendrai là et je vous poserai une autre question lorsque vous m'aurez répondu.
[Français]
M. Spreutels: Je crains fort que les groupes criminels soient bien organisés et peut-être que les montants que nous détectons ne sont encore que la partie visible de l'iceberg. Ces chiffres que je vous ai soumis proviennent du Fonds monétaire international, mais ils sont corroborés aussi par d'autres études. On estime notamment qu'en se limitant déjà au trafic de stupéfiants, on peut estimer le montant annuel des capitaux blanchis entre 300 et 500 milliards de dollars américains. Selon un récent rapport des Nations Unies sur les «offshore», si les actifs déposés dans les paradis financiers s'élèvent à 5 000 milliards de dollars, on pense que 500 à 800 milliards de ces dollars proviendraient d'activités criminelles organisées. C'est donc une étude récente de 1999 des Nations Unies qui l'indique. C'est ce qu'on appelle le trou noir de l'économie mondiale.
[Traduction]
Le sénateur Kroft: Je vous remercie. L'autre question que je voudrais vous poser procède d'un souci qui me ronge, et que nous sommes d'ailleurs nombreux ici à partager, je crois, en l'occurrence qu'il y a ici un problème qui tient à la comparaison entre la façon dont nous réagissons à cela par rapport à tout ce qui concerne les droits civils, la protection de la vie privée et des renseignements personnels, bref tout le collectif des droits de la personne. Vous nous avez signalé que le projet de loi canadien semblait être l'un des textes les plus protecteurs à cet égard.
Prenez, si vous voulez bien, le cas de la Belgique pour comparer la situation du droit en la matière. Au Canada, la Charte des droits et libertés protège nos droits. À votre connaissance -- et je vous mets peut-être injustement dans l'embarras en vous posant cette question -- diriez-vous que le monde du droit dans lequel vous évoluez est plus ou moins sensible que le nôtre à ces questions? J'essaie ici de déterminer si, à supposer que ce que vous faites chez vous produit de bons résultats et ne pose pas de problèmes, c'est parce que, en Belgique, votre seuil de sensibilité est peut-être moins élevé que le nôtre pour ce qui est des droits de la personne. Je sais que c'est une question un peu baroque, mais j'espère que vous avez pu comprendre où je voulais en venir.
[Français]
M. Spreutels: Oui, je puis peut-être d'autant plus vous répondre que je suis aussi, accessoirement, professeur de droit pénal comparé à l'Université de Bruxelles. Je suis donc amené à comparer un peu les systèmes juridiques différents, qu'ils soient de common law ou continentaux. Je crois pouvoir dire que si le mécanisme juridique est différent, le résultat pratique est fort semblable. En ce sens qu'en Belgique, les droits fondamentaux, y compris le respect de la vie privée, sont inscrits dans la Constitution.
De plus, nous avons adhéré à la Convention européenne des droits de l'homme, Convention du Conseil de l'Europe, qui prévoit également à son article 8, la protection de la vie privée. Cette protection est assurée grâce aux recours qui peuvent être introduits, non seulement sur la base du droit interne, mais aussi du droit international, auprès des cours et tribunaux, notamment la Cour de cassation dont je fais partie.
Et ce n'est pas tout, car nous avons alors des lois qui sont beaucoup plus spécifiques, par exemple pour la protection des données à caractère personnel. Nous en avons aussi pour ce qui concerne les écoutes téléphoniques, mais en ce qui concerne plus particulièrement les données personnelles, donc les bases de données, nous avons une loi qui a instauré une commission de protection de la vie privée, qui est, je pense, fort équivalente à votre commissaire à la protection des données ici, et qui exerce aussi un contrôle. C'est un contrôle indirect.
Je pense qu'il doit s'agir de la même chose ici aussi. Si le citoyen n'a pas un droit d'accès direct à nos données, en revanche il peut déposer une plainte auprès de la Commission de la protection de la vie privée qui elle peut venir voir si notre système est conforme à la législation protectrice.
Je vous le confirme, le système mis en place est toujours un système qui est fait de compromis, mais aussi d'équilibre. D'ailleurs, en Belgique, cet équilibre a été trouvé en ce sens que la loi n'a voulu imposer une coopération active de particuliers ou d'entreprises privées comme les banques ou d'autres professionnels, et par voie de concurrence une ingérence dans la vie privée des clients de ces organismes, qu'à deux conditions.
D'abord, il ne peut s'agir que de lutter contre les formes graves de criminalité, et pas simplement rechercher la simple fraude fiscale. La deuxième garantie, c'est qu'on a créé la cellule de traitement des informations financières avec son statut d'autonomie. C'est une sorte de filtre qui ne peut laisser passer au-dehors que les éléments dont nous avons pu vérifier qu'il existait un lien avec les formes graves de criminalité visées par la loi. Ces éléments sont dirigés uniquement vers les autorités chargées des poursuites pénales -- pas les autorités administratives ni les services fiscaux. Je crois que c'était la seule condition pour avoir un système qui soit équilibré.
[Traduction]
Le sénateur Kelleher: Merci d'être venu de si loin. Je m'intéresse quelque peu aux questions d'argent, mais pas au blanchiment de l'argent sale. Avez-vous une idée de ce qu'a coûté à l'État belge la création de cette cellule et quel est le budget de fonctionnement annuel de celle-ci?
[Français]
M. Spreutels: Oui, cela varie d'un pays à l'autre. Cependant, en Belgique, le coût total du fonctionnement de la cellule s'élève à 60 millions de FB. Ce n'est pas grand-chose.
[Traduction]
Le sénateur Kelleher: Quelles sont les catégories de transactions qui doivent être déclarées par les différentes institutions financières et autres intermédiaires financiers?
[Français]
M. Spreutels: D'une part, les transactions pour lesquelles les organismes financiers ou les intermédiaires ont la certitude qu'il s'agit de blanchiment, mais cela est très rare, et, en second, lieu les transactions pour lesquelles il estime un soupçon de blanchiment de capitaux.
L'opération doit être suspecte. Elle part d'une analyse par le responsable antiblanchiment qui doit être désigné au sein de chaque organisme financier. Cette analyse repose sur le caractère normal ou non de l'opération, en fonction du profil du client tel que l'organisme le connaît ou en raison de certaines caractéristiques de l'opération. Nous avons pu ainsi déterminer des typologies d'opération qui se rattachent au trafic de stupéfiants avec les Pays-Bas ou la criminalité organisée russe par exemple, qui est active dans une certaine mesure en Belgique. Il existe donc là des critères qui permettent de déterminer qu'une opération est suspecte.
Pour les casinos, nous avons un système de déclaration automatique. Il y a une liste d'indicateurs qui a été élaborée -- qui d'ailleurs peut évoluer et être revue -- et qui impose aux casinos de nous transmettre toutes les opérations qui répondent à ces critères. Pour les autres organismes et personnes, la responsabilité incombe d'abord à l'organisme et à la personne eux-mêmes.
[Traduction]
Le sénateur Kelleher: La loi belge donne-t-elle des critères et des exemples de ce qui constituerait une transaction à déclaration obligatoire?
[Français]
M. Spreutels: Pour les casinos, oui. Pour les autres organismes financiers ou intermédiaires, non. Bien entendu, nous travaillons en concertation avec les associations professionnelles concernées et les représentants des divers secteurs, de façon à mettre au point des sortes de notes d'orientation, des listes d'opérations suspectes, des typologies qui varient d'un secteur à l'autre et qui sont en permanente évolution, en fonction de la connaissance que l'on a, de plus en plus, du phénomène.
Nous tenons donc compte des exercices de typologie effectués par le GAFI ou par d'autres organisations internationales. Nous avons nos propres dossiers, nous discutons avec les représentants des secteurs concernés et c'est eux-mêmes qui prennent la responsabilité de diffuser auprès de leurs membres les critères qui peuvent entrer en considération pour qu'il y ait opération suspecte.
[Traduction]
Le sénateur Kelleher: Si j'exerçais le droit en Belgique en qualité d'intermédiaire financier et si je jugeais nécessaire aux termes de la loi belge de faire une déclaration de soupçons, mon client serait-il informé, aurais-je le droit de l'informer, ou ignorerait-il que j'ai fait une déclaration à son sujet?
[Français]
M. Spreutels: Il est une règle admise de façon tout à fait générale, dans tous les instruments internationaux développés pour lutter contre le blanchiment de capitaux, y compris les recommandations du GAFI, que l'intermédiaire ne peut jamais informer son client qu'il a fait une déclaration de soupçons. C'est une règle tout à fait universelle dans les systèmes antiblanchiment et je crois qu'elle se comprend aisément.
Pour l'instant en Belgique, les avocats ne sont pas encore soumis au système. Nous attendons pour cela la fin des travaux de la modification de la directive européenne qui vise expressément les avocats lorsqu'ils interviennent comme intermédiaires financiers. À partir de ce moment, un avocat qui constate une opération de blanchiment et qui n'intervient pas comme défenseur de son client, notamment en justice, aura, comme d'autres intermédiaires financiers, l'obligation d'en aviser le centre d'analyse et il ne pourra pas en informer son client.
[Traduction]
Le sénateur Kelleher: J'aurais encore une question à vous poser. Aux termes de notre projet de loi, dès lors qu'une déclaration est ainsi faite, mettons par un avocat jouant le rôle d'intermédiaire financier, et que le centre d'analyse, la cellule, peu importe comment on l'appelle, juge qu'elle a besoin d'un complément d'information et veut faire le nécessaire, elle aurait donc, au Canada le pouvoir de pénétrer sans mandat dans les locaux de l'intermédiaire financier pour y inspecter ses dossiers et en faire des copies. Il est évident que cela préoccupe beaucoup la profession juridique qui estime qu'il s'agit là d'une atteinte au secret professionnel. Qu'en pensez-vous? Allez-vous légiférer dans le même sens en Belgique?
[Français]
M. Spreutels: Dans le système actuel en Belgique, les titulaires d'un secret professionnel pénalement sanctionné doivent faire spontanément des déclarations au centre. Cela comprend par exemple les notaires publics visés par la loi ou les réviseurs d'entreprises, c'est-à-dire les commissaires aux comptes «external accountants», et d'autres personnes qui sont soumises au secret professionnel. En revanche, ils ne sont pas obligés de répondre aux questions complémentaires qui sont posées par le centre.
Le titulaire du secret professionnel peut se taire quand il est appelé à témoigner en justice s'il estime que légitimement, les informations sont couvertes par le secret professionnel. Il fait donc une appréciation. En revanche, la loi dit que s'il communique ces informations, s'il répond à la cellule, il n'enfreint pas son secret professionnel. Donc la déclaration est obligatoire, mais la réponse à une question qui lui serait adressée par la cellule est facultative et le fait de son appréciation. À condition, bien sûr, qu'il n'y ait pas abus du secret professionnel.
[Traduction]
Le sénateur Kelleher: Cela vaudrait-il pour les dossiers des avocats également? Les archives et les dossiers des avocats seraient-il ainsi accessibles?
[Français]
M. Spreutels: Ils ont accès uniquement aux documents qui concernent la transaction pour laquelle ils ont fait eux-mêmes spontanément une déclaration de soupçons.
[Traduction]
Le président: Je pense qu'il semble y avoir une certaine confusion au sujet de ce que le centre aurait le droit de faire. Nous allons essayer d'éclaircir cela ultérieurement. Il ne semble pas que le centre aurait ainsi le droit d'intervenir chez quelqu'un sans mandat. Il aurait le droit de juger si l'institution en question a ou non enfreint la loi. Je ne saurais vous expliquer la différence, mais j'imagine que c'est une question que nous aurons à poser à quelqu'un d'autre plus tard.
Le sénateur Kelleher: Selon moi, cela s'appliquerait à un avocat en sa qualité d'intermédiaire financier.
Le président: Je ne veux pas en débattre tout de suite. Nous ferons venir quelqu'un ultérieurement pour nous éclairer à ce sujet.
Le sénateur Furey: Je voudrais à mon tour vous remercier d'être venu cet après-midi et revenir un peu à la série de questions que vous avait posées le sénateur Kelleher. Pourriez-vous nous préciser un peu comment se compose votre cellule? Est-elle totalement autonome? Est-elle subordonnée à un corps policier? Combien d'employés compte-t-elle et que font ces gens exactement?
[Français]
M. Spreutels: Il s'agit d'une autorité administrative indépendante qui est placée sous le contrôle externe des ministres de la Justice et des Finances pour qu'il y ait une dualité de contrôle. C'est un contrôle externe en ce sens que les ministres ou les départements ne peuvent pas s'ingérer dans le processus de décision de la cellule. Le conseil de la cellule, qui prend ces décisions collégialement, est composé de six personnes. Trois membres viennent du judiciaire, ce sont des membres du ministère public, des «prosecutors» qui sont détachés, et les trois autres sont des experts financiers qui proviennent généralement des autorités de contrôle du secteur financier, par exemple la commission bancaire qui contrôle les banques ou l'Office de contrôle des assurances. Nous disposons d'un personnel de 20 agents dont neuf analystes. Nous disposons en permanence de trois officiers de liaison qui sont détachés des principaux services de police, qui sont tenus par le secret professionnel, et nous avons des membres de l'agence et de son personnel qui servent d'agents de contact avec les forces de police.
[Traduction]
Le sénateur Furey: Ma deuxième question concerne le genre de renseignements que vous obtenez. Ainsi, lorsqu'une banque signale à votre cellule telle ou telle activité douteuse, que faites-vous de cette déclaration? En faites-vous l'analyse vous-mêmes ou demandez-vous plutôt à des gens de l'extérieur de vous aider à le faire?
[Français]
M. Spreutels: Non, toute l'analyse se fait à l'intérieur de la cellule par notre personnel et par nous-mêmes. Nous disposons de pouvoirs qui ne sont pas des pouvoirs d'enquête au sens policier du terme, mais qui sont des pouvoirs d'obtenir des informations. Ainsi, nous pouvons demander à tous les organismes financiers de personnes visées par la loi, tout renseignement complémentaire en leur possession. Pour les titulaires du secret professionnel, il y a l'exception dont j'ai parlé.
Nous pouvons aussi demander tout renseignement utile à tous les services de police belges, à tous les services administratifs de l'État y compris les services du ministère des Finances, donc les autorités fiscales. En revanche, nous ne pouvons donner aucun renseignement ni aux services de police ni aux autorités fiscales. Nous pouvons aussi disposer de certaines informations fournies pour les autorités de contrôle du secteur financier.
Enfin, nous avons développé avec des organismes étrangers similaires une coopération bilatérale avec toute une série de garanties. Pour l'instant, j'ai signé 25 accords de coopération avec des autorités similaires à l'étranger. De l'ensemble de cette information financière, administrative et policière que nous traitons nous-mêmes, sans faire des enquêtes sur le terrain ou interroger les personnes concernées, nous établissons ou non un lien entre les transactions financières et les formes de criminalité grave visées par la loi. S'il existe des indices sérieux, nous devons alors transmettre le dossier aux autorités chargées des poursuites.
[Traduction]
Le sénateur Furey: Vous commencez par faire une enquête ou une analyse interne, mais la loi vous donne le pouvoir d'aller plus loin encore et de prendre contact avec des organismes extérieurs.
Je ne me souviens pas si vous avez bien parlé de 38 000 déclarations de transactions suspectes depuis 1993 ou en 1993. Quoi qu'il en soit, c'est l'analyse de ce chiffre qui m'intéresse davantage. Vous avez dit je crois que 31 p. 100 de ces dossiers n'avaient abouti à rien et que 60 p. 100 des déclarations vous avaient permis de conclure qu'il y avait eu activité criminelle. Est-ce bien cela?
[Français]
M. Spreutels: Oui, il s'agit de 37 000 déclarations depuis la création de la cellule, donc en un peu moins de sept ans. Nous n'avons pas de système de déclaration automatique. Ce sont donc toutes des opérations qui ont été considérées comme suspectes par les organismes financiers eux-mêmes. Alors 62 p. 100 de ces déclarations ont été transmises aux autorités chargées des poursuites, les autres ont été classées au niveau de la cellule. Nous avons donc fermé notre dossier. Bien entendu, nous pouvons le rouvrir si jamais nous avons des éléments complémentaires. Parmi nos sources, nous avons maintenant développé une vaste base de données internes qui nous permet de faire des recoupements à notre niveau, sans avoir besoin des bases de données d'autres services.
[Traduction]
Le sénateur Furey: Si la cellule a pu conclure que 31 p. 100 de ces dossiers devaient être clos, a-t-on alors dit aux clients qu'ils avaient fait l'objet d'une enquête?
[Français]
M. Spreutels: Non, par contre, nous avisons les organismes financiers. Nous avisons les personnes qui ont fait une déclaration de soupçons que nous avons classé le dossier, mais que cette fermeture est peut-être provisoire et qu'ils doivent donc rester encore attentifs si jamais, à l'égard du même client, ils découvraient encore des opérations suspectes. Nous ne blanchissons pas nous-mêmes ces clients, mais nous signalons quand même un certain «feed-back» aux personnes qui nous ont fait les déclarations.
[Traduction]
Le sénateur Furey: Il est certain que vous y trouveriez des éléments qui vous montreraient que dans certains cas au moins, mettons un tout petit nombre de cas, il s'agissait de transactions tout à fait innocentes et facilement explicables, de sorte que ces dossiers auraient été de toute manière clos.
Lorsque vous renvoyez tout cela à l'institution financière qui avait fait la déclaration à l'origine, j'imagine qu'il est très peu probable que cette dernière en fasse part à son client. Par conséquent, un client parfaitement innocent qui aurait ainsi fait l'objet d'une enquête ne serait aucunement en mesure d'être au courant de la chose. C'est bien cela que vous nous dites?
[Français]
M. Spreutels: Je ne vois pas où est son intérêt de le savoir puisque rien ne s'est passé et que tout reste au niveau du centre, donc d'un organisme intermédiaire. C'est précisément là l'une des protections accordées aux clients des organismes financiers, grâce à la création d'un centre étanche qui sert de filtre parce que si la déclaration a été faite immédiatement à un service classique, style service de police, le client innocent serait fiché dans les dossiers de la police et il resterait toujours quelque chose. Tandis que maintenant, cela reste uniquement au niveau de ce centre et cela ne va pas plus loin.
[Traduction]
Le sénateur Oliver: Connaissez-vous un peu la Charte canadienne des droits et libertés? Dans l'affirmative, savez-vous qu'au Canada, les avocats ont le devoir, lorsqu'un client vient les consulter au sujet d'une transaction commerciale ou boursière, d'observer un rigoureux secret professionnel de sorte que, en matière boursière par exemple, il n'y ait aucune fuite qui pourrait constituer une violation de la réglementation en matière de transactions en bourse?
Savez-vous également qu'outre cette obligation qu'il a de garder ces renseignements confidentiels, l'avocat a également des obligations plus larges en matière de secret professionnel? Lorsqu'un client fait part à son avocat, à son conseiller financier, de certains renseignements, il a le droit de savoir que ce qu'il a ainsi divulgué restera confidentiel ou protégé par le secret professionnel. Êtes-vous au courant de l'usage canadien en la matière?
[Français]
M. Spreutels: Cette règle est exactement la même en Belgique.
[Traduction]
Le sénateur Oliver: Vous avez parlé de la législation canadienne. L'article 11 du projet de loi C-22 dit que la présente partie n'a pas pour effet de porter atteinte au secret professionnel du conseiller juridique, la version anglaise parlant quant à elle expressément de tout ce qui concerne les communications entre l'avocat et son client. Mais lorsque ce texte anglais parle de communication, cela exclut les activités, cela exclut les opérations au sens de ce qu'on trouve à l'article 9 qui parle de «opérations financières visées». Cela n'a rien à voir non plus avec le secret professionnel. Cela étant, je vous demanderais à vous qui êtes à la fois expert et avocat si, à votre avis, le texte de l'article 11, dans sa version anglaise, qui ne parle que des communications entre le conseiller juridique et son client, est suffisamment complet pour protéger les comptables, les avocats et tous les autres intermédiaires financiers qui peuvent intervenir dans le cas d'une transaction boursière par exemple?
[Français]
M. Spreutels: Vous parlez bien de l'article 11 qui dit que la présente partie n'a pas pour effet de porter atteinte au secret professionnel du conseil juridique?
[Traduction]
Le sénateur Oliver: En effet, je parle expressément ici du terme «communication» qu'on trouve dans la version anglaise du projet de loi.
[Français]
M. Spreutels: Je constate que ce terme n'existe pas dans la version française du texte.
[Traduction]
Le président: Quelqu'un pourrait-il nous dire ce qu'on trouve dans la version française? Sénateur Oliver, avez-vous cela sous les yeux?
Le sénateur Oliver: En effet. Le texte français est à droite et parle quant à lui du secret professionnel du conseiller juridique.
Ce que je soutiens ici, c'est que le texte de la version anglaise n'est pas suffisamment complet pour garantir l'immunité aux avocats, aux comptables et aux autres intermédiaires financiers par rapport au secret professionnel qu'ils sont tenus de garder en vertu du code déontologique de leur profession.
[Français]
M. Spreutels: Je crains fort que je ne sois pas compétent pour procéder à une analyse aussi profonde du système en projet qui est très complexe, très équilibré aussi, et qui contient toute une série de dispositions de sauvegarde. Cependant, à la première lecture que j'en avais fait en français, j'avais retenu que cette notion de secret professionnel paraissait suffisamment claire.
[Traduction]
Le sénateur Oliver: Le secret professionnel n'est pas du tout mentionné.
Pour passer à quelque chose d'entièrement différent, selon la loi canadienne, les opérations doivent être déclarées à partir du moment où elles dépassent 10 000 $. À votre avis, ce seuil est-il approprié, suffisamment élevé, trop élevé ou trop faible?
[Français]
M. Spreutels: Je pense qu'il s'agit du seuil au-dessus duquel le client doit être identifié s'il s'agit d'un client occasionnel. Ce chiffre correspond parfaitement à ce qui est prévu notamment dans les législations des États membres de l'Union européenne.
[Traduction]
Le sénateur Oliver: Combien au juste?
[Français]
M. Spreutels: Il s'agit de 10 000 euros.
[Traduction]
Le sénateur Oliver: Dans votre exposé, et avant que le sénateur Kelleher ne vous ait posé ces questions, vous avez dit que les avocats ne devraient pas systématiquement tomber sous le coup de la loi. Ensuite, lorsque le sénateur Kelleher a commencé à vous interroger à propos du secret professionnel, vous lui avez dit que lorsqu'un avocat joue le rôle d'intermédiaire financier, il ne devrait avoir aucun immunité par rapport à la loi. Je trouve qu'il y a là une certaine contradiction. Vous pourriez peut-être m'expliquer votre raisonnement.
[Français]
M. Spreutels: La profession d'avocat et le rôle social de l'avocat sont des choses très complexes. Je crois que tout le monde reconnaît qu'il ne sera pas toujours simple de faire la différence entre l'avocat lorsqu'il intervient comme intermédiaire financier et lorsqu'il intervient comme conseiller en vue de la défense en justice.
À cet égard, un rôle déterminant doit être joué par les autorités disciplinaires des avocats, donc les ordres des avocats qui devront être associés. Ce sera le cas en Belgique de façon très étroite à l'élaboration de cette législation et surtout, à son application de façon à éviter qu'un tel texte ne puisse aboutir à des abus. Le secret professionnel de l'avocat est un des piliers de notre système démocratique, mais d'un autre une côté, une société démocratique ne peut pas permettre non plus qu'une profession qui a des activités d'intermédiaire financier puisse être le maillon manquant dans un système de protection contre le blanchiment d'argent criminel. Ce n'est pas facile. Il faudra arriver à un équilibre et je crois que la bonne volonté de tous sera indispensable.
[Traduction]
Le sénateur Kroft: Je voudrais poser une question complémentaire dans le même sens et vous demander votre avis en faisant la synthèse des interpellations des sénateurs Oliver et Kelleher. Depuis la création de la cellule belge, avez-vous réussi à convaincre le public et les milieux professionnels que vous aviez pu bien faire la distinction entre un avocat agissant en tant qu'intermédiaire financier et un avocat agissant en tant que conseiller juridique pendant une procédure judiciaire? Cela porte-t-il à controverse en Belgique? Diriez-vous que cela pose toujours problème? À quel point selon vous avez-vous réussi à être convaincant à ce sujet?
[Français]
M. Spreutels: Je crois que cet équilibre est atteint à l'égard des professions qui sont actuellement visées par la loi et qui sont titulaires d'un secret professionnel comme les notaires publics ou certaines professions comptables qui, au départ, avaient émis également des obligations de principe quant à leur inclusion dans le système. Précisément, grâce à la collaboration des ordres professionnels et des contacts étroits que nous avons eus avec eux, nous sommes parvenus à un équilibre. Maintenant, je n'entends plus de plaintes à l'égard du système. Pour les avocats, je ne peux rien vous dire puisqu'ils ne sont pas encore inclus dans le système en Belgique.
[Traduction]
Le sénateur Wiebe: Cette question pourrait compléter celles qui ont été posées par les sénateurs Kroft et Oliver et découle peut-être en partie de la façon dont j'ai compris l'interprétation. Dans votre introduction, vous nous avez dit que le projet de loi C-22 était la mesure législative qui protégeait le plus les renseignements personnels, la vie privée et les droits civils. Entendez-vous cela par rapport aux législations d'autres pays dont vous avez connaissance?
[Français]
M. Spreutels: Oui, absolument. J'étais très impressionné notamment par cette disposition qui interdit la perquisition au centre et qui protège tout particulièrement la confidentialité des données très sensibles que le centre doit conserver. D'ailleurs, dans le cadre d'une prochaine modification de la loi belge, suite à la modification de la directive, je vais plaider chez moi, auprès du gouvernement, pour qu'on introduise dans notre système une disposition de cette nature de façon à renforcer la protection et la confidentialité des informations qui sont à la disposition du centre. En effet, c'était après une étude comparative des autres législations.
[Traduction]
Le sénateur Wiebe: D'après vous, pensez-vous que le fait que ce projet de loi canadien protège beaucoup la vie privée, les renseignements personnels et les droits civils risque de nuire à son efficacité ou en serait une garantie?
[Français]
M. Spreutels: Non, je pense plutôt que ce serait une garantie de son efficacité dans la mesure où, grâce à cette protection renforcée, existera une relation de confiance entre les organismes financiers, les autres personnes visées par la loi et le centre d'analyse. À mon avis, c'est plutôt un gage d'efficacité.
[Traduction]
Le sénateur Tkachuk: Vous nous avez dit un peu plus tôt que la cellule belge avait un budget de fonctionnement de 60 millions de francs belges. Vous avez également parlé d'un certain nombre d'employés qui y étaient détachés. Lorsqu'un employé de la cellule y est détaché par un corps policier ou par un autre ministère, son traitement émarge-t-il au budget de son ministère d'attache ou fait-il partie de ce budget de 60 millions de francs belges?
[Français]
M. Spreutels: Oui, je crois que chaque système national a ses particularités institutionnelles propres. On peut difficilement transposer un système dans l'autre en ce qui concerne des modalités aussi pratiques. Comme nous avons un statut d'autonomie très important, nous recrutons nous-mêmes notre personnel et nous le payons nous-mêmes sur notre budget. En revanche, les membres du Conseil de la cellule, dont moi-même qui suis membre du pouvoir judiciaire, nous sommes payés par l'État et non par le budget de la cellule. De même, les policiers qui sont détachés auprès de nous restent payés par leur corps d'origine.
[Traduction]
Le sénateur Tkachuk: Par conséquent, le traitement des policiers et des personnes qui travaillent directement pour la cellule n'émarge pas au budget de celui-ci. Qu'est-ce que cela représente? Si tous ces traitements faisaient partie du même budget, vous faudrait-il un budget deux fois plus élevé, trois fois plus élevé, ou plus élevé de moitié?
[Français]
M. Spreutels: Non, c'est tout à fait négligeable parce qu'à part les trois procureurs qui sont détachés au sein de la cellule et qui sont à temps plein, ou presque, -- en ce qui me concerne, je ne suis pas à temps plein, mais mes collègues le sont -- les autres membres sont là à temps partiel et n'assistent qu'aux réunions. Il y a une réunion par semaine où on prend les décisions de classer un dossier, de le transmettre, de faire une information complémentaire. On ne peut pas considérer que l'ensemble du salaire de ces personnes devrait être à charge uniquement du budget de la cellule parce qu'elles s'occupent aussi d'autres tâches. Quant aux trois policiers, je crois que c'est tout à fait négligeable sur le plan global.
[Traduction]
Le sénateur Tkachuk: La cellule est fonctionnelle depuis sept ans et vous nous avez dit que 38 000 de ces déclarations vous étaient parvenues. Quel est le pourcentage de ces déclarations que vous avez transmises à la police? Et sur ce chiffre, quel est le pourcentage de dossiers qui ont abouti à des condamnations?
[Français]
M. Spreutels: Les 38 000 déclarations ont été regroupées en 7 000 dossiers parce que plusieurs déclarations peuvent concerner une même personne, une même société, une même affaire. Donc nous avons traité 7 000 dossiers. De ces dossiers, nous en avons transmis 1 800 en vue de poursuites éventuelles. Je n'ai pas encore les derniers chiffres qui arriveront seulement à la fin du mois en ce qui concerne l'année écoulée, mais le résultat judiciaire était de 180 condamnations. Cependant, il y avait encore une bonne centaine de dossiers qui avaient été renvoyés devant les cours et tribunaux, mais qui n'avaient pas encore été jugés.
Il peut parfois arriver que les poursuites soient abandonnées au niveau judiciaire, mais dans la plupart des cas, les enquêtes sont encore en cours parce qu'il s'agit généralement d'enquêtes complexes. Vous savez bien que ce ne sont jamais des dossiers très simples, que la justice est lente et que les enquêtes sont lentes aussi. Il y a souvent des connexions internationales dans ces enquêtes, ce qui ralentit aussi leur aboutissement. Pour l'instant, j'insiste beaucoup auprès du gouvernement pour que l'on améliore le suivi judiciaire des dossiers transmis par la cellule. Cela figure d'ailleurs dans le nouveau plan de sécurité que le gouvernement vient d'adopter la semaine dernière.
[Traduction]
Le sénateur Tkachuk: Je dirais que cela doit représenter en moyenne, par année, et rien que pour votre service, environ 26 dossiers de poursuite s'étaient soldés par une condamnation. Cela ne tient pas compte de tous ceux que la police aurait pu, sans votre intervention, faire condamner pour avoir utilisé le système bancaire pour blanchir de l'argent sale. Combien de cas cela pourrait-il représenter? J'essaie simplement de savoir si votre cellule est vraiment nécessaire. Vous ouvrez 1 800 dossiers par an et vous obtenez seulement 26 condamnations. Il est certain qu'un bon nombre de ces dossiers concernent des sommes bien supérieures à 10 000 euros, ce qui veut dire qu'ils auraient été de toute manière transmis à la police, laquelle aurait fait enquête sans l'intervention de votre cellule. J'aimerais savoir quels auraient été les résultats sans vous.
[Français]
M. Spreutels: Non. Je voudrais vous rappeler que nous n'avons pas de système automatique de déclaration de soupçons. Ce n'est pas parce qu'une opération dépasse 10 000 euros qu'elle doit pour cela être transmise à la cellule. Le seuil des 10 000 euros concerne uniquement l'identification des clients. Ce que nous recevons, c'est uniquement ce que, après analyse de leur part, les organismes financiers ont considéré comme étant suspect, quel que soit le montant. Il y a plusieurs systèmes dans le monde. Nous avons un système qui n'est pas un système de «reporting automatic».
Les chiffres que je vous ai donnés, ce sont uniquement les dossiers qui ont été ouverts par la cellule suite aux déclarations de soupçons. Bien entendu, la police ouvre d'autres dossiers de blanchiment, parce que la police peut avoir connaissance d'infractions par d'autres voies. Le service policier spécialisé en matière de lutte contre le blanchiment indique dans son dernier rapport annuel que 90 p. 100 des enquêtes effectuées par le service policier spécialisé proviennent des dossiers transmis par la cellule.
J'ajouterai aussi que l'avantage d'un organisme centralisé, c'est qu'il peut se spécialiser complètement dans une matière particulièrement difficile et qu'il peut acquérir une expertise qu'un service normal de police ne peut peut-être pas nécessairement acquérir. Lorsque nous transmettons un dossier aux autorités de poursuite, il a déjà fait l'objet de toute une analyse sur le plan financier. Cela facilite beaucoup le travail des services de police par après.
[Traduction]
Le sénateur Tkachuk: Avant la création de votre cellule, combien aviez-vous par an de condamnations pour blanchiment d'argent sale?
[Français]
M. Spreutels: Le délit pénal de blanchiment a été institué en Belgique en 1990. Le système préventif des déclarations de soupçons a été institué à la fin de 1993. Je crois pouvoir dire que pendant cette période, il n'y a eu aucune condamnation du chef de blanchiment en Belgique.
[Traduction]
Le président: Merci beaucoup, monsieur Spreutels, d'avoir eu l'obligeance de venir nous entretenir.
Notre prochain témoin représente CGA-Canada, l'Association des comptables généraux accrédités du Canada.
M. Everett Colby, Colby & Associates et North American Forensic Accountants, Association des comptables généraux accrédités du Canada: En plus d'être comptable général licencié, je suis également expert-comptable judiciaire. Je suis le propriétaire de Colby & Associates et de North American Forensic Accountants. Je suis accompagné aujourd'hui par Dawn McGeachy, CGA, qui s'occupe des relations avec le secteur public au sein de CGA-Canada. Je voudrais vous remercier de nous avoir invités à comparaître aujourd'hui.
La Certified General Accountants Association of Canada est un organisme professionnel autoréglementé et très respecté qui a la charge de la formation, de l'accréditation et du perfectionnement professionnel de plus de 60 000 comptables généraux accrédités et d'étudiants en comptabilité dans toutes les régions du pays. De très nombreux membres de notre association font office de comptables et de fiscalistes pour les particuliers et les entreprises de toutes sortes, en particulier les PME. Il y en a également qui sont à l'emploi des gouvernements, des institutions financières et des organismes sans but lucratif en qualité de conseillers, notamment financiers et administratifs.
CGA-Canada a pour mission de veiller à ce que ses membres se conforment à des normes professionnelles et déontologiques très élevées. Comme vous le savez, nous comparaissons régulièrement devant des comités parlementaires pour parler de questions se rapportant à la politique gouvernementale et touchant les membres de notre profession, et pour faire part de notre point de vue à des décideurs comme vous, quand cela s'avère nécessaire.
Nous sommes heureux de dire que CGA-Canada appuie en principe les dispositions contenues dans le projet de loi C-22, projet de loi visant la répression du recyclage financier des produits de la criminalité. Nous reconnaissons que le blanchiment d'argent et le mouvement transfrontalier des produits de la criminalité sont de plus en plus difficiles à dissuader et à détecter, et que les moyens traditionnels d'enquête sont de moins en moins efficaces. Les propositions contenues dans ce projet de loi donneront aux forces de l'ordre canadiennes les outils dont elles ont besoin et l'accès à des renseignements utiles qu'elles ne seraient pas en mesure d'obtenir autrement. Cependant, notre association a quatre réserves concernant ce projet de loi.
Premièrement, nous pensons que certaines expressions ambiguës contenues dans la partie I du projet de loi pourraient mener à une interprétation beaucoup plus large que prévue. À titre d'exemple, l'article 5 du projet de loi dispose que la loi s'appliquera à 12 types d'organismes différents ainsi qu'à leurs employés. Il prévoit qu'elle s'appliquera aussi aux personnes qui se livrent à des activités où exercent des professions décrites dans les règlements. Certes, cela est censé comprendre les comptables, mais cela n'est pas formulé expressément, puisque les règlements sont également ambigus et ne précisent pas les professions visées.
De plus, l'article 7 porte sur l'obligation de déclarer des transactions suspectes. Permettez-nous de vous dire, comme nous l'avons dit à d'autres comités, que cet article devrait être révisé pour refléter davantage le véritable but de la loi, à savoir son application à un professionnel qui intervient dans une transaction financière ou qui agit à titre d'intermédiaire financier.
Notre analyse du résumé législatif et du document de consultation a montré qu'il y a un risque de méprise en ce sens que les entités et les personnes agissant à titre d'intermédiaires financiers, notamment les avocats et les comptables, seront obligées de faire une déclaration si elles ont des motifs raisonnables de soupçonner qu'une transaction financière a pour but de blanchir de l'argent sale, et ce, à partir du moment où elles prennent connaissance de l'information sans avoir eu à intervenir dans la transaction. En effet, on peut lire dans le document de consultation que l'article 7 exige de toute personne ou entité visée par la partie I de faire une déclaration au centre chaque fois qu'une transaction financière semble suspecte. Nous comprenons l'objet de la loi, et cela nous a déjà été expliqué. Cependant, cette formulation est tellement imprécise qu'elle pourrait s'appliquer à des situations où l'intermédiaire prend connaissance d'une information sans pour autant avoir à intervenir dans la transaction.
Le président: Veuillez nous expliquer ce que vous entendez par «prendre connaissance d'une information».
M. Colby: Pour vous donner un exemple, si je prépare les états financiers d'une entreprise, je prends forcément connaissance d'informations même si je n'ai pas du tout agi comme intermédiaire financier dans le cadre d'une transaction financière. De par la nature de leur travail, les comptables prennent connaissance d'informations chaque fois qu'ils sont appelés à faire une vérification ou à préparer une déclaration de revenu.
Il faudrait donc changer la formulation pour que l'exigence de déclaration ne s'applique qu'aux comptables professionnels, notamment les CGA, qui interviennent directement dans la transaction comme telle, ce qui est l'objet de la loi, si je ne m'abuse.
Deuxièmement, nous avons des inquiétudes quant au fait que le centre reçoive et gère des informations. Le projet de loi ne prévoit pas l'établissement de critères pour déterminer ce qui serait considéré comme des motifs raisonnables de soupçonner qu'il s'agit de blanchiment d'argent. Par contre, le document de consultation précise que le centre élaborera des lignes directrices pour aider les entités devant faire des déclarations à cerner les caractéristiques et les circonstances qui définissent les soupçons raisonnables. Dans ce même document, on recommande que les informations contenues dans ces déclarations et la façon de soumettre ces déclarations au centre seront régies par des règlements.
Compte tenu de toute cette incertitude, nous avons l'impression qu'on conçoit quelque chose d'abord, puis on l'imposera. Pour notre part, nous devons faire confiance à ce système de déclaration qui est censé être efficace et peu coûteux. Le projet de loi dispose qu'il incombe aux professionnels de déterminer si la transaction financière est suspecte. Les comptables devront bien peser leurs décisions avant de déterminer si une transaction vise le blanchiment d'argent sale tel qu'il est défini dans le projet de loi.
CGA-Canada recommande d'inclure des règlements dans la loi plutôt que de fournir des lignes directrices préconisant des critères précis pour déterminer les caractéristiques et les circonstances qui permettraient éventuellement à un professionnel de conclure qu'il y a un soupçon raisonnable. Si on laisse à des centaines de milliers de personnes le soin de prendre une décision, comment peut-on alors appliquer les dispositions relatives au défaut de déclaration contre quelqu'un qui fait preuve de discernement et prend une décision qui est différente de celle du centre?
La partie 5 du projet de loi porte sur les mesures de défense et de protection garanties par la loi.
Le président: En tant que juricomptable, quels critères utiliseriez-vous pour déterminer si une transaction est suspecte?
M. Colby: Étant donné mon champ d'expertise et mon expérience professionnelle, j'ai déjà eu à travailler à des cas de blanchiment d'argent. De plus, j'ai déjà travaillé dans le secteur bancaire et j'ai été enquêteur aux États-Unis. Donc, je connais assez bien le sujet. Le comptable moyen prépare des états financiers, des déclarations de revenu et ainsi de suite. Il n'a probablement pas la formation et le savoir-faire nécessaires pour déceler les activités suspectes comme les transactions répétées ou encore les cas où plusieurs personnes présentent des chèques payables à la même entreprise. Ceux d'entre nous qui savent ce qui constitue une transaction suspecte n'auront pas de difficulté.
À elle seule, notre association compte 60 000 membres, sans compter l'Institut des comptables agréés et l'Association des comptables en management accrédités. Tous ces professionnels n'auront pas le même degré d'expertise. Tout cela pour dire qu'il y aura des centaines de milliers de personnes qui arriveront à des décisions différentes de la vôtre ou de la mienne. Or ce projet de loi leur laisse le soin de le faire. Il me semble qu'il serait difficile de faire appliquer les dispositions du projet de loi en cas de défaut de faire une déclaration si, parallèlement à cela, on demande aux professionnels de prendre des décisions qui pourraient être différentes de celles du centre. Il s'agira alors de divergence d'opinions. En revanche, si les critères étaient bien établis, les professionnels qui n'ont pas la formation voulue dans ce domaine disposerait d'une balise pour déterminer si une transaction est suspecte ou non.
Le sénateur Kolber: Êtes-vous disposés à en proposer une?
M. Colby: Permettez-moi de vous dire que l'Association des comptables généraux accrédités du Canada serait plus que ravie d'aider le ministère des Finances, le ministère de la Justice et quiconque d'autre voudrait participer à l'élaboration de ces règlements. Étant donné que nous faisons partie de l'une des professions qui seront touchées par ce projet de loi, nous participerons volontiers à leur élaboration.
Je voudrais revenir aux mesures de défense et de protection prévues par la loi. Même si nous reconnaissons que l'article 10 accorde une immunité générale, nous craignons néanmoins que cela ne soit pas suffisant dans le cadre d'une procédure disciplinaire ou d'une poursuite civile. Notre association a déjà eu à proposer des modifications à notre propre code déontologique pour que les membres de notre profession puissent se conformer à la loi.
La déclaration obligatoire comporte divers éléments. Nous croyons qu'il est nécessaire de prévoir une «règle libératoire» pour protéger les professionnels qui, de bonne foi et conformément à la loi, déclarent une activité suspecte et que ces déclarations se révèlent, plus tard, sans fondement. Même si nous ne sommes pas obligés d'informer le client qui fait l'objet de la déclaration, et même si le Centre n'avisera, en principe, jamais ce client, nous savons tous que, dans bien des organismes et ministères, il y a des fuites d'information. La fuite de renseignements de ce genre est très probable. En d'autres mots, nous voulons être certains que ce projet de loi prévoira la protection, juridique et autre, aux employés qui risquent de se retrouver dans une telle situation: l'employé fait une déclaration de bonne foi, mais cette déclaration se révèle injustifié. Pour une raison quelconque, le client en a connaissance et décide de poursuivre l'employé en question en invoquant la violation de son propre code de déontologie.
En outre, nous croyons que ce projet de loi devrait prévoir les cas où un employé fait une déclaration au centre et que cela lui coûte son emploi. On devrait aussi prévoir l'éventualité de circonstances légitimes dans lesquelles on ne devrait pas faire de déclaration. À cette fin, on devrait ajouter une disposition dite d'une «excuse valable».
Troisièmement, nous aimerions que le rôle du Centre soit mieux défini. Il faudra bien préciser aux Canadiens de qui relève ce centre. Bien que l'article 55 interdit au centre de divulguer des renseignements, nous ne croyons pas que celui-ci devrait être à l'abri de poursuites si les informations qu'il fournit aux forces de l'ordre ou à d'autres organismes devaient se révéler erronées ou diffamatoires.
Certes, nous convenons que le centre devrait être autorisé à fournir des renseignements aux forces de l'ordre. Mais nous avons été alarmés d'apprendre qu'il pourra aussi divulguer des informations à l'Agence des douanes et du revenu du Canada, au SCRS et au ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration.
Même si cela ne figure pas expressément dans les documents de consultation, les mêmes personnes qui travailleront au Centre et auxquelles on apprendra à reconnaître et à analyser l'infraction criminelle qu'est le blanchiment d'argent devront désormais se pencher sur les cas de fraude fiscale également. Or il s'agit de deux choses très différentes.
Le président: Pourquoi ne devrions-nous pas nous préoccuper de la fraude fiscale? Je ne voudrais pas entamer un débat là-dessus maintenant, mais je dois avouer que j'ai de la difficulté à comprendre votre point de vue. C'est tout.
M. Colby: Le paragraphe 55(3) dispose que le Centre doit d'abord déterminer s'il y a des motifs raisonnables de soupçonner que les informations fournies pourraient être utiles aux fins d'enquête ou de poursuite pour blanchiment d'argent avant de divulguer lesdites informations aux autorités. Cependant, le projet de loi ne précise pas ce qui constitue des motifs raisonnables à cette fin.
La première chose qui me vient à l'esprit, c'est le tamisage des données. Les mesures de protection proposées pour la divulgation de renseignements me semblent être, pour le moment, faibles. On ne prévoit rien quant aux examens de décisions par des tiers avant la divulgation de renseignements. Là encore, nous sommes censés croire que, une fois que les règlements seront pris, le public les acceptera volontiers.
L'aspect le plus inquiétant du projet de loi, du point de vue de notre association, est contenu dans les articles 62 à 65. En effet, ces articles disposent que les représentants du Centre auront le pouvoir de pénétrer dans les bureaux d'un professionnel et de photocopier des documents sans avoir obtenu de mandat de perquisition préalable. Nous trouvons cela trop envahissant. C'est à se demander si ce projet de loi ne contrevient pas aux dispositions de l'article 8 de la Charte des droits et libertés, qui établit le droit de chacun de ne pas être soumis à des perquisitions, des fouilles ou des saisies abusives.
En instituant ce Centre, on s'est efforcé de maintenir la perception selon laquelle on protège les renseignements personnels. Or, en pénétrant dans le bureau d'un professionnel sans être muni d'un mandat de perquisition, on semble violer le principe même de la protection des renseignements personnels. Le public s'attend généralement à ce que le comptable soit lié par le secret professionnel. Bien qu'il n'en soit pas ainsi, il est raisonnable de penser que le dossier d'un client ne doit pas être librement accessible à des tiers. D'où la nécessité d'obtenir un mandat de perquisition au préalable.
En outre, nous recommandons de préciser le projet de loi davantage pour limiter le pouvoir d'accès aux seuls dossiers qui se rapportent à des activités des intermédiaires financiers.
Je reviens à un point que j'ai soulevé plus tôt; l'article 11 ne s'applique qu'aux conseillers juridiques, soit les avocats plaidants, les avoués ou autres, et les procureurs. Il ne s'applique pas aux comptables, ni aux autres professionnels qui sont astreints au secret professionnel.
En outre, dans le paragraphe 64(2), qui a trait aux procédures d'application de la loi et de conformité, il est stipulé que si un agent du Centre perquisitionne dans un bureau pour obtenir des documents et des photocopies, si ces derniers sont en la possession d'un conseiller juridique, celui-ci peut invoquer le secret professionnel. Moi, je suis comptable et non conseiller juridique, mais dans le cadre de mes activités de juricomptable ou de conseiller en matière fiscale, il se peut que j'aie en ma possession des documents confidentiels. Il se peut aussi que mes services soient retenus par un conseiller juridique. Cependant, ces dispositions ne reconnaissent pas le fait que je sois lié par secret professionnel ni la confidentialité des documents dont je dispose. Nous souhaitons que le libellé de ces dispositions soit modifié pour que la loi traite sur un pied d'égalité ceux qui sont astreints au secret professionnel lorsqu'il s'agit de documents en leur possession et pas seulement en celle d'un conseiller juridique.
Monsieur le président, si vous voulez en savoir davantage sur le point de vue de notre association, je vous invite à lire notre mémoire.
Le sénateur Furey: Ma question sera brève. Je ne comprends pas pourquoi vous estimez qu'il est nécessaire d'avoir une «règle libératoire» alors que l'article 10 dispose clairement que l'immunité vous sera accordée dans la mesure où vous agissez de bonne foi. En effet, l'article 10 vous met à l'abri de toutes poursuites criminelles ou civiles. Que voulez-vous de plus?
M. Colby: Les codes de déontologie des diverses professions ne relèvent pas des tribunaux civils ou criminels. Ils sont du ressort de tribunaux administratifs régis par les associations elles-mêmes étant donné qu'elles sont autoréglementées.
Le sénateur Furey: Est-ce que vous voulez dire que certaines dispositions de ce projet de loi vous forceront à violer votre propre code de déontologie?
M. Colby: Effectivement, le risque existe. Nous avons déjà dû apporter des modifications à notre code de déontologie justement pour nous conformer à l'obligation de déclarer les activités suspectes. Nous n'avons toujours pas réussi à résoudre, par exemple, l'obligation de déclarer les transactions monétaires supérieures à 10 000 $. Notre code stipule que nous ne sommes pas autorisés à divulguer ces renseignements. Or, ce projet de loi m'oblige à le faire. J'ai un dilemme: est-ce que je fais ce que la loi m'ordonne...
Le président: C'est la loi.
Le sénateur Furey: Il n'y a pas de dilemme. La loi prime votre code.
M. Colby: Nous voulons être certains que quand nous agissons de bonne foi...
Le président: Vous ne pouvez pas vous substituer au gouvernement.
M. Colby: Nous n'avons pas l'intention de le faire non plus. Nous voulons simplement nous protéger en tant que professionnels, car un client peut nous poursuivre en invoquant notre propre code de déontologie.
Le sénateur Tkachuk: C'est le gouvernement qui est censé protéger les gens. C'est son rôle.
Le président: Si les gens versent dans l'illégalité, on ne protège pas les criminels.
Le sénateur Tkachuk: On ne le sait pas. C'est ce qu'il essaie de vous expliquer.
M. Colby: J'ai toujours cru que le gouvernement essayait généralement de ne pas dicter de politique aux diverses professions et qu'il leur a toujours permis de s'autoréglementer. La plupart de nos associations, qu'il s'agisse de l'Association du Barreau ou de l'Association des comptables, ont adopté des codes de déontologie assez semblables. Ces codes expriment des principes et des valeurs qui sous-tendent tout ce en quoi nous croyons. Toutefois, nous sommes obligés de modifier nos propres codes pour nous conformer à la loi. Nous sommes disposés à faire tout ce qu'il faut pour nous y conformer.
Le sénateur Furey: C'est ce qu'on fait en général, n'est-ce pas? Lorsqu'une nouvelle loi est adoptée, si un organisme professionnel constate que son code de conduite n'est pas conforme à cette loi, il doit alors le modifier en conséquence.
M. Colby: Oui.
Le sénateur Furey: On n'a pas besoin de changer l'article de ce projet de loi qui porte sur l'immunité. Le degré d'immunité accordé est remarquable, et la seule exigence est que la personne agisse de bonne foi.
M. Colby: Très bien.
Le sénateur Tkachuk: À la page 6 de votre mémoire, vous préconisez une règle libératoire et vous parlez de la difficulté qu'auront des amateurs, car c'est ce qu'ils sont en réalité, à soumettre des renseignements au centre. Étant donné qu'il s'agit d'amateurs, pensez-vous qu'ils pourraient pécher par précaution et qu'ils feraient des déclarations inutiles? En d'autres mots, plutôt que de risquer de violer la loi, on préférera pécher par précaution et faire une déclaration quand même, pour ne pas s'exposer à des ennuis.
M. Colby: C'est une possibilité. C'est le jugement de bien des gens que l'on remettra en question.
Le sénateur Tkachuk: Avez-vous l'intention de demander aux membres de votre association de ne pas faire ces déclarations?
M. Colby: Notre association essaiera d'informer ses membres de ce que pourrait être éventuellement les critères, mais nous ne pensons pas qu'il nous appartienne à nous de le faire d'autant plus qu'il y a risque d'aller a l'encontre de l'objet de la loi. Au lieu de proposer des lignes directrices, pourquoi ne pas prendre des règlements établissant les critères? Les différentes professions pourront alors référer à ces balises pour prendre des décisions.
Le sénateur Tkachuk: Vous avez dit que ce qui était inquiétant dans le projet de loi était ce pouvoir qui permet aux représentants du centre de pénétrer dans les locaux d'un professionnel pour y copier des documents sans autre formalité et sans avoir besoin d'un mandat. Pourquoi le ferait-il?
M. Colby: C'est ce que prévoit la disposition du projet de loi concernant l'exécution. J'imagine que la théorie est que, pour pouvoir avoir la certitude que la loi est bien respectée, ces gens doivent avoir le pouvoir de pénétrer chez moi pour copier des documents, et le texte actuel leur donne un accès illimité à mes dossiers. Ils peuvent ouvrir tous mes dossiers et en prendre des copies à mes frais pour vérifier si je respecte bien la partie 1 de la loi.
Le sénateur Tkachuk: Pensez-vous que l'agent du centre procéderait en réalité à une enquête?
M. Colby: Ce serait en effet la conclusion logique.
Le sénateur Tkachuk: Ce serait la seule raison pour laquelle il viendrait chez vous.
M. Colby: Je l'espère, à moins qu'il s'agisse d'une enquête à l'aveuglette.
Le sénateur Tkachuk: Voilà qui est intéressant. Il faudra que je vérifie ce qu'ils nous ont dit vouloir faire au juste. D'une façon ou d'une autre, j'avais pensé que le centre ne procéderait pas à des enquêtes mais se contenterait d'examiner les renseignements en sa possession.
Mais à l'heure actuelle, selon le texte du projet de loi, si un agent du centre arrive chez vous et vous demande un document, s'agirait-il d'un document que vous auriez vous-même mis en dossier ou que quelqu'un d'autre aurait mis en dossier chez vous? En d'autres termes, s'agirait-il de quelque chose concernant quelqu'un, mais qui aurait été mis en dossier chez vous par un tiers? Est-ce possible?
M. Colby: Le paragraphe 62(1) dit ceci:
La personne autorisée peut, à l'occasion, examiner les documents et les activités des personnes ou entités visées à l'article 5 afin de procéder à des contrôles d'application de la partie 1 [...]
Je ne suis pas juriste et c'est peut-être une question d'interprétation, mais ce que j'en dis c'est que les agents du Centre peuvent venir frapper à ma porte n'importe quand, sans préavis et pour quelque raison que ce soit pour examiner tous mes dossiers, sans exception, et me poser des questions sur mes activités et mes affaires pour vérifier si j'ai bien respecté la loi. Je trouve que c'est une ingérence abusive.
Le sénateur Tkachuk: Moi aussi.
Le sénateur Fitzpatrick: Je voudrais revenir à ce que vous disiez au sujet du secret professionnel. Vous avez dit qu'un conseiller juridique serait protégé mais pas vous si vous agissez au nom de celui-ci. J'avais pensé qu'en l'occurrence, ce serait un cas où un conseiller juridique vous aurait engagé pour faire un travail quelconque. Dans un cas comme celui-là, l'immunité qui est accordé au conseiller juridique rejaillirait sur vous dans la mesure où vous êtes engagé par lui. Vous seriez protégé étant donné qu'il s'agit d'une arrangement pris par le conseiller juridique. Vous me dites donc que, si un conseiller juridique vous engage et que ce conseiller juridique est lui-même protégé, vous ne le seriez pas vous-même en votre qualité de comptable?
M. Colby: Le paragraphe 64(2) fait partie de la disposition concernant l'application de la loi, la perquisition et la saisie, et il dit ceci:
Il est interdit à la personne autorisée d'examiner ou de reproduire un document se trouvant en la possession d'un conseiller juridique et à l'égard duquel celui-ci fait valoir le secret professionnel le liant à un client actuel ou antérieur, nommément désigné.
Ici encore, je ne suis pas juriste, mais je fais le lien entre cela et l'exclusion qu'on trouve à l'article 11 qui dit que si le conseiller juridique se réclame du secret professionnel au sujet d'un document, ce document ne peut pas être examiné. On dit ici «en la possession». Comme je ne suis pas conseiller juridique, cela m'inquiète. Si j'ai en ma possession un document qui appartient à un conseiller juridique mais qui n'est pas en sa possession, est-ce que je peux m'en prévaloir? Selon le texte actuel du projet de loi, je ne le pense pas mais, ici encore, il se peut que mon interprétation ne soit pas la bonne.
Le sénateur Fitzpatrick: Vous prétendez donc que cet arrangement concernant le secret professionnel qui lie le conseil juridique à son client, se trouverait ainsi affaibli.
M. Colby: Je pense qu'il est fort probable que ce soit le cas, et peut-être faudrait-il modifier cette disposition pour permettre précisément l'exclusion de toute pièce couverte par le secret professionnel, peu importe la personne qui l'a en sa possession.
Le sénateur Kroft: J'imagine que dans vos activités professionnelles, vous avez pu constater qu'il y a des dispositions similaires dans la Loi de l'impôt sur le revenu, n'est-ce pas?
M. Colby: Je sais que l'article 231 de la Loi de l'impôt sur le revenu donne aux agents du fisc le pouvoir de venir chez moi pour examiner mes livres et mes registres, mais que lorsqu'il s'agit de ceux d'un client, s'il s'agit de documents sur lesquels je travaille, ceux-là sont exclus. Il faudrait que le fisc ait un mandat de perquisition pour saisir mes dossiers. Que je sache, la jurisprudence a confirmé que les documents de travail du comptable sont sa propriété et non pas celle de son client. Pour pouvoir venir chez moi et fouiller dans mes dossiers, ils auraient besoin d'un mandat de perquisition. Si j'ai les registres de mon client, la loi leur permet de venir les examiner.
Le sénateur Kroft: Pour en revenir aux dispositions générales, prétendez-vous qu'il y a asymétrie entre les dispositions de la Loi de l'impôt sur le revenu et celles de ce projet de loi-ci en ce qui concerne les droits qui sont donnés au Centre pour lui permettre de constituer un dossier à charge?
M. Colby: Je vois ce que vous essayez de dire.
Le sénateur Kroft: Je m'interroge sur la différence qu'il y a entre ce que vous prétendez et ce que dit le projet de loi.
M. Colby: La Loi de l'impôt sur le revenu est directement applicable au particulier qui doit produire une déclaration, peu importe qu'une tierce partie l'ait ou non aidé à le faire. Ce projet de loi-ci s'applique aux tiers plutôt qu'au particulier qui se livre à une activité ou à une transaction financière suspecte.
En vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu, un agent du fisc peut venir examiner les dossiers et les livres du contribuable, mais il n'a pas le droit de venir examiner les miens pour la seule raison que j'ai aidé ce dernier à produire sa déclaration.
Le sénateur Kroft: Mais le but est différent dans ce cas-ci. Nous ne devons pas nous attendre à ce qu'il y ait une similitude étant donné que, dans les deux cas, l'objectif poursuivi est différent.
M. Colby: Admettons que le projet de loi permette aux agents du centre d'aller examiner les livres d'une officine de courtage qui a fait l'objet de certaines déclarations. Le centre va pouvoir examiner les dossiers et les livres de l'officine en question. Je sais que ce n'est pas la même chose que le fait d'aller examiner les dossiers de la même officine qui se trouvent chez le conseiller juridique ou le comptable de celle-ci.
Ce projet de loi, sous sa forme actuelle, donne un pouvoir d'examen tellement large que les agents du centre ne doivent pas se contenter d'examiner les livres ou les dossiers expressément visés par la déclaration. Ils peuvent examiner ce que bon leur semble. Il n'y a aucune limite.
Le sénateur Kroft: Cela semble en effet être le cas.
Le président: Que dites-vous du paragraphe 64(2)? Vous vouliez être couvert. Un conseiller juridique peut invoquer le secret professionnel lorsqu'il s'agit d'un document. Il est interdit à la personne autorisée envoyée par le centre d'examiner ou de reproduire le document en question.
M. Colby: Je comprends le raisonnement à l'appui de cette disposition. J'aimerais toutefois qu'elle soit modifiée.
Le président: Vous voudriez que les comptables soient inclus dans la description générale?
M. Colby: J'aimerais que quiconque, professionnel ou non, qui est appelé à avoir en sa possession un document couvert par le secret professionnel qui lie un conseiller juridique à son client, soit couvert; qu'il s'agisse d'un médecin, d'un conseiller juridique, d'un comptable ou d'un fonctionnaire.
Le sénateur Furey: J'imagine que si un avocat vous engage pour examiner un document comme celui-là, à ce moment-là ce document est réputé être en la possession de l'avocat et donc le secret professionnel pourrait être invoqué, n'est-ce pas?
M. Colby: J'ignore l'interprétation qu'on peut faire de cette disposition, et j'ignore également l'intention poursuivie par le législateur. Ça veut dire quoi au juste, «en la possession d'un conseiller juridique»?
Dans un cas de fraude fiscale, par exemple, un conseiller juridique pourrait retenir mes services pour effectuer l'enquête. Dans un tel cas, j'agirais en son nom. Étant donné que je suis engagé par un conseiller juridique, tout le travail je fais pour son compte sera protégé par le secret professionnel. Il se peut que j'aie en ma possession des documents et des preuves dont l'avocat en question n'aura même pas reçu copie, si je n'ai pas eu le temps de soumettre mon rapport. Il nous faudrait alors une interprétation juridique pour déterminer si ces documents sont réputés être en la possession de l'avocat.
Le sénateur Furey: Je pense que c'est clair.
Le sénateur Fitzpatrick: Si vous êtes inquiet, c'est que vous ne voulez pas que le secret professionnel qui vous lie ainsi que professionnels, soit compromis. Est-ce bien cela?
M. Colby: C'est bien cela.
Le sénateur Fitzpatrick: Mon collègue est d'avis que le secret professionnel ne serait pas compromis, mais c'est une question qui mérite d'être examinée, monsieur le président.
Le président: Je remercie les témoins d'être venus.
Les témoins suivants représentent la Gendarmerie royale du Canada. La parole est à vous.
M. Tim Killam, commissaire adjoint, Direction des opérations techniques, Gendarmerie royale du Canada: Honorables sénateurs, nous accueillons favorablement cette occasion qui nous est donnée de souligner l'importance de prendre des mesures vigoureuses et efficaces pour lutter contre les organisations criminelles qui se livrent au blanchiment des produits de la criminalité. Nous sommes également heureux de l'occasion de comparaître devant votre comité aujourd'hui pour appuyer le projet de loi C-22 qui vise la répression du blanchiment d'argent et pour discuter des effets de cette pratique sur l'économie légitime et de ce qui constitue pour nous la voie à suivre pour enrayer ce fléau.
Je vous ai remis un court document rédigé le 3 avril et intitulé «Gendarmerie royale du Canada -- Produits de la criminalité au Canada». Ce document retrace l'évolution de notre programme de lutte contre les produits de la criminalité, les changements législatifs et la structure de ce programme à titre indicatif seulement. En guise de mise en contexte, je vais vous résumer ce document.
Le blanchiment d'argent est défini comme un processus en vertu duquel on cherche à cacher l'existence d'une source ou d'une application de revenu illégales, puis ce revenu est déguisé ou converti pour lui donner une apparence légitime. En d'autres mots, le blanchiment d'argent consiste à convertir des produits illicites d'un système d'argent liquide en un système commercial.
Les objectifs des organisations criminelles est de mettre des produits obtenus de façon illégale hors de la portée des forces de l'ordre, et ce, en faisant passer de l'argent liquide par le système financier et, ce faisant, on l'injecte dans l'économie. Le but est de rendre aussi difficile que possible la détection de cet argent. Une fois que ces fonds traversent les différentes étapes de blanchiment d'argent, le revenu apparaît comme étant légitime, d'où la difficulté de le détecter et d'entamer les poursuites. Les profits peuvent alors être utilisés comme fonds de roulement pour financer des activités futures. Cela permet à ces organisations d'étendre leurs activités à de nouveaux marchés et devenir plus puissantes. Les organisations criminelles tirent des gains non seulement des activités illégales, mais aussi des investissements dans des entreprises licites. Les produits de la criminalité leur permettent de pénétrer des domaines économiques licites.
Le Programme de lutte contre les produits de la criminalité de la GRC vise à limiter sinon confisquer les richesses accumulées qui sont illicites et non déclarées, et qui découlent d'activités criminelles. À l'heure actuelle, il y a 22 unités de lutte contre les produits de la criminalité qui oeuvrent un peu partout au Canada et qui poursuivent farouchement les organisations criminelles tant à l'échelle nationale qu'internationale en s'attaquant à leurs biens obtenus illégalement.
Voici les objectifs du Programme de lutte contre les produits de la criminalité: détecter, évaluer, limiter et confisquer les richesses accumulées qui sont illicites et non déclarées et qui découlent d'activités criminelles; poursuivre les criminels; limiter et saisir les biens dans l'attente d'une confiscation judiciaire; signaler aux tribunaux les biens qui ne pouvaient être saisis pour justifier de pénalités judiciaires. Le principal objectif du programme est d'éliminer l'attrait de la criminalité.
Pour atteindre nos objectifs, nous accomplissons diverses tâches. Ainsi, nous effectuons des enquêtes sur les produits de la criminalité découlant notamment d'infractions désignées au trafic de drogues, d'infractions désignées en matière de douane et d'accise et d'infractions liées à la criminalité d'entreprises. De plus, nous répondons à des demandes d'aide provenant de corps policiers étrangers et nationaux, et nous favorisons la coopération internationale dans le cadre des enquêtes sur le blanchiment d'argent.
Le deuxième objectif du Programme de lutte contre les produits de la criminalité est la prévention. Nos équipes sur le terrains mènent des initiatives de police communautaire et de prévention de la criminalité en faisant des exposés devant les représentants des milieux financiers et commerciaux, des ministères et organismes gouvernementaux et du public en général. Elles distribuent en plus des brochures et autres documents d'information. Elles font la promotion de stratégies élaborées au niveau local ou à la Direction générale de la lutte contre les produits de la criminalité. Enfin, elles établissent des liens avec d'autres services et organismes policiers pour cerner les tendances et les activités criminelles se rapportant au Programme.
Le troisième objectif vise la formation. Les enquêteurs affectés au Programme reçoivent une formation appropriée, et nous assurons une formation internationale également.
Le quatrième objectif concerne l'élaboration et la mise en oeuvre de politiques. En effet, nous mettons en évidence les lacunes législatives et cherchons à apporter des modifications par l'entremise du ministère de la Justice. Nous élaborons des politiques propres à la GRC et nous les rendons publiques, de même que nous faisons l'évaluation du programme de chaque unité.
En tant qu'ancien agent chargé du Programme de lutte contre les produits de la criminalité au Canada, j'ai cherché, avec assiduité et de concert avec mes collègues, à faire en sorte que le Canada soit protégé par une palette de mesures visant à renforcer la lutte contre le crime organisé en nous attaquant au blanchiment des produits d'activités illicites. Dès le début, j'ai compris que les systèmes financiers canadiens étaient exploités par des organisations criminelles qui cherchaient à cacher, légitimer et transporter leurs produits et, ce faisant, finançaient leurs activités futures. Le Canada avait besoin d'une approche systématique, coordonnée et coopérative pour protéger nos systèmes financiers contre toute criminalité.
Le blanchiment d'argent est le moteur économique qui fait fonctionner toutes les organisations criminelles du monde. En empêchant l'argent sale d'entrer dans le système financier canadien, on affaiblit les organisations criminelles. Le gouvernement canadien prend la lutte contre le crime organisé très au sérieux. Étant un corps policier fédéral, la GRC dirige cette lutte.
Nous avons entendu M. Spreutels estimer la masse considérable de l'argent blanchi provenant de la drogue à l'échelle mondiale entre 300 et 500 milliards de dollars américains par an. Les Nations Unies évaluent à plus de un billion de dollars par année les produits illicites générés par le crime organisé. Si on ajoute à cela les fonds illicites blanchis et versés dans l'économie et les crimes autres que le trafic de drogues, on pourrait se retrouver avec le double de ce chiffre. L'ampleur du problème dépasse l'entendement. La fuite de capitaux et le chaos qui déferlent sur les frontières de l'ancienne Union soviétique vers l'Europe, les États-Unis et ailleurs sont autant d'exemples qui montrent à quel point le problème est compliqué. Une portion de cet argent sale se retrouve au Canada, qui est perçu par les autres pays du monde comme un paradis pour les fraudeurs. La GRC est incapable de dire avec précision quel est le montant d'argent blanchi annuellement au Canada, mais selon des données empiriques, les taux seraient alarmants.
Les blanchisseurs d'argent sont attirés par le Canada, qu'ils considèrent comme un paradis pour diverses raisons. Premièrement, le Canada a une économie stable, une devise relativement forte et un système bancaire dont l'efficacité, la stabilité et la sécurité sont hors pair. Deuxièmement, le Canada et les États-Unis partagent une frontière longue et guère défendue, et le volume des échanges commerciaux et financiers entre les deux pays est énorme. Troisièmement, le Canada se trouve à proximité de l'un des plus grands marchés de drogue illicite au monde, les États-Unis. Enfin, et c'est probablement la raison la plus importante, le Canada ne contrôle pas strictement les mouvements transfrontaliers de devises et il n'est pas doté d'un système de déclaration obligatoire de transactions inhabituelles.
Le Canada doit comprendre que le monde actuel pose des défis de réglementation et d'application de la loi particulièrement difficiles, d'autant plus qu'on est en train de réduire les obstacles aux commerces et aux finances. La GRC estime que, pour lutter efficacement contre le crime organisé, le Canada doit instituer un système de déclaration obligatoire des transactions inhabituelles pour aider les enquêteurs à détecter les cas de blanchiment des produits de la criminalité.
En 1993, alors que la Commission pour la prévention du crime et la justice pénale se réunissait à Vienne, le secrétaire général des Nations Unies y esquissait déjà un portrait perturbant du crime organisé à l'échelle mondiale. Il disait:
Au fur et à mesure que les recettes du crime organisé augmentent, la nécessité de contrôler les banques devient une priorité pour les criminels [...] les entreprises contrôlées par le crime organisé donnent une marge de 70 p. 100 de bénéfices sur les investissements. Ceci au détriment des concurrents honnêtes qui doivent se préoccuper de leurs marges bénéficiaires, de leurs frais généraux, du remboursement des prêts bancaires. Bref, l'infiltration par le crime organisé tente à introduire des distorsions dans le jeu des forces du marché. À long terme, c'est le contribuable et le consommateur qui trinquent. Les bénéfices du crime organisé sont tellement énormes qu'aucune économie n'échappe aux répercussions de cette économie souterraine [...] nous devons améliorer les techniques d'enquête et limiter le secret à un niveau raisonnable.
La situation décrite par le Secrétaire général de l'ONU il y a sept ans, est identique à celle que l'on observe au Canada aujourd'hui.
Toutes les institutions financières telles que les banques, les compagnies de fiducie, les «quasi-banques», les compagnies d'assurance et les intermédiaires, tels que les avocats et les comptables, ainsi que les casinos, qui manient quotidiennement les fonds de ces clients, ont un rôle primordial à jouer en déclarant toute transaction inhabituelle et suspecte. Lorsque la divulgation est facultative, comme c'est le cas aujourd'hui au Canada, il n'y a pas de moyen systématique et fiable de découvrir des activités de blanchiment d'argent. Un système facultatif permet aux institutions financières de décider chacune dans quelle mesure elles veulent lutter contre le blanchiment d'argent et, en fin de compte, contre le crime organisé. L'évidence anecdotique qu'a vue la GRC souligne que tout le monde n'est pas aussi engagé dans la lutte au Canada.
À l'heure actuelle, il n'y a pas de coordination générale ni de contrôle des rapports, qui sont pour le moins fragmentés, et il n'y a donc pas de moyen de faire en sorte que les informations disponibles sont utilisées à fond par un organisme central tel que le Centre prévu dans le projet de loi C-22.
Il est certainement difficile de parvenir à un juste équilibre entre le respect de la vie privée et l'application de la loi et il semble que cela ne puisse jamais être fait une fois pour toutes. Cet équilibre doit constamment être réexaminé parce que la façon de faire des affaires, la tenue de dossiers, les systèmes de recherche documentaire et les méthodes de transfert frauduleuses évoluent tous.
Pour ce qui est de l'application de la loi, les avantages de la création d'un Centre d'analyse des opérations et déclarations financières du Canada tel que prévu au projet de loi C-22 sont nombreux. Ce centre, d'après nous, pourra entre autres, rendre l'utilisation des institutions financières plus difficile pour cacher les profits d'activités illégales, ce qui ferait que le Canada aura moins la réputation d'être un paradis pour le blanchiment d'argent. Ce centre satisfera à nos obligations internationales. Cela nous donnera un mécanisme pour obtenir le soutien et la coopération des banques et des autres institutions financières dans la découverte d'éventuelles infractions impliquant des devises. Le centre définira des cibles d'enquête sur le blanchiment éventuel de produits du crime et donnera des preuves corroborantes contre des gens qui auraient été repérés par d'autres sources, par des informateurs et autres organismes.
En fin de compte, les pays ne peuvent se permettre d'avoir un talon d'Achille. Sur les 26 pays membres du Groupe d'action financière sur le blanchiment de capitaux, seuls le Canada, Singapour et l'Allemagne n'ont pas encore de système obligatoire de déclaration des transactions suspectes ou inhabituelles. En outre, le Canada ne satisfait pas à la norme exigée pour le Groupe Egmont, groupe de service de renseignements financiers qui compte 53 pays et qui fixe les normes et échange des données de renseignements financiers dans une perspective de lutte contre le blanchiment d'argent.
Le fait est que le blanchiment d'argent consiste finalement à utiliser le système commercial légal à des fins illégales. Un régime de déclaration obligatoire international des transactions suspectes montrera aux organisations criminelles du Canada, et d'ailleurs du monde entier, que le Canada a un système efficace de déclaration des transactions et que leur argent n'est pas bienvenu ici.
Les problèmes qui découlent du crime organisé ne relèvent pas exclusivement de la police. Ce projet de loi prévoit un partenariat entre la police et l'administration et le secteur privé, et dissuadera les criminels de continuer à utiliser les institutions financières canadiennes pour déposer d'importantes sommes d'argent illicite et de le cacher dans des comptes partout dans le monde. En réalité, le blanchiment d'argent est un phénomène international. Si l'on veut que les forces de l'ordre collaborent, il semble logique que nous soyons obligés de coopérer entre institutions nationales en ayant au moins un système aussi efficace que ceux qui blanchissent les produits de la criminalité.
Que ce soit une bande de motards connus qui se spécialisent dans la violence ou l'intimidation ou la mafia qui a recours à la corruption, il s'agit d'organisations qui sont structurées pour optimiser leurs profits aux dépends de l'État et de ses citoyens. Je déclare donc humblement que l'État se doit de faire sa part en donnant aux forces de l'ordre un outil supplémentaire pour aider à lutter contre cet élément pervers de la société qui est prédisposé à blanchir les produits de la criminalité. Individuellement, ces problèmes sont énormes. Collectivement, ils peuvent sembler écrasants. Un régime de déclaration obligatoire ne peut être considéré comme une panacée. C'est plutôt une partie intégrale d'un vaste éventail de mesures visant à renforcer les moyens de lutter contre le crime organisé.
Le sénateur Tkachuk: Merci. Nous sommes tous favorables à ce que vous faites. Dans une société démocratique, il est difficile, vous le disiez, d'équilibrer la nécessité de saisir cet argent illégal et celle de protéger les droits des citoyens innocents qui risquent de se faire prendre dans les détours d'une enquête. Si ce n'est pas forcément aussi violent que dans un échange de balles, comme on en voit souvent lorsque la police a affaire à de sales types, il y a le risque que des gens se fassent prendre dans le feu croisé de cette énorme organisation que l'on met sur pied dans tout le pays à l'aide d'avocats et de comptables -- les grandes professions libérales, semble-t-il, qui manient le dollar.
Nous avons des chiffres estimatifs quant à l'argent blanchi dans le monde mais avez-vous un chiffre estimatif de ce qui est blanchi chaque année au Canada?
M. Killam: Étant donné la nature de ce genre d'activités, nous ne pouvons donner de chiffre estimatif. En fait, le groupe d'action financière sur le blanchiment de capitaux essaie depuis un certain nombre d'années d'estimer le montant que cela représente mondialement. Ce ne sont que des estimations très approximatives. Ce sont des extrapolations de certains types de crimes et de certains montants. Étant donné que le blanchiment de l'argent consiste à vouloir rendre l'argent légitime, c'est très difficile à quantifier.
La meilleure façon de le comprendre, c'est qu'il y a beaucoup d'organisations -- et nous le voyons dans les journaux -- que l'on poursuit pour des infractions traditionnelles régulières et qui n'ont pas à suivre les voies normales pour obtenir leur argent. Elles le font en s'adonnant à des activités criminelles. Il s'agit d'organisations énormes qui font de très gros profits. C'est visible. Ce sont des preuves empiriques. D'après les affaires sur lesquelles nous faisons actuellement enquête, nous savons qu'il y a beaucoup d'argent dans ces organisations mais nous n'avons jamais qu'une idée partielle de la chose. Nous avons un élément du casse-tête. À l'heure actuelle, lorsque nous commençons une enquête, nous n'avons qu'un élément du casse-tête. Si vous avez jamais fait un casse-tête, vous comprenez ce que je veux dire. Nous n'en avons qu'un tout petit élément. Parfois, cela nous vient d'une banque.
Le président: Sénateur Tkachuk, la Bibliothèque du Parlement peut vous fournir une réponse. Elle dit que le gouvernement fédéral estime que de 5 à 17 milliards de dollars de produits de la criminalité sont blanchis chaque année dans notre pays.
Le sénateur Tkachuk: De 5 à 17 milliards de dollars?
M. Killam: C'est tellement important que c'est très difficile à évaluer, mais c'est un chiffre énorme.
Le sénateur Tkachuk: Est-ce que la loi actuelle vous permet d'entamer des poursuites pour activités de blanchiment d'argent?
M. Killam: Oui.
Le sénateur Tkachuk: Combien de poursuites sont couronnées de succès chaque année au Canada?
M. Killam: Je ne sais pas.
Le sénateur Tkachuk: Peut-être pourriez-vous nous le dire pour une province, telle que l'Ontario ou le Québec?
M. Killam: Je ne peux pas vous dire exactement quels sont les chiffres.
Le sénateur Tkachuk: Des centaines?
M. L.R.J. (Lou) Goulet, sergent d'état-major, Direction générale des produits de la criminalité, Direction des services fédéraux, Gendarmerie royale du Canada: Pour ce qui est du nombre de personnes accusées ou condamnées, je n'ai pas les chiffres ici. Tout ce que je puis vous donner, c'est le nombre de recouvrements, les recettes, les amendes et les dossiers sélectionnés sur les quatre dernières années, en utilisant une méthode de mesures. J'arrondirai les chiffres de 1996 à 1999. Le montant des recouvrements se chiffre à 142 millions de dollars, dont les recettes représentaient 50 millions de dollars en confiscations réelles. Pour les dossiers renvoyés à d'autres organismes, 90 millions de dollars. Pour les amendes, environ 7 millions de dollars. Ce sont des chiffres en dollars réels.
Le sénateur Tkachuk: Si je comprends bien le premier chiffre, les 50 millions de dollars sont le montant d'argent illégal que vous avez effectivement intercepté; est-ce bien cela?
M. Goulet: C'est exact; les 150 millions de dollars représentent ce que l'on a récupéré.
Le sénateur Tkachuk: Est-ce par année?
M. Goulet: Non, c'est pour les trois dernières années, de 1996 à 1999, avec nos ressources limitées de 22 unités, soit environ 287 membres réguliers de la GRC qui sont prédisposés à faire enquête dans ce domaine. Nos unités intégrées sont composées d'équipes qui incluent des juricomptables, des avocats du ministère de la Justice et des agents de police. Ce sont les résultats de notre unité pour le moment.
Le sénateur Tkachuk: Je suppose qu'il y aura beaucoup plus d'enquêtes lorsque cet organisme aura été mis sur pied.
M. Goulet: Nous espérons avoir des indices de qualité, bien sûr. Nous ferons de notre mieux avec les renseignements que nous recevrons. Peut-être que dans certains cas les enquêtes seront déjà en cours et que ces renseignements viendront compléter ce que nous savons. Peut-être aussi qu'il s'agira de quelque chose de totalement nouveau et dont nous ne connaissons aucun détail.
Nous nous attendons en effet à une charge de travail accrue. Par exemple, sur la même période, aux Pays-Bas, il y a eu environ 16 000 divulgations, et il semble qu'il y ait une tendance, car de 20 à 24 p. 100 de ces divulgations sont arrivées au service de police grâce aux méthodes utilisées, qui leur ont permis de qualifier les trois actions de douteuses plutôt que d'inhabituelles.
Peu importe le nombre total de transactions douteuses que reçoit finalement l'agence, nous pouvons nous attendre à en recevoir environ 20 p. 100. Cela pour les forces de l'ordre, pas seulement la GRC.
Le sénateur Tkachuk: Auriez-vous suffisamment d'argent à votre budget si vous aviez besoin de plus de 297 personnes?
M. Killam: Il n'y a pas plus d'argent prévu pour l'enquête elle-même. Il est prévu un peu d'argent pour développer l'enquête une fois que nous avons reçu un rapport de l'agence. Ce rapport ou ces informations nous arriveront, mais n'auront aucune valeur juridique. Ce sera simplement des données de base. C'est ce que l'agence enverra à la police. Cela pourrait être simplement le nom de mon collègue ici et le fait qu'il a fait quelque chose à certaines banques. Il y a des tas d'autres choses qui se font à l'agence, mais que nous n'aurons pas. Ils arrivent à un certain niveau juridique, puis nous devons mener une enquête préliminaire pour nous permettre d'obtenir de l'agence l'ordre qui nous permet d'obtenir le reste du dossier. Nous avons beaucoup à faire lorsque nous recevons un rapport. Nous aurons un peu d'argent pour nous aider dans l'enquête pour effectuer cette partie de l'enquête qui est nouvelle. Nous n'obtenions pas ces indices avant.
Le président: Toujours là-dessus, êtes-vous en train de nous dire que lorsque l'agence fait son analyse, et tout le reste, elle ne vous donnera pas ces renseignements?
M. Killam: Elle ne nous donnera pas l'analyse.
Le président: Cela ne vous semble-t-il pas très contreproductif? Nous allons nous retrouver avec deux organismes gouvernementaux qui feront la même chose deux fois.
M. Killam: Ce sont les considérations liées au respect de la vie privée et à la Charte qui imposent cela. Vous avez entendu ce qu'a dit M. Spreutels, à savoir que ce projet de loi assure une grande protection, et c'est exactement la raison.
La Gendarmerie royale du Canada a participé aux discussions durant la préparation de ce projet de loi. J'ai participé à la majorité de ces discussions dans mes fonctions antérieures.
C'est la raison pour laquelle nous estimons que c'est un système juridiquement défendable, qui protège la vie privée des gens. Cela nécessite beaucoup de main-d'oeuvre, certes, mais c'est le genre de société dans laquelle nous vivons.
Le sénateur Fitzpatrick: Monsieur le commissaire, je sais que c'est une question difficile, aussi, mais avez-vous une idée du genre d'activités commerciales ou d'entreprises dont profite ce système de blanchiment d'argent? Par exemple, combien passe par des sociétés cotées en bourse? D'autre part, où cela mène-t-il pour ce qui est de la réglementation et de la surveillance de l'activité boursière?
M. Killam: Cela me ramène à la réponse que je donnais tout à l'heure. De par la nature même de cette activité, on ne le sait pas. Parce que ce centre n'existe pas, nous ne le saurons jamais. Le centre permettra d'obtenir certains types de renseignements grâce aux indices qui pourront lui parvenir.
En fin de compte, le centre fera peut-être ce genre d'enquêtes. Ce n'est pas nécessaire maintenant. Nous avons entendu nos collègues du CGAC. Ils s'inquiètent de faire partie de la solution. Ce n'est pas un problème de police. C'est un problème de société. Il se trouve que je suis payé à plein temps pour m'occuper de cela, mais nous devrions tous apporter notre contribution.
Ce projet de loi permettrait de s'attendre à ce que les gens communiquent ces renseignements au centre. Ces informations seront données. Dans le rapport au Parlement qui est prévu, vous trouverez davantage de renseignements, probablement communiqués à huis clos.
Le sénateur Fitzpatrick: Ma question suivante n'a rien à voir avec cela. Que pensez-vous d'éliminer les billets de banque de 1 000 $? Cela aura-t-il une véritable incidence sur les activités de blanchiment d'argent?
M. Killam: Cela aura un effet. Il y a très peu de pays qui ont des coupures d'une telle valeur. Je pense qu'il sera en effet bon d'arrêter de les émettre. De tels billets sont plus faciles à cacher et à transporter d'un pays à l'autre. La plus grosse coupure aux États-Unis est 100 $. Même si notre dollar vaut moins, il y a beaucoup de cas de contrebande où l'on utilise des billets de 1 000 $.
Le sénateur Fitzpatrick: Ces billets de 1 000 $ peuvent sortir du pays en contrebande. Ils reviennent dans des sociétés cotées en bourse et peuvent ainsi pénétrer l'industrie?
M. Killam: Tout à fait.
Le sénateur Kroft: Je vais vous poser une question générale qui, je vous préviens à l'avance, est une question d'opinion. Nous comprenons tous que pour parvenir à un bon projet de loi, il faut parvenir à un certain équilibre entre régler le problème et protéger les droits des citoyens. Pour ce qui est de la rigueur de ce projet de loi, j'aimerais savoir si, entre vous, vous estimez que les rédacteurs ont produit un projet de loi trop vigoureux, pas assez ou juste bien?
M. Killam: J'ai participé à la rédaction, et il se trouve que je suis un agent de police ayant une formation juridique. Je comprends les problèmes juridiques, et je crois que nous avons réalisé là un bon équilibre.
Au Canada, il y a des lois qui sont très strictes. Nous avons par exemple des exigences strictes en matière de respect de la vie privée. Nous avons une Charte pour protéger les citoyens, et c'est bien. J'estime que ce projet de loi réalise un juste équilibre. Cela nous complique un peu les choses, mais c'est le prix qu'il faut payer pour vivre au Canada, et je suis fier d'y vivre. Je ne vois pas d'inconvénient à être obligé de m'occuper de ces activités. Certes, ce sera difficile, et il serait plus facile qu'il n'y ait pas d'organisme semblable, mais c'est ce qu'il fallait faire.
Le sénateur Kelleher: Je considère cela essentiellement comme une loi sur le crime. Il s'agit de traiter traités d'affaires criminelles et des produits du crime. C'est pourquoi je suis un peu surpris que le mécanisme de rapport passe par le ministre des Finances. J'ai évidemment quelques préjugés. J'aurais pensé qu'il était préférable que cela passe par le solliciteur général. Que pensez-vous du mécanisme de rapport?
M. Killam: Cela a fait l'objet de nombreuses discussions. L'idée est que le centre ne doit pas faire partie de la police, même si son administration en serait considérablement facilitée.
Le sénateur Kelleher: Ce n'est pas ce que je demande.
M. Killam: Je sais, mais pour la même raison la GRC fait rapport au vérificateur général et a des liens très étroits avec ce ministère. À notre avis, les préoccupations qui se posent au niveau de la charte en ce qui a trait à la police se posent également en ce qui a trait au solliciteur général. Franchement, c'est un amendement à l'ancienne Loi sur le recyclage des produits de la criminalité, qui relevait du ministère des Finances. Il s'agit simplement d'une prolongation ou en fait d'un amendement de cette loi. Cela relève toujours du même ministère. Nous avons déjà discuté de la question.
Le sénateur Tkachuk: J'aimerais poser une question sur une disposition qui nous a beaucoup inquiétés; cela porte sur votre lien avec l'agence. Si un dossier est présenté et qu'on lance une enquête, participerez-vous à ces activités dès le début? Pas du tout? Le centre ne sera en contact avec aucun policier tant que le dossier ne sera pas renvoyé à la police?
M. Killam: La loi interdit à l'agence de divulguer ces renseignements à quiconque. C'est une protection assurée par la Charte des droits. Lorsqu'un dossier a été constitué et qu'il faut faire rapport, nous nous occuperons de la question, mais à ce moment-là tout aura été étudié en détail.
Pour mieux comprendre, nous avons affiché au mur ces tableaux pour montrer ce que cette agence fera pour nous.
M. Goulet: Aux termes de la loi actuelle, des dispositions prévoient l'accès aux banques de données du gouvernement. Selon la façon dont tout cela fonctionnera, nous pourrions avoir accès au CIPC, le Centre d'information de la police canadienne.
Le sénateur Tkachuk: Est-ce qu'on y retrouve les casiers judiciaires?
M. Goulet: Oui. Nous ne participerions pas à l'enquête.
Nous avons une affiche qui montre un encerclement. Ce concept a été emprunté à mes amis au Financial Crimes Center des États-Unis. Un dossier épuré est indiqué en fonction d'un guide de couleur. Le jaune est utilisé pour les transactions, le rose pour les noms d'entreprises et le brun pour les numéros de compte.
Les données seraient étudiées, et on procéderait à une analyse des liens. Puis, selon ce que nous aurions appris, nous pourrions passer à une enquête et préparer les éléments de preuve, espérant avoir suffisamment de raisons pour obtenir une ordonnance du tribunal, une ordonnance de produire les documents, puis nous communiquerions avec l'agence. À notre avis, l'agence peut produire ce genre de rapport.
Comme vous pouvez le voir, si vous étudiez le nombre de transactions, c'est une tâche qui n'est pas facile. On nous a demandé par le passé s'il était possible de composer avec un tel volume de renseignements. La réponse est oui. Il existe des systèmes d'intelligence artificielle, et c'est ce qui nous a permis en fait de produire ces tableaux pour mieux vous expliquer la situation.
M. Killam: C'est ce à quoi nous nous attendons de l'agence. En d'autres termes, cela veut dire qu'un renseignement pourra être transmis dans tout le pays. Ces renseignements sont offerts volontairement, et aucune norme n'est établie; c'est simplement ce qui découle en fait des rapports avec le secteur financier. Comme certains des témoins l'ont déjà dit, tout le monde ne voit pas les choses du même oeil et tout le monde ne comprend pas la question de la même façon ou a le même code déontologique, et cetera.
C'est la situation, et cela nous donne une petite idée de ce qui se passe. C'est ce que j'essayais de vous dire plus tôt. Cette agence devrait être en mesure de ramasser tous les petits morceaux pour avoir une meilleure idée de la situation. Vous ne saurez peut-être pas tout, mais lorsque nous obtenons un élément, c'est peut-être un élément important, et nous pourrons peut-être accomplir quelque chose. La meilleure façon à mon avis de décrire la situation est de dire qu'il y a un casse-tête et que cette agence mettra tous les morceaux ensemble.
Le sénateur Tkachuk: Normalement, évidemment, la police ne communiquerait pas le nom de personnes qui font simplement l'objet d'une enquête, mais qui n'ont pas encore été accusées de quoi que ce soit.
M. Killam: Non.
Le sénateur Tkachuk: Mais cela se produit.
M. Killam: Cela s'est produit par le passé. Mais ce n'est pas chose courante.
Le sénateur Tkachuk: Mais enfin cela se produit assez souvent.
M. Killam: Nous essayons d'éviter ce genre de chose. Ce n'est certainement pas notre habitude de le faire.
Le sénateur Tkachuk: Je le sais, mais cela se produit quand même.
M. Killam: C'est exact.
Le sénateur Tkachuk: Il arrive assez souvent que des gens font l'objet d'une enquête et que l'on retrouve ces renseignements dans les journaux. Un journaliste découvre ce fait. Pourquoi pensez-vous que le problème ne se posera pas à l'agence? S'agit-il de meilleurs employés?
M. Killam: C'est simplement que je ne crois pas qu'on procédera au même type d'enquêtes. J'ai cru comprendre que l'agence fera ses travaux dans des bureaux; ce sera plus à huis clos, afin de protéger la confidentialité.
Le sénateur Tkachuk: Nous vivons à Ottawa, où les journalistes et fonctionnaires se rencontrent à des soirées, vont souper ensemble, parlent. Supposons qu'un nom très intéressant est mentionné; le journaliste pourrait être intéressé, n'est-ce pas? Un préposé à une banque envoie à l'agence un renseignement qui mentionne un nom, le nom d'une personne assez bien connue -- une personne dont on aime bien entendre parler -- et même si elle n'a rien fait, il est possible qu'un journaliste en entende parler. Cela pourrait se produire et cela se produira.
M. Killam: C'est parfaitement possible.
Le président: Nous sommes heureux d'accueillir, du Bureau du commissaire à la protection de la vie privée du Canada, M. Bruce Phillips, le commissaire. M. Phillips m'a dit qu'il désire présenter des commentaires liminaires avant la période des questions.
M. Bruce Phillips, commissaire, Bureau du commissaire à la protection de la vie privée du Canada: Honorables sénateurs, je suis accompagné aujourd'hui de Julien Delisle, directeur administratif de mon bureau, et de deux membres de notre équipe de conseillers juridiques, Stuart Bloomfield et Martine Nantel.
J'aimerais tout d'abord dire qu'il s'agit de tout un projet de loi. Il me semble qu'il crée un précédent quant à la quantité de renseignements personnels que l'État est préparé à exiger de ses citoyens.
Le président: Quand vous dites qu'il s'agit de tout un projet de loi, est-ce un commentaire négatif ou positif?
M. Phillips: C'est à vous qu'il appartient de décider, quoique j'ai des commentaires à faire sur les problèmes particuliers qui entourent cette mesure législative.
Le président: Je rigolais.
M. Phillips: Vous pourrez me poser la question tout à l'heure.
Cette mesure législative pourrait placer une bonne partie de la population canadienne sous une surveillance pratiquement constante. Ainsi, et puisque le projet de loi semble autoriser l'établissement de profils très détaillés d'un grand nombre de Canadiens, je crois qu'il importe d'attirer l'attention du comité sur les préoccupations que les simples Canadiens ont à l'égard de ce genre de pouvoir, tout particulièrement compte tenu de l'expérience que nous avons récemment eue avec une base de données très complète du ministère du Développement des ressources humaines, qui, à ce jour, a suscité pas moins de 50 000 demandes d'accès aux dossiers de la part des Canadiens. Cela préoccupe le public, et cela crée un précédent important.
Il appartient à votre comité de décider si le problème défini par les parrains du projet de loi est suffisamment grave pour en fait justifier le genre de collecte de renseignements rendues possible par ce projet de loi. Je sais que le recyclage financier est une question importante, mais je dois m'inquiéter de l'impact de cette mesure législative sur la protection de la vie privée des Canadiens.
Nous sommes saisis d'une proposition visant à autoriser la collecte de renseignements sur un nombre illimité de Canadiens, principalement sans leur consentement, une fois que vous avez franchi les étapes établies au chapitre des exigences d'établissement de rapports, largement sans qu'ils soient au courant de la situation, et, après avoir étudié le libellé actuel du projet de loi, nous voulons ajouter que tout cela se fera vraiment sans que les citoyens aient accès à ces dossiers. Tout compte fait, ces propositions vicient les droits contenus dans la Loi sur la protection des renseignements personnels.
Je résumerai tout d'abord nos préoccupations à l'égard de ce que nous jugeons être des dispositions vagues et ambiguës. Les banques, sociétés de fiducie, sociétés d'assurance, caisses de crédit, conseillers en placement, et autres organismes offrant des services financiers, et même les casinos, sont tenus de présenter des rapports sur «toutes les transactions financières» pour lesquelles il existe, conformément au projet de loi, «des motifs raisonnables de soupçonner qu'elles sont liées à la perpétration d'une infraction de recyclage des produits de la criminalité». Qu'entend-on par motifs raisonnables? Nous ne le savons pas. Ce n'est pas défini dans le projet de loi. Le projet de loi demande aux entreprises et aux individus d'évaluer, de façon subjective, et peut-être même spéculative, le caractère de leurs clients et la nature de leurs activités sans établir dans la mesure législative ou par règlement ce qu'on entend par motifs raisonnables.
En fait, vous pourriez dire que cette mesure législative encourage la présentation excessive de données personnelles. Puisque les organisations et les particuliers qui sont tenus de faire rapport de ces transactions douteuses peuvent recevoir des amendes pouvant s'élever jusqu'à 500 000 $ et être emprisonnés pendant des périodes pouvant aller jusqu'à six mois, il me semble qu'ils seront plutôt portés à fournir beaucoup plus de renseignements que pas assez. De plus, puisqu'on n'a pas défini vraiment ce qu'on entend par «motifs raisonnables» et «opérations douteuses», on invite ainsi la présentation de rapports excessifs et on augmente les risques que des citoyens innocents voient des détails de leur vie privée ainsi divulgués. Il faut répéter encore une fois que la grande majorité de ceux qui seront visés par cet énorme système de collecte de renseignements seront innocents.
Les commentaires de M. Seeto, du ministère des Finances, étaient fort intéressants. En essayant d'assurer la pondération entre la valeur des renseignements du point de vue de la preuve ou de l'enquête et la quantité de renseignements ainsi recueillis, il nous dit qu'en Belgique, qui est apparemment un des rares endroits où il existe des statistiques détaillées, 24 000 opérations douteuses ont fait l'objet d'un rapport entre 1993 et 1999. Sur ces 24 000 rapports, 1 400 ont été renvoyés aux autorités judiciaires et 117 condamnations ont été obtenues. Je crois que l'argument qu'il faut présenter, un argument que le Sénat doit étudier, c'est qu'il faut se demander si la solution n'est pas un petit peu pire que le problème.
Lorsqu'il existe un critère objectif à l'égard de la présentation de rapports, comme deux opérations bancaires ou plus dans la même journée pour un total de 10 000 $ ou plus comptant, même si je ne suis pas un expert, je crois personnellement que l'on collectera ainsi des renseignements sur un très grand nombre de gens. On discute des seuils, et même si ce n'est pas vraiment une question que j'aborde dans mon mémoire, il me semble que les seuils établis sont très bas.
Les organisations qui seront tenues de collecter ces données et d'en faire rapport feront parvenir ces renseignements au Centre d'analyse des opérations et déclarations financières sans que le client le sache ou ait consenti à ce genre de choses, qui sont fondées sur des doutes qu'on n'a pas encore définis. Dans certains cas, ces renseignements ne seront jamais utilisés dans les affaires criminelles. À notre avis, si l'on peut démontrer qu'un avis -- c'est-à-dire que le client sache pourquoi ces renseignements sont obtenus -- pourrait vraiment nuire à l'enquête, il ne faudrait pas oublier de cette façon les droits du public d'être renseigné.
L'alinéa 54b) du projet de loi précise que le centre peut recueillir tout renseignement personnel «qu'il croit se rapporter à des activités de recyclage des produits de la criminalité». Encore une fois, comme c'est le cas pour les «motifs raisonnables», le projet de loi n'essaie aucunement de définir ce qu'on entend par «renseignement qu'il croit se rapporter à». Puisque le centre a accès à pratiquement toutes les banques de données du gouvernement fédéral, peu importe où elles se trouvent, et aux banques de données des gouvernements provinciaux et à d'autres sources également, il semble qu'il pourrait recueillir des renseignements concernant des choses comme les antécédents professionnels, le revenu, les relations professionnelles et les déplacements, des renseignements qui devraient être tous jugés pertinents, en sus des renseignements fournis par les institutions financières ou d'autres organisations visées par la loi.
Le projet de loi me semble de cette façon donner au centre l'autorisation de recueillir des renseignements pour l'établissement de dossiers détaillés sur la vie et le comportement des Canadiens. Puisque l'on n'offre aucune définition et lignes directrices dans la mesure législative, nous ne savons pas si le centre recueillera en fait ces renseignements. Nous croyons qu'il faut préciser le genre de renseignements qui seront recueillis, ainsi que les autres sources possibles de renseignements, et ce, en plus amples détails. Nous nous opposons à toute la gamme de renseignements que le centre doit recueillir et utiliser. Nous sommes d'avis que le genre de renseignements qui seraient pertinents afin d'évaluer si une opération est douteuse, ainsi que toutes les sources de ces données, devraient être précisés, préférablement dans la loi.
Un des principes fondamentaux qui sous-tendent la Loi sur la protection des renseignements personnels et la nouvelle Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques, c'est que les organisations ne devraient collecter que les renseignements dont elles ont besoin. Cette mesure législative doit comporter des paramètres.
La création du centre comme organisme sans lien de dépendance à l'égard de la police, assujetti aux dispositions de la Loi sur la protection des renseignements personnels, ou tout au moins c'est ce qu'on nous dit, est, je suppose, préférable à la divulgation directe des renseignements à la police de la part des organisations qui sont tenues de présenter des rapports. Cependant, la protection assurée par la Loi sur la protection des renseignements personnels est à mon avis largement illusoire. La capacité du public de présenter des plaintes et le pouvoir du commissaire de faire enquête sur ces plaintes ne voudront rien dire, compte tenu du caractère secret de la collecte des renseignements faite par le centre. En raison de ce caractère secret, le public ne saura pas quels renseignements on se procure sur lui, et il ne sera pas mis au courant de ce qui est prévu dans le projet de loi ou on ne dira pas aux citoyens simplement qu'ils font l'objet d'une enquête. Ils ne seront pas en mesure d'avoir recours à la Loi sur la protection des renseignements personnels ou à la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques pour savoir si on a recueilli des renseignements sur eux. Même si dans une disposition de la loi on dit que le centre est assujetti aux dispositions de la Loi sur la protection des renseignements personnels, des fonctionnaires qui s'occupent de cette affaire nous ont dit que le centre refusera régulièrement les demandes présentées conformément à l'article 16 ou à l'alinéa 22(1)b) de la Loi sur la protection des renseignements personnels.
Le projet de loi C-22 modifie également la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques pour inclure les organisations chargées de présenter des rapports dans la liste des organisations qui peuvent divulguer des renseignements au centre sans consentement, et autorise le centre à informer une organisation qu'elle ne peut divulguer le fait qu'elle a fait parvenir des renseignements au centre.
En l'absence de preuve de préjudice, l'accès aux renseignements personnels ne devrait pas être refusé à un particulier sans motif raisonnable. Tout au moins, les particuliers devraient avoir accès aux renseignements recueillis par le centre, parce qu'il s'agit d'un droit accordé par la loi, surtout s'ils n'ont pas fait l'objet d'une enquête au criminel à la suite de la collecte de ces renseignements.
L'article 55 du projet de loi autorise le centre à communiquer les renseignements désignés aux forces de l'ordre, à l'Agence des douanes et du revenu du Canada et à d'autres organismes sans mandat spécial. Cependant, le paragraphe 55(7) du même projet de loi autorise le ministre à ajouter à la liste des renseignements désignés tout autre renseignement analogue désigné par règlement. Il se pourrait donc que le centre devienne simplement un mécanisme par lequel d'autres renseignements pourraient être communiqués aux organismes de maintien de l'ordre, contournant ainsi les contrôles normalement appliqués à la collecte de preuves dans les enquêtes pénales.
Ainsi, ce projet de loi présente quatre grands problèmes. Il n'existe aucune ligne directrice réglementaire ou statutaire quant à ce qu'on entend par motif raisonnable et opération douteuse. Ces termes devraient être définis dans la mesure législative ou dans les règlements, et non pas dans les ligne directrices adoptées à la suite de consultations tenues avec le centre et les parties intéressées. Si ces termes sont définis dans les règlements, le comité devrait tout au moins avoir une occasion d'étudier ces définitions.
L'ampleur et la quantité des renseignements que le centre est autorisé à recueillir et le nombre potentiellement très élevé des citoyens qui seront surveillés nous préoccupent également. Des termes comme «renseignement pertinent» et «application de la loi» peuvent être définis dans la loi ou dans les règlements, et le nombre de particuliers sur lesquels on se procurera des renseignements devrait être maintenu au plus strict minimum.
Les citoyens devraient absolument pouvoir avoir recours à leur droit d'accès conformément à la Loi sur la protection des renseignements personnels ou à la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques, à moins que l'on ne puisse démontrer très clairement que le fait de les informer que des renseignements pourraient être communiqués au centre ou de leur donner accès à ces renseignements irait à l'encontre de l'objectif visé par la mesure législative.
Enfin, nous craignons que la liste des renseignements qui peuvent être communiqués aux autorités de police ne puisse être élargie. Il faudrait limiter le type de renseignements fournis.
Dans une décision majoritaire de la Cour suprême du Canada à l'égard de la protection de la vie privée et de l'application de la loi, le juge La Forest a dit:
L'interdiction qui est faite au gouvernement de s'intéresser de trop près à la vie des citoyens touche à l'essence même de l'État démocratique [...] Il faut empêcher les atteintes au droit à la vie privée et, lorsque d'autres exigences de la société l'emportent sur ce droit, il doit y avoir des règles claires qui énoncent les conditions dans lesquelles il peut être enfreint. Cela est particulièrement vrai en ce qui concerne l'application de la loi, qui met en cause la liberté du sujet.
Je vous demande aujourd'hui de vous pencher sur ces commentaires afin d'assurer que le projet de loi C-22 comporte des règles claires. Si vous êtes d'avis que cette loi est nécessaire, je vous exhorte alors à assurer qu'elle comporte des définitions et des paramètres qui minimiseront l'empiétement de cette mesure sur la vie privée.
J'aimerais ajouter un commentaire. Un des principes fondamentaux sur lesquels est fondée la Loi sur la protection des renseignements personnels est que nous avons, à titre de particuliers et de Canadiens, le droit d'avoir accès aux renseignements que le gouvernement possède sur nous. Le Bureau du commissaire à la protection de la vie privée du Canada a été constitué pour enquêter sur les plaintes en cas de refus d'accès. Le processus normal est que nous étudions les documents visés, nous nous prononçons et offrons des recommandations au ministère touché. Si la recommandation n'est pas acceptée, et s'il s'agit d'un cas où on a refusé toute divulgation, nous avons le droit de saisir les tribunaux de l'affaire au nom du plaignant. Selon ce projet de loi, nous n'avons plus ce droit. Nous pouvons étudier les renseignements, et le projet de loi, comme nous l'avons déjà indiqué clairement, stipule qu'il n'y aura aucune divulgation par un tribunal de documents contenus dans les banques de données du centre à moins que cela ne respecte certains paramètres établis dans le projet de loi. Cela n'inclut certainement pas une recommandation conformément à la Loi sur la protection des renseignements personnels. D'après ce projet de loi, on a l'impression que le juge devrait dire: «Désolé, mais ce projet de loi a préséance sur la Loi sur la protection des renseignements personnels et je ne peux pas accepter une demande visant la divulgation du document.»
Le président: Le comité a clairement un dilemme, parce qu'on nous a dit qu'il y a beaucoup d'activités criminelles qui se déroulent et qu'il faut faire quelque chose à cet égard. D'un autre côté, voulez-vous donner aux policiers le droit de faire ce que bon leur semble? Je ne prétends pas connaître la réponse à cette question. Cependant je sais que la tendance semble changer quelque peu. Vous souvenez-vous des fameuses règles de Miranda, selon lesquelles même si un type a à la main une arme dont il vient de se servir vous ne pouvez pas lui toucher tant que vous ne lui avez pas fait lecture de ses droits? Apparemment cette procédure est actuellement contestée, et il semblerait qu'elle sera modifiée. Vous nous présentez un gros dilemme, je crois.
Le sénateur Kelleher: Avez-vous fait part au ministère des Finances et aux rédacteurs du projet de loi de vos préoccupations avant de vous adresser à notre comité?
M. Phillips: Oui. Nous avons communiqué ces opinions au ministère.
Le sénateur Kelleher: Cela ne les a manifestement pas trop influencés.
M. Phillips: Je ne dirais pas que cela n'a pas eu d'effet, mais s'il y a eu un impact il a été très limité. À l'origine, ce projet de loi aurait empêché en fait le commissaire de même voir ces documents. Il y a donc eu une modification. Cependant, la capacité du commissaire d'agir comme ombudsman et de formuler des recommandations au centre est vraiment viciée par notre incapacité de trouver une solution pour celui qui a présenté une plainte justifiée.
Le sénateur Kelleher: Avez-vous été consulté lors de la rédaction du projet de loi? A-t-on demandé votre opinion?
M. Phillips: Oui, sénateur. Un document de consultation publié au début du processus nous a été expédié, comme il l'a été à d'autres parties intéressées, et nous avons communiqué notre opinion au ministère en réponse à ce document. Nous avons d'ailleurs rencontré des représentants du ministère des Finances. Nous avons officiellement communiqué notre opinion.
Le sénateur Kelleher: Aviez-vous proposé un libellé précis qui refléterait certaines de vos préoccupations?
M. Phillips: Non, rien de précis. J'estime que mon service n'a pas à se mêler de rédiger des règlements ou des lois. Nous ne sommes pas qualifiés pour cela. Cependant, nous pensons savoir ce qu'il ne faut pas faire.
Le sénateur Kelleher: Si notre comité avait encore besoin de votre aide pour proposer d'autres amendements, seriez-vous disponible?
M. Phillips: Oui, tout à fait; nous essaierons de vous aider. Vous êtes mieux équipés que nous à cet égard. Vous avez des conseillers législatifs et des experts à votre disposition, mais nous nous ferons un plaisir de considérer vos projets d'amendement et de donner notre avis concernant leurs effets sur l'ensemble de la loi.
Le sénateur Furey: Vous avez répondu dans votre exposé à la plupart des questions que je me posais, mais je voudrais revenir sur deux d'entre elles. Monsieur le commissaire, vous avez dit que dans le premier cas vous préférez que les clients soient avisés qu'ils ont fait l'objet d'une enquête, à moins qu'il ne soit prouvé que cela nuirait au déroulement de l'enquête. Est-ce bien exact?
M. Phillips: C'est exact.
Le sénateur Furey: La deuxième partie de ma question, c'est qu'une fois l'enquête terminée, si un client est réputé innocent, il doit en être avisé. Est-ce bien exact?
M. Phillips: Je n'ai pas dit précisément cela, mais ce n'est pas une mauvaise idée. Ce que je demande, c'est un peu plus de transparence dans ces procédures. Si l'on juge nécessaire de recueillir toute cette information, vous savez aussi bien que moi que la grande majorité des transactions se révéleront tout à fait légales et irréprochables. C'est la même chose avec le programme R.I.D.E de la police. Il est fondé sur une hypothèse statistique voulant que sur 100 voitures interceptées la veille de Noël, un certain pourcentage de conducteurs seront en infraction. Dans notre cas aussi, il s'agit d'appliquer la loi à partir des statistiques. On suppose que sur un million de transactions, un certain pourcentage va éveiller des soupçons.
Chacun a son point de vue sur cette formule, car elle oblige à chercher au hasard et à recueillir de l'information sur toutes sortes de gens, vraisemblablement pour rien. Ces principes ne sont pas conformes à notre conception du rôle des autorités chargées d'appliquer la loi dans une société comme la nôtre.
On nous demande tout d'abord de laisser de côté les considérations normales parce que les autorités estiment être en présence d'un problème urgent et d'une telle ampleur que les droits normaux doivent être écartés. Mon argument, c'est que dans ce cas -- et il faudrait que d'autres formulent le même argument pour en convaincre l'organisme -- je ne pense pas qu'il faille aller aussi loin dans la grande majorité des cas où on va recueillir des renseignements, puisqu'on va porter atteinte à des droits reconnus dans la Loi fédérale sur la protection des renseignements personnels et dans la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques, ainsi qu'elles s'appliquent dans le secteur privé.
Sénateurs, si vous faites quelques dépôts de 5 000 $ chacun dans une banque et qu'on vous signale au centre, je vois mal pourquoi cette information devrait rester au dossier pendant cinq ans -- ou plus si vous recommencez un an plus tard -- car le centre est en mesure de conserver en permanence un dossier sur vous, même si, d'après l'information disponible, il n'a aucune raison de le faire. Je ne pense pas que cela soit acceptable. Par ailleurs, rien ne s'oppose à ce que vous soyez informé de l'existence de ce dossier. Deuxièmement, si on conserve l'information pendant les cinq ans prévus dans la loi, il n'y a aucune raison pour que vous n'ayez pas accès à cette information si elle n'a suscité aucun soupçon -- et je ne sais pas dans quelles conditions des soupçons peuvent apparaître -- à moins que les détenteurs de l'information ne puissent prouver que sa divulgation à la personne concernée risque de nuire d'une façon ou d'une autre à l'enquête.
Voilà le principe énoncé dans la Loi sur la protection des renseignements personnels. Dans la plupart des cas, les organismes d'enquête assujettis à la Loi sur la protection des renseignements personnels doivent prouver un préjudice s'ils refusent l'accès à l'information. Que ce groupe soit exempté d'une telle obligation ou qu'il puisse systématiquement refuser les demandes d'accès, comme il dit en avoir l'intention, me semble arbitraire et injustifié. Il peut bien affirmer, comme l'a fait M. Seeto, du ministère des Finances, que la Loi sur la protection des renseignements personnels s'applique, mais si l'on considère attentivement ce projet de loi, on voit que cette application est un peu chimérique, puisqu'il y a des dispositions qui privent de sens la possibilité d'une intervention du commissaire à la protection de la vie privée en cas de plainte.
Le sénateur Furey: Je reconnais avec vous que les organismes chargés de communiquer des renseignements auront certainement tendance à protéger avant tout leurs propres intérêts, si bien qu'on peut prévoir qu'ils signaleront un très grand nombre de transactions pourtant irréprochables. Si les personnes ou les clients concernés n'en sont pas informés, ils n'auront pas la possibilité de veiller, la fois suivante, à ce que leurs transactions soient plus transparentes, et d'éviter ainsi de se faire prendre. Ce que je crains, c'est que le fait de ne pas informer les personnes concernées les prive de la possibilité de réagir pour éviter de se faire prendre continuellement.
M. Phillips: Sénateur, je n'aurais pas pu dire mieux.
Le sénateur Oliver: Monsieur Phillips, chaque fois que vous comparaissez devant l'un de nos comités, vous nous lancez un défi considérable, et vous le faites encore aujourd'hui, avec vos commentaires sur les articles 55 et 16 et sur le paragraphe 22(1). L'article 55 est celui qui autorise le centre à divulguer les renseignements désignés concernant un citoyen canadien aux autorités chargées d'appliquer la loi et à l'Agence des douanes et du revenu du Canada.
À la lecture du projet de loi, j'ai l'impression qu'il accorde aux autorités beaucoup plus de pouvoirs qu'il n'en faut pour combattre le blanchiment d'argent au Canada. Certains de ces pouvoirs ont un caractère dérangeant. Vous en conviendrez sans doute.
Comme l'article 55 confère ce pouvoir extraordinaire de communiquer des renseignements à d'autres organismes, comme à l'Agence des douanes et du revenu du Canada, j'ai aussi l'impression que c'est une façon détournée, pour le gouvernement fédéral, de dire, sous prétexte de lutter contre le blanchiment d'argent: «Allons un peu plus loin et essayons de voir si on ne peut pas, du même coup, lutter contre toute l'économie souterraine.» Si l'on constate que quelqu'un paie des montants de 5 000 $ en espèces, on peut invoquer l'article 55 pour communiquer cette information à l'Agence des douanes et du revenu du Canada. À mon avis, on pourrait l'invoquer pour essayer de combattre l'économie souterraine. J'aimerais avoir votre avis à ce sujet.
M. Phillips: Nous avons examiné cette disposition. La finalité de l'inversion de la circulation de l'information, si l'on peut dire les choses ainsi, nous a semblé quelque peu obscure. Je ne crois pas que nous ayons interrogé les fonctionnaires sur cet article. En définitive, nous avons considéré, nous aussi, qu'il permet sans doute que l'information transmise par une institution financière au centre aux fins d'une enquête concernant le blanchiment d'argent soit également transmise aux services du revenu pour signaler des revenus non déclarés. On peut se demander si une telle utilisation est souhaitable ou non, mais il me semble qu'elle va au-delà des objectifs avoués de ce projet de loi, qui, comme on l'a dit à maintes reprises, ne vise que les enquêtes sur le blanchiment d'argent.
On voit ainsi apparaître, sénateur, la question plus générale de savoir si les autorités qui ont en main la preuve d'une activité criminelle doivent la communiquer à d'autres autorités. Qu'est-ce que la simple déclaration d'une somme peut prouver au centre financier sur les relations de son propriétaire avec l'Agence des douanes et du revenu du Canada? Voilà une question qu'il faut absolument approfondir.
Le sénateur Oliver: Vous avez aussi indiqué, chose étonnante, que votre service s'est adressé au ministère des Finances pour se renseigner sur l'application de la Loi sur la protection des renseignements personnels, et qu'on vous a répondu, en connaissance de cause, que le centre pourrait systématiquement rejeter vos demandes d'accès. Au Canada, nous avons un droit à la protection des renseignements personnels. Pour exercer ce droit, chacun peut s'adresser aux pouvoirs publics pour leur demander les renseignements personnels le concernant. Pourtant, avant même que cette loi ne reçoive la sanction royale, on vous dit qu'il est inutile de vous déranger, car vos demandes seront systématiquement rejetées.
M. Phillips: Oui.
Le sénateur Oliver: Ne pensez-vous pas qu'une formule comme «ce consentement ne peut-être refusé de façon arbitraire ou déraisonnable» pourrait renforcer votre position aux termes de la Loi sur la protection des renseignements personnels?
M. Phillips: J'ai proposé une formule dans mon exposé pour indiquer que lorsque l'information recueillie sur une transaction financière n'a pas donné lieu à une enquête criminelle et n'y donnera sans doute pas lieu, la personne concernée devrait avoir le droit d'y accéder. Le seul motif légitime pour rejeter une telle demande d'accès serait qu'elle risque de porter atteinte à une enquête légitime concernant le blanchiment d'argent.
Le sénateur Olivier: Quels motifs a-t-on invoqués pour justifier le fait qu'on pourrait vous refuser systématiquement l'accès à cette information?
M. Phillips: Je vais demander à M. Delisle, qui a assisté à la réunion au cours de laquelle ces déclarations ont été faites, de vous répondre.
M. Julien Delisle, directeur exécutif, Bureau du commissaire à la protection de la vie privée du Canada: Je peux vous apporter une précision, sénateur. L'article 16 et l'alinéa 22(1)b) de la Loi sur la protection des renseignements personnels porte sur le droit d'une personne d'accéder aux renseignements qui la concernent. Le ministère des Finances dit que les demandes des Canadiens qui se prévalent de la Loi sur la protection des renseignements personnels peuvent être systématiquement rejetées en vertu de l'article 16 et de l'alinéa 22(1)b) de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Cela n'a rien à voir avec le pouvoir du commissaire d'instruire les plaintes à ce sujet. Il peut parfaitement les instruire.
M. Phillips: Ce que je veux dire, c'est que même si nous pouvons instruire une plainte et nous prononcer sur son bien-fondé, si nous estimons qu'une plainte concernant le rejet d'une demande d'accès est justifiée, nous ne pouvons pas nous adresser au centre pour exiger l'accès. Comme vous le savez, nous sommes des ombudsmans et nous ne pouvons pas donner d'ordres; nous faisons seulement des recommandations aux services qui détiennent l'information. S'ils n'acceptent pas nos recommandations, nous pouvons nous pourvoir devant la Cour fédérale qui va tenir audience sur la plainte et sur nos recommandations.
D'après le projet de loi, je peux faire une recommandation, qui devra être prise en considération. Cependant, comme le ministère a décidé à l'avance, comme en témoignent ses déclarations, de rejeter nos demandes d'accès, à quoi vont servir nos interventions? Le ministère nous a déjà fait savoir à l'avance qu'il ne tiendrait pas compte de nos recommandations.
Le sénateur Oliver: Vous pouvez toujours vous pourvoir devant la Cour fédérale.
M. Phillips: Non, nous ne le pouvons pas. L'article 60 mérite qu'on s'y intéresse. Nous pouvons nous pourvoir devant la Cour fédérale, mais le projet de loi précise que l'information ne peut être divulguée que dans les circonstances évoquées à l'article 60, qui déroge explicitement à la Loi sur la protection des renseignements personnels. Cette disposition précise que, malgré toute autre loi du Parlement, l'information ne peut être divulguée que dans des circonstances très précisément définies.
Autrement dit, nous n'avons pas de recours en justice, à moins qu'un juge de la Cour fédérale ne soit prêt à affirmer qu'à son avis on est en présence d'un déni de justice ou d'une contravention au droit administratif. À première vue, cependant, le commissaire est dans l'impossibilité d'accorder un recours, même s'il est convaincu que la plainte est tout à fait justifiée.
Le sénateur Oliver: Votre ministère a-t-il tenté de déterminer si ce projet de loi enfreint certaines dispositions de la charte?
M. Phillips: Nous n'avons pas tiré de conclusion quant à la validité de l'argument selon lequel le projet de loi enfreint la charte. D'autres ont soulevé cet argument. L'Association du Barreau canadien a fait quelques commentaires qui nous ont semblé raisonnables.
M. Stuart Bloomfield, Direction des politiques, Bureau du commissaire à la protection de la vie privée du Canada: L'Association du Barreau canadien craint une infraction à l'article 8 de la Charte, mais s'inquiète aussi du flou de plusieurs dispositions du projet de loi, telle l'incertitude concernant ce qui peut constituer une «transaction douteuse».
Si nous proposons que le Centre d'analyse des opérations et déclarations financières soit tout à fait indépendant des forces de l'ordre, c'est que nous voulons le mettre à l'abri d'une contestation au regard de la Charte. Il en est ainsi parce que le centre n'a pas pour mandat de conduire des enquêtes, même si certaines de ses activités permettraient de le croire.
Oui, nous avons vérifié la conformité à la Charte. Il se peut que certaines dispositions fassent toujours problème à cet égard. Cela reste à voir.
M. Phillips: Sénateurs, vous venez d'entendre un très bon avocat s'exprimer avec un luxe de précaution. Je vais vous dire ce que pense le commissaire.
C'est vrai que le centre n'a pas pour mandat de faire enquête, au sens du règlement, mais quand ça marche comme un canard... et cetera. Le centre a pour seul but de faciliter les enquêtes des organismes chargés de l'application de la loi sur le blanchiment d'argent. Les témoins représentant les forces de l'ordre viennent de nous expliquer que ce centre sera très utile, voire essentiel. L'application de la loi est sa raison d'être. Il m'est difficile d'accepter l'idée que le centre puisse ne pas se mêler d'enquêtes.
Le sénateur Kroft: Je ne crois pas que ce projet de loi plaise aux Canadiens, en ce sens qu'ils ne veulent pas d'une société où ce genre de loi est nécessaire. C'est un sentiment que j'ai. J'ai résisté à l'idée d'installer un système d'alarme chez moi, puisque c'était un commentaire sur la collectivité dans laquelle j'habitais.
Nous avons le devoir d'essayer de trouver la meilleure façon de faire les choses. Aujourd'hui, sans ce projet de loi, où en sommes-nous? Il se fait certainement des enquêtes sur le recyclage des produits de la criminalité. Votre bureau a-t-il accès aux rapports d'enquête des policiers? Si ce projet de loi n'est pas adopté, les forces de l'ordre combleront certainement le vide. Ce système n'est-il pas encore mieux protégé, plus impénétrable, que n'importe quel autre?
M. Phillips: Le Bureau du commissaire à la protection de la vie privée a accès aux dossiers d'enquête des forces de l'ordre si une plainte portant sur le déroulement de l'enquête est déposée auprès de nous. Nous avons aussi le pouvoir, en vertu de l'article 27 de notre loi habilitante, de vérifier la façon dont les organismes et ministères fédéraux gèrent les renseignements personnels qu'ils recueillent.
Oui, nous avons nos entrées. Si vous me demandez ce que je pense de la façon dont ils font leur travail, j'hésiterais à m'engager dans cette voie. Nous ne sommes pas là pour dire aux gens comment faire leur travail, mais uniquement pour vérifier la façon dont ils gèrent les renseignements personnels.
Le sénateur Kroft: J'essaie de me faire une idée plus juste de l'accès aux renseignements. Par exemple, les personnes qui ont fait l'objet d'une enquête finissent-elles par l'apprendre? Mon collègue a soulevé cette question.
M. Phillips: Parfois oui, parfois non. Par exemple, la Loi sur la protection des renseignements personnels permet à un ministère du gouvernement de refuser de confirmer qu'il a en sa possession des renseignements personnels s'il peut invoquer l'un des articles du projet de loi sur les exemptions. Par exemple, le Service canadien du renseignement de sécurité refuse régulièrement de confirmer s'il a ou non en sa possession des renseignements personnels lorsque les gens leur écrivent pour demander si le service a sur eux un dossier personnel. Les tribunaux ont confirmé la validité des motifs du SCRS d'agir ainsi. Le SCRS soutient que s'il confirme ou nie avoir en sa possession des renseignements personnels, cela pourrait être un outil fort utile pour les terroristes, par exemple. Un terroriste pourrait souhaiter savoir si le Canada est vigilant. C'est ce qu'on appelle l'effet mosaïque.
Le sénateur Kroft: Les réactions que vous avez entendues vous portent-elles à croire que ce que l'on propose ici correspond à peu près à la façon dont le SCRS fonctionne?
M. Phillips: Leurs déclarations nous ont révélé qu'ils sont plutôt enclins à refuser l'accès à quelque information que ce soit.
La question ici est quelque peu différente. Il ne s'agit pas de recueillir de l'information sur des personnes soupçonnées de quelque chose. Il s'agit plutôt de recueillir de l'information sur des milliers de personnes sur la foi d'hypothèses statistiques. Si vous recueillez suffisamment d'informations, vous trouverez forcément un criminel. Si vous visitez suffisamment de résidences dans la ville d'Ottawa, sans mandat, sans avertir les résidents, pendant qu'ils sont en vacances, vous finirez bien par trouver des biens volés.
Voilà l'analogie. Le SCRS, c'est tout autre chose. Il est admis, et les statistiques tendent à le confirmer, que la grande majorité de l'information recueillie touchera aux affaires parfaitement innocentes et légitimes des Canadiens. Une faible proportion des renseignements seront utiles aux organismes chargés de l'application de la loi.
On écarte ici les motifs qu'ont généralement les forces de l'ordre de recueillir de l'information, laquelle peut révéler une cause probable de soupçonner quelqu'un d'avoir commis une infraction. Cela part essentiellement du principe que, si l'on réunit suffisamment d'informations au sujet d'un nombre suffisant de personnes, dans toute cette masse d'information on trouvera des raisons de soupçonner qu'un acte criminel a été commis. On bafoue ainsi le principe en droit de la cause probable sans laquelle les gens ne sont pas privés de leurs droits.
Le président: Vous donnez à l'expression «cause probable» votre propre définition. Eux interprètent peut-être autrement l'expression «cause probable». Un client d'une banque qui fait trois dépôts par semaine est peut-être tout à fait innocent, mais un policier y verrait peut-être une cause probable d'enquêter.
M. Phillips: Soit.
Le président: Il est difficile pour nous de déterminer ce qui est suspect et ce qui ne l'est pas. Je ne crois pas que l'on puisse donner une définition. Je ne mets pas en doute ce que vous dites, mais je dis que je ne sais pas quelle solution proposer.
M. Phillips: Je serais le dernier à dire que c'est une question facile. C'est l'un des nombreux cas où nous devons trouver un équilibre raisonnable dans l'espoir de régler un problème d'envergure nationale.
J'estime que le centre recueillera tous ces renseignements, dont la majorité ne révéleront aucune activité criminelle. Je ne vois aucune raison impérieuse de refuser aux personnes innocentes l'accès à leurs renseignements personnels qui se trouvent dans la banque de données, ni de ne pas les avertir du fait que l'information a été recueillie et qu'elle ne révélait aucune irrégularité. Pourquoi ne pas le dire clairement dans le projet de loi et préciser cette obligation dans la loi?
Sénateur, cela m'apparaîtrait inquiétant d'entendre des fonctionnaires d'un ministère nous dire, avant même que la loi ne soit adoptée: «Eh bien, ils peuvent demander ces renseignements s'ils le souhaitent, et même si la Loi sur la protection des renseignements personnels dit qu'il faut faire la preuve d'un préjudice, nous allons refuser l'accès automatiquement.»
Le président: Cela m'apparaît stupide.
M. Phillips: Cela me choque. Quoi qu'il en soit, c'est une raison très convaincante de préciser dans la loi même que si l'accumulation d'informations n'a pas justifié l'ouverture d'une enquête criminelle, les gens devraient avoir accès à l'information, à tout le moins.
Le président: Ce qui signifie qu'il faudrait les en informer.
Le sénateur Furey: N'avez-vous pas aussi dit, monsieur le commissaire, que vous n'aviez pas le statut d'intervenant devant la cour pour contester cela?
M. Phillips: Nous l'avons normalement.
Le sénateur Furey: Mais pas ici?
M. Phillips: L'article 60 du projet de loi semble nous priver du droit que nous avons normalement de faire une demande d'ordonnance à la cour.
M. Delisle: Veuillez m'excuser, sénateur. Je crois vous avoir induit en erreur, vous et le commissaire. Il faisait en fait allusion à l'article 37 de la Loi sur la protection des renseignements personnels, qui traite du contrôle d'application, et non pas à l'article 27.
Le président: L'omission du commissaire.
Le sénateur Tkachuk: Ce projet de loi me trouble énormément, puisqu'il incitera les citoyens canadiens à envoyer au gouvernement des renseignements sur leurs amis et leurs voisins, et les gens avec qui ils font affaire, ce qui équivaut à combattre la criminalité dans un quartier en installant des caméras dans toutes les maisons. L'expression «opération douteuse» m'inquiète, car, il y a quelque temps, un homme noir de New York, jugé suspect, a été atteint de 42 balles tirées par des policiers bien entraînés. Bien entendu, c'était un passant tout à fait innocent. Ici, nous demandons à des amateurs de faire ces déclarations, des caissiers à la banque, qui ne connaissent pas la loi.
J'ai demandé aux bureaucrates, quand ils ont comparu, pourquoi les gens ne pouvaient pas prendre connaissance des renseignements dans leur propre dossier, et la seule réponse qu'ils ont pu me faire, c'est «non». Dans toute cette discussion, vous ont-ils expliqué pourquoi ils refuseraient à une personne d'avoir accès à son dossier si le nom de cette personne était parvenu par hasard au bureau de la commission? Vous ont-ils expliqué pourquoi ils refuseraient l'accès?
M. Delisle: Je suis désolé, je n'ai pas entendu la fin de votre question.
Le sénateur Tkachuk: Pourquoi veulent-ils garder le dossier? Le dossier d'une personne leur est transmis, ils font enquête, ils ne trouvent rien. Pourquoi veulent-ils conserver le dossier pendant cinq ans et pourquoi refuseraient-ils à la personne visée l'accès à son dossier si elle souhaite le voir?
M. Delisle: Ils veulent conserver l'information pendant un temps déterminé afin de pouvoir déceler une tendance ou afin de déterminer si certains renseignements doivent être transmis aux forces de l'ordre pour une enquête criminelle. Le projet de loi précise aussi que le dossier doit être fermé après cinq ans, si rien ne s'est produit.
Nous sommes d'avis que pour rendre le processus le plus transparent possible, il faut garantir l'accès dans la loi pour que les personnes visées puissent voir leur dossier, du moins quand l'information ne fait pas l'objet d'une enquête criminelle. S'il y a enquête criminelle, alors on comprendrait que l'accès soit refusé. Il me semble que ce serait une juste contrepartie si l'on doit priver une personne de son droit fondamental à la vie privée.
Le président: Merci, messieurs. Je ne sais pas si nous y voyons plus clair, mais nous sommes mieux renseignés.
La séance est levée.