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COMM

Sous-comité des communications

 

Délibérations du sous-comité des
Communications

Fascicule 4 - Témoignages


OTTAWA, le lundi 19 juin 2000

Le sous-comité des communications du comité sénatorial permanent des transports et des communication se réunit aujourd'hui à 11 h 02 pour étudier les politiques pour le XX1e siècle concernant les technologies des communications, ses conséquences, la concurrence et l'impact pour les consommateurs.

Le sénateur Marie-P. Poulin (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente: Bonjour, honorables sénateurs. Je constate que nous avons le quorum. Nous étudions les politiques pour le XX1e siècle concernant les technologies des communications, leurs conséquences, la concurrence et l'impact pour les consommateurs. Notre étude comportera trois phases. Nous en sommes actuellement à la phase 1.

Nous accueillons ce matin le commissaire à la protection de la vie privée du Canada, M. Bruce Phillips.

Au cours de la première phase de notre étude, nous examinons la situation actuelle dans le domaine des communications, les programmes publics et privés pour garantir l'accès, la confidentialité et la sécurité des renseignements personnels partagés, la confiance que les Canadiens ont envers le commerce électronique et les nouvelles technologies, et l'administration publique. Autrement dit, nous examinons l'impact de la nouvelle technologie sur les affaires privées et publiques.

Monsieur Phillips, merci de comparaître devant nous. Je vous demanderais de nous présenter d'abord vos collègues.

M. Bruce Phillips, commissaire à la protection de la vie privée du Canada: Avec grand plaisir, honorables sénateurs. J'ai amené avec moi toute un aréopage de gens qui en savent beaucoup plus long que moi sur les arcanes du monde des télécommunications.

À ma gauche se trouve M. Carman Baggaley; à ma droite, M. Julien Delisle et M. Richard-Philippe Maurel.

Merci beaucoup de me donner l'occasion de prendre la parole sur cette question. J'ai déjà déclaré qu'utiliser l'Internet, c'est à peu près comme d'aller se balader à l'angle des rues Sparks et Metcalfe à Ottawa, et de se dévêtir. Certains pensent peut-être que c'est un peu exagéré, et c'est peut-être le cas, mais je crois que cette comparaison fait comprendre l'essence de la technologie moderne des communications, du moins l'un de ses aspects.

Il est certain que quiconque utilise l'Internet peut potentiellement se retrouver sous surveillance constante. L'identité de l'utilisateur, le type de système qu'il utilise, les sites Web qu'il visite, le temps qu'il passe sur ces sites, les renseignements qu'il télécharge et les achats qu'il fait, tout cela peut être suivi à la trace, enregistré et peut-être vendu.

Si on ajoute ces données obtenues au moyen d'un simple click de souris à tous les autres renseignements de marketing que l'on peut obtenir d'autres sources, il est possible de créer des banques de données personnelles très complètes sur des millions de gens.

La différence est que dans le monde conventionnel non électronique, on peut se promener dans une galerie marchande, faire du lèche-vitrines, comparer les prix, s'attarder pour essayer des vêtements, même faire un achat payé comptant, tout cela sans laisser de trace, sans le moindre dossier. Dans le monde électronique, on laisse une trace ne serait-ce qu'en jetant un coup d'oeil, sans parler des autres activités.

C'est un peu comme si l'on était suivi comme son ombre par un responsable d'études de marché, armé d'une planchette à pince et d'un chronomètre, qui prend des notes sur tout ce que vous faites. C'est particulièrement troublant parce que cela peut arriver sans même que la personne suivie s'en aperçoive.

Il est évidemment possible d'acheter des logiciels qui permettent de fureter sur le Web en tout anonymat. Il y a des moyens de bloquer ce que l'on appelle les «cookies» ou mouchards électroniques. La question se pose toutefois de savoir si les gens devraient être forcés de payer pour protéger l'anonymat dont ils jouissent déjà depuis toujours.

C'est un peu comme si l'on se demandait s'il faut porter un déguisement pour aller magasiner, afin de dissimuler son identité. Devrait-on être obligé d'acheter des appareils de brouillage pour pouvoir faire des appels téléphoniques? Les clients devraient-ils être forcés de compter sur ces mécanismes de retrait technologique pour protéger leur vie privée? Ne devrait-on pas se poser la question fondamentale de savoir si les entreprises ne devraient pas être tenues de demander notre consentement avant de recueillir des renseignements sur nous?

Même si l'on accepte que le fait de donner des renseignements personnels, c'est le prix à payer pour utiliser l'Internet -- et ce n'est pas un hypothèse avec laquelle je suis d'accord -- il n'en demeure pas moins que nous devons nous soucier de la sécurité des renseignements qui entrent dans le réseau.

D'après les constatations récentes, aucun site n'est à l'abri du piratage. Il peut être inquiétant, par exemple, de découvrir que sa carte de crédit a été affichée sur un site Web. D'apercevoir que quelqu'un a volé son identité est une expérience profondément traumatisante, mais c'est également catastrophique sur le plan de l'emploi et de la réputation.

Selon l'organisation américaine Privacy Rights Clearing House, le nombre de vols d'identité aux États-Unis est passé de 32 000 en 1992 à 523 000 en 1997. Cela représente plus d'un demi-million de catastrophes personnelles potentielles. Je ne peux pas vérifier ces chiffres, mais ils sont publiés par une organisation qui est spécialisée dans ce dossier et je suppose qu'elle peut les justifier.

La Federal Trade Commission des États-Unis reçoit 400 appels chaque jour signalant des cas de vols d'identité. L'Internet contribue à aggraver ce problème du vol d'identité pour deux raisons.

Premièrement, la cueillette et le stockage sans aucun contrôle ni garantie de sécurité de renseignements personnels, notamment de numéros de cartes de crédit, multiplie à l'infini les possibilités de vol. Deuxièmement, l'Internet est fondé sur des transactions anonymes et il n'est pas facile de contester l'identité d'un interlocuteur. Ce problème ne se pose pas seulement aux États-Unis. Apparemment, le conjoint de l'un de mes collaborateurs en a été victime.

Par conséquent, nous ne pouvons plus prendre pour acquis l'anonymat de nos communications électroniques. On peut détruire une lettre en la déchirant et en la jetant au feu, mais les courriels continuent d'exister longtemps après qu'on les a effacés.

On peut maintenant récupérer un courriel inoffensif mais irréfléchi au sujet d'un supérieur et en tirer prétexte pour prendre des mesures disciplinaires. Les grandes entreprises ont réussi à forcer les fournisseurs de services Internet à leur transmettre le nom des participants de groupes de conversation électronique qui les ont critiqués sous des pseudonymes. Il est certainement possible de légiférer pour interdire cette pratique.

Des pensées que l'on peut exprimer librement dans une lettre ordinaire sont exprimées à nos risques et péril dans le monde en ligne. Un exemple qui vient à l'esprit est celui d'un étudiant d'une université américaine qui a été arrêté et incarcéré par la police. Il a été envoyé à l'hôpital Bellevue de la ville de New York pour y subir un examen psychiatrique et il a été détenu pendant trois jours après que l'un de ses colocataires, qui travaillait sur son propre ordinateur, ait découvert des fantasmes violents dans un courriel que son coloc avait envoyé à un ami.

L'Internet et le courrier électronique sont devenus des éléments de plus en plus importants du monde du travail. Il est compréhensible que les employeurs cherchent à éviter que leurs employés utilisent à mauvais escient le système de courriel ou perdent leur temps à visiter des sites Web sans rapport avec leur travail.

Comme c'est le cas pour beaucoup d'aspects du monde en ligne, la technologie a évolué plus vite que les normes sociales et juridiques. La question n'est pas seulement de savoir si les employeurs ont le droit de s'assurer que leur matériel et le temps de leurs employés sont employés à bon escient, mais aussi de savoir si les employés doivent renoncer à tout vestige de droit à la vie privée qui existe normalement, même sur les lieux de travail.

Tous les renseignements publiquement disponibles deviennent des sources de crise potentielle dans le monde en ligne. Les dossiers d'impôt foncier, les dossiers des tribunaux et les décisions rendues par les tribunaux sont traditionnellement considérés comme des documents faisant partie du domaine public et donc accessibles à tous. Pourtant, de notre point de vue, il y a une différence, non seulement de degré mais de nature, entre mettre en ligne tous les dossiers d'un bureau municipal, c'est-à-dire les rendre accessibles à tous, et exiger de quelqu'un qui est au beau milieu d'une transaction immobilière qu'il se rende au bureau des archives et qu'il plaide sa cause pour pouvoir prendre connaissance des dossiers. Il y a un monde de différence.

À l'heure actuelle, par exemple, un ministère gouvernemental envisage de mettre en ligne les dossiers disciplinaires de ses milliers d'employés. Ce document serait accessible à tous. C'est pousser à l'extrême la notion d'accès public, allant plus loin qu'on avait jamais envisagé de le faire auparavant, et je suis certain que cela aura des conséquences imprévues à l'avenir. Je peux songer à un exemple d'une personnalité télévisuelle très connue au Canada qui s'est donné le plus grand mal pour que son adresse demeure confidentielle parce qu'elle avait été la cible, la victime de très nombreux coups de téléphone et de harcèlement. Or le rôle d'imposition au complet a été publié en ligne et ensuite dans un magazine à scandale, y compris son adresse. Dans les jours qui ont suivi, tous les problèmes qu'elle s'était donné tellement de mal pour éviter ont refait surface.

L'un des avantages de l'Internet est qu'il a démocratisé la distribution de l'information et a accentué la liberté de parole.

Le revers de la médaille, c'est que n'importe qui peut créer un site Web et y afficher des renseignements personnels. Un site d'Ottawa, par exemple, invite les gens à faire parvenir la description de véhicules qui s'arrêtent dans certains quartiers de la ville, apparemment pour solliciter des prostitués. On affiche ensuite sur le site Web une description du véhicule, le numéro de plaque partiel, l'endroit, la date et l'heure de la sollicitation prétendue. Remarquez bien qu'il n'y a pas la moindre preuve dans tout cela. Il n'en demeure pas moins que tous ces renseignements sont ensuite du domaine public.

Trois aspects de ce réseau, son interactivité, sa nature intrinsèquement sans frontière, et l'absence de transparence, c'est-à-dire que les gens ne savent pas ce que l'on fait avec les renseignements recueillis sur eux, font qu'il est extrêmement difficile de protéger la vie privée des gens. L'interactivité de l'Internet permet aux compagnies de mettre des mouchards sur les disques durs, aux pirates de tenter de pénétrer dans nos ordinateurs, et aux spécialistes du marketing de tenter de remplir nos boîtes de réception de courriers électroniques. La nature sans frontière de l'Internet rend très difficile de faire respecter les règles.

La plupart des gens ne savent pas où sont situés les sites Web qu'ils visitent. Le manque de transparence signifie que la majorité des clients ne savent pas qui possède quel renseignement, comment il s'en sert, ou même que leurs transactions en ligne font l'objet d'un suivi. Même si c'est un défi, je ne suis pas prêt à accepter le conseil d'un cadre supérieur d'une grande entreprise de haute technologie qui a répondu aux préoccupations sur le caractère privé des transactions en ligne en disant: «Eh bien, votre vie privée n'existe déjà plus, autant vous y habituer». Je ne sais pas, honorables sénateurs, si vous avez déjà entendu ce commentaire.

Y a-t-il une lumière au bout de ce tunnel? Cette question suscite actuellement énormément d'intérêt aux États-Unis, et je ne pense pas qu'il suffise de dire, comme le font beaucoup de grandes entreprises et groupes d'intérêts des États-Unis, que l'autoréglementation réglera le problème. Étant donné la nature sans frontière de l'Internet et la domination des compagnies de technologie américaines, tout ce que les États-Unis feront pour protéger les renseignements personnels aura une incidence sur la vie privée des Canadiens.

Une notion intéressante qui s'est fait jour récemment est la monétisation des renseignements personnels, c'est-à-dire leur transformation en une denrée que l'on peut vendre. Si quelqu'un veut des renseignements à notre sujet, la théorie veut que ces renseignements nous appartiennent et que nous devrions donc être payés pour les communiquer.

Cela plairait peut-être à certains, mais je m'oppose catégoriquement à ce que l'on traite les renseignements personnels comme une monnaie d'échange, et je pense que la plupart des Canadiens sont d'accord avec moi.

Le Parlement a récemment adopté le projet de loi C-6, Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques. Est-ce une solution à ces problèmes? Ce n'est qu'une solution partielle. Dans le domaine de la vie privée au travail, par exemple, la loi s'applique aux travailleurs relevant de la réglementation fédérale, tout au moins pendant les trois premières années. Mon bureau continue d'étudier comment la loi s'appliquera, le cas échéant, à des renseignements recueillis par des sites Web situés à l'étranger.

À première vue, il semble que la loi ne sera pas utile à cet égard. Elle nous donne bien sûr un droit de regard sur les compagnies qui recueillent des renseignements au Canada et les transmettent à l'étranger.

L'un des problèmes est que la plus grande partie des renseignements qui figurent sur l'Internet n'ont pas de rapport avec une transaction commerciale. Cela échappe donc totalement au projet de loi C-6. Par conséquent, la loi ne peut absolument rien faire pour empêcher quelqu'un d'afficher des renseignements personnels sur un site Web, par exemple des renseignements sur des gens soupçonnés de solliciter des prostitués, dans le cas que j'ai cité il y a un instant.

Que peut-on faire pour protéger la vie privée dans ces domaines? L'un des plus grands besoins, c'est de mieux renseigner le public. Les gens hésitent beaucoup à faire des achats sur l'Internet, par exemple, et cette inquiétude commence maintenant à se répandre au Canada et ailleurs. Les gens ont le sentiment qu'il faut resserrer la loi pour protéger la vie privée.

La charte du sénateur Finestone, que les honorables sénateurs connaissent bien, j'en suis sûr, puisqu'elle a été présentée au Sénat la semaine dernière, serait un élément utile à ajouter à l'édifice de la législation sur la vie privée. Chose certaine, ce serait utile pour mieux sensibiliser les Canadiens aux droits à la vie privée et pour renforcer la protection offerte par le projet de loi C-6.

J'ai évoqué brièvement les logiciels qui permettent de naviguer sur le Web ou d'envoyer des courriels dans l'anonymat. Les consommateurs peuvent tirer profit de cette technologie. Dans un monde idéal, nous n'aurions pas besoin de cette technique, mais dans un monde numérique sans frontière, les logiciels de cryptage et les cloisons pare-feu peuvent offrir une certaine protection. Ce serait très utile pour tous les intéressés si les États-Unis cessaient de se faire tirer l'oreille dans ce dossier. Le Congrès devrait se mettre au travail et adopter une loi sur la protection de la vie privée d'application générale qui serait semblable au projet de loi C-6, et peut-être même plus rigoureuse encore.

Les États-Unis sont indéniablement le chef de file et le centre d'où émane une grande partie du trafic commercial.

En terminant, nous ne pouvons pas revenir en arrière, pas plus que nous devrions même envisager de le faire, à mon avis, parce que l'Internet a d'énormes avantages, à mon avis, sur le plan de la démocratisation du monde, si l'on peut dire. Nous devons trouver le moyen de concilier les avantages de cette technologie et la reconnaissance et le respect de la vie privée, que ce soit sur l'Internet, dans la rue ou dans nos villes. La vie privée doit être préservée si nous voulons maintenir en place une société civile digne de ce nom.

La présidente: Monsieur Phillips, je vous remercie pour votre exposé. Vous avez attiré notre attention sur plusieurs questions dont nous voudrions maintenant discuter avec vous et nous vous demanderons de nous faire des recommandations à cet égard. L'une des questions qui ressortent de l'étude déposée par le sous-comité en 1998 est que le respect de la vie privée est une source de préoccupation non seulement pour les Canadiens en tant que particuliers, mais aussi pour les grandes entreprises du Canada. Comme vous l'avez si bien fait remarquer, le projet de loi C-6 est un important premier pas dans cette direction.

Le ministère nous a informés que le projet de loi C-6 doit assurément servir de modèle pour l'Union européenne. L'Association des banquiers canadiens a louangé le projet de loi C-6 et compte le voir appliqué dès le 1er janvier 2001.

Vous dites que le Canada doit aller encore plus loin à cause des conséquences internationales. À votre avis, à quelle tribune internationale notre pays devrait-il discuter de la question du respect de la vie privée, compte tenu des conséquences transfrontières?

M. Phillips: Je ne suis pas expert en droit international. Je tiens à bien le préciser, au cas où quelqu'un aurait des doutes.

À long terme, une convention internationale quelconque sera indispensable. Quant à savoir si l'on obtiendra que tous les pays de la planète signent une telle convention et y souscrivent, c'est une autre histoire. Si l'on n'y parvient pas, il y aura toujours des pays qui constitueront des refuges sûrs pour les pratiques Internet abusives. Chose certaine, un bon point de départ serait l'Amérique du Nord et les pays en bordure du Pacifique, qui sont en train de devenir des puissances industrielles.

Quant à savoir si cela devrait être un traité, qui est toujours à mon avis le meilleur outil quand il s'agit de questions internationales, ou bien une déclaration des Nations Unies, qui ne semble pas avoir le même poids, c'est une question que les avocats et les diplomates devront résoudre. Chose certaine, il faudra à l'avenir conclure des pactes internationaux.

Je suis impressionné par ce que vous dites au sujet de l'intérêt des Européens pour le projet de loi C-6. Je n'étais pas au courant de cela. Je me demande ce qui cloche dans le projet de loi C-6, puisque j'entends dire que des gens qui l'ont combattu assez énergiquement disent maintenant que c'est une bonne chose.

Chose certaine, l'approche choisie pour le projet de loi C-6 est la bonne. La mesure s'applique en effet, ou s'appliquera en temps voulu, à toutes les activités commerciales. Si une loi semblable était en vigueur aux États-Unis, des compagnies comme Double Click seraient tenues de respecter une norme qui n'existe pas actuellement. Cela éliminerait beaucoup de problèmes associés à cette activité. Le Canada ne peut manifestement pas agir seul.

La présidente: Vous avez déclaré au cours de votre exposé qu'à votre avis, il ne faut pas forcer les Canadiens à payer pour protéger leur anonymat. En d'autres termes, il ne faudrait pas que les Canadiens soient obligés d'acheter des logiciels pour ériger des cloisons pare-feu par exemple. N'est-ce pas?

M. Phillips: Fondamentalement, oui.

La présidente: Quelles sont les options? Si les citoyens ne sont pas responsables d'assurer leur propre protection lorsqu'ils utilisent l'Internet, à qui va incomber cette responsabilité?

M. Phillips: Revenons au principe en cause. Si je suis un abonné au téléphone qui souhaite que mon numéro reste confidentiel, je m'oppose à l'idée de devoir payer Bell pour que mon nom n'apparaisse pas dans le bottin téléphonique. Cela va à l'encontre de tout et je vois les choses de la même façon en ce qui concerne l'Internet.

On a accepté, du moins en partie, ce principe dans le domaine des communications électroniques pour des choses comme l'identification de l'appelant. Il n'est plus nécessaire de payer Bell pour bloquer des appels et ce genre de chose. Je ne vois pas pourquoi on devrait dépenser de l'argent pour assurer son anonymat lorsque l'on utilise l'Internet s'il était illégal d'utiliser, recueillir, entreposer et divulguer de l'information personnelle placée dans le système à votre insu et sans votre consentement. C'est exactement ce que prévoit le projet de loi C-6. Ai-je oublié quelque chose?

[Français]

M. Philippe Morel, consultant en technologie des communications: En ce qui a trait à Internet, le fait qu'il y ait énormément de compagnies qui soient créées et qui mettent sur le marché des produits lui permettant, de façon anonyme, d'envoyer votre courrier, est vu comme une réponse du marché à un problème causé par le marché. En fait, tandis que l'Internet a créé toute une nouvelle série de problèmes d'anonymat, et donc, des compagnies ont décidé d'exploiter ces problèmes et d'offrir des solutions qui sont malheureusement commerciales à l'heure actuelle. J'imagine que notre commissaire aimerait probablement que bon nombre de ces solutions soient disponibles de façon plus rapide.

Le sénateur Poulin: Pouvez-vous nous donner un exemple de la façon dont cette confidentialité pourrait être assurée techniquement par différents gouvernements, que ce soit au municipal, provincial ou fédéral?

M. Morel: La première réponse qui me vient à l'esprit, c'est au niveau des subventions. Le gouvernement pourrait décider de se lancer dans la création de solutions techniques aux problèmes de Internet. Toutefois, je ne crois pas que ce soit le rôle vraiment du gouvernement. Je ne crois pas vraiment que le gouvernement ait le temps de s'en occuper. Par contre, le gouvernement pourrait participer à des fonds de recherche, par exemple, et subventionner en partie les activités de ces compagnies qui offrent le produit pour assurer notre anonymat sur Internet, ce qui profiterait aux usagers de profiter de l'Internet sans avoir à débourser quoi que ce soit pour nous protéger. C'est une solution.

Le sénateur Poulin: D'autres membres de votre groupe aimeraient-ils ajouter des commentaires sur cette question importante et sur vos recommandations concernant le rôle des divers gouvernements?

[Traduction]

M. Phillips: Je vais ajouter ceci -- M. Baggaley me rappelle que ce genre de logiciel n'est particulièrement convivial. La plupart des gens éprouvent des difficultés à le comprendre et à l'utiliser. Ainsi, la nécessité de l'utiliser ajoute encore un obstacle à l'utilisation de l'Internet. C'est déjà compliqué pour la plupart des gens d'installer des logiciels sur leurs ordinateurs.

Une des conséquences de la situation actuelle c'est que de nombreuses personnes ne visitent plus du tout les sites commerciaux.

En outre, selon nos renseignements, un nombre croissant d'anciens utilisateurs de l'Internet ont abandonné. Ils ont annulé leurs comptes. Ces utilisateurs ne sont pas sûrs que le système empêchera une utilisation abusive de leurs renseignements personnels. Essentiellement, ils se privent de l'Internet pour protéger leur vie privée, et ils se privent ainsi aussi des avantages énormes que représente le commerce électronique.

Ils n'utilisent pas le courriel pour la même raison. Ils n'incluent pas d'information délicate ou personnelle dans leurs messages électroniques. Ces sont là des mesures tout à fait raisonnables vu l'état actuel de la technologie et l'absence de cadre juridique approprié ou efficace. C'est ce qui se produit. Ce seul phénomène, je pense, démontre la nécessité d'apporter des mesures correctives.

Le sénateur DeWare: Monsieur Phillips, la majeure partie de l'information communiquée à notre comité pour son étude envisage des moyens de sensibiliser les gens. En fait, il y aurait presque deux façons de s'y prendre. On pourrait probablement faire une certaine sensibilisation sur le site Web, et informer les utilisateurs des avantages et des inconvénients ainsi que des risques de harcèlement, mais il faudrait que d'autres médias entreprennent des programmes de sensibilisation de leur côté puisque de nombreuses personnes souhaitent peut-être utiliser l'Internet ou y naviguer.

La majorité des internautes que je connais, parents et amis, se servent de l'Internet pour connaître l'état de leurs comptes, faire leurs transactions bancaires, payer leur impôt sur le revenu, et cetera. bien que certains de nous qui sommes plus âgés, emploient encore la vieille méthode -- et les internautes trouvent cela très productif ou très simple de s'occuper ainsi des comptes du ménage.

Maintenant nous disons essentiellement que cette information est disponible à tous ceux qui se donnent la peine de la chercher.

Comment pouvons-nous créer ces programmes de sensibilisation? Qui devrait le faire? Quelqu'un doit le faire. Est-ce que cela relève du gouvernement fédéral? Ensuite il faudra encourager nos assemblées provinciales à adopter des projets de loi semblables au projet de loi C-6, n'est-ce pas, pour que les mêmes lois s'appliquent d'un bout à l'autre du Canada?

M. Phillips: Vous avez posé plusieurs questions. Je ne suis pas convaincu que les exemples que vous donnez présentent plus de risques à la vie privée d'une personne. Par exemple, le système bancaire canadien comporte un ensemble de codes de protection de la vie privée perfectionnés et je pense que les banques font très attention. C'est la même chose dans le cas de l'impôt sur le revenu.

Le projet de loi C-6 confère le mandat de sensibiliser la population à notre bureau. Nous allons faire tout notre possible avec les ressources limitées dont nous disposons. Nous avons préparé des fiches de renseignements pour être distribuées à tout le monde, ce genre de chose. Manifestement, c'est insuffisant. Vu le rôle que cette technologie joue maintenant dans notre vie, celle-ci et les considérations déontologiques qui en découlent devraient être incluses automatiquement dans les programmes scolaires, de préférence au niveau secondaire, sinon avant. Ainsi les gouvernements provinciaux ont un rôle à jouer.

Le gouvernement fédéral pourrait utiliser ses ressources pour lancer des programmes de sensibilisation plus vastes, en utilisant des techniques généralement reconnues, ce qui serait un usage tout à fait approprié des deniers publics.

Je suis persuadé que vous connaissez les mécanismes de fonctionnement du projet de loi C-6. Au cours des trois premières années de son existence, le projet de loi s'appliquera uniquement aux travailleurs et aux entreprises du gouvernement fédéral. Ensuite au bout de trois ans encore, le projet de loi s'appliquera dans toute province qui n'a pas adopté de loi correspondante, en supposant que la loi survive aux contestations fondées sur la Charte qui semblent s'annoncer, et les juristes ici semblent le croire.

Oui, ce sera très utile à l'avenir. Tous ces éléments vont être utiles au Canada, mais n'auront pas grand effet ni valeur si les gens continuent à transiger leurs affaires personnelles sur l'Internet dans un contexte international, malgré les risques connus.

Nous n'aurons vraiment pas les choses en main tant que des mesures ne seront pas prises ailleurs dans le monde aussi.

Le sénateur DeWare: Pouvez-vous me dire quel genre de renseignements personnels sont glanés de façon générale sur l'Internet?

M. Phillips: Votre nom; vos numéros de cartes de crédit -- ça c'est l'information la plus recherchée; vos habitudes d'achat. Lorsque vous achetez quelque chose sur l'Internet, les vendeurs souvent journalisent cette information. En naviguant simplement des sites commerciaux vous permettez que l'on réunisse de nombreuses données à votre sujet -- ce qui vous intéresse, ce que vous avez regardé, quels sites vous avez visités: tout cela peut être saisi, extrait, assemblé et vendu. En fait, il y a une entreprise qui fait justement cela.

Le sénateur DeWare: Est-ce la raison pour laquelle notre courrier augmente dernièrement, parce qu'on tente de nous vendre toutes sortes de choses?

M. Phillips: Oui, bien que ce n'est pas uniquement à cause de l'Internet. C'est un phénomène de la technologie moderne qu'utilisent les entreprises de commercialisation en ayant recours à des ordinateurs pour réunir des données en provenance de bases de données très diverses, de source publique telles que les recensements de Statistique Canada, et cetera. On regroupe toutes ces données grâce à l'ordinateur, et on prépare des listes que l'on vend. C'est tout à fait courant.

Le sénateur Finestone: Madame la présidente, je suis enchantée de voir M. Phillips ici. Je vais dire publiquement à quel point je lui suis reconnaissante de son aide et de ses conseils.

Monsieur Phillips, vous m'avez appuyée dans mes efforts et vous m'avez félicitée pour mon projet de loi d'initiative parlementaire qui à ma grande surprise, m'a pris presque un an à rédiger. Je n'avais aucune idée à quel point il était compliqué de rédiger un projet de loi, d'en vérifier chaque terme, chaque adjectif et adverbe, pour qu'ils respectent nos engagements internationaux et nationaux en vertu de chartes et d'autres ententes internationales.

Nous ne faisons vraiment que commencer à comprendre l'incroyable omniprésence des nouvelles techniques. Quoiqu'on puisse mettre en place pour faire obstacle aux mouchards électroniques et aux listes, ce que votre bureau peut faire pour sensibiliser le public est probablement plus important que toute loi que nous pourrions adopter. Le Canada, à bien des égards, est un pays qui a des valeurs morales. Nous faisons confiance à autrui. J'espère sincèrement que cette confiance ne sera pas mise à l'épreuve ou détruite par cette collection incroyable de renseignements à notre sujet.

Si je voulais écrire mon autobiographie, je devrais inclure toutes les données de base et tous les autres faits importants, comme mon adresse électronique, mon numéro de télécopieur, mon numéro de téléphone à domicile et au bureau, la date de naissance de mes enfants, et cetera. Ce sont les données que d'autres saisissent. On va recueillir des renseignements à mon sujet si je navigue sur l'Internet pour trouver un cadeau pour ma nouvelle petite fille. Je ne veux pas que quelqu'un d'autre réunisse de l'information à mon sujet. Cette information m'appartient et si je veux la communiquer, je le ferai.

Ma crainte -- peut-être est-ce parce que je ne comprends pas vraiment ce nouveau monde pernicieux -- est que je ne peux pas les empêcher de connaître ces renseignements. Pensez-vous que nous puissions les empêcher de vraiment savoir qui nous sommes, ce que nous sommes, ce que nous faisons, et ensuite de dérober des fragments de notre personne.

M. Phillips: La façon la plus simple de les empêcher de connaître ces renseignements, c'est de cesser de le leur communiquer. L'un des éléments essentiels d'un plan de sensibilisation vise à produire une génération prochaine de Canadiens qui comprennent comment utiliser l'Internet de façon intelligente et qui évitent de se placer dans des situations où les renseignements que l'on souhaite garder confidentiels entrent dans le système. Toutefois, ce n'est là qu'une réponse partielle.

La véritable réponse consiste à appliquer à tous les intérêts commerciaux spéciaux sur l'Internet, le même genre d'obligation qui s'applique maintenant aux communications non électroniques grâce aux lois de protection de la vie privée. Ce n'est pas une tâche insurmontable. Nous avons tendance à nous laisser hypnotiser par la technologie mais, si on y regarde de près, ce n'est que de l'équipement. Ce qu'on en fait et les limites imposées à son utilisation doivent être décidées par les humains. Les humains ont inventé cet équipement et ont également le dernier mot à dire sur son utilisation. Ce n'est pas différent de tout autre technologie. On peut s'en servir à des fins bénignes, ou on peut faire fi de toute réglementation et tous ces problèmes vont continuer. S'il n'y a aucune norme, les gens prendront leurs propres décisions sur les risques qu'ils sont prêts à courir. La sensibilisation du public n'est qu'une solution partielle. Les utilisateurs de l'Internet doivent respecter la loi. C'est un réseau routier et il nous faut avoir un code de la route. C'est vraiment la façon la plus simple dont je puisse l'exprimer.

Le sénateur Finestone: Vous soulevez quelques questions importantes. Nous ne vivons pas isolés dernières des murs et des barricades. Nous vivons dans ce monde international de wireless, «de câblés et d'ondes sonores interreliées.» Qu'il s'agisse de points et traits, de points et de zéros, d'un système analogue ou autre, c'est très important.

Une conférence se déroulera la semaine prochaine à laquelle malheureusement je ne pourrai pas assister parce que je dois rester ici et voter sur le projet de loi sur la clarté. À cette conférence, on examinera tout cet aspect de l'Internet non réglementé et on se penchera sur des questions concernant l'homophobie, l'antisémitisme, la pornographie, et cetera, c'est-à-dire des questions qui mettent à l'épreuve le caractère de la société et ce qu'elle juge acceptable.

À l'heure actuelle, l'Internet n'est pas du tout réglementé. On peut vous voler votre nom et l'enregistrer, ou on peut utiliser un nom nouveau, ou on peut faire toute sortes de choses pour entraîner vos enfants ou vous attirer vers des sites douteux où on vous apprendra notamment à fabriquer des bombes et à vous comporter comme des membres louches de la société ou de façon socialement condamnable. Allons-nous parvenir à définir ce qui est légal -- c'est-à-dire, ce qu'est la loi --, ce qui est raisonnable et ce qui est justifiable dans une société démocratique? Est-ce que le projet de loi d'initiative privée que j'ai déposé au Sénat -- même si on peut faire quelque chose au Canada pour refléter notre système de valeurs -- sera efficace maintenant face à ces vagues qui envahissent totalement ma vie privée chez moi, que je puisse les arrêter ou non? Avez-vous des commentaires à ce sujet?

M. Phillips: Vous avez abordé plusieurs sujets.

Le sénateur Finestone: J'aimerais bien pouvoir m'en tenir à un seul.

M. Phillips: Vous avez abordé notamment la question des messages haineux. Vous devez vous demander, est-il légal dans notre pays de faire de la publicité haineuse dans le journal? Eh bien non. Les règles l'interdisent. Il n'y a aucune raison de ne pas appliquer le même raisonnement lorsqu'il s'agit de l'usage de l'Internet par les Canadiens.

Je ne prétends pas être un spécialiste de la panoplie de lois qui s'appliquent. Toutefois, il est faux de penser que parce que c'est fait sur l'Internet, d'une façon ou d'une autre, cela échappe à tout examen et n'a pas à se conformer à des normes sociales acceptables. Nous pouvons nous attaquer à ce problème. Évidemment, nous ne pouvons tout faire nous-mêmes à cause de la nature sans frontière du réseau. Toutefois, je ne peux m'empêcher de croire que bien qu'il y aient des intérêts puissants, par exemple aux États-Unis, qui militent contre toute tentative pour s'attaquer à ces problèmes, ils n'ont pas encore tout à fait réussi. Il existe des lois aux États-Unis qui interdisent la transmission de certains renseignements personnels sur l'Internet -- par exemple, des sujets se rapportant aux enfants. Il y a actuellement à l'étude des centaines de projets de loi portant sur l'Internet, dans plusieurs des 50 États et au Congrès.

Ce qui a fait défaut aux États-Unis jusqu'à présent, c'est la volonté apparente de la part de l'administration de rechercher une approche globale et de proposer une solution au Congrès. Compte tenu du niveau élevé d'intérêt que suscite ce sujet, je n'ai aucun doute que de nombreuses mesures seront prises pour s'attaquer au problème dans un avenir rapproché.

J'ai décelé une note de désespoir dans votre voix, je vous en prie, ne désespérez pas. Il y a tout lieu d'être optimiste. Lorsque la société est aux prises avec un problème, tôt ou tard, elle trouve habituellement une réponse. J'espère que ce sera le cas en l'occurrence.

Le sénateur Finestone: Je me souviens du débat entourant le projet de loi C-6. Je me souviens certainement de votre exposé et de votre opinion. Plus je vois les gens se débattre pour trouver une façon d'appliquer le projet de loi C-6, plus je me rends compte que c'était une bonne entreprise sectorielle. Il y a une valeur à cela. Maintenant ce qui va être très important, c'est l'application -- c'est-à-dire les modalités. La conférence tenue récemment à Toronto illustre les questions sérieuses que se posent les gens au sujet de l'application de ce projet de loi. J'étais heureuse que vos collaborateurs soient là et j'étais ravie d'entendre exprimées un si grand nombre de préoccupations.

Je considère qu'il s'agit d'un projet de loi sectoriel. C'est un projet de loi qui limite l'action de certaines entreprises dans certains aspects de la vie commerciale. Le concept dont s'inspire la Charte de la vie privée que j'ai déposée veut qu'une société détermine son système de valeurs en fonction d'un modèle général. Si la société s'engageait à intervenir dans des secteurs tels que la santé, comme nous le demandons dans le projet de loi C-6, cela compléterait ce qui se fait dans le secteur privé. Les banques ont fait savoir qu'elles ont de solides mécanismes de protection de la vie privée dans leur réseau, bien qu'elles continuent à appliquer une stratégie de regroupement que je n'aime pas, mais c'est autre affaire. Est-ce la façon d'aborder ce problème tout en notant que les deux candidats à la présidence des États-Unis voient les droits à la vie privée prendre de plus en plus d'importance? Est-il approprié d'adopter un modèle général, et ensuite sectoriel? Est-ce ce que vous envisagez?

M. Phillips: Nous devons nous entendre sur quelques définitions. Notre définition de «sectoriel» s'applique aux secteurs de l'industrie. Le projet de loi C-6 n'est pas un projet de loi sectoriel parce qu'il s'applique à toute activité commerciale, qu'il s'agisse d'une usine ou d'un détaillant.

Je ne comprends pas très bien ce que vous entendez par «sectoriel».

Le sénateur Finestone: Je me suis rendu compte qu'on a l'impression que le secteur de la santé n'est pas bien protégé -- c'est-à-dire, qu'il ne respecte pas les normes canadiennes ou n'est pas en parallèle avec les droits et les objectifs de la société canadienne -- et c'est ainsi que j'entends sectoriel. Je fais peut-être erreur, mais c'est la façon dont j'avais envisagé la chose.

M. Phillips: Je n'ai jamais été tellement pour l'adoption de lois distinctes concernant la vie privée. Nous n'avons pas une Charte des droits et libertés distincte pour le secteur de la santé, l'industrie automobile, le commerce de détail ou le marketing direct. Nous avons, au Canada, une Charte des droits et libertés qui s'applique à tout et à tous.

Cela devrait être pareil pour la vie privée. La vie privée est un droit humain fondamental. C'est le droit de contrôler ce que les autres savent à notre sujet et cela authentifie notre particularité et notre individualité. Si on nous l'enlève, nous perdons un droit humain fondamental.

À mon avis, en créant des lois spéciales régissant la protection de la vie privée dans chacun des secteurs, nous favorisons divers niveaux d'observation et de respect d'un droit humain fondamental. Je ne pense pas que ce soit la bonne façon de faire. Voilà pourquoi le projet de loi C-6 est une bonne mesure, selon moi. Voilà pourquoi j'ai regretté que le Sénat décide de retarder d'un an son application aux renseignements sur la santé.

Je ne nie pas que les renseignements sur la santé représentent un domaine complexe, étant donné qu'il y a tellement d'intervenants aux intérêts tellement différents: le médecin qui a prêté le serment d'Hippocrate sur le secret professionnel qui le lie à son patient; le bureaucrate de la Santé qui est assis dans un bureau et examine les factures pour établir si les médecins font payer trop cher; le secteur de l'assurance qui voudrait savoir si les gens sont assurables et le monde hospitalier dont les intérêts sont encore différents. Tous ces gens s'intéressent aux renseignements sur la santé et semblent penser qu'ils ont droit, pour une raison ou pour une autre, à un traitement spécial.

J'attendais l'occasion de le dire. Au cours des audiences du comité sur le projet de loi C-6 le mot «exemption» m'a semblé sous-entendu. Il m'est constamment venu à l'esprit. Un grand nombre d'intervenants du secteur de la santé voient d'un mauvais oeil qu'on les oblige à se conformer aux normes établies dans le projet de loi C-6. Je juge cette attitude tout à fait répréhensible. Si les renseignements médicaux sont, comme ils le disent, parmi les plus délicats, ils devraient certes être les premiers à être assujettis à l'application d'une mesure aussi générale que le projet de loi C-6. Je vais suivre avec beaucoup d'intérêt ce qui se passera lorsque le Sénat s'attaquera à cette question plus tard cette année.

Le sénateur Finestone: Je ne pense pas que cette pensée me soit venue à l'esprit. D'après les audiences, il semblait évident que nos normes avaient besoin d'être complétées. Si vous prenez le Livre de la vie, qui n'a pas encore été lu, les recherches sur le génome humain, vous songerez à l'ADN et vous vous demanderez quelles utilisations devront être autorisées ou non. Il y a aussi la police et le projet de loi déterminant où, quand et comment elle est autorisée à prélever des échantillons d'ADN. Ce sont deux initiatives sectorielles; il nous manque néanmoins des normes à partir desquelles on pourrait examiner une mesure que le ministre de la Justice serait forcé d'examiner, qu'elle vienne d'Industrie Canada, d'Environnement Canada ou de Santé Canada. Peu m'importe d'où elle vient, il faudrait évaluer si elle risque d'empiéter sur ma vie privée. Les atteintes à la vie privée ne sont pas légales et ne sont pas justifiables dans une société démocratique. Nous vivons en démocratie, mais si nous avions un régime autoritaire, nous n'aurions aucun droit individuel, seul l'État aurait des droits. Dans notre pays, comme dans tous les pays occidentaux, nous avons des droits en tant qu'individus d'une société.

Ce que je crains, c'est que je ne vois pas comment le projet de loi C-6 pourrait couvrir le génome humain et la recherche sur l'ADN. D'après moi c'est quelque chose de sectoriel, mais qui repose quand même sur les fondements solides de notre Constitution et sur une définition des circonstances dans lesquelles la vie privée doit être respectée. Voilà ce que je voulais dire.

M. Phillips: Sénateur Finestone, je n'ai jamais eu le moindre doute quand à votre position sur ces questions. Ce que vous dites au sujet de l'ADN et de certaines autres technologies médicales intéressantes est parfaitement exact. Le projet de loi C-6 n'est qu'un début. J'espère que la majorité des membres du comité sénatorial qui explorent la question seront du même avis, à savoir que c'est là une bonne occasion d'améliorer la qualité de la protection dans ce domaine.

J'ai l'impression que vous allez toutefois vous heurter à une vive opposition. Je suis entièrement d'accord avec tout ce que vous venez de dire.

Le sénateur Finestone: Monsieur Phillips, vous avez joué un rôle dans l'évolution théorique et pratique des principes démocratiques, surtout en ce qui concerne la vie privée. Je sais que vous rencontrez vos homologues de tout le pays de même qu'au niveau international. Existe-t-il un moyen d'attirer davantage leur attention sur la protection des droits individuels à la vie privée? Je les écoute, car le sujet m'intéresse. J'ai toutefois constaté énormément de naïveté, car tout le monde suppose que nous avons des droits à notre vie privée quand ce n'est pas vraiment le cas.

Lorsqu'on lit dans The Economist que la vie privée n'existe plus ou, dans le New York Times, qu'elle deviendra le grand sujet de discussion du XXIe siècle, je ne sais pas où sont les défenseurs de la vie privée. Vous êtes bien connu au Canada, mais à quel point vos homologues des autres pays, d'Angleterre, de France, d'Allemagne et des Amériques, réussissent-ils à se faire entendre?

Quelle est la place accordée à la vie privée dans le programme politique national? Si je veux faire en sorte que mon gouvernement, qu'il soit de mon parti politique ou d'un autre, juge cette question prioritaire, que dois-je faire? Comment donner à cette question une plus grande importance au niveau international, où cela aurait peut-être plus d'impact?

M. Phillips: C'est une question très vaste. Nous sommes des gens modestes qui avons tout lieu d'être modestes. Le public connaît assez peu l'existence du Bureau du commissaire à la protection de la vie privée, malgré tous nos efforts. Il y a des commissaires en Europe de l'Ouest, en Grande-Bretagne, au Canada, en Australie et en Nouvelle-Zélande.

Sénateur, la réponse à long terme à la question que vous soulevez commence à se dessiner. The Economist avait tort dans cet article publié il y a cinq ou six mois. La vie privée peut être gravement menacée à l'heure actuelle en raison des effets de la technologie; néanmoins, il est vrai que le public prend de plus en plus conscience du problème.

Comme on peut largement le constater, les gens sont inquiets au sujet de l'Internet et des autres formes de communication sans fil, comme les services de communications personnelles, et le reste.

Il est important de surveiller de près le Congrès des États-Unis, car il est au centre de la question pour ce qui est des réponses juridiques. C'est très intéressant. Il y a actuellement de très nombreux projets de loi devant le Sénat et la Chambre des représentants qui cherchent à remédier au problème dont vous parlez. Il est vrai que l'administration américaine n'a pas encore soumis de proposition détaillée au Congrès, mais de toute évidence, les préoccupations des électeurs et de la base commencent à faire surface au niveau politique aux États-Unis. Je vois là un signe encourageant.

Les commissaires se réunissent une fois par an pour discuter de diverses questions. Il y a une vingtaine de commissaires à la protection de la vie privée dans le monde.

Dans la plupart des cas, surtout en Europe, les commissaires à la protection de la vie privée sont au service de l'État. Ils ne sont pas au service de leur assemblée législative. Mon cas est assez inhabituel. En conséquence, toute déclaration publique doit obtenir le feu vert des décideurs politiques.

Les commissaires ont une influence. La norme européenne de protection des données, qui a été adoptée par le Parlement européen, est, dans une large mesure, le résultat des efforts de mes homologues d'Europe.

C'est ce qui a conduit à des initiatives comme le projet de loi C-6, par exemple. Nous ne nous serions pas conformés aux normes européennes pour le transport ou la transmission des données si nous n'avions pas mis en place le projet de loi C-6, ce qui aurait pu faire obstacle à notre commerce transatlantique. Les commissaires à la protection de la vie privée ne sont pas dépourvus d'influence.

Pour ce qui est de la sensibilisation du public, ce serait trop attendre des commissaires que de leur demander de jouer ce rôle. Les commissaires n'auront guère d'autre moyen que ceux qui leur sont confiés au départ, sauf peut-être quelques sous de plus pour faire un peu de travail de sensibilisation. Il faudrait beaucoup plus. Quand je dis que nous avons tout lieu d'être modestes, je pèse mes mots.

Le sénateur Finestone: J'espère que le critère que j'ai intégré dans mon projet de loi réussira au moins à faire progresser cette question.

Ces audiences sont radiodiffusées, n'est-ce pas? Je me demande si les gens qui s'intéressent aux nouvelles technologies, avec ou sans fil, et à la complexité du monde dans lequel nous vivons, pourrons suivre ces discussions. Je me réjouis parfois de ne pas être une adolescente. Pourriez-vous recommander aux téléspectateurs qui nous regardent un site Web où ils pourraient s'informer davantage sur le droit à la vie privée?

M. Phillips: Le site priv.com.gc.ca serait un bon début. C'est notre site Web. Nous y avons affiché beaucoup de renseignements sur le sujet. S'il y a un meilleur site au Canada, je ne sais pas où il se trouve.

Le sénateur Finestone: Pourriez-vous répéter votre adresse?

M. Phillips: C'est priv.com.gc.ca.

Le sénateur Finestone: Est-ce que priv.com nous conduit à d'autres liens sur la protection de la vie privée?

M. P. Julien Delisle, directeur exécutif, Bureau du commissaire à la protection de la vie privée du Canada: Oui.

Le sénateur Finestone: Pourrais-je insérer ma charte dans votre site Web sur la vie privée?

M. Delisle: Certainement.

Le sénateur Finestone: Je vais vous l'envoyer aujourd'hui même.

M. Phillips: J'avoue que je me sentirais assez embarrassé si nous ne l'avons pas déjà incluse.

M. Delisle: Je crois qu'elle y est déjà.

M. Phillips: Ne nous en veuillez pas trop si nous ne l'avons pas déjà fait.

La présidente: Je vous remercie d'être venu. Je dois reconnaître que nous aurions encore mille questions à vous poser et nous allons sans doute demander à nos attachés de recherche de communiquer avec vous. Malheureusement, vu le manque de temps, nous ne pouvons pas vous poser toutes nos questions.

Honorables sénateurs, notre prochain témoin a besoin d'un peu de temps pour préparer son matériel, car il va nous faire un exposé. La GRC comparaît à propos de la sécurité.

Monsieur Phillips, reprenez vos aises.

Le sénateur Finestone: Monsieur Phillips, dans une société démocratique, il est important de reconnaître qu'il existe des règles que les gens tentent parfois d'enfreindre. J'aimerais savoir comment vous envisageriez des exemptions à la protection générale de la vie privée si elles étaient raisonnables et justifiables dans une société démocratique. Pourraient-elles s'appliquer au SCRS, à la GRC et à la police?

M. Phillips: La police semble en mesure d'obtenir des assemblées législatives les exemptions les plus larges qui soient. À mon avis, les assemblées législatives ont été beaucoup trop prêtes à céder devant les instances de la police.

J'en profite pour le dire, étant donné que c'est ma dernière chance. Comme vous le savez, je vais prendre ma retraite plus tard cette année.

Je suis sidéré de voir avec quelle facilité les autorités policières peuvent obtenir des assemblées législatives un accès pratiquement illimité aux renseignements personnels. Le projet de loi sur le blanchiment d'argent sur lequel le Sénat s'est penché en est un bon exemple.

Je n'ai jamais vu un projet de loi conférant aux autorités un droit aussi énorme et aussi illimité de fouiller dans la vie privée des gens. Je ne pense pas que le projet de loi sur le blanchiment d'argent ait reçu toute l'attention qu'il méritait.

Pour ce qui est de l'Internet, vous devriez poser des questions quant à l'étendue des activités d'Echelon à l'égard des communications sans fil autour du monde. Le Canada fait partie d'Echelon, comme tous les pays européens et les États-Unis. Echelon peut surveiller toute transmission par satellite dans le monde, partout et en tout temps. Echelon peut capter ces transmissions à votre insu et sans votre consentement.

Est-ce raisonnable, selon vous, ou ne devrions-nous pas commencer à nous demander sérieusement à quel point nous allons laisser les forces policières placer notre société sous une surveillance constante, totale et complète. Est-ce raisonnable?

La présidente: Monsieur Phillips, vous serez heureux d'apprendre que le comité a demandé au ministre des Finances de prendre certains engagements au sujet du projet de loi sur le blanchiment d'argent. Les changements que vous avez suggérés devraient être apportés au début de l'automne.

M. Phillips: Je suis soulagé de l'entendre.

La présidente: Nous avons effectué une étude approfondie. Je siège également au comité des banques. Votre exposé a causé des inquiétudes à tous les membres de notre comité, et nous vous remercions encore une fois de votre contribution.

Surintendant Jeggo, soyez le bienvenu à notre sous-comité.

M. David Jeggo, surintendant, officier responsable, Sous-direction de la police économique, Gendarmerie royale du Canada: Honorables sénateurs, avant de commencer, je devrais préciser quelles sont mes fonctions. Je ne suis pas un expert de la sécurité comme tel. En tant qu'officier responsable de notre programme de la police économique, Je m'occupe principalement des fraudes graves. Nous nous occupons également des crimes informatiques comme le piratage informatique. Plus récemment, nous avons enquêté sur les activités illégales menées sur l'Internet.

Madame la présidente, je voudrais tout d'abord vous remercier de votre invitation. J'ai entendu certaines des questions soulevées à la fin du dernier témoignage, et il y en a sans doute quelques-unes dont je ne connais pas la réponse. Mais j'espère que les réponses viendront. J'espère pouvoir répondre au moins à certaines de vos attentes. Je crois avoir au moins souligné la plupart des questions importantes, et je vais certainement pouvoir vous aider à mettre en lumière certains des problèmes dont nous pourrons discuter plus tard.

Je suis certain que vous avez déjà vu des prévisions et des statistiques indiquant quelle a été la progression des communications électroniques récemment. J'ai reçu ces chiffres d'Intel Corporation, une grande société internationale qui fabrique des microprocesseurs et autres composantes informatiques. Dans le contexte canadien, l'un des objectifs de notre gouvernement est de faire du Canada le pays le plus branché au monde.

Un de mes collègues d'Industrie Canada m'a fourni des chiffres indiquant que le Canada arrivait en deuxième place, après les États-Unis, pour ce qui est des recettes mondiales du commerce électronique.

En 1998, l'économie Internet canadienne a enregistré des recettes de 28 milliards de dollars et fournit plus 95 000 emplois. L'opinion de notre organisation à cet égard est bien simple: il n'est pas possible d'arrêter ou de ralentir la croissance de l'Internet. Par conséquent, nous ferons ce que nous pourrons pour faciliter cette croissance, tout en veillant à ce que l'Internet soit un lieu sûr où nous pouvons faire du commerce, où nous divertir, sans avoir à craindre que nos renseignements personnels soient volés ou modifiés ou que nos familles soient victimes d'activités criminelles ou illégales.

Voici quelques prévisions supplémentaires concernant la situation mondiale. Je dois souligner qu'il y a deux ans à peine, certains de nos consultants et chercheurs du Canada prévoyaient pour l'an 2002 un chiffre de 236 milliards de dollars. J'ai récemment entendu des prévisions selon lesquelles ce montant dépassera plutôt 3 billions de dollars d'ici 2003. Quels que soient les chiffres, ils sont considérables et augurent très bien pour notre économie. Ils augurent également très bien pour ceux qui choisissent d'exploiter ce potentiel.

La réponse du voleur de banque qui figure ici semble un peu périmée, mais elle montre que ce qui a de la valeur est automatiquement menacé. Dans un contexte plus moderne, celui du crime organisé et du blanchiment d'argent, par exemple, l'idée de voler les banques est totalement désuète étant donné qu'il est beaucoup plus facile d'acheter plutôt la banque.

Les crimes accomplis au moyen des réseaux informatiques peuvent, en raison de leur nature, être perpétrés à distance. En outre, les communications par ordinateur ne permettent généralement pas de connaître l'identité de l'émetteur et les indices peuvent être facilement falsifiés ou, comme le disent les pirates électroniques, «mystifiés».

Quelque soit l'ordre dans lequel elles apparaissent sur l'acétate, ce sont-là des menaces toutes très graves contre le commerce sur Internet. Nous avons assisté à une augmentation de ce genre d'activité ces derniers mois. Les clients qui n'ont guère confiance dans la capacité, la stabilité et l'intégrité des infrastructures multiples qui composent les nombreuses facettes du commerce électronique, et des services gouvernementaux électroniques, s'abstiennent d'y participer.

L'activité sur l'Internet comprend pratiquement toutes les formes de criminalité traditionnelle. Dans la liste que vous voyez ici, j'ai inclus les activités qui sont sans doute les plus connues. Il y a aussi le trafic et la vente d'alcool, de tabac et d'armes à feu de contrebande.

L'acétate suivante se rapporte à la fraude et aux formes qu'elle revêt le plus souvent. On peut dire que toute forme de fraude qui ait jamais été commise sur papier peut maintenant être commise de façon électronique. À l'onglet 2 de votre documentation, j'ai inclus une description plus détaillée de chacune des activités figurant sur les deux prochaines acétates.

J'ai également inclus, dans votre documentation à l'onglet 5, la copie d'un exemple classique de demande de paiement anticipé émise, il y a plusieurs années, dans un pays étranger. Ces lettres ont été expédiées en grand nombre à des citoyens canadiens, à partir de pays tiers. Même les timbres-poste ont été falsifiés pour la plupart. Le deuxième document porte sur le même genre d'investissement confidentiel, la seule différence étant sa diffusion désormais par l'Internet. À l'heure actuelle, nous recevons probablement chaque semaine une demi-douzaine de ces documents à notre bureau.

Parmi les possibilités d'investissement figurent les combines boursières qui, pour la plupart, ciblent des actions de faible valeur dont on fait gonfler le prix au moyen de diverses manipulations électroniques. Lorsque leur valeur atteint un certain niveau, et que les fraudeurs ont réalisé des gains importants, l'action est liquidée, ce qui entraîne rapidement une baisse de valeur et parfois des pertes importantes pour les investisseurs.

Nous constatons encore des problèmes en ce qui concerne le télémarketing frauduleux, surtout dans trois villes du pays, mais certaines des fraudes énumérées ici ne sont plus perpétrées par téléphone, mais par l'Internet. Je voudrais également préciser que nous décrivons, dans notre site Web, certaines des arnaques les plus répandues. L'adresse figure dans la dernière acétate.

Selon le principe des anciennes communications par ordinateur, à données inexactes, résultats erronés et c'est sur cette base que fonctionnaient les ordinateurs centraux. Autrement dit, le relâchement de la qualité des données inscrites ou recueillies dans un système informatique donnait généralement des résultats peu impressionnants. Si le même principe était appliqué aujourd'hui, l'information trouvée sur le Web devrait être exacte.

Dans le contexte de cet exposé, cette acétate me semble être une des plus importantes. Lorsque je parle de défi, cela n'a rien de péjoratif.

Certains ont affirmé que la vie privée, et surtout la protection de la vie privée, pouvait faire obstacle à l'application de la loi. En fait, on m'a demandé si l'application de la loi et la protection de la vie privée étaient en contradiction.

C'était peut-être le cas il y a quelques années, mais il y a eu une maturation importante, sans oublier que les lois doivent être respectées.

Le débat ne devrait toutefois pas mettre en opposition la protection de la vie privée et l'application de la loi. Ce n'est pas moi qui le dit, mais plusieurs de mes collègues du ministère de la Justice, d'Industrie Canada et des forces policières.

La vie privée est essentiellement une valeur sociale à laquelle on accorde une grande importance dans les démocraties. Une autre valeur sociale fondamentale est la sécurité du public. Il faut notamment protéger le public contre les effets nuisibles de la distribution de la pornographie infantile et des publications haineuses, contre le vol et la fraude ainsi que les dangers environnementaux. Une autre valeur sociale est la nécessité d'assurer la confiance du public dans l'intégrité et la sécurité des systèmes économique et de télécommunications.

L'application de la loi n'est qu'un des moyens par lesquels les valeurs sociales sont protégées. La technologie est également un moyen de protéger les valeurs sociales. Il s'agit donc d'examiner les valeurs qui s'opposent les unes aux autres et la façon d'établir un juste équilibre entre elles. Le débat ne doit pas mettre en opposition les valeurs et les moyens.

Avec les progrès de la technologie numérique, tant pour la mise en mémoire des données que pour les communications, la technologie sans fil qui a commencé avec des applications téléphoniques se répand désormais. L'ordinateur personnel a atteint également la vitesse d'un gigahertz.

Dans certains milieux de l'industrie, on a fait valoir que les gouvernements du monde entier devaient passer de la norme de l'ère industrielle à la norme de l'ère de l'information. C'est facile à dire, mais je ne suis pas certain que ce soit aussi facile à faire. Il est possible de changer la façon de faire du commerce, mais je me demande s'il est possible ou même souhaitable de prendre des décisions politiques aussi rapidement qu'on le suggère. Cela fera certainement l'objet d'un autre débat.

Je voudrais faire quelques observations au sujet de la cryptographie pour montrer que la technologie est bien comprise et repose sur des bases scientifiques solides. On m'a dit qu'il existait plus de 400 produits disponibles et que cette science était enseignée dans les grandes universités du monde entier. Le chiffrement pose certains défis intéressants pour nous.

Pour ce qui est de la stéganographie, je peux seulement vous parler de ses utilisations bonnes et mauvaises. Pour ce qui est des bonnes, elle permet d'obtenir des filigranes numériques qui empêcheront de faire des copies illégales de produits protégés par le droit d'auteur ou d'instruments négociables. La monnaie en est un bon exemple. Quant aux mauvaises utilisations, cela pourra permettre de communiquer des renseignements illicites. D'autre part, comme il s'agit d'un nouveau domaine, il y a de nombreuses inconnues.

Voici quelques exemples des changements dans la capacité de mise en mémoire. J'ai pris l'exemple d'un livre broché qui coûte, en moyenne, 11,95 $. À raison de 648 000 caractères par livre, vous pouvez publier deux livres et demi sur une disquette. Les disques durs des ordinateurs personnels ont maintenant une capacité de 17 giga-octets. Vous avez assez de place pour 78 600 livres. Cela représente une grosse quantité d'information et cette capacité se répercute sur notre travail lorsque nous devons faire une analyse judiciaire numérique des renseignements contenus dans les ordinateurs.

J'ai déjà mentionné certaines des tendances qui nous poseront des défis en tant qu'enquêteurs. L'un des cybernets existants prétend qu'il n'existe qu'une seule architecture Internet. En réalité, il y en a un grand nombre. C'est l'un des atouts de l'Internet. Toutefois, la multiplicité des architectures s'accompagne d'une multitude d'endroits où entreposer et cacher des données ainsi que la preuve d'activités sur les réseaux. L'emplacement physique se trouve dans des serveurs ou des ordinateurs, mais l'emplacement géographique peut être n'importe où dans le monde.

Je vous ai présenté un survol des divers moyens d'aborder certaines questions. L'investissement dans la sensibilisation du public est très payant. Certaines idées déjà vieilles s'appliquent encore de nos jours au commerce électronique.

Pour assurer une utilisation éthique de la technologie, il faut sensibiliser les jeunes le plus tôt possible. Comme vous le savez sans doute, les jeunes représentent une priorité pour notre organisation. Certains feront valoir qu'on risque de les exposer davantage au côté néfaste de la technologie. C'est peut-être vrai, mais je crois que le risque est beaucoup plus grand si nous ne les guidons pas dans la bonne voie le plus tôt possible.

Ce rôle n'incombe pas seulement aux éducateurs. Les parents ont également des responsabilités. C'est une occasion de plus de passer du temps avec nos enfants.

Le modèle du Royaume-Uni que j'ai mis en lumière ici a été mis en place en 1997 à la suite de ce qui constituait ni plus ni moins un affrontement entre l'application de la loi et les fournisseurs de services Internet. Les membres de ce forum comprennent des représentants de l'industrie, du gouvernement, des forces policières et du milieu juridique, tant du secteur privé que du secteur public.

L'utilisation de sous-groupes élargit la base de connaissances et de compétences techniques et l'on a résolu certains problèmes en matière de législation, de programmes de sensibilisation, de responsabilités, de pratiques exemplaires, et si je peux utiliser un exemple que nous appelons le programme IRC, une étude portant sur les habitudes des pédophiles et les harceleurs qui pratiquent le conditionnement des victimes, dans le but de protéger les usagers de l'Internet, et surtout les jeunes.

Les points mentionnés sur cette acétate sont sans doute les fondements essentiels d'un bon cadre stratégique fédéral. Cela englobe les dispositions juridiques, soit dans le Code criminel soit dans d'autres lois fédérales applicables, ainsi que les politiques qui soutiennent l'économie de l'Internet, comme la politique sur la cryptographie et la coopération internationale, par exemple au sein du G8.

Bon nombre d'infractions actuelles prévues au Code criminel peuvent s'appliquer aux activités criminelles visant la technologie de pointe et son infrastructure. Certaines nouvelles infractions ont été prévues pour garantir des poursuites efficaces, notamment au paragraphe 430(1.1), qui a été modifié pour inclure les méfaits relatifs aux données, et l'article 342, qui prévoit une infraction en cas d'utilisation non autorisée d'un système informatique.

J'ai inclus dans votre trousse d'information une description de toutes les modifications que renferme le projet de loi C-17.

Le sénateur Finestone: Le projet de loi a-t-il été adopté à la Chambre?

M. Jeggo: Oui, il a été adopté en 1997.

D'après moi, l'interprétation de la politique sur la cryptographie dans le cadre du commerce électronique, les Canadiens sont libres d'élaborer, d'importer et d'utiliser tous les produits de cryptographie qu'ils souhaitent. Le gouvernement ne va pas mettre en oeuvre des régimes d'octroi de permis ou des conditions essentielles obligatoires. En outre, le gouvernement encourage l'industrie à adopter des pratiques responsables, comme des systèmes auxiliaires pour la mise en mémoire de l'information.

En ce qui concerne la sécurité publique, des modifications sont proposées au Code criminel et à d'autres lois de façon à criminaliser la divulgation à mauvais escient de clés, décourager l'utilisation du chiffrement pour commettre un acte criminel ou dissimuler des preuves, et s'assurer que l'interception, la perquisition et la saisie, ainsi les méthodes d'aide déjà en vigueur, s'appliquent aux situations et circonstances cryptographiques.

Pour ce qui est des progrès réalisés, ceci indique l'une des principales initiatives et tribunes où l'on peut discuter des questions touchant la technologie de pointe, à savoir le G8. Dans le communiqué de Moscou de novembre 1999, les ministres de la Justice et de l'Intérieur des pays en cause ont énoncé certaines priorités en rapport avec la technologie de pointe. La recherche et l'identification des criminels et les partenariats avec l'industrie ont constitué deux des principaux thèmes et priorités de ce communiqué.

Les ministres ont demandé l'élaboration d'une série d'options concrètes, en consultation avec l'industrie, pour retracer les communications en réseau au-delà des frontières nationales dans le cadre d'enquêtes criminelles. Les ministres ont aussi décidé de convoquer une conférence où les pays du G8 et l'industrie pourraient échanger des idées sur la criminalité cybernétique, en mettant l'accent sur les questions reliées au repérage et à l'identification des criminels qui exploitent l'Internet. La conférence a eu lieu en France le mois dernier, sous le thème de «La sécurité et la confiance dans le cyberespace.»

Pour conclure cette partie de l'exposé de la discussion, j'espère avoir répondu à au moins une partie de vos attentes. Je suis prêt à répondre à vos questions.

La présidente: Surintendant Jeggo, votre exposé ainsi que le document que vous nous avez présentés sont des plus intéressants. Vous joignez le texte de votre exposé, des exemples de fraude sur l'Internet et les articles du Code criminel qui existent pour protéger les citoyens canadiens, ainsi que des documents relatifs à la conférence sur l'uniformisation des lois du Canada de 1999, et ensuite deux exemples de ce que je considère comme de véritables escroqueries qui ont eu lieu. Tout cela sera extrêmement important pour nous et ne vous remercie de ce supplément d'information.

Le sénateur Finestone: Votre témoignage a été des plus intéressants. Comme il fait suite aux observations faites par le commissaire à la protection de la vie privée, cela nous donne vraiment les moyens d'examiner certaines questions en jeu.

Dans une société démocratique, il est essentiel que la sûreté et la sécurité soient assurées par la police ou certaines forces. J'approuve votre idée de sensibiliser les enfants. J'estime que votre définition des valeurs sociales dans une société canadienne démocratique est importante, au même titre que la sécurité de la population.

En ce qui concerne la sécurité de la population, vous avez parlé d'«analyse judiciaire». Pourriez-vous nous expliquer de quoi il s'agit?

M. Jeggo: C'est un terme technique qui décrit l'analyse des preuves obtenues au moyen de la technologie numérique. Par exemple, lorsque nous effectuons une saisie de matériel électronique, d'ordinateurs et autres, on parle d'analyse judiciaire lorsqu'on analyse les renseignements enregistrés sur le disque dur. Cela a la même connotation que sur le plan pathologique, mais il s'agit en fait de preuves numériques.

Le sénateur Finestone: En tant que téléspectatrice qui visionne de nombreuses émissions de nature policière, j'ai toujours cru que les preuves judiciaires étaient celles recueillies lorsque le médecin fait un examen et résout l'affaire en déterminant si c'est vraiment vous qui êtes l'auteur du crime, soit grâce à des empreintes génétiques ou à une chose que vous avez mangée au moment du décès. C'est ce que j'appelle les preuves légales ou judiciaires. Toutefois, cela s'applique autant au matériel qu'aux fragments de corps humains.

M. Jeggo: C'est l'analyse des preuves contenues sur un disque dur d'un système informatique. L'expertise médico-légale est devenue une science reconnue. Elle a évidemment vu le jour aux États-Unis, car c'est dans ce pays que les problèmes ont commencé à se manifester, et c'est devenu une discipline reconnue au sein des laboratoires américains. C'est là que le terme a évolué. Il décrit la série de principes, les normes très élevées et les procédés méticuleux nécessaires pour examiner chaque élément et établir les preuves que l'on recherche sur ce matériel.

Le sénateur Finestone: Vous avez donc parmi vous des experts en cryptologie et toutes ses diverses formes?

M. Jeggo: Dans la mesure du possible, oui.

Le sénateur Finestone: Tout cela évolue si rapidement, comment faites-vous pour suivre?

M. Jeggo: Nous nous dépêchons pour ne pas prendre de retard.

Le sénateur Finestone: J'ai lu dans le journal, hier ou aujourd'hui, que le Canada accueille les éléments internationaux de la criminalité. Je ne sais pas si ce sont les gens qui battent en brèche la criminalité ou qui y prennent part. Vous êtes sans doute responsable de la formation des agents du service secret, ceux qui font de l'espionnage pour nous. C'est comme ça qu'on les appelle. Ils constituent notre réseau d'espions étrangers. Pourriez-vous nous dire ce qui se passe dans ce domaine? Participent-ils à des activités en rapport avec le cyberespace, la cryptographie et la recherche judiciaire sur toutes sortes d'actes criminels de nature internationale? Étudient-ils ces question avec vous?

M. Jeggo: Je ne sais pas de quoi vous voulez parler, et je m'en excuse.

Le sénateur Finestone: Peu importe. C'était un article dans le journal. Si vous êtes attaché à la direction de la criminalité économique, je suppose que les activités de repérage et de recherche des contrevenants ne se limitent pas au Canada, mais ont une portée internationale dans ce nouveau monde du cyberespace.

M. Jeggo: En effet.

Le sénateur Finestone: Comment travaillez-vous à l'échelle internationale? Utilisez-vous les ondes hertziennes, le téléphone ou les sans-fil? Comment faites-vous pour communiquer et que recherchez-vous au niveau international?

M. Jeggo: Lorsque d'autres pays nous saisissent de certaines affaires, nous respectons les dispositions de notre traité d'aide juridique réciproque, à condition qu'il en existe un entre les deux pays. Il en va de même dans l'autre sens. Si certaines activités nous amènent vers d'autres pays, nous utilisons ce processus pour recueillir les preuves.

Le sénateur Finestone: Vous avez parlé de la protection des jeunes, de la pornographie infantile et d'autres activités du même ordre. Quel genre de lois existe-t-il à l'heure actuelle pour empêcher l'utilisation de l'Internet pour diffuser de la pornographie infantile ou de la propagande haineuse?

M. Jeggo: Il existe dans le Code criminel des infractions qui portent sur la diffusion de la pornographie infantile et sur les crimes haineux.

Le sénateur Finestone: Ces infractions s'appliquent-elles à l'espace international, à la fois aux communications sans fil et électroniques?

M. Jeggo: Le Code criminel s'applique au Canada et nous espérons que les autres pays reconnaissent la gravité de ce genre d'infractions et ont adopté le même genre de lois.

Le sénateur Finestone: Pouvez-vous les trouver?

M. Jeggo: Les coupables?

Le sénateur Finestone: Oui.

M. Jeggo: Oui, c'est possible. Cela prend du temps. Lorsqu'il s'agit d'une activité électronique qui se déroule sur l'Internet, les renseignements, selon leur origine, peuvent être assujettis à une limite de temps. Cela signifie tout simplement que le fournisseur de services peut avoir des limites quant à la durée de conservation de l'information. Comme je l'ai expliqué en présentant mes acétates, le facteur gel rapide, dégel lent est très important. Plus vite nous trouvons l'endroit où les données sont mises en mémoire et pouvons au moins demander au fournisseur de services de les conserver, mieux cela vaut. Vient ensuite la paperasserie, si cela se passe dans un autre pays, grâce au processus du traité d'aide juridique réciproque. Les forces de l'ordre du pays où nous recherchons l'information disposent d'un certain temps pour établir le mandat de perquisition d'après les renseignements que nous leur communiquons. C'est faisable, mais le problème vient de ce que tout se passe très vite. Il faut pouvoir réagir rapidement.

Le sénateur Finestone: Avez-vous le personnel voulu pour ce genre de chose? Pour être plus précise, nous sommes extrêmement diligents lorsqu'il s'agit du secteur commercial, de la fraude commerciale et des activités illégales dans ce domaine. Le sommes-nous autant à l'égard des valeurs sociales, qu'il s'agisse de la pornographie, de l'islamophobie, de la négrophobie ou de l'homophobie? Notre équipe fait-elle preuve de diligence, et sinon, est-ce dû à un manque de ressources humaines et financières?

M. Jeggo: Pour répondre à la question de la diligence, lorsqu'on nous signale ce genre d'activités criminelles, nous nous en occupons. Pour répondre à la question des ressources, vous savez certainement que notre organisme a subi d'énormes compressions de programme depuis 1994, et notamment dans mon secteur. En février dernier, le gouvernement a débloqué des fonds pour accroître notre budget, ce qui nous aidera à reprendre certaines activités et à réagir à la nouvelle forme de criminalité qui existe à cause de la technologie moderne. Toutefois, il nous reste encore beaucoup à faire, notamment pour former nos membres et donner aux enquêteurs les compétences voulues étant donné l'évolution extrêmement rapide de la technologie. Nous avons été pris de court. Nous sommes dans le même cas que la plupart des autres pays qui se sont trouvés pris derrière la même «vague», si vous voulez.

Le sénateur Finestone: Pouvez-vous me parler du système Echelon dont il a été question plus tôt? Nous avons fait une étude sur la protection de la vie privée, mais où faut-il fixer la limite? Des représentants de la GRC, du SCRS et d'autres organismes ont témoigné devant notre comité, et pour nous présenter cette technologie, nous avons discuté de la perche de microphone qu'utilisent les journalistes. Cela a l'air bien inoffensif à première vue. Tous les journalistes arrivent avec leur caméra et ils ont de longues perches de microphone qui pendent au-dessus de votre tête pour recueillir le son. Cela peut recueillir le son en provenance d'une distance éloignée. Ils ont également des caméras qui peuvent traverser les murs de brique grâce à des lampes à infrarouge et déterminer combien de personnes sont assises autour d'une table. Nous avons été sidérés d'apprendre toutes sortes de choses au sujet de la surveillance et de la violation de notre vie privée grâce à ce genre de matériel.

En ce qui concerne la surveillance, que surveillez-vous à notre insu et contre notre gré, et qu'est le système Echelon?

M. Jeggo: Je n'ai aucun renseignement sur le système Echelon et je ne peux donc pas répondre à votre question.

Le sénateur Finestone: Auriez-vous l'obligeance de faire parvenir à la greffière du comité une description du système Echelon?

M. Jeggo: Oui, je peux vérifier ce que c'est et à quoi cela sert, mais je ne peux rien vous dire à ce sujet car je n'y connais absolument rien.

Le sénateur Finestone: Eh bien. Vous avez répondu à la question du projet de loi sur le blanchiment de fonds pour notre gouverne.

Le sénateur DeWare: Je voudrais poser une question au surintendant au sujet du projet de loi C-17. C'est une loi qui est applicable, cela ne fait aucun doute. Vous avez dit qu'aux paragraphes 342.(1), 342.(2) et à l'article 430 du Code criminel, toute personne coupable d'un méfait, qui entrave, interrompt ou empêche volontairement l'utilisation ou la jouissance légale de biens ou de données, peut être condamnée si elle est reconnue coupable. La peine est assez sévère puisqu'il peut s'agir de cinq ans ou de dix ans d'emprisonnement. Depuis l'entrée en vigueur de cette loi en 1997, combien de condamnations y a-t-il eues en moyenne aux termes de ces dispositions?

M. Jeggo: Je ne connais pas le chiffre exact, mais un certain nombre de personnes ont été condamnées. En fait, il y a quelques mois, un homme du nord de l'Ontario a été reconnu coupable pour la deuxième fois d'activités en rapport avec la destruction et le piratage de systèmes informatiques aux États-Unis, et notamment les systèmes de défense, de recherche militaire américaines, et autres choses du même ordre. C'était la deuxième fois et il a été incarcéré pendant une brève période. Dernièrement, la condamnation d'un jeune contrevenant dans la région de l'Atlantique a entraîné le recours à la justice réparatrice dans l'espoir de faire de ce méchant pirate informatique un gentil. Autrement dit, nous espérons lui faire utiliser ses compétences informatiques à bon escient. La justice réparatrice jouera un rôle crucial dans certains de ces cas. Bon nombre de ces pirates sont jeunes et il faut donc prendre des mesures différentes à leur égard.

Le sénateur DeWare: D'après vous, considèrent-t-ils comme un défi d'essayer de mettre le système en échec?

M. Jeggo: C'est en partie un défi, en partie une question d'ego. Le piratage n'est pas nouveau. Il existe depuis qu'il existe des ordinateurs. Depuis peu, toutefois, c'est devenu plus facile à cause des instruments dont on dispose aujourd'hui, et parce que la plupart des systèmes modernes utilisent Windows. Il est tout à fait possible pour ces gamins ou ces adolescents de télécharger les programmes de l'Internet et de lancer leurs attaques, et de faire tout ce qu'ils veulent. C'est beaucoup plus facile aujourd'hui qu'il y a cinq ans.

Le sénateur DeWare: Prenons l'exemple de l'affaire internationale, au printemps dernier, qui concernait les données du gouvernement et dans le monde entier. Comment peut-on faire pour retrouver la personne coupable? On a effectivement déterminé qui était le coupable, mais notre gouvernement a été gravement touché par quelqu'un à l'échelle internationale.

M. Jeggo: Est-ce que vous parlez du virus?

Le sénateur DeWare: Oui.

M. Jeggo: Je ne sais pas comment on a fait pour établir que cette personne venait d'un pays riverain du Pacifique. Je n'ai pas eu l'occasion de parler avec quelqu'un aux États-Unis qui est au courant de cette affaire. Souvent, toutefois, c'est dû au bon travail des policiers.

Le sénateur DeWare: Si quelqu'un infiltrait un virus dans notre système, cela relèverait-il du projet de loi C-17?

M. Jeggo: Oui, car cela constitue une ingérence dans un système informatique causant des dégâts.

Le sénateur DeWare: Des dégâts sérieux et qui coûtent très cher.

M. Jeggo: On n'a pas encore déterminé ce que cela avait coûté du point de vue économique. Par exemple, à Ottawa seulement, six ou sept ministères ont fermé pendant au moins une journée, voire deux. Certains d'entre nous ont continué à travailler, mais les virus risquent de faire énormément de dégâts.

Le sénateur DeWare: Le projet de loi C-17 est-il efficace dans ces conditions?

M. Jeggo: Oui.

Le sénateur DeWare: Avez-vous des amendements à y proposer?

M. Jeggo: Nous en avons proposé certains à la Conférence sur l'uniformisation des lois du Canada. Je ne sais pas exactement où en sont les choses. Je sais qu'on en a discuté et que ces amendements ont été acceptés, mais il faut maintenant qu'ils franchissent la prochaine étape de consultation.

Le sénateur DeWare: Merci, monsieur.

La présidente: Surintendant Jeggo, au début de votre exposé, vous avez dit que le gouvernement a officiellement établi un objectif et un défi pour tous les ministères, tous les ministres et toutes les provinces, en disant qu'il faut qu'il existe une volonté commune forte de faire du Canada l'un des pays les plus branchés du monde. Notre étude précédente nous a révélé que c'est déjà le cas, car il existe divers programmes concernant la connexion avec les écoles et les bibliothèques publiques d'un bout à l'autre du pays; nos investissements dans le domaine de l'innovation et dans l'excellence nous ont placés à l'avant-garde du reste du monde.

L'une des questions essentielles dont nous discutons ici est la confiance des Canadiens, pour qu'ils se sentent libres d'utiliser cette technologie, qu'il s'agisse des clients ou des fournisseurs de B à B, de B à G, de G à G -- c'est-à-dire de gouvernements à gouvernements -- et de G à C. Le projet de loi C-6 est la première étape en vue de garantir la protection nécessaire de la vie privée.

Nous parlons aujourd'hui de sécurité. Vous avez dit que la sensibilisation est l'une de nos priorités. Comment faire la part des choses? J'ai deux questions à poser à ce sujet. Premièrement, quel rôle la GRC joue-t-elle à l'égard de la sensibilisation du public? Deuxièmement, comment concilier ces deux objectifs: d'une part, l'utilité d'un programme solide de sensibilisation du public concernant l'utilisation de l'Internet, mais d'autre part, inciter les gens à utiliser à bon escient cet accès à l'information, aux gens, aux possibilités commerciales et personnelles. Pourriez-vous répondre à ces questions?

M. Jeggo: Puis-je répondre en premier à la deuxième question?

La présidente: Évidemment.

M. Jeggo: Du point de vue de la prise de conscience et de la sensibilisation, les gens sont exposés à la télévision et aux médias qui décrivent de façon assez détaillée les progrès technologiques actuels. Toutefois, il faut traiter -- et la salle de classe est sans doute le meilleur endroit où commencer -- des répercussions de l'utilisation de cette technologie. Cela a déjà débuté, sans doute, dans une grande mesure. En matière de ressource, la possibilité de retrouver des renseignements n'importe où dans le monde est un avantage très net. Toutefois, il est indispensable de trouver une façon d'expliquer où résident les inconvénients.

Il existe des logiciels qui limitent l'accès des enfants, quant aux sites qu'ils peuvent ou ne peuvent pas consulter. Toutefois, ces programmes limitent en général l'accès à des secteurs où l'on veut effectuer des recherches tout à fait légitimes, autrement dit, il est impossible d'y avoir accès en raison de certains termes déclencheurs. Le rôle des parents est essentiel pour expliquer qu'il y a des sites à éviter.

Toutefois, même si les parents essayent de limiter l'accès des enfants, ces derniers voudront toutefois consulter ces sites. J'ai moi-même des enfants. Notre famille a été branchée à l'Internet en 1994. Les enfants vont où ils veulent et voient ce qu'ils veulent voir. Il importe que les parents soient là, essentiellement, pour leur dire: «Oui, ce genre de choses existent, mais vous ne devriez pas y avoir accès et voilà pourquoi.»

Le sénateur DeWare: Le système scolaire a-t-il une responsabilité dans ce domaine? Il conviendrait d'insister sur ce point.

M. Jeggo: Les éducateurs ont une responsabilité, mais je ne pense pas que cette tâche leur revienne exclusivement. Les parents ont également un rôle à jouer.

Le sénateur DeWare: Je parlais de la responsabilité des étudiants, et non des éducateurs.

M. Jeggo: Vous avez tout à fait raison. Les jeunes qui sont brillants ont des moyens de saisir cette technologie à une vitesse incroyable. Il importe de bien leur montrer les nombreux aspects positifs de l'Internet, leur expliquer comment l'utiliser pour faire des affaires et l'intégrer à notre mode de vie, mais tout en étant conscients des lacunes également.

La présidente: Que répondrez-vous à la première partie de la question, soit la responsabilité de la GRC à l'égard des programmes de sensibilisation du public?

M. Jeggo: Tous les jours nous intervenons au sein de la collectivité. Dans le cadre de nos principes en matière de police communautaire, qui sont en vigueur depuis plus de 10 ans, c'est notre façon de faire. Il est un fait que, depuis l'an dernier, notre organisme accorde la plus haute priorité aux jeunes. Mes responsabilités particulières sont principalement en rapport avec ce que nous avons appelé les programmes fédéraux. Au niveau fédéral, nous sommes chargés d'accorder la priorité aux jeunes dans toutes les activités dont nous sommes responsables. Mon programme concerne essentiellement la fraude, avec certains éléments en rapport avec l'informatique. Mes collègues des programmes fédéraux, qui sont responsables de la lutte antidrogue et des douanes et accises, ont la même responsabilité soit d'accorder la priorité aux jeunes dans le cadre des activités policières des agents de première ligne.

Nous faisons un maximum de présentations publiques. Pour que ces projets se réalisent, il faut tout d'abord que les gens aient le temps et qu'ils possèdent les compétences voulues. Les nouveaux membres qui se joignent à nous sont des personnes plus âgées, en moyenne, que ceux que nous recrutions il y a 15 ou 20 ans. Elles apportent avec elles bon nombre de ces compétences requises. Elles ont une expérience pratique et ont été exposées aux technologies modernes. Nous devons tirer partie de leurs connaissances, non seulement dans le cadre des enquêtes quotidiennes, et cetera, mais également pour l'ensemble de la collectivité.

La présidente: Nous nous souvenons tous de la façon dont les divers corps policiers ont joué un grand rôle pour s'assurer que les Canadiens étaient sensibilisés à divers problèmes au moment opportun. C'est pourquoi on a toujours considéré notre pays comme un endroit extrêmement sûr.

Monsieur Bruce Phillips, commissaire à la protection de la vie privée du Canada, a témoigné avant vous. Vous étiez là, je crois, lorsqu'il a parlé des énormes pouvoirs de la police à l'égard des atteintes portées à la vie privée des personnes. Pouvez-vous répondre aux observations de M. Phillips?

M. Jeggo: Si je ne m'abuse, il parlait du projet de loi C-6, n'est-ce pas?

La présidente: Non, je pense qu'il parlait de façon générale, au sujet d'autres lois, par exemple quand le sénateur Finestone a soulevé la question des exceptions concernant divers corps policiers.

M. Jeggo: Tout dépend de ce que l'on entend par «porter atteinte». Si l'on parle de surveillance électronique, il existe dans le Code criminel des dispositions auxquelles doivent se conformer tous les policiers désireux d'effectuer une surveillance électronique. Il s'agit d'un processus judiciaire qui s'accompagne de normes extrêmement élevées et qu'il faut respecter. Je ne pense pas que nous menions la moindre activité qui sorte du cadre juridique.

Le président: À votre avis, ces pouvoirs sont-ils nécessaires, par conséquent, pour mener les enquêtes qui s'imposent, même dans votre service?

M. Jeggo: L'essentiel, c'est le maintien de l'ordre public. Je n'ai aucun mérite à développer cet argument car il émane de nos collègues de la Justice et d'autres ministères. Il faut faire la part des choses entre les valeurs sociales et notre rôle. Lorsque nous manquons à notre devoir ou que nous violons notre prérogative ou notre obligation légale, la justice rétributive nous attend.

La présidente: Y a-t-il des endroits où le commissaire de la GRC, le commissaire à la protection de la vie privée, le commissaire à l'information et d'autres hauts fonctionnaires se réunissent pour discuter de questions de gestion?

M. Jeggo: À ma connaissance, il n'existe pas d'occasions précises où cela se produit à intervalles réguliers. À mon sens, le moment est sans doute bien choisi de le faire, étant donné les divers problèmes et l'intérêt que l'on semble désormais porter aux questions d'ordre électronique qui sont au coeur des discussions. Il faut sans nul doute tenir un débat public sur cette question.

La présidente: Ce nouveau moyen d'information nous oblige à nous consulter pour maintenir cet équilibre au niveau national, n'est-ce pas?

M. Jeggo: En effet.

Le sénateur Finestone: Monsieur Jeggo, je vous demande de vous reporter à l'onglet 4. Dois-je comprendre que, étant donné que les criminels utilisent divers mécanismes informatisés pour dissimuler des données et de l'information, nous n'avons pas le droit, aux termes des lois en vigueur, de saisir leur matériel? Vous recommandez que les dispositions du Code criminel relatives à la dissimulation frauduleuse soient modifiées de façon à ajouter un paragraphe précis au sujet de la dissimulation des données.

Vous recommandez des modifications aux articles 341 et 603, ainsi qu'aux paragraphes 487.(2.1) et (2.2) du Code criminel. Vous recommandez également une modification au paragraphe 372.(1), au sujet de l'information et de la messagerie erronées, pour que cela s'applique aux communications électroniques et informatiques.

Vous dites que les entreprises sont tenues d'exiger que la personne responsable d'un système informatique et de l'entreposage de données conserve une liste de mots de passe, de clés de chiffrement et d'autres moyens pour avoir accès aux données d'un système.

Vous et moi savons que chaque fois que l'on recueille des renseignements confidentiels, il y a toujours des fuites et que les policiers ont évidemment accès à ses renseignements. Tout d'abord, comment recueillez-vous tous vos renseignements à l'heure actuelle, si vous ne pouvez pas saisir les ordinateurs en vertu de la loi? Je suppose que, dans une société démocratique, nous sommes régis par la primauté du droit. Vous demandez ces modifications, mais comment faites-vous sans avoir le droit d'accès -- le droit de choisir les documents dont vous avez besoin pour votre analyse judiciaire? En ce qui a trait à l'article 341 du Code criminel, vous recommandez ce qui suit:

Il faudrait modifier la partie du Code criminel concernant la dissimulation frauduleuse de façon à y inclure un paragraphe précis sur la dissimulation des données. Il faudrait rédiger cette modification de façon à ce que soit considérée comme une infraction criminelle l'utilisation de clés de chiffrement, de mots de passe ou d'autres moyens de dissimuler des données qui sont la preuve d'une infraction criminelle.

Au tout début de notre conservation, vous et moi avons parlé de la définition d'examen judiciaire ou médico-légal, et vous avez expliqué qu'il pouvait s'agir de renseignements sur disquettes ou sur le disque du. Or, vous demandez maintenant ce genre de modification. Il nous faut établir comment seront utilisées toutes ces connaissances judiciaires pour repérer le lieu du crime ou l'origine éventuelle de l'acte criminel, s'il vous est interdit de saisir le matériel ou d'avoir accès au mot de passe pour contourner le message codé afin d'avoir accès à l'information.

M. Jeggo: Puis-je vous montrer une exemple de fichier codé?

Le sénateur Finestone: Oui.

M. Jeggo: Voici un fichier codé, même si je ne me rappelle pas le genre de chiffrement utilisé. Cette acétate revêt une importance toute particulière du fait que c'était l'un des nombreux fichiers informatiques que l'on a trouvés au cours d'une enquête sur le trafic de drogues où l'on a procédé à la fouille d'un laboratoire à Vancouver, il y un certain nombre d'années. Lorsque ce fichier a été décodé, il a mené les enquêteurs à un coffre-fort où se trouvait près de 1,5 million de dollars.

Pour ce qui est du chiffrement, le premier défi c'est de trouver le moyen de déchiffrer le code, puisque l'adversaire ne nous donnera pas la clé. Il y a quelques années, lorsque la première série de logiciels de chiffrement fut créée pour utilisation sur l'Internet, le décodage n'était pas facile, mais c'était quand même possible. Cependant, le logiciel est devenu de plus en plus complexe, ce qui rend plus difficile le déchiffrement dans le cadre d'une analyse judiciaire ou d'une enquête.

Cet amendement vise à introduire la notion d'infraction lorsqu'on essaie de dissimuler des renseignements en utilisant le chiffrement, surtout lorsque ces renseignements portent sur une infraction pénale ou une activité criminelle.

Le sénateur Finestone: Je crois qu'il est important et opportun d'avoir cet accès. Le Code criminel vous donne-t-il, à l'heure actuelle, le droit de déchiffrer ou vous faut-il -- et j'espère que c'est le cas -- cet amendement à la section du Code criminel qui interdit de cacher frauduleusement de l'information? Je dois vous avouer, monsieur, que j'ai déjà déposé trois projets de loi d'initiative parlementaire, et je ne veux pas en déposer un quatrième.

Notre comité pourrait peut-être proposer cet amendement, afin de s'assurer que les criminels qui commettent une fraude contre les Canadiens ne puissent pas échapper à la surveillance, faute d'une loi pour l'empêcher. Il nous faut une loi pour ce genre de situation, n'est-ce pas?

M. Jeggo: Oui. L'exemple que nous avons donné comportait une preuve d'une activité criminelle, parce que nous avons découvert un coffre bancaire contenant des sommes d'argent importantes, ce qui prouvait un blanchiment de fonds lié à une activité de trafic de stupéfiants. Voilà à quoi ressemble 1,4 million de dollars dans une serviette.

Le sénateur Finestone: Où se trouve cette serviette?

M. Jeggo: Ce n'est pas tout le monde qui a la possibilité de voir autant d'argent liquide, en un seul endroit.

Le sénateur Finestone: Cela ne répond pas à ma question. Nous faut-il un amendement? Dans ce document très intéressant, à l'onglet 4, vous nous avez énuméré quatre domaines où vous aimeriez voir des amendements apportés au Code criminel, afin de rendre légales vos activités; ou est-ce que c'est déjà passé de mode?

M. Jeggo: La méthode utilisée pour obtenir cette information et pour accéder au coffre était légale. Nous avons, bien entendu, porté des accusations sur la question du blanchiment de fonds.

Le fait de cacher des éléments de preuve en utilisant le chiffrement ne constitue pas une infraction. L'objectif de cet amendement -- si vous utilisez le chiffrement pour vous adonner à une activité criminelle, dans ce cas, l'utilisation de ce chiffrement pour cacher des renseignements ou des données qui sont des éléments de preuve d'une infraction pénale, constituera aussi un délit.

Le président: Autrement dit, vous voulez vous assurer que l'utilisation du chiffrement soit à des fins légales seulement.

M. Jeggo: Oui.

Le président: Ou à des fins romantiques.

M. Jeggo: Oui. Il y a des millions d'utilisations légales pour le chiffrement, mais nous avons aussi des défis à relever.

Le président: Merci beaucoup, monsieur Jeggo. Nous avons apprécié votre exposé et l'information que vous nous avez fournie, ainsi que les réponses à nos questions.

M. Jeggo: Je reviendrai volontiers, si vous croyez que cela pourrait vous être utile.

La séance est levée.


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