Délibérations du comité sénatorial permanent des
Pêches
Fascicule 11 - Témoignages
OTTAWA, le mercredi 4 octobre 2000
Le comité sénatorial permanent des pêches se réunit aujourd'hui à 17 h 45 afin d'examiner les questions relatives à l'industrie des pêches.
Le sénateur Gerald J. Comeau (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président: Nous poursuivons ce soir notre examen des questions relatives à l'industrie des pêches, et en particulier de l'aquaculture. Nous accueillons M. Jerry Ward, sous-ministre adjoint du ministère. M. Ward est titulaire d'un diplôme de la Memorial University School of Business, décerné en 1978. Il a occupé des postes de cadre supérieur dans le secteur privé jusqu'en 1997. De 1980 à 1997, il a été l'employé de l'une des compagnies de traitement des fruits de mer les plus diversifiées de Terre-Neuve. De 1987 à 1997, il a occupé divers poste à la compagnie Connor Brothers du Nouveau-Brunswick, tout d'abord à titre de gérant des ventes du Nouveau-Brunswick, puis de vice-président de la Division des produits frais et congelés. En 1991, il est devenu président de Connor Brothers Inc. à Boston, au Massachusetts, l'une des principales filiales de The Connors Group of Companies, où il a assumé la gestion générale d'une compagnie internationale d'approvisionnement et de commercialisation des fruits de mer. En 1997, il a rallié les rangs de la fonction publique et a été désigné sous-ministre adjoint du ministère des Pêches et de l'Aquaculture du gouvernement de Terre-Neuve et du Labrador.
Monsieur Ward, pour commencer, je tiens à vous remercier pour le temps que vous nous avez consacré lorsque notre groupe de recherche s'est rendu à Terre-Neuve il y a quelques mois. Vous avez été un collaborateur hors pair et nous vous en sommes très reconnaissants. Nous sommes revenus nettement mieux informés sur les activités aquacoles de votre province et nous avons été très impressionnés par ce que nous avons vu.
Vous avez, il me semble, préparé un exposé avec PowerPoint. Après lui, nous passerons à la période de questions. Je vous laisse la parole.
M. Jerry Ward, sous-ministre adjoint, ministère des Pêches et de l'Aquaculture, gouvernement de Terre-Neuve et du Labrador: Au nom du ministère des Pêches et de l'Aquaculture de la merveilleuse province de Terre-Neuve et du Labrador, ainsi que de son honorable ministre, John Efford, je tiens à vous remercier de cette occasion qui m'est donnée de parler spécifiquement de l'aquaculture en rapport avec notre province. Nous avons préparé une présentation PowerPoint à votre intention, alors je ne m'éterniserai pas sur le mémoire que vous avez devant vous. Vous pourrez le lire à tête reposée.
Nous sommes heureux d'entendre que vous avez apprécié votre séjour à Terre-Neuve. Plusieurs membres de votre comité n'ont malheureusement pas pu vous accompagner, mais nous avons néanmoins passé d'excellents moments.
Je vais vous donner un aperçu de notre industrie, puis nous pourrons passer aux questions et aux réponses.
Je compte parler de l'aquaculture à Terre-Neuve et au Labrador, et particulièrement de la stratégie de développement de l'aquaculture dans la province. Sur une période de huit à dix mois, nous avons conçu un plan stratégique détaillé de développement de l'aquaculture à Terre-Neuve et au Labrador. J'aimerais aussi consacrer quelques minutes à la stratégie fédérale de développement de l'aquaculture et au Programme fédéral de développement durable de l'aquaculture. Je parlerai des problèmes et des points de vue de la province au sujet de ces programmes. Je vous propose de passer ensuite aux enjeux et à nos préoccupations, avant de conclure mon exposé.
L'aquaculture dans la province a fait ses débuts dans les années 70 avec la production de moules, suivie dans les années 80 par le saumon et le saumon arc-en-ciel. Les activités aquacoles sont nettement menées surtout dans les collectivités rurales de Terre-Neuve et du Labrador. Plus de 95 p. 100 des emplois dans le secteur sont dans des collectivités isolées et défavorisées sur le plan économique, où l'aquaculture est la bienvenue et se développe à grands pas.
Ce que cela signifie pour la province elle-même, sur le plan économique, c'est que les exportations de l'industrie des pêches en général, à Terre-Neuve, l'année dernière, se sont élevées à un milliard de dollars. C'est un sommet jamais atteint. L'aquaculture elle-même est un domaine relativement nouveau pour nous, mais c'est une industrie importante si l'on compte toutes les collectivités rurales qui en profitent. En période de pointe, l'industrie employait 471 personnes. Si l'on pense à l'effet de multiplication, c'est encore beaucoup plus. La valeur des exportations montait à 18 millions de dollars et il y avait 202 sites autorisés. On pourrait poser l'importante question qui suit: combien de ces sites étaient en fait des sites commerciaux? Il y avait 55 sites commerciaux de mollusques et coquillages et de poissons. Les poissons, ce sont généralement le saumon arc-en-ciel et la truite. Environ 80 p. 100 de la production totale porte sur les produits du saumon et les 20 p. 100 restants représentent le secteur des mollusques et coquillages, principalement des moules bleues. Comme vous le voyez ici, dans la section du saumon, 80 p. 100 sont des saumons arc-en-ciel et 20 p. 100 des saumons de l'Atlantique.
Prenons quelques secondes pour examiner ce graphique. Si nous avons fait une erreur, c'est peut-être d'essayer de nous occuper de trop d'espèces -- c'est-à-dire d'essayer de faire trop avec trop peu de ressources, tant financières qu'humaines. Ce sont là les espèces que nous exploitons depuis 1980. Beaucoup d'argent a été consacré à la R-D. Nous avons réduit notre point de mire sur quatre espèces, en nous fondant sur les conditions environnementales avec lesquelles nous devons composer et sur les connaissances que nous avons de ces espèces. Ce serait donc le saumon arc-en-ciel, communément appelé la truite, la moule bleue, le saumon de l'Atlantique et le grossissement de la morue. Le grossissement de la morue est un concept intéressant, et je reviendrai dessus tout à l'heure.
Jetons un regard sur les statistiques. Nous avons constaté une évolution ici, en dépit du fait que nous nous intéressons à l'aquaculture depuis la fin des années 70 et le début des années 80. C'est en 1995 que ça s'est mis à bouger. D'une production de 1 029 tonnes métriques cette année-là, nous sommes passés à 4 283 tonnes en 1999. C'est une augmentation de 316 p. 100 de l'activité globale dans la province. En termes monétaires, ce n'est peut-être pas énorme comparativement à la Colombie-Britannique, au Nouveau-Brunswick ou à l'Île-du-Prince-Édouard, mais aucune de ces provinces n'a connu le genre de croissance que nous avons eu une année après l'autre.
En ce qui concerne le poisson, vous pouvez voir que, de 400 tonnes en 1995, la production est passée à 2 500 tonnes en 1999 avant de plafonner. Il y a de bonnes raisons à cela. L'un des principaux problèmes avec lesquels nous avons été aux prises -- et c'est aussi vrai pour l'industrie aquacole du Canada -- est qu'il est important d'avoir la bonne variété de poisson. Si vous êtes dans le domaine de la volaille, par exemple, il vous faut une variété de poulet particulière qui puisse être mise sur le marché en six semaines. Ce n'est pas très différent dans l'industrie aquacole. Nous avons utilisé des espèces inférieures de poisson pendant 15 ans et, par conséquent, nous avons perdu des millions de dollars. Ce n'est qu'en 1999 que nous avons obtenu la permission du ministère des Pêches et des Océans d'importer des variétés de poisson déjà utilisées ailleurs au Canada et dans le monde.
En ce qui concerne les mollusques et coquillages, la production porte principalement sur la moule bleue sur les côtes nord-est et sud de Terre-Neuve. Cette production est passée de moins de 400 tonnes en 1995 à 1 700 tonnes en 1999, ce qui représente une hausse de 320 p. 100. L'année dernière, notre production de moules a connu une croissance de plus ou moins 73 p. 100. Ce sont là des augmentations importantes. Nous espérons maintenir cette tendance, si toutefois la conjoncture peut permettre à l'industrie de progresser.
Passons maintenant au sujet du saumon arc-en-ciel, dont Terre-Neuve est le plus grand producteur en Amérique du Nord. Nous avons maintenant accès à de nouveaux stocks et le rendement s'améliore. Il y a de nouveaux débouchés au Japon, la production augmente et le potentiel de croissance est énorme. Nous avons produit environ 2 500 tonnes l'année dernière. Si vous comparez cela à la production du Nouveau-Brunswick, où les activités d'exploitation du saumon sont importantes, nous avons 10 fois plus d'eau et nous produisons 10 fois moins qu'eux.
Nous ne nous faisons pas l'illusion de pouvoir produire autant que le Nouveau-Brunswick, mais le potentiel existe pour faire progresser l'industrie au moins jusqu'à 10 000 tonnes, et même beaucoup plus, si le secteur privé veut bien y investir.
L'accès aux meilleurs stocks du saumon de l'Atlantique devrait accroître la compétitivité. Nous avons encore du chemin à faire avec le saumon de l'Atlantique. Nous n'utilisons pas la meilleure variété de poisson et, par conséquent, nous ne pouvons pas être compétitifs.
Terre-Neuve et le Labrador ont 20 000 kilomètres de littoral. Jusqu'à maintenant, nous n'avons octroyé de permis que sur 2 500 hectares pour fins de production des moules pour toute la province. Il y a d'excellentes raisons à cela. Nous voulons marcher avant de nous mettre à courir, et avec l'augmentation de la production, nous avons l'impression de pouvoir atteindre nos objectifs. Cependant, même sans augmenter le nombre d'hectares, nous devrions pouvoir produire 7 000 à 7 500 tonnes sur 2 500 hectares d'eau. C'est très peu, si on compare cela à la superficie de l'île.
La production de morue de l'Atlantique est en hausse. Nous attrapons des morues sauvages avec un piège à morue, puis nous les transférons dans des cages où elles grossissent pendant le reste de l'année. Nulle part ailleurs dans le monde les réserves n'entrent d'elles même dans les pièges et ne passent à un endroit où elles s'apprêtent à être engraissées. Entre juin et novembre, leur poids double. Leur valeur marchande est traditionnellement fixée selon les prix à l'été, lorsque les cours sont au plus haut. L'avantage économique qu'il y a à prendre une livre de morue en juin et à la nourrir pendant une centaine de jours est que les pêcheurs la vendent pour cinq fois le prix qu'ils en auraient eu en juin. Ça ne prend pas un génie pour comprendre quel avantage c'est.
Les progrès sont lents, mais depuis trois ans nous avons fait un effort particulier dans la province et le ministère des Pêches et des Océans s'est montré coopératif. La première année, nous avons produit 10 tonnes, puis ensuite 30 tonnes, et cette année ce sera 300 tonnes ou 400 tonnes de produit fini. Je le répète, ce sont des augmentations importantes, en terme de pourcentage. Ceci constitue d'importants débouchés pour les pêcheurs côtiers ce qui, d'ailleurs, était l'objet de ce programme dès le départ.
En 1999, l'industrie aquacole de Terre-Neuve a décidé, en accord avec le gouvernement fédéral et le gouvernement de Terre-Neuve, qu'il était temps de revoir l'orientation de l'industrie provinciale. Nous ne pouvions pas continuer ainsi, après 20 ans à produire moins de 10 millions de dollars et à essayer de tout faire avec les fonds limités dont nous disposions. Nous avons mis sur pied un groupe composé de représentants des gouvernements fédéral et provincial, dirigé par l'industrie, en vue de recommander une stratégie de croissance.
En juillet 2000, le gouvernement provincial a accepté cette stratégie que proposaient les intervenants. La province est en train d'élaborer un calendrier de mise en oeuvre, qui établira clairement qui devrait faire quoi et quelles ressources sont nécessaires. Ce sera quelque chose de mesurable et dont il faudra rendre compte.
Du côté fédéral, le système a achoppé sur la Stratégie fédérale de développement de l'aquaculture. Cette stratégie, qui a été conçue en 1994-1995, est restée sur les étagères, où elle a recueilli la poussière. Je me demande même si 5 p. 100 des représentants de l'industrie ou de la population concernés ont lu le document. Il a été oublié là.
Les deux tables rondes nationales ne nous ont rien appris de nouveau. Nous sommes parvenus exactement aux même conclusions et aux même recommandations qu'en 1994 et 1995. Pendant ce temps-là, rien n'a avancé. En dépit du manque de volonté et de l'enthousiasme que démontraient les bureaucrates fédéraux de haut rang qui, nettement, ne militaient pas particulièrement pour l'aquaculture, l'industrie au Canada est passée d'une production de 7 millions de dollars en 1984 à près de 600 millions de dollars l'année dernière. Cette croissance phénoménale devrait certainement se poursuivre.
En voilà assez sur la stratégie nationale. Je suis sûr que vous en avez entendu parler à de nombreuses reprises. Avant d'aborder les objectifs, j'aimerais exposer la perspective de Terre-Neuve et du Labrador sur la Stratégie fédérale de développement de l'aquaculture et le Programme de développement durable de l'aquaculture qui ont récemment été annoncés.
La Stratégie fédérale de développement de l'aquaculture est un bon moyen pour fournir les ressources financières et humaines. Selon la province, la stratégie fédérale en matière d'aquaculture devrait être un point permanent à l'ordre du jour des futures réunions des ministres des Pêches du Canada atlantique et du conseil des ministres des Pêches et de l'Aquaculture du Canada. C'est maintenant fait. Il convient d'en féliciter le ministre Dhaliwal. Lors des deux dernières réunions, le sujet a été au premier plan des discussions et le travail avance bien.
Les ministres provinciaux de l'Aquaculture doivent recevoir un message clair du ministre fédéral des Pêches et des Océans, qui confirme la légitimité de l'aquaculture comme utilisateur des eaux. Avant le ministre Dhaliwal, plusieurs ministres ont clairement dit que l'aquaculture était un utilisateur légitime des eaux.
Des échéanciers et des plans d'action doivent être conçus et mis en oeuvre, tant par le Bureau du commissaire que par le ministère des Pêches et des Océans en vue de la réalisation de la stratégie. C'est là que la dernière stratégie a échoué.
Depuis 1998, nous avons assisté à la création du Bureau du commissaire du développement de l'aquaculture. C'est une bonne chose, qui aurait dû arriver il y a longtemps. Il a fallu six ans pour le mettre sur pied. Tous ces rapports ont été relégués aux oubliettes. Pas une seule personne à Ottawa, du ministère des Pêches et des Océans, ne s'est dévoué au développement de l'aquaculture au Canada, et pourtant nous sommes passés d'une production de 7 millions à 600 millions de dollars. Le mérite en revient à l'industrie et aux cultivateurs éleveurs des côtes Est et Ouest.
Si le gouvernement est vraiment déterminé à faire progresser les choses -- et il semble l'être, avec la création du bureau du commissaire du développement de l'aquaculture -- il se concentrera sur les domaines des lois et règlements. Soyons francs, il est plus que temps.
Cela simplifierait certaines choses, mais ne nous enfonçons pas dans la bureaucratie au point que, dans trois ans, nous en soyons encore à attendre des résultats. Le ministère des Pêches et des Océans a créé le poste de directeur général il y a quelques années; je crois que ça s'appelait la politique aquacole. Aujourd'hui, c'est appelé le Programme de développement durable de l'aquaculture. Voilà, je le répète, une mesure qui aurait dû être prise il y a longtemps. Nous voyons les fruits de certains des problèmes que nous avons connus. La seule suggestion que nous ayons à faire, ou plutôt que nous recommandons vivement, est d'aller de l'avant et de régler les choses. Le temps des pourparlers est fini. Mettons-nous à l'oeuvre. Il faut fournir les ressources financières et humaines appropriées pour la mise en oeuvre de la stratégie.
En ce qui concerne le Programme fédéral de développement durable de l'aquaculture, le 8 août 2000, le ministre Dhaliwal a annoncé l'octroi de 75 millions de dollars à un programme quinquennal de développement durable de l'aquaculture au Canada. Le programme est divisé en trois parties. La première partie est celle de la science, de la R-D, qui reçoit 32,5 millions de dollars, dont 20 millions de dollars sont consacrés spécifiquement à un programme de R-D coopératif de l'aquaculture. C'est, en fait, la principale partie de ces 75 millions de dollars qui bénéficie directement à l'industrie.
La deuxième partie du programme, qui reçoit 20 millions de dollars, est un programme de santé humaine. Cet argent servira à améliorer le Programme canadien de contrôle de la salubrité des mollusques, pour raffermir les mesures d'assurance de la comestibilité et de la qualité des poissons. Cet argent permettra aussi au ministère des Pêches et des Océans, à Environnement Canada et à l'Agence canadienne d'inspection des aliments d'accroître leurs activités dans les domaines des tests de la qualité de l'eau, des toxines des coquillages et mollusques, de la surveillance, et cetera.
La troisième grande catégorie de ce programme vise l'amélioration du cadre de gestion et de réglementation, et se fait attribuer 22,5 millions de dollars. La plus grande partie de cette somme servira à accroître les effectifs du ministère des Pêches et des Océans à Ottawa, avec la création du Bureau de développement durable de l'aquaculture.
D'après l'industrie, le financement, sans ces 75 millions de dollars, aurait dû être intégré au budget de base du ministère des Pêches et des Océans et des autres ministères et organismes. Nous avons donc 75 millions de dollars, et ce n'est pas beaucoup d'argent pour tout le Canada en cinq ans. Je soupçonne qu'une partie énorme de cet argent servira à la création du Bureau du commissaire et du Bureau de développement durable de l'aquaculture. Cela ne me pose pas de problème, mais prive l'industrie de sommes qu'elle devrait mettre au service de son développement.
En deux mots, l'annonce de ressources financières consacrées au développement de l'industrie aquacole au Canada est, c'est clair, une mesure positive. Il reste encore à régler certains détails spécifiques sur la mise en oeuvre de ces programmes. Le ministère des Pêches et de l'Aquaculture consultera le ministère des Pêches et des Océans pour le faire. Ce qui nous préoccupe -- et je crois qu'il en a été discuté -- c'est que les 20 millions de dollars octroyés au programme coopératif doit être l'affaire de l'industrie elle-même. C'est à elle de décider sur quoi elle veut voir cet argent dépensé, particulièrement en fonction des diverses régions du pays. Les besoins du Nouveau-Brunswick sont différents de ceux de la Colombie-Britannique, et certainement bien différents de ceux de Terre-Neuve et de l'Île-du-Prince-Édouard. Il faut une régionalisation.
À part le programme de 20 millions de dollars de recherche coopérative, le gros des fonds, sur les cinq ans, sera consacré au financement de base de la dotation du ministère des Pêches et des Océans, d'Environnement Canada et de la Garde côtière canadienne.
Voyons rapidement les objectifs stratégiques de notre plan provincial. Pour mettre à jour le plan d'action stratégique dressé en 1994-95, faire une analyse approfondie de la situation du secteur aquacole, le comité a retenu à grand frais les services d'un expert conseil de l'extérieur, qu'il a chargé d'analyser en détail les forces, les faiblesses, les possibilités et les défis de l'industrie, dans le contexte des marchés local, national et international. L'analyse devait recommander quelles espèces il fallait promouvoir et celles qu'il fallait rejeter, proposer un plan d'action détaillé pour exploiter les possibilités proposées, comprenant les coûts de certains paramètres du programme, et la détermination d'objectifs réalistes et mesurables. Aucun plan ne vaut même le papier sur lequel il est écrit tant qu'il n'y a pas de plan de mise en oeuvre ni d'obligation de rendre compte.
Je vais maintenant vous parler des préoccupations de l'industrie. En fait, il s'agit plutôt de recommandations qui ont été entérinées par Terre-Neuve et le Labrador, de même que par l'industrie. Il faut élaborer un scénario de réussite axé sur un nombre limité d'espèces commerciales. Nous avons essayé de développer 13 espèces, mais cela n'a pas fonctionné. Nous avons donc choisi de concentrer nos efforts sur quatre d'entre elles, soit le saumon, le saumon arc-en-ciel, les moules et la morue.
Le plus gros problème de l'industrie de Terre-Neuve, c'est qu'elle n'inspire aucune confiance. Nous n'avons pas réussi à attirer des investissements privés et publics. Nous sommes en train d'élaborer une stratégie globale de réduction des coûts à la grandeur de l'industrie, et de développer des marchés à long terme. Nous voulons également régler les problèmes de dette et d'avoir limité. En effet, aucune banque à charte au Canada n'a voulu prendre le risque d'investir même 10 p. 100 de capitaux privés dans l'industrie aquicole. C'est vraiment dommage.
Nous voulons faire des investissements stratégiques pour assurer à l'industrie le capital privé nécessaire à son développement. Notre ministère, de concert avec l'industrie, a élaboré une stratégie pour attirer les investissements extérieurs. Prenons l'exemple de la baie d'Espoir. Deux importantes sources d'investissements vont injecter des fonds dans la baie d'Espoir, ce qui va permettre à l'industrie de prendre de l'essor. Ce sont des investissements privés qui proviennent de l'extérieur de Terre-Neuve et du Labrador. Ces investissements sont depuis longtemps nécessaires. Toutefois, nous avons réussi à créer un climat qui attire davantage les investisseurs.
Par ailleurs, nous devons réduire les différends et la réglementation en matière d'environnement. Celle-ci est beaucoup trop complexe. Il y a cinq ans, la personne qui voulait obtenir un permis en vue d'exploiter un site devait s'adresser à 22 ministères ou organismes fédéraux et provinciaux. Ce chiffre, aujourd'hui, est réduit à 15. Soyons sérieux. Nous sommes censés avoir un guichet unique, sauf que nous devons encore nous adresser à 15 organismes. Nous devons nous attaquer sérieusement à cette question.
Enfin, nous devons mettre l'accent sur le développement des ressources humaines pour renforcer l'esprit d'entreprise, et aussi augmenter les services d'appoint, comme les vétérinaires et les techniciens. Mentionnons aussi l'importance d'avoir une association de l'industrie aquicole qui est solide.
J'aimerais maintenant vous parler des enjeux nationaux pour l'industrie aquicole. Le Canada doit aider et promouvoir davantage l'industrie pour favoriser son développement. Le gouvernement fédéral doit offrir un programme équilibré de développement de l'industrie et ne pas s'arrêter uniquement aux questions environnementales, même si celles-ci sont importantes. Avant 1997, la production totale de l'industrie s'élevait à 10 millions de dollars. Depuis 1997, nous avons dépensé plus de trois millions de dollars dans le cadre d'ententes à frais partagés avec le gouvernement fédéral. Nous avons entrepris une étude, au coût de deux millions de dollars, pour évaluer la capacité portante de l'écosystème et voir jusqu'où nous pouvons aller sans nuire à l'environnement. En 1999, nous avons adopté la technologie norvégienne et inauguré la première usine de traitement, en Amérique du Nord, qui a pour rôle de récupérer le sang du poisson à l'étape de la transformation, afin d'éviter qu'il ne soit déversé dans les eaux du port, et ensuite dans l'estuaire.
L'an dernier, nous avons installé des incinérateurs dans tous les sites d'aquaculture. Les poissons morts sont immédiatement placés dans ceux-ci afin de réduire les risques de maladie. Nous nous sommes dotés d'un engin télécommandé pour vérifier les casiers et les ancrages, et nous assurer qu'ils sont en bon état. Nous avons également établi des codes pour l'aquaculture en milieu fermé afin de nous assurer que les aquaculteurs respectent les règles. Quand je dis «nous», je veux dire l'industrie, car ces initiatives ont été entreprises par l'industrie, avec notre soutien. Il s'agit là de progrès majeurs.
L'industrie ne vaut encore, aujourd'hui, que 18 millions de dollars. J'aimerais penser que les mesures que nous avons prises nous permettrons d'assurer l'expansion de l'industrie et de protéger l'environnement. Tout le monde peut avoir accès aux ressources en eau de Terre-Neuve et du Labrador: les pêcheurs traditionnels, les propriétaires de bateaux de pêche, les plaisanciers. Nous devons répondre aux besoins de tout le monde.
Passons maintenant à la compétitivité de l'industrie. Il faut assurer l'accès à de bons stocks de géniteurs. Je pourrais vous raconter des histoires d'horreur sur des choses qui n'auraient pas dû se produire. Je vais passer à une autre diapositive et revenir à celle-ci plus tard.
En mars 1999, après 15 ans d'attente, nous avons obtenu le droit d'importer de nouvelles souches de poisson. Dans le cas du saumon arc-en-ciel, nous pouvons importer ce que nous appelons des «diploïdes uniquement femelles». Elles donnent des résultats beaucoup plus spectaculaires que les souches dites triploïdes. Celles-ci n'ont jamais été exploitées à des fins commerciales sur le plan international, bien que nous ayons été obligés de les utiliser pendant 15 ans.
Ce tableau-ci se passe d'explication. Il compare les deux souches, soit les triploïdes et les diploïdes. Les triploïdes affichent un taux de mortalité plus élevé durant leur cycle de vie. Il atteignait, dans le passé, 16 p. 100, entre le moment où les poissons étaient mis à l'eau, en mai, et octobre. Aujourd'hui, ce taux est inférieur à 3 p. 100. J'ai visité un site, hier, sur la côte Sud, avec le ministre. Il y a des piscicultures qui affichent un taux de mortalité inférieur à 1 p. 100, et ce, en raison des souches qui sont utilisées.
Le taux de conversion de nourriture en chair représente uniquement la quantité de nourriture que doit ingérer un poisson en vue d'atteindre une taille vendable. Pour les triploïdes, la taille est de 1,6, alors que le taux de conversion pour les diploïdes est de 1,2. Il y a trois ans, ce taux était de 2,5. La taille vendable la plus élevée jamais atteinte, en une saison, était de 3,5 livres. Dans le cas de la nouvelle souche, elle est de 4,8 livres. Il fallait attendre 18 mois, avec l'ancienne souche, avant de pouvoir commercialiser le poisson. Ce délai est maintenant de 8 à 12 mois. Ces données, tout le monde peut y avoir accès.
Côté santé -- et encore une fois, je ne parle qu'au nom de la province -- les épidémies chez les triploïdes étaient fréquentes, de sorte qu'il fallait tous les ans mettre sur pied des programmes de traitement. Il ne fait aucun doute que ces maladies proviennent des eaux où évoluent les poissons sauvages. Or, aucune épidémie n'a été relevée cette année chez les nouvelles souches de diploïdes, et aucun traitement n'a été nécessaire. C'est ce qu'on appelle du progrès. Toutefois, il a fallu attendre 15 ans et subir des pertes qui s'élevaient dans les millions de dollars avant que le message ne passe. Nous devons toutefois reconnaître que le MPO nous a aidés, en 1999, à développer l'industrie et à avoir accès à ces nouvelles souches.
En ce qui a trait à la compétitivité de l'industrie, nous devons mettre l'accent sur les points suivants: besoin de programmes nationaux de R-D sur la compétitivité de l'industrie; soutien en matière de commercialisation; réduction du fardeau réglementaire. Nous n'avons pas le choix, ni à l'échelle provinciale, ni à l'échelle fédérale. Nous devons faire en sorte que le Canada devienne un producteur à faible prix de revient.
Concernant les enjeux environnementaux, il faut traiter l'industrie aquicole, tout comme les autres, comme un utilisateur de ressources. Je vous ai parlé, plus tôt, des mesures que nous avons prises pour protéger l'environnement. L'industrie a déployé à ce chapitre des efforts importants. Bien que nous ne soyons pas les méchants, nous avons tendance à nous cacher et à dire que nous avons peur de nous attaquer aux problèmes. Si nous avons des différends avec des groupes environnementalistes, par exemple, nous devons les résoudre, mais en nous basant sur les faits et sans nous montrer alarmistes, comme nous l'avons souvent fait dans le passé.
Toujours dans le même ordre d'idées, les échappements ont diminué, tout comme les maladies et l'usage de produits thérapeutiques. La pollution a été réduite. L'industrie a fait preuve d'initiative et les améliorations qu'elle a apportées et entend apporter méritent d'être reconnues.
Pour ce qui est du fardeau réglementaire, il faut le réduire et non l'augmenter. Malgré le fonds de 75 millions de dollars qui a été annoncé récemment, nous ne voulons pas que le fardeau réglementaire soit alourdi. Nous voulons plutôt qu'il soit réduit. Les provinces ont un rôle à jouer à cet égard.
Il faut aussi qu'il y ait une certaine équité par rapport aux autres utilisateurs de ressources. Le MPO cherche à alourdir la réglementation et sa politique au nom de la conservation en s'appuyant sur des fondements théoriques et non sur des faits. Je ne veux pas critiquer le MPO parce que je pense que son attitude a changé. D'ailleurs, j'ai toujours cru que ce changement devait venir d'en haut, et c'est ce qui est arrivé. Nous avons maintenant un ministre fédéral des Pêches qui a adopté une position très claire à l'égard de l'aquaculture. Toutes les provinces, et pas seulement la nôtre, sont conscientes du changement d'attitude qui s'opère chez les hauts fonctionnaires à Ottawa. Il est clair qu'ils n'appuyaient pas, dans le passé, l'aquaculture. Ils ne voulaient tout simplement pas s'attaquer à certains des problèmes qui devaient être réglés. Les choses aujourd'hui sont différentes. Nous verrons dans un an ou deux s'ils ont vraiment changé d'attitude. On a annoncé la création d'un bureau de l'aquaculture durable, et d'un bureau du commissaire au développement de l'aquaculture. Laissons de côté la bureaucratie. Optons pour la simplicité et faisons bouger les choses.
Les règlements sur la navigation sont dépassés. Cette déclaration vous semble peut-être audacieuse, mais c'est la vérité. Quelle autre industrie est tenue d'ouvrir son espace commercial à la navigation? Nous avons des centaines, voire de milliers de petites baies et de petits détroits, c'est ainsi que nous les appelons à Terre-Neuve, où il y a juste assez de place pour installer une piscifacture de saumon ou de moules. Or, si l'on se fie aux règlements actuels, et malgré le fait qu'aucun bateau ne soit passé par là depuis 100 ans, il doit y avoir un chenal de 40 mètres autour de la circonférence. Si l'entrée n'est que de 100 ou de 200 mètres, vous devez avoir, dans le centre, un chenal de 40 mètres. Il est vrai que nous devons établir des règlements, quand c'est nécessaire de le faire. Mais soyons raisonnables. Nous devons faire de la sécurité une priorité. C'est ce que pensent l'industrie et les aquaculteurs. Alors ne changez pas les règles et les règlements à mi-parcours. Soyez conséquents dans la façon dont vous les appliquez. Point à la ligne.
Nous avons connu beaucoup de succès au sein de l'entreprise au cours des cinq dernières années. Nous avions conclu une entente à frais partagés de 20 millions de dollars sur cinq ans. Ces fonds ont été utilisés à bon escient. Les graphiques que je vous ai montrés, plus tôt, montrent qu'entre 1995 et l'an 2000, la production aquacole a augmenté de 316 p. 100. Il ne fait aucun doute que le volet aquacole du programme de renouveau économique a grandement contribué à cet essor. Ce programme prend fin le 31 mars 2001. Il comprend des volets financiers et commerciaux. Notre plus gros problème, c'est que nous n'informons pas les gens. Nous nous contentons tout simplement de mettre quelque chose en place et ensuite nous nous attendons à ce que le public l'accepte. Or, si nous prenions la peine de leur expliquer la situation et de répondre à leurs questions, nous arriverions à résoudre certains différends. Voilà ce que nous avons essayé de faire. Nous avons formulé 40 recommandations pour régler certains des problèmes auxquels nous étions confrontés.
Nous avons consacré 1,1 million de dollars aux communications, à la promotion et à l'éducation, 8 millions, à la recherche appliquée, et 6,2 millions aux services d'appoint.
Sur les 75 millions de dollars que le gouvernement fédéral a consacrés au programme d'aquaculture, 26 p. 100 seront destinés à l'industrie -- le programme coopératif de recherche que j'ai mentionné plus tôt recevra 20 millions de dollars. Il s'agit du seul avantage direct pour l'industrie. En outre, 16 p. 100 seront consacrés à l'environnement, puisque les scientifiques du MPO croient en général que l'aquaculture constitue une menace pour les stocks et l'habitat des espèces sauvages, et 30 p. 100 seront consacrés à la réglementation et à la gestion par la MPO. Or, il faut moins de réglementation, pas davantage. Le MPO n'a pas suffisamment d'effectifs qui s'occupent de l'aquaculture. Par exemple, il n'y a pas un seul vétérinaire au sein du personnel du MPO qui s'occupe des questions liées à l'aquaculture. Il n'y avait pas une seule personne qui s'occupait du développement de l'aquaculture à Terre-Neuve et au Labrador avant la mise en place du programme. La situation est la même dans les autres provinces.
Sur les 75 millions, 26 p. 100 seront consacrés à la sécurité et à l'inspection des aliments. C'est en aquaculture qu'on retrouve les produits les plus sûrs et de meilleure qualité. Pourquoi inspecter davantage? L'Agence canadienne d'inspection des aliments est déjà chargée de procéder à des inspections. Toutes les usines ont des programmes différents. Les produits, en plus de faire l'objet d'inspections dans les usines de Terre-Neuve, sont testés régulièrement par la Food and Drug Administration, aux États-Unis. Pas un seul produit aquacole impropre à la consommation ne s'est jamais retrouvé sur le marché. Notre système d'approvisionnement est très fiable.
Pour terminer, l'aquaculture, au Canada, est une industrie viable, durable et respectueuse de l'environnement. Elle n'est pas différente des autres. Nous prenons des mesures pour gérer les risques. Ne fait-on pas la même chose au sein des industries qui fabriquent des voitures ou autres produits?
Il faut soutenir le développement de l'industrie. Ce développement doit être ciblé et mesurable, et il faut que quelqu'un en assume la responsabilité.
L'organisme fédéral responsable du développement de l'industrie s'emploie à augmenter la réglementation au lieu d'aider l'industrie à se développer et à devenir concurrentielle.
L'avenir peut être prometteur: il suffit d'adopter une attitude plus ouverte et plus positive axée sur le développement. L'industrie aquacole à Terre-Neuve et au Labrador ne vaut aujourd'hui que 18 millions de dollars. Toutefois, elle a connu un essor de 316 p. 100 au cours des cinq dernières années. L'industrie de la pêche exporte, dans l'ensemble, pour 1 milliard de dollars de produits. Elle possède un potentiel énorme et constitue un débouché important, surtout pour les jeunes, dans les communautés rurales isolées. Nous devons exploiter les possibilités qu'offre cette industrie.
Le président: Votre exposé était fort impressionnant, et je vous en félicite.
Je suis heureux d'apprendre que le ministre Dhaliwal est très sérieux quant à l'avenir de l'industrie aquacole.
Le sénateur Watt: Votre exposé était fort instructif. Tous appuient sans doute votre stratégie de croissance. Nous sommes plus ou moins sur la même longueur d'ondes. Savez-vous ce qui est en train d'arriver au saumon de l'Atlantique? Du côté de la baie d'Ungava, il y a trois grandes rivières qui produisent habituellement du saumon de l'Atlantique. Or, au cours des dernières années, les stocks ont chuté de façon radicale. Personne ne sait pourquoi. J'ai posé la question à certains témoins de la Colombie-Britannique, mais ils n'ont pas été en mesure de me donner une réponse satisfaisante. Je suppose qu'ils ne savent pas ce qui se passe.
M. Ward: Tout ce que je peux vous dire, c'est que nous savons tous que les stocks de saumon de l'Atlantique diminuent. Si vous cherchez à savoir si ce déclin est attribuable à l'aquaculture, je peux vous dire sans équivoque qu'il n'y a absolument rien qui le prouve.
Le sénateur Watt: Nous devons agir très vite si nous voulons reconstituer les stocks.
M. Ward: Quand les stocks de saumon sauvage ont commencé à diminuer dans les années 80, l'introduction du saumon d'élevage a été vue comme une bonne chose. Cela a contribué à réduire la pression qui était exercée sur le saumon de l'Atlantique, puisqu'on pouvait maintenant y avoir accès par le biais de l'aquaculture.
Le sénateur Watt: Il faut faire des recherches scientifiques. Tout ce que nous savons, c'est que les stocks sont en train de chuter et du côté du Labrador, et du côté du Québec.
Est-ce que le saumon arc-en-ciel fait partie de la même espèce que ce que nous, au Québec, appelons le saumon d'estuaire?
M. Ward: On utilise plusieurs termes pour décrire ce que nous appelons le saumon arc-en-ciel. Certaines personnes utilisent le terme truite arc-en-ciel. Or, le saumon arc-en-ciel est tout simplement une truite arc-en-ciel qui s'est adaptée à l'eau salée. Elle fait partie des salmonidés.
Le sénateur Watt: Avez-vous des stocks de saumon qui ressemblent à ceux que nous avons du côté de la baie d'Ungava et que nous appelons saumon d'estuaire? Ils sont un peu plus petits, mais plus gros, que le saumon de l'Atlantique. La tête du saumon arc-en-ciel ressemble beaucoup à celle du saumon d'estuaire. Elle est petite.
Les habitants de Terre-Neuve font de l'excellent travail. Nous devrions essayer de vous imiter. Votre climat, à certains égards, est identique au nôtre. Comment arrivez-vous à surmonter les problèmes que pose la formation de glace, dans la baie, en hiver?
M. Ward: Permettez-moi de vous expliquer un peu la géographie de notre grande province. Nous ne ferons l'élevage commercial du saumon qu'à un endroit bien précis de Terre-Neuve, une toute petite région appelée baie d'Espoir. Partout ailleurs, l'eau est trop froide. Pour l'aquaculture, il faut que l'eau se maintienne à des températures bien précises. Si l'eau est plus froide que moins 1, le poisson meurt. En gros, son sang se cristallise et il meurt. Le seul endroit où la salmoniculture peut se faire est au large de la côte Sud, où les températures de l'eau sont beaucoup plus élevées.
Il y a là-bas une immense centrale hydroélectrique et nous nous servons de l'eau réchauffée qui en provient pour notre écloserie. Cela donne de très bons résultats. De plus, nous pouvons compter sur un important apport d'eau douce de ruissellement. Ce fjord de 20 kilomètres a une lentille d'eau douce et une lentille d'eau salée et l'eau est beaucoup plus chaude. Il arrive toutefois qu'elle gèle à cause de la forte concentration d'eau douce. Pour le saumon ou le saumon arc-en-ciel, cet apport d'eau chaude ne constitue qu'une couverture qui maintient l'eau à une température plus élevée. Lorsque l'hiver est particulièrement froid, cette couverture naturelle nous est souvent très utile.
L'aquaculture ne peut se faire que dans cette région.
Le sénateur Watt: La côte du Labrador ne s'y prête-t-elle pas?
M. Watt: Dans le cas du saumon arc-en-ciel, c'est sûr que nous ne pourrons jamais en élever au Labrador ou dans la plupart des autres régions de Terre-Neuve parce que les températures sont trop extrêmes. Le poisson ne peut endurer les changements climatiques.
Dans le cas de la moule bleue, nous avons 20 000 kilomètres de côte. Il y a également la glace qui vient du Labrador et qui nous cause des problèmes. Elle ne nous empêche pas cependant de mettre nos lignes à l'eau et ainsi de suite. Les conditions d'élevage des moules sont bonnes, surtout sur la côte sud. D'ici peu, je dirais dans cinq ou six ans, notre mytiliculture rivalisera avec celle de l'Île-du-Prince-Édouard. Si notre production annuelle continue à augmenter de 40 à 50 p. 100, nous pourrons certainement nous mesurer à eux.
Le sénateur Watt: Vous avez dit que les investisseurs du secteur privé boudaient ces projets; y a-t-il aujourd'hui un changement d'attitude?
M. Ward: Je vais d'abord parler du saumon, dont l'élevage exige beaucoup de capitaux. Pour une pisciculture produisant de 500 à 600 tonnes, il faut un capital de roulement de 2 ou 3 millions de dollars. C'est à la portée de peu de gens.
C'est le point fort du Nouveau-Brunswick, car là-bas il y a beaucoup d'entreprises prêtes à financer l'industrie. À Terre-Neuve, le financement est un problème. Les choses changent cependant parce nous utilisons maintenant de meilleures lignées de saumon arc-en-ciel, par exemple. Le problème n'est cependant pas résolu parce que nous devrions pouvoir faire la même chose avec le saumon arc-en-ciel qu'ailleurs au Canada.
Le saumon arc-en-ciel a été introduit à Terre-Neuve en 1895. L'Association de chasse et pêche de Terre-Neuve en a fait venir de diverses provinces. Il y en a en Europe qui ont également envisagé de l'introduire. À partir de 1895, l'utilisation de ces lignées a présenté un problème.
Le sénateur Watt: Vous avez parlé également de réglementation excessive de la part du ministère des Pêches et des Océans. Laissez-vous entendre que lorsque le gouvernement fédéral met des fonds à la disposition de Terre-Neuve, la réglementation qui les accompagnent est excessive?
M. Ward: Il y a une tendance à réglementer excessivement. Il faut protéger l'environnement et s'assurer que la sécurité de tous ne sera pas compromise. Ce qui dérange l'industrie, c'est que nous prenions 10 ans pour faire effectuer la R-D et qu'ensuite nous dictions la marche à suivre. Il est question ici de gestion du risque et de développement de notre secteur au moyen de lignées qui ont été utilisées ailleurs. Chose certaine, le MPO doit renforcer son effectif. Nous en avons grandement besoin.
J'aimerais apporter une précision. En 1988, les provinces et Ottawa ont signé un protocole d'entente concernant la gestion de l'aquaculture. Dans le cas de Terre-Neuve, la délivrance des licences et la transformation du produit relèvent de la province. Le MPO a décidé également de s'occuper à nouveau des transferts. La situation a changé et ce travail se fait maintenant de façon plus concertée. Nous avons appris à collaborer. Je crois qu'ils se sont aperçus que cela valait la peine. Espérons-le.
Le président: Monsieur Ward, vous avez parlé de la gestion des zones côtières. Il en a été question également pendant que nous étions à St. Andrews, au Nouveau-Brunswick. Vous avez pu vous occuper de gestion des zones côtières avant que l'industrie ne se développe jusqu'au point où elle en est aujourd'hui, et c'est sans doute là un avantage pour vous. Au Nouveau-Brunswick, il n'y a pas eu de planification de cette nature et la province en a souffert. Aujourd'hui, on essaie de voir quelles incidences ces piscicultures ont sur les écosystèmes de la province.
Vous avez mis plus de temps à vous lancer dans cette activité et l'expansion du secteur ne s'est pas faite aussi rapidement qu'au Nouveau-Brunswick, si bien que vous avez pu procéder à cette planification, qui vous sera très utile à Terre-Neuve, si l'on en juge d'après ce qui s'est fait au Nouveau-Brunswick. C'est là un de vos atouts. Nous y reviendrons sans doute pendant notre étude. Je félicite la province d'avoir procédé ainsi.
Le sénateur Perrault: Monsieur Ward, vous avez dit que pour mettre en place une industrie aquicole viable, il faut avoir un stock de qualité. Pourriez-vous nous en dire un peu plus long là-dessus? Pourquoi y a-t-il encore des exploitations qui, conscientes de la nécessité d'un stock de qualité, se servent quand même de lignées qui ne sont pas vraisemblablement à la hauteur?
M. Ward: Il y a des différences géographiques dont il faut tenir compte, surtout en ce qui concerne Terre-Neuve et le Labrador. Nous avons toujours des stocks de saumon et de saumon arc-en-ciel qui sont inférieurs. Dans le cas du saumon arc-en-ciel, rien ne nous empêche d'aller chercher des cellules diploïdes gynoïques, mais il nous est impossible d'utiliser les deux sexes, les cellules diploïdes ordinaires.
Nous pouvons toujours faire venir du saumon de n'importe quelle région de l'Atlantique Nord-Ouest, mais nous ne pouvons toujours pas nous servir de lignées européennes et de certaines autres lignées.
Le sénateur Perrault: Pouvez-vous vous servir de lignées écossaises?
M. Ward: Non, monsieur le sénateur, nous ne pouvons faire venir à Terre-Neuve et au Labrador que les lignées provenant de l'Atlantique Nord-Ouest.
Le sénateur Perrault: Donc la Norvège est elle aussi exclue, n'est-ce pas?
M. Ward: En effet.
Le sénateur Perrault: Y a-t-il moyen de changer cela? Ou serait-il utile de le faire?
M. Ward: Ce pourrait être très utile de le faire. Si vous prenez les résultats dont je vous ai parlé tout à l'heure à propos des cellules diploïdes gynoïques que nous avons fait venir, ceux-ci sont évidents et vérifiables. N'importe qui peut vérifier les chiffres.
Le sénateur Perrault: Recommanderiez-vous que nous changions les normes?
M. Ward: Pour rivaliser dans un secteur, quel qu'il soit, il faut avoir le meilleur stock disponible. Ce n'est pas ce que nous avons aujourd'hui à Terre-Neuve et au Labrador. Ailleurs, on dispose de meilleures lignées et ça se voit dans les résultats.
Le sénateur Perrault: Diriez-vous que c'est votre priorité, l'amélioration de la lignée et l'utilisation du meilleur stock?
M. Ward: Absolument.
Le sénateur Perrault: Combien tout cela coûterait-il, selon vous?
M. Ward: Il s'agit essentiellement de ce qu'il en coûterait pour faire modifier les règlements par le biais de la politique sur l'implantation et le transfert d'espèces grâce à l'intervention du MPO et d'autres organismes, pour nous permettre de procéder de cette façon. J'aimerais m'étendre un peu là-dessus.
Comme je l'ai dit tout à l'heure, tout passe par la gestion du risque. Qu'avons-nous fait à cet égard? Je ne peux que décrire la situation à Terre-Neuve et au Labrador. Pour obtenir l'autorisation de faire venir de nouvelles lignées de poisson en 1999, nous avons présenté un plan. Nous avons mis au point un code de confinement, qui n'a certainement pas son pareil au monde. En effet, d'autres administrations s'en inspirent aujourd'hui.
Le sénateur Perrault: On peut donc dire que ce plan a fait ses preuves, n'est-ce pas?
M. Ward: Oui. Nous avons mis en place un code de confinement. Nous avons établi des codes de bonnes pratiques à l'intention des pisciculteurs et visant les mesures qu'ils doivent prendre pour respecter les normes. Nous avons mis au point des techniques de reprise permettant de recapturer ces poissons lorsqu'il le faut. Pour cimenter toutes ces mesures, nous avons mis en place des plans de gestion régionaux. À baie d'Espoir, où se fait l'aquaculture de tous nos salmonidés, nous avons un plan de gestion qui décrit clairement la cage à utiliser et la résistance des filets. Ceux-ci doivent être soumis à des tests pour en vérifier la résistance. Nous avons fait venir les appareils nécessaires pour cela. Nous avons installé des dispositifs télécommandés assurant l'exactitude de l'ancrage, toujours dans le but d'avoir des mesures de protection visant tous les éléments. Le plan de gestion permet de tout vérifier et l'industrie a signé ce plan. C'est le plan des exploitants et nous les avons aidés à l'élaborer. Il s'agit manifestement d'un effort concerté. Le MPO y a également participé considérablement. La province s'occupe de son application. Elle fait ce travail avec le plus grand sérieux. Nous avons dit que nous allions élaborer ce plan pour que nous soyons autorisés à faire venir ces meilleures lignées de poisson, et c'est notre ministère qui se charge de faire respecter les règlements. Il s'est bien acquitté de cette tâche.
Le sénateur Perrault: En Colombie-Britannique, on voit souvent des restaurants annoncer qu'ils n'offrent que du «saumon sauvage authentique». Cette expression laisse entendre que le saumon d'élevage n'est pas à la hauteur pour une raison quelconque ou qu'il peut avoir des effets délétères. Qu'avez-vous à dire à ce sujet?
M. Ward: Je me réjouis de cette question. Disons qu'aujourd'hui, le saumon sauvage prend de plus en plus l'allure d'une espèce exotique. Si l'on remonte aux années 80, à l'époque où le saumon sauvage était roi et où l'aquaculture était embryonnaire, on se disait en général que jamais les gens n'accepteraient de consommer du saumon d'élevage et que le saumon sauvage serait toujours ce qu'il y a de mieux. Je demanderais sans doute du saumon sauvage s'il y en avait au menu, parce que ce n'est pas quelque chose de commun. Il n'y a guère de différence entre les deux. Et sachez que quand vous achetez du saumon d'élevage, vous achetez du poisson de la plus grande qualité.
Le sénateur Perrault: Il y a environ un mois, sur la côte Ouest, des milliers de saumons de l'Atlantique se sont échappés. On essaie en ce moment de savoir où ils se trouvent.
Le sénateur Robichaud: J'ai bien aimé votre exposé, monsieur Ward. Il est très instructif et votre compétence en la matière est manifeste.
Comment les pêcheurs traditionnels réagissent-ils? Au Nouveau-Brunswick, sur la côte Est, l'aquaculture était mal vue, car on disait que les gens qui s'y adonnent ne sont pas de vrais pêcheurs. Les pêcheurs des deux groupes se sont mis à se mépriser. Quelle a été la réaction à Terre-Neuve?
M. Ward: Il y a deux réponses à votre question. Il faut faire une distinction entre le secteur du saumon et le secteur des crustacés. Les salmonidés n'ont jamais présenté de problème pour nous parce que leur pêche n'a jamais vraiment existé dans le milieu naturel à baie d'Espoir à cause, bien sûr, de la présence d'eau douce. Nous n'avons donc jamais été obligés de jouer des coudes avec les pêcheurs traditionnels. Ils n'ont jamais senti que nous empiétions sur leur territoire traditionnel de pêche et ainsi de suite. Cela n'a jamais été un problème. En effet, certains pisciculteurs sont des pêcheurs qui ont dû abandonner la pêche à cause du moratoire sur la pêche de la morue. Nous avons donc à cet égard une situation très harmonieuse.
Le sénateur Robichaud: Quelle serait la proportion des pêcheurs traditionnels qui passent à l'aquaculture?
M. Ward: Ils constituent sans aucun doute une minorité. Pour en arriver à la deuxième partie de votre question, concernant les crustacés, cette pêche est située le long de la côte Nord-Est, où se trouvent la plupart des pêcheurs de Terre-Neuve et du Labrador. Cette pêche n'a jamais présenté de grand problème. C'est vrai que nous avons dû nous interposer pour régler certains dossiers ou certains problèmes; n'empêche que dans l'ensemble, la plupart des pêcheurs de ces collectivités savent qu'avec l'effondrement de la pêche au poisson de fond, 5, 10, 15 personnes peuvent désormais trouver du travail dans chacune des collectivités. C'est ce que nous constatons le long de la côte Nord-Est. Bien sûr, la pêche traditionnelle est toujours là dans certains cas, mais c'est toujours une minorité. Vu qu'il faut créer des emplois et qu'il y a des retombées, tout cela est important. Je crois que nos relations avec la pêche traditionnelle sont très bonnes.
Le sénateur Robichaud: J'ai posé la question parce qu'il faut qu'il y ait un changement d'attitude de la part des pêcheurs traditionnels pour qu'ils reconnaissent que l'aquaculture offre de grandes possibilités. Je fais cette remarque parce qu'au Nouveau-Brunswick, nous avons passé à la mise en valeur et nous en sommes aujourd'hui à l'étape où certains secteurs devraient être consacrés au grossissement et à l'assemblage d'espèces. Certains pêcheurs de pétoncle traditionnels y sont réfractaires parce qu'il faudra pour cela empiéter sur leurs lieux de pêche établis. C'est un point sensible pour le MPO car vous n'êtes pas sans savoir que ce ministère a toujours dit -- et selon vous il y a eu un changement d'attitude dernièrement -- que c'est la pêche sauvage qui l'intéresse et non l'aquaculture. C'est toujours un point sensible pour eux.
M. Ward: Dans le cas des crustacés, qui constituent vraiment le dossier chaud dans les zones de pêche traditionnelles, on a accepté d'emblée la médiation pour régler certains de ces problèmes et on y a recouru assez souvent. Il y a beaucoup de mytiliculteurs dans certaines de ces anses et certains de ces petits ports, mais nous avons également réussi à mettre en place un bon nombre d'arrangements selon lesquels les pêcheurs traditionnels peuvent installer leur harenguière entre les cordes pour attraper l'appât qui sert à leurs casiers à homard, et tous y trouvent leur compte. Ils placent leurs casiers à homard le long du périmètre. Les résultats sont excellents. Les gens commencent à apprendre à vivre ensemble. Le plus souvent, on joue cartes sur table et rien ne se fait en coulisses. On parvient à régler bien des problèmes de cette façon.
Le sénateur Robichaud: Vous avez parlé du grossissement de la morue. Je crois savoir que c'est une activité très prometteuse. Les pêcheurs traditionnels ne peuvent pas se lancer dans cette activité parce que le démarrage leur coûte trop cher. Est-ce que ce sont surtout des entreprises qui se lancent dans cette activité?
M. Ward: Je peux répondre directement à cette question.
Le sénateur Robichaud: Selon moi, c'est ce que vous avez fait également pour les autres questions.
M. Ward: Le programme de grossissement de la morue a été mis en place à l'intention des pêcheurs de morue traditionnels qui ont dû abandonner leur activité à cause du moratoire. C'est le seul groupe qui y a droit.
Le sénateur Robichaud: Il faut des installations pour cette activité.
M. Ward: Selon les conditions du permis, le poisson doit être transformé à une installation de transformation enregistrée, et il y en a 121 à Terre-Neuve et au Labrador. Il est interdit aux pêcheurs de transformer le poisson eux-mêmes. Ils doivent passer par une entreprise de pêche traditionnelle et le poisson doit être vendu par l'intermédiaire de cette entreprise.
Le sénateur Robichaud: S'agit-il d'un autre règlement leur interdisant de mener leur activité comme ils l'entendent et de vendre leur poisson où ils veulent?
M. Ward: Ce que veut la province, c'est créer des emplois dans les régions défavorisées sur le plan économique. L'éleveur de morue a intérêt à ce que ce soit nous qui transformions le poisson pour que nous puissions créer de précieux emplois. C'est ce que nous essayons de faire. La province interdit par règlement de faire sortir de la province du poisson non transformé.
Le sénateur Robichaud: On pourrait contester ce règlement, mais je n'ai rien à y redire.
M. Ward: On a beau le contester, c'est la loi chez nous, sénateur.
Le sénateur Robichaud: Vous avez parlé des règlements et je sais qu'ils sont nombreux. L'an dernier, j'ai voulu excaver quelques mètres cubes dans la rivière pour aménager une cale de débarquement sur mon terrain. J'ai demandé un permis il y a environ 16 mois. Le MPO s'est présenté, ensuite l'Environnement, ensuite des agences fédérales et provinciales et j'ai fini par obtenir l'autorisation. Puis j'ai envoyé une demande à Ressources naturelles. Le dossier a été renvoyé à l'Environnement, ensuite au MPO et ils sont revenus me voir, puis la demande est retournée à Ressources naturelles. J'ai enfin reçu le permis. Celui-ci était toutefois assorti de conditions m'obligeant à retourner voir le MPO, à retourner voir l'Environnement, à retourner voir les Ressources humaines et à obtenir toute une série de permis et de lettres des riverains et de mes voisins.
Il s'agissait de petits travaux. On aurait cru qu'il aurait suffi que quelqu'un vienne examiner les lieux et décide qu'il n'y avait pas de menace pour l'environnement et que les travaux pouvaient donc être entrepris, comme on aurait sans doute pu le faire dans le cas d'une exploitation aquicole. Je peux comprendre l'exaspération des gens qui doivent attendre de recevoir un permis avant d'entreprendre quelque chose. Comment pouvons-nous simplifier ce processus? Quand verrons-nous enfin moins de paperasserie?
M. Ward: Voilà des plaintes que nous méritons parfois. Que ce soit au niveau provincial ou fédéral, ces dossiers sont parfois menés d'une façon contraire au bon sens.
Nous avons innové un peu. Nous avons mis en place un guichet unique. C'est sûr que nous pouvons faire mieux et nous y travaillons. Pour demander un permis d'exploitation aquicole, il faut s'adresser au ministère provincial des Pêches et de l'Aquaculture, qui dispose d'un délai précis pour obtenir une réponse de tous les organismes intéressés. Nous pouvons faire mieux sur ce plan et nous y travaillons, mais c'est vrai, la plupart des exploitants qui veulent avancer trouvent tout cela très exaspérant. À mon avis, lorsqu'il s'agit de délivrer un permis ou une licence, nous le faisons plus rapidement que la plupart, sinon la totalité, des autres administrations au Canada. Mais encore là, je sais que nous pouvons faire beaucoup mieux.
Le sénateur Robichaud: Je ne dis pas que je n'ai pas toujours été servi avec empressement par tous les gens avec qui j'ai fait affaire dans les divers ministères, mais ils avaient tous un certain rôle à jouer. Et ce que chacun faisait dépendait de ce que l'autre faisait et ainsi de suite, de sorte que c'était interminable. Chacun avait une tâche à accomplir.
M. Ward: C'est justement ce que j'évoquais tout à l'heure. Des échelons devraient être fixés selon la taille de l'exploitation pour ceux qui veulent se lancer dans cette activité. Pourquoi avoir à s'adresser à 15 différents ministères et organismes, aux niveaux provincial et fédéral, en vue d'obtenir un permis pour ce qui serait pour moi une ferme d'agrément? Il faudrait épargner aux pêcheurs toutes ces formalités. L'organisme chargé de surveiller l'exploitation aquicole devrait avoir le pouvoir de délivrer des permis, compte tenu des renseignements à sa disposition. Le pêcheur ne devrait pas avoir à passer par toutes ces formalités. Nous devrions définir les conditions essentielles et, à partir de là, décider de délivrer ou non un permis aux pêcheurs. Voilà ce qu'il faut faire.
Le sénateur Robichaud: C'est plus facile à dire qu'à faire.
M. Ward: Oui. Nous allons le faire progressivement. Il nous a fallu 15 ans pour obtenir de bonnes lignées de poisson à Terre-Neuve, mais sachez que 99 p. 100 de ce travail s'est fait au cours des deux dernières années. Il faut parfois être dérangeant. À mon avis, nous n'y serions pas parvenus si nous n'avions pas insisté et dit haut et fort ce que nous voulions.
Le sénateur Robichaud: Je vous applaudis. Et voilà pourquoi nous voulons nous pencher sur l'aquaculture, pour voir comment nous pouvons aider à simplifier le processus et à susciter l'intérêt envers cette activité. Comme vous l'avez dit, pendant longtemps, personne n'a voulu s'occuper de l'aquaculture; on disait toujours que c'était à d'autres de s'en occuper et rien ne se faisait.
M. Ward: C'est l'une des choses qui expliquent la création du Bureau du commissaire au développement de l'aquaculture, qui a été chargé d'examiner les lois et les règlements et de mettre de l'ordre dans ce domaine. Parfois je me demande s'il y a jamais eu de l'ordre dans ce secteur.
Le sénateur Mahovlich: Je vois que l'aquaculture a augmenté entre 1995 et 1999, passant à 2 500 tonnes métriques, et vous dites qu'il y a moins de pollution? La pollution a été réduite par rapport à 1995 en dépit de ce tonnage?
M. Ward: Je vais vous faire une réponse raisonnée. Je vais prendre l'exemple du secteur de la pisciculture à baie d'Espoir. Au cours de la période en question, le nombre de tonnes est passé de 1 029 à 2 478.
Le sénateur Mahovlich: C'est considérable.
M. Ward: Écoutez-moi bien. Notre territoire est dix fois plus grand que celui du Nouveau-Brunswick. Notre production équivaut à 10 p. 100 de la leur et donc, en théorie, si l'on prend les volumes d'eau qui sont là, notre activité correspond à un centième de ce que nous devrions faire pour atteindre une production comparable à celle du même territoire. Je tiens à préciser en outre qu'avant de nous lancer dans cette activité, nous avons effectué une étude de la capacité de charge afin de nous occuper justement du problème que vous avez soulevé.
Croyez-le ou non, il y a bel et bien des environnementalistes à Terre-Neuve, Dieu merci. Mes enfants sont de fervents environnementalistes. De plus, je passe beaucoup de temps sur la mer et je veux continuer à m'y plaire.
Nous avons examiné la capacité de charge, surtout dans la région de la baie d'Espoir. Nous y avons consacré 2 millions de dollars. Le secteur de la salmoniculture produisait 4 millions de dollars. À l'époque, en prenant les lieux d'exploitation déjà établis, qui représentent une grande superficie où il n'y a eu aucune dégradation de l'environnement. On a calculé que la capacité de charge était de 9 500 tonnes dans une zone et 2 500 tonnes dans l'autre. C'est donc un total de 12 000 tonnes. Notre production totale actuelle ne dépasse pas encore 2 500 tonnes.
Il n'y a pas de pollution dans cette zone parce que la province et l'industrie ont fixé les conditions permettant de prévenir la pollution. Nous surveillons les déchets et nous nous assurons que les filets sont toujours propres et que les gens ne laissent pas traîner des choses qui peuvent créer un problème.
Le sénateur Mahovlich: Déplacez-vous vos filets?
M. Ward: Voici les faits, et si je vous les rapporte, ce n'est pas pour nous faire valoir. À Terre-Neuve, les lieux d'exploitation ne sont pas les mêmes l'été et l'hiver. Nous faisons la même chose que l'agriculteur qui met des terres en jachère. Les poissons n'ont pas accès à nos lieux d'hivernage avant le 15 octobre et en sont expulsés au plus tard le 15 mai; nous faisons bien sûr l'inverse dans le cas des lieux d'exploitation estivale. Chaque lieu est mis en jachère chaque année, ce qui veut dire qu'il y a deux fois plus de lieux, et c'est une bonne chose car, même si notre production ne s'approche pas de celle que l'on voit ailleurs, nous avons beaucoup de place pour agrandir notre industrie sans provoquer la dégradation de l'environnement. Nous ne voulons certainement pas nuire à l'environnement. Nous ferons tout ce qu'il faut pour l'empêcher.
Le sénateur Mahovlich: J'aimerais revenir à l'élevage de la morue. Comment la morue se compare-t-elle au saumon arc-en-ciel sur le plan de l'élevage? Est-elle productive?
M. Ward: Le grossissement de la morue est en quelque sorte une étape intermédiaire. L'engraissement se fait pendant trois mois et permet de doubler le poids du poisson. Par exemple, la valeur économique des poissons que l'on engraisse à partir du mois de mai a quintuplé une fois qu'ils sont prêts pour la vente. Ce sont là nos chiffres dans le cas de nos projets triennaux. Ce qu'il faut retenir, c'est que ce poisson aurait été vendu en juin. Le marché de la morue n'est pas très vigoureux les mois d'été. Les gens préfèrent la volaille, le boeuf et ainsi de suite; il faut le leur pardonner, mais bien souvent, les marchés sont déprimés. À quoi sert le poisson frais l'été? Il faut le congeler. Un gros poisson se vend 65 à 75 cents pendant cette période. En décembre, le même poisson, non décapité et vidé, rapporte en moyenne 1,45 $CAN. C'est le prix qui a eu cours trois années de file. Si ce n'est pas là de la valeur économique, ne me demandez pas où elle se trouve.
Il y a des problèmes. L'augmentation de la production s'accompagne de la panoplie habituelle de problèmes que nous devons résoudre. Nous examinons également ce que j'appelle l'aquaculture complète de la morue, de la frayère à l'écloserie, qui viendrait s'ajouter à l'engraissement. S'il est impossible de trouver du poisson dans le milieu naturel, que fait-on? La réalité, c'est qu'il n'y a pas assez de poissons dans le milieu naturel pour les milliers de pêcheurs terre-neuviens. Je peux vous dire qu'il y a plusieurs pêcheurs qui s'y intéressent aujourd'hui. À l'heure actuelle, il y a des permis pour plus de 60 sites. Cette année, il y a je crois 16 ou 17 lieux d'exploitation. Les choses vont assez bon train.
Le sénateur Robichaud: Avec quoi nourrissez-vous la morue? Pouvez-vous leur donner de la viande de phoque? Ce serait la vengeance de la morue, n'est-ce pas?
M. Ward: En effet. Nous alimentons la morue avec le caplan, le hareng et le maquereau. Si nous passons à de grandes quantités, il faudra recourir aux aliments composés, c'est incontournable. À l'heure actuelle, nous leur donnons du hareng et du caplan.
Le sénateur Robichaud: Y a-t-il des études de la possibilité d'utiliser également de la viande de phoque?
M. Ward: Jusqu'ici, il n'y a pas eu d'étude de cette nature. Je vais cependant en parler au ministre.
Le sénateur Cook: J'aimerais savoir pourquoi notre stock doit provenir uniquement de l'Atlantique du Nord-Ouest. Pourquoi ne pouvons-nous pas faire comme tous les autres?
M. Ward: Voilà une bonne question. La réponse nous vient de l'Organisation pour la conservation du saumon de l'Atlantique Nord. Les pêcheurs de saumon sauvage ont créé cette organisation dans le but de protéger et d'augmenter le stock de saumons sauvages, ce qui est louable. Des pressions considérables ont été exercées et ainsi de suite. J'ai des vues bien arrêtées sur l'OCSAN. Par exemple, à ma connaissance, il n'y a jamais eu de participant ou d'exploitant actif de l'industrie de l'aquaculture qui a siégé au conseil d'administration de l'OCSAN, qui a été établi pour protéger les intérêts de l'industrie du saumon sauvage. C'est bien simple, ils ne sont pas là pour protéger les intérêts de l'industrie de l'aquaculture.
Le sénateur Cook: N'est-ce pas une injustice que nous n'ayons pas accès aux mêmes lignées de stocks que la Nouvelle-Écosse ou le Nouveau-Brunswick?
Le sénateur Robichaud: Vous avez accès aux mêmes lignées que le Nouveau-Brunswick, sauf que vous ne pouvez pas les faire venir du Nouveau-Brunswick.
Le sénateur Cook: On peut les faire venir de la Norvège, n'est-ce pas?
Le sénateur Robichaud: Non, mais c'est possible de l'État du Maine.
Le sénateur Cook: Qui au Canada n'est pas soumis à cette règle? La Colombie-Britannique? Cette province peut-elle faire venir des stocks norvégiens?
Le sénateur Robichaud: Non.
M. Ward: C'est vrai que plusieurs lignées ont été utilisées un peu partout en Amérique du Nord au cours des ans. Je ne suis pas en mesure de vous dire quelle province a accès à telle ou telle lignée. Je ne saurais vous expliquer la situation entre le Maine et le Nouveau-Brunswick. Il y a un plan d'eau de sept miles qui les sépare. La seule chose que je peux vous dire, c'est qu'ils ont de bonnes lignées performantes en Colombie-Britannique et aussi de bonnes lignées performantes au Nouveau-Brunswick. Le meilleur poisson d'élevage en Colombie-Britannique est le saumon de l'Atlantique, et les résultats sont très encourageants.
Le président: À ma connaissance -- et j'ai posé la question à M. Bastien lorsqu'il a comparu devant nous --, la Colombie-Britannique peut faire venir ce poisson de la Norvège; c'est toutefois interdit dans le cas de la côte Est du Canada. Je ne sais trop pourquoi. C'est peut-être parce que le saumon de l'Atlantique n'est pas originaire de la Colombie-Britannique. Je ne sais pas.
M. Ward: C'est vrai, c'est peut-être la situation qui existait au début. Le saumon de l'Atlantique n'était pas indigène de la côte Ouest.
Le président: C'est peut-être la raison pour laquelle ils sont autorisés à faire venir des lignées norvégiennes en Colombie-Britannique. Vous avez tout à fait raison, une distance d'environ sept kilomètres sépare les salmonicultures du Maine et du Nouveau-Brunswick. Dans l'État du Maine, les exploitants sont autorisés à importer ce stock étranger.
Le sénateur Perrault: A-t-on déjà exposé ce problème à notre comité?
M. Ward: C'est un problème qui a été soulevé à maintes reprises. L'OSCAN en particulier exerce des pressions sur l'État du Maine pour que l'on n'utilise pas là-bas ces lignées européennes. Le Maine résiste énergiquement et n'a nullement l'intention de céder.
Le sénateur Cook: Je trouve tout cela illogique.
Jeudi ou vendredi, je lisais dans The Evening Telegram que deux chaires de recherche de l'université Memorial avaient être consacrées à l'aquaculture. C'est là un financement fort intéressant.
M. Ward: Je ne connais pas le montant exact, mais la somme que représente le financement de cette chaire est assez intéressante, en effet.
Le sénateur Cook: Elle est consacrée à l'aquaculture, n'est-ce pas?
M. Ward: Non. Elle est consacrée aux pêches.
Le sénateur Cook: Je pensais que c'était uniquement pour l'aquaculture. Il faut que j'aille voir dans Internet. C'est un article intéressant. Il y a deux chaires.
Le président: J'aimerais revenir aux points soulevés par le sénateur Watt à propos des aspects financiers. Nous voulions nous attarder sur ce sujet dans notre étude actuelle. C'est ainsi que j'ai demandé à la greffière du comité de voir si elle pouvait trouver des gens en mesure de nous renseigner sur les questions de financement. Je dois dire qu'elle a eu de la misère. Les gens que nous avons consultés, notamment les banques, cherchent à se défiler en disant: «Ce n'est pas notre rôle. Vous devrez aller voir ailleurs.» Nous avons entendu des choses comme: «C'est hors case», mais chercher à comprendre. C'est sans doute du jargon qu'utilisent les banques pour dire: «Si on ne peut le mettre dans la case qui dit aquaculture, ce n'est pas la peine de venir nous voir.» On nous dit également que pour que les banques s'y intéressent, il faut avoir une bourse bien garnie, car le taux de rendement est lent à se manifester.
Tout compte fait, nous n'avons pas eu beaucoup de succès dans le financement des exploitations aquicoles. Cela me dérange que nous ayons une si piètre fiche à cet égard. Le fait que nous n'ayons pas pu trouver grand monde intéressé à venir nous parler de cette question au comité est sans doute très révélateur. J'aimerais donc examiner un peu cela avec vous.
Que pouvons-nous faire pour étoffer la question du financement dans notre étude?
M. Ward: L'industrie est incapable de réunir les capitaux nécessaires auprès des banques à charte traditionnelles de notre pays. Nous avons l'impression que les banques ne sont plus disposées à prendre des risques et qu'elles se contentent de faire leur argent au moyen des marges et des frais d'administration.
Il y a deux ans, j'ai rencontré l'association des banquiers de la province pour discuter avec eux de la possibilité de limiter leur risque à seulement 50 ou 75 p. 100. Même un risque de 10 p. 100 ne faisait pas leur affaire. Voilà l'obstacle qui se dresse devant l'industrie de l'aquaculture.
Dans certaines régions du pays, il y a des entreprises se comportant en bons citoyens qui possèdent de solides antécédents financiers et qui sont en mesure de réunir les ressources qu'il faut pour croître. Dans notre cas, c'est très difficile parce que la plupart de nos gens sont des pêcheurs qui ne disposent pas de 100 000 $.
Il y en a qui pensent que partir un élevage de moules est très simple, qu'il suffit de mettre quelques lignes à l'eau et qu'il n'est pas même pas nécessaire d'alimenter le stock. Ce n'est pas aussi simple. Pour lancer un élevage de moules qui produira 500 000 livres de moules, il faut un investissement de 500 000 $. Pour lancer un élevage de saumon qui produit 500 000 tonnes de saumon, il faut un investissement de 2 millions de dollars. La part de financement venant de l'exploitant, même si elle ne s'élève qu'à 20 p. 100, totaliserait quand même 100 000 $. Ces gens n'ont simplement pas de tels montants et cela a toujours été un problème. L'industrie est sous-financée.
Le président: Les banques sont des entreprises à charte fédérale. Ne leur incombe-t-il pas de s'occuper de tous les aspects de l'économie, ou leur est-il permis de ne rien faire pour l'aquaculture si c'est ce qu'elles veulent?
M. Ward: C'est en gros comme cela que les choses se passent.
Le président: Ce sont les mêmes banques qui viennent nous voir à peu près tous les deux ans pour obtenir l'autorisation de se lancer dans l'assurance et dans divers autres domaines. Bon nombre de ces exploitations aquicoles sont installées dans des collectivités côtières rurales qui ont besoin d'attention.
M. Ward: Nous, la province, étions prêts à souscrire une partie du risque, mais nous nous sommes heurtés à un mur.
Quelles ressources y a-t-il au sein de l'administration fédérale qui pourraient aider l'industrie de l'aquaculture? Il y a un organisme appelé la Société du crédit agricole, qui est une société d'État. Le gouvernement fédéral devrait avoir son mot à dire dans l'utilisation par cet organisme des crédits qui lui sont versés.
Le sénateur Robichaud: Le Nouveau-Brunswick reçoit de cet argent.
M. Ward: Je suis bien au courant de la situation au Nouveau-Brunswick. J'ai travaillé dans le secteur là-bas pendant plusieurs années. Les premières années, la Société du crédit agricole ne voulait avoir rien à faire avec l'industrie. Ils ont refusé simplement d'y participer tant qu'ils n'étaient pas convaincus qu'il n'y avait pas de risque à le faire. Oui, au cours des dix dernières années, ils ont versé entre 30 et 40 millions de dollars au Nouveau-Brunswick, et c'est très bien parce qu'ils se font rembourser.
À Terre-Neuve et au Labrador, la Société du crédit agricole n'est présente dans aucune exploitation aquicole. Selon la société, le risque est trop grand pour elle. On nous a dit de venir les voir une fois que l'industrie sera rentable.
Je vais vous poser une question en supposant que vous l'approfondirez. Quel est le mandat de la Société du crédit agricole? Elle n'est prête à financer l'industrie aquicole de notre province que s'il n'y a pas de risque, et pourtant nous affichons un bilan positif depuis deux ans. Il y a quelque chose qui cloche.
Le président: Où se trouve le risque? Il n'y a pas de risque là pour eux.
Le sénateur Robichaud: S'il n'y avait pas de risque, elle serait présente dans cette industrie.
Le président: Son mandat ne l'oblige-t-elle pas d'être présente dans ce secteur vu que les banques refusent de participer? N'est-ce pas là la raison d'être de la Société du crédit agricole?
M. Ward: Au cours des trois dernières années, je me suis entretenu à maintes reprises avec les représentants de la Société du crédit agricole. Le risque ne fait pas partie de leur mandat. Leur mandat les oblige à afficher un profit. Cette société d'État existe pour encourager le développement et la croissance des industries de l'aquaculture et de l'agriculture en particulier. Les représentants de la société affirment que leur mandat est très clair, et c'est d'afficher un profit.
Le président: Quelle énormité.
Le sénateur Mahovlich: Où trouvez-vous de l'argent si vous ne pouvez pas vous adresser à une banque ni à la Société du crédit agricole?
M. Ward: C'est justement le problème que nous avons dans notre province. Pour que l'industrie survive, le gouvernement y a versé des sommes considérables par le biais de la R-D, mais nous ne pouvons plus nous le permettre. À baie d'Espoir, nous avons consacré 9,3 millions de dollars à l'aquaculture. C'est une somme que nous avons éliminé du bilan. Au début, il y avait beaucoup de R-D, mais il a fallu passer à la mise en marché et à tout le reste. Il nous incombe, à nous le gouvernement, de veiller à ce que les règles soient équitables et uniformes pour tout le monde. Nous devons cesser de subventionner à tour de bras. Pour qu'une industrie soit viable, elle doit faire un profit. Une entreprise qui a joui de tous les encouragements nécessaires pour s'implanter mais qui constate après plusieurs années qu'elle ne progresse pas doit décider à un moment donné de passer à une autre espèce.
C'est exactement ce que nous avons fait à Terre-Neuve. Nous n'avons plus affaire à 13 espèces; elles ne sont plus que quatre. De façon générale, l'industrie est tout à fait d'accord avec ça.
Le sénateur Watt: Pour ce qui est des besoins de capitaux pour lancer les projets, le gouvernement de Terre-Neuve a investi son argent dans la recherche scientifique. Les gens n'ont pas les moyens de lancer eux même ces projets. Puisque le gouvernement de Terre-Neuve a déjà investi dans la recherche scientifique, lui serait-il possible de créer un mécanisme de remboursement pour que les particuliers du secteur privé puissent l'acheter et rembourser graduellement le gouvernement?
M. Ward: Pas actuellement. J'aurais dû dire tout à l'heure, dans ma déclaration, que les gouvernements, tant provincial que fédéral, ont déjà investi des sommes considérables dans le secteur. Le gouvernement fédéral a été très raisonnable, du point de vue de la R-D.
La situation s'était tellement détériorée, dans le secteur des moules, qu'il nous a fallu faire ce dont vous parlez. Il y a deux ans, nous avons créé un compte de capital d'exploitation de l'aquaculture, mais spécifiquement pour les moules, et les moules seulement. C'était une somme de cinq millions de dollars, qui devaient être dépensés sur plusieurs années. C'était une forme de préfinancement, versé par l'entremise de l'Agence de promotion économique du Canada atlantique. On partait du principe que l'Agence contribuerait de moitié au fonds. Sans l'APECA, l'aquaculture à Terre-Neuve ne serait rien. Ils ont pris peur dernièrement parce qu'ils veulent aussi que leur investissement rapporte mais ils ont, en général, bien appuyé le secteur à Terre-Neuve. Je les en félicite. Cependant, ils n'ont pas beaucoup de marge de manoeuvre ces temps-ci.
Quoi qu'il en soit, nous avons créé un compte de capital d'exploitation de l'aquaculture avec l'APECA et le ministère des Pêches et des Océans. L'objectif visé était d'investir 13 millions de dollars dans le développement du secteur des moules dans notre province. En tout, 50 p. 100 des fonds devaient venir de l'APECA, 30 p. 100 du compte de capital d'exploitation de l'aquaculture et 20 p. 100 du secteur privé ou du proposant. C'est la formule de préfinancement qui a été établie. Nous n'avions pas de choix. Il y a une limite à ce qu'on peut faire sur ce plan.
Le sénateur Watt: Vous indiquez, sous les programmes de soutien du secteur, de 1996 à 2000, que 8 millions de dollars ont été octroyés à la R-D. Est-ce que le gouvernement de Terre-Neuve peut demander un remboursement de ses frais de R-D au gouvernement fédéral?
M. Ward: Ça a fait en tout 20 millions de dollars, selon une entente de partage des coûts. Quatre-vingt pour cent venaient du gouvernement fédéral et 20 p. 100 du gouvernement provincial.
Le sénateur Watt: Ces fonds de R-D ont-ils été utilisés à des fins quelconques?
M. Ward: Ils ont été dirigés sur la R-D pure. Nous avons examiné l'indice de consommation, cherché de meilleurs aliments pour les poissons, analysé le développement des réserves alimentaires et d'autres questions de ce genre.
Le sénateur Watt: Normalement, lorsque le secteur privé dépense de l'argent sur la recherche scientifique, le gouvernement fédéral lui rembourse les frais de R-D. Voulez-vous dire qu'il a été décidé de combiner les programmes de partage des coûts entre les deux gouvernements et de considérer cela comme un facteur de risque?
M. Ward: C'est bien cela. Ces sommes n'étaient pas remboursables. L'intégralité des 20 millions de dollars constituait une subvention. C'est pourquoi sa plus grande partie a été investie spécifiquement dans la R-D.
Le président: J'aimerais souligner que vous avez mentionné que l'APECA a contribué de façon déterminante à la croissance de l'aquaculture à Terre-Neuve.
Il me semble que le comité des pêches de la Chambre des communes a récemment fait une visite au Canada atlantique. Est-ce que, par hasard, ils ont eu l'occasion de se rendre à Terre-Neuve, où ils auraient pu entendre ces observations sur l'APECA?
M. Ward: Je ne peux pas vous répondre. Pas à ma connaissance.
Le président: Ne sont-ils pas allés à Terre-Neuve?
M. Ward: Je ne me rappelle pas qu'il y ait eu une réunion.
Le président: Voilà un message que vous pourriez peut-être faire passer au comité des pêches de la Chambre des communes, parce que je sais que l'opposition officielle à la Chambre des communes souhaite supprimer l'APECA. Je pense que vous voudriez peut-être porter cela à l'attention du comité.
M. Ward: L'APECA a bel et bien collaboré avec le secteur et le gouvernement provincial à l'élaboration de la stratégie provinciale relative à l'aquaculture. L'APECA a été un partenaire égal dans tout le processus. Comme nous, ses responsables avaient cerné un manque d'orientation. Il était clair qu'il fallait mettre l'accent sur certaines espèces. Ils concentrent donc maintenant leurs efforts sur les espèces qui, selon nous, peuvent être commercialement et économiquement viables. Ils ont beaucoup investi dans le secteur, mais les cordons de la bourse se resserrent.
Le président: Je peux le comprendre, puisqu'ils sont poussés par l'opposition officielle à couper ces cordons-là. C'est compréhensible. Je suppose que le gouvernement ne fait que réagir à ce que dit l'opposition officielle. Je suis content que vous en ayez parlé.
M. Ward: La dernière chose que j'ai à dire sur l'APECA c'est que, sans eux, le secteur ne serait pas ce qu'il est aujourd'hui.
Le président: C'est une déclaration assez vigoureuse. Je suis heureux qu'elle figure au compte rendu.
Le sénateur Robichaud: Pourquoi choisir un organisme comme l'APECA pour développer l'aquaculture dans les provinces de l'Atlantique et à Terre-Neuve?
M. Ward: Le moyen approprié d'offrir des programmes d'aquaculture dans la province serait par l'entremise d'un programme provincial. S'il y a des ententes de partage des coûts et des fonds qui sont réservés au développement de l'aquaculture, ils devraient viser la province, selon certaines modalités, et la province devrait développer ce secteur particulier. Elle ferait un meilleur usage des fonds disponibles.
Le sénateur Robichaud: Je ne suis pas sûr de comprendre ce que vous dites.
M. Ward: Que ce soit au Nouveau-Brunswick ou à Terre-Neuve et qu'il s'agisse du Fonds de diversification de l'économie de l'Ouest ou de quoi que ce soit d'autre, le problème, c'est qu'il y a tout simplement trop de gens qui participent à la prise de décision.
Le sénateur Robichaud: Pourquoi les provinces n'appuieraient-elles pas l'APECA?
M. Ward: Les provinces sont plus en mesure que l'APECA de prendre des décisions de portée régionale. Nous avons l'expérience qu'il faut et, je le sais pour avoir travaillé plusieurs années au Nouveau-Brunswick, les provinces connaissent le secteur de l'aquaculture beaucoup mieux que n'importe quel ministère fédéral. Ça ne va tout simplement pas ensemble.
S'ils avaient l'expérience et le réseau qu'il faut pour cela, ce serait autre chose. Cependant, comme je l'ai dit plus tôt, depuis 1994, aucun effort n'a été fait, d'un point de vue politique, pour développer l'aquaculture où que ce soit au pays.
Si les provinces n'avaient pas mené la charge, il n'y aurait pas de secteur aquacole au Canada aujourd'hui. Si le ministre fédéral veut vraiment développer l'aquaculture au pays, alors il n'aura qu'à concrétiser les propositions très positives qu'il a fait depuis un an.
Le sénateur Robichaud: Je vois ce que vous dites. Cependant, vous pouvez aussi comprendre que le gouvernement veuille la place qui lui revient lorsqu'il contribue au développement de l'aquaculture par l'entremise de l'APECA. Comme vous l'avez dit, l'APECA a joué un rôle important jusqu'à maintenant. Je ne vois pas pourquoi vous voudriez l'évincer.
M. Ward: À mes yeux, l'APECA est une institution de crédit. Il n'y a pas d'autre source de financement, alors je les en félicite. Cependant, ce sont vraiment les provinces, dans tout le pays, qui possèdent l'expérience, le passé et les compétences qu'il faut en ce qui concerne le développement de l'aquaculture.
Le président: Nous avons dépassé de loin le temps dont nous disposions. C'est un signe de l'intérêt que vous avez suscité chez nos membres ce soir.
Je tiens à vous remercier au nom du comité pour votre excellente présentation.
J'aimerais corriger une observation que j'ai faite il y a quelques minutes quand j'ai dit que le comité des pêches de la Chambre des communes s'était rendu sur la côte Est. À ce qu'il paraît, il n'y est pas encore allé. Je me rappelle que l'automne dernier, nous avions reporté l'un de nos voyages parce qu'il aurait pu coïncider avec le sien. C'est maintenant pas mal tard pour qu'il fasse ce voyage sur la côte Est en vue d'examiner la question de l'aquaculture.
M. Ward: Je peux vous assurer que s'ils avaient été à Terre-Neuve pour examiner les problèmes que nous avons en ce moment, nous l'aurions su et vous aussi.
Le président: Je demanderais aux membres du comité de rester encore quelques minutes pour régler quelques questions d'ordre administratif.
Notre greffière est en train de transférer les preuves. Est-ce que quelqu'un peut proposer de les annexer à notre procès-verbal?
Le sénateur Perrault: Je le propose.
Le président: Sommes-nous d'accord?
Des voix: D'accord.
Le président: C'est donc adopté. Voulons-nous y annexer aussi le mémoire de M. Ward?
Le sénateur Perrault: Je le propose.
Des voix: D'accord.
Le président: C'est adopté.
Je demande une motion sur le budget pour les mesures législatives. Votre président a demandé la libération de fonds d'urgence pour le projet de loi S-21, sur les phares. Les fonds d'urgence ont été approuvés. Nous devons maintenant indiquer au comité de la régie interne la manière dont nous allons dépenser cet argent. Le budget a été ventilé. Est-ce qu'il y a des questions sur la ventilation qui a été faite du budget de 4 500 $?
[Français]
Le sénateur Robichaud: Vous parlez des repas servis avant les réunions?
[Traduction]
Le président: Ce budget ne concerne que le projet de loi S-21.
[Français]
Mme Barbara Reynolds, greffière du comité: C'est sûrement des projets de loi, mais j'imagine qu'il y aura le projet de loi S-21.
Le président: On ne s'attend pas à recevoir d'autres législations prochainement.
Le sénateur Robichaud: Nous n'aurons probablement pas le temps de regarder celle-là, de toute façon.
Mme Reynolds: Normalement, il y a un projet de loi tous les cinq ans.
Le président: C'est cela.
Le sénateur Robichaud: C'est bien, je n'ai aucun problème dans ce cas.
Le président: La motion est proposée par le sénateur Cook, appuyée par le sénateur Mahovlich.
Mme Reynolds: C'est tout.
[Traduction]
Le président: Sommes-nous d'accord?
Des voix: D'accord.
Le président: C'est adopté.
La prochaine réunion aura lieu le 24 octobre, et nous recevrons le témoignage du Canadian Council for Responsible Fishing. Un petit groupe de sénateurs -- les sénateurs Watt, Adams, Robichaud et moi-même -- doit aller dans le nord du Québec les 17 et 18 octobre, à moins qu'autre chose ne survienne entre-temps.
La séance est levée.