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Délibérations du comité sénatorial permanent
des affaires étrangères

Fascicule 3 - Témoignages


OTTAWA, le mardi 2 novembre 1999

Le comité sénatorial permanent des affaires étrangères s'est réuni aujourd'hui à 16 h 37 pour examiner les ramifications pour le Canada de la modification apportée au mandat de l'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord (OTAN) et au rôle du Canada dans l'OTAN depuis la dissolution du Pacte de Varsovie, de la fin de la guerre froide et de l'entrée récente dans l'OTAN de la Hongrie, de la Pologne et de la République tchèque; et du maintien de la paix, surtout la capacité du Canada d'y participer sous les auspices de n'importe quel organisme international dont le Canada fait partie.

Le sénateur John B. Stewart (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Honorables sénateurs, nous sommes réunis aujourd'hui pour examiner les ramifications pour le Canada de la modification apportée au mandat de l'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord et au rôle du Canada dans l'OTAN.

Comme vous le savez, lors des discussions qu'a eues le comité en Europe, la question des rapports entre notre participation dans les opérations de l'OTAN en Europe et les échanges commerciaux du Canada avec les pays de l'Union européenne a été soulevée à maintes reprises.

Le professeur Donald Barry, de l'Université de Calgary, a fait une étude sur les perspectives d'amélioration des relations commerciales avec les pays de l'Union européenne. Il est avec nous cet après-midi pour nous exposer les conclusions de son examen approfondi du sujet.

Lorsqu'il aura terminé, nous poursuivrons à huis clos pour discuter de l'ébauche de notre rapport.

M. Donald Barry, professeur, Université de Calgary: Honorables sénateurs, je vous remercie de m'avoir invité à témoigner devant votre comité aujourd'hui.

L'Europe occupe depuis longtemps une place importante dans la politique étrangère du Canada. Non seulement est-ce une région où convergent d'important intérêts du Canada, mais elle fait aussi contrepoids à notre relation inégale avec les États-Unis. Pendant les années de la guerre froide, l'OTAN a été le principal lien entre le Canada et l'Europe.

Cependant, tandis que la guerre froide s'estompait et que l'unification européenne prenait de l'ampleur et s'approfondissait, la politique canadienne mettait de plus en plus l'accent sur la Communauté européenne, maintenant connue sous le nom d'Union européenne. On a pu le constater dès 1976, lorsque le Canada et la Communauté européenne ont conclu l'entente de lien contractuel, qui formalisait les consultations économiques entre les deux parties. En 1988, le Canada entamait un dialogue politique avec l'Union européenne, qui faisait le lien avec le processus de coopération politique européenne de l'Union, alors en voie d'élaboration.

En 1991, la déclaration transatlantique créait un cadre pour les communications politiques de haut niveau entre les deux parties. Ces dernières années, le gouvernement canadien s'est distingué comme un promoteur éminent du libre-échange entre les pays membres de l'ALENA et l'Union européenne. Cependant, ses efforts ont été vains.

La capacité du Canada d'assumer un rôle de chef de file dans ce domaine est limitée parce qu'il n'a pas le poids économique et politique des États-Unis et de l'Union européenne, dont l'appui est indispensable pour faire aboutir un tel projet. Pour les mêmes raisons, le Canada est peu susceptible d'obtenir le libre-échange bilatéral avec l'union. Cependant, le Canada devrait continuer d'encourager le libre-échange transatlantique, mais il devrait cibler ses efforts sur l'amplification et le renforcement de ses propres relations avec l'Union européenne.

C'est en 1994 que le Canada a commencé à promouvoir le libre-échange transatlantique, quand le ministre du Commerce de l'époque, Roy MacLaren, a proposé la négociation d'un pacte de libre-échange entre le Canada et l'Union européenne, lequel pourrait ouvrir la voie à un accord plus ambitieux entre l'Amérique du Nord et l'Union européenne. Le premier ministre Chrétien en a lancé l'idée lors d'une allocution devant le Sénat français en décembre, en proposant la conclusion d'un accord de libre-échange entre les pays membres de l'ALENA et l'UE. Ces avances visaient l'objectif double d'établir les nouvelles assises de la relation après-guerre froide et de continuer sur la lancée de la libéralisation des échanges commerciaux à l'échelle mondiale.

La Commission européenne qui, alors, dressait un plan pour à consolider les relations de l'Union européenne avec le Mexique, a signalé son intérêt pour le libre-échange euro-américain, tout comme d'ailleurs plusieurs États membres, dont l'Espagne qui allait assumer la présidence du conseil au deuxième semestre de 1995. Au printemps de 1995, cependant, les rapports du Canada avec l'Union européenne s'étaient détériorés à la suite de la crise du turbot. Il n'y a donc pas eu de surprise lorsque le Canada n'a pas été englobé dans l'invitation à renouveler la relation transatlantique.

L'administration Clinton était intéressée à améliorer les rapports des États-Unis avec l'Union européenne. Cependant, l'administration -- sa position étant affaiblie par la profonde dissidence qui régnait au Congrès et qui empêchait le président d'obtenir un pouvoir d'approbation accélérée pour négocier des accords de libre-échange -- l'administration, donc, n'a montré aucun enthousiasme pour le libre-échange. Les relations entre les pays de l'Amérique du Nord et l'Union seraient maintenus sur trois voies distinctes.

Lorsque les hauts représentants des États-Unis et de l'Union européenne ont entamé les travaux visant la conclusion d'un accord, à l'automne 1995, le Canada a fait pression en faveur d'une trilatéralisation des négociations, mais il a essuyé une rebuffade. Lors d'une réunion au sommet tenue en décembre 1995 à Madrid, le président Clinton, le président de la commission, Jacques Santer, et le premier ministre espagnol Felipe Gonzales se sont entendus sur un agenda transatlantique et un plan d'action conjoint des États-Unis et de la Communauté européenne. Ce plan consistait en un énoncé de politiques sur la relation générale, et en une liste de plus de 150 dossiers spécifiques sur lesquels les deux parties convenaient de travailler dans le cadre de leurs relations bilatérales et sur les tribunes multilatérales.

Cette liste mentionnait notamment la création d'un nouveau marché transatlantique, entreprise qui engloberait une étude conjointe sur les moyens de faciliter les échanges de biens et de services et de réduire encore plus, ou même d'éliminer, les obstacles tarifaires et non tarifaires.

Les négociations en vue d'un accord entre le Canada et l'Union européenne ont été entamées en mars 1996 et, en juin de la même année, elles étaient en grande partie terminées. L'Espagne a cependant empêché la conclusion de l'accord jusqu'en décembre, puis il a enfin été signé.

L'accord entre le Canada et l'Union européenne était semblable à celui qu'avaient conclu les États-Unis avec l'Union européenne. Une entrée en matière remarquable, outre le lancement d'une étude conjointe sur les échanges commerciaux, a été que le Canada et l'Union européenne se sont montrés disposés à envisager au cas par cas avec les États-Unis la possibilité d'une trilatéralisation des échanges entre l'Union européenne, le Canada et les États-Unis, relativement à des éléments du nouveau marché transatlantique.

Sept mois plus tard, en juillet 1997, l'Union européenne et le Mexique concluaient deux accords qui concrétisaient leurs dialogues politiques et établissaient les assises de négociations formelles de libre-échange. Ces accords étaient signés au mois de décembre suivant.

Les décideurs du Canada continuaient de promouvoir un accord de libre-échange entre l'Amérique du Nord et l'Union européenne. Dans une allocution prononcée à Londres en octobre 1997, le premier ministre proposait encore une fois la création d'une zone de libre-échange transatlantique. Il exprimait aussi son intérêt pour la conclusion d'un accord de libre-échange avec l'Association européenne de libre-échange. Bien que les pays membres de l'AELE aient répondu favorablement à ces avances, elles n'ont suscité aucune réaction de la part des États-Unis, du Mexique, ni de l'Union européenne.

Bien que Washington et Bruxelles n'aient pas montré d'intérêt pour le libre-échange entre les pays membres de l'ALENA et l'Union européenne, ils étaient disposés à envisager la libéralisation du commerce entre eux. Lors de leur rencontre au Sommet à Washington, en décembre 1997, les deux parties convenaient d'explorer la possibilité d'un accord bilatéral. Cette idée était du vice-président de la commission, sir Leon Brittan, pour qui la consolidation de la relation nécessitait un projet politique d'envergure qui permettrait à Bruxelles et à Washington de se démarquer de leur approche gradualiste habituelle. Une telle initiative permettrait aussi à l'Union européenne et aux États-Unis de prendre le rôle de chef de file dans une nouvelle ronde de négociations sur le commerce mondial qui devait avoir lieu à la fin de 1999.

L'administration Clinton, qui hésitait à conclure quelque importante affaire que ce soit sans avoir de pouvoir d'approbation accélérée, a accueilli ces avances avec circonspection.

Le sujet n'a pas été abordé lors de la réunion des ministres du Canada et de la Communauté européenne tenue à Ottawa en janvier 1998. Questionné à ce moment-là sur les chances de conclusion d'un accord de libre-échange entre le Canada et l'Union européenne, sir Brittan a répondu qu'un tel accord avec le Canada ne serait par réalisable parce que cela entraînerait une demande semblable de la part des États-Unis et favoriserait une approche bilatérale plutôt que multilatérale des échanges commerciaux.

Les rapports des médias qui ont suivi, sur les discussions de libre-échange euro-américain, ont inévitablement soulevé des questions sur la participation du Canada. Il était clair, cependant, que ni les États-Unis ni l'Union européenne n'étaient intéressés à un élargissement des négociations. En tant que grandes puissances, ils ne voulaient traiter que l'un avec l'autre.

De plus, les hauts responsables américains craignaient que si le Canada devait être de la partie, il se liguerait avec la Communauté européenne contre les États-Unis, ou tenterait de semer la zizanie entre les États-Unis et l'Union européenne. De son côté, l'Union européenne, étant donné ses rapports commerciaux limités avec le Canada, était peu portée à englober le Canada dans les négociations, et elle n'allait pas non plus faire quoi que ce soit qui compliquerait les négociations pour les États-Unis.

Le plan de sir Brittan relativement à un nouveau marché transatlantique, soigneusement conçu pour contourner les sujets de l'agriculture et de la culture, tous deux sources de complications pour l'Union et particulièrement pour la France, a été avalisé par la Commission en mars 1998. Cependant, la France réussit à opposer son veto à ce plan, sous prétexte qu'il saperait la libéralisation multilatérale des échanges, mais plus vraisemblablement parce que Paris craignait de voir les négociateurs américains et le Congrès cibler l'agriculture et la culture.

Les États membres sont donc arrivés à un compromis qui permettrait d'améliorer les relations avec les États-Unis en ajoutant des éléments à l'agenda transatlantique.

En mai, cependant, la France se joignait aux autres États membres et approuvait une directive qui permettait à la Commission européenne de négocier un pacte de libre-échange avec le Mexique.

Préoccupé par les perspectives de nouveaux progrès sur le front euro-américain et par le début prochain des négociations de libre-échange entre les États-Unis et le Mexique, le premier ministre Chrétien a fait pression en faveur de discussions à plus grande échelle auprès du premier ministre britannique, Tony Blair, lors du sommet tenu à Londres au milieu de mai 1998. La Grande-Bretagne assumait la présidence du conseil de l'Union européenne à l'époque. Le premier ministre Blair aurait, paraît-il, dit comprendre la position du Canada et il aurait laissé espérer des progrès sur le front Canada-UE après la conclusion des négociations avec les États-Unis.

Lors du sommet euro-américain, peu après, les dirigeants américains et de l'Union européenne ont convenu d'un partenariat économique transatlantique en vertu duquel ils mettraient leurs forces en commun pour améliorer l'accès au marché des biens, des services et des produits agricoles et pour promouvoir la réforme des échanges commerciaux bilatéraux et multilatéraux.

En décembre 1998, le Canada et l'Union lançaient une initiative commerciale UE-Canada semblable au partenariat économique transatlantique. Cette initiative visait à faire progresser les mesures conjointes relatives aux enjeux multilatéraux et à augmenter la coopération bilatérale dans divers domaines.

À ce moment-là, les positions du Canada et des États-Unis ont semblé se rapprocher. Cependant, comme l'a fait observer Denis Stairs, «... cette convergence était peut-être plus attribuable au recul des aspirations euro-américaines plutôt qu'au fait que les aspirations euro-canadiennes avaient gagné du terrain».

J'aimerais conclure mon exposé sur quelques observations. Premièrement, un accord de libre-échange entre le Canada et l'Union européenne semble peu probable. Bien à part le fait que leur attention, et celle des États-Unis, sera axée pendant quelque temps sur la ronde très prochaine de négociations commerciales de l'OMC pour le nouveau millénaire, les échanges commerciaux de l'Union européenne avec le Canada ne suffisent pas aux yeux de l'UE justifier le temps et les ressources qu'il faudrait consacrer à la conclusion d'un accord.

Deuxièmement, le Canada est peu susceptible d'être invité à prendre part aux discussions de libéralisation des échanges entre les États-Unis et l'Union européenne. Étant de grandes puissances commerciales, ils préféreront s'entendre entre eux. La participation du Canada compliquerait vraisemblablement de telles négociations. On a soutenu, cependant, que les États-Unis ne pourraient pas conclure d'important accord commercial avec l'Union européenne sans négocier avec le Canada, puisque les deux économies sont étroitement liées.

Troisièmement, jusqu'à maintenant, les pressions qu'ont exercées les chefs d'entreprises européennes et canadiennes n'ont pas réussi à compenser pour les difficultés que je viens de décrire. Au contraire des relations euro-américaines, dans lesquelles les entreprises participent largement par le biais du Dialogue commercial transatlantique lancé en 1995, les relations entre le Canada et l'Union européenne sont surtout entretenues par les gouvernements.

Les efforts en vue de créer des liens entre les entreprises ont eu des résultats mitigés. Un groupe de chefs d'entreprise canadiens, mis sur pied par le Conseil canadien des chefs d'entreprise, a participé à une réunion du Dialogue commercial transatlantique tenue à Rome en 1997. Les tentatives d'organisation d'un sommet commercial canado-européen de suivi, en 1998, ont été vaines. Il reste encore à voir si la table ronde Canada-Union européenne commencée en juin cette année changera la dynamique de ces relations.

Quatrièmement, bien que les démarches très publicisées du Canada en faveur du libre-échange n'aient pas porté fruit, le Canada et l'Union européenne ont conclu huit ententes sectorielles depuis 1995 visant à augmenter la coopération et à abaisser les obstacles aux échanges commerciaux. Même si ces ententes peuvent faciliter l'interaction entre le Canada et l'Union européenne, il est peu probable qu'elles puissent inverser la tendance à la baisse qu'affichent depuis longtemps les échanges commerciaux du Canada avec l'Europe.

Est-ce que tout ceci a vraiment de l'importance pour le Canada? À mon avis, oui. Bien que le Canada ait des intérêts à l'échelle mondiale, ses liens avec les États-Unis s'amplifient peu à peu. Plus le Canada s'unifiera avec les États-Unis, moins il sera visible ailleurs. Il est donc nécessaire de mettre en valeur l'importance d'autres liens, y compris ceux que nous avons avec l'Europe.

Le Canada doit formuler un agenda plus vaste pour susciter et retenir l'attention de l'Union européenne. Un nouvel agenda Canada-UE devrait aller au-delà des questions économiques pour prendre en compte l'importance croissante du rôle politique de l'Union.

Un secteur prometteur est celui des affaires circumpolaires, qui découle des intérêts canadiens dans la région Arctique et de la nouvelle dimension de la politique de l'Union européenne relativement au Nord.

Un deuxième secteur touche un ensemble de dossiers, dont la migration des réfugiés, le commerce de drogues illicites, le terrorisme et la criminalité internationale, qui sont liés de près au programme du Canada sur la sécurité de la personne et aux politiques en voie d'élaboration de l'Union européenne relativement à la justice et aux affaires intérieures. Je souligne que le comité en a fait la suggestion dans son rapport de 1996 sur l'unification européenne.

Un troisième secteur pourrait porter sur les questions de prévention des crises, d'intervention humanitaire et de promotion de la paix qui découlent de l'intérêt que porte le Canada depuis longtemps au maintien de la paix et de la politique naissante de l'Union européenne en matière d'affaires étrangères et de sécurité.

La coopération existe déjà dans ces domaines, de façon ponctuelle. Cependant, il est nécessaire d'entourer tous ces dossiers d'une série de mesures qui augmenteraient le prestige du Canada vis à vis de l'Union européenne.

Une collaboration plus étroite et plus concertée doterait aussi chaque partie d'un allié de taille dans la poursuite des objectifs de ses politiques.

Ceci conclut mes observations préliminaires, monsieur le président.

Le sénateur Carney: Honorables sénateurs, je m'apprêtais à féliciter notre témoin, qui vient de l'Université de Calgary, de représenter l'Ouest ici. Mais le président me dit qu'il a des liens avec la Nouvelle-Écosse.

Je vous remercie pour votre exposé, qui dresse un tableau très succinct des relations que nous examinons. Je m'intéresse beaucoup à l'aspect circumpolaire de vos propos. Le président le sait, j'ai proposé de demander à notre ambassadeur, qui s'occupe des questions circumpolaires, de témoigner devant notre comité pour expliquer la situation du Canada.

La plupart des réunions circumpolaires portent sur des questions d'environnement comme la pollution. Quels aspects de la relation circumpolaire, à votre avis, le Canada pourrait-il mettre en valeur?

M. Barry: L'agenda est assez vaste. L'initiative de coopération sur les questions circumpolaires, sur le plan EU-Canada, est venue des Finlandais lorsqu'ils ont pris la direction du Conseil il y a quelques mois. Leur mandat se termine en décembre. Les premiers pas ont été faits le 20 octobre, à une réunion tenue ici, à Ottawa, à laquelle participaient plusieurs experts et intéressés des deux parties. Je n'ai pas reçu le rapport de cette réunion, donc je ne sais pas exactement la nature de l'agenda qui est mis au point. Cependant, ils sont en train d'y travailler.

Le sénateur Carney: Selon votre point de vue, et d'après votre expertise, quels sont les domaines d'intérêt commun probable entre les nations circumpolaires, qui auraient une incidence directe sur notre relation commerciale et politique?

M. Barry: Les questions d'environnement et celles du Conseil de l'Arctique auraient un effet sur ces relations.

Le sénateur Carney: Est-ce qu'il y a des enjeux qui touchent le commerce?

M. Barry: Pas que je sache.

Le sénateur Carney: Et les questions de sécurité? Les déchets nucléaires posent un problème.

M. Barry: Oui, les navires russes dans les ports du nord sont un sujet de préoccupation, au plan de la sécurité.

Le sénateur Grafstein: J'aimerais remercier notre témoin pour son exposé. Il souligne la pertinence des liens commerciaux avec l'Union européenne. En examinant ces diverses étapes, j'ai l'impression que cela relève d'une absence de volonté politique de créer ou de tenter d'établir des liens pertinents pour forger ces rapports étroits sur le front des échanges commerciaux avec l'Union européenne. J'ai observé la situation, du point de vue des rapports canado-américains depuis cinq ans, et il semble qu'il n'y a pas de plus grande stratégie pour surmonter certains des problèmes de moindre envergure.

Pour ce qui est de la question circumpolaire, les Russes sont très pressés de tirer parti du rassemblement circumpolaire, d'un point de vue économique, pour raccourcir les distances entre l'Europe et l'Amérique du Nord. Selon l'analyse qui en a été faite, on peut aller de 30 à 60 p. 100 plus vite en prenant la voie russe, par le nord. Êtes-vous au courant de cela?

M. Barry: Non.

Le sénateur Grafstein: Puisque vous avez demandé quels sont les moyens de pression appropriés que nous pourrions utiliser pour parvenir à nos fins, je vais passer à d'autres moyens de pression. Vous avez parlé de notre incapacité, en ce moment, à nous concentrer sur l'Union européenne dans notre approche des négociations de l'OMC.

Que pensez-vous d'une approche qui consisterait à dire à l'Union européenne, lors des négociations de l'OMC, que le Canada -- et je suis certain que nos collègues américains seraient du même avis -- n'est pas prêt à activer ce programme avant que nous ne parvenions à régler, pour l'exemple, la question de la politique agricole commune, qui est probablement la plus protectionniste des entités de la compétence de l'OMC? Que pensez-vous du fait que nous devenions beaucoup plus actifs sur le plan politique concernant cette question? Nous en avons eu des échos de diverses sources aux États-Unis et au Canada.

M. Barry: Je ne pense pas que nous ayons suffisamment d'influence pour faire cela seuls. L'Union européenne est bien déterminée à ce que la question de la politique agricole commune soit réglée lors de la prochaine ronde du millénaire. Les États-Unis n'ont, que je sache, exercé aucune pression pour procéder à la résolution. Je suis certain que le Congrès aimerait que cette question soit abordée de façon bilatérale. Toute l'énergie est actuellement concentrée sur Seattle.

Le sénateur Grafstein: Pour l'OMC?

M. Barry: Oui.

Le sénateur Grafstein: En quoi cela est-il bénéfique pour nous pour ce qui est des côtés protectionnistes de l'Union européenne?

M. Barry: Tout ce qui fait tomber des barrière est bénéfique pour nous.

Le sénateur Grafstein: Il ne sera pas question d'agriculture.

M. Barry: Il est certain que la question devra être réglée. L'Union européenne rencontre les mêmes problèmes dans les négociations qu'elle est sur le point d'entamer avec le MERCOSUR. Les pays du MERCOSUR veulent régler la question de l'agriculture. À mon avis, la question sera abordée lors des négociations de l'OMC.

Le sénateur Grafstein: Vous avez parlé des relations avec le Nord. Elles ne tiennent encore qu'à un fil actuellement. Qu'en est-il de l'intensification de nos relations bilatérales avec les pays qui ne font pas partie de l'Union européenne?

M. Barry: Nous y travaillons actuellement. Des négociations avec l'AELE sont en cours et devraient bientôt prendre fin. Toutefois, étant donné les négociations commerciales multilatérales, il est plus probable qu'il s'agisse d'un accord superficiel que d'un accord large.

Le sénateur Grafstein: Vous ne pensez pas que nous allons faire ce que nous avons fait avec l'Amérique du Sud, c'est-à-dire mettre en place un accord commercial avec les groupes de l'AELE, les groupes externes?

M. Barry: Nous avons un accord avec les Chiliens et un accord qui pourrait ouvrir la voie à un accord de libre-échange avec le MERCOSUR.

Le sénateur Grafstein: Je veux parler des pays européens non membres de l'Union européenne.

M. Barry: Il y a les négociations de l'Association européenne de libre-échange qui se déroulent actuellement.

Le sénateur Grafstein: Pensez-vous qu'on parviendra à un accord bientôt et sera-t-il large?

M. Barry: Nous n'en connaissons pas encore les détails, mais, à mon avis, il ne s'agira pas d'un accord très large. Il s'agira d'un accord superficiel, car les deux parties veulent concentrer leurs efforts sur les négociations de l'OMC.

L'Union européenne négocie actuellement un accord commercial avec un pays pour lequel l'agriculture ne constitue pas un problème, à savoir le Mexique. Cela a facilité les négociations, mais d'autres questions la compliquent.

Le sénateur Grafstein: Vous avez effleuré une question sur laquelle j'aimerais avoir votre avis. Bien que l'accord de libre-échange initial avec les États-Unis ait été motivé par des intérêts commerciaux, pourquoi y a-t-il eu cette absence de volonté des entreprises, particulièrement de l'organisation de M. d'Aquino? Je lui ai parlé de cela et lui ai demandé pourquoi le secteur privé n'appuyait pas plus fortement et plus largement une initiative politique. Pourquoi les grandes entreprises ont-elle échoué sur ce plan également?

M. Barry: C'est un problème très ancien. C'est l'un des problèmes qui ont également été rencontrés pour l'accord sur le lien contractuel dans les années 70. Selon moi, le fait qu'il soit commode et facile de faire affaire avec les États-Unis l'explique.

Le sénateur Andreychuk: Des personnes autour de cette table et des témoins que nous avons entendus lors de certaines de nos études ont indiqué que nous devrions utiliser les leviers que nous avons en Europe -- en particulier notre engagement envers l'OTAN, qui dialogue et change continuellement -- pour améliorer notre position commerciale, et notre engagement dans les initiatives européennes devrait nous apporter des avantages sur le plan commercial. Certains ont préconisé des discussions ouvertes et sincères. Il serait difficile de faire cela dans un environnement ouvert.

Croyez-vous qu'utiliser cela comme levier nous conférerait quelque poids que ce soit pour améliorer notre position commerciale avec nos partenaires européens?

M. Barry: Je ne le pense pas, car il est improbable que l'union européenne accepte des responsabilités de défense commune, tout comme il est improbable qu'elle devienne une puissance en matière de sécurité mondiale. La raison pour laquelle on fixe la limite à la défense commune, ce qui distingue l'Union européenne de l'OTAN, est la présence de pays neutres dans l'Union européenne -- l'Autriche, la Finlande, l'Irlande et la Suède -- qui n'ont absolument aucun intérêt à prendre part à une coopération en matière de défense. Si l'Union européenne mettait en place une politique de sécurité commune, elle se limiterait probablement à la région et elle consisterait certainement à prévenir et à gérer les crises.

Le sénateur Andreychuk: On nous a dit qu'une stratégie de défense européenne était plus probable maintenant et qu'il était absolument nécessaire que le Canada reste membre de l'OTAN parce que l'Europe ne serait pas capable de se défendre seule; elle devra toujours faire appel à certains moyens de l'OTAN. Nous sommes donc bien placés pour y rester. Si nous n'y restons pas, il est probable que les Américains n'y resteront pas non plus. On nous dit donc qu'il est tout à fait impératif que nous restions membres de l'OTAN.

Cela ne semble pas se traduire en bonne volonté. Bien que nous jouions vraisemblablement un rôle plus important que jamais dans le réseau commun de défense européen, nous semblons être incapables de faire en sorte que cela se traduise en avantages autres que la sécurité commune.

Le sénateur Carney: Qui est ce «nous» dont vous parlez lorsque vous dites «on nous a dit»?

Le sénateur Andreychuk: Ce comité.

Le sénateur Carney: Et qui est ce «on»?

Le sénateur Andreychuk: Des témoins.

Le sénateur Carney: De nombreux témoins.

M. Barry: À mon avis, les questions de défense vont probablement être réglées par la mise en place d'une organisation séparée au sein de l'OTAN. Les fonctions de sécurité de l'Union européenne, même lorsqu'elles seront entièrement définies -- et elles sont loin de l'être pour le moment -- seront beaucoup plus limitées.

Le président: En quoi seront-elles beaucoup plus limitées?

M. Barry: Elles seront limitées aux questions de prévention et de gestion des crises dans les régions avoisinantes. Cela pourrait bien, en partie, consister à imposer la paix.

L'Union européenne tente également d'influer sur les développements, non seulement dans sa région immédiate, mais également ailleurs, en utilisant ses pouvoirs économiques pour accroître son influence politique. À cette fin, elle ajoute à ses accords avec les autres pays des clauses restrictives qui font de la protection des droits de la personne, de la démocratie, de réformes économiques et du respect des obligations du traité une condition sine qua non à toute aide et à tout investissement. À court terme, vous constaterez certainement que c'est là que se concentrent les efforts de l'Union européenne.

Le sénateur Bolduc: Ai-je raison lorsque je dis que les Européens sont incapables de se défendre en cas de guerre et que l'une des raisons de cela est que leur technologie est dépassée? Comme vous le savez, tous ces pays étaient dotés de forces armées traditionnelles, mais ils ne se sont pas procurés le matériel technologique sophistiqué qui peut leur être nécessaire au cours des dix prochaines années. C'est expressément un problème d'acquisition de matériel militaire. Les Européens ont abordé la question de la défense d'un point de vue national plutôt que continental.

L'Union européenne donne de l'argent aux pays pauvres sous forme de programme de stabilisation consacré à l'agriculture et à d'autres domaines. Cela représente d'énormes sommes d'argent, soit environ 45 ou 50 millions de dollars par an. Cependant, elle investit très peu d'argent dans la recherche et le développement liés à la défense. L'argent est utilisé pour l'agriculture, non pour la défense. Il se peut qu'ils se voient dans l'obligation de réduire leurs subventions agricoles et de transférer cet argent à la défense. Toutefois, prendre de l'argent aux agriculteurs et l'utiliser pour la recherche et le développement n'est pas populaire. Comment pensez-vous que la situation va évoluer au cours des cinq prochaines années?

Comment le Canada peut-il trouver le moyen d'y prendre part?

M. Barry: Ce n'est pas un domaine que je connais très bien. Selon moi, les Européens évoluent vers un système coopératif de défense, mais c'est à peu près tout ce que je peux vous dire.

Le sénateur Stollery: Monsieur le président, ce témoignage est extrêmement intéressant parce qu'il nous rappelle les dernières étapes suivies, que nous pouvons avoir oubliées. M. Barry nous a rafraîchi la mémoire.

L'Union européenne évite-t-elle sciemment de traiter avec le Canada? L'Union européenne collabore avec le Mexique. Les Français portent depuis longtemps, plus précisément depuis la Révolution française, un intérêt au Mexique. Le MERCOSUR et les Français sont également depuis longtemps intéressés par le commerce avec le Brésil. En fait, pendant un temps, le Concorde effectuait un vol quotidien vers le Brésil.

Ils semblent éviter un pays dont la population est de 31 millions de personnes, un pays qui, on le sait, est très important pour la défense européenne. Sans parler des arguments liés aux budgets militaires, nous représentons une partie importante de la défense européenne. Il ne me semble pas sage d'éviter sciemment de traiter avec notre pays. Serait-ce parce qu'ils considèrent que nous faisons partie des États-Unis ou y a-t-il une autre raison?

M. Barry: Honorables sénateurs, nous commençons à souffrir d'un problème de visibilité en Europe à mesure que nous nous rapprochons des États-Unis. Nous avons connu le même problème dans les années 70, lorsque nous avons négocié le lien contractuel. L'une des conséquences importantes du lien est qu'il rehausse notre profil vis-à-vis des Européens.

En termes de relations économiques, ils ne nous considèrent fondamentalement pas comme un intervenant assez important pour justifier le temps et les ressources qu'ils devraient consacrer à une négociation commerciale avec nous.

Les aspects de la question liés à l'économie et à la défense sont compartimentés entre l'Union européenne et l'OTAN. La véritable question est: est-il possible de trouver des moyens de lier les deux afin d'accroître notre influence de l'une à l'autre? Je crains de ne pas avoir de réponse satisfaisante à cette question.

Le sénateur Stollery: Il semble qu'ils aient tenté de garder la défense et le commerce séparés. Toutefois, d'après mes souvenirs, la population canadienne était d'environ 26 millions dans les années 70, soit considérablement moins qu'aujourd'hui. Dans quelques années seulement, elle sera de 40 millions de personnes, soit plus que toute la Scandinavie réunie, plus la Hollande et la Belgique, si je ne m'abuse.

Le Canada et la Russie sont les deux pays circumpolaires les plus importants. Le Groenland, qui ne se trouve qu'à 200 milles de notre côte, fait partie de l'Union européenne. Je trouve cette position difficile à comprendre.

M. Barry: Dans les années 70, nous avons réussi à capter l'attention de la Communauté européenne pour deux raisons. Premièrement, nous offrions aux pays de la Communauté la perspective d'un accès à des ressources à un moment où elles étaient rares. Deuxièmement, nous étions le premier pays développé à rechercher auprès de la Communauté une relation de caractère consultatif. Cela a offert à la commission la possibilité de faire oeuvre de pionnière et d'élargir ses pouvoirs. La commission a habilement présenté cela à la communauté afin de faire adopter cette entente, tout en rassurant les membres de la communauté quant au fait que cela ne se ferait pas à leur détriment. Au même moment, le Canada garantissait aux États-Unis qu'ils ne seraient pas désavantagés par la conclusion d'un accord entre le Canada et l'Union européenne.

J'ai dit que nous devrions peut-être renforcer notre coopération avec l'union dans des domaines autres qu'économiques parce que cette idée pourrait recevoir un accueil favorable de la part du public des États membres. Ces questions de sécurité humaine jouissent d'un appui nouveau de la part des groupes d'intérêt en Europe.

Cependant, il me semble que, afin de démontrer son engagement à adopter des politiques communes en matière de justice et d'affaires intérieures, et peut-être dans certains aspects de la politique commune des affaires étrangères et de la sécurité, la commission peut avoir intérêt à répondre de façon positive aux ouvertures que nous pourrions proposer. Selon moi, il y a peut-être là une ouverture.

À la suite de la question du sénateur Grafstein concernant l'avantage économique que nous pourrions avoir sur la communauté, j'ai pensé à une autre chose. Il existe peut-être une possibilité sur le plan économique, en plus de l'encouragement du monde des affaires, si le dialogue progresse. Notre investissement dans la communauté est en hausse. L'euro, qui pourrait constituer une autre source d'encouragement à l'expansion des liens outre-mer, accélère cet investissement.

Le sénateur Grafstein: Concernant l'influence, nous avons devant nous deux documents. Le premier est l'article 2 de la charte de l'OTAN. C'est l'article de M. Pearson, qui exige des États membres de l'OTAN qu'ils coopèrent avec le Canada sur le plan économique, ce qu'ils ne font pas. C'est une question d'ordre juridique.

L'autre question d'ordre juridique est l'Accord d'Helsinki, qui exige, en échange de la coopération en matière de questions de sécurité humaine, que nous coopérions sur le plan économique. Nous sommes un membre à part entière de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe.

Sur le plan légal le plus strict, l'article 2 et l'Accord d'Helsinki sont enfreints par omission par les États membres. Cela nous confère-t-il un avantage de manière à ce que nous puissions répondre à lord Robertson: «Vous voulez que nous fassions plus pour l'OTAN alors que vous avez dissocié l'article 2 de la charte de l'OTAN»?

M. Barry: L'article 2 a pratiquement été dissocié dès sa création.

Le sénateur Grafstein: Il est toujours là.

M. Barry: Oui, il est toujours là, mais il n'est pas exécutoire. Durant les négociations de l'OTAN, le Canada était quasiment le seul pays à souhaiter l'inclusion de l'article 2. Les autres participants l'ont accepté, à contrecoeur, après que le Canada ait menacé de reconsidérer sa participation à la totalité du projet.

À ce moment-là, les Européens s'étaient déjà engagés dans leur propre système de coopération économique, auquel ils devaient prendre part en raison de la promesse d'aide faite dans le cadre du plan Marshall, qui a conduit à l'OECE -- l'un des liens qui ont abouti à l'établissement de la Communauté européenne du charbon et de l'acier, et d'autres organisations.

Je ne peux pas commenter les recommandations formelles prévues dans l'Accord d'Helsinki.

Le sénateur Carney: Mes collègues ont souligné que, si le Canada est un membre important de l'OTAN aux yeux des Européens, il devrait être également important en termes de commerce avec l'Europe, et que c'était une question d'influence. L'agriculture, qui est actuellement une question très critique, est un secteur important dans notre relation.

Êtes-vous satisfait de la position initiale du Canada, lors de la réunion de l'OMC à Seattle, une position très ferme, exigeant l'élimination totale des subventions à l'exportation dès que possible, une réduction importante de l'aide intérieure qui fausse les échanges et une amélioration importante de l'accès au marché? Les négociations agricoles débuteront lors de la conférence ministérielle qui se tiendra à Seattle.

Avez-vous des suggestions sur ce que le comité devrait recommander d'autre sur la question? Appuyez-vous cette position? Le comité devrait-il appuyer autre chose?

M. Barry: Il s'agit d'une position initiale. Toutefois, je suis certain qu'il est dans l'intérêt de tous de réduire ces subventions.

Le sénateur Carney: Pensez-vous qu'il s'agisse d'une position réaliste?

M. Barry: Je pense qu'il sera plus facile pour la communauté de céder en matière de subventions dans le cadre d'un accord plus large qu'il ne le serait s'il s'agissait de le faire bilatéralement.

Le sénateur Carney: Dans ce cas, il pourrait être dans notre intérêt de mettre l'accent sur la question à l'OMC.

M. Barry: Oui. La question des subventions a été un problème difficile à résoudre durant l'Uruguay Round également. Cela a pris presque six ans. L'agriculture était le facteur le plus important menant à l'accord. Il me semble que les Européens envisagent de résoudre la question ou de la faire progresser lors des négociations de l'OMC, où elle peut être subsumée dans un ensemble plus important de concessions et de compromis. Bref, cela leur facilitera les choses.

Le sénateur Andreychuk: L'un des dilemmes auxquels on a été confronté lors de l'Uruguay Round a été que, quelle que soit la stratégie que nous adoptions, elle était inévitablement ramenée à des négociations entre les États-Unis et l'Europe. C'était comme si le comité se réunissait, mais que le sous-comité menait les véritables négociations et que nous étions systématiquement exclus. À ce moment-là, nous projetions de nous joindre à d'autres afin de rompre ce cycle. Je ne pense pas que cela se fera lors des prochains pourparlers. Il semble que nous ayons encore une vision à plus long terme. Les gens auxquels j'ai parlé pensent que le facteur le plus important sera ce que feront les Américains et les Européens.

Y a-t-il une autre stratégie que nous pouvons présenter lors des négociations afin d'empêcher cela?

Le sénateur Carney: Parlez-vous du Groupe de Cairns, dont était membre le Canada et où nous avons tenté de faire progresser les questions agricoles?

Le sénateur Andreychuk: Les chiffres ne semblent pas refléter cette force. Ne dépendrons-nous pas inévitablement de la volonté des Américains et des Européens? Ne devrions-nous pas mettre en place une stratégie afin d'empêcher cela?

M. Barry: C'est une question d'influence. Qu'on le veuille ou non, les États-Unis ont une grande influence.

Le sénateur Andreychuk: Vous ne pensez donc pas que nous trouverons une stratégie pour nous libérer de cette influence.

M. Barry: Nous aurions un impact si nous nous associions avec d'autres petits producteurs, comme nous l'avons fait à Cairns. En fin de compte, ce sont les grandes puissances qui vont conclure le marché.

Le président: Ma première question a trait au problème dont certains d'entre nous ont beaucoup parlé lorsque nous étions en Europe en juin et juillet derniers. D'une part, on nous pousse -- je ne pense pas que le mot soit trop fort -- à faire plus au sein de l'OTAN. Il ne s'agit pas de l'OTAN avec son centre d'intérêt général qui intéresse les États-Unis; il s'agit de l'OTAN qui contribue à la défense et à la sécurité européennes. «Faites plus. Faites votre devoir, Canada.» Voilà ce qu'on nous a dit à Londres. Cependant, lorsque nous avons déclaré que nous aimerions être un peu plus entendus concernant les questions économiques, on nous a répondu qu'il s'agissait d'une tout autre question.

Cette dissociation résulte-t-elle du fait que nous parlions à des organisations et à des gens différents? Ou est-ce que les Européens disent en réalité qu'ils ont de tels problèmes de production agricole qu'ils ne peuvent pas se permettre de reconnaître l'intérêt du Canada pour une amélioration du commerce des produits agricoles? S'attendent-ils à ce que nous comprenions cela et à ce que nous continuions à contribuer fortement à leur défense et à leur sécurité?

M. Barry: La question est de savoir comment utiliser l'influence que nous confère notre contribution à l'une des organisations pour tirer des concessions politiques de l'autre.

Ce sont deux organisations distinctes, en ce sens que l'OTAN s'occupe de questions de défense commune, mais pas l'Union européenne. L'Union européenne ne s'occupe pas de ces questions en raison de la présence d'États neutres parmi ses membres. Cela limite fortement ses activités quant à d'autres formes de coopération en matière de sécurité auxquelles nous pourrions nous associer, me semble-t-il. Il est vrai qu'il serait très difficile pour l'Union européenne de nous faire des concessions en matière d'agriculture sur une base bilatérale. Selon moi, le meilleur endroit pour présenter cette question serait l'OMC.

Le président: N'y a-t-il pas un illogisme dans l'argument que vous semblez attribuer aux Européens? Ils affirment ne pas pouvoir satisfaire notre demande parce que l'adhésion à l'OTAN est différente de l'adhésion à l'Union européenne. Utilisent-ils cet argument simplement comme excuse pour ne pas avoir à satisfaire nos demandes en matière d'agriculture?

M. Barry: Je ne pense pas qu'ils pourraient négocier avec nous un accord sur le commerce agricole sans être contraints d'étendre leurs concessions aux États-Unis, qui sont le principal intervenant.

Même dans les négociations avec le MERCOSUR, l'agriculture est une question fondamentale. Ils ont accepté d'aller de l'avant, mais ils ne le feront pas avant que la fin des négociations de l'OMC.

Pour en revenir à la question de la sécurité, je me demande s'il n'y a pas moyen de nous rapprocher de l'Union européenne sur le plan des fonctions de sécurité qu'elle va accepter, peut-être dans le domaine du maintien de la paix, si les choses évoluent dans ce sens. Il y a là, me semble-t-il, des bases pour une coopération possible au niveau du partage des compétences et de l'établissement, aux Nations Unies, d'une base plus solide pour les interventions humanitaires. Il pourrait y avoir une collaboration pour certains types d'opérations. En effet, nous avons une longue histoire de collaboration, pour ces questions, avec certains pays membres de l'Union européenne, notamment la Suède et la Finlande.

Il me semble qu'il serait possible aux deux parties de formuler leur propre programme de sécurité et un programme parallèle, voire recoupant le premier, sur les questions de sécurité humaine qui nous intéressent tant. L'intérêt de l'Union européenne pour les questions de sécurité, qui reflète celui du public européen, augmente de façon importante. Il fournit également à la commission elle-même une motivation pour agir sur la compétence de la communauté dans ce domaine et pour l'accroître.

Le sénateur Bolduc: Monsieur Barry, pourriez-vous nous présenter une proposition en termes de commerce international avec l'Europe? Par exemple, devrions-nous souligner nos relations commerciales avec l'Irlande? Nous avons fait beaucoup avec l'Irlande, mais peut-être pourrions-nous faire plus. Peut-être pourrions-nous pousser un peu plus les gens d'affaires afin qu'ils se décident à se lancer dans l'est de l'Europe en matière de techniques d'information, de tourisme ou de télécommunications. Peut-être notre stratégie devrait-elle consister à nous concentrer sur un pays, par exemple l'Allemagne, l'Irlande ou le Royaume-Uni, ou sur un secteur commercial, tel que le tourisme.

Chaque fois que je vais en Europe, je suis frappé par la forte densité de la population. Il serait bon pour les Européens de venir au Canada. Nous disposons de tout l'espace rêvé ici. Le fait que nos ayons une faible population constitue un avantage formidable. Après 15 jours en Europe, je ne veux plus y rester et je suis prêt à revenir. La densité de leur population est tellement forte.

M. Barry: Le rôle que peuvent jouer les gouvernements est de faciliter le commerce en faisant tomber les barrières réglementaires, et cetera. Comme je l'ai dit, depuis 1995, l'Union européenne et le Canada ont conclu huit ententes sectorielles, qui ont trait à des sujets tels que la reconnaissance réciproque, les normes de produits, les services, les marchés publics, la propriété intellectuelle et la concurrence. Ces ententes sectorielles étendent la coopération culturelle et multiplient les contacts d'affaires. C'est le rôle du gouvernement.

Le président: Vous avez mentionné l'Espagne et l'impact de la guerre du flétan noir sur nos relations avec l'Union européenne. Cet impact a-t-il entièrement disparu ou hante-t-il encore, dans une certaine mesure, notre relation?

M. Barry: Selon moi, il a disparu. Les Européens semblent encore préoccupés par le projet de loi C-27. Toutefois, je ne peux pas faire mieux et aller plus loin que ce qu'a dit M. Wiseman lors de sa précédente parution devant le comité. On s'attendrait à ce que la question des pêches soit la plus litigieuse. Or, il y a depuis 1995 une plus grande coopération dans les relations entre le Canada et les États-Unis qu'il n'y en a eu au cours des dix années qui ont précédé. Si cela reflète l'état d'une relation, je dirais que, bien que la guerre du flétan noir fasse beaucoup de bruit, elle ne constitue pas un obstacle important au développement de nouvelles relations.

Le sénateur Di Nino: Au comité canado-européen, nous rencontrons souvent des parlementaires des États européens. Il ne se passe pas une réunion sans que la question des pêches soit abordée. C'est toujours une pomme de discorde lors des discussions. Je suis heureux de vous entendre dire que cette discorde semble s'atténuer. Toutefois, il n'y a pas plus de deux semaines, un sujet de grande discorde est une fois de plus revenu sur le tapis, non seulement avec les Espagnols, mais avec d'autres États européens membres qui les ont soutenus. Mon intention n'est pas de vous contredire, mais au cours des mois passés, la question a été soulevée chaque fois que nous nous sommes réunis.

Le président: Oui. Comme l'a indiqué M. Barry, nous avons le témoignage officiel de M. Wiseman du MPO et nous avons entendu l'ambassadeur de l'Union européenne. Si mes souvenirs sont justes, le désaccord enregistré est lié à une formulation spécifique du projet de loi C-27, selon laquelle le Canada officialise au pays la Convention des Nations Unies sur les stocks chevauchants de poissons.

Le sénateur Corbin: J'aimerais demander au témoin de nous fournir plus de précisions sur ce qu'il a dit quant à la réticence de la France concernant les subventions agricoles et la culture. Je sais très bien ce que tentent de protéger les Français lorsqu'ils parlent de culture. En Amérique du Nord, le mot culture a un sens différent. Je me demande s'il pourrait être sincère avec nous et nous dire si, selon lui, le Canada n'aurait pas également avantage à examiner avec plus d'attention les éléments culturels des accords internationaux qui pourraient être signés, particulièrement avec la conférence de Seattle sur la mondialisation.

M. Barry: Je comprends que le problème de la culture -- et il est en fait le secteur audiovisuel -- est un problème particulier pour la France et pour un ou deux autres petits pays, tels que la Belgique. Cependant, ce n'est pas un point important pour la totalité de l'Union.

Le sénateur Corbin: La culture est une question qui préoccupe de plus en plus les Allemands. Par exemple, le choix de la langue officielle et de la langue de travail lors de leurs réunions européennes fait l'objet de critiques ces derniers temps et les Allemands refusent d'assister à certaines réunions pour cette raison. Je n'estime pas qu'il s'agit d'un problème isolé. D'autres pays prennent maintenant conscience des aspects envahissants potentiels de la mondialisation et des conséquences qu'elle aura sur leur patrimoine culturel. La question est: ne devrions-nous pas nous aussi, au Canada, nous préoccuper de cette question?

M. Barry: Nous nous en préoccupons.

Le sénateur Corbin: Je croyais que nous nous étions joints à la France et au Mexique au début de l'automne.

M. Barry: Je présumais que nous parlions des négociations commerciales de l'OMC et que nous cherchions à déterminer si la Communauté adoptait une position ferme sur la question. Je n'en ai pas l'impression pour le moment, mais je peux me tromper.

Le président: Nous savons que l'idée d'une identité européenne de sécurité et de défense est ancienne. L'idée est là, mais elle n'a pas été mise en pratique, pour des raisons qu'on comprend facilement. Les récentes opérations menées en Yougoslavie et au Kosovo semblent avoir suscité un nouvel enthousiasme pour la question dans certaines parties de l'Europe, notamment en France, pour l'IESD, l'Identité européenne de sécurité et de défense. Il n'est pas question que l'IESD soit indépendante de l'OTAN; elle en sera plutôt un pilier. L'OTAN apporterait à l'IESD les renseignements, le transport lourd et les structures de commandement et de contrôle. Si le pilier européen fait ce qu'il semble résolu à faire et si les États-Unis apportent les renseignements, le transport lourd et les structures de commandement, quel serait le rôle du Canada dans ces opérations de l'OTAN?

M. Barry: Il m'est difficile de vous répondre, sénateur. Ce n'est malheureusement pas le domaine dans lequel je travaille; je crains donc de ne pas être très bien informé sur la question.

Le président: Alors j'aimerais avoir votre avis sur une question. Il me semble qu'on pourrait facilement répondre qu'il n'y aura aucun rôle véritable pour le Canada, à moins, bien entendu, que nous nous contentions de suivre les Américains. Cela semble-t-il être un commentaire raisonnable, du moins sur le plan général?

M. Barry: Peut-être. La coopération avec les Européens en matière de sécurité que je proposais était plutôt liée aux nouvelles fonctions de l'Union européenne relatives à la prévention et à la gestion des crises dans la région. Certaines des fonctions d'imposition de la paix de l'UEO ont été transférées à l'Union européenne et c'est une question sur laquelle il est plus facile pour tous les membres de l'Union européenne d'arriver à s'entendre, car elle ne concerne pas la défense commune. Il m'a semblé que, dans ce domaine, il y avait là pour le Canada et l'Union européenne des possibilités de partage des compétences et des questions d'imposition de la paix de toutes sortes.

Le président: Une question a été posée en Europe par le sénateur Stollery, si je ne m'abuse. Il a demandé aux membres s'ils croyaient que les pays européens membres de l'OTAN devraient apporter leur aide en cas de problèmes en Amérique centrale, par exemple en cas de problèmes de sécurité humaine. On lui a répondu, assez énergiquement et sans hésitation, «certainement pas». Il semblerait qu'ils ne se préoccupent de la sécurité humaine que dans leur propre pays ou région.

M. Barry: Dans leurs accords avec les pays de l'Amérique latine, y compris le Mexique, il y a une clause conditionnelle qui exige qu'ils investissent et qu'ils apportent leur aide pour le respect des droits de la personne et pour le développement de la démocratie, et cetera. Ils ne sont donc pas entièrement absents; ils sont présents, mais différemment.

Le président: Mais en dehors de l'OTAN.

M. Barry: Oui, en dehors de l'OTAN.

Le sénateur Grafstein: Pour en revenir à l'histoire, en tant qu'étudiant européen, vous avez manifestement étudié les liens commerciaux du Canada dans le cadre du Commonwealth. À une époque, nous avons joui de la préférence du Commonwealth, qui succédait à la préférence impériale et qui a constitué un de nos liens étroits, sur le plan économique et culturel, avec la Couronne et avec notre mère Angleterre. Pour de nombreuses raisons, les préférences du Commonwealth ont été abandonnées, excepté pour la Nouvelle-Zélande, qui a énergiquement plaidé pour le maintien de certains droits dont elle jouissait, lorsque la Grande-Bretagne a décidé de se joindre à l'Union européenne. Cela est très bien traité dans un livre formidable de Hugo Young, récemment paru et intitulé This Blessed Plot.

Examinons le Commonwealth du point de vue de ce que vous nous avez demandé d'étudier, c'est-à-dire à travers le prisme de la sécurité humaine sur laquelle nous pourrions avoir un programme politique plus large et qui pourrait nous aider à gagner une certaine influence économique en raison de nos intentions politiques similaires, et cetera. Notre ministre vient d'entamer une démarche de ce genre au Pakistan, au nom du Commonwealth. Je ne sais pas s'il est de retour, mais il prend part à une mission de sécurité humaine intéressante, appuyée par nos amis et collègues du Commonwealth. La Grande-Bretagne est un intervenant important dans l'Union européenne.

Existe-t-il un moyen pour nous d'utiliser votre analyse pour miser sur notre rôle dans la sécurité humaine au Commonwealth et pour établir des moyens de pression envers l'Union européenne par le biais du Royaume-Uni? Comme l'a précisé le président, on nous a dit de dissocier les deux -- d'envoyer nos troupes, notre argent, notre sécurité militaire, mais de ne pas parler de relations économiques parce qu'il s'agit d'un programme différent. C'est ce que nous a dit notre comité parallèle à Londres.

Pourriez-vous nous faire part de votre analyse? Est-il possible ou probable que nous puissions utiliser notre lien avec le Commonwealth et nous joindre à l'Australie, l'Afrique du Sud et la Nouvelle-Zélande, qui ont des points communs avec nous concernant l'Union européenne et d'utiliser cela comme moyen de pression pour nous imposer dans une relation économique plus étroite avec l'Union européenne?

M. Barry: Je ne sais pas. Nos avons adopté une cause commune avec les Australiens et d'autres sur les questions de politique agricole lors des négociations de l'OMC.

Le sénateur Grafstein: Vous faites référence au Groupe de Cairns.

M. Barry: Oui. Cependant, je ne sais pas très bien comment nous pourrions les mobiliser pour appuyer de nouvelles ouvertures à l'Union européenne. Je ne sais pas vraiment comment nous pourrions faire cela.

Le président: Honorables sénateurs, nous sommes reconnaissants envers M. Barry pour ses observations préliminaires concises et ses réponses réfléchies. Au nom du comité, j'aimerais lui exprimer notre gratitude à tous.

Honorables sénateurs, nous allons poursuivre notre réunion à huis clos, mais nous devons faire une pause afin que les dispositions nécessaires puissent être prises concernant les médias électroniques.

La réunion se poursuit à huis clos.


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