La « nouvelle » OTAN et lévolution du maintien de la paix :
conséquences pour le Canada
Chapitre VI : La sécurité humaine et le nouveau maintien de la paix
Même si elle marquait un tournant dans le contexte de la sécurité mondiale, la fin de la guerre froide est loin davoir apporté les améliorations espérées dans la vie des populations de bien des pays. Les risques de guerre ouverte entre États sont certes considérablement réduits (même si la menace nucléaire demeure présente sous certaines formes), mais dautres menaces se sont accrues. Les conflits internes, souvent entre groupes ethniques ou religieux, se sont faits de plus en plus nombreux et ont eu, pour les gens qui les ont vécus, des conséquences tout aussi dévastatrices que des guerres internationales. Par conséquent, la sécurité des États sest peut-être améliorée depuis 1989, mais celle des êtres humains sest détériorée dans de nombreuses régions du monde, comme lillustrent les événements survenus dans les années 90 en Yougoslavie, en Somalie, au Rwanda et en Sierra Leone, par exemple.
Lobjectif fondamental des organisations comme lOTAN, vouées à la paix et à la sécurité, a été redéfini depuis dix ans. La prévention des conflits violents ou latténuation de leurs retombées sur les gens ordinaires ont motivé de plus en plus souvent des décisions touchant lintervention dans les affaires « intérieures » dÉtats souverains. Comme nous lavons vu plus haut, lOTAN a été confrontée à cette question tout au long des années 90.
Ce changement dans la nature des « menaces » a eu des répercussions profondes sur la perspective du Canada relativement à la sécurité internationale, au maintien de la paix et à la diplomatie. Comme dautres pays, nous avons commencé à faire du concept de « sécurité humaine » un élément important de notre politique étrangère. Cest pourquoi le Comité tenait tout particulièrement à examiner les implications de cette nouvelle approche. Nous énonçons dans le présent chapitre nos conclusions initiales à cet égard, ainsi que certaines des inquiétudes et des suggestions découlant de notre examen.
Le Canada et le concept de sécurité humaine
Comme nous lavons vu plus haut, la décennie qui vient de sécouler a obligé lOTAN et ses membres à redéfinir leurs priorités, délaissant la défense collective contre déventuelles attaques visant leur propre territoire pour sattarder davantage aux préoccupations touchant la paix et la sécurité dans dautres pays, particulièrement dans les États de l« étranger proche », comme ceux des Balkans, ou dans ceux qui présentent un intérêt particulier pour léconomie et la sécurité énergétique de lOccident, par exemple les États du Golfe. Au fur et à mesure que cette transformation sopérait, les considérations humanitaires prenaient une place de plus en plus importante dans la réflexion de lAlliance.
En politique étrangère, les considérations humanitaires sont loin dêtre un phénomène nouveau. Elles ont en effet joué un rôle important dans le développement des Nations Unies et sont au centre des préoccupations du Canada et de bien dautres pays depuis le Seconde Guerre mondiale. Au cours des deux ou trois dernières années cependant, un certain nombre de pays, dont le Canada, la Norvège et les Pays-Bas, ont cherché à réorganiser les priorités politiques internationales et à redéfinir le concept de sécurité(103). En se fondant sur le principe général de la sécurité humaine mis de lavant par le PNUD en 1994, mais en mettant laccent tout particulièrement sur les conséquences des conflits violents, ces pays soutiennent que seul un effort concerté pour améliorer la sécurité des populations à risque permettrait de régler les problèmes émergents dans le monde daujourdhui.
La sécurité humaine ne remplace pas la sécurité des États; en fait, lune ne va pas sans lautre. Comme la expliqué le ministre des Affaires étrangères du Canada, « [...] la sécurité humaine est bien plus que labsence de menace militaire. La sécurité humaine, cest notamment être à labri des privations économiques, jouir dune qualité de vie acceptable et se voir garantir lexercice des droits humains fondamentaux. ».(104)
Un haut fonctionnaire du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international souligne pour sa part que le concept « a pour points de repère les êtres humains et leurs collectivités, plutôt que les États [...] Il reconnaît que la sécurité des États est essentielle, mais quelle ne suffit pas à elle seule à assurer la sécurité et le bien-être des individus ». Il fait remarquer que le concept de sécurité humaine « repose sur les valeurs canadiennes traditionnelles que sont la tolérance, la démocratie et le respect des droits de la personne. Les Canadiens sont mus par des raisons humanitaires, pas par les froids calculs de la realpolitik. Pour les Canadiens, le respect des principes est aussi important que la puissance. »(105)
Il convient de signaler que dautres vont encore plus loin en affirmant que la vieille distinction entre une politique étrangère fondée sur la realpolitik et une autre fondée sur lhumanitarisme est trompeuse. Selon Joseph S. Nye, Jr. : « Une définition démocratique de lintérêt national naccepte pas la distinction entre la moralité et lintérêt comme fondement de la politique étrangère. Les valeurs morales sont tout simplement des intérêts intangibles.(106) »
La sécurité humaine est de plus en plus reconnue comme lun des fondements de la politique étrangère. Comme la dit le Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés en mai 1999, « La notion de sécurité humaine commande aujourdhui le même respect et la même attention que la notion plus traditionnelle de sécurité nationale . Le Conseil de sécurité des Nations Unies discute de plus en plus souvent de questions touchant la sécurité humaine , et ses membres sont de plus en plus sensibles au fait que la sécurité des États passe obligatoirement par celle de leurs populations.(107) »
Au Canada, le discours du Trône du 12 octobre 1999 a dissipé tout doute qui pouvait subsister quant au fait que la promotion de la sécurité humaine est désormais un objectif majeur de la politique étrangère : « Le gouvernement accordera une importance accrue à la sécurité humaine dans sa politique étrangère et il uvrera pour que les instances mondiales réalisent des progrès véritables dans le cadre dune démarche internationale pour la sécurité humaine. »
Le rôle de plus en plus important des organisations non gouvernementales, surtout dans le domaine humanitaire, mais aussi sur le plan politique, est essentiel à la sécurité humaine. Le meilleur exemple en est probablement la façon dont divers gouvernements, et notamment celui du Canada, ont travaillé de concert avec les organismes bénévoles pour que soit signé le Traité sur les mines antipersonnel.
Comme nous lavons déjà souligné, les préoccupations relatives à la sécurité humaine, combinées au nouvel intérêt de lOTAN pour les événements survenant à lextérieur de sa zone dinfluence immédiate, ont largement contribué à redéfinr la mission globale de lorganisation. Elles ont également été lun des principaux éléments déclencheurs de lintervention au Kosovo. De même, les Nations Unies et les médias populaires sinquiètent de plus en plus des effets quont les conflits intérieurs sur les gens ordinaires. Il en résulte une nouvelle volonté de définir ces événements non seulement comme des problèmes humains, mais aussi comme le point de départ de politiques et de mesures permettant de garantir la sécurité. Cest ce que certains ont appelé le « nouveau maintien de la paix ».
Le nouveau maintien de la paix
Comme nous lavons vu dans les chapitres précédents, lOrganisation du Traité de lAtlantique Nord a été appelée de plus en plus souvent ces dernières années à jouer un rôle dans le maintien de la paix. Dès la fin de la guerre froide, lAlliance a mis de côté la défense collective de ses membres contre déventuelles attaques armées pour sattacher plutôt à la promotion de la sécurité collective, qui consiste à instaurer, notamment en Europe centrale et en Europe de lEst, les conditions économiques, sociales et politiques propres à létablissement de bonnes relations entre les peuples.
En même temps, la nature du « maintien de la paix » a radicalement changé. Auparavant, lÉtat était considéré comme lunité de base, chacun étant souverain à lintérieur de ses frontières. Par conséquent, le « maintien de la paix » visait la prévention des conflits entre les États. Il consistait essentiellement à protéger ou à établir des frontières internationales ou des « lignes de cessez-le-feu » (comme sur le plateau du Golan). Une tierce partie, les Nations Unies par exemple, sengageait à faciliter cette tâche, notamment en fournissant une force neutre jusquà ce que les hostilités aient cessé de part et dautre. Lobjectif était la paix entre les États. De nos jours, cette forme de « maintien de la paix » est souvent qualifiée de « classique », et la Force durgence des Nations Unies (FUNU), établie en 1956 au moment de la crise de Suez, en est considérée comme le modèle.
La nouvelle formule de maintien de la paix, qui a fait son apparition à la fin des années 80, est beaucoup plus ambitieuse(108). Cest lindividu qui en est lunité de base. Chaque individu possède certains droits acquis - les droits de la personne. Autrement dit, chaque citoyen ou sujet jouit de droits plus fondamentaux que ceux qui lui sont conférés par les lois de son pays. Le maintien de la paix vise dès lors la réalisation et la protection de ces droits, afin de contribuer à la « sécurité humaine ».(109)
Dans le cas du Timor-Oriental, lONU a autorisé récemment une mission de protection de la sécurité humaine. À la réunion du 11 septembre 1999 du Conseil de sécurité, le Canada a rappelé ceci aux membres : « Le Conseil a souligné quil était important de traduire en justice les individus qui incitent à la violence ou commettent des actes de violence contre des civils lors des conflits armés, ou ceux qui violent de quelque manière que ce soit le droit humanitaire international et les droits de lhomme »(110). Le 13 septembre 1999, Mme Mary Robinson, responsable des droits de la personne à lONU, a déclaré que la communauté internationale devait tenir lIndonésie responsable des atrocités commises au Timor-Oriental. M. Axworthy sest dit daccord et, le lendemain, il a demandé que ceux qui sétaient rendus coupables de meurtre au Timor-Oriental soient traduits en justice. Depuis lors, diverses initiatives internationales ont été lancées pour aider à la reconstruction sociale et économique du Timor-Oriental. Entretemps, on continue de sinquiéter du non-respect des droits de la personne dans dautres parties de lIndonésie, notamment en Atjeh.
Dans le cas de la Yougoslavie et du Kosovo, cependant, les Nations Unies ne faisant rien, lOTAN est intervenue. Il convient de souligner que la « sécurité humaine » a été invoquée à maintes reprises - et quelle continue de lêtre - pour justifier lintervention de lOTAN en Yougoslavie sans lapprobation de lONU. Selon M. Javier Solana, qui était Secrétaire général de lOTAN au moment de la mission Yougoslavie-Kosovo, cette campagne devait aller de lavant même sans lapprobation de lONU : « Il fallait défendre la population. Cétait lun des coins les plus pauvres de toute lEurope. LAlliance est intervenue pour des raisons morales. Elle ne pouvait pas refuser dagir. »(111)
Un certain nombre dobservateurs ont fait remarquer quil ne sagit pas de choisir entre la formule classique et la nouvelle formule de maintien de la paix, mais bien dappliquer une combinaison appropriée de ces deux approches. Comme la fait remarquer le Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés : « Jespère ne pas paraître trop pessimiste [...] en disant que ce qui sest passé dans le monde au cours des quatre dernières années na rien pour nous convaincre que les mesures douces peuvent être, à elles seules, suffisantes pour circonscrire les conflits, à plus forte raison pour les résoudre ou les prévenir. Le problème - comme la démontré la crise yougoslave -, cest que la manière forte , par exemple lintervention militaire armée, semble tout aussi insuffisante, à elle seule, pour empêcher une guerre ou pour y mettre fin. »(112)
La Charte et le nouveau maintien de la paix
La nouvelle situation soulève dimportants défis pour les Nations Unies. Ses critiques soutiennent quà cet égard, la Charte manque dà-propos, au mieux, et quelle est devenue, au pire, un dangereux obstacle. M. Gwynne Dyer nous a rappelé que laction des Nations Unies repose sur deux piliers : la Charte, qui met laccent sur la souveraineté des États, et la Déclaration des droits de lhomme, assortie de la Convention internationale contre le génocide. Pendant 40 ans, les projecteurs ont été braqués sur le pilier de la souveraineté. « Au terme de la guerre froide, on a entrepris de faire sortir lautre pilier de lombre. « [...] Le problème, bien entendu, cest que, entre ces deux piliers, une contradiction saute aux yeux. Si tous les États étaient absolument souverains, comment pourrait-on faire appliquer les dispositions qui régissent les droits de la personne et interdisent le génocide? » (113)
M. Michael J. Glennon propose une analyse semblable :
[...] au Kosovo, la justice (telle quon la comprend actuellement) et la Charte de lONU ont semblé se heurter. Mais ce nest pas seulement que la Charte de lONU interdit lintervention là où des États éclairés croient maintenant quelle est justifiée; les problèmes quelle pose sont encore plus graves. La Charte repose en effet sur une hypothèse qui nest tout simplement plus valable, à savoir que la violence interétatique constitue la principale menace à la sécurité internationale. Cette hypothèse ne tient plus.(114)
Le rôle du Canada dans le nouveau maintien de la paix
Au cours de ses audiences sur la mission Yougoslavie-Kosovo, le Comité a pris de plus en plus conscience de linfluence de la nouvelle formule de maintien de la paix sur lorientation de la politique étrangère du Canada.
Le ministre canadien des Affaires étrangères sest fait lun des plus ardents défenseurs de ce nouveau maintien de la paix, que ce soit par lOTAN ou lONU. Par exemple, il a dit à plusieurs reprises aux Canadiens, en 1999, que la participation de notre pays à la mission Yougoslavie-Kosovo visait à promouvoir la sécurité humaine : « Cest la terrible situation de [...] civils innocents qui a nécessité notre intervention [au Kosovo] en mars. Lentente daujourdhui nous rapproche de notre objectif de restaurer leur sécurité, leur espoir et leur avenir au Kosovo.(115) » Dautres déclarations du gouvernement canadien ont dailleurs confirmé ce point de vue : « Les principaux motifs du Canada et de ses alliés de lOTAN étaient et demeurent dordre humanitaire. »(116)
Les implications militaires
Dans son discours du Trône doctobre 1999, le gouvernement sengageait, en termes généraux, à fournir à ses forces armées les moyens nécessaires pour relever les défis du nouveau maintien de la paix :
Le gouvernement continuera [...] de veiller à ce que les Forces canadiennes soient en mesure dappuyer le rôle du Canada pour contribuer à la sécurité dans le monde et il sefforcera daccroître la capacité des Canadiens et des Canadiennes daider à assurer la paix et la sécurité dans des pays étrangers.
Comme nous lavons déjà souligné, la capacité quont nos militaires de sacquitter des nombreuses tâches nouvelles quon a exigées deux depuis dix ans soulève des préoccupations. La nouvelle formule de maintien de la paix nest pas moins exigeante que le modèle traditionnel pour les Forces armées canadiennes. En fait, à bien des égards, les opérations comme celle du Kosovo sont à la fois plus difficiles en termes militaires et techniques, et de plus grande portée sur le plan humain. Nous nous contenterons de faire remarquer pour le moment que ladoption dune nouvelle approche axée sur la sécurité humaine impose aux Forces armées canadiennes un ensemble de rôles tout à fait nouveaux, sans pour autant réduire les exigences traditionnelles touchant leur capacité de fonctionner efficacement en tant quunités de combat.
Prendre la sécurité humaine comme point de départ de la politique pose un problème
Rares sont ceux qui contestent lidée que lamélioration de la sécurité humaine est un objectif louable et important, particulièrement pour un pays comme le Canada qui possède une longue tradition dengagement international et qui a toujours accordé une grande importance à lintervention humanitaire.
Le problème réside dans la façon dappliquer les bonnes intentions à la politique étrangère dans son ensemble et aux décisions prises dans situations précises, comme celle du Kosovo. Ce dernier exemple montre que lapproche qui privilégie la sécurité humaine napporte pas de solutions faciles ni évidentes à des conflits complexes et de longue date. Le recours à la force pour aider lune des parties à un conflit a inévitablement des effets néfastes sur dautres personnes, notamment des personnes qui nont rien àvoir avec le conflit.
À partir du moment où elle a compris quil était vain de sattendre à ce que la simple menace de recourir à la force aérienne allait suffire, lOTAN sest retrouvée dans une situation où elle navait plus dautre choix que de larguer ses bombes ou de faire marche arrière. Et lorsque les frappes aériennes ont effectivement commencé, il est vite devenu évident pour tout le monde que même des armes à guidage de précision feraient des victimes des deux côtés. Même si les forces de lOTAN ont pu maintenir leurs pertes au strict minimum, il reste que les attaques aériennes ont tué des Serbes et des Kosovars, provoquant une rapide escalade des représailles de la part des forces serbes. Nous ne faisons que commencer à mesurer toute la portée des opérations menées au Kosovo.
Laspect important à se rappeler ici nest pas tant la façon dont la campagne sest déroulée au Kosovo, mais le fait que bien des gens semblaient croire que ladoption dune approche privilégiant la sécurité humaine allait en quelque sorte faire disparaître les problèmes les plus épineux. La réalité est cependant tout autre puisque la sécurité humaine demeure un concept plutôt vague et mal défini, qui na guère dutilité pour orienter une intervention, faute dun consensus international suffisant quant à sa signification et à son application.
Ce quil faut surtout, ce nest pas de rejeter le concept de sécurité humaine, mais plutôt dadopter une approche réaliste à la politique étrangère. Lapproche de la sécurité humaine tend inévitablement à hausser les attentes du public face à la volonté et à la capacité de pays comme le Canada, dalliances comme lOTAN et de lONU elle-même dintervenir là où il faut. Le cas du Kosovo, de la Somalie, du Timor-Oriental et dautres cas récents montrent à quel point les vrais enjeux et les vraies conséquences sont complexes et, souvent, contradictoires.
Il ne fait aucun doute que limportance accrue accordée à la sécurité humaine entraînera certains changements dans la participation du Canada aux activités des Nations Unies et de lOrganisation du Traité de lAtlantique Nord. Par conséquent, le Sénat voudra sans doute examiner les conséquences probables de cette évolution. Même si le Comité appuie lobjectif gouvernemental consistant à faire de la sécurité humaine le principal thème de la politique étrangère canadienne, il nest pas convaincu que les implications de cette approche aient été suffisamment examinées. En particulier, nous estimons que le gouvernement devrait tenir un débat public sur les moyens quil entend prendre à lavenir pour décider sil doit ou non participer à des missions de maintien de la paix, surtout lorsque la sécurité humaine en est un aspect important.
De plus, comme le laisse entendre le discours du Trône, il est fort possible que cette nouvelle orientation ait des répercussions importantes sur la façon dont les Forces armées canadiennes sacquitteront de leurs rôles de maintien ou de rétablissement de la paix afin de promouvoir la sécurité humaine. En fait, lexpérience au Kosovo a démontré que cette nouvelle politique allait à peu près certainement imposer de nouveaux fardeaux aux pays qui participeront à ces interventions militaires.
Nous sommes également davis quil faut un dialogue plus approfondi, avec le Parlement et avec le grand public, pour passer en revue ce qui sest fait jusquici, et en particulier la façon dont la doctrine a été appliquée à lopération au Kosovo. En examinant attentivement lorganisation et le déroulement de cette mission, notamment à la lumière des questions soulevées ailleurs dans le présent rapport au sujet de son efficacité, le Canada pourra raffiner sa politique et mieux se préparer pour la prochaine situation du même genre. Il pourra aussi apporter une contribution plus utile aux discussions sur les questions connexes à lOTAN et aux Nations Unies.
Conclusions et recommandations
Le concept de « sécurité humaine » est devenu un élément central de la politique étrangère du Canada ces dernières années, mais il doit être mieux examiné, mieux défini et mieux élaboré. Lintervention humanitaire, en tant que fondement de laction internationale, est un concept qui est toujours en évolution et qui na pas encore fait lobjet dune définition claire et acceptée par la communauté internationale. Ce concept attire tout naturellement les Canadiens, mais il présente des risques. Le Canada ne peut intervenir ni participer à une intervention chaque fois que la sécurité humaine est menacée, parce quil nest pas le « bon samaritain » du monde entier. Nous devons fonder nos activités en matière de sécurité sur des assises politiques solides et cibler nos interventions là où elles ont effectivement une valeur et se justifient clairement. Cette justification na pas cependant toujours été énoncée.
Le Canada agit toujours de concert avec ses alliés. Si leurs intérêts sont menacés, les nôtres sont touchés également. Chaque fois que la stabilité ou la sécurité humaine est menacée, nous sommes nous aussi menacés, ne serait-ce quindirectement. Il ny a aucune région du monde, de lAsie du Sud-Est à la Corne de lAfrique, en passant par lAfghanistan, où linstabilité et les conflits ne touchent pas également le Canada de quelque façon.
Le Canada a une contribution vitale à faire au maintien de la paix et au rétablissement de la paix dans le monde. Depuis plus de 40 ans, cette vocation est peut-être lexpression la plus visible de notre politique étrangère, qui est guidée par nos valeurs. Du côté pratique, nous avons beaucoup à apporter; nous savons comment faire, et nous disposons dhommes et de femmes dexpérience capables de diriger. Tous ceux qui ont participé à des opérations de sécurité multilatérales, sous légide de lONU ou dautres organisations, le confirmeront.
Toutefois, le gouvernement du Canada ne met pas ses troupes au service de la communauté internationale simplement pour « faire sa part » ou parce quil y a un problème à régler. Les Forces canadiennes sont plutôt envoyées en mission de maintien de la paix ou de rétablissement de la paix pour les mêmes raisons que celles qui, par le passé, ont justifié leur déploiement en temps de guerre : parce que, dans chaque cas, il a été établi quil était dans lintérêt général du Canada dagir ainsi. Les sacrifices que nous exigeons de nos militaires, hommes et femmes, seraient déraisonnables et injustifiés si ceux-ci ne savaient pas quen uvrant pour la paix, ils servent aussi les intérêts de leur pays et de leurs concitoyens.
Nous devons par conséquent nous garder dintervenir dans chaque conflit où la sécurité humaine est menacée ou chaque fois que les intérêts de nos alliées de lOTAN sont en jeu. Nous ne pourrons jouer un rôle constructif au sein de la communauté mondiale que si nous ne laissons planer aucun doute quant à la portée de notre politique et si nous sommes prêts à assumer les conséquences de nos actes.
Comme le fait valoir Jean Daudelin de lInstitut Nord-Sud :
Le gouvernement et le public canadiens devront accepter que cette politique [ ] [fondée sur la sécurité humaine] [ ] comporte dimportants sacrifices [ ]. Elle suppose quil nous faudra nous salir les mains, parfois dans le sang, et cela fera mal. Si les Canadiens, quils soient ministres, parlementaires ou simples citoyens, ne sont pas prêts, peut-être vaudrait-il mieux envisager des solutions plus simples et plus sûres(117)
Recommandations
7) Nonobstant lappui du Canada au principe de lintervention humanitaire et la volonté louable du gouvernement dappliquer une politique visant à privilégier la sécurité humaine, que le gouvernement veille à ce que la mise en uvre de sa politique se fonde sur les éléments suivants :
- des normes uniformes traduisant un consensus international;
- de bons rouages pour assurer une mise en uvre efficace;
- un vaste débat à léchelle du pays sur les conséquences dune telle intervention;
- une définition du concept de « sécurité humaine » acceptée à léchelle internationale.
8) Quavant de participer à toute intervention internationale pour des raisons de sécurité humaine, le Canada sassure des conditions préalables suivantes :
- une analyse complète du concept de sécurité humaine, dautres implications de la situation et de laction proposée ainsi quun consensus international clair sur la définition du concept de sécurité humaine;
- la reconnaissance dun intérêt clair pour le Canada permettant de justifier sa participation, plus précisément dun intérêt qui appuie nos grandes valeurs et nos grands objectifs en matière de politique étrangère;
- des indications claires que la participation du Canada contribuera de façon positive et significative à laction proposée, et une assurance de la part des dirigeants des Forces canadiennes que le pays est capable dapporter la contribution militaire requise;
- une prise de conscience des risques et des coûts de lintervention;
- lassurance quon a bien pesé toute conséquence négative éventuelle pour dautres intérêts du Canada.
Chapitre VII : LIdentité européenne de sécurité et de défense
LIdentité européenne de sécurité et de défense (IESD) est un vaste concept qui fait référence non seulement à la défense militaire de lUnion européenne, mais aussi au maintien de la paix et de la sécurité de façon générale. Lidée nest pas nouvelle, mais elle a été mise à lavant-plan, au cours de la dernière année environ, lorsque lUnion européenne a cherché à redéfinir son rôle au sein de lOTAN par rapport à celui des États-Unis. Le présent chapitre examine brièvement lévolution de lIESD et des autres formes de restructuration des forces militaires, qui témoignent non seulement des changements survenus dans la vision de la défense européenne, mais aussi dune révolution dans la nature même de la guerre. Les répercussions de lIESD pour lOTAN et le rôle des États-Unis y sont également abordés. Enfin, les conséquences possibles pour le Canada sont évoquées.
Pendant des années, à partir de 1949, la défense de lEurope a essentiellement été tributaire de lOTAN et, dans une large mesure, de la contribution des États-Unis. Il nexistait aucune formule de rechange. La fin de la guerre froide na rien changé à la situation. LOTAN a assuré le maintien dun environnement sûr, un environnement à lintérieur duquel les membres de lAlliance et leurs voisins ont pu se concentrer sur le développement de leurs systèmes économiques et de leurs institutions politiques.
À la même époque, lidée que les pays européens devraient assumer la responsabilité de leur défense commune a commencé à faire son chemin, mais peu de progrès concrets ont été accomplis à cet égard. En matière de sécurité, lEurope de lOuest cherchait avant tout à prévenir une éventuelle agression soviétique; en outre, la Communauté européenne était très absorbée par dautres questions.
Au lendemain de la guerre froide, certains ont pensé que lOTAN, ou du moins l « ancienne »OTAN, nétait plus nécessaire. Le temps était venu pour les pays de la Communauté européenne de sattaquer à la tâche de transformer leur union pour en resserrer les liens et lui donner une identité propre en matière de politique étrangère et de défense, pour quelle puisse mettre en place des politiques pour lensemble de ses membres. Ainsi, lEurope serait en mesure de répondre à ses propres besoins sur le plan du maintien de la paix sans trop compter sur ses partenaires nord-américains de lOTAN. Le Traité de Maastricht, qui est entré en vigueur le 1er décembre 1993, précisait clairement que lUnion européenne envisagée chercherait à établir une « politique étrangère et de sécurité commune ».
Les chefs dÉtat et de gouvernement de lOTAN avaient déjà reconnu le fait que les pays de la Communauté européenne espéraient établir une IESD. Ils ont bien accueilli lidée quun jour la Communauté prendrait des dispositions pour assurer le maintien de la paix en Europe. Toutefois, lIESD, telle quelle était envisagée, nallait pas supplanter complètement lOTAN. Elle devait plutôt « contribuer à lintégrité et à lefficacité de lAlliance dans son ensemble ». Voici, à cet égard, la déclaration quont faite les dirigeants de lOTAN à Rome, en 1991 :
Le fait que les pays de la Communauté européenne travaillent à la réalisation de lunion politique, ainsi quau développement dune identité européenne de sécurité et à la mise en valeur de lUEO [Union de lEurope occidentale] sont des facteurs importants pour la sécurité de lEurope. Le renforcement de la dimension de sécurité dans le cadre du processus dintégration européenne et laccroissement du rôle et des responsabilités des membres européens de lAlliance sont des facteurs positifs qui se renforcent mutuellement. Le développement dune identité de sécurité et dun rôle de défense pour lEurope, dont témoigne la consolidation du pilier européen de lAlliance, servira non seulement les intérêts des États européens, mais contribuera à lintégrité et à lefficacité de lAlliance dans son ensemble.(118)
Naturellement, lIESD ne sest pas concrétisée dans les années 90 : lUnion européenne était occupée à créer lUnion économique et monétaire (UEM) et à régler des questions liées aux institutions gouvernementales et à sa Politique agricole commune, de même quà élargir lOTAN. Faute dIESD, lOTAN sest donnée une nouvelle personnalité pour combler les vides qui existaient dans lattribution des rôles.
Certaines mesures importantes ont néanmoins été prises afin de restructurer les forces de défense européennes.
La restructuration des Forces européennes
Lune des premières mesures concrètes pour amorcer lintégration européenne en matière de défense remonte en 1987, à lépoque où le président Mitterrand et le chancelier Kohl ont fait part de leur intention de constituer une Brigade franco-allemande, dont la création sest finalement concrétisée en janvier 1989. Son succès, conjugué à la fin soudaine de la guerre froide, a incité les deux dirigeants à accroître considérablement lampleur de la collaboration militaire entre leurs pays. Cest ainsi quen mai 1992, ils ont annoncé leur intention formelle de créer un corps européen multinational (lEurocorps) et de le mettre à la disposition de lUnion européenne occidentale (UEO).(119)
Demeurée pour ainsi dire assoupie au cours des décennies qui ont suivi ladoption du Traité de Bruxelles en 1948, lUEO a refait surface en 1984 sur les instances de la France, jouant un rôle clé dans le renforcement du pilier européen de lAlliance. Dans les années qui ont suivi, lUEO a participé à différentes interventions de lONU. Elle a notamment pris part, en collaboration avec lOTAN, à lopération dinterdiction navale dans la mer Adriatique en 1992, en application des sanctions contre lex-Yougoslavie.
À la suite dun accord conclu en 1993 pour préciser les rapports de commandement entre lOTAN et lEurocorps, la Belgique, lEspagne et le Luxembourg ont annoncé quils fourniraient aussi des troupes à cette formation. Leffectif total de lEurocorps sélève aujourdhui à environ 44 000 militaires, dont 14 000 Français, 14 000 Allemands, 12 000 Belges et 3 500 Espagnols.
En 1995 lUEO a également créé deux formations multinationales, lEurofor (Force européenne) et lEuromarfor (Force maritime européenne). Rassemblées à la demande (par opposition à des forces permanentes), elles forment des contingents militaires selon les besoins de chaque opération de contingence. Pour former une force terrestre susceptible datteindre la taille dune division en vue dopérations de maintien de la paix et de contingence dans la région de la Méditerranée, lEurofor peut puiser jusquà 5 000 soldats dans les forces terrestres de chacun des pays suivants : la France, lItalie, le Portugal et lEspagne. De la même façon, lEuromarfor fait appel aux mêmes pays pour réunir les forces navales nécessaires à un déploiement flexible en fonction des besoins.
Outre ces forces de lUEO, un certain nombre de formations militaires binationales ont vu le jour en Europe. Ainsi, les États du Bénélux ont regroupé leurs flottes sous un commandement unifié et permanent et ont créé une force tactique aérienne déployable. LItalie et lEspagne prévoient créer une brigade marine mixte, tandis que la France et le Royaume-Uni ont formé le Groupe aérien européen franco-britannique pour accroître leur capacité dorganisation et de conduite dopérations conjointes.
La révolution dans les affaires militaires
La création de telles forces combinées témoigne non seulement dun désir dadopter une nouvelle approche axée sur la collaboration en matière de défense européenne, mais aussi dune reconnaissance de la nécessité de réagir aux profonds changements survenus dans la nature des opérations militaires.
À la suite de lécrasante victoire des forces de la coalition dans lOpération Tempête du désert, il est devenu largement évident que nous assistions à une révolution dans les affaires militaires (RAM) aussi importante que nimporte quelle autre survenue auparavant, y compris celle provoquée par larrivée des armes nucléaires. La RAM suppose une transformation de la nature de lartillerie de guerre « par suite des progrès de la technologie militaire qui, ajoutés à lévolution de la doctrine et des concepts dorganisation, modifient radicalement le caractère et la conduite des opérations militaires ». Les progrès technologiques réalisés dans le cadre de lactuelle RAM concernent entre autres les munitions à guidage de précision, la technologie de discrétion ainsi que les nouveaux systèmes de surveillance, de commandement et de contrôle. Ces percées permettent de recourir à des forces de précision, daugmenter lefficacité des principales plates-formes militaires et daméliorer la connaissance et le contrôle de lespace de combat.(120)
Les nouvelles technologies faciliteront les opérations interarmes, de sorte quil y aura à lavenir de plus en plus de forces interarmées. Les opérations intégrées air-mer-terre, où les attaques aériennes précèdent souvent les opérations terrestres et où la marine frappe une plus large gamme dobjectifs terrestres, vont devenir courantes. Ainsi, « les concepts de la manuvre dominante, de lengagement de précision, de la protection pluridimensionnelle et de la logistique ciblée devraient jouer un rôle central en situation de combat à lavenir »(121). Le passage de la destruction massive à la guerre de précision entraînera « labandon des armées colossales en faveur de petites forces professionnelles, mieux formées et mieux équipées, dont les unités, intégrées à une structure décisionnelle plus décentralisée, pourront être adaptées parfaitement à la tâche qui leur est assignée ».
Les membres européens de lAlliance ont commencé à se doter de forces capables de partir rapidement vers des théâtres éloignés, de fonctionner en labsence de lignes de communication préétablies et de lappui du pays daccueil, et de combattre efficacement au sein de formations multinationales de la taille dun corps darmée ou même dune division. LOTAN a organisé ces capacités en forces dintervention, dont des commandements et des formations denvergure multinationale, comme la Force terrestre mobile et le Corps de réaction rapide (CRR) du CAE (Commandement allié en Europe) pour les forces terrestres, ainsi que les Forces de réaction immédiate et rapide (air). Le gros du Corps de réaction rapide du CAE provient du Royaume-Uni, qui fournit deux divisions, une brigade aéromobile et la plus grande partie du soutien administratif et logistique.(122)
La France est absente des forces dintervention de lOTAN, puisque ses forces armées ne participent pas à la structure de commandement militaire intégrée de lAlliance. Elle garde cependant sous son commandement national des formations dintervention rapide bien équipées.
Malgré les efforts récents de certains membres de lAlliance, les États-Unis demeurent à lavant-garde de la révolution dans les affaires militaires, ce qui pourrait avoir de profondes répercussions sur leurs relations futures avec lAlliance. Lécart entre eux et les autres pays sur le plan des systèmes de commandement et dinformation, dacquisition dobjectifs et du renseignement saccroît rapidement. Cela peut, comme on la déjà constaté, poser des problèmes dinteropérabilité entre les États-Unis et les autres membres de lAlliance. À long terme, il est important de ne pas laisser lécart sélargir au point de nuire à lefficacité et à la cohésion de lOTAN.
Il sera difficile aux Européens de rattraper leur retard. Pour cela, il leur faudrait en effet accroître leurs budgets de défense, surtout en matière de recherche et de technologie. Or, bien que les économies des États-Unis et de lUE soient à peu près équivalentes (environ 8 billions de dollars), les États-Unis dépensent 290 milliards de dollars par an pour la défense, tandis que lEurope y consacre environ 200 milliards de dollars(123). Et surtout, le budget américain en matière de recherche et de technologie de pointe est de 30 milliards par année, alors que les pays européens y consacrent collectivement moins de 10 milliards de dollars. De plus, selon certains observateurs, le double emploi et le manque de collaboration sont monnaie courante au chapitre des efforts consacrés par les pays européens à la recherche et au développement militaires.(124)
Le partage du fardeau
L idéal serait que lIESD repose sur une convergence naturelle dintérêts entre les piliers européen et nord-américain de lAlliance. Le pilier nord-américain y gagnerait, puisque ses alliés européens assumeraient une part équitable du fardeau financier des dépenses de défense de lAlliance. Pour sa part, le pilier européen pourrait sengager dans les domaines qui correspondent à ses intérêts particuliers sans ingérence de la part des États-Unis. Ainsi, lEurope pourrait, si elle le juge souhaitable ou nécessaire, régler elle-même les problèmes que pose son « étranger proche ». Mais surtout, pour les uns et les autres, lAlliance resterait intacte.
Bien que la restructuration des armées européennes en fonction de la réalité nouvelle progresse, la guerre au Kosovo a fait resurgir dimportantes questions concernant le rôle de lEurope et la nécessité de conclure un nouveau pacte transatlantique. Personne ne doute de la nécessité pour les États-Unis de jouer un rôle dautorité au sein de lOTAN. Toutefois, ceux-ci servent déjà les intérêts de lOccident en assumant lessentiel de la responsabilité de la démonstration de son pouvoir dans le Golfe et sont les principaux partisans de la stabilisation de la situation militaire en Asie ¾ région qui occupe une place de plus en plus importante pour les intérêts économiques de lOccident. Le plaidoyer des Américains en faveur dune augmentation des dépenses consacrées à la défense alliée est compréhensible. Et si les Européens doivent faire un effort plus que symbolique pour instituer une IESD, ils devront améliorer plus que symboliquement leur capacité réelle de combat, de déploiement et de maintien de la paix. Il va sans dire quil leur faudra pour cela augmenter plutôt que diminuer les dépenses consacrées à la défense.
Leffectif combiné de lUE est denviron deux millions de militaires, comparativement à un effectif américain de 1,45 million. Pourtant, lorsquil sest agi de rassembler le nombre nécessaire de soldats professionnels dûment équipés et entraînés pour intervenir au Kosovo, lUE na pu fournir que la moitié de leffectif exigé(125). La plupart des forces européennes nont pas encore été suffisamment restructurées pour être en mesure de réagir au genre de menaces auxquelles lOTAN risque dêtre confrontée dans lavenir.
Les problèmes à résoudre
La création dune Identité européenne de sécurité et de défense exigera une réflexion sur un certain nombre de questions délicates. La secrétaire dÉtat américaine, Madeleine Albright en a évoqué quelques-unes récemment lorsquelle sest interrogée au sujet des relations entre les États-Unis, lOTAN et lIESD(126)
Dabord, il y a la question de la discrimination en fonction de lappartenance. LOTAN compte déjà des pays qui ne sont pas membres de lUnion européenne et, lors de la réunion de Washington, les dirigeants de lAlliance ont réitéré leur appui à la politique douverture en ces termes : « LAlliance demeure ouverte à ladhésion de nouveaux membres en vertu de larticle 10 du Traité de Washington. Elle compte lancer dautres invitations dans les prochaines années aux pays désireux et capables dassumer leurs responsabilités et leurs obligations de membres ». Quels rapports ces pays membres de lOTAN mais non membres de lUE entretiendront-ils avec lIESD?
Sera-t-il politiquement possible pour chacun des principaux gouvernements de lUnion européenne de restructurer ses installations militaires de manière à atténuer le « double emploi » et à répondre aux nouveaux besoins? LItalie, le Danemark, la Grèce et (en particulier) lAllemagne pourront-ils faire face aux répercussions économiques, sociales et éducatives du remplacement de leurs armées de conscrits par des professionnels? LUE parviendra-t-elle créer une IESD sans faire double emploi avec les capacités et la structure de commandement de lOTAN?
Les gouvernements des pays dEurope seront-ils en mesure de consolider et de moderniser leur recherche et leur production militaires pour que leurs forces puissent non seulement relever le défi posé par la révolution dans les affaires militaires, mais soient également compatibles les unes avec les autres et avec celles des États-Unis et du Canada? Les implications économiques sont importantes, étant donné que lune des raisons à lorigine de la création de lIESD réside vraisemblablement dans la volonté de stimuler les industries européeennes de pointe dans le domaine de la défense et de réduire la dépendance à légard des fournisseurs américains.
La France, lAllemagne et la Grande-Bretagne parviendront-elles à sentendre sur une politique étrangère, et chacun de ces pays sera-t-il prêt à se plier aux décisions en matière de politique étrangère prises par dautres groupes de membres de lUnion européenne?
Enfin, considération sans doute la plus importante aux yeux des partenaires nord-américains de lOTAN : la création de lIESD entraînera-t-elle ce que Madeleine Albright appelle un « découplage » entre les États-Unis et lEurope?(127)
La faisabilité de lIESD
Linstauration dune union militaire est une proposition dautant plus intéressante pour les participants quelle suppose aussi « la production darmes, davions, de navires et de satellites en Europe ¾ et que le continent a bien besoin des emplois ainsi créés ».(128)
Toutefois, malgré lenthousiasme de certains, létablissement de lIESD nest peut-être pas pour demain. À Bonn, M. Herbert Wulf, du Bonn International Centre for Conversion, nous a affirmé que le pilier européen est loin dêtre solidement établi. Selon lui, il serait plus réaliste de parler dune structure de sécurité européenne-atlantique. Un autre de nos témoins a souligné que les Européens attendaient toujours la « première commande intégrée dapprovisionnement européen avant de se mettre à luvre ». Lorsque vient le temps de parler dapprovisionnements, les intérêts nationaux occupent encore une place prépondérante, et cela est perçu comme une autre preuve des difficultés inhérentes à létablissement dune IESD efficace.
Le sentiment général chez nos interlocuteurs allemands est que, si lIESD doit être créée, elle doit lêtre en tant que pilier de lOTAN et non en tant quentité autonome. Selon un haut responsable en matière de défense, lIdentité européenne de sécurité et de défense exigera beaucoup de temps avant de devenir réalité, et les Allemands « ne sont pas intéressés à brûler les étapes comme les Français veulent le faire ». Pour les Allemands, les considérations budgétaires sont primordiales. Les représentants allemands ont insisté sur limportance détablir clairement que les moyens de lUEO/UE seront « séparables » et non « séparés » de ceux de lOTAN, doù le maintien de la suprématie de lOTAN.
À Paris, M. Pascal Boniface, directeur de lInstitut international détudes stratégiques, nous a affirmé quil y aura sans aucun doute un pilier européen de défense. M. Boniface soutient quil nest jamais arrivé auparavant dans lhistoire quune puissance politico-économique soit dépourvue de pouvoir militaire. LEurope actuelle est une puissance ¾ qui est de plus en plus intégrée ¾ et, par conséquent, il nest que naturel quelle se dote dune capacité militaire correspondante. Si elle ne le fait pas, elle ne deviendra jamais une puissance stratégique.
Toujours selon M. Boniface, les Britanniques veulent jouer un rôle important dans le nouveau pilier, et les Allemands seront eux aussi appelés à y occuper une place de premier plan maintenant quils ont réussi à mettre leur passé derrière eux. En conclusion, il souligne que lIESD ne saurait fonctionner sans la participation active dune Grande-Bretagne et dune Allemagne fortes. Létablissement du pilier ne devrait pas être perçu comme un désir de la part de lEurope de rompre ses liens de défense avec lAmérique du Nord, mais devrait, selon lui, simplement être vu comme le présage dun nouvel équilibre au sein de lAlliance.
Pour les Français, le modèle privilégié semble être celui à deux piliers distincts : les pays dEurope dun côté, et les pays dAmérique du Nord de lautre. Cette vision est en train de lemporter sur le modèle plus « collectif » implicite dans lidée originale de la communauté atlantique.(129)
M. Pierre Lellouche, secrétaire de la Commission de la défense et des forces armées de lAssemblée nationale de France, a précisé aux membres du Comité que lUEO « voudra une relation qui la placera au moins sur un pied dégalité avec les États-Unis ». Il a aussi soutenu que les Européens sont maintenant dans une position pour se prendre eux-mêmes en main, mais sont réticents à dépenser les sommes nécessaires à cette fin. Sils veulent devenir une force avec laquelle il faut compter, les Européens devront investir dans léquipement. Pourtant, les budgets de défense sont à la baisse un peu partout.
À Londres, le professeur Clarke a fait valoir que « les tendances actuelles laissent entrevoir que la grande question, au chapitre des relations transatlantiques, ne sera pas de savoir si lUnion européenne établira sa propre identité de défense en complément de lOTAN, mais si les membres européens de lOTAN établiront, au sein de lAlliance, un modus operandi qui leur permettra vraiment dagir avec plus dindépendance, au cas où linitiative des États-Unis ferait défaut ». Le professeur a souligné que laRAMallait certainement compliquer cette tendance.
Un rôle permanent pour les États-Unis
Bien que lenthousiasme européen à légard de la création dune IESD arrive peut-être à point, la guerre au Kosovo a démontré la prépondérance militaire des États-Unis, dont la capacité militaire a permis à lAlliance de mener la campagne à bien. Il est clair que les Européens auraient eu du mal à réaliser, par leurs propres moyens, une opération de maintien de la paix, même restreinte. Ils demeurent fortement tributaires des États-Unis aux chapitres du transport, des communications, du renseignement ainsi que des systèmes de commande et de contrôle. Pour linstant, seuls les États-Unis sont en mesure de déployer une force militaire de taille loin de leur territoire et de ly maintenir pendant une longue période.
Deux questions ont été soulevées dans ce contexte. Premièrement, du point de vue des Européens, pourquoi les États-Unis devraient-ils diriger les efforts de lEurope pour régler les situations de crise provoquées par l« étranger proche »? Voici ce qua dit à ce sujet M. Strobe Talbot, sous-secrétaire dÉtat américain : « De nombreux Européens semblent déterminés à ne plus jamais se sentir aussi dominés par les États-Unis que durant la crise au Kosovo ou même celle en Bosnie ». Deuxièmement, si lon examine la question du point de vue des Américains, pourquoi les États-Unis devraient-ils assumer une grande part des coûts financiers et politiques associés au maintien de la paix en Europe? Voici ce quen pense M. Talbot : « Beaucoup dAméricains pensent que les États-Unis ne devraient plus jamais avoir à assumer la part du lion des missions dangereuses entreprises dans le cadre dune opération de lOTAN, ni avoir à payer le gros des dépenses »(130). Ce point de vue revêt dautant plus dimportance que les États-Unis ont des intérêts impératifs ailleurs ¾ en Asie et dans le Golfe, par exemple.
Par conséquent, les États-Unis sont généralement favorables au mouvement en faveur de létablissement de lIESD, et il ressort des entrevues que nous avons menées quils sont disposés à le rester tant que lIESD nentravera ni ne supplantera les institutions et les missions de lOTAN. À Washington, des représentants officiels nous ont affirmé ne pas être contre létablissement dune IESD, surtout si celle-ci favorise la création de forces militaires plus mobiles en Europe. Bon nombre de ces dernières sont encore perçues comme tirant de larrière dans la RAM et comme ayant des structures mieux adaptées pour mener la guerre froide que pour faire face aux risques nouveaux.(131)
Toutefois, si les États-Unis voient dun bon il linitiative européenne, ils posent certaines conditions. Comme la souligné M. James Robertson, directeur de la politique de lOTAN, Bureau du secrétaire adjoint à la défense, le lien transatlantique doit demeurer intact, et il doit y avoir une certaine participation des pays nord-américains et des autres pays de lAlliance non membres de lUE. De même, les États-Unis aimeraient que les Européens mettent laccent sur les mêmes « améliorations militaires » queux-mêmes privilégient ¾ particulièrement pour ce qui relève de la révolution dans les affaires militaires. M. Robert Simmons, conseiller spécial pour les affaires de lOTAN au Département dÉtat américain, a également insisté sur limportance de faire en sorte que la création de lIESD ne se fasse pas au détriment de lAlliance de lAtlantique Nord.
La crainte des Américains dêtre « entraînés » dans laventure européenne est compréhensible, tout comme dailleurs leur insistance sur la nécessité de reconnaître à lOTAN « le droit de premier refus » lorsque lUnion européenne décide de déployer les moyens de lOTAN sous légide de lIESD. La position des Américains est la suivante : parce que lIESD sert de complément à lOTAN plutôt que dêtre en concurrence avec elle, les discussions initiales au sujet des opérations militaires possibles devraient avoir lieu à lintérieur des cadres de lOTAN. Cette condition ne sera pas bien prisée par les Français, qui croient que les membres de lUE devraient être capables de décider de ces questions eux-mêmes. Si les États-Unis décident de ne pas participer à une intervention jugée importante par les Européens, alors les moyens de lOTAN seraient automatiquement mis à la disposition de lUE.
Les conséquences pour le Canada
Dans le contexte de lémergence possible dune Identité européenne de sécurité et de défense, le Canada se demande évidemment où sera sa place, sil en a une, et ce quil adviendra de ses intérêts et de son point de vue. La réalisation dune IESD, ou même des progrès importants en ce sens, soulèverait de sérieuses questions au sujet de lavenir du Canada au sein de lOTAN.
Une nouvelle entité européenne assumerait la responsabilité principale de la sécurité en Europe, tandis que les moyens et services mis à sa disposition par lOTAN ¾ renseignement, transport de charges lourdes, structure de commandement et de contrôle ¾ proviendraient principalement des États-Unis. Quelle serait la contribution du Canada, qui est le seul pays non européen de taille moyenne membre de lOTAN? Et de quelle façon le Canada interviendrait-il ou serait-il consulté en cas de désaccord entre les titans européens et américains de la défense? Ce que lon craint, cest que ces questions ne se règlent sans que le Canada puisse exprimer ses préoccupations ou agir comme médiateur.
LIESD deviendra-t-elle réalité? De toute évidence, il est possible quau cours de la prochaine décennie, lunification de lEurope ne progresse pas au point où lUnion aura une véritable identité de sécurité et de défense. Selon le professeur David Bercuson, il est de plus en plus évident que « le modèle « à deux piliers » ou de type « haltère » de lAlliance ¾ les pays européens constituant un pilier et les pays dAmérique du Nord lautre ¾ est en train de lemporter sur le modèle plus « collectif » implicite dans lidée originale de la communauté atlantique ».(132)
Conclusions et recommandations
Il est évident que lémergence dune Identité européenne de sécurité et de défense (IESD) pourrait soulever de graves questions quant au contrôle des moyens de lOTAN et au rôle du Canada dans la prise de décisions au sein de cet organisme, notamment lorsque viendra le temps de nous prononcer sur un éventuel retrait de lOTAN. Cest pourquoi nous nous sommes interrogés sur la façon dont le Canada devrait envisager lIESD.
La tendance en matière de sécurité, en Europe, est claire. Les Européens sont plus enclins que jamais à privilégier leurs intérêts dans les enjeux concernant lEurope et à laisser tomber lancienne idée de l« Atlantique Nord ». Alors que le nouveau mandat de lOTAN, tel quil a été présenté dans le nouveau concept stratégique de lOrganisation, semble élargir la portée de notre participation potentielle à la sécurité de lEurope, les changements qui se produisent en Europe semblent vouloir nous exclure du processus politique et décisionnel.
LIdentité européenne de sécurité et de défense est un facteur important pour le rôle du Canada dans lOTAN, tout comme elle lest pour le régime de sécurité de lEurope de lOuest. Si, en créant lIESD, nos alliés européens deviennent des intervenants indépendants en matière de défense, cela influera fondamentalement sur lOTAN et sur nos relations avec lAlliance. De plus, lémergence dune IESD efficace, qui aura pour effet dencourager lapprovisionnement en Europe, pourrait avoir des conséquences économiques fâcheuses pour le Canada, en particulier en ce qui a trait aux marchés exploités par nos industries de défense.
Nous en venons à la conclusion que le Canada devrait, dans lélaboration de sa politique étrangère et de plans pour ses forces de défense, sérieusement tenir compte de la possibilité quune IESD voie le jour. Notre première préoccupation devrait être simplement de faire en sorte que le Canada soit suffisamment informé et consulté et puisse avoir son mot à dire lorsquil sera question des relations entre lOTAN et une éventuelle IESD. Lors de ces discussions, nous devrions défendre fermement les intérêts du Canada dans des dossiers comme le déploiement des moyens de lOTAN dans le contexte de lIESD.
Malgré les espoirs quelle soulève en Europe, lIESD reste encore à réaliser. Même si nous ne pouvons prédire lavenir de lIESD ni ses répercussions précises, le Comité en est arrivé à la conclusion que ces questions méritent dêtre étudiées très attentivement et de façon continue par les ministres compétents et leurs représentants.
Contrairement aux États-Unis, qui ont revu et modifié leur position à ce sujet au cours des derniers mois, le Canada na pas de position officielle claire à légard de lIESD. Il doit en formuler une et suivre attentivement lévolution de la question.
Recommandations
- Que le gouvernement du Canada insiste pour que lOTAN précise explicitement les circonstances dans lesquelles lUnion européenne pourrait déployer les moyens de lAlliance.
- Que le Canada adopte sans délai une position officielle claire à légard de lIdentité européenne de sécurité et de défense (IESD.
- Que le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères suive de près lévolution de lIdentité européenne de défense et de sécurité (IESD) et fasse rapport des progrès présentant un intérêt pour le Canada.
Chapitre VIII : Le Parlement et les engagements du Canada à létranger en matière de sécurité
Depuis la fin de la guerre froide, de profonds changements ont transformé le contexte de la sécurité mondiale. Ces dix dernières années, les engagements acceptés par le Canada en matière de sécurité, qui vont du maintien de la paix au rétablissement de la paix, en passant par la participation à deux conflits importants, ont constitué un lourd fardeau pour nos forces armées. Pourtant, pendant cette même période, le rôle du Parlement dans les décisions relatives à ces engagements et dans dautres décisions de politique étrangère a été, au mieux, sporadique. Il semble important au Comité de voir sil est possible détoffer le rôle des deux chambres du Parlement à cet égard et comment y parvenir.
Lidée que le Parlement devrait avoir un rôle plus précis à jouer dans les importantes décisions de politique étrangère (p. ex., lacceptation de nouvelles obligations liées à des traités et la participation à des missions de maintien de la paix) na rien de neuf. Des observateurs ainsi que des hommes et femmes politiques intéressés ont régulièrement défendu cette thèse. Que lobjectif visé en élargissant le rôle du Parlement consiste à mieux faire comprendre au public les questions de politique étrangère ou à reconnaître la nécessité dune participation du pouvoir législatif, ou « représentatif », aux décisions sur des questions de guerre et de paix, il ny a guère dintervenants pour sy opposer en principe.
Cela fait toutefois surgir un certain nombre de questions pratiques à la fois importantes et difficiles. Quel est le degré approprié de participation du Parlement à la prise de décisions clés en politique étrangère? Comment les deux chambres du Parlement peuvent-elles contribuer à létude de ces questions sans compromettre la capacité du Canada de réagir rapidement et efficacement aux crises internationales? Et comment le Parlement peut-il participer sans chercher à sarroger un rôle propre à lexécutif qui, dans notre régime, revient au premier ministre et au Cabinet? Dans le présent chapitre, nous nous penchons sur le rôle que devrait jouer le Parlement dans la politique étrangère du Canada et donnons un bref aperçu de sa position à cet égard. À cette fin, nous verrons ce qui sest fait par le passé et quelles sont les pratiques de certains de nos alliés. Pour conclure, nous esquisserons quelques possibilités de réforme du rôle du Parlement.
Participation accrue du Canada aux opérations de lONU et de lOTAN
Lintervention plus active de lONU depuis la guerre froide sest traduite par des exigences accrues pour des États membres comme le Canada, qui participent régulièrement aux opérations de lOrganisation en matière de sécurité. Outre le fait que le nombre et lampleur des opérations ont augmenté en flèche(133), les missions elles-mêmes sont souvent plus complexes et plus dangereuses que les missions classiques de maintien de la paix. Des opérations autorisées par lONU, par exemple la guerre du Golfe et lintervention en Somalie, la mission en ex-Yougoslavie et lactuelle mission de la KFOR au Kosovo, sont loin de ressembler à celles menées à Suez, à Chypre et sur le plateau du Golan. Parallèlement, les ressources militaires canadiennes ont été de plus en plus exploitées à la limite, en raison des compressions budgétaires et de la réduction de leffectif.
Cette évolution de la situation en a amené certains à réclamer un meilleur contrôle parlementaire des affaires militaires. Des recommandations en ce sens ont été formulées par le Comité mixte spécial sur la politique de défense du Canada, en 1994, et par la Commission d'enquête sur le déploiement des Forces canadiennes en Somalie, en 1997. Pourtant, les choses ne semblent guère avoir bougé.
Du côté de lOTAN, dans léquation de la politique étrangère et militaire du Canada, la situation nest pas meilleure. En 1999, le Canada a accueilli trois nouveaux membres de lOTAN et signé le nouveau concept stratégique de lAlliance. Ce concept confirme et fait progresser la transformation de lOTAN en une organisation vouée à la sécurité régionale et dont le champ dintérêt sétend désormais au reste de lEurope et à lex-Union soviétique. En 1999 toujours, comme nous lavons déjà vu, le Canada et dautres alliés de lOTAN ont lancé une campagne de frappes aériennes contre la Yougoslavie à cause de la situation au Kosovo. Cétait la première fois, depuis la naissance de lONU, que le Canada participait à un conflit à létranger sans lautorisation des Nations Unies. Toutes ces importantes décisions de politique militaire et étrangère ont été prises uniquement par le gouvernement, sans que le Parlement soit appelé à se prononcer, ni même à tenir un débat.
Outre laide de 10 millions de dollars que le Canada accorde aux trois nouveaux membres de lOTAN, la nouvelle vague dexpansion de lOrganisation se traduit bien entendu par un élargissement de la portée de nos obligations collectives en matière de défense aux termes de larticle 5 du Traité de lAtlantique Nord. Comme la expliqué M. Kim Nossal, lexpansion de lOTAN constitue « un nouvel engagement officiel denvoyer du sang et des deniers canadiens dans le cas dune attaque contre nos nouveaux alliés »(134). Dans leur témoignage au Comité, le colonel à la retraite Douglas Fraser, du Conseil canadien pour la paix et la sécurité internationales, et M. Nossal ont déploré labsence de tout débat au Canada avant ladmission des trois nouveaux membres.(135)
Bien que le nouveau mandat élargi de lAlliance en matière de sécurité régionale nait pas été consacré par le Traité proprement dit, le nouveau concept stratégique constitue lénoncé central de politique de lAlliance. Et même si le Canada nest pas légalement tenu de participer à des interventions qui ne découlent pas de larticle 5, par exemple au Kosovo, il a tout au moins lobligation morale de ne pas rejeter ces opérations du revers de la main.
Bien sûr, lexécutif doit rendre compte de ses décisions au Parlement et, finalement, aux électeurs. Mais, vu la grande portée et le caractère irrévocable que ces décisions peuvent revêtir, il semble raisonnable de se demander si une étude a posteriori de la politique de lexécutif sur ce plan peut suffire. Après tout, les assemblées législatives dautres pays semblent jouer un plus grand rôle que celui du Parlement canadien dans les décisions de politique étrangère. En outre, les usages passés du Canada semblaient faire place à une participation plus active du Parlement à létude des dossiers de la politique étrangère.
Le droit et la pratique au Canada
Le rôle direct du Parlement
En droit constitutionnel canadien, la situation est claire. Lexécutif peut, sans consulter le Parlement ni obtenir son approbation, engager les Forces canadiennes dans des opérations à létranger, quil sagisse dopérations ponctuelles particulières ou dengagements qui pourraient découler ultérieurement de nos obligations aux termes de traités internationaux.
Selon la Constitution canadienne, la reine est investie du commandement des Forces armées et dautres pouvoirs classiques de lexécutif, et ce commandement est exercé en son nom par le Cabinet fédéral, qui agit sous la conduite du premier ministre.(136) Ces pouvoirs exécutifs comprennent la déclaration de la guerre, lacceptation dobligations aux termes de traités et la conduite des affaires étrangères en général. Du point de vue constitutionnel, le Parlement na guère de rôle direct à jouer sur ce plan.
En common law, les pouvoirs du gouvernement exécutif comprennent le droit daccomplir les « actes de lÉtat », soit déclarer la guerre, faire la paix et conclure et ratifier des traités. Cependant, aucun « acte de lÉtat » ne peut modifier les lois intérieures du Canada. Ainsi, bien que lÉtat puisse ratifier un traité, les dispositions de celui-ci ne sappliqueront pas au Canada si elles vont à lencontre des lois canadiennes en vigueur. Par conséquent, de nombreux traités et accords internationaux lAccord de libre-échange nord-américain, par exemple ne peuvent entrer en vigueur que par adoption dune loi en ce sens par le Parlement fédéral (ou les assemblées législatives des provinces, si la question est du ressort des provinces).
Évidemment, le Parlement, et surtout la Chambre des communes, joue un rôle indispensable, quoique indirect, en votant ou refusant les crédits, et en accordant sa confiance au gouvernement ou en la lui retirant. De plus, en dehors dun vote proprement dit, il existe dautres mécanismes qui permettent aux parlementaires dobliger le gouvernement à rendre compte de ses décisions et de faire connaître leurs propres vues: questions posées aux ministres, débats sur les prévisions budgétaires et débats thématiques.
Le Parlement a également des rôles précis à jouer, aux termes de dispositions législatives, dans le contexte de certaines urgences nationales et relativement à lintervention des Forces canadiennes. Si lexécutif a besoin de pouvoirs spéciaux pour faire face à une « crise internationale » ou à un « état de guerre », la Loi sur les mesures durgence exige que le Parlement confirme une déclaration du gouverneur en conseil sur lexistence même de la situation durgence(137). La Loi dispose également que les décrets ou règlements pris par le gouverneur en conseil en application de la Loi doivent être déposés devant les deux chambres du Parlement dans les deux jours de séance suivant la date de leur prise, et que lexercice des pouvoirs durgence par le gouvernement doit être examiné par un comité mixte spécial du Parlement.(138)
De même, larticle 32 de la Loi sur la défense nationale exige que le Parlement (à moins quil ne soit dissous à ce moment) siège lorsque le gouverneur en conseil met en « service actif » les Forces canadiennes ou quelque élément constitutif de celles-ci, ou dans les dix jours suivants.(139) Même si cette loi ne reconnaît au Parlement aucun droit explicite à cet égard,(140) lexigence en question renforce probablement lobligation faite à lappareil exécutif de rendre des comptes au Parlement en pareilles circonstances, puisquelle garantit la présence de parlementaires sur place pour interroger et contester le gouvernement.
De façon générale, toutefois, le gouvernement est tenu de répondre des « actes de lÉtat » du fait quil doit conserver la confiance de la Chambre des communes. Lorsque la Chambre cesse de lui témoigner cette confiance, il doit démissionner ou déclencher des élections.
Le critère de confiance ultime est lacceptation, par la Chambre des communes, des crédits demandés par le gouvernement. Aux termes de larticle 106 de la Loi constitutionnelle de 1867, seul le Parlement peut autoriser la dépense de largent du Trésor. Des nos jours, les Lois de crédits sont habituellement proposées quatre fois au cours de lexercice financier, ce qui donne au Parlement de fréquentes occasions dexprimer ses vues de cette manière.
En 1999-2000, des fonds ont été affectés expressément pour les missions au Kosovo et au Timor-Oriental.(141) On peut donc soutenir que ladoption des Lois de crédits correspondantes, pour cet exercice financier, exprime le soutien du Parlement à la participation du Canada tant à la campagne en Yougoslavie et au Kosovo quà la mission au Timor-Oriental.
Pratiques passées du Canada
Plus tôt au cours du XXe siècle, il semble quun rôle officiel était acquis au Parlement dans lapprobation dinitiatives importantes en politique étrangère. Le Canada na commencé à affirmer son autonomie officielle dans les affaires internationales quà la fin de la Première Guerre mondiale, mais, déjà en 1923, le premier ministre W.L. Mackenzie King déclarait que seul le Parlement devrait, en dernier ressort, décider de la participation du Canada à des conflits à létranger.(142)
En 1926, le premier ministre King a pris un engagement semblable au sujet des obligations découlant de traités, proposant une résolution qui a été adoptée à lunanimité par la Chambre des communes :
Cette Chambre [ ] est en outre davis quil faudrait obtenir lassentiment du Parlement du Canada avant que les ministres canadiens de sa Majesté ne conseillent la ratification dun traité ou dune convention produisant des effets au Canada, ou ne signifient leur acceptation de quelque traité, convention ou accord que ce soit qui prévoit des sanctions militaires ou économiques.(143)
Lorsque la Seconde Guerre mondiale a éclaté, le premier ministre King a veillé à ce que le Parlement débatte et adopte une résolution en faveur de lentrée du Canada dans la guerre contre lAllemagne avant que ne soit faite la déclaration de guerre officielle, en septembre 1939.
Quant aux engagements à légard de traités importants, la Charte des Nations Unies, en 1945, et le Traité de lAtlantique Nord, en 1949, ont tous deux été soumis au Parlement pour débat et approbation avant leur ratification par lexécutif. De manière analogue, le Parlement a débattu et préalablement approuvé la ratification par le gouvernement de protocoles subséquents au Traité de lAtlantique Nord, prévoyant ladmission de la Grèce et de la Turquie, en 1952, et de lAllemagne, en 1955.(144)
Depuis le début des années 50 cependant, la participation du Parlement à la décision dengager des troupes canadiennes dans des conflits étrangers est sporadique. Le Parlement a parfois été consulté (p. ex., Chypre, le golfe Persique et la Somalie) et parfois non (p. ex., la Corée, le Zaïre et le Kosovo).
Certains sont davis que, dans bien des cas, lintervention du Parlement nest pas nécessaire étant donné que la participation du Canada à toutes les opérations autorisées par lONU, de la Corée jusquau Timor-Oriental, découle directement de son appartenance à cette organisation et de la ratification de sa Charte, que le Parlement a lui-même approuvée en octobre 1945. Cependant, à strictement parler, le Canada nétait pas tenu, par la ratification de la Charte ni par son appartenance à lONU, de contribuer aux forces armées engagées dans ces opérations.
Comme il a déjà été signalé, la campagne de bombardements de lOTAN contre la Yougoslavie pour défendre le Kosovo, en 1999, na pas été autorisée par lONU, et elle ne relevait pas non plus des obligations du Traité de lAtlantique Nord. Il ne semble pas possible de rattacher directement la participation du Canada à ce conflit à un engagement contracté dans un traité antérieur, et encore moins à un engagement confirmé par le Parlement.
Le rôle du Parlement dans lexamen des accords internationaux a connu le même sort. LAccord sur la défense aérienne de l'Amérique du Nord (NORAD), en 1958, et les renouvellements ultérieurs de cet accord nont pas été soumis à lapprobation du Parlement. Ce texte reposait sur un accord de lexécutif, entre les gouvernements du Canada et des États-Unis, qui nexigeait pas de ratification et qui, par conséquent, semblait échapper à la pratique décrite par le gouvernement King.
Mais même lorsquil sagit de traités officiels exigeant une ratification, la pratique canadienne consistant à obtenir lapprobation préalable du Parlement semble être tombée en désuétude. Le Parlement na joué aucun rôle dans la ratification des protocoles du Traité de lAtlantique Nord approuvant ladmission de lEspagne à lOTAN, en 1982, et de la Pologne, de la République tchèque et de la Hongrie, en 1999. Même un usage bien ancré comme le dépôt des accords internationaux au Parlement a été abandonné. À une certaine époque, cet usage sétendait à des accords très variés, y compris ceux qui ne prenaient pas la forme de traités, et même les communiqués finals de réunions internationales comme celles du Conseil de lAtlantique Nord.
Ainsi, à lexception peut-être dune déclaration de guerre, le Canada na pas prévu de rôle habituel pour le Parlement dans lapprobation de la participation à des opérations militaires à létranger ou des engagements du Canada découlant de traités internationaux. En outre, en ce qui concerne la question précise du déploiement à létranger de Forces canadiennes, les motions dopposition et les mesures dinitiative parlementaire à ce sujet ont toujours été rejetées. Le Comité est davis que cette situation est inacceptable; le Parlement devrait toujours être consulté à propos des traités internationaux importants et lorsque des troupes canadiennes sont déployées à létranger.
La situation dans dautres pays
Il semble que la plupart de nos principaux alliés donnent un rôle officiel plus considérable à leurs assemblées législatives dans lexamen des grandes décisions de politique étrangère. Des membres de lOTAN comme la France, lAllemagne, le Danemark, lItalie et les États-Unis sont tous tenus par leur constitution dobtenir lapprobation du pouvoir législatif pour certaines catégories de traités avant de les ratifier. De plus, aux États-Unis et dans une grande partie de lEurope continentale, cest lassemblée législative, seule ou de concert avec lexécutif, qui déclare la guerre. En outre, et cela revêt peut-être plus dimportance aujourdhui, les États-Unis et le Danemark sont obligés par la loi de faire approuver par lassemblée législative le déploiement de forces militaires à létranger, que la guerre ait été déclarée ou non, sauf sil sagit de réagir à une attaque.(145)
Dans bien des pays, cependant, le rôle de lassemblée législative sest érodé à cause de la tendance, ces dernières décennies, à adopter des accords internationaux dun caractère moins officiel. Le Congrès des États-Unis a pris des mesures modestes en vue de réaffirmer son rôle dans ces cas. En 1972, il a adopté la loi Case-Zablocki, qui oblige le secrétaire dÉtat à communiquer au Congrès le texte de « tout accord international autre quun traité auquel les États-Unis sont partie » dans les 60 jours suivant son entrée en vigueur à légard des États-Unis. Certes, cette exigence ne confère au Congrès aucun rôle direct dans lapprobation de ces accords qui ne sont pas des traités, mais elle permet à ses membres dêtre informés et dexercer un certain contrôle sur la conduite des affaires étrangères par lexécutif.
Au Canada et dans dautres pays dont les régimes sinspirent du modèle de Westminster, des traités peuvent être utilisés pour guider linterprétation des lois, mais ils ne constituent ni ne touchent le droit interne à moins quils ne soient adoptés par voie législative au Parlement. Néanmoins, dans un certain nombre dautres régimes semblables, on sest efforcé de garantir le rôle du Parlement dans lélaboration des traités. Au Royaume-Uni même, une coutume appelée la règle « Ponsonby » exige depuis 1920 que les accords internationaux qui doivent être ratifiés soient communiqués aux chambres du Parlement au moins 21 jours avant la ratification. Une longue tradition, au Royaume-Uni, veut aussi que le Parlement soit invité à donner son approbation à des traités controversés et importants, même lorsque la ratification nest pas nécessaire.
En 1996, lAustralie a apporté des réformes à ses modalités délaboration des traités pour faire participer directement et officiellement les parlementaires à lexamen des accords internationaux. Voici les principaux éléments de réforme :
le dépôt obligatoire des traités au Parlement au moins 15 jours de séance avant que ne soit prise une mesure exécutoire;
la préparation et le dépôt au Parlement dune « analyse de lintérêt national » pour chaque traité;
la mise sur pied dun comité mixte permanent des traités, dont le mandat est dexaminer les mesures proposées en matière de traités et de faire rapport à ce sujet.(146)
La possibilité dun rôle accru pour le Parlement
Comme il est mentionné plus haut, les principaux moyens que le Parlement possède pour jouer un rôle dans la politique étrangère et de défense du Canada sont ladoption ou le rejet des crédits et la possibilité de retirer sa confiance au gouvernement. En principe, cela est juste, mais ce nest pas une vraie réponse à la question politique de savoir sil faut renforcer le rôle de surveillance du Parlement et comment il faut le faire.
Pour commencer, refuser les crédits au gouvernement et lui retirer la confiance de la Chambre sont des moyens assez brutaux dexprimer des vues divergentes sur des questions semblables. De plus, les occasions de faire un examen et dexprimer une dissidence que procure létude des crédits ne peuvent pas toujours être mises à profit de manière efficace ou opportune. Dans le cas du Kosovo, par exemple, ce nest quen novembre 1999, cinq mois après la fin de lintervention, que le Parlement a été invité à voter les crédits expressément affectés aux opérations.
Conférer un rôle officiel aux deux chambres du Parlement dans lexamen ou lapprobation des accords internationaux semblerait être un moyen relativement peu controversé daméliorer la surveillance parlementaire de la politique étrangère. Après tout, ce ne serait que revenir aux usages passés du Canada.
Il semblerait logique que, comme première mesure, on rétablisse lobligation de déposer les traités et autres accords internationaux. En outre, on pourrait envisager dinstaurer lexigence que tout nouvel accord international soit étudié par un comité de lune des chambres ou des deux avant que des mesures exécutoires ne soient prises, comme on la fait en Australie, et peut-être aussi que les accords les plus importants soient approuvés par résolution.
Quelle que soit lapproche adoptée pour que le Parlement ait de nouveau la possibilité de participer à ladoption ou à létude des traités, il faut sassurer que le choix des accords internationaux qui seront étudiés ou approuvés par le Parlement repose sur le contenu de ces accords plutôt que sur leur forme. À cet égard, il est particulièrement important que les accords qui touchent les engagements du Canada en matière de sécurité internationale soient de ceux qui sont soumis à létude ou à lapprobation du Parlement. Ce nest pas simplement à cause de limportance inhérente de ces questions, mais aussi parce que, autrement, le Parlement nen serait jamais saisi, puisque, en général, ils nexigent pas de lois de mise en uvre.
Nous croyons que, lorsque des militaires canadiens sont exposés à des dangers, il faut à tout le moins que le Parlement tienne à la première occasion un débat complet et éclairé. Il ny aurait pas forcément un vote, mais le gouvernement devrait exposer tous les facteurs qui ont influé sur la décision : les circonstances régnant sur le théâtre des opérations, lévaluation des risques, les ressources militaires disponibles, etc.
En outre, le gouvernement devrait obtenir laccord exprès des deux chambres du Parlement chaque fois que des soldats canadiens sont déployés à létranger dans des circonstances où ils risquent fort de participer à des hostilités. Comme dans le cas de la résolution sur les pouvoirs de guerre aux États-Unis, toute exigence semblable devrait préserver la capacité, pour lexécutif, dagir avant ladoption dune résolution, lorsque les circonstances lexigent, ou sans aucune résolution, lorsque le Canada a été attaqué ou quon lui a déclaré la guerre.
Bien que lexigence de la tenue dun vote en bonne et due forme et sans délai au Parlement sur des opérations militaires à létranger puisse en fin de compte être considérée comme non souhaitable ou irréalisable sur les plans de la politique ou de la procédure, il ne faut pas sempresser de rejeter lidée sous prétexte quelle est incompatible avec la démocratie parlementaire au Canada. On peut même dire que cette pratique pourrait avoir un effet salutaire puisque les parlementaires participeraient davantage aux affaires étrangères et militaires et que les décisions jouiraient dun surcroît de légitimité démocratique.
Conclusions et recommandations
L'une des principales questions sur lesquelles le Comité s'est penché concernait le rôle que le Parlement devrait jouer dans la détermination de lapproche à adopter par le Canada à légard de ses engagements internationaux et, en particulier, de son éventuelle intervention dans un conflit intérieur dun État.
Limportance du rôle du Parlement est indéniable. Cest particulièrement vrai à l'heure actuelle où le débat public compte et où les Canadiens veulent que leurs représentants à la Chambre des communes et au Sénat sattaquent aux enjeux vitaux de sécurité internationale qui touchent le Canada.
Les Canadiens veulent être informés des politiques qui influent sur le rôle de leur pays dans le monde et veulent participer à leur élaboration. Si le Canada veut respecter ses obligations en matière de sécurité dans un contexte international en rapide évolution, le gouvernement doit être prêt à préciser ce quil entend par « sécurité humaine » et ce que le Canada devrait être prêt à faire en tant que pays pour soutenir son engagement envers la sécurité mondiale et le développement humain.
Le Sénat et la Chambre des communes représentent les Canadiens. Le débat parlementaire est la façon la plus simple et la plus respectueuse de consulter la population du Canada sur les enjeux vitaux de la sécurité nationale.
Les gouvernements canadiens qui se sont succédé nont pas toujours consulté systématiquement le Sénat et la Chambre des communes sur les questions de politique étrangère. Souvent, ils ont omis de le faire lorsque les forces canadiennes étaient engagées dans des opérations de rétablissement de la paix à létranger. Cette absence de consultation des deux chambres va à lencontre des conventions propres à un régime parlementaire. En effet, de nombreuses autres démocraties fonctionnant selon la tradition constitutionnelle britannique ont institutionnalisé des modes de consultation et dapprobation relativement à ces questions, que le Canada ferait bien dadopter lui aussi.
Les membres du Comité ont également noté que les parlementaires eux-mêmes ne cherchent pas aussi activement quils le pourraient à participer au débat sur les affaires internationales. En règle générale et malgré quelques exceptions notables, les membres des deux chambres ne se prévalent pas pleinement des occasions qui leur sont déjà offertes dexprimer leur point de vue sur ces questions.
Les membres du Comité estiment quil serait particulièrement utile que le Comité procède chaque année à lexamen du Budget des dépenses du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international et de celui du ministère de la Défense. Les sénateurs auraient ainsi loccasion de se pencher avec les ministres et leurs représentants sur le genre denjeux dont il est question dans le présent rapport.
Recommandations
12) Que le Parlement joue un rôle direct dans lexamen et lapprobation des accords internationaux importants (comme ceux liés à lexpansion de lOTAN), et quil soit consulté, dans la mesure du possible, avant que le gouvernement ne prenne des mesures exécutoires.
13) Que le Sénat et la Chambre des communes puissent, dans les meilleurs délais, débattre la participation du Canada aux interventions militaires et aux conflits externes, notamment aux missions de maintien et de rétablissement de la paix, et puissent donner leur approbation à cet égard. Il incomberait alors au gouvernement de préciser quels sont exactement les intérêts du Canada et quelles sont les limites de son intervention dans ces situations.
14) Au cours de la prochaine année, que le Parlement débatte les grands aspects de la politique de sécurité du Canada, notamment :
- la participation future du Canada aux opérations de maintien de la paix en tant que membre des Nations Unies et de lOTAN;
- les conséquences de la mise en place dune Identité européenne de sécurité et de défense;
- la signification et les conséquences de ladoption du concept de sécurité humaine comme pilier de la politique étrangère du Canada.
15) Que le Budget principal des dépenses du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international et celui du ministère de la Défense nationale soient soumis à lexamen du Comité sénatorial permanent des affaires étrangères.