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Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule 14 - Témoignages du 13 avril 2000


OTTAWA, le jeudi 13 avril 2000

Le comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel a été renvoyé le projet de loi C-2, Loi concernant l'élection des députés à la Chambre des communes, modifiant certaines lois et abrogeant certaines autres lois, se réunit aujourd'hui à 10 h 45 pour examiner le projet de loi.

Le sénateur Lorna Milne (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente: Nous recevons ce matin M. Aaron Freeman, qui est membre du conseil d'administration de Démocratie en surveillance. M. Freeman nous a écrit récemment.

Vous avez la parole, monsieur Freeman. Allez-y.

M. Aaron Freeman, membre du conseil d'administration, Démocratie en surveillance: Je vous remercie de cette occasion de vous parler de ce projet de loi qui est la pierre angulaire du processus démocratique au Canada. On sait depuis longtemps, au Canada, qu'il est essentiel de connaître les bailleurs de fonds du processus politique, et que cela a un effet purificateur sur la politique, comme le rappelait le comité Barbeau dans les années 60.

Le projet de loi C-2 est la première modification importante que le Parlement apporte au système de financement des partis depuis 15 ans. Dans le processus d'élaboration du projet de loi, les groupes de citoyens ont suivi les règles. Nous nous sommes organisés pour présenter une série de recommandations raisonnables et faciles à mettre en oeuvre qui élimineraient les échappatoires et nettoieraient et démocratiseraient le système de financement politique. Nos recommandations étaient fondées sur le rapport de la Commission royale d'enquête sur la réforme électorale et le financement des partis présidée par Pierre Lortie, à la demande du gouvernement, sur une série de rapports annuels du directeur général des élections et sur une étude de l'ensemble des administrations publiques en Amérique du Nord.

Nous avons le soutien de 47 organismes de toutes les régions du Canada, des grandes organisations nationales aux plus petites organisations communautaires. On y retrouve des groupes de santé, des groupes d'expansion économique communautaire, des groupes environnementaux, des groupes de jeunes, des groupes de consommateurs, enfin, toutes les organisations qui ont compris que tant que des groupes d'intérêts aux goussets bien garnis ont un accès préférentiel au régime politique, grâce à leur argent, les personnes qui ont à coeur la santé, les droits des consommateurs, l'environnement et le reste auront du mal à se faire entendre. Leur voix est d'autant plus faible quand d'autres sont amplifiées par l'argent.

Nous avons présenté nos recommandations avant le dépôt du projet de loi, pendant les consultations à la Chambre et maintenant ici, au Sénat. Jusqu'ici, ces préoccupations n'ont dans l'ensemble pas été prises en compte. Le projet de loi C-2 n'a pas éliminé les échappatoires bien connues du régime de financement électoral au Canada. Sans obligation légale d'informer le public, les donateurs peuvent toujours cacher leurs dons en les adressant à des associations de comté, à des députés entre les élections ou, comme nous l'avons récemment appris de l'Alliance canadienne, pendant des campagnes à la direction du parti. Le public ne recevra toujours de renseignements sur ce qui est divulgué que 18 mois après que le don aura été fait. Il n'y aura toujours aucune limite aux dons faits aux politiciens dont le but est d'influencer le processus politique.

Toutes ces lacunes demeurent, malgré le fait qu'ailleurs, on les ait corrigées. Le Québec et l'Ontario ont plafonné les dons. Le Québec a interdit les contributions de la part d'entreprises et de syndicats. Aux États-Unis, tous les dons effectués à des candidats à la présidence sont divulgués mensuellement, jusqu'au jour de l'élection. J'étudie la question depuis quatre ans et jusqu'ici, personne ni à Élections Canada ni ailleurs dans le monde politique ou dans celui des campagnes de financement de partis, n'a pu me fournir de raisons techniques pour expliquer qu'on ne puisse présenter de rapports trimestriels sur les dons, ici, au Canada.

Pendant la rédaction du projet de loi C-2 et son processus d'amendement, le Parlement aurait dû envisager d'adopter des normes de responsabilisation aussi élevées que celles du Mexique, qui vient de mettre en oeuvre tout un régime de financement public. Selon la formule adoptée, environ 70 p. 100 du financement est fondé sur le pourcentage du vote populaire reçu par le parti et 30 p. 100, est divisé également entre les partis, ce qui permet aux petits et aux nouveaux partis de participer de manière significative au processus.

Ce matin, Démocratie en surveillance a publié des renseignements sur un lobbyiste industriel qui préside la campagne de collecte de fonds du secrétaire d'État pour les institutions financières internationales. Le même homme agit comme lobbyiste auprès du gouvernement fédéral au nom des institutions financières, y compris auprès du ministère des Finances. Les lacunes dont nous parlons permettent ce genre de conflits et les exacerbent même.

Il va de soi que certaines de nos recommandations ont été chaleureusement accueillies par quelques parlementaires. En novembre, un journaliste a demandé à Don Boudria s'il y aurait une divulgation trimestrielle des dons aux partis politiques. Il a dit qu'il ne rejetait pas l'idée, mais il ne l'a pas intégrée au projet de loi. Au bout du compte, la Chambre des communes a maintenu le statu quo -- les lacunes demeurent et permettent aux riches d'avoir accès au processus politique. Cela s'est produit malgré l'intervention des groupes de citoyens. Pour la première fois, pour une loi électorale, on a agi sans le consentement des partis de l'opposition. Tout le monde à l'exception des libéraux a suivi les règles, mais on ne nous a pas écoutés.

Ici, au Sénat, des sénateurs se sont inquiétés de la transparence du système de financement politique au Canada. S'adressant au Sénat, le sénateur Oliver a déclaré: «La transparence s'impose dans le cas de ceux qui donnent de l'argent en vue d'influer sur le processus politique. Le culte du secret en ce domaine ne fait que saper la confiance du public.» Le sénateur Di Nino a aussi présenté de bons arguments en faveur du financement public. Toutefois, tout porte à croire que les autres sénateurs ne leur ont pas emboîté le pas pour défendre ces préoccupations -- du moins, pas là où ça compte, c'est-à-dire au moyen de ce projet de loi. Le sénateur Dan Hays, cité il y a trois semaines dans la revue Macleans, aurait dit que ce qu'il préférerait, en tant que militant et non en tant que parlementaire, serait une plus grande transparence à l'échelle des comtés. Je ne vois pas très bien pourquoi Dan Hays le militant veut davantage de transparence alors que Dan Hays le parlementaire estime qu'il est acceptable de cacher les dons politiques.

Ici, à la fin du processus, à l'étape du second examen objectif, j'aurais voulu présenter une offre aux sénateurs du comité, ainsi qu'aux autres sénateurs. Si nous pouvons vous donner des preuves concrètes et irréfutables de l'existence des lacunes du système de divulgation au Canada et de leur exploitation dans le but de cacher des dons politiques à des partis ou à des candidats, êtes-vous prêts à modifier le projet de loi C-2 pour éliminer ces échappatoires et à le renvoyer pour approbation à la Chambre de communes? J'aimerais beaucoup que les honorables sénateurs répondent aujourd'hui à cette question, ici même, et je répondrai volontiers aux vôtres.

Le sénateur Andreychuk: Merci pour votre exposé. Nous avons tous reçu votre lettre et nous avons discuté de la réponse à y donner. J'ai répondu à votre lettre en vous demandant davantage d'informations, que je n'ai pas reçues. J'ai reçu une lettre où vous expliquiez votre définition du mot «finances». Quelle définition avez-vous utilisée? C'est important pour moi.

M. Freeman: La définition de «finances», comme dans une activité de financement?

Le sénateur Andreychuk: Oui. Comment définissez-vous «activité de financement» et comment utilisez-vous ce terme?

M. Freeman: Une «activité de financement» est la collaboration à l'organisation de tout effort visant à faire parvenir des fonds à un parti politique ou à un candidat. Je ne saurais être plus clair.

Le sénateur Andreychuk: Dans votre mémoire, vous avez parlé d'abus et d'échappatoires. Dans les années 60 et 70, j'ai travaillé à encourager les personnes de notre société qui avaient du mal à se présenter comme candidats. On m'a souvent demandé de donner 10 $ ou 20 $ pour encourager les femmes et les membres des minorités visibles. Voulez-vous attirer ce genre de dons? Je ne garderais jamais de dossiers de ce genre.

M. Freeman: Non. Je suis en faveur du seuil proposé dans la Loi électorale du Canada. En deçà du seuil, qui est actuellement de 100 $, les dons n'ont pas à être divulgués.

Mon objectif n'est pas de créer un autre palier de bureaucratie, surtout pas au niveau des circonscriptions, où travaillent habituellement surtout des bénévoles. Nous sommes préoccupés par les lacunes qui permettent à des gens de faire des dons sans divulgation aucune. Nous n'avons pas de position au sujet des dons de moins de 100 $, sinon en précisant que la divulgation des dons doit être fonction des dons cumulatifs, ce qui n'est pas expliqué actuellement dans la loi. En théorie, actuellement, vous pourriez tirer 100 chèques de 99 $ sans qu'il y ait de divulgation. C'est une petite lacune que nous voudrions corriger. Je voudrais certainement encourager les efforts déployés pour encourager des groupes sous-représentés à présenter des candidats.

Le sénateur Andreychuk: Dans votre exposé, vous avez dit qu'une partie du problème vient de la concentration de la richesse, qui aurait une influence indue sur notre régime démocratique. Je suis d'accord avec vous. Mais que dites-vous du fait qu'il y a des questions environnementales légitimes, des questions d'ordre social et public qui reçoivent parfois l'appui de personnes riches? Grâce à ces dons, les organisations représentant un point de vue particulier peuvent se défendre. Je pense à des questions comme la chasse aux phoques. Beaucoup d'entre nous ont peut-être pensé au départ qu'il y avait une façon humanitaire de régler ce problème ainsi que celui des droits des animaux. Ce n'est qu'après que les yeux du monde entier se soient posés sur nous que nous avons commencé à réfléchir à l'effet de tout cela sur les Autochtones et leur survie économique. Des sommes énormes ont été accordées censément à des ONG qui ont influencé le processus démocratique. Proposez-vous des limites pour les ONG qui, elles aussi, adoptent des biais particuliers?

M. Freeman: Comme nous le disons dans notre mémoire, nous sommes en faveur des dépenses par les tiers, ce qui pourrait étonner certains sénateurs du comité ainsi que des témoins qui nous ont précédés. Je crois qu'il y a une différence entre les organismes comme les groupes environnementaux et d'autres ONG, d'une part, et le gouvernement du Canada, d'autre part. Le gouvernement du Canada fait des lois, mais pas le Fonds international pour la défense des animaux. Je ne veux nullement minimiser le rôle légitime des ONG dans le processus démocratique. Mais le processus politique, soit le gouvernement, est surveillé et financé par les contribuables. Au bout du compte, ce sont eux qui font les lois.

Le sénateur Andreychuk: Je suis tout à fait pour les ONG, mais elles adoptent des chevaux de bataille pour influencer le processus politique, et profiter du gouvernement. Les ONG ont des allégements fiscaux à cause de leur statut d'organisme à but non lucratif. Si je suis vos arguments jusqu'au bout, ne faudrait-il pas prendre en compte tous ces autres aspects du soutien accordé par le gouvernement à ces groupes?

M. Freeman: Je ne parlerai qu'au nom de Démocratie en surveillance et en mon nom propre. J'ai aussi fait partie d'une coalition appelée «Money in Politics Coalition» qui regroupait 47 organismes. Nous allons maintenant au-delà des recommandations de ces groupes. Pour ce qui est de mon opinion personnelle sur les ONG, et je peux aussi parler au nom de Démocratie en surveillance à ce sujet, nous estimons que les ONG doivent être très ouvertes au sujet de leur financement.

Démocratie en surveillance reçoit du financement de particuliers de tout le pays. La moyenne des dons que nous recevons est de 45 $. Nous avons reçu deux ou trois dons de plus de 1 000 $, je crois, dont l'un de M. Dan Ackroyd, qui fait partie de notre comité consultatif. En général, nous ne recevons pas d'argent d'entreprises. Nous avons bien reçu de l'argent d'une fondation, la Fondation Trillium, pour certains de nos projets. Je suis en faveur de divulgations de ce genre pour les ONG.

Le sénateur Andreychuk: Êtes-vous donc satisfait des recommandations faites ici au sujet des tiers, ou proposez-vous une autre méthode?

M. Freeman: D'un point de vue philosophique, nous sommes d'accord avec la Cour suprême du Canada: il faut arriver à un équilibre entre la justice électorale et la liberté d'expression. J'irais même plus loin, en disant que la capacité de dépenser de l'argent n'équivaut pas à la capacité de s'exprimer. C'est un argument très fort en faveur des dépenses des tiers.

Il y a eu un débat très animé sur les dépenses des tiers pendant les audiences de la Chambre des communes sur ce projet de loi. Démocratie en surveillance propose un modèle un peu différent: nous pensons que la capacité de dépenser pendant une élection devrait être proportionnelle au soutien populaire d'un organisme. L'un des problèmes actuels des limites de dépenses pour les tiers, c'est qu'elles sont conçues de manière à empêcher le regroupement des fonds. Nous estimons que ce n'est pas démocratique. Vous ne pouvez combiner vos limites. En réponse à cela, le gouvernement a porté la limite à 150 000 $. Démocratie en surveillance estime qu'il aurait été préférable de dire qu'un organisme peut dépenser pour appuyer ou contrecarrer un candidat ou un point de vue pendant une élection, mais qu'elle doit auparavant prouver que ce point de vue a un soutien populaire. L'organisme ne servirait qu'à regrouper les fonds.

En pratique, cet organisme, le Fonds international pour la défense des animaux, par exemple, inclurait dans son bulletin de nouvelles une question à laquelle le donateur répondrait. Elle demanderait à ses membres de préciser les causes qu'ils appuient: oui, je veux qu'on dépense de l'argent pour lutter contre la chasse aux phoques, pour se débarrasser de tel candidat, pour élire un tel autre, ou quelque chose comme ça. Le donateur de l'organisme coche une case et renvoie le document. L'organisme peut alors consacrer une partie de sa limite, disons 4 p. 100, à telle ou telle cause. Le calcul figurerait dans le rapport. L'organisme pourrait dépenser une portion de cette limite, au nom de ses membres. Si l'organisme peut obtenir l'appui de 10 000 membres, ils peuvent dépenser chacun 100 $. Le Fonds international peut, lui, dépenser le total. Je ne suis pas très bon en calcul.

Voilà le modèle que nous proposons. Il en serait de même pour les entreprises, les actionnaires, les syndicats, etc. Nous pensons que c'est plus démocratique comme formule.

La présidente: Y a-t-il d'autres questions pour le témoin?

Monsieur Freeman, j'aimerais savoir qu'elle est votre méthode? Faites-vous des démarches auprès du gouvernement comme vous le faites aujourd'hui, ou comme vous l'avez fait à la Chambre des communes, pour proposer des modifications aux lois? Votre organisme participe-t-il aux élections? Le cas échéant, comment?

M. Freeman: Nous n'appuyons aucun parti politique. Nous sommes probablement l'ONG la moins partisane à Ottawa. Nous travaillons avec le gouvernement sur divers textes législatifs. Nous comparaissons souvent devant les comités de la Chambre et du Sénat, sur diverses questions.

Démocratie en surveillance a récemment comparu sur des questions relatives aux banques, devant des comités de la Chambre et du Sénat. Nous avons comparu sur les modifications à la Loi sur l'enregistrement des lobbyistes, en 1994. Nous travaillons avec divers ministères et ministres. Nous collaborons avec le ministère des Finances, pour les questions relatives aux banques et aux institutions financières. Nous avons fréquemment travaillé sur ces questions avec les gens d'Élections Canada.

Nous sommes une ONG. Nous sommes un groupe de revendication. C'est parfois notre rôle de critiquer le gouvernement. Nous avons aussi pour tâche de fournir des idées et un soutien conceptuel, si vous me passez l'expression, pour les propositions législatives que nous offrons.

La présidente: Par conséquent, vos démarches auprès du gouvernement s'effectuent au niveau gouvernemental plutôt qu'au niveau électoral? Je pose la question parce que divers témoins se préoccupaient de la Loi électorale surtout du point de vue électoral. Beaucoup d'entre nous, autour de la table, n'étaient pas à l'aise avec certains d'entre eux parce qu'il s'agissait de groupes de protestation, ciblant des comtés particuliers plutôt que de se présenter eux-mêmes aux élections ou, comme vous le faites, plutôt que de faire des démarches auprès du gouvernement.

M. Freeman: Oui. Parlez-vous de partisanerie? Est-ce de cela que vous parlez?

La présidente: Non, ils étaient plus anti-partisans que partisans.

M. Freeman: Nous n'avons jamais appuyé un parti. Nous n'avons jamais parachuté de candidats dans une circonscription ni tenté de détrôner un député.

La présidente: Le mot «détrôner» n'est probablement pas bien choisi.

M. Freeman: Désolé. Même pendant les élections, nous nous concentrons sur nos idées et sur les changements que nous voulons apporter aux projets de loi.

Le sénateur Joyal: Monsieur Freeman, comme beaucoup de mes collègues, j'ai reçu une lettre de votre organisme me demandant de parler publiquement de mes activités de financement pour le Parti libéral du Canada. Je n'ai pas d'objection à dire publiquement, ni à vous l'écrire sur papier, officiellement, que j'ai des activités de financement. Je pense que c'est tout à fait légal et tout à fait éthique. Cela ne me met pas dans une situation de conflit d'intérêts à titre de législateur. C'est chose publique; on peut juger si mes activités compromettent mon rôle de législateur.

Je peux vous dire que je contribue chaque année au Parti libéral du Canada. Je le fais depuis environ 32 ans. Depuis 15 ans, je préside le Comité des politiques du Parti libéral du Canada, au Québec. J'ai été réélu à ce poste huit fois de suite. Chaque année, je fais partie du comité organisateur du dîner-bénéfice du Parti libéral. Quand des élections sont déclenchées, je contribue personnellement à la caisse des candidats que je connais un peu mieux, et qui m'intéressent de plus près, par exemple le candidat de la circonscription dont j'ai été le député pendant 14 ans.

Je ne crois pas qu'une lettre soit nécessaire pour que les gens sachent que je contribue au parti. C'est chose publique; c'est inscrit, comme vous le savez, dans les données que doit publier le directeur général des élections, en vertu de la loi. Mon nom est imprimé sur le programme du dîner-bénéfice de chaque année. Il est écrit au dos. Ce n'est pas un secret. Des journalistes y assistent.

Cela ne crée pas pour moi de conflit d'intérêts. Même si je donnais plus de 50 000 $ par an, soit le maximum reçu par le parti d'entreprises canadiennes, je ne serais pas dans une position plus privilégiée, pour l'information, que tout autre citoyen canadien, puisque c'est bien connu. N'importe qui peut juger de mon indépendance d'esprit ou de mes préjugés. Nous sommes jugés.

En termes démocratiques, l'article 1 de la Charte dit très clairement qu'il faut interdire ce qui serait déraisonnable dans une société libre et démocratique. Je ne crois pas qu'un sénateur ou un député qui contribue à la caisse d'un parti qu'il représente à l'Assemblée législative soit d'une façon ou d'une autre dans une position priviligiée. Personne au Canada ne vous dira que pour participer à des activités publiques, il faut éviter de contribuer à la caisse d'un parti. On n'encourage nullement la démocratie en jetant le doute sur les personnes qui sont actives en politique. Au contraire, cela déconsidère la démocratie.

Je suis en faveur de la participation de tiers à nos débats et délibérations, c'est-à-dire de n'importe quels groupes au Canada, quelles que soient leurs allégeances. Cela fait partie du processus législatif, qui doit être ouvert, juste, et permettre l'expression de toutes les opinions, extrêmes ou non. C'est ainsi que nous aimons que soit dirigé notre pays. Si un groupe ou une personne estime que le système n'est pas sain, il peut s'adresser aux tribunaux, en vertu de la Charte des droits. C'est ainsi que nous fonctionnons, au Canada.

Votre lettre me demandait de divulguer ces choses, comme si elles n'étaient pas déjà publiques. Je suis désolé, mais ma place au sein de mon parti est connue. Le mandat que j'ai reçu du parti est public aussi. On m'élit à ce poste tous les deux ans. Chaque année, je contribue à la caisse du parti et cette information est divulguée. Le ton de votre lettre était offensant pour moi. Elle laissait sous-entendre que mes activités politiques m'enlevaient la capacité de légiférer, pour le projet de loi C-2. Je ne suis pas d'accord.

Je suis heureux que vous soyez là ce matin. Vous nous avez exposé votre point de vue, j'ai présenté le mien. Je parle en mon nom sur cette question. Je n'ai pas encore répondu à votre lettre, mais si je l'avais fait, voici ce que je vous aurais dit. Il vaut beaucoup mieux mettre tout cela au grand jour que de laisser planer des doutes sur la réputation des personnes qui contribuent activement au système. Ce n'est pas facile pour nous. Croyez-moi, ce n'est pas une partie de plaisir. Si vous voulez être équitable --, car la démocratie, c'est une question d'équité, -- il faut le reconnaître.

M. Freeman: Merci, sénateur Joyal. Je regrette que vous ayez pris aussi personnellement la lettre que nous avons adressée aux membres du comité.

Je vais répondre aux questions que vous avez soulevées, mais avant cela je voudrais vous demander quelque chose. Auriez-vous la même opinion si certains des rôles que jouent les personnalités publiques et certains dons faits à un parti politique -- et notre lettre n'insistait pas là-dessus -- n'étaient pas publics?

Le sénateur Joyal: Je vous ai dit clairement que j'étais tout à fait d'accord pour une divulgation totale des montants supérieurs à 100 $. En dessous de ce montant, c'est une goutte d'eau dans l'océan. J'estime que la divulgation est l'élément clé fondamental de la démocratie.

M. Freeman: Nous sommes d'accord.

Le sénateur Joyal: Vous êtes d'accord, et je suis d'accord avec vous. Je partage ce point de vue et ce principe fondamental. Toute forme de régime public doit s'appuyer sur la divulgation. Toutefois, au-delà de ce principe, je ne vois pas pourquoi, sous prétexte que j'aurais fait une contribution au Parti libéral, même si c'était un montant extrême de un million de dollars par an, ce qui serait plus que n'importe quelle contribution versée au Canada, je me trouverais en situation privilégiée. Quand j'exprime mon point de vue ici, mes collègues m'écoutent et jugent si j'ai tort ou j'ai raison. Ensuite, ils votent, et c'est tout. Ils sont libres de penser ce qu'ils veulent. Je ne peux pas acheter leur vote, même si je fais un don au parti.

La présidente: Permettez-vous d'intervenir ici au sujet de la lettre que je vous ai envoyée, monsieur Freeman. Le paragraphe 65(4) du Règlement du Sénat stipule:

Un sénateur n'a pas le droit de participer à un vote sur une question où il ou elle a un intérêt pécuniaire que ne partage pas le public. Son vote est alors annulé.

Je vous assure que tous les sénateurs prennent cela très au sérieux.

M. Freeman: Pour répondre à la question du sénateur Joyal, le fait est que les dons politiques -- et encore une fois, ma lettre ne portait pas sur les dons politiques, elle était exclusivement axée sur les activités de financement -- et ce rôle de financement ne sont pas toujours divulgués publiquement. Il y a des zones d'ombre dans le régime qui permettent aux donateurs de dissimuler leurs donations. Ces brèches dans le système sont utilisées. Comme nous l'avons dit ce matin, le principal responsable du financement du secrétaire d'État (Institutions financières internationales) qui est un ancien député, est un lobbyiste qui fait du lobbying auprès du ministère des Finances. Nous estimons que cela soulève un grave problème d'éthique. Nous avons découvert cela par hasard. Ces choses-là ne sont pas publiques. C'est pourquoi nous voulons qu'elles le soient.

Nous vous avons envoyé cette lettre parce que nous avons ici un projet de loi qui régit le financement des partis. Nous estimons que, si un sénateur ou une personnalité publique examine ce projet de loi en vue de légiférer dans ce domaine, il est raisonnable que le public sache si ce sénateur a un rôle à jouer dans le financement des partis. Nous ne cherchons pas à ternir l'image des gens qui financent des partis, mais nous estimons que c'est pertinent et que ces choses-là ne sont pas toujours publiques. En ce qui vous concerne, c'est le cas, et c'est très bien, mais ces financements ne sont pas systématiquement divulgués, pas plus que les dons politiques.

La présidente: Nous allons essayer d'abréger ces questions.

Le sénateur Joyal: Ce que je veux dire, c'est qu'il n'y a pas de régime parfait. Nous aurons beau améliorer le nôtre, et je suis bien d'accord pour cela, il n'en reste pas moins que l'autre régime qui limite les contributions des citoyens n'est pas parfait non plus. Je peux vous dire comment cela fonctionne en coulisses. Je l'ai vu moi-même. Par exemple, le président d'une société téléphone à ses agents et leur dit: «Voici 500 $ ou 2 000 $ à verser au parti X, Y ou Z.» On peut toujours contourner le système. Nous le savons et vous le savez aussi. J'en suis certain. Tout ce que je dis, c'est que les députés et les sénateurs sont soumis à des règles d'éthique très strictes. On peut améliorer ces règles. On peut les modifier, les durcir, on peut alourdir les sanctions, etc., mais quand nous sommes assermentés, nous nous engageons à divulguer tous nos conflits d'intérêts.

Quand vous siégez sous une bannière politique, vous avez une sorte de devoir moral d'appuyer le parti pour lequel vous travaillez. Vous le faites en acceptant une responsabilité publique dans le cadre de ce parti, en versant une contribution ou en participant à certaines activités. Il y a diverses façons de le faire. Je ne vois pas pourquoi un sénateur ou un député cacherait le fait qu'il contribue financièrement à un parti. C'est pourquoi, même si vous avez raison de dire que certaines catégories de personnes au gouvernement devraient être plus étroitement réglementées, je ne pense pas que la réglementation qui vise actuellement les législateurs soit erronée ou truffée d'échappatoires au point que cela devrait devenir notre principal objectif.

M. Freeman: Si je peux vous donner des preuves concrètes et irréfutables de l'existence d'échappatoires qui sont utilisées, modifierez-vous la loi?

Le sénateur Joyal: Dites-moi ce que vous avez à l'esprit et nous en discuterons. Je n'aime pas qu'on vienne me dire: «Voici un revolver sur la table. Mettez-le sur votre tempe et appuyez sur la détente pour voir s'il y a une balle dedans.» Ce n'est pas comme cela que nous fonctionnons. Présentez-nous votre point de vue et nous jugerons.

La présidente: Je voudrais rappeler à M. Freeman que nous parlons ici de dons en général et d'un projet de loi que nous essayons d'examiner de manière intelligente pour déterminer les règles des dons en général et pour éliminer les échappatoires. Je vous invite à vous en tenir à ce sujet.

M. Freeman: Dans cette lettre, nous demandons la divulgation de la rémunération des personnes qui s'occupent du financement. Avez-vous été rémunéré pour vos activités de financement?

La présidente: Monsieur Freeman, je viens de vous demander de vous en tenir au projet de loi que nous examinons.

M. Freeman: Si c'est le cas, je ferai une déclaration générale.

Le sénateur Joyal: Je peux répondre: non.

M. Freeman: C'est tout ce que nous demandions.

Je suis d'accord avec vous quand vous dites que nous n'aurons jamais un régime parfait au Canada, ni nulle part ailleurs, soit dit en passant. Mais j'estime que ce n'est pas une raison pour laisser ouvertes les échappatoires existantes. Nous devrions chercher à avoir un régime parfait en sachant très bien que cela ne sera probablement jamais le cas, mais pour cela, nous devons adopter des modifications et des lois qui nous permettront de progresser dans le sens d'une plus grande démocratie, de dispositions plus complètes, et non pas plus laxistes, en matière de divulgation. Or, ce n'est pas le cas dans ce projet de loi. Il y a des lacunes. Nous savons qu'elles existent. Elles sont bien connues, et pourtant le projet de loi n'en parle pas.

La présidente: Honorables sénateurs, les hauts fonctionnaires du Bureau du Conseil privé sont revenus aujourd'hui pour répondre aux questions des sénateurs.

Le sénateur Fraser: Je vous signale simplement, monsieur Freeman, que si vous êtes au courant de faits qui concernent notre étude, il vous appartient de les présenter sans les assortir de conditions préalables.

Ma question concerne la limitation des dépenses des tierces parties. Je me pose des questions. Vous recommandez que les tierces parties puissent dépenser autant que les partis officiels ou les candidats. Or, la Cour suprême a dit clairement dans l'affaire Libman que cela ne devait pas être autorisé. Elle a dit clairement que les tierces parties ne devraient pas pouvoir dépenser autant que les partis car ce sont les partis et les candidats officiels qui cherchent à se faire élire, autrement dit c'est parmi eux que les électeurs doivent choisir. Je pense que la Cour suprême voulait dire que toutes les dépenses devaient être axées sur cet objectif, et non risquer de semer la confusion. Comment vous situez-vous par rapport à cette décision de la Cour suprême?

M. Freeman: J'approuve la décision de la Cour suprême. La Cour suprême a d'ailleurs mentionné une autre raison pour laquelle la limite imposée aux tierces parties devrait être inférieure à celle qui concerne les partis et les candidats. Il y a d'innombrable tierces parties alors qu'il n'y a que quelques candidats et partis officiels.

Nous ne spécifions pas de limite. Il y a des lignes directrices. La Cour suprême approuve explicitement la recommandation de la commission Lortie, qui est de 1 000 $. Au Québec, la limite est de 3 000 $. En Ontario, elle est plus élevée et il y a aussi des échappatoires dans ce système.

Le sénateur Fraser: À la page 22 de votre document, vous dites:

[...] les dépenses de chaque tierce partie seraient limitées à un montant correspondant à la limite de ce que peuvent dépenser les partis et candidats officiels. [...] Toutefois, les tierces parties ne seraient pas autorisées à dépenser plus que ce que chaque candidat pourrait dépenser si elles voulaient consacrer leurs efforts à la circonscription de ce candidat.

M. Freeman: C'est un peu confus, car nous sommes d'accord pour utiliser la limite des dépenses des candidats et des partis comme point de repère, mais il faut tenir compte de la présence de très nombreuses tierces parties dans une circonscription ou dans le pays. Vous avez raison, c'est un peu confus.

Le sénateur Fraser: Mais en gros, vous approuvez la position de la Cour suprême?

M. Freeman: Oui.

Le sénateur Pearson: Nous n'aurons jamais un régime parfait pour la bonne raison qu'aucun de nous n'est parfait, ni les électeurs, ni les politiciens. Tout ce que nous essayons de faire s'inscrit dans la limite de nos imperfections. Il est impossible d'être parfait. La démocratie n'est pas une question de perfection. De nombreux électeurs votent pour un candidat dans l'espoir que ce candidat fera quelque chose pour eux. Et alors? C'est la démocratie. On essaie d'élire un gouvernement dans l'espoir qu'il vous sera favorable. On ne devrait même pas parler de perfection car c'est une idée, comme l'utopie, qui finit par être plus néfaste que bonne.

J'ai une question au sujet de la divulgation. Je suis pour la transparence, mais ce genre de question se posait quand je vivais en Union soviétique. Il y a forcément quelqu'un à l'autre bout pour recevoir l'information. Tout le monde me disait d'être très prudente car tout ce que je disais était enregistré. Je me demandais toujours qui, à l'autre bout, pouvait bien savoir ce que disait mon mari quand moi je ne pouvais pas le savoir.

Quelle quantité d'énergie peut-on consacrer à l'analyse de toutes les informations divulguées? Vous avez une masse de personnes qui analysent toutes les informations provenant de Revenu Canada, etc.?

M. Freeman: Non, il n'y en a qu'une, et c'est moi. Ce qui compte, c'est le principe de la divulgation. S'il y a divulgation, les journalistes présents dans cette salle que j'ai vu parcourir certains des classeurs dans les bureaux d'Élections Canada pourront trouver l'information. S'il y a divulgation, il faut se dire que quelqu'un analysera et examinera les informations.

Encore une fois, il n'est pas question d'atteindre la perfection. Nous n'avons absolument pas parlé de cela ici. Ce que nous voulons, c'est un régime qui cherche à être plus démocratique et plus transparent. Ce n'est pas encore le cas. Il y a des dons et toutes sortes de choix qui permettent de les dissimuler. La seule dissuasion, c'est le crédit d'impôt et franchement, ce n'est pas suffisant.

La commission Lortie a constaté qu'une société sur cinq admissibles au crédit d'impôt demandait effectivement à en bénéficier. Elles ne songent même pas à le demander. On a dit que certaines présentaient leurs dons comme dépenses d'affaires. Ce n'est pas légal en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu. Est-ce que cela répond à votre question?

Le sénateur Pearson: Certes, le principe de la divulgation est important, je suis bien d'accord. Mais il faut voir les choses sous un angle pratique. Si la divulgation sert simplement à permettre à des personnes de s'accuser les unes les autres, cela ne sera pas très utile non plus. Les gens devraient divulguer leurs dons parce qu'ils sont convaincus que c'est ce qu'il y a d'honorable à faire. La plupart le font.

M. Freeman: Je ne suis pas tout à fait d'accord. Les gens devraient être tenus de divulguer leurs dons parce que c'est ce qu'il y a d'honorable à faire.

Le sénateur Pearson: D'accord, et aussi parce que c'est ce qu'il faut faire d'après la loi.

M. Freeman: Oui. Il faut le faire d'après la loi.

Le sénateur Pearson: Votre dernière recommandation me plaît beaucoup. Les citoyens devraient avoir le droit de se plaindre à n'importe quel moment à Élections Canada en cas de publicité trompeuse de la part de n'importe qui. Dans ce cas, je constate avec plaisir que vous ne faites aucune discrimination à l'égard des tierces parties, des partis politiques, des gouvernements ou autre.

Ceci me rappelle les problèmes que nous avons eus avec la Commission des droits de la personne. On peut aboutir à une bureaucratie invraisemblable. Vous allez pouvoir vous plaindre, mais pour qu'Élections Canada puisse faire quelque chose, il faudra qu'il y ait toute une procédure, non? Si quelqu'un prétend que quelque chose est faux, il devra prouver que c'est faux?

M. Freeman: Il est déjà possible de dénoncer une publicité trompeuse en s'appuyant sur les lois régissant la concurrence au Canada; on peut aussi faire appel au commissaire aux élections fédérales qui tranche sur d'autres aspects de la Loi électorale. Je ne pense pas que cela entraînerait nécessairement la mise en place d'une énorme bureaucratie.

Le sénateur Pearson: J'aime bien cette idée, mais ce qui me préoccupe, c'est tout ce qu'elle implique.

M. Freeman: J'aimerais revenir brièvement sur ce que vous disiez à propos de la divulgation, pour vous donner une idée. Aux États-Unis, le régime impose aux donateurs de divulguer leur nom complet. Au Canada, on voit parfois simplement la première initiale et le nom de famille, ce qui fait que vous allez avoir par exemple cinq D. Smiths. Il est impossible de savoir si c'est une ou plusieurs personnes. De plus, aux États-Unis, il faut préciser s'il s'agit d'un don cumulatif. Il faut divulguer toute une longue liste d'identifiants, notamment l'adresse, l'employeur, la filiale s'il s'agit d'une société, toutes sortes d'éléments qui permettent une beaucoup plus grande transparence de la divulgation.

On peut aussi faire en sorte que la divulgation se fasse des deux côtés, du côté du donateur et du côté du parti. Cela donne un régime beaucoup plus rigoureux car chacune des parties veillera à divulguer les dons en sachant que l'autre va le faire. Ce serait une solution. Il faudrait sans doute imposer cela au niveau des partis, au niveau national. Je pense qu'il faudrait aussi l'imposer au niveau des circonscriptions.

La présidente: Monsieur Freeman, nous allons être à court de temps. J'ai encore un sénateur sur ma liste.

Le sénateur Mahovlich: Vous dites que vous souhaitez un régime meilleur et plus démocratique. À titre d'exemple, vous voudriez qu'il soit illégal d'utiliser la résidence du chef de l'opposition ou du premier ministre pour des activités de collecte de fonds. Je trouve que c'est antidémocratique, puisque Joe White à Toronto pourrait le faire, mais le premier ministre et le chef de l'opposition ne le pourraient pas. Ce n'est pas démocratique, n'est-ce pas? Ces gens-là sont des êtres humains. N'importe qui devrait pouvoir se servir de sa résidence. Ce sont des gens élus par leurs concitoyens.

M. Freeman: Et ce sont justement ces concitoyens qui sont les propriétaires de ces résidences officielles.

Le sénateur Mahovlich: Quand ils sont en fonction, c'est leur domicile, exactement comme Joe White à son domicile à Toronto. Ils vivent dans leur résidence, c'est leur domicile.

M. Freeman: Cette suggestion émane de préoccupations formulées ici et aux États-Unis. Certains ne sont pas d'accord pour qu'on utilise la Maison Blanche pour des activités de collecte de fonds. C'est pour cela qu'il y a eu le scandale de la chambre de Lincoln: le président n'a pas le droit d'utiliser la Maison Blanche, y compris la partie résidentielle de la Maison Blanche, à des fins partisanes.

Nous estimons que c'est une bonne norme. À notre avis, s'ils vivent dans ces résidences, qui sont plus agréables que la résidence moyenne des Canadiens, c'est parce qu'ils sont subventionnés par les contribuables. Si le premier ministre se servait de sa maison à Shawinigan pour recueillir des fonds, ce serait très bien. Les résidences officielles ne sont pas une propriété publique, mais vu l'intérêt public considérable qu'elles suscitent, elles ne devraient pas pouvoir servir à des collectes de fonds.

Le sénateur Mahovlich: Je crois que si; c'est leur résidence, après tout. Ils viennent à Ottawa, ils y passent le plus clair de leur temps, c'est leur résidence officielle.

M. Freeman: On manque d'endroits à Ottawa pour organiser des collectes de fonds?

Le sénateur Mahovlich: S'ils ne le font pas là, ils le feront sans doute ailleurs.

M. Freeman: Le problème du 24, promenade Sussex, c'est que c'est une résidence qui a tout un statut. L'un des objets les plus populaires de ces collectes de fonds étaient les boîtes d'allumettes sur lesquelles était écrit «24, promenade Sussex». Le 24, promenade Sussex, et Stornaway ont un statut particulier qui ne tient pas simplement à la présence du premier ministre ou du chef de l'opposition. Nous estimons que des personnalités publiques ne devraient pas s'appuyer sur le statut de la résidence du chef de l'État pour organiser des collectes de fonds.

Nous ne pensons pas que ce soit là une restriction draconienne des libertés individuelles. Encore une fois, ces dirigeants peuvent choisir toutes sortes d'autres endroits. Les libéraux organisent une énorme collecte de fonds intitulée le Dîner de la feuille d'érable au Centre des congrès tous les ans. Il y a toutes sortes de possibilités. Je peux vous citer d'autres exemples.

La présidente: Je pense que vous avez été assez clair, monsieur Freeman. Nous sommes un peu à court de temps. Les hauts fonctionnaires du Bureau du Conseil privé sont là. Je vais vous poser encore juste une très brève question, en espérant que vous y répondrez très brièvement: Pensez-vous que ce projet de loi soit meilleur que l'ancien?

M. Freeman: Vous voulez dire meilleur que la Loi électorale du Canada telle qu'elle existait avant ce projet de loi?

La présidente: La loi actuelle.

M. Freeman: C'est une question difficile. Je vais essayer d'être bref. Nous n'avons pas examiné la législation régissant les activités de financement depuis plus de 15 ans, bien qu'une commission royale ait présenté un rapport sur la question et qu'il y ait eu toute une série de rapports annuels du directeur général des élections. Nous savons qu'il y a des échappatoires. On les connaît bien. Il est vraiment décevant que ce projet de loi aborde la question du financement des partis sans vraiment faire quelque chose de sérieux pour remédier à ces échappatoires.

La présidente: Bref, vous estimez que ce projet de loi est un progrès, mais pas suffisant?

M. Freeman: J'aurais beaucoup de mal à trouver quelque chose de positif dans ce projet de loi, sachant que l'on connaît parfaitement les problèmes du régime.

La présidente: Je vous remercie d'être venu nous rencontrer.

Nous allons maintenant rappeler Michael Peirce et Isabelle Mondou, non pas pour présenter un nouvel exposé, mais simplement pour répondre aux questions des sénateurs. Quelqu'un veut-il poser des questions aux représentants du Conseil privé?

Le sénateur Beaudoin: Personnellement, j'ai déjà posé mes questions. Je suis toujours un peu scandalisé par le fait que, bien que ce soit une bonne loi, notre loi électorale limite le vote. Tout le monde n'a pas le droit de vote. Je comprends que le directeur général des élections ne puisse pas voter pour des raisons d'impartialité. Mais dans d'autres cas, je me pose des questions. Je me souviens de la première fois où j'ai posé la question à propos des juges. Les gens disaient que les juges ne votaient jamais parce qu'ils étaient le troisième pouvoir de l'État. C'est vrai, évidemment, ils sont le troisième pouvoir de l'État et ils sont très puissants. Mais maintenant, ils votent de plus en plus. Les prisonniers et certaines personnes handicapées ne votent pas non plus. Pourtant, nous évoluions dans la bonne direction, et je suis globalement satisfait. Mais je pense tout de même que quand on perd sa liberté, on ne devrait pas perdre forcément tout le reste.

La présidente: Y a-t-il d'autres questions?

Le sénateur Pearson: On a parlé hier de priver une personne de ses droits. Avez-vous des commentaires sur ce genre de sanctions?

M. Michael Peirce, conseiller juridique, directeur, Opérations juridiques, Législation et planification parlementaire, Bureau du Conseil privé: Nous en avons déjà parlé brièvement. C'est une question actuellement à l'étude devant les tribunaux, et il y a eu une demande d'appel auprès de la Cour suprême du Canada.

Le sénateur Beaudoin: La Cour suprême est saisie de cette question?

M. Peirce: Oui.

Le sénateur Beaudoin: De quelle affaire s'agit-il?

M. Peirce: L'affaire Sauvé.

Le sénateur Beaudoin: Je suis heureux qu'elle soit enfin parvenue devant la Cour suprême.

M. Peirce: Il a demandé à faire appel. Je ne sais pas si sa demande a été acceptée. Cette procédure prend normalement environ cinq mois. Nous ne sommes pas encore certains que la Cour suprême entendra cette affaire.

Le sénateur Beaudoin: Nous n'en sommes pas certains. La décision n'a pas encore été rendue?

M. Peirce: C'est cela, il n'y a pas encore eu de décision sur la demande d'appel.

Le sénateur Beaudoin: Sur la demande d'appel.

La présidente: Y a-t-il d'autres questions?

Le sénateur Joyal: À supposer que la Cour suprême entende cette affaire Sauvé, je dirais que ces deux affaires, l'affaire Sauvé et l'affaire Figueroa, sont les deux plus importantes actuellement devant les tribunaux.

M. Peirce: C'est exact.

Le sénateur Joyal: À votre avis, quel aspect essentiel de ces deux affaires pourrait justifier d'autres modifications au projet de loi?

M. Peirce: Si la Cour d'appel de l'Ontario tranchait négativement dans l'affaire Figueroa au sujet du seuil pour devenir un parti enregistré, un amendement serait probablement nécessaire. Actuellement, pour avoir un parti, il faut que 50 candidats soient proposés. La Division générale de l'Ontario a estimé que le seuil devait être de deux candidats. Si la Cour d'appel de l'Ontario confirme cette décision ou supprime le chiffre de 50 sans en imposer un autre, ça serait l'aspect le plus important justifiant une modification de la loi.

Le sénateur Joyal: Autrement dit, ce serait essentiellement le seuil d'enregistrement d'un parti, en vertu de la loi électorale, et les avantages liés au statut officiel d'un parti.

M. Peirce: C'est cela.

Le sénateur Joyal: Et à propos de l'affaire Sauvé, quelle est votre opinion?

M. Peirce: Ce serait la disposition visant à déterminer si quelqu'un qui a été incarcéré pendant plus de deux ans a le droit de voter. Si la Cour suprême acceptait d'entendre cette affaire et infirmait la décision de la Cour fédérale d'appel qui a confirmé la disposition -- l'article 4 --, il faudrait probablement apporter une modification à la loi. Cela dépendrait de la décision du tribunal. Le tribunal pourrait décider que l'article 4 est anticonstitutionnel en raison de la façon dont il est structuré. Il pourrait aussi laisser la porte ouverte ou suggérer des limites pertinentes au vote de détenus. Par conséquent, il faudrait que la réponse soit spécifiquement adaptée à la décision du tribunal. Les possibilités seraient nombreuses.

Le sénateur Joyal: À votre avis, y a-t-il d'autres affaires en cours devant les tribunaux de première instance du Canada qui pourraient éventuellement donner lieu à des modifications?

M. Peirce: Il y a une affaire qui n'aurait pas d'influence sur le projet de loi C-2, mais qui concerne une contestation des limites des circonscriptions électorales au Nouveau-Brunswick. La Société des Acadiens et Acadiennes conteste le régime des limites, mais pas en vertu du projet de loi C-2. C'est une question qui relève de la Loi sur les limites des circonscriptions électorales.

Le sénateur Joyal: Y a-t-il d'autres projets de loi qui concernent d'une manière générale le régime électoral canadien?

M. Peirce: Actuellement, pas à ma connaissance.

Le sénateur Beaudoin: Nous parlions l'autre jour de la commission Lortie.

[Français]

Le sénateur Beaudoin: Nous parlions récemment de la commission Lortie et je crois qu'ils ont fait un bon travail. Au Canada, il y a une très grande variation entre les circonscriptions quant à la distribution.

[Traduction]

Aux États-Unis, c'est la formule «à chacun une voix». Au Canada, nous avons une décision de la Cour suprême qui montre combien nous sommes plus généreux. Nous parlons d'environ 15 p. 100, et je crois que la commission Lortie parlait de 25 p. 100. On me dit que c'est même plus que cela encore dans certaines régions. Est-ce qu'on va faire quelque chose à ce sujet? Je sais que le Canada est un grand pays, ce qui ne facilite pas les choses.

La présidente: Il y a des considérations constitutionnelles ici aussi.

Le sénateur Beaudoin: Le Canada est bien loin de la formule «à chacun une voix». Il y a quelques années, j'ai lu très soigneusement la décision de la Cour suprême sur la question. J'ai trouvé qu'il s'agissait d'une décision généreuse sur la question de la disparité entre circonscriptions, en raison de nos particularités géographiques. Mais chaque pays a ses particularités. Les États-Unis sont un pays immense, même s'il est plus petit que le Canada. Ils sont beaucoup plus proches que nous du régime «à chacun une voix».

Il en a été question au Sénat américain. Il y a 100 sénateurs élus, deux par États. Il y a eu une modification de la Constitution en 1913. J'ai été impressionné par les méthodes de la Cour suprême aux États-Unis.

Sommes-nous engagés dans la bonne voie ou sommes-nous dans une impasse?

M. Peirce: Deux choses peuvent modifier la prochaine répartition. Il y a d'abord l'affaire Société des Acadiens. Selon ce que la cour décidera et les indications qu'elle donnera, il y aura peut-être lieu de redessiner les limites des circonscriptions. Il y aura aussi évidemment un autre recensement, en 2001 je crois, qui donnera lieu à une nouvelle délimitation.

Pour ce qui est de la situation aux États-Unis, je dirais que c'est un bourbier. Ils ont des problèmes terribles. Il y a un nombre excessif de décisions de la Cour suprême au sujet du trafiquage des circonscriptions électorales en fonction de la race, qui ont forcé de nouvelles délimitations. Le résultat, c'est qu'en Caroline du Nord, une circonscription fait 10 milles de largeur sur 200 milles de longueur. Cela correspond à peu près à une autoroute.

Je ne suis pas certain que la formule «à chacun une voix» a abouti à un régime plus sensé. Je pense qu'il y a là de gros problèmes. De plus, lorsque l'on examine la répartition au Canada, la différence entre les circonscriptions rurales et urbaines en particulier dans le Grand Nord, on aurait beaucoup de mal à délimiter des circonscriptions qui correspondraient tout à fait au principe «à chacun une voix» et à celui de la représentation efficace.

Le sénateur Beaudoin: Pour le Nord, cela ne me dérange pas. Le Grand Nord canadien est vaste et la situation est particulière. Mais même dans les villes, nous avons beaucoup plus de 10 p. 100 d'écart et je pense même plus de 25 p. 100. Ne devrions-nous pas y faire quelque chose?

La présidente: Pas dans ce texte.

Le sénateur Joyal: En ce qui concerne le système américain, menez-vous une étude comparative quelconque des systèmes canadien et américain? Quelles leçons ou quels enseignements peut-on en tirer? Y a-t-il des éléments que l'on pourrait inclure ou exclure de notre système? À mon avis, s'il y a un système qu'il ne faut pas adopter, c'est bien le système américain. C'est le pire au monde. Il est entièrement à la merci de l'argent. Je ne vais pas faire de publicité ici sur l'étude que je mène au Sénat. Les femmes et les minorités en sont totalement exclus. La participation des électeurs est très faible -- jamais plus de 50 p. 100. Aucun candidat avec un petit budget ne peut même se présenter. Si vous n'avez pas au moins 5 millions de dollars au début, ne pensez même pas à inscrire votre nom sur le bulletin de vote.

En théorie, la formule «à chacun une voix» semble bonne, mais dans la pratique, lorsque l'on examine les résultats longitudinaux, on s'aperçoit que cela ne sert pas la démocratie. Comme quelqu'un a dit, la constitution de l'Union soviétique était la meilleure au monde sur papier, mais la pire au monde en réalité. Le système américain est le meilleur en principe, mais quand je regarde les résultats, on voit bien que le système canadien est beaucoup plus démocratique. Au moins, le nôtre comporte des dispositions qui empêchent la discrimination systémique. Nous essayons de l'améliorer en ce qui concerne les groupes minoritaires et la participation des femmes, alors que le système américain est intangible. Comme vous le savez, il y a toujours des discussions à la Maison Blanche pour modifier le financement, mais cela est une autre paire de manches.

M. Peirce: Nous étudions la chose. De fait, un collègue à moi qui est ici, M. Stéphane Perrault du ministère de la Justice, a passé en revue les décisions de la Cour suprême et examine l'ensemble des problèmes aux États-Unis.

Le sénateur Joyal: Est-il possible de l'entendre aujourd'hui?

M. Peirce: J'ignore s'il est assez avancé dans ses travaux pour présenter des résultats.

[Français]

M. Stéphane Perrault, avocat, ministère de la Justice, section des droits de la personne: Malheureusement, je ne peux pas beaucoup en parler parce que c'est de la recherche du travail que je fais dans le contexte du litige sur l'affaire Société des Acadiens, largement sur la question du découpage et des ratios ethniques dans le découpage électoral.

Une des difficultés qu'on rencontre aux États-Unis, et M. Pierce en a fait mention, étant donné l'exigence stricte de l'égalité numérique, si on veut accommoder la représentation de groupes, et dans ce cas ce sont des groupes noirs ou hispanophones, on est obligés d'avoir des circonscriptions qui ont des formes absolument incroyables. Si on avait un peu plus de flexibilité sur le nombre, on pourrait à la fois tenir compte du nombre et tenir compte d'autres facteurs. C'est ce manque de flexibilité aux États-Unis, sur le nombre, qui est une des principales causes des difficultés lorsque vient le temps de tenir compte d'autres facteurs comme l'ethnicité ou la langue, et cetera. Je vais me contenter de cela, car c'est une question actuellement devant les tribunaux. Je ne suis pas en position de faire état de la position du gouvernement.

Le sénateur Beaudoin: Pouvez-vous donner un cas concret? Cette discussion me passionne, parce que vous me dites que c'est un excellent système sur papier, mais qu'en pratique c'est loin d'être aussi bon qu'on le croit. Je suis bien prêt à entendre cela. Si c'est un fait, c'est un fait et j'accepte les faits, mais prenez par exemple la Californie où des gens parlent espagnol et d'autres anglais. Triturent-ils les comtés? Font-ils des frontières? Qu'est-ce qu'ils font?

M. Perrault: Dans ce but qui est tout à fait légitime, je ne m'oppose pas à l'accomodation de la représentation raciale qui est un problème grave aux États-Unis. On doit en tenir compte pour s'assurer que ces groupes puissent avoir une majorité dans une circonscription.

Cependant, pour faire cela, il faut tenir compte par ailleurs d'une exigence d'égalité numérique stricte de l'ordre d'une variation de 1 p. 100, contrairement aux variations dont vous avez fait mention tout à l'heure. Et effectivement, lorsqu'on veut mettre les deux ensemble, nous sommes obligés d'aller chercher des groupes de cette population, un peu partout où qu'ils se trouvent, et cela donne des circonscriptions qui peuvent avoir un mille de large par cent milles de long.

[Traduction]

La présidente: S'il n'y a pas d'autres questions, je tiens à remercier les témoins d'être venus aujourd'hui.

Certains sénateurs ne sont pas venus au comité depuis quelques temps déjà. Je vais donc expliquer la façon normale de procéder ici, même avant mon arrivée. Les quatre derniers présidents du Comité des affaires juridiques, qui est maître de sa façon de procéder, ont toujours, lorsque ni le projet de loi ni l'une de ses dispositions n'étaient controversés, proposé de nous passer de l'examen article par article pour adopter le projet de loi dans sa totalité, à juste titre. Je n'ai pas l'intention de changer cette façon de procéder. Lorsqu'il y a controverse à propos d'un projet de loi ou de certaines de ses dispositions, nous avons toujours regroupé les articles non controversés pour les mettre aux voix ensemble. Je n'ai pas l'intention de vous soumettre les quelque 577 articles du projet de loi.

Le sénateur Andreychuk: Je précise que vous occupez la présidence depuis que je siège au comité. Vous avez toujours tenu -- et je vous en suis très reconnaissante -- à ce que nous entendions tous les témoins et que nous ayons suffisamment de temps pour délibérer avant de passer à l'examen article par article. Il se passe deux choses. Nous procédons à l'examen article par article du projet de loi aujourd'hui. Le sénateur Nolin a déjà donné avis que cela ne permet pas de délibérer comme il se doit et de proposer des amendements. Nous pourrions adopter le projet de loi intégralement parce que nous acceptons le fait que nous sommes forcés de le modifier en troisième lecture.

La présidente: J'allais demander aux sénateurs s'il y a des articles controversés dans le texte. Le sénateur Joyal m'a déjà informé qu'il préférerait que nous regroupions les articles jusqu'à l'article 18.1 et que nous votions sur les autres. Le sénateur Nolin m'a aussi dit qu'il allait proposer son amendement en temps opportun en troisième lecture.

Le sénateur Andreychuk: Un amendement?

Le sénateur Beaudoin: Oui.

Le sénateur Andreychuk: C'est tout ce que je voulais dire. Il est difficile de dire ce que seront les amendements tant que nous n'aurons pas pu réfléchir comme il se doit pour les préparer. Je me demandais pourquoi nous procédons à l'examen article par article aujourd'hui.

La présidente: Nous procédons ainsi parce que c'est ce qui avait été prévu. Nous l'avons retardé pour permettre à M. Freeman, qui à la dernière minute n'a pas pu se joindre à nous hier soir, de comparaître devant le comité. C'était pour arranger l'un de nos témoins, c'est tout.

Le sénateur Beaudoin: Nous n'avons entendu qu'un seul témoin, puisque les autres étaient des fonctionnaires. Si j'ai bien compris, nous allons les regrouper à cause de la proposition du sénateur Joyal?

La présidente: Oui.

Le sénateur Beaudoin: D'accord.

La présidente: Nous allons donc passer à l'examen article par article du projet de loi C-2.

Plaît-il aux membres du comité de regrouper les articles qui ne sont pas censés faire l'objet d'amendements?

Des voix: Adopté.

Le sénateur Andreychuk: Oui, moyennant ce que j'ai dit à propos du sénateur Nolin. Notre parti examine certains points et il se peut qu'il y ait des amendements. Je ne sais pas exactement ce que je ferai à propos de tous les amendements. Si nous adoptons le projet de loi aujourd'hui, je ne veux pas m'entendre dire en troisième lecture que le texte a été examiné en comité et que j'ai voté pour.

Le sénateur Beaudoin: L'amendement du sénateur Nolin visera un seul article.

Le sénateur Cools: Le comité doit quand même se prononcer sur chaque article. Le comité peut choisir de se prononcer sur les articles 1 à 10, mais le comité doit se prononcer sur chaque article du texte. Si le sénateur Andreychuk craint que cela ne donne l'impression qu'elle a voté en faveur d'articles à propos desquels elle a des réserves, il vaudrait peut-être mieux de choisir un certain nombre d'articles et de les mettre aux voix pour qu'elle puisse s'exprimer au moins sur ceux-là.

La présidente: Je vais demander qui est pour, qui est contre et qui s'abstient. Le sénateur Andreychuk pourra s'abstenir ou dire avec dissidence.

Qui est en faveur de regrouper les articles à propos desquels aucun amendement n'est prévu?

Des voix: D'accord.

La présidente: Qui est contre? Je ne vois personne. Une abstention?

Le sénateur Andreychuk: Avec dissidence.

La présidente: Adopté avec dissidence.

Il est proposé par le sénateur Moore que le comité procède maintenant à l'examen article par article du projet de loi C-2, Loi concernant l'élection des députés à la Chambre des communes, modifiant certaines lois et abrogeant certaines autres lois.

Plaît-il aux sénateurs d'adopter la motion? Ceux qui sont pour?

Des voix: Adopté.

La présidente: Ceux qui sont contre?

Le sénateur Andreychuk: Avec dissidence.

La présidente: La motion est adoptée avec dissidence.

Le titre est-il réservé? Tous ceux qui sont pour?

Des voix: Adopté.

La présidente: Ceux qui sont contre? Abstentions? Nous sommes tous d'accord sur ce point. La motion est adoptée.

L'article premier est-il réservé? Pour?

Des voix: Adopté.

La présidente: Contre? Abstentions? La motion est adoptée.

Les articles 2 à 18 inclusivement sont-ils adoptés? Tous ceux qui sont pour?

Des voix: Adopté.

Le sénateur Beaudoin: Je suis d'accord.

Le sénateur Andreychuk: Avec dissidence.

La présidente: Contre? Abstentions? La motion est adoptée avec dissidence.

L'article 18.1 est-il adopté?

Le sénateur Joyal: Vous vous souviendrez que lorsque nous avons entendu le témoignage du ministre, j'ai exprimé mes réserves à propos de l'article 18.1 en raison du fait que le Sénat n'a pas à donner son agrément pour mettre à l'essai un processus de vote électronique. J'ai ouvertement annoncé mon intention de déterminer le statut du Sénat sur ce point. J'ai préparé des amendements qui modifieraient l'article 18.1 du projet de loi par substitution, à la page 13, ligne 12, des mots «du comité» par «des comités», par ajout, à la ligne 13, des mots «et du Sénat» et par substitution, à la ligne 13, du mot «traite» par le mot «traitent».

[Français]

J'aurais proposé que l'article 18.1 du projet de loi soit modifié à la page 13, ligne 12, en remplaçant le mot «comité» au singulier par le mot «comités» au pluriel, et à la ligne 13, en ajoutant, après le mot «communes», «et du Sénat».

[Traduction]

Comme vous le savez, le ministre a porté attention à la position que j'ai prise et qu'ont adoptée d'autres collègues autour de la table. Le ministre m'a fait parvenir une lettre en date du 10 avril, il y a trois jours à peine, et j'ai pu lui répondre hier, le 12. Avec votre permission, madame la présidente, je vais vous lire la lettre que j'ai envoyée au ministre à propos de cet article. J'ai proposé une solution au problème du statut du Sénat en m'inspirant de la façon dont le comité avait réglé un problème semblable à propos du projet de loi C-3, le projet de loi sur l'ADN.

Vous vous souviendrez que le comité avait jugé que le projet de loi devait être amendé mais qu'il ne voulait pas retarder la mise en application du texte. Le solliciteur général a envoyé au comité une lettre officielle concernant le projet de loi C-3 promettant que la prochaine fois où il serait possible de déposer des amendements, il donnerait suite à notre demande de rétablir le statut du Sénat. C'est essentiellement ce que j'indique dans ma lettre.

La présidente: Plaît-il aux sénateurs de verser cette lettre au compte rendu?

Des voix: D'accord.

Le sénateur Joyal: Merci, madame la présidente. Le ministre est francophone; je vais donc lire la lettre en français:

[Français]

Monsieur le Ministre.

Le courrier nous a bien apporté votre lettre en date du 10 de ce mois et je vous suis reconnaissant de me transmettre le résultat de vos réflexions au sujet de l'article 18.1 du projet de loi C-2 autorisant à mettre à l'essai un processus de vote électronique sans le consentement du Sénat, alors que la Chambre des communes se voit reconnaître formellement un droit préalable d'autorisation.

Vous y élaborez sur la portée de l'article, et soulevez par la suite le rôle du Sénat eu égard à la Loi électorale du Canada, pour conclure que le Sénat n'aurait pas un intérêt immédiat à débattre de la mise à l'essai d'un changement aussi important au système de votation au pays.

Permettez-moi de vous exprimer un autre point de vue, et de vous proposer une avenue particulière afin de ne pas retarder la mise en application du projet de loi C-2.

Le système de votation est une composante essentielle de tout processus électoral. En fait, il est au coeur même de l'exercice démocratique du droit de vote.

En effet, tout ce qui entoure la votation a un effet immédiat sur la participation des électeurs au scrutin, la validité de l'expression du vote, et à la limite l'exercice du droit lui-même.

Tout autant l'économie de la loi veut-elle qu'on étende au maximum le droit de vote à tous les citoyens(nes) du pays, autant le système de votation et tout ce qui entoure l'expression même du choix de l'électeur(trice) est-il d'importance capitale, et peut avoir à la limite un effet négatif sur l'exercice effectif du droit.

Que les membres de la Chambre des communes aient un intérêt à prendre connaissance des éléments d'une expérience qui aurait pour effet de changer de manière radicale le système de votation au pays en voulant y donner leur autorisation m'apparaît tout à fait opportun dans notre système.

Pour exactement les mêmes raisons, le Sénat, à mon avis, a un intérêt à être saisi d'un tel projet, à en revoir les éléments essentiels et à évaluer comment il peut influer sur l'exercice du droit démocratique de chaque citoyen(ne) de s'exprimer sur le choix de ses représentants.

Il est faux de soutenir ou de donner à penser que le Sénat a peu d'intérêt à cette étape puisqu'il n'est pas élu et que de toutes manières, il pourra toujours y revenir lorsque la Loi électorale serait modifiée en conséquence. Il m'apparaît préférable de prévenir plutôt que d'avoir à amender un système après qu'il aura été adopté à la Chambre des communes. La situation à laquelle nous sommes confrontés présentement en est un bon exemple.

Je vous rappelle que le Sénat a un intérêt essentiel à la manière dont les élections sont tenues au Canada. En effet, en 1994 et en 1995, le Sénat a refusé d'entériner les projets de loi C-18 et C-19 ayant pour effet de maintenir les frontières électorales en 1981 pour l'élection à venir.

Y a-t-il un sujet où les députés(es) eux-mêmes ont plus d'intérêt pour leur réélection que celui des frontières d'une circonscription? Leur déplacement peut représenter dans plusieurs cas la réélection ou la défaite. Pourtant le Sénat est intervenu car il en allait du droit démocratique des citoyens à choisir leur représentant de manière juste et conforme à l'esprit de la loi.

La Constitution du pays est formelle: les cas où le Sénat dispose de pouvoirs différents de ceux reconnus à la Chambre des communes sont tout à fait circonscrits: les lois à portées financières ne peuvent être initiées non plus que majorées; les amendements constitutionnels sont soumis à un veto suspensif de 6 mois et à un second vote à la Chambre des communes. Il n'y a pas d'autres exceptions.

Si le gouvernement canadien souhaite qu'il en soit autrement, il lui faudrait recourir à la formule d'amendement, et en fait un citoyen pourrait soulever l'inconstitutionnalité d'une loi qui exclurait le Sénat de son adoption, ou qui aurait pour effet de s'exclure lui-même à l'encontre du droit des provinces tel qu'énoncé à l'article 42 b) de la Constitution.

Il m'apparaît mal avisé d'exclure le Sénat ainsi et je ne vous en fais pas grief, Monsieur le ministre, puisque l'article 18.1 a été ajouté suite à un amendement en provenance de la Chambre des communes; cependant le rôle égal du Sénat devrait être inscrit à l'article 18.1 de la Loi électorale du Canada.

Je comprends toutefois le délai d'application de 6 mois auquel sont assujetties les nouvelles dispositions de la loi et l'importance à ce qu'elles soient en vigueur pour la prochaine élection générale.

À cet égard, je me permets de vous soumettre la proposition suivante: Comme il y a présentement devant les tribunaux canadiens certaines causes (dont la cause Figueroa c. Attorney General of Canada) qui pourraient éventuellement requérir des amendements à la loi, je vous inviterais à écrire formellement une lettre au président du comité des affaires juridiques et constitutionnelles à l'effet que lorsque le Parlement sera saisi à nouveau de projets d'amendements, le rôle du Sénat sera rétabli à l'article 18.1.

Votre collègue, le solliciteur général, avait pris cet engagement le 1er décembre 1998 lorsque notre comité était saisi du projet de loi C-3, et que le Sénat en avait été exclu dans des conditions semblables.

De cette manière, l'objectif que nous poursuivons de reconnaître un rôle égal au Sénat serait confirmé et l'adoption du projet de loi ne s'en trouverait pas retardé.

Croyez que je vous suis reconnaissant de l'intérêt que vous porterez à la présente et veuillez recevoir, Monsieur le Ministre, l'expression de ma considération la plus distinguée.

C'est signé, Serge Joyal.

[Traduction]

Vous comprendrez, madame la présidente, qu'étant donné que le ministre a reçu cette lettre tard hier soir ou ce matin, il serait indiqué de lui donner l'occasion de répondre à ma proposition de rétablir le statut du Sénat sans empêcher la mise en approbation du projet de loi au-delà de la période de six mois. Ce délai est déjà inclus dans le texte que nous examinons.

Nous aurons l'occasion en troisième lecture de voir si le ministre a choisi de ne pas s'engager. Le Sénat pourra alors délibérer sur l'opportunité d'amender l'article 18.1.

La présidente: Merci, sénateur Joyal. Je constate que vous ne proposez pas votre amendement maintenant.

Le sénateur Cools: Le sénateur Joyal est-il en train de dire que le ministre Boudria pourrait redonner son statut au Sénat dans le projet de loi?

La présidente: Il parle de la prochaine série d'amendements.

Le sénateur Cools: D'après ce qu'a dit le sénateur Joyal, il s'attend à ce que des mesures soient prises à propos de ce projet de loi.

Le sénateur Joyal: Je propose la même formule que nous avons adoptée à propos du projet de loi C-3 il y a environ un an. Certains sénateurs estimaient que le projet de loi devait être amendé, mais nous savions qu'il était urgent de créer la base de données sur les empreintes génétiques. Nous ne voulions pas retarder ce travail. À l'époque, le ministre était le solliciteur général, M. Lawrence McAulay, qui nous a envoyé une lettre officielle. Le ministre s'est engagé à ce que la prochaine fois qu'il présenterait des modifications à la loi, il s'occuperait de l'article concernant le statut du Sénat. Le ministre a tenu parole; dans l'année qui a suivi, il nous a proposé des amendements au projet de loi S-10. Nous avons examiné le projet de loi S-10 et la question a été réglée.

Honorables sénateurs, c'est ce que je propose ici. J'appuie l'objet du projet de loi. Il ne fait pas de doute que de nombreuses dispositions améliorent le système actuel et qu'elles devraient être en place pour les prochaines élections. Je propose donc que le ministre procède comme nous l'avons proposé il y a un an et demi.

Le sénateur Beaudoin: J'approuve tout ce qu'a dit le sénateur Joyal. Que faisons-nous maintenant? Examinons-nous l'article 18?

La présidente: Oui. Nous allons passer à l'examen article par article, à commencer par l'article 18.1, qui intéresse le sénateur Joyal, après quoi nous allons regrouper les autres articles. Cela donne au ministre et au sénateur Joyal une période de deux semaines, pendant le congé, pour réfléchir à la suite des événements.

Le sénateur Cools: On s'attend donc à ce que le ministre nous réponde à propos de ce projet de loi.

Le sénateur Beaudoin: Pour ma part, je suis prêt à approuver cet amendement. Je suis convaincu par les arguments.

Le sénateur Cools: Mais nous ne sommes pas saisis de l'amendement, n'est-ce pas?

La présidente: Nous ne sommes pas saisis d'un amendement.

Le sénateur Beaudoin: Il y a une idée.

Le sénateur Joyal: Une intention.

La présidente: N'empêche, nous ne sommes pas saisis d'un amendement.

Le sénateur Andreychuk: Je vais tout simplement dire «avec dissidence» pour l'ensemble du projet de loi, et si le ministre ne nous envoie pas de lettre, tout le monde a le droit de présenter un amendement en troisième lecture.

La présidente: Tout à fait.

Le sénateur Beaudoin: Il pourrait y en avoir un de notre parti.

La présidente: Au moins un de votre parti.

Le sénateur Beaudoin: Sur un seul article.

La présidente: L'amendement de cette personne ne porte que sur un seul article.

Dans ce cas, nous allons passer à l'examen article par article. L'article 18.1 est-il adopté? Ceux qui sont pour? Ceux qui sont contre?

Des voix: Avec dissidence.

La présidente: Je déclare la motion adoptée avec dissidence.

Le sénateur Cools: C'est très dangereux. Les sénateurs ont été plus nombreux à dire «avec dissidence» que «adopté». C'est très dangereux. Il faut être très clair. Vous pourriez peut-être poser à nouveau la question pour que nous puissions dire «d'accord». Personne n'a dit «d'accord».

La présidente: Tous ceux qui sont pour?

Des voix: D'accord.

La présidente: Avec dissidence?

Des voix: Avec dissidence.

La présidente: Je déclare la motion adoptée avec dissidence.

Les articles 19 à 577 sont-ils adoptés?

Des voix: D'accord.

Des voix: Avec dissidence.

La présidente: Adoptés avec dissidence.

Y a-t-il de nouveaux articles? Non, il n'y en a pas.

L'annexe 1 est-elle adoptée. Tous ceux qui sont pour?

Des voix: D'accord.

La présidente: Contre? Avec dissidence?

Des voix: Avec dissidence.

Le sénateur Andreychuk: Quelle consistance.

La présidente: Je déclare la motion adoptée avec dissidence.

L'annexe 2 est-elle adoptée? Tous ceux qui sont pour?

Des voix: D'accord.

Des voix: Avec dissidence.

La présidente: Je déclare la motion adoptée avec dissidence.

L'annexe 3 est-elle adoptée? Tous ceux qui sont pour?

Des voix: D'accord.

Des voix: Avec dissidence.

La présidente: Je déclare la motion adoptée avec dissidence.

Y a-t-il de nouvelles annexes? Non, il n'y en a pas.

L'article 1 est-il adopté? Tous ceux qui sont pour?

Des voix: D'accord.

La présidente: Contre? C'est un titre différent.

Je déclare la motion adoptée.

Le titre est-il adopté?

Des voix: D'accord.

La présidente: Tous ceux qui sont contre? Des abstentions?

Je déclare la motion adoptée.

Le projet de loi est-il adopté? Tous ceux qui sont pour?

Des voix: D'accord.

La présidente: Contre?

Des voix: Avec dissidence.

La présidente: Je déclare la motion adoptée avec dissidence.

Dois-je faire rapport du projet de loi au Sénat sans proposition d'amendement?

Le sénateur Cools: Honorables sénateurs, je propose que le sénateur Milne fasse rapport du projet de loi cet après-midi sans proposition d'amendement.

La présidente: Tous ceux qui sont pour?

Des voix: D'accord.

La présidente: Avec dissidence?

Des voix: Avec dissidence.

La présidente: Je déclare la motion adoptée avec dissidence.

Honorables sénateurs, je vais faire rapport du projet de loi cet après-midi sans proposition d'amendement. Merci beaucoup de votre patience.

La séance est levée.


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