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SOCI - Comité permanent

Affaires sociales, sciences et technologie

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie

Fascicule 12 - Témoignages


OTTAWA, le jeudi 6 avril 2000

Le comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie, qui a reçu pour mandat d'étudier le projet de loi C-13, Loi portant création des Instituts de recherche en santé du Canada, abrogeant la Loi sur le Conseil de recherches médicales et modifiant d'autres lois en conséquence, se réunit aujourd'hui à 11 h 08 pour étudier le projet de loi et examiner l'état du système de soins de santé au Canada.

Le sénateur Michael Kirby (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Nous entendrons ce matin notre dernier groupe de témoins au sujet du projet de loi C-13. M. David Hill a d'abord la parole.

M. David Hill, président, Conseil pour la recherche en santé au Canada: Nous représentons ici le Conseil pour la recherche en santé au Canada. Notre organisation est quelque peu unique en ce sens qu'elle est composée de plusieurs organismes nationaux de bienfaisance dans des domaines liés à la santé, comme le cancer, les maladies du coeur et d'autres maladies, et nous avons des liens avec la plupart des grands instituts de recherche en santé du pays.

Nous sommes venus vous dire que nous appuyons cette mesure législative dont vous êtes saisis. Nous avons suivi l'évolution du projet de loi. Nous l'avons appuyé devant le comité de la Chambre des communes et nous sommes ici pour faire de même devant votre comité.

Je donnerai maintenant la parole au docteur Ron Worton, qui dirige l'un des instituts de recherche membres de notre organisation. Il fait partie du conseil d'administration intérimaire des Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC) et il a participé étroitement à tout le processus, y compris à la préparation du projet de loi.

Dr Ronald Worton, directeur de la recherche, Conseil pour la recherche en santé au Canada: Merci, honorables sénateurs, de nous donner cette occasion de vous rencontrer aujourd'hui.

Je suis membre du conseil d'administration intérimaire, mais ce n'est pas tellement à ce titre que je vous présente mes remarques aujourd'hui. Je vous parlerai plutôt du point de vue du milieu de la recherche en santé. À titre de directeur d'un grand institut de recherche et d'ancien président du grand département de génétique au Hospital for Sick Children de Toronto, je parle au nom des chercheurs de toutes les régions du pays.

Je tiens d'abord à vous dire que c'est probablement l'événement le plus passionnant qui se soit produit dans le domaine de la recherche médicale et de la recherche en santé depuis la création du Conseil de recherches médicales (CRM) en 1960. Le projet a maintenant rallié tous les milieux scientifiques. Vous reconnaîtrez sûrement qu'un certain scepticisme s'est manifesté au début au sujet de la création des IRSC. Ce scepticisme et ce malaise étaient plutôt liés à la perte du CRM, qui avait représenté pendant tant d'années notre soutien essentiel.

Maintenant que l'on comprend mieux le projet des IRSC, on a une foule d'exposés de position qui décrivent comment le tout fonctionnera. Les milieux scientifiques ont participé au processus, qui reçoit maintenant l'appui de l'ensemble des chercheurs dans les domaines concernés. Cette initiative est impulsée, dans une grande mesure, par les scientifiques eux-mêmes aussi bien que par le besoin impérieux de faire plus de recherches et d'en faire de meilleures. De plus, cette initiative transforme vraiment notre façon de faire les choses.

Le Conseil de recherches médicales fonctionnait dans une certaine mesure en réaction à des demandes. Les gens remplissaient des demandes de subventions et les présentaient, et les meilleurs projets étaient financés. Ce processus a fonctionné extrêmement bien et nous a permis de réaliser au Canada des projets de recherche parmi les meilleurs au monde. Les IRSC nous permettront de faire encore plus. C'est-à-dire que le processus pourra continuer à fonctionner. Cependant, il y aura en plus un programme proactif, car on créera des instituts qui auront énormément d'expérience dans certains domaines. Ces instituts, grâce à leurs conseils consultatifs, concevront et élaboreront le programme de recherche du pays.

Cela aura deux conséquences importantes. Premièrement, les organes d'experts de chaque institut devraient pouvoir anticiper les menaces pour la santé et les possibilités de projets de recherche. Je suis absolument convaincu que si nous avions eu dans le passé une structure d'institut comme les IRSC, certains des problèmes que nous avons connus en ce qui concerne la contamination par le VIH et l'hépatite C, et d'autres, auraient pu être plus facilement résolus grâce à un programme de recherche proactif. En outre, cette initiative permettra au Canada d'adopter une nouvelle approche face à la recherche, de financer les meilleurs projets de recherche possible grâce à la structure des instituts, tout en élaborant un programme de recherche proactif pour le pays. Troisièmement, l'initiative permettra de faire encore davantage à cause de sa base plus vaste, qui inclura tous les domaines de la recherche en santé, tandis que le Conseil de recherches médicales du Canada avait une base plus restreinte. Cela aura une importance énorme pour la recherche interdisciplinaire. Même pendant la période de transition en cours, une période d'un an, nous pouvons déjà voir de nouveaux programmes de recherche s'organiser -- c'est-à-dire des programmes interdisciplinaires dans le cadre desquels des chercheurs en sciences biomédicales fondamentales et des cliniciens travailleront avec des membres de la collectivité et des travailleurs sociaux en vue de concevoir des programmes de recherche innovateurs qui n'auraient pas pu voir le jour aussi facilement sans la création des IRSC.

Vous verrez de nouveaux projets de recherche et de meilleurs projets, plus de recherche en collaboration, et une plus grande intégration des considérations de nature sociale, éthique et légale, dans les projets de recherche découlant de tout ce programme de recherche.

C'étaient là mes principaux arguments. Je serai heureux de répondre à vos questions.

Mme Penelope Marrett, Associations nationales bénévoles oeuvrant dans le domaine de la santé: Nous sommes heureux d'être ici pour parler du projet de loi C-13 et des possibilités qu'il offre aux Canadiens en matière de santé. Les associations nationales bénévoles oeuvrant dans le domaine de la santé appuient le projet de loi C-13 et nous avons été heureux de le voir adopter à la Chambre des communes il y a quelques semaines. Sa mise en oeuvre nous enthousiasme et nous voulons féliciter le gouvernement d'avoir donné suite à notre recommandation, quand nous exhortions le gouvernement fédéral à investir jusqu'à 500 millions de dollars annuellement dans la recherche en santé.

[Français]

Comme vous le savez déjà, les Canadiens ont confirmé à maintes reprises que la santé comptait parmi leurs plus grandes préoccupations. Dans plusieurs sondages au fil des ans, la santé demeure au premier rang des priorités pour tous les Canadiens. En 1998, un sondage confirmait par ailleurs que notre système de santé public était une des caractéristiques qui nous distinguait des autres pays.

Notre recommandation est que la Loi sur les Instituts canadiens de recherche en santé soit promulguée telle qu'adoptée par la Chambre des communes le 22 mars 2000. Cette loi fait suite à une promesse énoncée tant dans le discours du Trône de 1999 que dans le budget fédéral de 1999.

À titre de conclusion, je tiens à réitérer l'appui des organismes bénévoles en santé au projet de loi C-13. Nous sommes heureux d'avoir eu l'occasion de contribuer au développement des ICRS jusqu'à ce jour et souhaitons vivement contribuer de façon très active à leur essor.

[Traduction]

Par ailleurs, il est important de se rappeler que les organismes nationaux caritatifs dans le domaine de la santé contribuent jusqu'à 300 millions de dollars par année à la recherche en santé au pays. C'est à peu près le même montant que le budget annuel du Conseil de recherches médicales du Canada. Nous espérons continuer d'appuyer la recherche en santé non seulement en finançant la recherche en santé, mais aussi en participant très activement à la mise en oeuvre des IRSC.

Le président: Avant de passer la parole au sénateur Carstairs, j'aimerais poser au docteur Worton une question qui découle de l'une de ses remarques. De fait, plusieurs autres témoins nous ont dit la même chose. Je veux comprendre exactement ce qu'il serait possible de faire sous le régime des IRSC et qui ne l'était pas en vertu du système actuel.

On a l'impression que les IRSC permettront une série de projets interdisciplinaires volontaires qui, il y a lieu de le croire, auraient pu se produire sans la création des IRSC, si les gens avaient été motivés. Tous les témoins que nous avons entendus sont en faveur du projet de loi. Là n'est pas le problème. Cependant, j'essaie de comprendre la situation d'un point de vue pratique. Pouvez-vous me donner un exemple de choses qui sont maintenant possibles et qui ne l'étaient pas auparavant? Est-ce simplement parce que les gens subissent un revirement, un changement d'attitude qui les amènera à coopérer davantage à cause de ce changement? Quel est le véritable changement dans la pratique?

M. Worton: Vous avez absolument raison. On aurait pu suivre le même modèle et lui donner l'appellation IRSC, sauf qu'on n'aurait pas élargi les domaines de recherche en santé. Une telle initiative nécessitait un nouveau nom.

Lorsqu'on a annoncé la création des réseaux de centres d'excellence vers la fin des années 1980, c'était la première occasion pour les chercheurs canadiens de faire du réseautage. Il faut parfois qu'un réseautage de cette nature soit actionné par le haut. C'est-à-dire qu'il faut donner aux gens l'occasion de le faire.

J'ai fait partie d'un groupe de trois personnes qui ont conçu ensemble un programme pour créer un réseau sur les maladies et la génétique, qui existe depuis 1989. Avant de nous réunir pour la première fois, nous ne nous connaissions pas. Nous connaissions nos noms, dans certains cas, mais nous ne nous étions jamais rencontrés. Après quatre ans d'existence, 40 p. 100 des publications qui provenaient du réseau étaient le résultat d'efforts de collaboration entre au moins deux membres du réseau. Le niveau de collaboration avant la création du réseau aurait pu être de l'ordre de 5 p. 100. C'était donc une bonne chose de mettre cette structure en place.

Je peux ajouter que lorsque des scientifiques européens et américains ont étudié notre réseau dans le cadre d'un processus d'examen à la fin de la période de quatre ans, les Américains ont simplement haussé les épaules et dit qu'ils ne pourraient jamais faire cela aux États-Unis parce qu'il y a trop de spécialistes dans chaque discipline pour qu'ils puissent collaborer. Nous avions 40 scientifiques; l'équivalent aux États-Unis aurait été de 400. Ils ont dit: «Nous ne pourrions jamais faire comme vous, parce que nous avons trop de spécialistes dans un domaine et nous sommes trop compétitifs, mais nous aimons ce que vous faites au Canada.»

Le président: Dans cette mesure, le cloisonnement disparaît. Je parle de «cloisonnement» seulement parce que c'est ainsi que les choses fonctionnent dans de nombreuses disciplines. Vous dites que le fait de changer la structure, de reconnaître officiellement que l'élimination du cloisonnement est une bonne chose, constitue essentiellement un facteur motivant, bien que si l'on avait pu trouver un moyen de les motiver dès le début, les gens auraient pu le faire sans qu'on change la structure.

M. Worton: C'est exact.

Le président: Le changement de structure a donc ici un effet psychologique aussi bien qu'un effet sur le plan de l'organisation.

M. Worton: Il a déjà eu un effet psychologique.

L'autre différence vient du faut qu'en organisant la structure en instituts qui ont une spécialisation bien définie -- par exemple, un institut des maladies cardio-vasculaires, si c'est l'un des instituts qui sont nommés -- le comité consultatif de cet institut spécialisé sera en mesure d'identifier des possibilités de recherche et des menaces à la santé dans ce domaine.

On tiendra probablement une assemblée annuelle où les scientifiques financés par l'entremise de l'institut se rencontreront et pourront faire d'une certaine façon la même chose que d'autres réseaux ont permis de faire dans le passé. Cependant, tous les scientifiques du pays appartiendront à l'un ou l'autre de ces instituts.

Le président: Je suis un simple profane et je pensais que c'était déjà fait.

Le sénateur Carstairs: Je veux poser ma première question à Mme Marrett, qui nous a présenté ce matin une position que nous n'avions pas encore entendu énoncer clairement avant aujourd'hui. On a tendance à voir ce projet à travers un prisme et à penser que seuls les IRSC contribueront à la recherche au Canada. Vous avez bien utilisé le chiffre de 300 millions de dollars?

Mme Marrett: En effet.

Le sénateur Carstairs: Où vont principalement ces 300 millions de dollars? Sont-ils consacrés à la recherche sur le cancer ou les maladies cardiaques?

Mme Marrett: Je n'ai pas de ventilation. Ce chiffre figurait dans un rapport de Statistique Canada qui a effectué des recherches à ce sujet il y a environ huit mois. Cependant, je sais que l'Institut national du cancer du Canada, la Société canadienne du cancer, est l'organisme qui contribue le plus au financement de la recherche sur le cancer au pays. Nous n'avons pas de ventilation précise. Toutefois, ce montant concerne un certain nombre d'activités différentes. A notre connaissance, il ne s'agit pas seulement de sommes destinées à des maladies précises, c'est une estimation fondée sur une enquête statistique et nous savons donc que le résultat n'est pas complet. Plusieurs des organismes nationaux de bienfaisance dans le domaine de la santé qui se préoccupent d'une maladie donnée, financent en effet la recherche dans le domaine qui les intéresse. Ils peuvent financer non seulement la recherche biomédicale, mais toute une gamme de projets de recherche en santé portant par exemple sur l'aspect psycho-social de la maladie. Ils financent certains domaines plus que d'autres, tout dépendant évidemment de leur capacité de fournir des fonds pour la recherche.

Le sénateur Carstairs: Mon autre question n'a rien à voir avec le projet de loi C-13; je suis seulement curieuse. Comment vous y prenez-vous pour rendre une certaine maladie «sympa» afin de pouvoir attirer des dollars pour la recherche? Une amie et moi avons discuté de la question et je vous le dis franchement, nous avons constaté que les femmes avaient réussi à recueillir énormément d'argent pour la recherche sur le cancer du sein, alors que les hommes n'ont pas réussi à en recueillir autant, parce qu'ils ne semblent pas disposés à parler des maladies de la prostate. Certaines d'entre nous, dont le mari a souffert du cancer de la prostate, ont décidé qu'il fallait en faire une question qui concerne les femmes. Comment pouvons-nous susciter un intérêt comparable pour le cancer de la prostate?

Mme Marrett: C'est un défi énorme. Pour toute maladie, il y a plusieurs facteurs différents qui contribuent à former un programme complet. Les médias peuvent être l'un de ces facteurs, mais cela dépend de ce qu'ils sont disposés à faire. Dans quelle mesure les médias accepteront-ils de participer? Dans quelle mesure peut-on parler publiquement et franchement de la question? Dans quelle mesure la population canadienne veut-elle entendre parler de la question?

Je sais qu'il existe une organisation canadienne pour le cancer de la prostate et qu'elle travaille avec la Société canadienne du cancer et l'Institut du cancer du Canada en collaboration avec un certain nombre d'autres organismes, mais je ne peux pas vous dire quelle est la meilleure façon de «mettre en vogue» cette maladie. Ce n'est pas très facile pour certains groupes qui s'occupent d'une maladie moins fréquente et qui sont aux prises avec les mêmes problèmes, mais il est souvent nécessaire de faire participer tout le monde dans la collectivité. C'est l'un des plus grands défis.

Le président: J'aimerais entendre le point de vue du docteur Worton en sa qualité de personne qui aimerait recevoir des fonds. Comment une maladie qui n'est pas «à la mode» peut-elle le devenir au niveau du financement privé? Je compare cela à un phénomène comme celui des enfants malades, qui est automatiquement «à la mode».

M. Worton: Je ne m'attendais à pas cette question-là. Cependant, je peux dire que le cancer de la prostate est aujourd'hui un problème moins aigu qu'il ne l'était étant donné que l'initiative relative au cancer du sein a accru la sensibilisation au cancer de la prostate, et il existe maintenant de nouveaux grands programmes de recherche qui s'intéressent au cancer de la prostate. C'est aussi une question d'opportunité étant donné que l'on a récemment découvert certains gènes qui sont responsables du cancer de la prostate. Cette découverte a ouvert un nouveau champ de recherche.

J'ai été associé pendant plusieurs années à l'Association canadienne de la dystrophie musculaire, et je suis actuellement vice-président du conseil d'administration. Nous sommes constamment aux prises avec ce problème de la «sensibilisation». On peut accroître la sensibilisation entre autres choses en utilisant l'influence de personnalités très connues. Par exemple, aux États-Unis, Jerry Lewis joue ce rôle. On peut contester le choix de cette personne, mais le fait est qu'il a énormément contribué à faire avancer la recherche sur la dystrophie musculaire. Au Canada, nous avons eu une série de personnes différentes. Il est possible de recruter une personnalité bien connue, par exemple le patineur Kurt Browning, qui a été notre président honoraire pendant deux ou trois ans, et une organisation peut ainsi recueillir des appuis très considérables.

Le président: C'est ce qu'on a décrit comme étant un problème de marketing classique, et je ne l'entends pas au sens péjoratif, mais c'est ce qu'il faut pour capter l'attention du public.

Le sénateur Carstairs: Ma deuxième question a trait au conflit que pourrait poser le fait que le président des IRSC et le président du conseil d'administration intérimaire soient la même personne. Vous opposez-vous à cela? Si oui, pourquoi? Si non, pourquoi pas?

M. Worton: Je vais répondre à cela en premier, si vous le permettez. C'est certes une question qui a été longuement débattue au sein du conseil d'administration intérimaire lorsqu'on a préparé la première mouture de ce projet de loi. Je pense qu'il y a des arguments pour et contre. Certaines oeuvres de bienfaisance oeuvrant dans le domaine de la santé étaient d'avis qu'il fallait qu'il y ait séparation des pouvoirs entre le président du conseil d'administration et le président des IRSC mais, même s'il n'y avait pas unanimité au sein du conseil d'administration intérimaire, on s'est entendu à la fin pour désigner une seule personne. Si l'on a décidé que le président du conseil et le président seraient la même personne, c'est entre autres choses parce qu'il s'agit d'une organisation financée par l'État, et que le président doit rendre compte directement au ministre de la Santé. Cela pourrait faire problème si les deux postes étaient occupés par deux personnes.

À mon avis, c'est le meilleur modèle qui soit, et il y avait certainement consensus au sein du conseil d'administration intérimaire lorsqu'on a rédigé le projet de loi.

Le sénateur Robertson: Pour en revenir à la question des 300 millions de dollars que l'on a mentionnés -- et j'imagine que c'est à peu près le même montant d'argent pour ce nouvel organisme -- j'ai toujours été étonnée et quelque peu préoccupée par l'absence de coopération entre les groupes de recherche. On dirait que personne ne sait jamais ce que l'autre fait; et j'espère qu'avec la création des Instituts de recherche en santé du Canada, on pourra susciter une attitude de coopération entre tous les chercheurs du pays parce que sans cette coopération, nous gaspillons notre argent.

Il y a plusieurs années de cela, j'avais un médecin stagiaire dans mon bureau pendant l'été. Je voulais qu'il travaille avec les associations bénévoles pour voir quel était le niveau de coopération. Je vais citer à titre d'exemple la recherche sur les médicaments anti-rejet pour les transplantations du coeur, des reins, du foie, des yeux, et cetera. Chacun semblait travailler de son côté, avec peu de coordination. Je me suis dit: «C'est une honte. Comme l'on gaspille l'argent que le public verse à ces organisations».

Je ne sais pas si l'on a réglé ce problème parce que je n'ai pas suivi ce dossier depuis cet été-là, mais je crois que, d'une manière ou d'une autre, il faut cesser ce gaspillage des crédits de recherche que cause l'absence de coordination et de coopération entre les divers éléments en cause.

Je sais qu'il se pose un problème relatif à la «protection de la propriété», et il y a aussi cette attitude qui consiste à dire: «Je ne veux pas que vous sachiez ce que je fais parce que je suis sur une bonne piste, et je vais peut-être ainsi vous coiffer au poteau.» J'ajouterais à cela ce que j'appellerais, en termes familiers, la recherche commerciale qui se pratique au Canada.

Y a-t-il moyen d'établir une approche coordonnée? Cette nouvelle structure favorisera-t-elle la coordination? Vous avez dit que vous pouviez déjà voir une coordination, mais qu'en est-il à l'extérieur de vos instituts? Vous est-il possible de rejoindre ces personnes? J'ai entendu des personnes qui grognaient parce que l'on donne à tellement de groupes, et j'ai la certitude que la plupart d'entre nous ici présents ont entendu la même chose.

Chose certaine, il y a double emploi, et certains citoyens pensent qu'il se fait beaucoup de gaspillage parce que le public commence à se rendre compte de cette absence de coordination et de coopération. J'espère me tromper totalement. J'espère que je ne suis pas trop injuste. Ce sujet me met mal à l'aise.

J'aimerais entendre l'opinion des deux groupes.

Mme Marrett: Il y a aujourd'hui beaucoup plus de coopération entre les oeuvres de bienfaisance nationales oeuvrant dans le domaine de la santé que qu'auparavant. Il y en a plus que jamais. Il en est ainsi entre autres parce qu'au cours des cinq dernières années à peu près, les oeuvres de bienfaisance nationales ont elles-mêmes constaté la nécessité de coopérer dans les dossiers qu'elles avaient en commun. Elles se sont en fait entendues sur trois dossiers communs: la recherche en santé, l'information sur la santé et le contrôle, et le soutien communautaire aux patients. Elles discutent en ce moment de la création d'une alliance qui consoliderait de beaucoup leur coopération.

Chose intéressante, le partage du financement est l'une des questions dont elles ont discuté. Étant donné les progrès réalisés en matière de recherche, souvent, les chercheurs qui demandent du financement ont déjà eu un effet sur un autre secteur. Ces oeuvres nationales discutent donc de la manière dont elles pourraient coopérer encore plus. Nous allons tenir un atelier à la mi-avril pour discuter de cela plus avant.

Lorsque les IRSC seront créés, ce que nous espérons, nous allons également collaborer avec les IRSC pour assurer la poursuite de cette coopération, pas seulement avec nous, les oeuvres de bienfaisance nationales, mais aussi avec l'ensemble des chercheurs. J'ai la certitude que cela se fera de plus en plus.

Ce qui ne veut pas dire que l'une quelconque de ces organisations doit cesser de solliciter l'appui financier du public pour soutenir son oeuvre, car chacune fait un travail très différent étant donné qu'une partie de ce travail, mais pas tout, vient en aide à la recherche en matière de santé. Il faut toujours respecter ce que chacun fait dans son propre domaine.

Le sénateur Robertson: Si vous avez des informations sur cette coopération améliorée, j'aimerais certainement en recevoir.

Docteur Worton, y a-t-il moyen de rejoindre les chercheurs commerciaux, ou sont-ils totalement muets?

M. Worton: Le Conseil de recherches médicales du Canada, il y a quelques années, a entrepris une série de partenariats avec l'industrie, avec les pharmaceutiques, avec l'industrie biotechnologique et autres, pour financer conjointement des initiatives de recherche. Ces partenariats se poursuivent, et ils ont été récemment renouvelés et élargis. Cela continuera sous les auspices des IRSC.

En fait, ces partenariats sont mutuellement bénéfiques. Le secteur privé contribue financièrement à la recherche, ce qui soulage un peu l'État. Au même moment, s'il investit, il s'attend à un certain rendement qui prend la forme de l'accès à la propriété intellectuelle et aux informations. Il peut par conséquent en profiter pour créer ses propres entreprises.

C'est donc mutuellement profitable, et on le sait depuis longtemps. Cela va se poursuivre.

Pour ce qui est des oeuvres de bienfaisance nationales dans le domaine de la santé, je peux vous donner un exemple. Il s'agit davantage d'un témoignage personnel, mais ayant été associé à l'Association de la dystrophie musculaire, je sais que celle-ci s'est opposée pendant des années et des années à la société de la SLA parce que, dans une certaine mesure, les deux organisations sollicitent des fonds pour le même ensemble de maladies. Au cours des trois dernières années, ces organisations se sont unies et ont créé un programme unique de financement de la recherche. Elles financent conjointement la recherche, et non seulement cela, elles se sont associées au Conseil de recherches médicales du Canada, qui investit un dollar pour chaque deux dollars qu'elles investissent.

Par conséquent, les 250 000 $ de l'Association canadienne de la dystrophie musculaire deviendront 750 000 $ cette année pour un programme en particulier. Les deux organisations sont à la même table. Cela étant fait, elles vont maintenant occuper les mêmes locaux et partager des espaces de bureau. Il faut croire que la fusion pourrait être la prochaine étape.

Le sénateur Robertson: Voilà qui s'appelle un progrès. Je vous remercie de me l'avoir dit.

Étant donné que vos groupes et instituts menaient des recherches, qui se produira-t-il quand vous aurez découvert un produit que pourrait être distribué au grand public? Comment comptez-vous faire?

On m'a dit hier que le secteur commercial ne vous intéressait pas. Cependant, comment vous y prendriez-vous pour commercialiser ce produit? Est-ce que vous toucheriez des redevances? C'est ce que l'Université de l'Alberta a fait dans quelques cas.

M. Worton: Toutes les universités ont aujourd'hui des bureaux de transfert technologique qui s'occupent de ces questions. Ces bureaux décident à quel moment une invention ou un produit peut être breveté ou mis sur le marché. Le brevetage est une solution. Le secret en est une autre. Si vous ne dites rien à personne, vous n'avez pas besoin de brevet.

Le processus consiste à obtenir un brevet et à faire connaître votre invention. Vous publiez vos informations, vous les offrez à tous. Si une entreprise commerciale veut se servir de ces informations ou de ce produit, elle doit payer.

Cette commercialisation peut se faire de diverses manières. L'université ou l'organisation peut entre autres exiger des redevances. On peut aussi conclure un contrat de licence aux termes duquel on vous verse de l'argent au départ pour obtenir le privilège de la licence. Troisièmement, on peut créer une nouvelle entreprise et offrir des actions dans cette entreprise à l'université ou à l'hôpital. Ce mécanisme était moins courant par le passé, mais j'imagine qu'il sera plus répandu à l'avenir.

Le sénateur Roberston: En percevant des redevances, monsieur le président, on pourrait presque remplacer les crédits de l'État dans 10 ou 15 ans pour aider ces recherches à avancer.

Le président: Votre troisième modèle, la création d'une entreprise, c'est ce qu'on a fait avec World Heart, n'est-ce pas?

M. Worton: C'est exact.

Le président: Je crois savoir que l'Institut de cardiologie d'Ottawa a fondé une entreprise qui est en fait dans une large mesure la propriété de l'Institut de cardiologie.

M. Worton: J'ignore qui est propriétaire au juste, mais je sais de source sûre que c'est une création de l'Institut de cardiologie.

Le président: Il a préféré cette option aux redevances ou au paiement forfaitaire.

Le sénateur Callbeck: J'ai une question au sujet de la composition des conseils d'administration. Nous avons entendu plusieurs témoins hier soir, dont Sharon Sholzberg-Gray, présidente et chef de la direction de l'Association canadienne des soins de santé. Elle recommandait l'adjonction d'un représentant des consommateurs ou du public au conseil d'administration et aux autres instances des IRSC chargés de prendre des décisions et d'établir les priorités.

De même, Mme Jeans, directrice générale de l'Association des infirmières et des infirmiers du Canada, a dit que le public devrait prendre part à l'administration des IRSC, et cela comprenait dans son esprit la participation aux conseils consultatifs que l'on entend créer. Dans quelle mesure importe-t-il à votre avis de rejoindre les gens à l'extérieur du milieu de la recherche?

Mme Marrett: Du point de vue des Associations nationales bénévoles oeuvrant dans le domaine de la santé, qui représentent de nombreux Canadiens qui vivent dans toutes les régions du pays et qui sont atteints de maladies et de troubles particuliers, qu'il s'agisse d'eux-mêmes ou de membres de leur famille, nous considérons que c'est une question très importante. C'est l'une des raisons pour lesquelles nous étions si heureux de prendre part à la création des IRSC jusqu'à présent. Nous serons heureux également de prendre part à leur mise en oeuvre. Nous avons proposé au gouvernement des candidatures au conseil d'administration, et nous avons hâte que ces nominations se fassent.

Nous croyons cependant qu'il y a plusieurs façons de participer, et on sait qu'il y a divers niveaux décisionnels. Nous espérons que des Canadiens bien connus siégeront au conseil d'administration, et nous nous attendons aussi à ce que le public soit représenté au niveau des conseils consultatifs des instituts ainsi qu'au sein des autres instances décisionnelles. Nous avons la certitude que cela se fera, et nous travaillons en étroite collaboration avec le secrétariat chargé de la mise en oeuvre des IRSC dans certains de ces dossiers.

Le sénateur Callbeck: D'autres observations?

M. Worton: Le processus de sélection du conseil d'administration a été assez ouvert. Nous, en notre qualité de scientifiques, en sommes heureux, parce qu'il y a eu un processus de nomination. On a présenté près de 400 candidatures au conseil d'administration. Je crois qu'on a maintenant créé des comités, et on a établi une liste de 40 candidats. Sur ces 40, 18 seront choisis. Deux des 20 postes sont comblés à l'avance.

Nous sommes très heureux de ce processus. J'ai la conviction que l'on aura un mélange de scientifiques, de personnalités connues et de personnes intelligentes à ce conseil d'administration.

J'imagine qu'il n'appartient pas au conseil d'administration intérimaire mais plutôt au gouvernement en ce moment de déterminer la composition du conseil d'administration.

Le président: Je remercie les témoins d'avoir été des nôtres ce matin.

Chers collègues, depuis notre séance d'hier soir, le personnel et moi-même, de concert avec le comité directeur, avons formulé l'ébauche d'un rapport. Je crois que vous en avez reçu copie.

Avant d'en discuter, j'aimerais seulement vous signaler que j'ai reçu deux lettres ce matin. L'une de M. Harry Daniels, président du Congrès des peuples autochtones, l'organisation autochtone qui représente les Métis et les Amérindiens hors réserve. M. Daniels fait valoir dans sa lettre, qui vous a été remise, qu'en fait, pour ce qui est de la recherche médicale relative aux questions autochtones, particulièrement relativement à la santé des Autochtones, le Congrès des Peuples Autochtones a été exclu d'une bonne partie des discussions. On a surtout entendu trois organisations nationales autochtones, soit l'Assemblée des premières nations, l'Inuit Tapirisat et le Métis National Council.

Si le comité le veut bien, lorsque nous en aurons terminé avec le rapport, je vais écrire au docteur Friesen, le président du conseil d'administration intérimaire, et je vais annexer à ma lettre celle de M. Daniels. Je lui dirai qu'il lui faut entendre les vues des Amérindiens hors réserve, en particulier, et que celles-ci doivent être prises en compte dans les travaux des IRSC.

Deuxièmement, nous avons une lettre de l'Association de recherche médicale canadienne qui se dit très favorable au projet de loi et parle de la création d'un bureau d'«excellence clinique», qui ne relève pas directement des IRSC. Encore une fois, je propose d'annexer cette lettre à ma lettre au docteur Friesen, si nous sommes d'accord.

Ces nouvelles informations vous ayant été communiquées, je vous prie de prendre connaissance de l'ébauche du rapport. Le sénateur Carstairs, le sénateur LeBreton et moi-même, qui sommes les trois membres de votre comité directeur, en avons pris connaissance plus tôt ce matin. Chacun peut maintenant poser des questions ou faire des observations.

Le sénateur Carstairs: J'ai bel et bien mentionné la préoccupation que voici au comité directeur, et c'est justement pourquoi j'ai tenu à en discuter avec le dernier groupe de témoins. Il est dit au dernier paragraphe:

Partageant leurs craintes, le comité demande instamment que le gouvernement fédéral modifie la Loi à la fin du premier mandat de cinq ans du président des IRSC [...]

Je tiens beaucoup à ce que l'on modifie le texte pour qu'il se lise ainsi: «envisage sérieusement d'amender le projet de loi». Nous avons entendu dire aujourd'hui qu'il pourrait en effet y avoir conflit dans la reddition de comptes au ministre de la Santé si l'on sépare le poste de président du conseil de celui de président.

Le président: Permettez-moi de vous répondre. Nous ne nous entendons pas sur cette question.

Bon nombre d'études qui ont été effectuées sur l'administration d'institutions de tout genre, à but lucratif, à but non lucratif, et d'institutions gouvernementales, ont fait valoir cet argument. Je dois dire que le comité des banques a étudié cette question sous tous les angles, qu'il s'agisse du conseil d'administration qui gère le RPC, de sociétés privées, de sociétés à but non lucratif. Ayant entendu un grand nombre de groupes justement sur cette question de l'administration, nous en sommes venus à la conclusion que les postes de chef de la direction et celui de président du conseil d'administration doivent être séparés. Nous avons conclu qu'il ne faut pas se mettre dans une situation où le chef de la direction rend des comptes à un conseil d'administration dont il est également le président.

En dépit de ce qu'a dit le docteur Worton ce matin, je préfère laisser les choses telles quelles. Fidèle à la position que j'ai prise dans plusieurs autres dossiers, et je crois sincèrement que c'est aussi la tendance des institutions modernes, je préfère laisser les choses telles quelles. Cela dit, je suis disposé à entendre l'avis du comité.

Le sénateur LeBreton: Je suis d'accord avec vous. Il me semble que cela ne compromet pas nécessairement les postes de président ou de chef de la direction. Dans la plupart des conseils d'administration, ce sont des fonctions distinctes, l'une étant subordonnée à l'autre.

Le président: Les sociétés d'État évoluent en ce sens.

Le sénateur LeBreton: S'il se passe quelque chose dans l'intervalle qui modifierait nos vues, j'imagine que l'on pourra y voir. Je suis d'accord avec le président. Il y a aussi la question de la charge de travail. Si cet organisme doit travailler comme nous l'espérons, l'efficience exige qu'il y ait deux personnes.

Le sénateur Robertson: Oui, je suis d'accord avec vous. Je suis d'accord également pour dire qu'il y a tout simplement beaucoup trop de travail à faire.

Le président: D'autres observations sur cette question ou le rapport?

Le sénateur Callbeck: Je suis d'accord avec vous.

Le sénateur LeBreton: Pour ce qui est de la question de la «santé mentale», je suggère fortement qu'on l'ajoute.

Le président: Nous nous sommes entendus là-dessus après vous avoir entendue.

Le sénateur LeBreton: D'après ce que les témoins nous ont dit hier soir, il est évident que c'est un domaine où il faut supprimer ce stigmate.

Le président: Je dois écrire un mot au docteur Reading. J'ai parlé à mes collègues après l'avoir entendu hier soir, et chacun a remarqué que son témoignage était extrêmement impressionnant.

Le sénateur LeBreton: Nous devons également écrire à M. Upshall au sujet de la santé mentale.

Le président: Oui. S'il n'y a pas d'autres observations, je serais heureux de faire rapport de ce projet de loi au Sénat cet après-midi et de présenter ce rapport qui dit que le projet de loi doit être adopté sans amendement mais avec les observations que nous annexons.

Le sénateur Carstairs: J'en fais la proposition.

Le président: D'accord?

Des voix: D'accord.

Le président: Je ferai donc rapport du projet de loi cet après-midi.

Nous allons entendre maintenant nos prochains témoins, ce qui nous ramène à notre étude générale sur les soins de santé, et nous recevons maintenant Mme Colleen Fuller, du Centre canadien de politiques alternatives, M. Robert Evans, de l'Université de la Colombie-Britannique, et M. Martin Zelder, de l'Institut Fraser.

Monsieur Zelder, nous vous écoutons.

M. Martin Zelder, directeur de la recherche sur les politiques de santé, Institut Fraser: Avant de commencer, je dois corriger une erreur qu'il y a dans mon mémoire.

Au dernier paragraphe de mon texte, au bas de la page 7, avant-dernière ligne, il faut lire: «En dépit des preuves abondantes qui démontrent que les entreprises gouvernementales sont inefficientes par comparaison aux entreprises privées...». Je vous prie de pardonner cette erreur.

Ce que mon mémoire dit essentiellement, et je le répéterai aujourd'hui, c'est que l'assurance-maladie, même si l'on veut qu'elle incarne la générosité et la compassion, particulièrement à l'égard des pauvres, n'a pas réalisé ses nobles intentions. Elle n'a pas réalisé ses intentions parce que sa conception est défectueuse.

Cet idéal humanitaire, bien sûr, consistait à offrir l'assurance-maladie gratuitement à tous les Canadiens, où qu'ils soient. L'idée semblait bonne à l'époque, mais nous avons appris beaucoup depuis. Ce que nous -- économistes et analystes des politiques gouvernementales -- avons appris, c'est que la «gratuité» n'est pas nécessairement «humanitaire». Que veut dire «gratuité»?

Cela veut dire de longues files d'attente pour plusieurs soins vitaux -- des files qui sont beaucoup plus longues que dans d'autres pays comparables. Voici la constatation la plus récente: les Canadiens attendent normalement cinq mois pour un examen IRM crânien, alors que les Américains n'attendent que trois jours; et pour le remplacement d'un genou, les Canadiens attendent cinq mois et demi alors que les Américains n'attendent que trois semaines et demie.

D'autres études constatent que les Canadiens attendent plus longtemps que les Suédois et les Allemands pour une chirurgie cardio-vasculaire urgente ou élective. Vous trouverez les détails complets et les références à la page 2 de mon mémoire.

L'attente au Canada s'allonge de plus en plus. Voyez le graphique 1. Moyenne pour toutes les spécialités, où le temps d'attente a augmenté de 37 p. 100 -- ou 3,6 semaines -- de 1994 à 1998. Au cours de la même période, le temps d'attente pour la chimiothérapie a augmenté de 44 p. 100.

Pourquoi les Canadiens attendent-ils si longtemps? Ces longues attentes sont causées par deux défectuosités fondamentales dans l'intervention gouvernementale au niveau du système médical. Ces deux éléments défectueux sont un régime d'assurance mal conçu et des incitatifs déformés dans la gestion des budgets des hôpitaux d'État.

La faiblesse fondamentale du régime d'assurance est le «danger moral» ou sa surutilisation. Les économistes ont commencé à mieux comprendre ce danger moral dans les années 60. Le fait est que l'existence de ce contrat d'assurance influence le comportement de l'assuré. Plus particulièrement, cela signifie que l'assuré va consommer les services au point où les avantages qu'il en retire sont de loin inférieurs à ce qu'il en coûte à la société.

Étant donné que la théorie du danger moral a été lente à émerger, les fondateurs de l'assurance-maladie n'ont pas saisi l'ampleur du problème. Le grand historien de la santé Malcolm Taylor décrit ainsi la perspective qu'on en avait à l'époque du plan avorté de Mackenzie King en 1945:

Personne ne savait combien coûterait un régime public d'assurance-maladie complet [...] Il n'y avait pas moyen de savoir quelle en serait l'utilisation si toute la population était assurée.

Après l'entrée en vigueur du régime des services hospitaliers de la Saskatchewan en 1946, «le coût du régime... dépassait de loin les estimations», selon Taylor.

Ce que les économistes ont découvert par après, c'est que les paiements complémentaires de l'assurance-maladie, ou tickets modérateurs, constituaient un mécanisme souhaitable et efficace qui permettait de limiter le danger moral. Cependant, même après qu'on a compris cela, même après qu'on a vu les avertissements relevés par Taylor, l'assurance-maladie est demeurée une institution sans tickets modérateurs, dans son ensemble.

Pourquoi le Canada n'a-t-il pas tiré parti de cette avancée du savoir social? C'est peut-être parce que les politiciens se sont toujours attaqués aux tickets modérateurs. Ils ont été enhardis par les défenseurs de l'assurance-maladie au sein de l'université, par exemple le professeur Evans, qui affirme que le ticket modérateur ne diminue pas nécessairement la «surconsommation» des services médicaux.

Ces affirmations ont été résolument réfutées par l'un des grands projets de recherche en sciences sociales du siècle, le RAND Health Insurance Experiment. Les chercheurs de la RAND ont assigné au hasard divers régimes d'assurance-maladie à environ 2 000 familles choisies au hasard et ne comprenant pas de personnes âgées. Les régimes variaient selon leur ticket modérateur -- de 0 à 95 p. 100 de la facture -- jusqu'à une limite maximale -- 5, 10 ou 15 p. 100 du revenu familial, ou 1 000 $US, le plus petit des deux montants étant retenu. On a suivi ces familles de trois à cinq ans pour comprendre comment l'assignation à divers régimes d'assurance-maladie influençait les dépenses en matière de santé et les conséquences pour la santé.

Les chercheurs de la RAND ont constaté que les familles qui payaient 25 p. 100 de leur poche, mais jamais plus de 1 000 $ par année, avaient annuellement des dépenses de santé totalisant, en moyenne, 826 $US. En comparaison, ceux du groupe «canadien» qui ne payaient rien de leur poche, ou 0 p. 100 de coassurance -- présentaient des dépenses beaucoup plus élevées annuellement, soit 1 013 $US. Ce qui veut dire qu'un taux de coassurance de 25 p. 100 menait à une réduction des dépenses annuelles de 193 $US, soit une réduction de 19 p. 100.

La plus remarquable constatation découlant de l'analyse de la RAND, toutefois, concerne le changement de l'état de santé des familles examinées. Des mesures exhaustives de l'état de santé avant et après ont permis aux chercheurs de déterminer si les membres du régime canadien, qui recevaient davantage de soins, avaient de meilleures chances de rester en bonne santé ou d'améliorer leur santé que ceux qui, de leur poche, versaient 25 p. 100 ou plus. Aussi incroyable que cela puisse paraître, l'accès à des soins de santé «gratuits» ne profitait pas aux Canadiens, sauf pour quelques exceptions secondaires mais néanmoins importantes.

Ces exceptions -- soit ceux dont la santé s'était améliorée avec leur adhésion au régime canadien -- sont les pauvres malades, les malades à faible revenu qui, au début de l'expérience, souffraient d'hypertension artérielle, de problèmes de vision, de problèmes dentaires ou d'anémie. Toutefois, les soins «gratuits» n'ont eu aucune incidence sur la santé des sujets autres que les malades pauvres qui représentaient environ 6 p. 100 de la population.

En fait, lorsqu'on tient compte d'autres changements en matière de dépenses gouvernementales, les Canadiens pauvres ont peut-être souffert de l'instauration des soins gratuits. En 1984, les économistes Lindsay et Zycher, que je cite dans mes références, ont constaté qu'avant l'instauration du financement des programmes établis en 1997, chaque dollar additionnel de dépenses gouvernementales en matière de santé entraînait l'élimination de 31c. en dépenses au chapitre de l'assistance sociale. Je doute fort que la très petite fraction de chaque dollar additionnel consacrée à la santé dont ont profité les pauvres ait compensé les 31 c. de dépenses en aide sociale qu'ils ont perdus.

Dans le cadre de l'expérience RAND, 94 p. 100 de la population n'a pas profité de la gratuité des soins de santé. Cela signifie qu'une bonne partie des services de santé additionnels qu'on consomme actuellement parce que les soins de santé sont accessibles, parce que le montant de la coassurance est de zéro, est gaspillée. Par conséquent, nous pourrions offrir des soins gratuits aux pauvres, sans leur nuire en comprimant les autres programmes sociaux, mais redéfinir aussi l'accessibilité de façon à prévoir une coassurance de 25 p. 100, jusqu'à une limite raisonnable, pour le reste de la population.

Le système actuel comporte un grand danger moral qui est manifeste dans les preuves sur le lien qui existe entre les dépenses gouvernementales en matière de santé et le temps d'attente. Plus précisément, j'ai tenté de déterminer si les provinces où l'on consacrait davantage, par personne, aux soins de santé avaient des temps d'attente moins longs pendant la période allant de 1992 à 1998. Ayant pris en compte les facteurs sous-jacents différents entre les provinces, j'ai constaté qu'il n'y avait aucun lien statistique entre les dépenses publiques par habitant en matière de santé et le temps d'attente. Autrement dit, dans les provinces où le gouvernement dépense davantage par habitant, le temps d'attente n'est ni plus court ni plus long que dans les provinces où on dépense moins. La somme d'argent importait peu. Cela témoigne d'un danger moral, puisque cela indique qu'on consacre de l'argent à des soins sans valeur, que cet argent pourrait être consacré à des soins plus utiles et que, par conséquent, le temps d'attente pour les soins utiles est d'autant plus long.

D'autres analyses m'ont permis de démontrer que les sommes consacrés aux soins de santé ne sont pas investis aux bons endroits.

Plus précisément, on pourrait réduire le temps d'attente si les sommes existantes étaient réaffectées aux médicaments et aux soins dispensés par les «autres professionnels».

Ces constatations illustrent le deuxième important défaut de l'assurance-maladie: l'inefficacité de l'entreprise gouvernementale. Bien qu'ils soient des entreprises privées à but non lucratif, les hôpitaux canadiens sont sous contrôle gouvernemental, autant pour ce qui est du financement général qu'en ce qui a trait à l'affectation des ressources au sein de chaque hôpital. Conséquemment, il n'est pas étonnant que les dépenses accrues ne réduisent pas le temps d'attente et que les sommes actuelles ne soient pas bien affectées.

Voici ce qu'a déclaré l'économiste Eric Hanushek, de l'Université de Rochester, au sujet du fait que la majorité des études sur l'enseignement public ne révèle aucun lien entre les sommes dépensées et le rendement des élèves des écoles publiques américaines:

Si le rendement accru n'est pas récompensé, on ne devrait pas s'étonner de constater que les ressources ne sont pas systématiquement utilisées de façon à améliorer le rendement.

Autrement dit, dans un système qui ne récompense pas l'affectation optimale des ressources, ces ressources ne seront généralement pas affectées de façon optimale. Dans le cas des hôpitaux, dans les 15 études qui comparaient l'efficience des hôpitaux privés et publics, huit études ont révélé que les coûts des hôpitaux privés étaient moindres pour un niveau de qualité donné, alors que trois seulement ont constaté le contraire et quatre, aucune différence.

En dernière analyse, l'assurance-maladie a été pour nous une leçon d'économie illustrant bien l'échec du gouvernement. En dépit des preuves abondantes selon lesquelles toute assurance médicale devrait comprendre une coassurance modeste pour tous sauf les pauvres, l'assurance-maladie ne prévoit pas une telle coassurance. En dépit des preuves abondantes selon lesquelles l'entreprise publique est inefficiente comparée à l'entreprise privée, l'assurance-maladie compte sur l'entreprise publique. Duplessis avait raison de dire au sujet de la proposition de Mackenzie King: «L'assurance-maladie est dangereuse.» L'assurance-maladie, conçue et se perpétuant sans qu'on en comprenne bien les ramifications socio-scientifiques, met en danger la compassion et la vie des Canadiens. Les économistes ont mis du temps à comprendre l'assurance. Maintenant que c'est fait, le temps est venu de guérir l'assurance-maladie.

Mme Colleen Fuller, recherchiste associée, Centre canadien de politiques alternatives: Mesdames et messieurs les sénateurs, je ne lirai pas mon mémoire. Plutôt, je m'attarderai aux premières mesures qu'il faudrait prendre pour réduire la tension qui entoure le système de soins de santé. Pour ma part, j'estime que cette tension s'exerce entre la médecine à but lucratif et le droit universel à des soins de santé. Cette tension remonte aux tout débuts de l'assurance-maladie, en fait, au début du siècle dernier. Cette tension a des racines historiques dont on n'a jamais traité et qui ont mené à l'impasse ou à la crise actuelle. J'estime que la crise des soins de santé est peut-être liée au financement, mais qu'elle est plus probablement liée à un conflit non résolu qui perdure au sein du système de soins de santé.

Pour régler ce conflit, il serait bon que le gouvernement fédéral décide soit de défendre l'assurance-maladie et la Loi canadienne sur la santé, soit de dire honnêtement aux Canadiens qu'il ne croit plus que tous les Canadiens ont droit à des services de soins de santé aux mêmes conditions.

Le conflit qui fait rage au sein même du gouvernement fédéral est évident: d'une part, nous avons un ministre de la Santé qui semble tout à fait impuissant devant ce qui se passe en Ontario et en Alberta, surtout, ainsi qu'au Québec et dans les autres provinces, mais qui, comme ministre de la Santé, veut donner l'impression de vouloir, à tout le moins, corriger certains problèmes. D'autre part, nous avons le gouvernement fédéral qui lui tient la bride serrée. Cette situation témoigne du conflit interne qui existe au gouvernement fédéral.

Le principe fondamental du régime de soins de santé est l'universalité. Le système a été conçu de façon à appuyer l'accès universel -- cela a été l'un des plus importants principes lorsque les fonds fédéraux ont été accordés pour la construction d'hôpitaux. L'accès était manifestement la préoccupation prépondérante. Les lois qui ont été adoptées à l'appui de l'assurance-maladie visaient surtout à mettre en pratique le droit universel à une gamme exhaustive de services. Cela comprend la Loi canadienne sur la santé de 1984 et la loi de 1966.

En 1984, année charnière pour le régime de soins de santé, la Loi canadienne sur la santé a été adoptée. Parallèlement, un nouveau gouvernement est arrivé au pouvoir avec des idées sur la façon de stimuler l'économie. Je crois pouvoir dire que le gouvernement Mulroney s'était engagé à assurer la croissance économique en faisant la promotion des exportations. C'est l'une des raisons qui l'ont poussé à négocier la libéralisation des échanges commerciaux. Bon nombre des objectifs de ce gouvernement allaient à l'encontre de l'intention de la Loi canadienne sur la santé et des objectifs canadiens au chapitre du régime de soins de santé.

De 1986 à nos jours, le système de soins de santé a reposé sur le principe selon lequel, pour favoriser l'exportation des biens et services de santé, un des atouts du Canada, on doit disposer d'une industrie de la santé qui serve de tremplin vers le marché mondial. On pourrait résumer ainsi ce principe: «Le succès au pays précède le succès à l'étranger.»

Cela reflète la tension dont j'ai parlé il y a un moment: la tension toujours présente entre la santé comme industrie rentable et la santé comme service public. À mon avis, ces deux visions sont inconciliables.

Cette tension toujours présente a paralysé le gouvernement fédéral au point où, en 1984, la ministre de la Santé de l'époque, Monique Bégin, a fait parvenir un règlement aux ministres provinciaux de la Santé. Ce règlement a été très controversé, car les provinces n'appuyaient pas la Loi canadienne sur la santé, estimant qu'elle représentait une ingérence dans un champ de compétence provincial. Pour finir, un bref a été déposé avant que le règlement ne soit adopté et annexé à la loi.

Par conséquent, la loi est restée sans règlement jusqu'en 1986, année où les conservateurs ont fait adopter le règlement sur les informations concernant la surfacturation et le ticket modérateur, qui reste le seul règlement joint à la Loi canadienne sur la santé.

Pendant que cette tension perdure au sein du gouvernement fédéral, celui-ci devient de plus en plus indécis sur l'orientation qu'il devrait adopter en matière de soins de santé. Ainsi, nous nous retrouvons dans la situation actuelle et personne ne sait comment interpréter la loi: quels sont les critères prévus par la loi? Rien ne nous guide, sauf le débat tenu par les députés à la Chambre des communes au moment du dépôt du projet de loi, puisqu'il n'y a pas de règlements.

Outre une position claire du gouvernement fédéral en matière d'assurance-maladie, il nous faut une réglementation qui précise l'intention de la loi, laquelle constitue le cadre national de notre régime de soins de santé. Cette réglementation doit être élaborée en public et avec la participation de la population.

Au début des années 90, il y a eu des différends entre Santé Canada et plusieurs provinces, y compris ma province de la Colombie-Britannique et l'Alberta, au sujet de la surfacturation et du ticket modérateur, ce qu'on appelait à l'époque les frais d'établissement. Diane Marleau, lorsqu'elle est devenue ministre de la Santé du nouveau gouvernement libéral, a hérité d'une mesure législative sans règlements ni intention claire. Elle a tenté de faire face à certaines des provinces qui voulaient instaurer des frais d'établissement.

Certains de ces frais d'établissement, soit dit en passant, ne relevaient pas du ticket modérateur. En Alberta, les frais demandés pour une chirurgie de la cataracte étaient de 1 275 $. D'une certaine façon, c'est un ticket modérateur, car si vous n'avez pas les moyens de payer ces frais, cela modérera votre souhait de subir une chirurgie de la cataracte.

Mme Marleau s'est opposée à l'Alberta au sujet des frais d'établissement; toutefois, rien dans la loi ne traitait de ces frais. Elle a donc fait parvenir une lettre, qui représentait, je suppose, une décision officielle, à ses homologues provinciaux sur la question des frais d'établissement. Elle y stipulait que les frais d'établissement ou ticket modérateur s'appliquant aux services hospitaliers violaient la loi et que ces services -- soins actifs, soins chroniques et réadaptation -- tombaient sous le coup de la loi et de ses critères, peu importe l'endroit.

Pour ma part, j'estime que ces derniers mots, «peu importe l'endroit», étaient les plus importants. Ils signifient que la loi s'appliquait aux services hospitaliers dispensés dans les cliniques ophtalmologiques, les hôpitaux privés, ou ailleurs. Cela signifiait qu'ils ne pouvaient faire l'objet d'un ticket modérateur, de surfacturation ou de frais établis en fonction des ressources. Tous ces services devaient être dispensés dans le cadre du régime public d'assurance-maladie.

Mme Marleau a été la première et la dernière ministre à préciser l'intention de la loi. Jusqu'à présent, personne n'a contredit sa décision, mais elle n'a pas joui de l'appui du gouvernement fédéral qu'il lui fallait pour promouvoir cette interprétation de la loi. En fait, son successeur, David Dingwall, dans son rapport de 1996 au Parlement, a contredit la position de Mme Marleau. Il a déclaré que, en raison de la réforme des soins de santé, tous ces services seraient dispensés dans la collectivité et que, malheureusement, s'ils n'étaient pas dispensés dans un hôpital, la loi ne s'appliquait plus. Ce n'était pas là une position officielle comme celle qu'avait adoptée Mme Marleau, mais elle contredisait sa position à elle.

Jusqu'à ce jour, le gouvernement fédéral a refusé de faire sien la position de Mme Marleau. À mon avis, la décision de Mme Marleau devrait être confirmée par le gouvernement fédéral puisque c'est la seule décision qu'ait jamais rendue Santé Canada sur les critères d'application de la loi. Cela éclaircirait sans doute certaines des questions encore sans réponse qui ont été soulevées notamment en rapport avec le projet de loi C-13.

Il serait aussi utile -- en fait, j'estime que c'est nécessaire -- d'envisager le retrait des soins de santé du Transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux, et ce, pour plusieurs raisons. Premièrement, le gouvernement fédéral n'a pas la moindre idée de ce à quoi servent ces transferts de fonds. Ils peuvent très bien servir à l'enseignement postsecondaire, aux soins de santé ou à l'aide sociale, les trois domaines du TCSPS. Il est fort probable que les provinces consacrent cet argent aux soins de santé, mais au détriment d'autres programmes très importants. Voilà pourquoi, entre autres raisons, la santé devrait être retirée du TCSPS.

Deuxièmement, il s'est produit une chose lorsque le TCSPS a été instauré: neuf modifications ont été apportées à la Loi canadienne sur la santé. Certaines étaient de peu d'importance et ne faisaient que modifier les mentions du financement des programmes établis et des transferts de fonds. On a toutefois apporté une modification importante: l'abrogation de l'article 6 de la loi. L'article 6 était la seule disposition de la Loi canadienne sur la santé qui obligeait le gouvernement à consacrer des fonds à ce qu'on appelait les «services complémentaires de santé». Les services complémentaires de santé sont ceux qui connaissent la croissance la plus rapide à l'heure actuelle. Ils comprennent les soins à domicile, les soins infirmiers à domicile et les soins ambulatoires. Il s'agit essentiellement de soins à domicile, de soins communautaires et de soins de longue durée.

L'abrogation de cet article de la Loi canadienne sur la santé a marqué le retrait du gouvernement fédéral de ce domaine, en dépit des belles promesses de ce gouvernement au sujet des soins à domicile, d'un programme national de soins à domicile, et ainsi de suite. En fait, le gouvernement s'est tiré dans le pied en abrogeant cet article de la loi. S'il avait plutôt maintenu la décision originale de Mme Marleau, nous n'aurions pas à envisager une loi distincte sur les soins à domicile et les soins communautaires.

Enfin -- et je sais que c'est très controversé, mais je le dis néanmoins -- il faut envisager une modification constitutionnelle qui ferait des soins de santé une compétence partagée entre les provinces et le gouvernement fédéral. Je sais que les provinces jetteront les hauts cris, mais les provinces se sont toujours plaintes de la participation du gouvernement fédéral dans ce champ de compétence. La Constitution n'a jamais établi clairement la compétence en matière de soins de santé.

En 1948, la commission Rowell-Sirois a traité de cette question. Elle a recommandé que ce champ de compétence ne soit pas défini afin que restent intactes les possibilités de collaboration entre les provinces et le gouvernement fédéral. C'était un voeu pieux qui ne s'est jamais réalisé. Il faut envisager un partage de cette compétence, un partage du financement et un financement conditionnel pour les provinces, autrement dit, un partage égal des responsabilités dans ce champ de compétence ainsi que du financement.

Ainsi, certains des problèmes auxquels nous faisons actuellement face seraient plus faciles à régler. Je ne prétends pas que ce serait la solution miracle, mais il serait plus facile de régler ces problèmes.

M. Robert G. Evans, directeur, Programme de santé des populations, Université de la Colombie-Britannique: Monsieur le président, je ne citerai pas Maurice Duplessis et ne tenterai pas non plus de m'engager dans une discussion constitutionnelle. Cela ne m'intéresse pas.

En réfléchissant à toutes ces questions, j'ai pensé à sir Isaiah Berlin, qui faisait la distinction entre deux façons différentes d'aborder intellectuellement ou d'envisager le monde en parlant du renard et du hérisson. Le renard sait bien des choses, le hérisson, lui, ne sait qu'une seule grande chose.

Pour traiter de toutes ces questions, nous adoptons l'approche du hérisson quand nous examinons les principes fondamentaux et la structure du système. Nous savons «une seule grande chose» sur les effets et le succès de tout régime à financement universel.

Lorsque nous nous demandons comment améliorer le système et l'adapter aux circonstances changeantes, nous adoptons l'approche du renard. Il n'y a pas de projectile magique. En fait, les projectiles servent habituellement à tuer les gens plutôt qu'à les guérir. Il n'y a pas de mesures radicales que nous puissions prendre pour améliorer le système du jour au lendemain. En fait, les changements que nous apporterions ainsi ne feraient probablement qu'empirer les choses, comme les projectiles. Toutefois, si nous sommes assez astucieux, nous pouvons faire certaines choses pour veiller à ce que le système fonctionne bien mieux.

Je suis tombé sur un article de M. Contandriopoulos, professeur à l'Université de Montréal, et paru dans le nunéro 1 du volume 1 du Canadian Journal of Policy Research et dont la publication vient d'être autorisée. Son article sur la situation du régime de soins de santé canadien fait une distinction importante sur la compréhension du système. Il affirme que notre situation est telle que, comme tous les autres pays du monde industrialisés, nous tentons de régler la crise de notre système de soins de santé grâce à des réformes. Ces problèmes sont universels. Toute structure, toute approche qui envisage l'assurance-maladie isolément du reste du monde nous fera certainement faire fausse route.

En revanche, bien que nous ayons en commun avec les autres pays industrialisés le problème d'adaptation et de réforme, nous sommes dans une situation bien particulière, en ce sens que nous ne sommes pas sur les rives de la mer Baltique, mais bien juste à côté des États-Unis. Le volume du périodique dont je viens de faire mention est consacré à tous les enjeux et problèmes entourant l'intégration continentale. Contandriopoulos soulève la question suivante: Dans un environnement nord-américain intégré, peut-il y avoir deux systèmes de santé fondés sur des principes totalement différents? Il conclut que, oui, cela peut être possible, mais cela nécessitera une gestion et une volonté politiques continues. Si vous laissez les choses aller, si vous faites face aux problèmes en adoptant une attitude d'aimable indifférence, et c'est l'impression que donnent parfois nos gouvernements, les forces naturelles entraîneront l'américanisation de notre système.

L'an dernier, le rédacteur en chef du New England Journal of Medecine, dans sa présentation d'une série d'articles sur le système américain, l'a décrit comme étant de loin le plus coûteux, le plus inefficient et le moins équitable des régimes du monde industrialisé. Les forces naturelles du marché et de l'intégration nous mèneront sur cette voie, à moins que nous ne soyons constamment prêts à prendre soin de notre système de façon consciente, active et réfléchie.

L'approche américaine est tout à fait comme l'a décrite l'éditorial du New England Journal of Medecine, et, en outre, il semble que la situation soit sans espoir, si on en juge d'après les articles qui paraissent dans le New York Times. Les soins gérés semblent empirer et les gens n'ont nulle part où aller.

Nous, les Canadiens, sommes donc dans une situation particulière: nous devons continuellement maintenir l'existence du système, comme l'existence du pays même, grâce à des actes de volonté. Nous ne pouvons compter sur les forces naturelles pour ce faire. C'est essentiellement le point de vue de M. Contandriopoulos.

Si nous abondons dans le même sens, que faire? Ne faisons-nous pas face à une crise? Si 80 p. 100 des Canadiens estiment qu'il y a une crise, c'est qu'il y a une crise. Ça ne fait aucun doute. Que la crise soit celle qu'ils croient ou non soulève d'autres questions complexes, mais il y a néanmoins un problème.

Nous pourrions aborder la question comme un médecin aborde tout patient en état de crise. Si je ne suis pas à l'urgence, sur le point de mourir au bout de mon sang -- et ce n'est pas le cas du système de soins de santé canadien, en dépit de tous les discours -- le médecin prendrait note de mes antécédents, me ferait passer quelques tests, rassemblerait des données et tenterait de formuler un diagnostic. Après quoi le médecin élaborerait un traitement à partir de plusieurs thérapies différentes, toujours selon le modèle antécédents diagnostic-thérapie.

Est-ce ce qui se fait à l'heure actuelle? Non. Les gens se précipitent et proposent énergiquement toutes sortes de solutions. Puis, ils tentent d'établir un diagnostic qui serait conforme à la solution qu'ils ont recommandée et finissent par en inventer un. Ils font fi des antécédents et des tests. Ils affirment que nous sommes en crise et qu'il faut agir.

C'est ainsi qu'on a tendance à se comporter, et vous avez tous pu le constater. Cette tendance découle du fait que, plutôt que se donner un objectif commun -- j'ai déjà employé ailleurs la métaphore de la mort du barreur -- et de tenter de trouver comment nous pourrions le mieux atteindre cet objectif, nous laissons toutes sortes de gens qui ont des buts bien différents s'occuper de notre système de soins de santé.

Quarante ans plus tard, le ciel nous en préserve, nous reparlons de tickets modérateurs. Ces recommandations découlent de plans d'action distincts qui ne sont même pas interreliés par ce qui pourrait être un objectif général bien que mal défini, soit de dispenser de façon efficiente des soins efficaces et équitables. Ce sont là les soins que nous voulons offrir et que nous tentons d'offrir, mais des objectifs privés suscitent bon nombre des recommandations de modifications du système.

Je classerais ces objectifs privés sous trois grandes rubriques. Je crois que vous pourrez les garder à l'esprit facilement -- et je m'excuse de n'avoir pas un mémoire exhaustif pour vous. Ces trois rubriques sont les suivantes: «Qui paie?», «Qui reçoit?» et «Qui est payé?»

La rubrique «Qui paie?» comprend le financement par l'impôt, l'assurance privée et le ticket modérateur. Plus vous avez recours au financement par l'impôt, plus vous vous servez de l'argent des riches et de ceux qui sont en bonne santé, parce que les riches versent habituellement davantage d'impôt et les personnes en bonne santé reçoivent peu de soins de santé. Plus vous comptez sur le financement privé, plus vous prenez votre argent chez les pauvres et les malades. Par conséquent, il y aura toujours concurrence entre les personnes riches et en bonne santé, d'une part et les personnes pauvres et malades, d'autre part, en ce qui a trait à la meilleure formule de financement.

Ce n'est pas caractéristique du Canada. Nous n'avons pas de données exhaustives sur ce qui se fait à la Communauté européenne ou aux États-Unis. C'est un jugement politique. La répartition du fardeau -- «Qui paie?» -- dépendra en grande partie des différentes sources de financement.

La question de savoir qui paie est cruciale pour les sources de financement. Pour savoir si on privilégiera le financement par l'impôt ou le financement privé, il faut se demander si on veut que ce soit les plus riches ou les plus pauvres qui assument la plus grande part du fardeau. Des études très intéressantes ont été faites à ce sujet à l'Université du Manitoba et j'ai des tableaux en couleur si ça vous intéresse.

La rubrique «Qui reçoit?» est liée à la première. A-t-on accès aux soins de santé en fonction de sa capacité de payer ou en fonction de ses besoins? La réponse n'est jamais catégoriquement l'une ou l'autre, mais si le système est à deux niveaux et qu'il prévoit un ticket modérateur, l'accès est tributaire de la capacité de payer, cela n'a rien de mystérieux. L'économie n'est pas véritablement une science, mais certaines évidences sont faciles à comprendre. C'est la question de savoir qui reçoit les soins de santé et qui est à la base du débat sur le système à deux niveaux au pays.

Lorsqu'on se demande «Qui est payé?», on se demande quels genres de gens et d'organisations peuvent avoir accès au marché. Y a-t-il de la place pour l'assurance privée, par exemple, ou non? Dans l'affirmative, combien ces entreprises recevront-elles? Encore une fois, les discussions concernant la surfacturation, la double facturation, les frais d'établissement, et cetera, découlent toutes des efforts des dispensateurs de soins de santé en vue de contourner les négociations à moitié efficaces sur les coûts qui sont le propre des gouvernements provinciaux, mais dont sont incapables les systèmes privés.

Le rôle du gouvernement est essentiel dans tout cela, car il faut une volonté publique, politique et gouvernementale pour mobiliser la population et en venir à une vision d'ensemble de ce que nous voulons de notre système de soins de santé -- cette volonté existe, nous le savons -- et de se mobiliser contre les forces qui mènent à la fragmentation, «Qui paie?», «Qui reçoit?», «Qui est payé?»

Ce qui indique pourquoi, comme le dit Colleen Fuller, une politique d'aimable indifférence aboutit à une détérioration permanente.

Pour revenir à l'histoire, tout au long de l'histoire de l'assurance-maladie, et même auparavant, on n'a cessé sur le plan politique de parler et de poser pour la galerie s'agissant de la crise que traversait le système. En 1974, le Financial Post m'a invité à sa première tribune sur la crise de l'assurance-maladie. Il en a tenu à intervalles réguliers jusqu'à ce que les gens se lassent de ce thème; il a alors essayé de trouver autre chose.

Cette rhétorique de «crise» conjuguée à cette rhétorique d'«explosion des coûts» existe depuis aussi longtemps que notre programme, tout comme les débats sur les conséquences, positives ou négatives, de l'augmentation du financement privé. Il faut comprendre le rôle important joué par cette rhétorique dans les débats sur l'attribution des ressources et les revenus relatifs depuis le début du régime. Il ne faut pas la prendre au pied de la lettre.

Par contre, bien que l'existence de cette rhétorique de «crise», de «surfinancement» et d'«explosion des coûts» ne reflète pas forcément la réalité, cela ne signifie pas qu'elle ne contient pas une part de vérité. C'est un peu le bruit de fond du système si on peut dire. La réalité, tout au long de l'histoire de l'assurance-maladie et par contraste avec les décennies précédentes, c'est que le système a en fait été assez bien contrôlé. Les coûts n'ont pas explosé par exemple comme cela a été le cas aux États-Unis, où les principes énoncés par M. Zelder de façon si compétente ont été pris à coeur dans l'établissement de leur système et ont produit le système le plus coûteux et le plus inefficace, tel que je l'ai décrit.

Notre système comportait une bonne part d'inefficacité -- cela ne fait aucun doute -- et a maintenu des coûts raisonnables jusqu'à l'effondrement de notre économie dans les années 80. Ce sont les pressions financières qui ont déclenché la crise, plutôt que le système même.

Comme l'a déjà dit un porte-parole de l'AMC, «le régime de soins de santé du Canada fonctionne bien, mais c'est d'une nouvelle économie dont nous avons vraiment besoin.» Cette déclaration était correcte dans les faits mais plutôt difficile à mettre en pratique. Depuis les 10 dernières années, nous essayons d'adapter un régime de soins de santé plutôt rigide en matière de financement en fonction d'une économie plus restreinte. Malgré toute la rhétorique du boum économique, en fait nous ne connaissons pas une croissance économique plus vigoureuse que celle qui existait avant 1980. On a l'impression que la situation s'améliore parce qu'elle a stagné pendant si longtemps. Comparativement à la situation qui existait au cours des 10 années précédentes, on a l'impression que les choses vont mieux depuis ces quelques dernières années.

L'économie que nous avons est celle avec laquelle nous devons composer; c'est ici que l'approche du renard entre en jeu. Comment pouvons-nous trouver des moyens de rééquilibrer le régime de soins de santé et d'apporter les innovations que nous considérons nécessaires.

Voici un contraste intéressant.

Le régime des soins de santé connaît une crise, tant au niveau des hôpitaux que des médicaments, mais il s'agit de crises différentes. Le coût des médicaments atteint des sommets vertigineux. Ils sont en train d'exploser. Les coûts hospitaliers ont diminué jusqu'à l'année dernière environ. Ils ont diminué parce que les gouvernements provinciaux contrôlaient les coûts hospitaliers. Ils ne contrôlaient pas les coûts des médicaments, toutefois, et ces coûts qu'ils n'arrivaient pas à contrôler ont atteint des sommets vertigineux. Ils comportent d'ailleurs énormément de frais modérateurs et ils augmentent de façon effrénée. Les coûts hospitaliers, où il n'existe pas de frais modérateurs, ont diminué.

Cela soulève une question d'équilibre. Une grande partie des coûts des médicaments, d'ailleurs, représentent en fait des augmentations de prix plutôt que des augmentations en quantité ou un accroissement de l'efficacité. Il s'agit en majeure partie tout bonnement d'augmentation de prix. L'économie classique a présenté ces prix sous un faux jour. Une nouvelle thèse provenant de la Colombie-Britannique le prouve de façon assez concluante. Elle fera l'objet d'un examen la semaine prochaine.

Bien des gens ne se rendent pas compte que les coûts des médicaments sont en grande partie attribuables tout bonnement à l'escalade des prix. Le marché ne contrôle pas ce genre de choses.

Par contre, dans le secteur hospitalier, nous avons éliminé une énorme quantité de choses inutiles qui existaient depuis le tout début. Le nombre de jours-patients a dégringolé grâce aux innovations de toutes sortes dans le domaine de la chirurgie de jour et à la mise sur pied d'autres sites et installations qui auraient dû être établis il y a longtemps et qui l'ont enfin été à cause des pressions financières. On ne voit le signe sur le mur qu'une fois qu'on y est acculé.

Il nous faut maintenant commencer à faire avancer ces processus. Dans les notes qui sont en train de vous être distribuées, j'ai fait la distinction entre les activités à grande échelle et à petite échelle du renard. Par exemple, le journal national de Toronto a annoncé une crise l'hiver dernier lorsque les salles d'urgence étaient bondées. Vous avez tous lu le journal; vous savez que c'était une catastrophe.

Ce qui est étrange, c'est que l'Alberta n'a pas connu de crise semblable? Pourquoi? Ce n'était pas les frais modérateurs. Les responsables de la santé publique de l'Alberta avaient exécuté pendant deux ans un programme d'immunisation contre la grippe dans leurs établissements de soins à long terme. Par conséquent, ils n'ont pas eu à faire face à une crise. Toronto devrait peut-être songer à ce genre de mesures.

C'est loin d'être la seule solution. La façon dont on s'occupe des patients dans les centres de soins de longue durée soulève de nombreuses questions. D'importants changements s'imposent à cet égard. C'est là où nous avons besoin de plus de lits; nous n'avons pas besoin de plus de lits dans les services de soins actifs. Car c'est faire fausse route. Il ne faut pas examiner où se situe le problème mais d'où il vient, avant d'essayer de trouver une solution. C'est une bonne règle de base, mais il s'agit plutôt d'une intervention au niveau local, indépendante mais particulière.

À un échelon macroéconomique, le Forum national sur la santé avait prévu, entre autres, qu'à moins que l'on mette sur pied un programme public d'assurance-médicaments qui soit universel et financé par l'État, il serait impossible de contrôler le coût des médicaments. Cette prédiction est en train de s'accomplir dirait-on. En sommes-nous satisfaits? On semble avoir décidé de ne pas opter pour cette solution, et ces coûts continueront de grimper en flèche.

Ce que nous constatons maintenant et nous l'avons constaté dans le régime en vigueur au Québec, c'est beaucoup d'efforts pour déplacer les coûts d'un budget à un autre, c'est-à-dire les déplacer du budget public au secteur privé. Déplacer ces coûts vers l'assureur privé puis le déplacer à nouveau vers le particulier. Instaurer des frais modérateurs. Cela permettra de les contrôler. Non, non. Il faut que le secteur public assume ces coûts et en assure le contrôle.

Si vous optez pour une politique de déplacement des coûts au lieu d'essayer de trouver des solutions qui contrôleront les coûts, vous n'arriverez jamais à contrôler les coûts. Déplacer les coûts de A à B entraîne un mouvement inverse de B à A, et les coûts ne cessent de grimper. Les Américains le démontrent amplement depuis 30 ans. M. Zelder a raison: nous avons beaucoup appris en 30 ans. L'une des choses que nous avons apprises, c'est que cela ne fonctionne pas.

Que doit-on faire? Il faut trouver -- et cela nécessitera des mesures gouvernementales assez vigoureuses -- le moyen d'utiliser l'information que nous possédons déjà, tant sur la façon de bien faire les choses que sur la meilleure chose à faire. Cela nécessitera, et je reprends un peu ce que disait Mme Fuller, une coordination accrue entre les gouvernements fédéral et provinciaux. Je crois que le premier ministre a déclaré -- bien que je ne suis pas sûr qu'il l'ait fait publiquement -- que l'initiative de financement des programmes établis qui remontait en 1977 était une erreur, parce qu'elle avait provoqué une coupure entre le gouvernement fédéral et les provinces.

Le gouvernement fédéral pourrait essentiellement demander aux gouvernements provinciaux quelles sont leurs réelles priorités, qui ne sont pas forcément les mêmes dans chaque province: «Quelles sont vos principales priorités? Où se situe réellement le problème? Nous arriverons à la table avec deux choses: d'abord de l'argent pour vous aider; et deuxièmement, une volonté de discuter comment nous saurons si l'argent que nous avons fourni a réussi à régler le problème.» Autrement dit, il faut prévoir un mécanisme quelconque de reddition des comptes de part et d'autre. Je ne parle pas des bulletins à la population; je veux dire un moyen de savoir lorsque vous prenez de nouvelles mesures et que vous versez de l'argent neuf que vous avez une stratégie quant à l'utilisation de ces fonds et la façon de savoir si vos efforts ont porté fruit. Cela ne me semble pas une demande déraisonnable de façon générale. Je crois que c'est dans ce sens que nous devons orienter nos efforts.

En ce qui concerne les médicaments et les soins à domicile, il demeure nécessaire de maintenir les programmes universels qui peuvent permettre de réaliser des économies. Au micro-niveau, on a besoin -- je ne veux pas utiliser le terme «banales», parce qu'il s'agit de mesures importantes -- d'initiatives comme des programmes d'immunisation dans les centres de soins prolongés. Au niveau intermédiaire, il faut une structure susceptible d'améliorer la coopération fédérale-provinciale pour ce qui est d'établir les objectifs, de déterminer les problèmes clés, d'utiliser les fonds disponibles et de déterminer l'efficacité de ces mesures.

Ainsi, nous aurons une bonne chance d'éviter la situation catastrophique qui existe aux États-Unis.

Le président: Je tiens à vous remercier tous les trois. Il y a longtemps que je n'avais pas entendu trois témoins qui étaient aussi d'accord.

Je résisterai à la tentation de poser la première question, car nous risquerions de ne jamais pouvoir entendre les autres; je céderai donc la parole au sénateur LeBreton.

Le sénateur LeBreton: Dans sa présentation, Mme Fuller a souligné ce qu'elle considère être le débat actuel. Elle a dit que le débat actuel porte sur la santé en tant qu'industrie et la santé en tant que service public. Comment arriverons-nous à régler ce problème? Que pensez-vous de cette déclaration? Comment pouvons-nous, en tant que pays dans une économie globale, maintenir notre identité et notre fierté dans notre régime de soins de santé tout en adoptant cette optique de la «santé en tant qu'industrie»?

Monsieur Evans, avez-vous des commentaires à faire à ce sujet? Mme Fuller pourra peut-être ensuite ajouter autre chose.

M. Evans: Nous utilisons tous des mots de façons différentes. Lorsque j'enseigne l'économie de la santé, j'enseigne que le secteur des soins de santé est une industrie, en ce sens qu'il absorbe des ressources et produit des biens qu'il distribue aux gens à diverses conditions, mais qu'il ne s'agit pas d'une entreprise.

On peut utiliser les termes comme on veut, mais tout ce que je veux dire par là c'est que le secteur des soins de santé a la structure de production d'une industrie, mais que les incitatifs dans ce secteur diffèrent des incitatifs commerciaux habituels. Au Canada, comme partout ailleurs dans le monde, ce secteur est surtout axé sur des hôpitaux à but non lucratif et des professionnels qui ne sont pas uniquement motivés par le profit, mais il comporte un élément important d'organisations à but lucratif, surtout en ce qui concerne les médicaments, l'équipement et ainsi de suite.

Il s'agit alors de déterminer les parties du secteur que vous voulez organiser en fonction de principes commerciaux courants, ayant un but lucratif. Quelles en sont les conséquences, si vos objectifs consistent à offrir à la population les soins dont elle a besoin?

Si votre objectif principal est d'assurer à la population les soins dont elle a besoin, quelle que soit sa capacité de payer, les marchés traditionnels ne s'y prêtent pas. Lorsque nous disons que la santé doit être un service, c'est précisément ce que nous disons. Nous ne parlons pas de la façon dont on procède ni de la structure industrielle, nous parlons des résultats que nous voulons obtenir.

Les structures devraient permettre de produire les résultats voulus plutôt que l'inverse. Les marchés sont faits pour les gens, pas les gens pour les marchés. Il faut choisir la structure qui permet d'obtenir le résultat escompté.

Une bonne partie du mouvement d'opposition à l'intrusion de principes commerciaux courants axés sur la recherche du profit provient de la crainte que cela donne lieu à des résultats qui ne sont pas les résultats voulus. Le professeur Uwe Reinhardt de l'Université Princeton a trouvé une expression intéressante pour décrire ce phénomène. Cette expression en anglais est «BSYC».

Avez-vous déjà entendu cette expression? Elle signifie «biological structure yielding cash» ou structure biologique à rendement comptant. Il en existe un certain nombre autour de cette table et dans cette salle. Elles peuvent être titrisées, et le sont, en tant que portefeuilles de vies couvertes, et peuvent être utilisées pour produire des instruments dérivés, qui sont ensuite échangés sur les marchés financiers. Le professeur Reinhardt, qui est professeur de financement des entreprises ou de financement en général, a préparé certaines descriptions intéressantes de ce qui se passe lorsque l'on commence à négocier des portefeuilles de BSYC titrisées.

Vous n'obtenez pas tout à fait les mêmes résultats que lorsque vous tâchez d'administrer les soins de santé comme un service public.

Mme Fuller: Je parlais des soins de santé à but lucratif par opposition à un service public. Je suis d'accord avec M. Evans lorsqu'il dit que les termes que nous utilisons pour parler de certaines de ces questions sont élastiques. Je n'ai rien contre l'existence d'une industrie de la santé proprement dite.

Cependant, il y a incompatibilité entre la prestation de soins de santé comme moyen d'obtenir un rendement du capital investi et la prestation de soins de santé d'une manière qui respecte le principe de l'accès universel. Je parle de services et non de la fabrication de matériel médical ni de la fabrication et de la distribution de dispositifs médicaux et de choses de ce genre.

Je n'ai pas d'objection à ce que le secteur privé participe à la prestation de services de santé. Historiquement, notre régime, que nous devrions d'ailleurs continuer d'appuyer, est un régime qui doit rendre des comptes aux collectivités où les services sont assurés, et qui sont assurés principalement par le secteur à but non lucratif subventionné par l'État. Ce secteur à but non lucratif est beaucoup plus restreint au niveau de sa capacité de gagner des recettes que le secteur à but lucratif, pour des raisons évidentes. Il ne peut pas faire appel au marché boursier ni aux investisseurs, il ne peut pas contracter de dettes. C'est la façon dont le secteur à but lucratif arrive à gagner des recettes en plus des frais modérateurs.

J'appuie la prestation de services par l'intermédiaire du secteur privé, mais pas par l'intermédiaire du secteur à but lucratif. Par conséquent, je dirais, oui, appuyons et concevons des moyens de développer une industrie, mais pas de développer des outils qui permettent aux gens et aux investisseurs de toucher un rendement sur le capital investi.

Le président: Je dois vous poser une question. J'ai beaucoup de difficulté à accepter le raisonnement qui sous-tend votre position. D'un côté vous dites que vous êtes en faveur de l'universalité -- tout comme moi, ce qui signifie que chacun reçoit les mêmes services -- et de l'autre vous tirez des conclusions quant à la personne qui assure ce service.

Prenons un cas, par exemple, où chacun au pays aurait un bon, ou une forme quelconque de carte de crédit et chaque fois que ces personnes recevraient des services de santé, la facture serait au bout du compte envoyée au gouvernement, ce qui assurerait tous les éléments voulus d'universalité. Comment cela peut-il avoir une incidence pour la personne qui se trouve à fournir le service? Cela n'a absolument aucun rapport avec le fait que ceux qui assurent le service n'appartiennent pas au secteur à but lucratif, appartiennent au secteur à but lucratif et perdent de l'argent, ou appartiennent au secteur lucratif et font de l'argent.

Vous l'avez très bien dit il y a un instant. C'était un peu moins évident dans votre document. Quoi qu'il en soit, c'est un aspect de votre document qui me pose problème. Je trouve que beaucoup de gens sautent à la conclusion que si quelque chose est universel, cela fournit une indication à propos du système de prestation plutôt qu'une indication à propos de la situation réelle, à savoir un service offert à la population.

Cette conclusion me pose problème car je considère qu'elle n'a aucune logique.

Mme Fuller: Il faut examiner la source des profits dans le domaine des soins de santé.

Le président: Un instant. Votre objectif, comme vous l'avez énoncé clairement, et comme l'ont énoncé clairement tous les Canadiens, c'est que chacun veut avoir accès au service.

Mme Fuller: Exactement.

Le président: Personne autour de cette table ne s'y oppose. Comment cela peut-il être une indication à propos de la personne qui doit assurer le service? Il s'agit de deux aspects distincts de la question.

Mme Fuller: Tout d'abord, si vous parlez de fonds publics, ils ne sont pas inépuisables. Il faut exercer un certain contrôle sur les dépenses en matière de santé. C'est pourquoi on n'offre pas de bons à la population leur permettant de choisir entre ce service ici qui sera assuré par une entité à but non lucratif au prix coûtant, en prévoyant 10 p. 100 pour les frais généraux permanents, ou quoi que ce soit, et le service offert là-bas, qui sera beaucoup plus coûteux. Les gouvernements n'agissent pas ainsi, et en tant que contribuable, j'estime qu'ils ne le devraient pas. Il faut que l'on exerce un certain contrôle des coûts de prestation des soins de santé.

Deuxièmement, lorsque des investisseurs investissent leur argent, ils s'attendent à ce que cet investissement fournisse un rendement. C'est simplement dans l'ordre des choses. Ils ne veulent pas investir dans quelque chose puis subir une perte. Si vous investissez dans une entité qui assurera des soins de santé, vous vous attendez à recevoir quelque chose en retour.

Le président: Bien sûr.

Mme Fuller: Mais il ne faudrait pas que cela se fasse à même les fonds publics. C'est mon opinion.

Le président: Le problème de votre raisonnement, c'est qu'il s'agit de deux questions distinctes. La première, c'est que vous ne croyez pas que les organisations à but lucratif devraient être subventionnées à même les fonds publics, auquel cas, en passant, pratiquement toutes les grandes sociétés dans ce pays sont en difficulté si on se fie à cette définition. Laissons cette question de côté. Il s'agit de questions distinctes que vous avez reliées, même si dans l'explication que vous êtes en train de donner, elles sont clairement séparées.

M. Evans: Ma réponse à votre question, c'est que vous avez tout à fait raison: il n'y a pas d'enchaînement logique.

Je conviens avec le président que l'objectif de l'universalité ne suppose rien d'une façon ou d'une autre à propos de la prestation des services. C'est tout à fait exact.

La crainte provient d'un certain nombre d'autres aspects de la prestation des soins de santé, qui existerait que l'on ait pris ou non un engagement envers un régime public universel. Après tout, les Américains avaient une structure de prestation très semblable à la nôtre, bien avant que nos deux pays essaient d'élaborer des programmes d'assurance gouvernementale.

L'enjeu en question est la protection des intérêts vulnérables dans une situation où les patients en général ignorent leurs propres besoins. L'expression «intérêts vulnérables» remonte à la Commission du procureur général de l'Ontario sur les professions. C'est ce qu'ils ont réussi à faire il y a une vingtaine d'années.

Lorsque vous traitez avec des gens motivés uniquement par le profit, c'est effectivement le sens de ce mot. Comme le dit Vince Lombardi; «Le profit n'est pas la chose la plus importante; c'est la seule chose.» Ces personnes élaborent des stratégies pour augmenter les profits, car autrement les actionnaires s'assureront de les remplacer par des gens qui en sont capables.

Ces stratégies ont été énoncées de façon intéressante dans une brochure qui a atterri sur mon bureau la semaine dernière en prévision d'une conférence parrainée par KPMG et un autre cabinet d'experts-comptables. On y parle de croissance et de promotion de l'évolution du consommateur dans le cadre d'un éventail de plus en plus vaste de services possibles. C'est exactement ce que nous constatons au niveau du souci de la rentabilité ou du profit dans les soins de santé. On le constate dans les cliniques de chirurgie de jour qui assurent le traitement de la cataracte en Alberta -- et aussi en Colombie-Britannique. Cela se fait très discrètement, mais c'est une réalité. Ces services assurent directement les soins subventionnés par l'État, payés par mon assurance-maladie, puis commencent à introduire discrètement des services supplémentaires en faisant des affirmations qui ne sont pas en fait justifiables à propos de lentilles souples qu'ils vous vendront pour 700 $ mais qui coûtent environ 25 $ à produire. Cela permet d'augmenter leurs profits.

Lorsque je vais voir un médecin, je tiens à savoir que cette personne se préoccupe de mes intérêts et non pas de ses profits. En général, au Canada et dans la plupart des régions du monde, c'est ce que vous obtenez.

Le président: Je comprends cet argument. Il s'agit toutefois d'une question tout à fait différente.

M. Evans: C'est exact. Votre argument est valable, je crois.

Le sénateur Carstairs: Monsieur Zelder, dans votre document, vous insistez beaucoup sur la question des listes d'attente. Vous comparez un certain nombre d'études qui ont été faites et qui comparent la situation au Canada, aux États-Unis et ailleurs.

Il est toutefois intéressant de constater que les importants écarts se situent toujours entre le régime américain et le régime canadien.

Comment expliquez-vous alors la plus longue longévité des Canadiens et les taux plus faibles de mortalité infantile? En fait, les Cubains affichent aussi des taux de mortalité infantile plus faibles que les Américains. Comment expliquez-vous une telle chose, alors que vous dites qu'au Canada la période d'attente pour les tests médicaux est extrêmement longue? N'existe-t-il aucun lien entre l'administration des tests ou la disponibilité des tests et la bonne santé?

M. Zelder: Comme en conviendra, j'en suis sûr, le professeur Evans, on a constaté que dans les pays industrialisés, il n'existe pas de lien solide entre la consommation des soins de santé et l'espérance de vie et d'autres mesures générales de l'état de santé. Cependant, la question semble être importante.

À l'heure actuelle, nous participons à un projet empirique à l'Institut Fraser où nous examinons les périodes d'attente pour la chirurgie cardio-vasculaire et la radiothérapie dans les cas de cancer. Nous examinons les provinces qui affichent les périodes d'attente les plus longues pour ces deux types de soins afin de déterminer s'il y a un taux de mortalité plus élevé. En fait, les résultats préliminaires indiquent que c'est effectivement le cas et qu'il y a des résultats défavorables. On ne constate pas les mêmes résultats au niveau national lorsqu'on englobe toutes les causes de maladie et de mort dans tous les groupes d'âge, mais ces résultats ressortent dans ces secteurs en particulier. J'estime qu'il y a de quoi s'inquiéter.

Le sénateur Carstairs: J'aimerais discuter aussi de toute cette notion de frais modérateurs. À mon avis, et je suis peut-être naïve, je crois que je paie effectivement des frais modérateurs -- c'est ce qu'on appelle des impôts. Je les paie au niveau provincial et au niveau fédéral. Ce que j'espère acheter grâce à ces impôts c'est l'accès à des soins de santé de qualité lorsque ma famille et moi-même aurons besoin de services de soins de santé. Pourquoi n'est-ce pas un bon régime de frais modérateurs?

M. Zelder: Je ne me suis peut-être pas bien expliqué. Je tâchais de faire la distinction entre les paiements forfaitaires uniques et les paiements faits au moment de l'utilisation. Le fait est qu'effectivement, les paiements forfaitaires uniques sont faits par le biais du système fiscal, mais les paiements ne sont pas faits au moment de l'utilisation du régime de soins de santé. Ce régime est conçu de façon à ce que vous versiez ce paiement unique forfaitaire par vos dollars d'impôt et vos primes dans deux provinces après quoi vous avez accès au régime sans avoir à débourser de votre poche à partir de ce stade. L'accès au système est limité, comme l'indiquent les données concernant les listes d'attente.

Quant aux frais modérateurs, il s'agit de frais d'utilisation qui sont versés au moment de l'utilisation -- des frais liés à une visite médicale particulière ou à une procédure chirurgicale. Ce genre de frais n'existent pas dans le régime. Nous avons des frais ou des paiements forfaitaires uniques. Oui, le système prévoit un paiement quelconque, mais d'une façon qui nuit à son fonctionnement.

Le sénateur Carstairs: Laissez-moi vous donner un exemple précis. Lorsque j'étais enceinte de mon premier enfant, je suis allée chez un gynécologue-obstétricien qui imposait des frais modérateurs à certaines jeunes femmes qui étaient là en même temps que moi. Pour ma part, on ne m'a rien demandé de payer. On leur a demandé à elles de payer sur-le-champ. Cela a piqué ma curiosité et j'ai demandé: «Pourquoi leur demande-t-on de donner de l'argent et pas à moi?» L'explication était simple: «Vous paierez à la fin, parce que nous vous enverrons une facture et nous savons que vous la paierez.»

Un bureau d'obstétricien reçoit bien entendu la visite régulière des mêmes patientes. Donc je voyais beaucoup des mêmes visages à chacune de mes visites. Puis, j'ai constaté que ces femmes ne venaient plus. Elles ne venaient plus parce qu'elles ne pouvaient plus payer les frais que l'on exigeait d'elles à ce bureau. J'ai pensé que notre système était différent et par conséquent meilleur.

M. Zelder: Je reconnais ce que votre expérience vous laisse supposer et ce que l'intuition laisse supposer à de nombreux Canadiens, mais ce que j'essaie de faire comprendre avant tout, c'est qu'en fait cette intuition est en majeure partie trompeuse. Oui, on décourage les gens à faible revenu de demander les soins qui amélioreront leur santé s'ils sont tenus de payer des frais modérateurs ou d'utilisation. Cependant, ce n'est pas le cas pour les gens qui ne sont pas pauvres et qui, en vertu de ce régime, obtiennent des soins qui ne sont pas bénéfiques pour leur santé. C'est d'ailleurs ce qu'indiquent les études de la Fondation RAND. Nous ne devrions pas dresser d'obstacles qui empêchent les gens à faible revenu d'obtenir des soins de santé, mais oui, nous devrions dresser des obstacles pour ceux dont le revenu le permet.

Le sénateur Carstairs: Je n'y comprends rien, puisqu'on trouve au Canada les plus riches et les plus en bonne santé. Qui paiera les frais modérateurs? Il me semble qu'il faudra retirer de cette équation un peu tout le monde: les bénéficiaires de l'aide sociale, les petits salariés, puis les gens de la classe moyenne, les gens de la classe moyenne supérieure et les riches aussi, puisqu'ils prennent mieux soin de leur santé, du fait qu'ils en ont les moyens, qu'ils peuvent manger mieux et vivre des vies plus saines, par exemple. Qui donc paiera les frais modérateurs? Il me semble qu'il ne reste plus personne.

M. Zelder: Je peux vous garantir, d'après ma propre expérience et celle de mes proches, que les gens de la classe moyenne ont parfois des problèmes de santé et doivent avoir recours au système de soins de santé. C'est le cas de toutes les classes sociales. On aurait tort de dire que seuls les pauvres y ont recours.

Le sénateur Carstairs: Ce n'est pas ce que je disais. J'ai demandé qui paiera ces frais modérateurs?

M. Zelder: Je dis qu'avec un régime bien conçu, les gens de toutes les classes sociales paieront ces frais, sauf pour les pauvres, qui ne devraient pas avoir à le faire.

Le sénateur Carstairs: Dans l'échelle des revenus, je fais partie du pourcentage supérieur; je ne paierai donc pas de frais modérateurs, parce que je n'en aurai pas besoin.

M. Zelder: Vous en paierez certainement. Tous ceux qui consultent le médecin devront en payer. Si vous avez un revenu élevé et que vous visitez le médecin, vous paierez des frais modérateurs.

Le président: Monsieur Zelder, vous ne répondez pas à la question: il s'agit essentiellement de déterminer quel sera le seuil. Quel critère servira à déterminer qui en paiera et qui n'en paiera pas?

Dans votre exposé, monsieur Zelder, vous avez parlé des soins de santé gratuits à l'avenir et du fait qu'il n'y aurait pas d'incidences positives, sauf pour les malades pauvres qui représentent environ 6 p. 100 de la population. En réponse aux questions du sénateur Carstairs, on a laissé entendre qu'il faudrait que les services soient gratuits pour le genre de personnes dont le sénateur disait qu'elles n'iraient pas voir leur obstétricien, faute de pouvoir payer. Le problème est sans doute de déterminer comment on décidera qui se fait payer et qui ne se fait pas payer.

L'un des principes de l'universalité, même si Mme Fuller n'en a pas parlé explicitement, a toujours été qu'il n'y aurait pas d'examen des ressources financières. Je ne vois pas comment on peut atteindre votre objectif de distinction entre les divers cas sans qu'il y ait un examen des ressources. Je remarque que dans le document de M. Zelder, on a bien pris soin de ne pas utiliser le terme «examen des ressources». En fait, on ne dit même pas comment on décidera qui paiera et qui ne paiera pas.

Pour commencer, ai-je raison de dire que dans ce régime, il devra y avoir un seuil? Deuxièmement, comment fixera-t-on ce seuil? Troisièmement, ai-je raison d'affirmer qu'il ne peut y avoir de seuil sans un examen des ressources financières?

M. Zelder: En effet, pour que le régime fonctionne, il faut un seuil en deçà duquel on est exempté de payer. Et oui, pour le respecter, il faut un examen des ressources.

Le président: Il faudrait un examen des ressources.

M. Zelder: Oui, il faudrait un examen pour exempter les personnes à faible revenu du paiement des frais d'utilisation. Cet examen des ressources est nécessaire pour s'assurer qu'on ne leur cause pas de problèmes financiers.

Le président: Comment ferait-on?

M. Zelder: L'examen reposerait sur les revenus et l'actif. Pour les gens dont les revenus sont inférieurs à un certain niveau, ou dont l'actif est inférieur à un montant fixé à l'avance, il n'y aurait pas de déboursés pour l'accès aux soins médicaux.

Le président: Revenons maintenant au commentaire formulé sur la liste d'attente et à la réponse faite au sénateur Carstairs au sujet des différences entre les régimes canadien et américain. Le sénateur Carstairs a parlé du taux de mortalité infantile inférieur et de diverses autres choses. C'est sûrement en réponse à la question de l'universalité dont parlait Mme Fuller. Vous proposez donc que nous rétablissions un examen des ressources financières, soit une des choses qui avaient été éliminées par la création du régime d'assurance-maladie. Si on met de côté toutes sortes d'arguments divers qui ont été invoqués, ce que vous dites actuellement, c'est que l'examen des ressources est la solution au problème.

M. Zelder: Oui. Comme je l'ai déjà dit, je crois que cet examen doit être le fondement d'une politique de compassion.

Le président: Bien. Cette phrase résume ce que je pensais que vous disiez.

Mme Fuller: L'examen des ressources a été traité en long et en large par la Commission royale d'enquête sur les services de santé, parce que c'était l'une des propositions du secteur de l'assurance et de l'Association médicale canadienne qui voulaient qu'on applique un examen des ressources financières pour déterminer si les gens devaient ou non être subventionnés par le gouvernement. Les commissaires ont rejeté carrément cette proposition, à l'époque, non seulement parce qu'ils estimaient que les Canadiens considéreraient que cet examen était humiliant, mais aussi à cause de toute l'infrastructure nécessaire pour déterminer l'admissibilité à une subvention de l'État. On avait préparé des tableaux compliqués qui montraient combien de personnes devraient faire l'objet de cet examen des ressources, d'après les propositions du secteur de l'assurance et de l'Association médicale canadienne. On prédisait qu'en vertu de cette option, au milieu des années 1970, 70 p. 100 des Canadiens devraient faire l'objet de cet examen.

Le président: C'est précisément ce que voulait dire le sénateur Carstairs, lorsqu'elle demandait qui devrait payer, si tout le monde était exempté.

Mme Fuller: Exactement. C'est le calcul qu'on avait fait à l'époque, et je ne sais vraiment pas ce que cela serait aujourd'hui. On avait présenté des arguments très solides pour contrer ceux du secteur de l'assurance et de l'Association médicale canadienne, sur la question des frais modérateurs.

Le président: Professeur Evans, avez-vous quelque chose à ajouter, à ce moment-ci?

M. Evans: Il convient de signaler que M. Zelder a beaucoup fait état des données de l'expérience de la RAND. Mentionnons que cette expérience excluait toute personne de plus de 62 ans, et par conséquent, la partie la plus vulnérable de la population. Les résultats ont montré essentiellement que les gens réagissaient aux frais modérateurs, mais pas l'effet global de cette réaction sur l'ensemble des coûts. C'est pourquoi nous estimons que malgré les frais modérateurs élevés aux États-Unis, et malgré les frais modérateurs élevés pour les produits pharmaceutiques au Canada, ces coûts augmentent en fait plus rapidement que ceux du système public.

M. Zelder: Il est tout simplement faux de dire qu'il n'y a pas eu d'effet sur les coûts globaux. D'après les données, il y a clairement eu une réduction de 19 p. 100 des coûts globaux.

M. Evans: Nous employons des termes différents. Nous parlons de coûts globaux de manière différente. Je parle des coûts pour l'ensemble du régime -- qu'il soit américain ou canadien.

Le président: Et de quoi parle M. Zelder, d'après vous?

M. Evans: Je pense qu'il parle des coûts globaux pour les sujets de l'expérience.

M. Zelder: Je parle de l'ensemble des dépenses en soins de santé; elles ont baissé de 19 p. 100 lorsqu'un régime de paiement de coassurance de 25 p. 100 a été établi.

Le président: Bien, je comprends ce que vous dites.

Le sénateur Robertson: En général, la plupart des Canadiens estiment que nous avons un régime de soins de santé et que les Américains n'en ont pas. Ils ont plutôt des morceaux de régime, dispersés.

Je m'inquiète au sujet de l'avenir de notre prétendu système de santé et j'aimerais demander à tous les témoins de nous faire une description d'un système de soins de santé idéal pour le Canada. Compte tenu des considérations financières et de tous les problèmes auxquels nous sommes confrontés, quel serait selon vous le système de santé idéal?

M. Evans: Un système de soins de santé idéal est celui dont on n'a pas besoin, et je parle en qualité de personne qui a une énorme expérience.

Le sénateur Robertson: Je ne crois pas que cela puisse être un facteur.

M. Evans: Je parle en tant que patient. Je parle en tant que personne qui a fait un nombre incommensurable d'études sur le terrain au cours des cinq ou six dernières années. Voulez-vous entendre parler des listes d'attente? Je peux vous donner le point de vue du patient quant aux listes d'attente, la fréquence des visites et une foule d'autres choses. Le meilleur indicateur de la santé d'un patient est la fréquence avec laquelle le spécialiste lui donne un nouveau rendez-vous. Lorsqu'il y a deux ou trois rendez-vous par semaine, ce n'est pas bon -- oubliez les frais modérateurs. Lorsque les rendez-vous sont échelonnés sur deux ou trois mois, c'est bien. Ainsi, je suis convaincu que le meilleur système de soins de santé qui existe est celui dont je n'ai pas besoin. Cette réponse a l'air fantaisiste, mais elle est en rapport avec la remarque qui a été faite au sujet des mesures qu'il nous faut prendre, non seulement à l'égard du système de soins de santé, en vue d'essayer d'améliorer notre santé.

Le système idéal est celui que, en principe, nous connaissons. Cela peut être exprimé clairement. Nous voulons un système qui fournisse des soins efficaces et non inefficaces. Ce n'est pas une chose dont les patients sont généralement à même de juger, mais c'est ce que nous souhaitons. Nous voulons des soins efficaces et humains qui sont offerts avec compassion aux personnes qui en ont besoin et non à celles qui n'en ont pas besoin. Les gens qui veulent des soins dont ils n'ont pas besoin sont souvent diagnostiqués comme souffrant du syndrome de Munchausen, qui est une forme de maladie mentale. Nous voulons que les dépenses soient aussi faibles que possible dans les limites du raisonnable; nous ne voulons pas payer des montants excessifs à qui que ce soit. Nous voulons répartir le fardeau -- et c'est là que surgit la controverse, mais je crois que la plupart des Canadiens veulent répartir le fardeau du coût de ces soins, plus ou moins en fonction de la capacité de payer plutôt qu'en fonction du caractère arbitraire de la maladie.

Cet énoncé de principes idéaux, à défaut de faire l'unanimité, serait certainement acceptable pour un grand nombre de gens. Lorsqu'on va au-delà de ces principes, nous devons commencer à discuter de la façon d'y parvenir. Nous avons fait une partie du chemin relativement au financement, mais toutes les commissions royales d'enquête -- et j'ai eu l'honneur de participer à l'une d'entre elles -- ainsi que toutes les autres sortes de commissions publiques qui se sont penchées sur cette question ont conclu qu'il faut que la gestion soit plus transparente et la base d'information plus complète pour s'assurer que les soins que nous offrons sont bien efficaces, comme nous l'espérons, et qu'ils s'adressent aux gens qui en ont besoin, comme nous le souhaitons.

Nous avons fait de gros progrès dans cette direction, mais il reste encore beaucoup de chemin à faire. Nous ne traînons pas de l'arrière par rapport aux autres pays. J'en ai assez du «syndrome de la médaille de bronze» au Canada, qui consiste toujours à regarder devant pour voir qui mène la course. À certains égards, je pense que c'est nous, mais cela ne veut pas dire que la course soit terminée, bien au contraire.

Le sénateur Robertson: Monsieur Evans, dans votre système de soins de santé parfait, qui se chargera de la prestation des services? Je ne pense pas à ce qui serait vraisemblablement le plus à propos, mais comment souhaitez-vous que ces services soient offerts? La plupart des gens associent le système de santé au corps médical et aux hôpitaux. Compte tenu de cette idée, comment souhaitez-vous développer les services?

M. Evans: Je souhaite sans nul doute que la tendance actuelle se maintienne, à savoir que les services ne soient plus offerts exclusivement dans les hôpitaux, si par «hôpitaux», nous entendons un endroit où il y a un grand nombre de lits pour patients hospitalisés. Il y a eu d'énormes changements à cet égard et il pourrait y en avoir encore beaucoup plus. Le nombre de lits pour soins actifs a considérablement diminué, mais certaines études réalisées par notre organisation et par d'autres nous portent à croire que, grâce à des soins à domicile suffisamment financés, on pourrait faire sortir encore plus de gens de l'hôpital, surtout ceux qui sont là pour des traitements plutôt que pour des chirurgies.

Les malades en chirurgie peuvent être déplacés dans des installations extra-hospitalières. Que ce soit des établissements autonomes ou coordonnés sous les auspices d'une administration générale appelée hôpital ou administration régionale, tout dépend de ce qui est le mieux adapté à un contexte donné. Chaque fois que possible, il est préférable que les gens soient réveillés plutôt qu'endormis, et assis plutôt qu'allongés.

Pour ce qui est des soins prolongés, qui posent le plus de problèmes -- c'est dans ce secteur que l'on a enregistré le moins de progrès -- les Canadiens qui ont témoigné devant la Commission royale de la Colombie-Britannique nous ont dit clairement qu'ils veulent rentrer chez eux. C'est pourquoi nous avons intitulé notre rapport «Closer to Home.» Dans la mesure où c'est pratique du point de vue économique, il est préférable que les services soient offerts à domicile ou dans des établissements qui rappellent le plus le milieu familial. Cela présente évidemment certaines limites sur le plan économique et clinique, mais il n'en demeure pas moins que c'est la voie à suivre.

Je suis intimement convaincu que les systèmes de santé que nous connaissons ont tendance à confier le soin des patients à l'élite professionnelle. Il en est ainsi en Suède tout comme au Canada et aux États-Unis. Cela semble logique. Toutefois, nous savons depuis 30 ans qu'une bonne partie des soins primaires pourraient être fournis par des infirmiers et infirmières plutôt que par des médecins de famille. Nous avons démontré à maintes reprises qu'un diplômé du secondaire ayant reçu 20 mois de formation peut assurer la plupart des soins dentaires généraux. Ce genre d'initiative, dont on a beaucoup fait la promotion au début des années 70, ont été étouffés dans l'oeuf lorsque nous avons constaté d'un seul coup que nous avions un excédent de médecins, dû à la chute du taux de natalité plutôt qu'à un plan précis pour accroître l'offre de médecins. Cette tendance s'est poursuivie jusqu'à environ huit ans. Cela a étouffé dans l'oeuf toute tentative en vue de rééquilibrer les groupes de professionnels qui offrent les soins de santé.

Nous avons aujourd'hui l'occasion de rouvrir ce dossier, mais il y a deux restrictions. Tout d'abord, toutes les facultés de médecine nous disent qu'il y aura une pénurie de médecins à l'avenir et que, de ce fait, il faut absolument «sortir» plus de médecins. Si nous le faisons, nous perdrons la possibilité pour une autre génération. En second lieu, les soins infirmiers ont énormément changé en 30 ans. Les dirigeants des soins infirmiers sont beaucoup moins enclins à «devenir des cliniciens subalternes» comme on pourrait les appeler de façon péjorative, et pourtant c'est là que le besoin existe.

La solution ne consiste pas à offrir d'autres sortes de services dans d'autres cadres. Nous aurions tout à gagner d'avoir des professionnels qui, s'ils n'ont pas reçu une formation aussi poussée, sont toutefois mieux adaptés aux besoins. Lorsque j'étais étudiant universitaire aux États-Unis et ensuite au Canada, j'ai toujours été soigné dans des cliniques. Le reste des soins était confié à la personne qui possédait la compétence nécessaire mais rien de plus. Nous avons fait la même recommandation à la Commission royale de la Colombie-Britannique il y a 10 ans. Cela fait partie du changement dans la combinaison des services. Comme vous le savez, toutefois, cette idée suscite de vives objections.

Le président: Les objections viennent des syndicats -- ou plutôt des «associations professionnelles», comme ils préfèrent s'appeler. Je n'utilise pas le terme «syndicat» de façon péjorative, mais ce sont ni plus ni moins des syndicats. C'est de là que viennent les objections. Si je vous ai bien compris, monsieur Evans, vous dites qu'il existe un certain consensus dans le pays quant à nos objectifs, mais que certains «groupes d'intérêts intransigeants» battent en brèche les moyens les plus rentables et efficaces d'atteindre ces objectifs parce qu'ils font passer leurs intérêts personnels avant l'intérêt public. Est-ce que cela résume assez bien votre opinion?

M. Evans: Oui.

M. Zelder: Il faut au moins trois éléments pour faire un système de santé idéal: premièrement, un des frais modérateurs pour ceux qui ne sont pas pauvres; en second lieu, des honoraires de médecin non assujettis à une négociation collective et, troisièmement, des hôpitaux gérés sans que le gouvernement n'ait la haute main sur le financement et la répartition des ressources.

Mme Fuller: Je vais parler en tant que patiente. Du point de vue du patient, un système de santé idéal est celui qui favorise l'autonomie du patient -- pas seulement celle du patient, mais également de chaque personne -- que les patients sont en train de perdre dans une certaine mesure, en raison des changements en cours. L'autonomie et l'éducation des patients sont des éléments très importants.

La collaboration entre ceux qui financent et ceux qui fournissent les soins de santé est un autre aspect d'un système de santé idéal. Cette collaboration est insuffisante à l'heure actuelle.

J'approuve certaines recommandations formulées par la commission Seaton -- pas la totalité, mais un grand nombre des recommandations concernant la prestation des soins de santé en dehors des établissements de soins actifs, des hôpitaux, mais plutôt dans les collectivités et dans nos foyers. Les soins communautaires représentent un niveau idéal pour la prestation des soins de santé. Les hôpitaux et cliniques ne devraient pas être les seuls endroits où les gens peuvent obtenir des services de santé.

Il faut également que les responsables de la prestation et du financement des services de santé aient l'obligation de rendre des comptes.

Le sénateur Robertson: J'ai toujours été convaincue que les services de santé devraient être assurés dans la mesure du possible au sein de la collectivité: à l'école, au travail et à la maison. C'est de notre faute, je suppose, si les hôpitaux sont si puissants.

Je fais partie des rares personnes qui se demandent combien d'argent supplémentaire il faudrait investir dans le système de santé; à mon avis, les fonds dont nous disposons sont dépensés à mauvais escient. Nous regroupons la majorité des services de santé sous un toit d'hôpital parce qu'un hôpital est le premier établissement à être financé à parts égales entre les deux paliers de gouvernement. Or, nous avons du mal à déplacer ces services. Nous n'obtenons pas de très bons résultats dans le pays quand il s'agit d'assurer ces services en dehors du milieu hospitalier. Il va sans dire que grâce à la technologie moderne, l'hôpital ne devrait servir qu'à soigner les malades en phase critique, les gens dont la vie est menacée et qui sont atteints de maladies invasives. Les autres personnes peuvent très bien être soignées dans des milieux moins onéreux.

Je vais lire attentivement vos réponses, mais je pense également qu'il faut favoriser le financement horizontal dans des régions de santé et non le financement vertical de la moindre activité qui se déroule.

Le sénateur Callbeck: Ma question porte sur les rapports entre le fédéral et les provinces quant au financement.

Docteur Evans, vous avez dit que nous devons essayer de faire du mieux possible pour atteindre les objectifs visés. Vous avez dit que le gouvernement fédéral pourrait demander aux provinces quelles sont leurs priorités, et qu'il souhaitera évaluer les résultats ou voir dans quelle mesure les fonds sont dépensés, de manière efficace.

Madame Fuller, je suppose que vous êtes d'avis que le partage des frais vaut mieux que le financement global. J'aimerais savoir ce que vous pensez de l'entente fédérale-provinciale relative aux soins de santé.

Docteur Evans, en ce qui concerne les fonds alloués aux provinces, quelle proportion des fonds devrait venir du gouvernement fédéral?

M. Evans: Je commencerais par un partage à parts égales, mais je n'ai pas la réponse à cette question.

Je parle d'injection d'argent frais. Je ne parle pas de passer des subventions globales et des points d'impôt pour en revenir à la situation antérieure à 1997. Cela ne semble pas réaliste. Toutefois, il s'agit de dire: «Nous avons de l'argent frais à mettre sur la table et vous avez des problèmes nouveaux ou anciens. Voyons comment concilier les deux.» Quant à savoir si la contribution du gouvernement fédéral devrait être de 50 p. 100, ou supérieure ou inférieure, cela relève des négociations financières entre les deux paliers de gouvernement et je n'ai pas compétence pour en parler, à mon avis. Toutefois, je préconise vivement le principe inhérent à ces négociations.

Je me demande si votre question était de portée générale, à savoir quelle proportion des fonds alloués aux soins de santé devrait venir du gouvernement fédéral? Est-ce ce dont vous vouliez parler?

Le sénateur Callbeck: Oui.

M. Evans: Tout d'abord, pour les services visés par l'assurance-maladie, la formule des 50 p. 100 prévue au départ n'était pas une mauvaise idée. Toutefois, il importe de ne pas souscrire à l'argument absurde selon lequel le financement a diminué à près de 13 p. 100. Ce sont des arguments purement politiques qu'il est difficile de justifier sur le plan moral. On le fait en regroupant tout dans les dépenses de santé, et pas simplement les services assurés par les soins de santé. On le fait en faisant fi de toute la question des points d'impôt, qui est un élément important du tableau. On le fait également en se livrant à toutes sortes de calculs savants au sujet du TCSPS et de sa répartition entre les divers éléments.

À mon avis, et je parle en tant qu'économiste, ce serait une bonne idée de faire une ventilation des fonds que représente le transfert social pour qu'il soit logique d'attribuer une somme de tant à l'enseignement postsecondaire, de tant à la santé, et cetera. Je suppose toutefois que cette remarque est digne d'un véritable néophyte politique et qu'il serait absurde de mettre un tel système à l'essai.

Cela me gêne quand des journalistes de la presse écrite ou de la radio me demandent à combien s'élève la contribution du gouvernement fédéral à l'heure actuelle. Je leur réponds que je n'en ai pas la moindre idée, et qu'ils n'ont qu'à faire leurs propres hypothèses et à utiliser le montant qui leur convient. Aux fins de la transparence, il faudrait qu'il existe une meilleure façon de séparer les fonds. Toutefois, la transparence n'est pas toujours une vertu politique. Est-ce que cela répond à votre question?

Le sénateur Callbeck: Oui.

Mme Fuller: Il y a toujours eu des discussions entre les provinces et le gouvernement fédéral au sujet du financement et de la question de savoir si celui-ci devrait être conditionnel, et cetera. L'entrée en vigueur de la Loi canadienne sur la santé a malheureusement eu pour effet de confirmer le principe que le financement servira de bâton pour obliger les provinces à respecter certains critères ou principes nationaux. Lors des discussions initiales au sujet de l'assurance-maladie dans les années 60, le financement était un facteur habilitant; autrement dit, le financement devait permettre aux provinces de maintenir des normes nationales. Toutefois, à l'heure actuelle, même lorsque le Canada fait rapport aux Nations Unies ou à un autre organisme, il parle du financement fédéral net comme d'un facteur inhérent à la conformité -- en d'autres termes, si les provinces ne respectent pas les normes, il n'y a pas de transfert de fonds. Il faut rétablir la participation financière du gouvernement fédéral au financement des services de santé à un niveau bien supérieur et revoir les principes de ce financement. Visent-ils uniquement à malmener les provinces ou à leur permettre de respecter ces normes de façon équitable?

Le principe du financement à parts égales ne signifie pas que le gouvernement fédéral doive payer 50 p. 100 des frais de santé de l'Ontario, 50 p. 100 de ceux de la Colombie-Britannique, et ainsi de suite, mais plutôt 50 p. 100 des dépenses nationales, ce qui en théorie devrait aider les provinces à appliquer ces normes nationales.

M. Zelder: Je conviens avec M. Evans qu'il est impossible aujourd'hui de savoir combien dépense le gouvernement fédéral. Quant à savoir quel devrait être le partage des dépenses entre le gouvernement fédéral et les provinces, là encore cela sort de mon champ de compétence.

Je ferais toutefois une mise en garde contre le système des subventions de contrepartie qui était en place avant le financement des programmes établis. Comme je l'ai dit dans mon exposé, une étude a révélé que ce système a réduit le coût des dépenses de santé pour les provinces, grâce aux subvention de contrepartie, et elles ont donc cessé de financer d'autres programmes sociaux. Cela a eu un effet de distorsion. Je suis contre le principe des subventions de contrepartie et je recommande plutôt le principe du financement global pour la santé. Toutefois, ce serait une bonne chose si le système était transparent.

La question plus générale est liée à la diminution de la part du financement public. On s'inquiète beaucoup de la reddition de comptes. Toutefois, il n'y a pas d'obligation de rendre compte, parce que la structure actuelle comporte peu d'incitatifs à rendre des comptes -- je veux parler des incitatifs qui existent lorsque des sociétés privées restent en activité ou font faillite en fonction de la qualité du service qu'elles offrent à leurs clients.

M. Evans: Au début des années 70, on a beaucoup parlé du partage des frais à parts égales et du manque de responsabilité que cela a suscité de la part des provinces. Cette formule présentait deux problèmes. Tout d'abord, comme l'a dit Colleen Fuller sans l'expliquer en détail, les formules ne prévoyaient pas réellement le partage des frais à parts égales, sauf au niveau national. Dans chaque province, les montants reçus du gouvernement fédéral dépendaient de la tendance nationale, et non de ce qui se passait au sein de la province. Si l'on dépensait plus que la moyenne des autres provinces, on ne dépensait pas des dollars à 50 cents, mais la totalité des fonds.

Le président: Comme l'ont fait l'Ontario et l'Alberta?

M. Evans: Oui. En outre, si l'on considère les véritables résultats du début des années 70, on constate que les provinces n'ont pas été très prodigues à l'égard du système de soins de santé. Celui-ci suscitait beaucoup d'inquiétudes à l'époque, mais sans doute pour de mauvaises raisons. Lorsqu'on examine les résultats de l'époque, on constate un ralentissement spectaculaire de l'accroissement des dépenses juste après l'entrée en vigueur de l'assurance-maladie pour les médecins en 1970-1971. Il y avait beaucoup d'inquiétudes à l'époque, à la fois parce qu'on ne comprenait pas comment s'appliquaient véritablement les formules et parce qu'il y avait toujours un retard dans la production des données statistiques.

Le sénateur Robertson: À l'époque, lorsque le financement était réparti de façon plus équitable, il semblait que tout le tralala qu'on fait aujourd'hui pour obtenir une reconnaissance politique n'existait pas. Je travaillais à l'époque, et je ne me souviens pas que les gens aient critiqué la province ou le gouvernement fédéral à cause de la façon dont les dépenses étaient partagées. À l'époque, les secteurs politiques considéraient les soins de santé comme une question apolitique, ce qui est normal. Toutefois, les choses ont bien changé. Ce serait formidable d'en revenir à cette époque. Le financement distinct des services de santé que vous recommandez constituerait peut-être la première étape pour savoir où l'on en est.

Quelqu'un a dit qu'il ne fait aucun doute que les fonds sont dépensés dans le domaine de la santé. Toutefois, dans le budget, l'éducation supérieure, par exemple, devient un problème dans une province défavorisée. D'où viennent les fonds? Nous sommes véritablement dans le pétrin.

Il faudrait peut-être prévoir un budget pour la santé. Je ne m'inquiète pas vraiment du budget national des soins de santé, mais plutôt du problème des dépenses par habitant. Les petites provinces ne peuvent pas continuer d'offrir des soins de santé de qualité grâce au montant par habitant.

M. Evans: C'est une échelle d'économie.

Le sénateur Robertson: C'est une échelle d'économie, mais elles ne pourront pas le faire. Ce serait bien de revenir à l'époque où cette question n'avait aucune connotation politique.

Le président: J'aimerais poser deux questions: la première au sujet des points d'impôt et la deuxième sur la position que recommande M. Zelder quant au financement public.

J'ai une question concernant les points d'impôt, et je ne veux pas dire: «Je vous l'avais dit.»

Je suis privilégié du fait que, en 1977, quand j'étais chef de cabinet adjoint du premier ministre, je me suis opposé avec véhémence au FPE pour la simple raison que -- et le sénateur Fairbairn travaillait avec moi au cabinet du premier ministre à l'époque -- après avoir fait partie du gouvernement de la Nouvelle-Écosse et vu ce qui s'est passé lorsque nous sommes passés au système de financement global pour les municipalités, il était évident que, dès l'instant où l'on donnait les fonds aux provinces en vertu du système de financement global, qu'il s'agisse d'espèces ou de points d'impôt, on perdait automatiquement toute capacité d'influer sur l'utilisation de ces fonds.

Cela dit, est-il logique de nos jours, lorsqu'on pense à la contribution du gouvernement fédéral, de tenir compte des points d'impôt qui ont été donnés il y a 25 ans? Cela nous ramène à votre question au sujet du montant de la participation fédérale. Il y a eu une réduction d'impôt de la part du gouvernement fédéral et une augmentation d'impôt de la part des provinces. Toutefois, cela s'est fait il y a 25 ans, et les fonds n'ont pas été affectés à une fin particulière depuis lors.

Lorsque vous faites des calculs, et je m'adresse aux trois témoins, tenez-vous sérieusement compte de cet argent dans le calcul de la participation du gouvernement fédéral au financement des soins de santé, ou est-ce de l'histoire ancienne?

M. Evans: Tout dépend de la raison pour laquelle on fait le calcul.

S'il s'agit de déterminer l'influence du gouvernement fédéral sur les provinces aux termes de la Loi canadienne sur la santé, les points d'impôt n'ont absolument aucune importance; ils n'existent pas. S'il s'agit de savoir si l'on pourrait les récupérer et les transformer en autre chose, la réponse est non. Ce serait en pure perte. Tout comme Cassandre, le fait d'avoir toujours raison ne vous rapporte rien de plus; cela ne fait que rendre les gens furieux contre vous après coup.

En revanche, si votre argument, fondé sur un principe général, moral ou politique, veut que la contribution du gouvernement fédéral est si minime qu'il devrait se retirer, la fermer et nous laisser tranquillement vaquer à nos occupations, alors là les points d'impôt ont une importance. En d'autres termes, si vous parlez de crédibilité politique ou morale ou du droit d'être entendu, le gouvernement fédéral a le droit de donner son avis, puisqu'il a distribué tout cet argent. Il ne l'a pas simplement fait il y a 25 ans, il en donne tous les ans. L'effet de cette décision continue de se faire sentir. À ce niveau du discours, il semble important d'insister sur ce point.

Lorsque nous avons participé au forum national sur la santé, nous avons invité certains experts du gouvernement et de l'extérieur pour nous dire si, à leur avis, il resterait quelque chose si les paiements en espèces étaient supprimés complètement. La réponse nous a été donnée haut et clair: «C'est l'argent en espèces, imbécile!»

Le président: Très bien. J'étais dans le même camp.

M. Zelder: Vous serez heureux d'apprendre que je partage entièrement l'avis que vient d'exprimer M. Evans.

Quant à l'influence du gouvernement fédéral, j'ai fait des calculs pour voir si, compte tenu du montant actuel du TCSPS, il serait avantageux du point de vue financier pour une province de se retirer de l'assurance-maladie. Il me semble qu'à l'heure actuelle l'Ontario et l'Alberta y gagneraient. Je veux dire, si elles disaient: «Nous allons renoncer à tous les transferts au titre du TCSPS, mais nous allons mettre en place un système fondé sur l'expérience de l'assurance-maladie Rand; nos dépenses en matière de santé vont diminuer de 19 p. 100», ces économies réalisées au titre des dépenses en matière de santé seraient plus importantes que le manque à gagner au titre du transfert social canadien. Ces pressions sont à mon avis bien réelles et de plus en plus fortes.

Le président: Je voudrais parler de l'observation de M. Zelder au sujet du financement public. Si je dois payer une chose 500 $ -- c'est-à-dire si je remets cet argent à un tiers, ce qui est le cas lorsque j'achète de l'assurance et d'autres choses -- pour d'autres raisons que par pure idéologie, pourquoi accordez-vous une telle importance au mauvais côté du financement public?

M. Zelder: C'est à cause de la différence de comportement qui existe entre les gestionnaires des entreprises publiques et ceux des sociétés privées. Cette différence a été bien documentée dans tous les ouvrages économiques, et ce n'est pas une question d'idéologie. Il est prouvé que les entreprises d'État obtiennent des résultats pires que ceux des entreprises gérées par des intérêts privés. Il en va ainsi dans tout le secteur des services. Une étude exhaustive a été effectuée. Sur 50 études, deux seulement ont révélé que les entreprises d'État avaient un meilleur rendement. Il ressort de l'analyse que j'ai faite du dossier des hôpitaux que, dans la majorité des cas, les entreprises privées l'emportent sur les entreprises d'État pour ce qui est de la prestation des services de santé. C'est ce qui me préoccupe lorsqu'on parle du retrait du secteur public de tout le domaine de la santé, car cela entraînerait une amélioration des soins.

Le président: Vous soutenez que ce n'est pas idéologique, et que cela se fonde sur des preuves empiriques, n'est-ce pas?

M. Zelder: C'est exact. Ce sont des données économiques.

M. Evans: Nous n'avons pas assez de temps pour vous expliquer cela en détail, mais il y a plusieurs sources de confusion différentes. D'une part, la notion que ce qui donne des résultats dans un secteur économique en donnera nécessairement dans un autre. En général, dans tout le monde industrialisé, les pays ne comptent pas uniquement sur les établissements d'État pour diriger leurs économies privées. Ils ne comptent pas sur les sociétés privées pour diriger les hôpitaux. Il y a de très bonnes raisons à cela. Nous en avons eu dernièrement un exemple assez flagrant.

L'opinion de M. Zelder quant aux preuves pourrait être qualifiée de très particulière. Toutefois, elle n'est pas partagée par un grand nombre de gens aux États-Unis, et encore moins à l'extérieur de ce pays. Il règne une certaine confusion entre la notion établissement «d'État», qui s'applique, disons, aux hôpitaux de l'administration des anciens combattants aux États-Unis ou aux réseaux des hôpitaux psychiatriques qui existaient auparavant dans notre pays, et celle d'établissements qui sont «financés par l'État». Il va sans dire que le gouvernement exerce énormément d'influence sur les hôpitaux grâce au mécanisme de financement, mais de là à dire que l'hôpital de Vancouver ou celui de Toronto est géré de la même façon qu'un ministère, c'est faire preuve de naïveté.

On pourrait dire toutes sortes de choses à ce sujet. C'est un peu comme si l'on prend un manuel scolaire sur une étagère en se disant que cela va à tout le monde. Il y a une vieille histoire au sujet de l'étudiant de l'Université de Chicago qui s'est endormi en classe et qui se rend compte d'un seul coup qu'on lui a posé une question. Il se réveille en sursaut et déclare: «Excusez-moi, professeur. Je n'ai pas entendu la question, mais la réponse est qu'il faut contrôler les dépenses.»

Le sénateur Fairbairn: Je ne voudrais pas vous laisser partir aujourd'hui sans vous avoir posé une question qui est axée sur l'Alberta. Je viens de cette province. Après vous avoir entendu aujourd'hui, toutes sortes de questions me viennent à l'esprit. Il y a une bataille assez féroce qui se déroule dans ma province.

S'il est difficile pour les gens de comprendre le débat actuel, c'est à cause du jargon utilisé: On parle de «privé» et de «public», «à but lucratif» ou «privé».

D'après le projet de loi, les hôpitaux peuvent sous-traiter certains services auprès d'établissements privés. Ces derniers seront indemnisés pour ces services. Le premier ministre nous a dit que les Albertains doivent simplement se munir de leur carte santé, et qu'ils n'auront rien d'autre à faire.

La question que l'on pose continuellement est la suivante: si c'est le cas, y a-t-il dans ce projet de loi des sanctions prévues à l'égard de ces établissements privés s'ils essayent d'inciter les patients à acheter d'autres sortes de traitements? Pourquoi un établissement privé voudrait-il se lancer dans cette activité si ce n'était pas rentable?

Ce projet de loi suscite de l'exaltation dans certains milieux et de vives préoccupations dans d'autres. Il y a de nombreux malentendus au sujet des conditions et, partant, des raisons qui justifient cette mesure, surtout quand certains documents prouvent que cela ne résoudra pas vraiment le problème des coûts ni celui des listes d'attente.

Qu'en pensez-vous?

M. Zelder: Je suis la seule personne dans le pays à avoir étudié cette question de façon exhaustive et lu toutes les études sur le rendement des hôpitaux privés par rapport à ceux de l'État. J'ai signalé clairement que certaines études révèlent que les hôpitaux d'État obtiennent de meilleurs résultats, contrairement à M. Evans et à d'autres de son acabit, qui prétendent que rien ne permet de croire que le rendement des hôpitaux privés est meilleur. Les preuves dont nous disposons sont concluantes, malgré la désinformation dont vous avez été l'objet.

Vous m'avez demandé pourquoi un établissement privé à but lucratif se lancerait dans cette activité. Il le fera parce qu'il pourra offrir le service à moindre coût. C'est la seule raison pour laquelle une entreprise le ferait. Les patients ne s'adresseront pas aux établissements privés s'ils ne reçoivent pas des soins aussi bons, voire meilleurs, que ceux dispensés dans les hôpitaux publics.

Nous avons là une occasion idéale de vérifier si ces preuves empiriques, qui ne sont guère singulières, s'avéreront en Alberta. Je suis déçu de constater qu'une réforme aussi modeste a suscité autant de fausses rumeurs de la part d'autant d'organismes.

M. Evans: Il est possible que M. Zelder ait lu beaucoup plus d'études que tout le monde, car de toute évidence il a fait des constatations qui ont échappé aux autres.

Il est intéressant de voir que le projet de loi stipule qu'il ne peut y avoir d'hôpitaux privés en Alberta. Il est dit au début que personne ne doit diriger un hôpital privé. Là n'est pas le problème. On peut diriger des installations qui offrent les mêmes services que les hôpitaux, mais il ne faut pas leur donner le nom d'hôpitaux.

Le sénateur Fairbairn: Cela s'appelle des installations chirurgicales privées.

M. Evans: C'est exact. Voilà un jargon intéressant.

Le président: Le sénateur Robertson pourra me corriger, mais vers la fin des années 70, les ministères du Bien-être social sont devenus des ministères des Services sociaux dans les provinces, de sorte qu'il n'y avait plus personne sur les listes du bien-être, mais les programmes n'ont pas changé.

M. Evans: Cette analogie est valable. L'autre chose qui est extrêmement complexe, c'est la question du sens du terme «privé». Un professeur de l'Université de Toronto a fait une monographie détaillée sur le sens du terme «privé» pour le Forum national sur la santé. Il fallait toute une monographie pour expliquer ce terme. Dans l'article que certains de mes collègues et moi avons rédigé au sujet de la situation en Alberta, nous avons consacré plusieurs paragraphes au début à discuter de ce point précis, à savoir ce qui ennuie les gens et ce que des personnes différentes veulent dire lorsqu'elles parlent de «privé» et de «public».

Ceux qui disent qu'une partie importante des soins de santé ont toujours été assurés par des médecins privés, en d'autres pays, ont tout à fait raison. Par ailleurs, ces médecins ne sont généralement pas au service d'une société multinationale à but lucratif; ce sont des médecins privés qui ont des cabinets privés. S'ils faisaient partie d'une organisation dont le but essentiel est de remplir ses caisses, je suppose que nous serions beaucoup plus nerveux lorsque nous allons consulter. Nous le sommes déjà suffisamment.

Il n'est pas impossible de préciser la terminologie, mais cela prend du temps. Il faut utiliser plusieurs mots pour préciser le sens. Lors de ce débat, bien des discussions ont visé précisément à rendre cette question très floue.

Pour ma part, je n'ai rien à redire à l'idée de cliniques spécialisées. L'idée qu'elles pourraient être beaucoup plus rentables qu'un établissement où tout le monde est mis dans le même panier me paraît tout à fait plausible. Toutefois, cela n'est apparemment pas le problème. On ne semble pas vraiment s'inquiéter du passage à des établissements autonomes. Le problème est lié à la vocation de rentabilité et aux possibilités que cette motivation débouche sur la surfacturation, ce qui est exactement la situation non seulement à la clinique Gimble -- et j'en ai entendu parler par un groupe du Elder College auquel j'ai parlé la semaine dernière -- mais également sur la rive nord de Vancouver et à Victoria. Je ne sais pas exactement comment les choses se passent, mais cet établissement fonctionne selon le principe suivant: «Oui, nous offrons le service public courant que vous pouvez obtenir avec votre carte, mais il y a un service supplémentaire spécial. Nous allons vous faire cette greffe du cristallin. Il sera permanent. Voulez-vous le cristallin ordinaire ou celui de qualité supérieure?» Les consommateurs ne devraient pas être confrontés à ce genre de décision. C'est un peu comme s'il y avait des chambres privées dans les hôpitaux -- comme il y en a depuis des années, sans que cela pose de problème à qui que ce soit -- mais qu'on vous disait: «Si vous êtes prêt à prendre et à payer une chambre particulière, vous pourrez subir votre opération dans un peu moins de temps.» Cela vous paraîtrait-il inquiétant? Je pense que oui.

Si le «service privé» est tout à fait distinct de ce qui est important du point de vue thérapeutique, alors il n'y a pas de problème. Toutefois, si les deux sont liés, ce qui représente la stratégie la plus rentable, alors il y a un problème. C'est ce qui se passe en Alberta et c'est ce qui préoccupe les adversaires du projet de loi C-11, à savoir qu'il offre la possibilité de faire le lien entre le service assuré et le service non assuré, en rendant l'accès à l'un conditionnel à la volonté de payer n'importe quel prix pour l'autre. Ce principe est conçu de façon astucieuse de façon à contourner la Loi canadienne sur la santé par le texte de loi, mais en fait on s'attaque de plein front au principe même.

Mme Fuller: Vous avez demandé pourquoi un établissement voudrait se lancer dans cette activité si ce n'était pas rentable. C'est une question que j'ai posée également. Cette question en entraîne une autre, à savoir: «D'où viendra le bénéfice?» C'est le défi qui se pose aux gens en Alberta à l'égard de cet hôpital privé. Je parle d'hôpital privé parce que c'est exactement ce dont il s'agit.

Dans le projet de loi, on tourne autour des mots. Le gouvernement dit que l'on peut obtenir les services en présentant sa carte santé de l'Alberta, mais quels services seront assurés publiquement grâce au régime de soins de santé qui sera offert par l'hôpital? L'hôpital gagnera de l'argent grâce au régime de santé public, grâce à la Commission d'indemnisation des accidents du travail, auprès de patients qui auront une assurance privée, et cetera. Ses sources de revenu seront diverses. Les recettes ne viendront pas simplement du secteur public, mais également d'autres sources.

Ce qui me préoccupe au sujet de l'hôpital et de la clinique ophtalmologique Gimble, c'est que l'on offre aux patients des versions améliorées, et cetera. Lorsque les patients se rendent dans un centre de soins ophtalmologiques Gimble, ils peuvent obtenir un cristallin plus souple et quelques petits avantages, et cetera, qui ne sont pas remboursés par le régime de santé public. C'est ce avec quoi les Albertains sont également aux prises, à savoir que si les services sont assurés par le régime de santé public, le fait que l'entreprise qui assure le service soit à but lucratif ou non pose-t-il un problème? Si tous les services étaient offerts sans frais d'utilisation ou surfacturation, ce serait une chose. Toutefois, je ne pense pas que ce soit l'intention de l'hôpital.

Comme vous l'avez dit, que fera cette entreprise si elle n'est pas rentable? Le défi et le dilemme auxquels l'hôpital sera confronté sont donc: d'où viendront ces bénéfices?

Le président: Je tiens à vous remercier tous de ces deux heures et quart de débat tout à fait fascinant. Nous vous savons gré d'avoir pris le temps de venir témoigner aujourd'hui.

La séance est levée.


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