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SOCI - Comité permanent

Affaires sociales, sciences et technologie

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie

Fascicule 16 - Témoignages


OTTAWA, le mercredi 31 mai 2000

Le comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd'hui, à 15 h 30, pour examiner l'état du système de santé au Canada.

Le sénateur Michael Kirby (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Avant de reprendre les audiences relatives à l'étude sur l'état du système de santé au Canada et les mesures à prendre à ce sujet, selon votre point de vue, notre comité est saisi d'une motion. Je souhaite vous rappeler qu'un sous-comité a procédé à la mise à jour du rapport du comité sénatorial spécial sur l'euthanasie et l'aide au suicide d'il y a cinq ans, qui est intitulé «De la vie et de la mort.» Ce rapport a été fait par un sous-comité présidé par le sénateur Carstairs. Le sous-comité a terminé son rapport et il nous faut une motion officielle pour autoriser le dépôt de ce rapport au Sénat la semaine prochaine, à la date marquant le cinquième anniversaire du dépôt du rapport initial. Je ne crois pas que la motion exige beaucoup de discussion, mais elle doit être proposée officiellement, appuyée et adoptée.

Le sénateur Carstairs: Je propose:

Que le président et la vice-présidente soient autorisés à recevoir et à adopter, au nom du comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie, le rapport du Sous-comité de mise à jour de «De la vie et de la mort» sur les faits nouveaux survenus depuis le dépôt, en juin 1995, du rapport final du comité sénatorial spécial sur l'euthanasie et l'aide au suicide intitulé «De la vie et de la mort»;

Et que le sénateur Carstairs soit autorisée à déposer au Sénat ledit rapport au nom du président du comité sénatorial permanent des affaires sociales des sciences et de la technologie.

Le sénateur Fairbairn: J'appuie la motion.

Le président: Est-ce d'accord, honorables sénateurs?

Des voix: D'accord.

Le président: La motion est adoptée.

Le sénateur Roche: J'aimerais souligner devant le comité que le sénateur Carstairs a fait un travail remarquable en tant que présidente d'une longue série d'audiences relatives à ce sujet très difficile et délicat. Le comité a produit un rapport remarquable dont il devrait être très fier.

Des voix: Bravo!

Le président: Félicitations, sénateur. Le rapport est adopté.

Nous poursuivons maintenant notre étude de trois ans sur le système de santé au Canada et le rôle fédéral à cet égard. Je suis ravi de recevoir aujourd'hui comme témoin l'honorable Monique Bégin, qui a été ministre de la Santé de 1977 à 1984, à l'exception d'une interruption de neuf mois en 1979. Elle est l'auteur de la Loi canadienne sur la santé de 1974. Elle a été ensuite doyenne des Sciences de la santé à l'Université d'Ottawa et aujourd'hui, y est professeur émérite. Lorsque les politiciens en arrivent au point où on leur confère ce titre, c'est une très grande marque d'approbation, compte tenu du genre de titres qu'on leur confère habituellement au moment de leur retraite.

Nous sommes ravis de recevoir Mme Bégin aujourd'hui. Comme vous le savez tous, elle peut être très directe de temps à autre, lorsqu'elle exprime ses points de vue et elle est bien connue pour avoir des idées assez arrêtées sur les mesures à prendre au sujet du régime de soins de santé canadien. Nous sommes ravis de pouvoir entendre ses points de vue aujourd'hui.

Comme nous devons lever la séance à 16 h 45 en raison d'un vote qui doit avoir lieu au Sénat à l7 heures et d'un vote par appel nominal à l7 h 30, j'ai indiqué à Mme Bégin que nous devrons de nouveau l'inviter. Nous avions à l'origine espérer avoir une séance de deux heures. De toute évidence, ce n'est pas possible aujourd'hui. Nous allons lui demander de faire sa déclaration préliminaire, puis nous poserons le plus de questions possibles dans le temps qui nous est disponible. Ne pensez pas que c'est la dernière fois que vous pouvez lui poser des questions, car elle a accepté de revenir au cours des prochaines semaines, certainement avant la fin juin, avant les vacances.

Merci beaucoup d'être parmi nous. Je vous cède la parole.

L'honorable Monique Bégin, c.p.: J'aimerais tout d'abord revenir sur ce qui a été récemment dit dans les médias. Je ne me sens pas tenue de m'excuser, car je ne pense pas avoir fait quelque chose de mal. Toutefois, je tiens à vous donner une explication. Je ne comparais pas devant vous aujourd'hui après avoir dit aux médias ce que je me propose de vous dire ici. Ce n'est pas le cas. En fait, mai et avril sont des mois très chargés pour moi. Je fais des discours-programmes dans le cadre d'assemblées annuelles ou j'ai déjà parlé du régime d'assurance-maladie, ou écrit à ce sujet. Je continue de le faire comme si la situation évoluait.

Je voudrais bien avoir un plan comme celui qui m'a été attribué, car, si je savais comment remettre le système à niveau, je serais premier ministre, ou à tout le moins, premier ministre d'une province. La plupart de ce qui est écrit dans les journaux -- j'ai d'ailleurs été dérangée par ce que j'y ai lu -- est extrait d'un article du dernier numéro de «Options politiques» qui porte entièrement sur le régime d'assurance-maladie; plusieurs personnes ont écrit à ce sujet.

[Français]

J'ai succédé à Marc Lalonde à la mi-septembre 1977, et lu avec grand intérêt sa déposition ainsi que ses réponses à vos questions il y a quelques jours. J'ai hérité de EPF alors qu'il existait depuis deux mois et demi.

Auparavant, j'avais été ministre du ministère du Revenu national, pour une période d'un an. Je suppose que j'avais voté pour EPF aussi bien au Conseil des ministres qu'à la Chambre des communes. La grande majorité de mes collègues au Cabinet et au caucus m'ont confié, plusieurs années après, quand nous étions dans ce que l'on a appelé la «crise de l'assurance-santé», ils ne savaient pas ce sur quoi ils votaient. Je veux dire que c'est un système administratif excessivement complexe et c'était le premier cas, à ma connaissance, de paiements forfaitaires remplaçant un programme à frais partagés. Quand la «crise» a été portée à ma connaissance, lors de la période des questions, à la Chambre des communes, en janvier 1979 -- et j'ai documenté le tout dans mon livre sur le dossier de la politique publique -- j'étais ministre de la Santé depuis deux ans et demi, et je n'avais à peu près jamais été renseignée sur le programme de soins de santé.

[Traduction]

Le régime d'assurance-maladie était en très bonne santé. C'était le bon temps.

Nous travaillions sur toutes sortes de questions, mais par sur ce que nous appelons le régime de soins de santé lui-même. Le régime était en bonne santé et je ne recevais pas de briefing à ce sujet, nous avions beaucoup de travail à faire.

M. Lalonde n'a pas bonne mémoire cette fois-ci, car ce n'était pas 33 p. 100, mais 25 p. 100 du budget fédéral qui était affecté à l'énorme portefeuille du ministère de la Santé nationale et du bien-être de l'époque. J'ai eu le plaisir de travailler avec certains d'entre vous qui étiez ministres provinciaux à l'époque, et qui travailliez en première ligne, où je n'avais pas à constamment intervenir.

Je menais un autre combat, toutefois. J'ai dû m'occuper pendant très longtemps de ce dossier de politique gouvernementale. Je l'ai fait entre janvier 1979 et septembre 1884, date à laquelle j'ai quitté la politique par suite d'un changement de gouvernement.

Le gouvernement a fini par déposer et adopter à l'unanimité la Loi canadienne sur la santé, pour régler un problème qui découle, à mon avis, du FPE. Permettez-moi d'expliquer.

Le FPE, dont M. Lalonde a parlé, représentait pour la première fois un paiement de transfert forfaitaire, sous forme de points d'impôt essentiellement, et d'argent partiellement.

Comme Mme Raisa Deber vous l'a dit tout au début de vos délibérations, la Loi sur l'assurance-hospitalisation et les services diagnostiques et, dix ans plus tard, la Loi sur les soins médicaux, sont les deux principales mesures législatives à l'origine du régime d'assurance-maladie. Ces deux lois ont été maintenues après le FPE. C'est la Loi canadienne sur la santé de 1984 qui les a fait disparaître en les fusionnant.

C'est très intéressant et c'est, bien sûr, avec le recul, que je comprends mieux ce dossier chaque jour.

La Loi sur l'assurance-hospitalisation et les services diagnostiques et la Loi sur les soins médicaux restent la législation cadre qui justifie l'existence du financement du régime d'assurance-maladie d'un point de vue fédéral; elles ont toutefois été complètement dépouillées de leurs pouvoirs d'application. Ces mesures législatives étaient basées sur la notion de partage égal. Leur application a été immédiatement, automatiquement, liée à ce mode de financement. S'il n'y avait pas autant de lits dans l'hôpital X ou si le laboratoire Y n'était pas de la bonne taille ou ne se trouvait pas au bon endroit, la province n'était tout simplement pas remboursée.

Le mode d'application était automatique. J'ai insisté sur ce point. À mon avis, c'est très important dans les opérations législatives. De mon point de vue personnel, ce mode d'application était le moins punitif, si tant est qu'il ait été. Il s'agissait plus d'une dépossession de financement à l'autre extrémité. La province X pouvait toutefois faire des ajustements. Je n'ai pas utilisé cette méthode directement; elle a été modifiée lorsque j'étais à Santé et Bien-être. Une facture différente pouvait être présentée une fois la situation réglée et la province pouvait finalement être remboursée pour la moitié de ses frais.

La législation a continué de s'appliquer du point de vue des dépenses visées, mais le mécanisme de financement, qui par voie de conséquence a été le mécanisme d'application, en a été complètement dissocié, à cause du FPE. Il n'y avait absolument pas de mécanisme d'application.

Je dois dire que je n'ai jamais vu les règlements liés à ces deux anciennes lois. Il serait intéressant -- et je vais revenir là dessus -- d'examiner ces lois sous l'angle des problèmes d'aujourd'hui. Pendant les années de la soi-disant crise, mes fonctionnaires m'ont expliqué, par exemple, les cinq principes ou conditions de la Loi canadienne sur la santé qui existaient dans les mesures législatives précédentes. Personne n'en parlait. Les provinces les connaissaient, mais le public n'en avait jamais beaucoup entendu parler. Il y avait à l'origine quatre principes. L'accessibilité était inclue comme découlant en quelque sorte de l'universalité, mais nous en avons fait une cinquième condition officielle.

La loi a fusionné les deux lois précédentes, reprenant tout ce qu'elle pouvait de l'esprit et des conditions des lois précédentes. La nouvelle loi n'a pas réglé un problème dont j'avais parfaitement conscience, à savoir que la législation précédente ne visait que ce que nous définissions comme «soins de santé» à l'époque, c'est-à-dire un système lié aux médecins, aux hôpitaux, aux soins actifs. Rien d'autre n'était remboursé à ce moment-là.

Je suis complètement d'accord -- il est inutile de le dire -- avec tout ce qu'a dit M. Lalonde au sujet de la promotion de la santé et de la prévention dans ce domaine. Il a dit qu'il serait bon de maintenir et de rétablir la santé et de prévenir l'érosion de la santé par des moyens autres que ceux offerts par les hôpitaux et les médecins. Je savais qu'il fallait le faire, mais l'époque était telle que cela n'a pas été possible. C'était la fin d'un régime politique. Ces années ont été extrêmement difficiles vu les nouvelles idéologies économiques. Il semblait que tout le monde au Canada était contre l'universalité.

Nous l'avons oublié maintenant, mais plusieurs batailles ont été menées à propos des compressions. Les nombreuses compressions qui ont été faites dans la deuxième moitié des années 80 et dans les années 90 avaient été prévues bien avant par le ministère des Finances. Je fais partie de ceux qui se sont battus contre ces plans. Nous avons remporté quelques victoires, mais nous avons perdu également quelques batailles.

En matière de stratégie, je pensais que si l'on rouvrait le contenu de l'ancienne législation, tout aurait pu être perdu, du point de vue fédéral. J'aurais pu perdre de l'argent. J'aurais pu perdre les fonds importants qui étaient transférés aux provinces. Le gouvernement dont je faisais partie aurait pu profiter de l'occasion pour imposer des plafonds ou des compressions, et cetera. C'était mon jugement politique que, bien sûr, à l'époque, je ne pouvais pas formuler.

Certaines provinces ne pouvaient pas immédiatement lancer d'autres programmes. Elles auraient qualifié d'injustes mes efforts de modernisation de la liste des coûts couverts par le fédéral. Pour préciser les choses, j'aurais imposé aux provinces des coûts supplémentaires en matière de soins de santé sans augmenter les fonds de transfert. Disons que nous avons eu quelques problèmes politiques.

Par conséquent, je m'en tiens à la stricte définition des services médicaux et hospitaliers. Les infirmières ont joué un rôle historique, même si les premiers ministres ont changé leur titre, les appelant infirmières praticiennes ou professionnelles de la santé, et cetera. Même si c'était une grande victoire politique, en pratique, rien n'a changé dans la prestation des services de soins de santé.

La Loi canadienne sur la santé visait à régler le seul problème visible de l'époque, c'est-à-dire les frais supplémentaires, et cela de deux façons. Certains médecins faisaient de la surfacturation, les spécialistes en particulier, et certains établissements imposaient le ticket modérateur sous l'autorité provinciale dans certaines des provinces.

Il a fallu beaucoup de temps pour expliquer exactement jusqu'où il était possible d'aller, tout en respectant la Constitution et le partage des pouvoirs, vu que la prestation des services de santé est une responsabilité provinciale. Je voulais que les fonctionnaires de la Justice m'aident au sujet des nouvelles idées dans le domaine législatif -- dont j'avais entendu parler --, surtout pour trouver des mécanismes d'application qui ne soient pas punitifs. Ainsi, les provinces disposaient de trois années pour mettre de l'ordre dans leurs affaires. Elles auraient été pénalisées, le cas échéant, mais si elles mettaient de l'ordre dans leurs affaires avant la fin des trois années, elles étaient remboursées. Puis, bien sûr, il y a eu le concept de partage égal, concept qui est non seulement juste, mais qui le semblait aux yeux du public. J'ai toujours pensé que la participation des citoyens est importante. Ce sont eux qui immanquablement ont sauvé le régime d'assurance-maladie chaque fois qu'il y a eu des problèmes.

J'ai un jour demandé à mon prédécesseur au portefeuille pourquoi ces trois principaux acteurs -- M. Trudeau, M. Don Macdonald, qui était alors ministre des Finances, et M. Lalonde, tous issus du monde juridique -- n'avaient pas prévu de mécanisme d'exécution. Je ne sais pas s'il s'en rappelle, mais il m'a répondu que tant le gouvernement fédéral que les provinces étaient si satisfaits du PFE que tout le monde agirait de bonne foi et qu'il n'y aurait jamais de problème. Je ne juge pas la profession juridique là-dessus.

J'ai hérité d'un problème dont nous ne savions tout simplement pas quoi faire. Nous avons conçu un moyen juste, simple et quasi-automatique d'appliquer la loi lorsqu'il y a des frais supplémentaires. À l'époque, il n'était pas possible de prévoir quelle forme prendraient d'autres éventuels empiétements ou transgressions de la loi. Donc une deuxième section générale de la loi traite du processus général d'évaluation, tout d'abord, puis d'éventuelles pénalités dans le cas d'autres violations. Je ne parle pas de violations théoriques, mais de celles qui n'étaient pas encore connues à l'époque.

Ceci nous amène à la situation qui prévaut aujourd'hui, où l'on entrevoit des menaces possibles au système.

J'aurais voulu avoir un plan, mais je n'en ai aucun. Comme tout le monde qui connaît à fond le système de soins de santé, je sais qu'il est absolument impératif d'y faire certaines réformes et certains changements. Rien n'a été fait. Ils se font désirer. Il y a seulement eu réduction des effectifs et restructuration des institutions. Cette restructuration a d'ailleurs causé un choc des cultures institutionnelles, entre les hôpitaux qui ont été forcés de se fusionner.

La Loi canadienne sur la santé s'est animée d'une vie qui lui est propre. Elle jouit maintenant du prestige d'une icône. C'est pourquoi je pense personnellement qu'aucun politicien ne peut rouvrir la Loi canadienne sur la santé, ni même l'améliorer, parce que cela déstabiliserait trop la population. Par conséquent, j'en suis venue à la conclusion que, d'abord, il faut plus d'argent. Deuxièmement, cet argent devrait être donné en espèces, et certainement pas sous forme de points d'impôt. Troisièmement, cela devrait se faire dans le cadre d'un nouveau texte de loi parallèle à la Loi canadienne sur la santé. Théoriquement, la Loi canadienne sur la santé prévoit ces fonds pour les médecins et les hôpitaux. Cependant, en pratique, les provinces en font ce qu'elles veulent. Tout le monde joue sur les deux niveaux tout le temps. Dans la foulée, les citoyens ont perdu le sens de leurs droits, ce qui me paraît inacceptable dans le sens de l'imputabilité publique.

La nouvelle loi porterait sur les soins à domicile et les soins primaires, qui devraient constituer le noyau du système, mais qui ne sont pour l'instant qu'à sa périphérie. J'aimerais que nous y ajoutions une ou deux conditions. La première serait l'obligation de rendre compte.

La Loi canadienne sur la santé a été adoptée à un moment donné en avril 1984, et elle est entrée en vigueur le 1er juillet 1984. J'ai laissé ce portefeuille, et je savais depuis longtemps que je le laisserais, bien que personne d'autre ne l'ait su. Je me suis assurée que les règlements relatifs à l'exécution des pénalités seraient formulés et avalisés. Le processus a été fastidieux. Cependant, j'ai quitté la scène à ce moment-là. Je n'ai jamais vu d'autres règlements. À ce que j'ai compris, certaines dispositions des règlements n'ont même jamais été rédigées, ce qui m'amène à un article particulier de la loi que je trouve problématique. C'est celui qui traite de l'administration publique sans but lucratif, qui est l'une des cinq conditions.

Monsieur le président, ceci termine mes déclarations préliminaires, et je suis prête à répondre à vos questions.

Le président: Merci, madame Bégin. Avant de laisser la parole aux sénateurs, j'aimerais vous poser deux questions pour situer quelque peu le contexte. Je résisterai à la tentation, pour l'instant, de vous demander d'expliquer certaines de vos observations plus provocantes.

Deux choses m'ont laissé perplexe à propos de la Loi canadienne sur la Santé. La première est que sur les cinq conditions, quatre d'entre elles, soit l'universalité, la transférabilité, l'accessibilité et l'intégralité, visent le consommateur. Elles concernent le patient. La cinquième condition, qui est l'administration publique, m'a toujours semblé bizarre, dans le sens où elle se rapporte aux moyens de respecter les autres conditions. Je pense que n'importe quel système qui a pu répondre aux conditions d'universalité, d'imputabilité, de transférabilité et d'intégralité serait acceptable. Je trouve bizarre que les moyens d'arriver à ces fins aient été élevés au niveau des autres; ou est-ce en fait une condition d'un autre genre? Je ne comprends pas comment cela a pu se rendre là, à part le fait que c'était dans le rapport original d'Emmett Hall. Pourquoi cette condition a-t-elle été maintenue?

Mme Bégin: J'étais très jeune dans les années 60. Je ne faisais pas de politique à l'époque. Je ne peux même pas me rappeler qui ont été les ministres de la Santé de cette période. Je ne peux pas vous répondre, monsieur le président.

Il vous faudra relire Malcolm Taylor, et je ne sais même pas s'il en parle. Je ne me rappelle pas avoir vu cela dans son fameux traité.

J'ai toujours pensé que les trois premières conditions que vous avez données, et la quatrième que j'ai ajoutée, que vous dites vise le consommateur, sont bien obligées de viser le consommateur parce qu'elles donnent aux citoyens ce qu'il leur revient. Je ne peux pas appeler ça un droit. Cela n'a rien à voir avec les droits. C'est un privilège de notre société dont il a été convenu et dont jouissent les contribuables et les citoyens. Il faut qu'ils le sachent.

Le président: Je conviens avec vous que ça leur revient. La plupart des citoyens l'ont élevé au rang de droit, dans le sens où c'est ainsi que sont perçues l'assurance maladie et la Loi canadienne sur la santé.

Mme Bégin: La personne qui a publié la version anglaise de mon texte a écrit «the right to health». C'est idiot. Mais j'ai découvert que lorsque vous écrivez un livre dans une langue, vous ne contrôlez pas l'autre langue. Ce n'est pas un «droit à la santé». Ça n'existe pas. C'est un principe philosophique, et bien des gens ne pensent pas jusque là.

Le président: Vous dites que l'administration publique a commencé bien avant votre arrivée, et qu'elle est tout simplement été maintenue.

Comme j'ai longtemps travaillé dans le domaine de l'analyse des marchés, si je faisais un sondage pour cerner l'opinion du public sur ce que veulent les consommateurs du régime de soins de santé, je pense que les réponses tourneraient autour de trois facteurs. Premièrement, ils diraient qu'ils veulent des soins de santé de qualité, ce qui revient en quelque sorte à l'intégralité; deuxièmement, ils voudraient la rapidité, dans le sens où la réactivité raisonnablement prompte au système, que beaucoup de Canadiens jugeraient actuellement inexistante, serait un facteur de qualité; et troisièmement -- et c'est tout aussi important que les deux autres -- ils diraient qu'ils voudraient pouvoir se fier à la durabilité économique du système, à long terme. C'est-à-dire qu'ils voudraient savoir que la «police d'assurance» où il est dit que s'ils tombent malades ils seront soignés, ne leur fera pas défaut et qu'elle existera encore lorsqu'ils vieilliront.

Si on regarde les données sur l'opinion publique, ce qui mine la confiance dans le système, plus, peut-être, que tout autre chose, c'est l'impression gênante que le système ne sera pas là lorsqu'on en aura besoin. C'est-à-dire que cet «élément de police d'assurance» s'évanouit. Pourriez-vous commenter cela?

Et si vous pensez que je vois juste, est-ce que cela signifie que, par exemple, la durabilité à long terme devrait devenir l'un des principes fondamentaux d'une nouvelle Loi canadienne sur la santé, ou de la nouvelle loi, comme vous l'appelez?

Mme Bégin: Je pense que les gens veulent de la qualité. Si je devais ajouter deux critères, je dirais, tout d'abord, l'imputabilité. Le mot «qualité» n'est qu'un terme esthétique, parce que je ne vois pas comment on peut le traduire dans le mode de fonctionnement. Bien qu'il soit vrai que c'est ce que veulent les gens, de façon générale, les Canadiens savent qu'ils ont la qualité, parce que jusqu'ici, le système les a plutôt bien servis.

Quant à la rapidité, je ne suis pas d'accord avec vous. Les gens veulent la rapidité lorsqu'ils commandent une pizza qui doit leur être livrée dans le quart d'heure qui suit, sinon elle est gratuite, mais je ne pense pas que le gouvernement veuille, ou même puisse, fonctionner ainsi. Les gens sont très tolérants. Ce qu'ils ne veulent pas, c'est une durée d'attente inacceptable. Ils ne veulent pas la pagaille dans les salles d'urgence à chaque saison des Fêtes, mais tout le monde sait comment «arranger» cela et régler cette situation.

La durabilité est certainement l'une des préoccupations des Canadiens. Ils veulent que le système soit là lorsqu'ils en ont besoin. Je n'ai jamais pensé à la distinction que vous faites, lorsque vous dites que les quatre conditions visent le consommateur. La cinquième condition est un concept administratif, c'est-à-dire l'administration publique du système de soins de santé.

Le président: C'est un moyen d'arriver à une fin.

Mme Bégin: Peut-être devrait-il y avoir une série de conditions relatives à l'exploitation du système et à sa durabilité. Je pense que la stabilité du financement provenant du gouvernement fédéral est un élément essentiel. Il est impossible d'avoir des relations harmonieuses entre le gouvernement fédéral et les provinces si le gouvernement fédéral impose soudain des compressions au système, et cetera. Ceci dit, il est nécessaire de faire le ménage dans la maison fiscale. C'est pourquoi M. Martin a maintenant tous ces milliards de dollars. Je ne commenterai pas la manière dont ça a été fait, ni dont c'est appliqué depuis 1984.

La «durabilité» signifie la stabilité du financement. Dans l'article qui a été publié la semaine dernière dans «Policy Option», j'ai dit que, peut-être, la contribution financière pourrait être de 25 p. 100. C'est un chiffre et non pas une prescription. C'est pour illustrer ce que ce pourrait être. Je pense que les points d'impôt sont choses du passé; ils sont «perdus». Le sénateur Robertson a bien dit à Marc Lalonde que, historiquement, les provinces avaient été flouées dès le départ. Je ne le savais pas. Je compte me renseigner à ce sujet, pour savoir exactement ce qui s'est passé.

La lutte qui se déroule entre les deux ordres de gouvernement au sujet des chiffres est absolument improductive et va à l'encontre du but recherché. Ils devraient convenir d'un pourcentage, et ce devrait être la règle du jeu. Les provinces ont besoin de stabilité du financement, et le public a besoin de savoir que cette stabilité existe. Il est absolument essentiel que le public le sache aussi.

Le président: C'est comme ça que vous obtenez la durabilité?

Mme Bégin: Oui.

Le sénateur LeBreton: C'est parfait. Dans l'article que vous venez de mentionner, vous parlez de la nécessité d'une coopération entre le gouvernement fédéral et les provinces. L'article porte sur toute la question des points d'impôt. Vous dites dans cet article -- je vous paraphrase -- que parce que les points d'impôt ont été transférés aux provinces en 1977 et sont perdus pour toujours pour le gouvernement fédéral, nous ne devrions plus en parler. Dans vos observations, vous avez dit que les citoyens ont perdu le sens de ce qui leur revient.

Cette question de points d'impôt est un énorme ballon politique. Le public en est tout décontenancé. Les points d'impôt représentent de l'argent. Je comprends là où vous voulez en venir, mais comment faire pour ramener cela sur la table? C'est un prétexte que se renvoient les ordres de gouvernement de l'un à l'autre. Les points d'impôt existent, et pourtant le public ne sait absolument pas ce qu'ils signifient ni à quoi ils servent. Je sais que nous ne devrions plus en parler, mais comment devrions-nous les traiter? Comment faire comprendre au public ce qu'ils représentent pour la prestation des soins de santé?

Mme Bégin: Je propose que nous cessions d'en parler dans le sens où j'ai l'impression -- et M. Lalonde l'a dit lui aussi dans son témoignage -- que la politique est l'art du possible. Il y a des jours où je hais le PFE. Vous n'en avez pas idée. J'ai vécu un cauchemar pendant des années à cause de quelque chose qui clochait avec le PFE, même si j'en reconnais les bons côtés. D'après divers spécialistes politiques, les années 70 étaient la décennie de l'affirmation provinciale. Ça a continué dans les années 80. C'est l'art du possible. Les points d'impôt ont été attribués, fondamentalement, à toutes les provinces.

Je me suis servie de la Loi canadienne sur la santé en partant de mon idée que les citoyens seront toujours les plus grands défenseurs du régime de santé. S'ils ne l'aiment pas, il disparaîtra. Je voulais y intégrer le concept d'imputabilité, et c'est pourquoi il s'y trouve une disposition qui oblige le gouvernement fédéral à publier un rapport annuel. Cette disposition n'existait pas avant. Cependant, elle ne veut plus dire grand-chose depuis l'avènement du TCSPS. Le transfert forfaitaire est même plus vaste. Le vérificateur général a dit sans détours que le gouvernement fédéral n'a pas la moindre idée de ce qu'il donne aux provinces, ni pour quoi.

Il y a eu un peu de résistance au sein de Santé Canada, mais nous avons créé une colonne pour les points d'impôt, une colonne pour la valeur des points d'impôt et une colonne pour les transferts en espèces et un total. J'ai fait ma part pour diffuser le montant de la somme globale, dans un effort de reddition des comptes par le gouvernement fédéral.

Cette bataille est maintenant perdue. Tout d'abord, cette espèce de lutte entre les deux ordres de gouvernement a créé un véritable fouillis. Ni les gouvernements provinciaux, ni les administrateurs fédéraux n'ont la moindre idée du coût du régime de santé. Souvent, les chiffres sont brouillés. C'est l'art politique de la manoeuvre à son pire. Ça ne peut pas continuer ainsi.

Le système des points d'impôt alimente cette guerre contre productive des chiffres. Si le sénateur Roberston ne se trompe pas sur la perspective historique, c'est l'affaire des provinces et un point c'est tout. N'en parlons plus.

Notre pays est l'une des nations les plus décentralisées du monde entier. Le public voit toujours dans Ottawa une espèce de big brother, mais vos attachés de recherche pourraient vous fournir la proportion du potentiel fiscal fédéral par rapport aux provinces, qui juste après la guerre se situait aux alentours de 75 p. 100 contre 25 p. 100. C'est maintenant l'inverse. Je n'en parlerais tout simplement plus.

Je fixerais un plancher des transferts en espèces auquel le gouvernement fédéral devrait s'engager. Il ne devrait pas seulement chercher la reconnaissance politique, mais par souci de comptabilité transparente et de reddition des comptes, il devrait aussi indiquer la valeur monétaire des programmes.

Le sénateur LeBreton: C'est en partie le problème. Certaines provinces soutiennent qu'elles n'ont plus le financement qu'elles recevaient auparavant, mais alors on leur rétorque qu'elles ont des points d'impôt.

Pourquoi ne pas revenir à une comptabilisation plus ouverte des points d'impôt? Est-ce que vous suggérez de fixer un nouveau plancher des transferts, et les points d'impôt ne sont que des points d'impôt? Où iront-ils? Quelle solution y a-t-il?

Mme Bégin: Les provinces en feront ce qu'elles veulent, comme elles l'ont toujours fait depuis 1977.

J'écarterais tout simplement les points d'impôt du chemin. Je pense qu'ils empoisonnent tout le système et n'aident à rien. S'il faut dire que c'était une mauvaise mesure politique, soit. C'était une mauvaise mesure politique, mais je continue de croire fermement que c'était la seule solution possible à l'époque. Peut-être auraient-ils dû donner moins de points d'impôt et plus d'espèces. Je n'ai pas assisté aux négociations.

Le sénateur LeBreton: Je n'ai qu'une observation à faire, si vous permettez, au sujet de l'une des excellentes suggestions que vous avez faites dans votre article, où vous prônez la création d'un conseil des ministres provinciaux de la Santé doté d'un secrétariat permanent. Il me semble nécessaire de maintenir un organe permanent. Autrement, dans une dizaine d'années, nous reprendrons ce débat à zéro.

Mme Bégin: Le ministre fédéral ne pourra jamais leur dire ce qu'ils doivent et ne doivent pas faire. Entre pairs, ils pourraient faire un travail fantastique en collaborant et en s'appuyant mutuellement.

Le sénateur LeBreton: Des témoins que nous avons entendus auparavant nous ont dit que le public en a assez d'entendre un ordre de gouvernement rejeter la faute sur un autre ordre de gouvernement. Les Canadiens veulent une solution.

Mme Bégin: Il faudrait poursuivre les réunions fédérales provinciales sur la politique et la santé. Il y a de la place pour de grandes initiatives, et nous avons laissé passer beaucoup d'opportunités.

Le sénateur Carstairs: Le fait est que je vous donne raison. Il faut mettre fin à la guerre sur les points d'impôt. C'est fini, n'en parlons plus. Lorsqu'on tente d'expliquer les points d'impôt à un auditoire, je suis sûre que vous l'avez constaté comme moi, les regards deviennent fixes. Ils n'ont aucune idée de ce dont vous parlez, ils ne le sauront jamais, alors oublions cela.

D'après vous, y a-t-il possibilité de négocier la reddition des comptes en échange d'un financement accru? Autrement dit, en échange de l'augmentation des contributions du gouvernement fédéral qui, tout le monde en convient, est inévitable, est-ce que le gouvernement fédéral pourrait exiger des provinces qu'elles rendent des comptes en quelque sorte sur l'objet des dépenses?

Mme Bégin: Je crois que oui, si je me fie aux pénalités imposées au cours des premières années d'application de la Loi canadienne sur la santé. Même si le niveau de financement, sous forme de paiement en espèces, était inférieur à 25 p. 100, le gouvernement fédéral disposerait quand même d'une marge de manoeuvre suffisante pour négocier et faire en sorte qu'elles se mettent en oeuvre la loi en vigueur, peu importe l'argent neuf qu'il injecterait, y compris les montants prévus en vertu du TCSPS.

Le sénateur Carstairs: Nous tenons à ce qu'elles rendent des comptes. Pouvons-nous également négocier avec elles pour qu'elles mettent sur pied de nouveaux programmes? Nous avons besoin de soins à domicile ou de soins communautaires, appelez-les comme vous voulez. Il y a aussi la question de l'assurance-médicaments, les médicaments prenant une place de plus importante. Je pense que vous avez dit que les médicaments vont remplacer les chirurgies dans bien des cas.

Est-il possible de négocier entre politiciens, de dire, «Oui, nous allons vous donner l'argent, mais avant de l'obtenir, vous allez devoir investir davantage dans les soins communautaires et mettre sur pied un régime d'assurance-médicaments»?

Mme Bégin: Je suis d'accord avec ce qu'a dit M. Lalonde, qu'il faut regarder vers l'avenir, ne pas s'occuper uniquement du court terme, ne pas imposer de nouvelles contraintes au système.

Je ne peux pas croire que personne, il y a 16 ans, n'a envisagé la situation qui prévaut actuellement en Alberta, ou encore à l'hôpital Peel, dans la région métropolitaine de Toronto, où vous avez des services IRM offerts par des cliniques privées et publiques. C'est tout à fait insensé.

Notre système est en mutation. Je ne connais pas la réponse à la question; je suis venue toute seule. Je viens de croiser le vérificateur général, qui se rendait témoigner devant un comité. Il était accompagné d'une douzaine de fonctionnaires. Comment puis-je répondre à cette question? Je ne connais pas la réponse. Nous devrions trouver une solution. C'est faisable. Mais il faudrait d'abord en discuter.

Or, il n'y a pas beaucoup de discussions sur les programmes auxquels on devrait affecter de l'argent neuf. Il faut trouver une formule à la fois générale et souple qui permet aux provinces d'agir de leur propre initiative, comme s'il s'agissait d'une priorité pour elles, tout en répondant aux besoins fondamentaux des Canadiens. C'est un domaine qu'il faut explorer.

Le sénateur Keon: J'aimerais revenir sur les questions qu'a posées le sénateur Carstairs et sur un commentaire que vous avez fait, soit qu'il ne faut pas toucher à la Loi canadienne sur la santé.

Il est vrai que le public verrait cela d'un mauvais oeil. Toutefois, nous devons nous servir de cette loi comme plate-forme pour établir des relations entre le fédéral, les provinces et les communautés. Nous devons porter notre attention non seulement sur les médecins et les hôpitaux, mais sur la prévention et la santé de la population, la santé publique, les soins à domicile, la réadaptation, ainsi de suite.

Je pense que nous pouvons arriver à créer des systèmes avec le genre de formule que vous proposez, avec le soutien du gouvernement fédéral. Nous pourrions avoir un régime national qui serait mis en oeuvre par les provinces, surtout qu'il traite de la prestation de soins de santé.

L'idée d'avoir des cliniques privées nuit à notre système, non seulement parce qu'elles sont privées, mais parce qu'elles fonctionnent de 9 à 5. Nos institutions publiques sont débordées le soir et la fin de semaine. Elles n'arrivent pas à répondre à la demande. Je ne fais pas seulement allusion ici aux cliniques qui offrent des services IRM, mais également aux cliniques de soins de santé.

Il n'existe pas de mécanisme pour réglementer ce genre de chose. Toutefois, nous pourrions utiliser la Loi canadienne sur la santé comme plate-forme, bâtir sur celle-ci une pyramide et y rattacher divers nouveaux éléments qui pourraient être financés en vertu de l'ancienne formule.

Comme l'a dit le sénateur Robertson, nous ne pouvons pas avoir un système extensible axé sur la négociation. Vous me regardez d'un air étonné. J'aimerais avoir votre opinion là-dessus.

Mme Bégin: Je ne sais pas si j'ai bien compris. Êtes-vous en train de dire qu'il suffirait tout simplement de réviser la Loi canadienne sur la santé?

Le sénateur Keon: Non. Elle servirait de plate-forme. Nous pourrions construire une pyramide sur celle-ci, non seulement de façon verticale, mais également horizontale. Nous pouvons mettre sur pied des programmes de première ligne, par exemple, sur la santé de la population, la santé publique, ainsi de suite. Nous pouvons également mettre sur pied des programmes secondaires qui mettent l'accent sur la réadaptation, les soins communautaires.

Mme Bégin: Et on le ferait au moyen d'une loi ou sur simple déclaration d'intention?

Le sénateur Keon: J'aimerais avoir votre opinion là-dessus.

Mme Bégin: L'idéal serait de réviser, de peaufiner la loi, d'en étendre la portée, mais cela n'est pas possible pour les raisons politiques que j'ai mentionnées. Il n'est pas question ici de politique partisane, mais de l'opinion publique.

Ce que vous décrivez comme étant une pyramide, c'est-à-dire des programmes de soins offerts hors du milieu hospitalier, devrait faire partie d'une nouvelle loi parallèle, à défaut de meilleur terme. Nous devrions garder les mêmes règles du jeu, sauf que nous devrions clarifier les dispositions de la Loi canadienne sur la santé qui sont nébuleuses.

Par exemple, la disposition sur l'administration publique est tellement générale que personne ne peut s'y opposer. À l'heure actuelle, il y a dans chaque province, au haut de l'échelle, l'administration publique, sauf que les autorités régionales sont libres d'agir à leur guise. Cela n'a aucun sens.

En ce qui a trait aux cliniques privées et publiques, nous devrions avoir une discussion sur ce que nous entendons par «à but lucratif» et «sans but lucratif». De nombreux services de santé sont déjà «privés». Au début des années 80, et même avant, les hôpitaux ont d'abord commencé à privatiser leurs services de blanchisserie, suivis des services d'alimentation et ensuite des laboratoires. De nombreux laboratoires dans le système sont privés.

Mon médecin a voulu me faire subir une batterie de tests. J'ai dû me rendre dans une clinique appelée Dynacare, où les patients sont traités à la chaîne. J'espère, et je suis certaine, qu'elles font de l'excellent travail.

Je me suis renseignée auprès de certains économistes de la santé et j'ai appris que les mesures de privatisation que j'ai mentionnées n'ont jamais fait l'objet d'une étude d'évaluation. On est parti du principe que ces services, en les privatisant, coûteraient moins cher et seraient plus productifs. Nous le pensons tous, mais nous ne le disons pas -- la privatisation nous libère des règles syndicales qui sont trop rigides. C'est un fait.

M. Lalonde a parlé du cas de l'infirmière qui ne peut être déplacée d'un étage à l'autre. C'est un exemple parmi tant d'autres, et c'est dommage.

Nous savons que la privatisation des services d'alimentation et de blanchisserie -- peut-être des laboratoires, je ne sais pas -- ne compromet pas le régime public de soins de santé. Toutefois, la situation risque de changer. Si je connaissais toutes les règles du jeu, je pourrais vous dire quand arrêter, mais je ne les connais pas.

J'ai lu, dans un journal, un article sur un hôpital -- je pense qu'il est situé dans le comté de Peel -- qui est voisin de deux cliniques qui offrent des services IRM: une privée et une publique. Cela n'a aucun sens. C'est illogique. Profit et bien privé sont deux notions contradictoires.

Il en va de même pour les nouvelles cliniques qui ouvriront leurs portes en Alberta. Les médecins pourront pratiquer et dans les hôpitaux publics et dans les cliniques privées. Où vont-ils aller? La nature humaine étant ce qu'elle est, ils vont aller là où ils vont gagner le plus, c'est évident.

La question centrale qu'il faut se poser, explorer et régler en établissant de nouvelles règles du jeu est la suivante: où tracer la ligne entre recherche du profit et bien public.

L'Hôpital Shouldice, à Toronto, constitue une exception à la règle, pour ce qui est du régime de soins de santé, mais une exception qui, en ce qui me concerne, est totalement acceptable. Son statut doit toutefois être clarifié.

Le président: Je veux voir si j'ai bien compris votre position et celle du sénateur Keon. Vous parlez de renforcer les fondements de la Loi canadienne sur la santé, d'en étendre la couverture. Les politiciens fédéraux parlent depuis des décennies du rôle joué par le gouvernement fédéral dans le système de soins de santé. Or, il n'a jamais joué dans celui-ci un rôle très vaste, comme le perçoit le public. Il finance les hôpitaux et les cabinets de médecins, pas les soins de santé en tant que tels.

Mme Bégin: Il y a deux domaines où le gouvernement fédéral a agi en qualité de ministre provincial de la santé -- soit la santé des anciens combattants et celle des Autochtones.

Le président: Toutefois, de façon générale, l'expression «soins de santé», quand elle est utilisée par un porte-parole du gouvernement fédéral ou par le simple citoyen, englobe tout -- les médicaments, les soins à domicile, les soins à long terme. Le gouvernement fédéral n'a jamais joué un rôle très vaste à ce chapitre. Il ne s'occupe que des hôpitaux et des cabinets de médecins.

Vous semblez dire, en réponse au principe qui sous-tend la question du sénateur Keon, qu'il est temps d'adopter une loi qui définit bien le rôle que joue le gouvernement fédéral de manière générale, un rôle qui ne se limite pas au financement des hôpitaux et des cabinets de médecins. Nous pouvons garder ces composantes, mais nous devrions élargir son rôle. C'est bien ce que vous dites tous les deux?

Mme Bégin: Je ne peux parler au nom du docteur Keon. Je vais le laisser répondre.

Vous ne tenez pas compte, dans vos propos, de l'évolution qu'a connue le régime de soins de santé. Quand il a été crée, il ne visait que les hôpitaux et les cabinets de médecins. Point à la ligne -- c'était comme cela qu'on voyait les soins de santé. Je vous invite à lire le préambule de la Loi canadienne sur la santé, qui est nouveau. Il va encore plus loin. Je n'ai pas eu le temps de le relire avant la réunion. Je tenais à ce qu'il reflète les principes qui sous-tendent les soins de santé. Marc Lalonde en a parlé quand il a comparu devant vous. J'étais satisfaite de mon préambule parce que nous avons réussi à moderniser la loi sans que cela ne crée des problèmes avec les provinces. Toutefois, j'ai compris, après coup, que le préambule n'a aucune validité juridique. Si je me souviens bien, le préambule contient une définition actualisée de la santé, sauf qu'elle n'est pas appliquée. Comprenez-vous ce que j'essaie de dire?

Le président: Sénateur Keon, est-ce que je vous ai bien compris?

Le sénateur Keon: Je pense que vous avez bien résumé le concept. Je voulais voir ce que Mme Bégin en pensait.

Mme Bégin: On a toujours utilisé une définition plus vaste au niveau fédéral. Les temps changent. Elle n'est pas inscrite dans la loi.

Le président: Le sénateur Callbeck a non seulement été élue premier ministre de l'Île-du-Prince-Édouard, mais elle a également occupé le poste de ministre provinciale de la santé à l'époque où Mme Bégin était ministre fédérale de la santé.

Le sénateur Callbeck: Madame Bégin, je suis contente de vous revoir. Je voudrais revenir à la question du financement des provinces. Vous avez bien dit que vous souhaitez qu'on revienne à un système à frais partagés? Vous avez dit que le gouvernement fédéral payait 25 p. 100 des dépenses totales consacrées aux soins de santé.

Mme Bégin: Je vois où voulez en venir. Je n'ai pas recommandé qu'on revienne à l'ancien système à frais partagés où les provinces prenaient les décisions et le gouvernement fédéral assumait la moitié des dépenses. Je ne sais pas encore comment nous devrions procéder. Toutefois, il faudrait que les provinces s'entendent avec le gouvernement fédéral sur l'enveloppe globale qu'il faudrait consacrer à l'échelle nationale aux soins de santé. Consacrer un pourcentage du PIB aux soins de santé n'est pas la solution idéale.

Il faut que j'analyse la question plus à fond. Par exemple, s'il y a une enveloppe globale, alors le gouvernement fédéral y transférera une somme forfaitaire. Cette enveloppe augmentera au fil des ans. Par conséquent, on ne pourrait parler d'un système à frais partagés puisque c'est le gouvernement fédéral qui le contrôlerait. Il continuerait d'appliquer la formule FPE, qui prévoit le transfert d'une somme forfaitaire. C'est ce qu'on fait à l'heure actuelle. On a choisi une année de référence. Je pense que c'est 1975 ou 1976.

Le sénateur Callbeck: Je pense que c'était 1975.

Mme Bégin: Ils se sont tous entendus sur ce que leur coûtaient les soins de santé. Ceux qui s'estimaient lésés avaient droit à des paiements de péréquation. Tout le monde s'est entendu sur l'année de référence. On a élaboré une formule en vertu de laquelle les transferts augmenteraient en fonction de la croissance de la population, du PIB et d'un troisième critère qui, pour l'instant, m'échappe.

J'aimerais que quelqu'un m'explique comment les principaux intéressés sont arrivés à la conclusion que les transferts en espèces ne représenteraient jamais plus de 25 p. 100 des dépenses. Il faudrait vérifier cela. On avait sûrement défini en quoi consistaient les transferts au comptant par rapport aux autres.

Le sénateur Callbeck: Si j'ai bien compris, il y a une enveloppe fournie par le gouvernement fédéral, et cette enveloppe est divisée entre les provinces. Est-ce que le gouvernement fédéral va dire aux provinces qu'elles doivent consacrer cet argent aux soins de santé, ou va-t-il faire preuve de souplesse, comme c'est le cas à l'heure actuelle?

Mme Bégin: Il est évident que nous ne pouvons pas toucher aux transferts de points d'impôt. Il faut établir un mécanisme de responsabilité qui s'appuie sur de nouveaux objectifs, trouver de nouvelles façons d'utiliser l'argent neuf. On ne peut pas changer le passé. Pour moi, le passé, c'est le passé, pour les raisons que je viens de vous expliquer. Les points d'impôt comptent pour une bonne part des coûts des soins de santé des provinces. Il y a ensuite la contribution des provinces -- personne n'est en mesure de la chiffrer. Elle est importante, mais elle varie d'une province à l'autre.

Il y a aussi les fonds versés par le gouvernement fédéral. Il y aura de l'argent neuf. J'ai lu dans les journaux, que je qualifie de sérieux, que le ministre de la Santé, le ministre des Finances et le premier ministre ont laissé entendre aux Canadiens que, dès que tout le monde se sera entendu sur les réformes qui doivent -- et qui devraient -- être apportées, de l'argent neuf sera investi dans le système. C'est un point de départ.

Le président: Si le gouvernement fédéral injectait plus d'argent dans le système, quelle forme prendrait alors le mécanisme de responsabilité? On ne reviendra pas à la formule complexe de 50-50. Par «complexe», je veux dire qu'elle était gérée à outrance. Par ailleurs, de part sa nature, le financement global, sans condition aucune, ne prévoit aucun mécanisme de pénalité.

Mme Bégin: Il existe à l'heure actuelle des mécanismes de mise en oeuvre et des pénalités. Je parle de soins de santé, pas d'éducation postsecondaire.

Le président: C'est vrai. La contribution fédérale, même si elle augmente, ne sera pas à ce point importante, et je ne vois pas comment le mécanisme de financement...

Mme Bégin: Il est question ici de milliards dollars. C'est un langage que comprennent bien les provinces. Moi aussi d'ailleurs.

Le président: Pensez-vous que le gouvernement fédéral peut imposer suffisamment de conditions pour les obliger à rendre compte de l'utilisation des fonds?

Mme Bégin: Les conditions ne doivent pas, et ne devraient pas, être rigides.

Le président: Vous avez raison.

Mme Bégin: Il existe des principes généraux, axés sur le consommateur, qui sont tout à fait légitimes du point de vue constitutionnel. Ils versent de l'argent pour obtenir ces résultats.

Le président: Savez-vous si on a déjà cherché à savoir quels devraient être ces résultats, ces conditions? Nous n'avons rien vu sur le sujet. En supposant, bien entendu, que c'est ce que fera le gouvernement.

Mme Bégin: Je ne connais personne qui se soit penché là-dessus, en tout cas pas dans le contexte de la Loi canadienne sur la santé. Toutefois, votre comité devrait convoquer l'ancien sous-ministre de la santé de l'Ontario, qui fait de l'excellent travail auprès de l'ICIS. J'ai parfois envie de lui demander pourquoi il n'a pas fait tout cela quand il était sous-ministre de la santé de l'Ontario. Je n'ai pas osé lui poser la question.

[Français]

Le sénateur Gill: Je viens de la campagne et je suis d'origine autochtone. Je sais que les soins de santé sont gérés par la santé nationale fédérale. En règle générale, on vit dans des endroits isolés, assez éloignés des grands centres. Les soins de santés y sont hors contrôle et les budgets épouvantables. Je ne vois pas le jour où la situation financière va s'améliorer.

Par contre, depuis un certain temps on déresponsabilise les gens, on centralise beaucoup et ce, pas uniquement dans le secteur de la santé, mais également en éducation. Avec le développement de la technologie et des spécialités, il est compréhensible qu'on ait besoin de centraliser. On a enlevé certaines responsabilités aux gens.

Dans les endroits isolés, par exemple dans mon coin, au Nord du Québec, le transport est très dispendieux et les soins ne sont pas directement donnés. Tout cela entraîne des conséquences. Même si la santé n'est pas de juridiction fédérale partout, les gens devraient être davantage responsabilisés. Beaucoup de soins peuvent être donnés à domicile. Quand j'étais jeune, on se soignait beaucoup de certains malaises à la maison.

Sans être un spécialiste de la santé, je pense qu'on devrait revenir aux sources et prodiguer des soins de façon locale pour empêcher les gens de se déplacer. Dans les communautés plusieurs ont des connaissances médicales. Je ne parle pas seulement des autochtones, je parle de l'ensemble des communautés.

Mme Bégin: Nos lois sur la santé ne stipulent pas la notion de responsabilité et je crois qu'elle devrait être introduite. J'ignore à quel titre elle pourrait être introduite et je ne vois pas comment elle peut être mise en <#0139>uvre.

Supposons que la notion de responsabilité devient un paragraphe de la future loi, si elle est utilisée un jour contre les gens obèses, contre ceux qui sont atteints du cancer du poumon et contre les jeunes qui veulent se faire enlever des tatouages, je ne serais pas d'accord qu'on veule punir ces gens pour des comportements qu'on juge non responsables. Je ne fais pas partie des gens qui militent pour ce type de responsabilisation. Je crois que c'est par l'éducation qu'on responsabilise les gens. Je me méfierais de l'usage éventuel de ce concept, mais je suis d'accord à ce qu'il figure dans le préambule de la loi.

J'aimerais profiter de votre question pour mentionner que la santé des autochtones pose de nouveaux défis à notre société. Au sens démographique, il y a l'incroyable mobilité des autochtones qui vivent en dehors des réserves. Il y a également des batailles cachées entre les provinces et le fédéral, à savoir qui devra payer pour eux.

J'ai vu des scènes invraisemblables que j'ai dû vivre, tâcher de négocier et résoudre. Je veux aussi mentionner que j'ai mis en oeuvre la dévolution des services de santé aux communautés autochtones. On a fait une erreur au début, on avait créé les Community Healthcare Workers et ces gens faisaient partie de la réserve. Ce type d'aide n'a pas vraiment fonctionné.

Par la suite, les réserves pouvaient choisir l'endroit où elles voulait aller se faire soigner. Plusieurs réserves choisissaient le Royal Victoria ou le Mount Sinai situé dans une quelconque réserve. Évidemment, cela est impensable. Par contre, les réserves pouvaient choisir plusieurs des services ou des programmes de santé.

Je n'ai jamais fait d'études, mais de mémoire les réserves ont surtout choisi des maisons de désintoxication, de petits programmes liés à la vie quotidienne. Je ne connais pas la situation actuelle, mais je vois l'extraordinaire explosion démographique de la communauté autochtone. Le mouvement vers les grands centres s'accroît tous les jours un peu plus. On remarque également des abus pharmaceutiques. Le vérificateur général en a d'ailleurs touché un mot dans son rapport.

Sur la notion de responsabilité, je ne peux rien dire de plus. Il est évident que la responsabilisation des gens constitue un projet de société et elle se fait à tous les niveaux. Il existe toute une gamme de services, autres que les hôpitaux, pour maintenir la santé, prévenir la maladie, et guérir.

Au Québec, comment se fait-il que les CLSC ne sont pas ouverts 24 heures sur 24, sept jours par semaine? On pourrait voir des médecins travaillant en groupe, qui acceptent les règles du jeu et qui reçoivent un contrat de leur province. Évidemment, en région isolée, c'est un tout autre type d'aide qui doit être inventé.

[Traduction]

Le président: Merci beaucoup. Sénateurs, nous devons suspendre la séance. Nous devons participer à un vote dans une douzaine de minutes. Nous poursuivrons la discussion avec Mme Bégin dès que nous aurons convenu d'une date. Le sénateur Robertson sera la première intervenante.

Merci d'être venue nous rencontrer cet après-midi. Nous avons bien hâte de reprendre la discussion.

La séance est levée.


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