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SOCI - Comité permanent

Affaires sociales, sciences et technologie

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie

Fascicule 21 - Témoignages


OTTAWA, le jeudi 5 octobre 2000

Le Comité permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie, auquel a été renvoyé le projet de loi S-27, Loi visant à garantir le droit des individus au respect de leur vie privée, se réunit à 11 h 13 pour étudier le projet de loi.

Le sénateur Marjory LeBreton (vice-présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La vice-présidente: Honorables sénateurs, nous nous réunissons pour examiner le projet de loi S-27 que propose le sénateur Finestone. Je demanderais au sénateur de nous parler de son projet de loi.

L'honorable Sheila Finestone: Madame la présidente, je dois dire que c'est excitant de témoigner devant mes collègues du Sénat. C'est la première fois que je le fais et j'espère ne pas commettre trop d'erreurs. Je suis accompagnée d'Eugene Oscapella, conseiller juridique et spécialiste des droits de la personne, surtout en ce qui concerne le respect de la vie privée. Je lui suis très reconnaissante d'être des nôtres puisqu'il pourra certainement nous être très utile.

Honorables sénateurs, je vous remercie de me donner l'occasion de discuter avec vous, dans le cadre de vos délibérations sur ce projet de charte du droit à la vie privée, de l'importance du droit à la vie privée, qui est au coeur même de la démocratie moderne. Si l'on veut protéger la vie privée, on ne peut se contenter uniquement de contrôler les données du monde des affaires. Je rappelle aux honorables sénateurs qu'ils ont étudié le projet de loi C-6, sur l'échange de données, mais que cette mesure-ci porte sur la protection de la vie privée à titre de droit individuel et non pas de droit commercial. Le projet de loi C-6 va plus loin. C'est une question de justice fondamentale. Comme le professeur Ursula Franklin l'avait dit à Ottawa il y a quatre ans: «... toutes les notions relatives à la vie privée sont essentiellement issues de l'examen des droits de la personne et tirent leur valeur de ces droits.»

Le projet de charte du droit à la vie privée ne contient que 12 articles, mais ses conséquences sont très vastes. Il vise à combler une grave lacune dans les principes sur lesquels se fondent l'activité du Parlement et le secteur privé régi par le gouvernement fédéral. La charte du droit à la vie privée serait l'arrière-scène dont dépendrait le principe du droit à la vie privée, du droit à habiter seul, et ainsi de suite dont on pourrait se servir pour évaluer les protections législatives nécessaires, soit au criminel, soit au civil, et les autres mesures qu'on devrait prendre. Il existerait toujours une ligne directrice pour guider soit le Parlement du Canada, soit le secteur privé régi par le gouvernement fédéral. La charte du droit à la vie privée reflète une multitude de discussions avec des experts en la matière qui se sont déroulées pendant de nombreux mois. Elle tient compte des opinions de ceux qui seraient visés et de ceux qui seraient servis par cette mesure.

Quand j'étais députée, j'ai eu le privilège d'être présidente du Comité permanent des droits de la personne et de la condition des personnes handicapées de la Chambre des communes. Pendant une période de 10 mois en 1996 et 1997, ce comité a examiné en profondeur l'évolution du droit à la protection de la vie privée partout au pays. L'une des recommandations de ce comité était d'adopter une déclaration du droit à la vie privée et c'est de là que vient cette mesure. Ce document quasi constitutionnel s'appliquerait au secteur qui relève du gouvernement fédéral et aurait préséance sur les lois fédérales ordinaires. Il servirait d'étalon pour déterminer dans quelle mesure les principes et pratiques qui empiètent sur la vie privée sont raisonnables de même que l'à-propos des lois et autres mesures réglementaires. Les membres du comité avaient aussi exprimé l'espoir que la charte du droit à la vie privée inciterait les provinces et territoires à adopter des lois du même genre. La charte que vous avez sous les yeux est l'aboutissement de cette importante recommandation.

Je n'ai nul besoin de vous rappeler que la protection de la vie privée est une question qui préoccupe le public depuis bien avant que le comité de la Chambre des communes n'aborde la question. Comme mon collègue, l'honorable sénateur Noël Kinsella, l'a déjà dit au Sénat, on avait adopté des lois en Angleterre au XIVe siècle pour protéger les citoyens contre les oreilles indiscrètes et les voyeurs. Les oreilles indiscrètes et les voyeurs ont maintenant des méthodes beaucoup plus perfectionnées grâce à la haute technologie. Si vous regardez par la fenêtre, vous pourrez voir les dispositifs d'amortissement. Il est maintenant possible de capter les bruits sur la Colline parlementaire. Cela montre à quel point les dispositifs sont perfectionnés.

La notion moderne de vie privée nous vient de la fin du XIXe siècle, bien avant l'ère des ordinateurs avides d'information, bien avant les caméras de surveillance, bien avant les contrôles génétiques. Depuis, nous avons assisté à des violations de la vie privée de la part de certains gouvernements. À cause de ces abus, on s'est efforcé de mieux protéger les droits à la vie privée grâce à des instruments internationaux comme la Déclaration universelle des droits de l'homme, rédigée en collaboration par un Canadien, John Humphrey, de ma circonscription, et Eleanor Roosevelt.

Le sénateur Cohen: Né au Nouveau-Brunswick.

Le sénateur Finestone: Nous avons donc des liens très forts avec la Déclaration des droits de l'homme. La vie privée est un principe de base dans ce document et aussi dans le Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

Au Canada, on réclame depuis longtemps la création du droit à la vie privée pour consolider notre démocratie. En 1971, il y a près de trois décennies, le ministère des Communications et le ministère de la Justice avaient créé un groupe d'étude pour examiner la vie privée et les ordinateurs. Il est vraiment remarquable que cela date d'une trentaine d'années. Le comité exécutif du groupe d'étude comprenait deux hommes qui ont laissé leur marque sur la société canadienne: Alan Gotlieb et Gerald La Forest, ou le juge du Nouveau-Brunswick, devrais-je dire.

Le groupe d'étude reconnaissait que la vie privée était essentielle et faisait partie intégrante de la notion même de ce que c'est qu'être humain. Le groupe d'étude avait vu loin et nous avertissait des capacités technologiques énormes des systèmes informatisés et de la menace qu'ils pouvaient représenter pour certaines valeurs comme le droit à la vie privée. Le rapport disait ceci:

Peu importe dans quelle mesure il est probable ou même utile de trouver dans la loi naturelle, dans le droit ou la théorie politique le fondement d'un droit à la vie privée, ce qu'il faut reconnaître, c'est que le public semble s'attendre de plus en plus à ce que ce droit soit reconnu par la société et par la loi.

Le rapport mentionnait aussi:

[...] la menace à l'individualité posée par la concentration même et le traitement de grandes quantités de données sur les particuliers. Il s'agit d'une menace de comportement conformiste suscitée par la certitude que le dossier de chacun existe quelque part et contient de plus en plus de choses associée à l'incertitude quant au contenu exact de ce dossier et à l'utilisation qu'on en fera.

Ces observations étaient justes il y a trois décennies. Elles sont encore plus urgentes aujourd'hui compte tenu d'un principe important: ce n'est pas simplement parce que nous avons les technologies voulues pour nous immiscer dans la vie des particuliers que nous devons le faire. Je pense qu'un Américain bien connu a déclaré qu'il s'agit non seulement d'une intrusion, mais aussi d'un vol quand nous faisons intrusion dans certains domaines, par exemple en copiant des documents assujettis à des droits d'auteur. Tout cela relève de ce qui était possible à l'époque, de ce qui l'est maintenant et de ce que nous devons en faire.

Le rapport cite aussi l'avertissement du professeur Alan Westin disant que si le public était sensibilisé à l'utilisation possible des renseignements personnels, cela inciterait les particuliers à adopter un comportement pour la forme et limiterait la liberté d'action et d'expression. Selon lui, les gens commenceront à s'inquiéter non seulement de ce qui sera noté dans leur dossier, mais aussi de la façon dont ces dossiers seront interprétés par les autorités. Ces commentaires du professeur Westin sonnent l'alarme au sujet du risque que l'autoritarisme ne prenne le dessus si nous ne protégeons pas notre vie privée et ne respectons pas notre démocratie.

Le rapport du groupe d'étude formulait plusieurs suggestions importantes. La plus frappante était celle qui réclamait l'application d'une notion globale de vie privée. D'après le rapport, ce principe global pourrait servir de guide pour la rédaction de lois générales par le gouvernement fédéral et les provinces afin de protéger le droit à la vie privée dans la loi et pour les lois régissant les activités d'institutions ou d'industries particulières.

La toute première ébauche proposée par le gouvernement fédéral pour sa Charte des droits et libertés comprenait un droit à la vie privée. Comme nous le savons tous, ce droit explicite n'est pas contenu dans la version définitive de la Charte. Par ailleurs, on a continué à réclamer l'inclusion d'un droit à la vie privée dans la Constitution.

En 1987, le comité permanent de la justice et du solliciteur général de la Chambre des communes a publié un rapport sur son examen de la Loi fédérale sur la protection des renseignements personnels intitulé: «Une question à deux volets: Comment améliorer le droit d'accès à l'information tout en renforçant les mesures de protection des renseignements personnels». Le comité signalait que l'absence d'un droit à la protection des renseignements personnels basé sur la common law ou sur la Charte nuisait considérablement à la protection des droits individuels. Le comité recommandait que, quand viendrait le temps d'examiner des modifications à la Charte des droits et des libertés, on envisage sérieusement de créer un simple droit constitutionnel à la protection de la vie privée.

En 1991, le commissaire à la protection de la vie privée du Canada a témoigné devant le Comité mixte spécial sur le renouvellement du Canada pour préconiser la modification de la Charte des droits afin de protéger clairement la vie privée des Canadiens dans la Constitution. Cependant, comme nous le savons tous, aucune modification n'a été apportée à la Constitution relativement à la vie privée. Je pense que nous comprenons tous pourquoi nous ne rouvrirons pas la Constitution maintenant. Plus tôt cette année, dans son dernier rapport à titre de commissaire à la protection de la vie privée, Bruce Phillips reconnaissait qu'il était fort probable que le gouvernement fédéral hésite à rouvrir la Charte des droits avant un certain temps. Il se disait très heureux de l'adoption du projet de loi C-6 déclarant que c'était un moment historique dans l'évolution de la protection de la vie privée. Il ajoutait cependant que la bataille n'était toujours pas gagnée.

Certains progrès ont été accomplis pour protéger la vie privée au Canada. Il y a par exemple la Charte des droits et libertés de la personne du Québec, qui a acquis un statut quasi constitutionnel dans la province. Il donne à tous les particuliers au Québec le droit au respect de leur vie privée. Selon moi, cette Charte peut servir de modèle et d'exemple au reste du Canada.

La Loi fédérale sur la protection des renseignements personnels et les lois provinciales et territoriales dans ce domaine ont aidé à restreindre la tendance des gouvernements à rassembler, utiliser et divulguer des renseignements personnels sur les Canadiens.

Le projet de loi C-6, suivant l'exemple de la loi du Québec sur les données obtenues par le secteur privé, représente un progrès important pour ce qui est de protéger les renseignements que possède le secteur privé sur les Canadiens. Cependant, le projet de loi C-6 vise uniquement la protection des données et, pour l'instant, du moins, il ne s'applique qu'au secteur privé régi par le gouvernement fédéral.

Honorables sénateurs, dans la documentation que j'ai préparée pour le comité, vous trouverez le chapitre 2 de l'étude menée en 1996-1997, où l'on montre dans l'ordre chronologique toutes les mesures adoptées à l'égard de la protection de la vie privée un peu partout dans le monde. Je vous signale particulièrement les mesures prises par l'OCDE et l'Union européenne qui n'ont peut-être pas de lois de protection de la vie privée comme telles reliées aux droits de la personne, mais qui imposent néanmoins certaines limitations sur le plan économique et commercial. C'est l'une des raisons pour lesquelles nous avons adopté le projet de loi C-6, et c'est certainement un projet de loi important et utile. C'est l'un des éléments clés qu'on retrouverait dans une loi d'application générale comme celle-ci.

Nos tribunaux ont aussi souligné l'importance de la vie privée dans une société démocratique et ont interprété les articles 7 et 8 de la Charte des droits comme assurant certains droits à la vie privée dans des cas précis. Si vous lisez les arrêtés de la Cour suprême, vous constaterez que la Cour cite souvent ces protections quand il est question de vie privée. Notre Constitution offre cependant une protection fragmentaire et non pas complète.

Ces mesures ne suffisent pas. Elles ne sont que des éléments de la protection de la vie privée. J'ai donc consacré bien des mois à travailler de concert avec un groupe de conseillers et d'avocats à la rédaction du projet de loi S-27, qui contient un énoncé général de principes -- une espèce de loi cadre si vous voulez -- sur la protection de la vie privée qui permettra de protéger la vie privée dans les secteurs public et privé.

Le projet de loi S-27 donne aux Canadiens le moyen de se protéger contre les intrusions dans leur vie privée. Il servira de facteur déterminant pour permettre aux Canadiens de mesurer les actions intrusives de la part des gouvernements ou des organismes du secteur privé. Il vise à garantir que cette valeur fondamentale, cet outil qui nous permet de préserver nos droits démocratiques, sera assise sur la base la plus solide que nous puissions lui donner dans le cadre de nos processus parlementaires et de nos réalités constitutionnelles. J'ajoute que M. Phillips disait que le projet de loi S-27 constituait une solution de rechange qu'il pourrait appuyer avec enthousiasme vu que les Canadiens n'ont toujours pas un droit constitutionnel général à la protection de leur vie privée.

À Vancouver, en mars dernier, j'ai distribué plus de 300 exemplaires de mon ébauche de la charte lors d'une conférence sur la protection de la vie privée et j'en ai ensuite distribué 300 autres exemplaires aux témoins qui avaient participé aux audiences du Comité de la Chambre des communes sur la protection de la vie privée. La réaction a été très positive.

Le préambule de la Charte du droit à la vie privée reconnaît que tout individu a un droit fondamental au respect de sa vie privée et que ce droit constitue une valeur essentielle. Je vous ai remis un guide législatif annoté que vous trouverez dans votre documentation.

Le préambule reconnaît donc que tout individu a un droit fondamental au respect de sa vie privée et que ce droit est une valeur essentielle. La protection de la vie privée est le principe qui permet de faire la distinction entre un État autocratique et un État qui s'appuie sur des principes démocratiques. Le préambule reflète l'engagement du Canada à reconnaître et promouvoir la protection de la vie privée à titre de signataire des conventions internationales sur les droits de la personne. Il reconnaît que le respect de la vie privée constitue un élément du bien commun qui est essentiel à la préservation de la démocratie et à l'exercice de bon nombre des droits et libertés garantis par la Charte canadienne des droits et libertés.

Le projet de loi S-27 vise à donner effet à plusieurs principes énumérés à l'article 2 du projet de loi. Le premier, c'est que le respect de la vie privée est indispensable à la dignité, à l'intégrité, à l'autonomie, au bien-être et à la liberté des individus, ainsi qu'au plein exercice de leurs droits et libertés. Le deuxième, c'est que le droit au respect de la vie privée est reconnu par la loi. Le troisième, c'est qu'une atteinte au droit au respect de la vie privée n'est licite que si elle est justifiable.

Comme le constateront les honorables sénateurs, cela reflète ce que dit déjà la Charte des droits et libertés. Vous l'avez sans doute déjà constaté.

L'article 9 stipule que le projet de loi S-27 s'appliquera aux personnes et matières qui relèvent de l'autorité législative du Parlement. Selon l'article 3 du projet de loi, tout individu a droit au respect de sa vie privée. Ce droit comprend notamment le droit au respect de son intimité physique; le droit d'être libre de toute surveillance; le droit d'être à l'abri du contrôle et de l'interception de ses communications privées; et le droit d'être à l'abri de la collecte, de l'utilisation et de la communication de ses renseignements personnels sans son autorisation. Le projet de loi S-27 va donc beaucoup plus loin que les dispositions du projet de loi C-6 sur la réglementation et la collecte de données personnelles. Il porte sur toutes les formes d'atteintes à la vie privée.

L'article 4 stipule qu'il est interdit de porter atteinte sans justification au droit d'un individu au respect de sa vie privée. Le même article donne à tout individu le droit de revendiquer et de faire valoir son droit au respect de la vie privée et donne aussi le droit à tout individu de refuser de porter atteinte sans justification au droit d'autrui au respect de la vie privée sans crainte de représailles ou de menaces. Nous reconnaissons tous que le droit au respect de la vie privée n'est pas absolu. Il faut établir un juste équilibre. On ne peut pas dire qu'on va limiter le droit à tel ou tel aspect de la vie privée. On doit établir un juste équilibre des droits dans une société démocratique. L'essentiel, c'est d'empêcher les atteintes injustifiables, les activités qui ne sont pas permises parce qu'elles ne reflètent pas les principes énoncés aux articles 2 et 3 du projet de loi. Le plus important, c'est de maintenir cet équilibre. Selon le paragraphe 5(2), une atteinte au droit d'un individu au respect de sa vie privée est justifiable uniquement si elle est raisonnable et si sa justification peut se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique.

Le paragraphe 5(3), que ceux qui sont au courant de la décision de la Cour suprême dans ce domaine appellent parfois le critère Oakes, établit les critères pour déterminer si une atteinte est justifiable ou non. Pour être justifiable, une atteinte doit être licite. Deuxièmement, elle doit être nécessaire à la réalisation d'un objectif qui est dicté par la nécessité de respecter un autre droit de la personne ou un autre élément du bien commun et dont l'importance est suffisante pour justifier une atteinte au droit au respect de la vie privée. Selon le Code criminel, la police et la GRC ont certains droits. Tout le monde a des droits, mais ils doivent être reconnus comme tels et ne doivent pas dépasser le cadre d'une société démocratique. On pourrait dire de la même façon qu'il existe des lois et des règles qui régissent ce qu'on doit savoir dans le domaine de la santé pour élaborer une bonne politique de santé publique. Troisièmement, une atteinte est justifiable s'il est impossible de réaliser l'objectif par un autre moyen qui porterait atteinte à la vie privée dans une moindre mesure. Enfin, l'importance de l'objectif et les effets bénéfiques de l'atteinte doivent l'emporter sur les effets préjudiciables que celle-ci a sur la vie privée.

Certains pourraient considérer que le projet de loi S-27 vise à réprimer certaines activités, notamment les activités policières. Cette mesure ne vise pourtant pas à faire obstacle aux organes policiers ou autres qui ont des raisons légitimes de porter atteinte à la vie privée. L'utilisation de certains pouvoirs policiers exercés selon des lois valables constituerait une atteinte justifiable au droit à la vie privée.

Le paragraphe 5(4) stipule aussi qu'une entrave à la vie privée faite avec le consentement libre et éclairé de l'individu ne porterait pas atteinte à son droit au respect de la vie privée. Autrement dit, je peux donner mon consentement en disant: «C'est très bien, vous pouvez utiliser ces renseignements». Si l'on ne m'a pas posé la question, ce qui serait comme les abonnements par défaut, où l'on peut dire: «Je n'ai pas dit oui et vous ne pouvez pas me faire payer pour cela», alors je n'ai pas donné mon consentement. Tout cela fait partie de mon droit au respect de la vie privée.

Selon l'article 6, le ministre de la Justice doit examiner tous les projets de loi et règlements pour voir s'ils sont conformes avec les fins et dispositions de la Charte du droit à la vie privée. Le ministre doit signaler toute incompatibilité au Parlement dans les meilleurs délais possibles et publier un rapport à cet effet dans la Gazette du Canada. Le ministre doit aussi aviser le commissaire à la protection de la vie privée de toute incompatibilité dans les meilleurs délais possibles. À la demande de celui-ci, le ministre doit le consulter et recevoir ses conseils.

Ces obligations d'examen et d'avis devraient promouvoir une sensibilisation à l'application de la loi et des règlements et plus de respect selon moi. Ces mesures sont nécessaires pour protéger le droit au respect de la vie privée vu les nombreuses pressions visant à le diminuer ou à le détruire. Cela garantirait aussi plus de transparence dans le processus législatif. La transparence est une chose dont nous parlons constamment.

Pour plus de certitude, l'article 7 autorise le gouverneur en conseil à répertorier des pratiques qui constituent des atteintes justifiables aux termes de la Charte du droit à la vie privée. Ce n'est pas une clause dérogatoire ou d'exception. Seules les atteintes justifiables seraient répertoriées. Le gouverneur en conseil ne pourrait pas établir des règlements qui violent la Charte.

Le projet de loi S-27 augmente aussi la protection de la vie privée lorsque le gouvernement conclut un contrat avec des organismes de l'extérieur. Selon le paragraphe 8(1), quiconque est visé par la Charte du droit à la vie privée doit exiger que les organismes avec lesquels il conclut un contrat ou une entente se conforment aux dispositions de la Charte. Le gouvernement ne pourrait donc pas laisser de côté son obligation de respecter la vie privée en consentant un contrat pour une activité donnée à une association, société de personnes, organisation syndicale ou société d'État.

Il importe aussi de prévoir que la Charte du droit à la vie privée l'emporte sur les lois ordinaires puisqu'il pourrait y avoir incompatibilité avec d'autres lois. L'article 11 le précise pour bien dire que cela ne causera pas de problèmes. La Charte l'emportera sur les dispositions incompatibles ou contraires à moins que l'autre loi déclare expressément qu'elle a effet indépendamment des dispositions de la Charte. Qui plus est, aucune disposition d'une autre loi ne peut être interprétée de manière à déroger aux dispositions de la Charte.

L'article 12 déclare que la disposition de suprématie entrera en vigueur seulement un an après la date de la sanction royale. Vous jugerez peut-être que ce n'est pas suffisant et vous voudrez peut-être changer cette disposition. Cela donnera au Parlement le temps de modifier les lois qui pourraient être touchées par l'article de suprématie.

Honorables sénateurs, comme je l'ai dit pendant le débat de deuxième lecture du projet de loi S-27 au Sénat, cette mesure n'est peut-être pas parfaite. Nous avons pu profiter des conseils du rédacteur législatif et des idées d'experts en la matière. Je suis très reconnaissante à M. Oscapella, l'un de ces experts, de m'avoir accompagnée aujourd'hui.

Le libellé du projet de loi est nécessairement complexe. Il est donc tout à fait de mise d'en faire un examen complet et public. Je suis profondément reconnaissante au comité d'entamer cet examen vu qu'il a déjà fait l'étude du projet de loi C-6. Nous ne voulons pas créer une société où nous ne pourrions pas nous cacher, où nous ne pourrions pas rester anonymes, où nous ne pourrions pas exprimer notre individualité dans le cadre d'une société démocratique. Nous ne voulons pas regarder toujours derrière nous pour voir qui nous surveille. Nous avons vu ce comportement oppressif trop souvent dans trop de pays. Ce ne sont pas des comportements que le Canada voudrait adopter.

Je ne veux pas rester les bras croisés pendant que l'un des piliers fondamentaux d'une société démocratique disparaît ou s'atrophie et je suis certaine que vous ne voudriez pas le faire non plus. Nous devons nous engager à garantir que le respect de la vie privée ne se laisse pas engloutir par les miracles technologiques qu'utilisent volontiers les entreprises et les gouvernements entichés de surveillance. Je sais que les honorables sénateurs veulent doter le pays que nous aimons tous tellement d'institutions et de principes démocratiques solides. J'espère que la Charte du droit à la vie privée contribuera à cet héritage.

La vice-présidente: En écoutant l'excellent discours du sénateur Finestone, j'ai noté qu'elle parlait à la page 8 et ensuite dans sa conclusion du fait que nous ne voulons pas d'une société où nous ne pourrions pas nous cacher. D'après les recherches et les consultations que vous avez menées, dans quelle mesure les Canadiens ordinaires se sentent-ils surveillés? Se rendent-ils compte de la surveillance exercée à leur endroit?

M. Oscapella pourra peut-être répondre. Les Canadiens savent-ils vraiment qu'on les surveille probablement plus qu'auparavant et sans leur consentement? Je pense surtout aux caméras de surveillance dans les magasins. Les membres du public consentent-ils à cette surveillance simplement parce qu'ils franchissent la porte d'un magasin? J'ai souvent l'impression que les Canadiens ne s'inquiètent pas autant qu'ils le devraient de la situation.

M. Eugene Oscapella, conseiller juridique et spécialiste en droits de la personne: Madame la présidente, les Canadiens savent qu'on doit protéger leur droit au respect de la vie privée. Je ne sais pas dans quelle mesure la recherche a permis de voir si les Canadiens savent combien de fois on fait atteinte à leur vie privée, mais lors d'un sondage mené en 1992, on avait constaté que les Canadiens se préoccupent beaucoup de leur vie privée. La possibilité qu'on porte atteinte à leur vie privée était l'une des choses qui préoccupait le plus les Canadiens à l'époque. Si je ne m'abuse, c'est aussi ce qu'a constaté un sondage mené l'année dernière. Les Canadiens s'inquiètent beaucoup de la possibilité qu'on cesse de respecter leur vie privée. Ils s'en rendent compte le plus souvent au travail. Il y a de plus en plus de pressions au Canada pour que les travailleurs se soumettent à des tests de dépistage des drogues, même si l'on n'a pas prouvé l'utilité de ces tests pour la société. Ces pressions viennent surtout, apparemment, de ce qui se passe aux États-Unis, où la grande majorité des entreprises de la liste Fortune 500 se livrent à de tels tests. Les Canadiens commencent à ressentir de telles intrusions dans leur vie privée.

Le sénateur Finestone: Oui, avec les caméras de surveillance.

M. Oscapella: Il y a les caméras de surveillance, comme le dit le sénateur Finestone, et les caméras dans la rue. Il suffit de voir ce qui se passe au Royaume-Uni, où il y a des centaines de milliers de caméras de surveillance dans les endroits publics.

La vice-présidente: Comment font-ils pour contourner la loi? S'il y a une étiquette à la porte d'un magasin indiquant la présence de dispositifs de surveillance électronique, ceux qui entrent par cette porte donnent-ils implicitement leur consentement à la surveillance? Est-ce ainsi qu'on respecte la loi tout en prenant des mesures pour surveiller les gens?

M. Oscapella: Cela varie d'une province à l'autre. La Colombie-Britannique, la Saskatchewan, Terre-Neuve, le Manitoba et le Québec ont peut-être de meilleures lois sur la protection de la vie privée que certaines autres provinces. Essentiellement, la surveillance vidéo n'est pas interdite. La police doit obtenir un mandat pour exercer une surveillance vidéo, mais rien ne vous interdit d'avoir ces dispositifs. Les provinces que je viens de mentionner ont créé un délit civil pour atteinte à la vie privée. Le Québec a quelque chose d'équivalent dans son Code civil. On pourrait toujours contester ce genre de surveillance devant les tribunaux, mais il n'y a pas grand-chose dans les lois pour limiter la surveillance vidéo. La loi interdit l'enregistrement audio. On peut donc faire installer une caméra vidéo dans son magasin. Cependant, si l'on fait un enregistrement audio, on commet une infraction criminelle dans certains cas. Nous n'avons aucune protection contre la surveillance vidéo, qui peut être tout aussi intrusive.

Le sénateur Finestone: La sûreté et la sécurité nous préoccupent tous beaucoup. Bon nombre de ces caméras semblent être là pour protéger les grandes rues des villes contre le crime, ou pour identifier les criminels dans les rues. Toutefois, elles ne font qu'entraîner un déplacement de la criminalité. Celle-ci, souvent, se déplace vers la rue d'à côté ou la ruelle. La nouvelle technologie nous permet d'établir les physionomies du visage et du corps, et la police peut ensuite faire un balayage de la foule pour y trouver les criminels.

Certaines choses sont importantes pour le bien commun, d'autres y vont à l'encontre. Ainsi, il arrive souvent qu'on installe des caméras dans les toilettes publiques, sous prétexte de trouver les revendeurs de drogue, les consommateurs de drogue et les agresseurs sexuels. Mais a-t-on le droit de violer votre intimité ainsi? Dans les prisons, il y a des caméras qui filment les détenus 24 heures par jour, peu importe ce qu'ils font.

A-t-on droit à un certain niveau d'intimité quel que soit l'endroit? Je l'ignore. Il faudra débattre de cette question dans le contexte du droit pénal ou civil. Nous n'avons pas encore répondu à cette question. Ce sont là des questions qui nécessiteront une étude plus approfondie de la part du public, mais nous n'avons pas de modèle en fonction duquel nous pourrions examiner ces valeurs dont nous parlons. Quelle vision avons-nous pour notre société? Quelles sont les valeurs de notre société, et où se situerait une charte des droits individuels à la vie privé par opposition à une charte des droits à la vie privée en matière de collecte de données?

La vice-présidente: Où se situe la ligne de démarcation entre la protection du public et la protection de la personne?

Le sénateur Finestone: Précisément.

Le sénateur Fairbairn: Sénateur, avant de passer à mes questions, je tiens à vous féliciter pour avoir déposé ce projet de loi. Je sais que vous travaillez dans ce domaine depuis longtemps, et je sais aussi que vous vous êtes engagée à trouver une façon d'accorder ce genre de protection aux personnes. Vous avez toute mon admiration et je tiens à vous remercier d'être ici aujourd'hui et d'avoir été si active à ce sujet au Sénat.

Ce projet de loi me fait penser à un document qui avait été présenté par un ancien premier ministre, il y a bien des années -- la Déclaration des droits.

Le sénateur Finestone: C'était John Diefenbaker.

Le sénateur Fairbairn: Oui. Elle a été suivie bien des années plus tard par la Charte des droits et libertés, qui a encore plus de poids puisque c'est un document constitutionnel.

Un peu plus tôt, vous avez dit que la charte que vous proposez est un document quasi constitutionnel. Pourriez-vous m'expliquer cela?

Le sénateur Finestone: Merci de votre question et de votre préambule.

Ce document est quasi constitutionnel car il serait absolument impossible d'ouvrir la Charte canadienne pour l'y inclure. Bien qu'un tel document se retrouve dans bien des chartes internationales, par exemple, la Charte internationale des Nations Unies, il a été exclu de la Charte canadienne. J'imagine que c'est attribuable à des compromis qu'on a dû faire dans le cadre des relations fédérales-provinciales. La Déclaration des droits de M. Diefenbaker était aussi un document quasi constitutionnel. Je crois qu'il pourrait en être ainsi de la Charte du droit à la vie privée car les tribunaux pourraient s'en servir comme point de référence. Les tribunaux pourraient déterminer si la cause qui leur est présentée satisfait aux critères de l'arrêt Oakes qu'on y trouve. Le critère Oakes a été retenu par la Cour suprême pour l'analyse permettant de déterminer si une affaire peut être entendue par les tribunaux. C'est le critère qu'applique la Cour suprême. Nous avons repris précisément le même critère afin qu'il n'y ait pas d'incompatibilité qui créerait la confusion au moment de déterminer si une affaire mérite d'être entendue parce qu'elle soulève des questions d'atteinte à la vie privée.

Cela ne définit pas ce que nous devrions faire dans les cas de tests génétiques. Cela ne nous dit pas ce que nous devrions faire pour contrôler ce nouveau livre de vie et le génome humain. Nous ignorons ce qu'il adviendra de tout ça. Ça devra faire l'objet d'une nouvelle mesure législative qui tiendrait compte du droit à la vie privée. Cela s'inscrirait dans un cadre général. On ne peut prévoir une loi universelle pour tous les droits de la personne. Les droits de la personne doivent refléter les valeurs fondamentales et être adaptés à chaque cas, si je peux m'exprimer ainsi.

Je prends un exemple qui est cher au coeur de certains de nos collègues, soit la question du recensement. Comment décrivons-nous cela?

M. Oscapella: Les archives?

Le sénateur Finestone: Oui.

M. Oscapella: La question était de savoir si, aux termes de ce projet de loi, il serait interdit d'archiver les informations personnelles. Non, mais l'archivage de ces renseignements se ferait selon certaines normes.

J'aimerais revenir à la question de la quasi-constitutionnalité de la Charte du droit à la vie privée. Cela découlerait principalement des dernières dispositions du projet de loi -- le paragraphe interdisant la dérogation et celui prévoyant la suprématie de cette loi, les paragraphes 11(1) et 11(2). Ce projet de loi l'emporterait sur toute autre disposition incompatible ou contraire, sauf les déclarations contraires. Il s'appliquerait aussi aux lois existant avant son entrée en vigueur. Cela lui donnerait une application très générale et, dans les faits, en ferait un texte de loi quasi constitutionnel. C'est ce qui nous est apparu la meilleure structure.

Le sénateur Fairbairn: Je présume que cela se concrétiserait, presque par définition, dans les décisions des tribunaux, au fur et à mesure que ces questions seraient soulevées dans les procédures judiciaires.

M. Oscapella: Tout à fait. L'article 4 stipule que tout individu peut revendiquer et faire valoir son droit au respect de la vie privée. Les tribunaux seraient la principale tribune où s'élaborerait l'ensemble de principes allant au-delà du libellé du projet de loi.

Le sénateur Kennedy: Je devrai vous poser ma question plus tard, car je dois partir et je m'attends à ce que votre réponse à ma question ne soit pas brève, mais je tiens à vous féliciter d'avoir accompli ce travail si important. Je vous pose néanmoins ma question, afin qu'elle figure au compte rendu. Elle porte sur l'encodage des informations, surtout dans le domaine médical. On peut facilement imaginer le jour où nous n'aurons tous qu'un seul dossier médical dont les informations devraient être encodées. À qui ces informations appartiendront-elles? Appartiendront-elles à l'hôpital, au médecin ou au patient?

Le sénateur Finestone: Je peux vous répondre, mais ce ne sera que mon opinion personnelle et c'est une question importante. À mon avis, le dossier médical est un cas de collecte de données qui relèverait du projet de loi C-6. Dès que les dispositions relatives à la santé du projet de loi C-6 entreront en vigueur, entrée en vigueur qui a été reportée d'un an, cette question trouvera sa réponse car c'est l'un des aspects de la protection de la vie privée. C'est une des raisons qui rendent nécessaires une charte du droit à la vie privée. J'estime que c'est à vous qu'appartient votre dossier médical, puisque cette charte du droit à la vie privée protège le droit à la vie privée des personnes au Canada. En ma qualité de citoyenne canadienne vivant dans une société démocratique, je devrais avoir le droit de contrôler les informations qui me concernent. Je devrais avoir le droit de dire: «Oui, il est vrai que vous avez besoin de savoir ceci» ou «non, il ne vous est pas nécessaire de savoir cela». Conformément à son pouvoir réglementaire, le gouvernement a déclaré que, bien que certaines règles pourraient violer votre droit à la vie privée, il peut juger que le système d'encodage appartient au ministère de la Santé. J'ignore quelle est la réponse. Il faudra en débattre.

Le sénateur Fairbairn: Avez-vous discuté de votre charte avec la ministre de la Justice qui, manifestement, aura un rôle important à jouer dans son éventuelle application?

Le sénateur Finestone: Je ne peux que vous faire part de mon expérience personnelle. Nous avons rédigé notre rapport en 1996 et l'avons remis au ministre de la Justice à la Chambre des communes. Il y a ensuite eu des élections et le ministre ne nous a pas répondu. À notre retour, le nouveau comité de la Chambre des communes étudiant la condition des personnes handicapées a redéposé notre recommandation concernant une charte du droit à la vie privée et demandé une réponse à la ministre de la Justice. Nous avons finalement obtenu une réponse en 1998 ou 1999; le ministère a répondu que la Loi sur la protection des renseignements personnels et la Loi canadienne sur les droits de la personne seraient examinées par la ministre et qu'elle avait constitué à cette fin des comités spéciaux. Elle était d'avis que le moment était mal choisi pour elle de promouvoir une charte, mais le ministère reconnaissait qu'une charte était importante puisque cela touchait ses travaux.

Encore la semaine dernière, nous avons communiqué avec le ministère de la Justice et les représentants de ce ministère considèrent toujours cette question importante. Toutefois, ils la voient plutôt comme faisant partie d'un prologue ou d'un préambule à un projet de loi sur les responsabilités d'un commissaire à la vie privée. Pour ma part, j'estime que l'un est le contenu, et l'autre le contenant. Il reste à savoir si vous voulez le contenu, le contenant, ou les deux.

Voilà où nous en sommes avec le ministère de la Justice. Nous avons communiqué directement avec la ministre de la Justice seulement pour lui demander de faire adopter ce projet de loi. Je me suis dit qu'elle serait heureuse d'apprendre que nous avions fait tout ce travail pour elle.

Chers collègues, je n'avais jamais auparavant rédigé un projet de loi. J'ai souvent critiqué des projets de loi. J'ai été députée de l'opposition et députée du parti au pouvoir. Toutefois, rédiger un projet de loi est une expérience incroyable. Mon collègue et ami ici présent n'avait jamais, lui non plus, rédigé un projet de loi. Nous n'aurions pu imaginer comme c'était complexe, faire affaire avec des linguistes, des légistes et des traducteurs, peser chaque mot jamais prononcé par la Cour suprême sur les articles 7 et 8, tenir compte du libellé de la Déclaration universelle des droits de l'homme, des articles 12, 17 et 18, et du libellé employé à l'OCDE, à l'Union européenne, en Australie et en Nouvelle-Zélande, ainsi que dans le projet de loi qui a été adopté par les Américains. Vous voyez comme il est difficile de concevoir une mesure législative. Je lève mon chapeau devant tout ministère qui rédige un projet de loi. Ce n'est pas facile.

Le sénateur Cohen: Je suis heureuse que vous nous ayez prévenus, madame Finestone, du fait qu'il s'agit de votre premier effort de rédaction d'un projet de loi; nous serons très prudents dans notre étude article par article. Merci beaucoup d'avoir soulevé toute cette question de la vie privée et de la nécessité de revoir notre législation à cet égard. Je note que, dans le cahier d'information, on dit qu'il y a déjà 15 ans qu'on s'est penché sur ces questions. Le temps est venu de nous y intéresser à nouveau.

Ma question est simple et je sais qu'elle ne relève pas du projet de loi C-6 ou de la Charte du droit à la vie privée. Elle concerne les listes. Lorsque je m'abonne à un magazine qui m'intéresse, mes coordonnées sont souvent transmises à une autre entreprise ou à un autre groupe de gens dont je ne veux ni les envois, ni les magazines. Ce genre de situation relèverait-il de votre projet de loi ou est-elle déjà prévue dans une autre loi?

Le sénateur Finestone: La philosophie fondamentale qui sous-tend ce projet de loi veut que les citoyens canadiens aient le droit à la vie privée et ne renoncent à ce droit qu'après y avoir consenti de façon éclairée et délibérée. On traite de cela dans le projet de loi C-6. C'est pourquoi le commissaire à la protection de la vie privée et moi avons appuyé ce projet de loi. Toutefois, cette mesure législative ne s'applique qu'à un élément de tout ce qui constitue notre vie privée. Cette situation devrait relever du projet de loi C-6, des règlements connexes et du principe et de la philosophie qui sont censément exprimés dans ce projet de loi.

M. Oscapella: À l'heure actuelle, c'est une question de compétence. La liste où figurent vos informations personnelles est probablement détenue par une entreprise privée. Comme vous le savez, le projet de loi C-6 ne s'applique qu'au secteur privé assujetti à la réglementation fédérale pour l'instant et, peut-être après trois ans, s'appliquera aussi au secteur privé sous réglementation provinciale. La situation que vous avez décrite relèverait du projet de loi C-6 si la liste est distribuée par une entreprise assujettie à la réglementation fédérale.

La portée de ce projet de loi est limitée. Nous espérons qu'il servira de modèle aux provinces et territoires, mais il ne régira que les activités des gouvernements et des entreprises du secteur privé sous réglementation fédérale. Nous espérons qu'il ouvrira la voie aux provinces. Encore une fois, l'article 3 de notre projet de loi s'applique aux renseignements personnels qui nous concernent. Essentiellement, c'est une disposition de protection des données qui primerait le projet de loi C-6 en raison de son libellé.

Cependant, il s'agit de savoir si cette liste sera la responsabilité d'une compagnie assujettie à la réglementation fédérale. L'interface entre les diverses lois et la Charte du droit à la vie privée exigera un certain travail. Encore une fois, c'est le genre de chose qui arrive. Il y a la Loi canadienne sur les droits de la personne ainsi que la Charte des droits et libertés. Elles traitent toutes deux des droits de la personne. Il y a des façons logiques de les interpréter.

Le sénateur Cohen: Lorsque je remplis une formule ou que j'achète un abonnement, je rajoute toujours à la main quelque chose du genre «Prière de ne pas communiquer mon nom à d'autres sociétés». Je fais cela depuis un certain temps déjà et c'est utile.

Le sénateur Finestone: Hier, en rendant hommage à M. Trudeau, nous avons entendu le sénateur Kinsella nous parler du rôle qu'il a joué en se servant de la Charte canadienne pour obtenir l'équité et l'égalité pour les femmes. L'affaire Lovelace a été la première affaire soulevée en vertu de l'article 15, l'article de la Charte canadienne des droits portant sur la non-discrimination. J'ai fait partie du comité de cinq membres qui a étudié la question de l'article 15 et a effectué une recherche. C'était considéré comme une magnifique Magna Carta qui, on l'espérait, corrigerait toute iniquité en matière de salaire et de traitement. Cependant, ce n'est pas devenu vrai pour nous tous. C'est devenu un mécanisme du gouvernement et la démocratie seulement après que nos tribunaux en aient été saisis. C'est grâce au sénateur Kinsella que cela s'est fait. C'est ce qui a ouvert la porte aux 300 à 400 décisions qui ont été rendues depuis. Il nous fallait ce modèle. La Charte a servi à donner vie à ce mouvement.

Certains d'entre nous sont très conscients de l'importance de la vie privée et certains autres ne comprennent pas que c'est quelque chose que l'on pourrait perdre. Ce n'est pas quelque chose qu'on veut perdre, la vie privée. Si nous ne voulons pas vivre dans une société totalitaire, si nous voulons la démocratie, alors il nous faut protéger la vie privée. C'est pourquoi cette charte pourrait être si efficace. C'est ce qui servirait de phare et, au bout du tunnel, nous pourrions voir des remèdes législatifs ainsi qu'une meilleure sensibilisation.

La vice-présidente: Merci, sénateur Finestone et M. Oscapella. Votre témoignage a été des plus instructifs.

La séance est levée.


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