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Délibérations du comité sénatorial permanent des
Peuples autochtones

Fascicule 18 - Témoignages du 1er mai 2002


OTTAWA, le mercredi 1er mai 2002

Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd'hui à 17 h 50 pour examiner l'accessibilité, l'éventail et la prestation des services, les problèmes liés aux politiques et aux compétences, l'emploi et l'éducation, l'accès aux débouchés économiques, la participation et l'autonomisation des jeunes, et d'autres questions connexes.

Le sénateur Thelma J. Chalifoux (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente: Bonsoir et bienvenue à tout le monde. Nous avons ici un important plan d'action en vue de changements, qui examine la manière dont nous pouvons améliorer la situation des Autochtones des milieux urbains, particulièrement des jeunes qui vivent dans les villes.

Je vous souhaite la bienvenue à toutes deux. Madame Valaskakis, veuillez présenter votre collègue.

Mme Gail Valaskakis, directrice de la recherche, Fondation pour la guérison des Autochtones: Je suis accompagnée de Gisèle Robelin, qui travaille au département des communications de la Fondation pour la guérison des Autochtones.

La Fondation pour la guérison des Autochtones vous remercie infiniment de l'avoir invitée à témoigner devant le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones. Nous savons que c'est un sujet extrêmement important, et nous sommes heureux de pouvoir participer à vos délibérations.

La Fondation pour la guérison des Autochtones, vous le savez certainement, est une organisation à but non lucratif qui est administrée par les Autochtones et financée par le gouvernement fédéral. Elle a été créée le 30 mars 1998 pour aider les Autochtones affectés par les abus physiques et sexuels perpétrés dans les pensionnats et aussi les Autochtones qui subissent les répercussions intergénérationnelles de ces abus, et à mettre en oeuvre des projets de guérison.

La Fondation s'attaque à cet héritage en finançant des projets communautaires de guérison holistique qui sont formulés conformément aux critères de notre accord de contribution et aussi en tenant compte des rétroactions obtenues de notre dialogue régulier avec les peuples autochtones. Nous tenons régulièrement des rassemblements dans tout le pays. Nous avons de nombreuses visites sur notre site Web. Nous diffusons des bulletins de nouvelles et nous avons d'amples communications avec les peuples autochtones.

L'accord de financement prévoyait 350 millions de dollars pour un fonds de guérison. La Fondation disposait de un an pour s'organiser, cinq ans pour distribuer ou engager les fonds et les intérêts accumulés, et quatre ans pour réaliser les activités régulières de suivi et rédiger un rapport final. Ce mandat de dix ans se terminera le 31 mars 2008. Ce sera la fin de la Fondation pour la guérison des Autochtones telle que nous la connaissons maintenant.

Nous nous concentrons sur la prévention des abus et sur le processus de réconciliation entre les victimes et les agresseurs, entre les peuples autochtones et d'autres Canadiens. Les répercussions intergénérationnelles au sein des Premières nations, des Métis et des Inuits sont le principal point de mire de nos activités à la Fondation pour la guérison des Autochtones. Nous avons établi des priorités, au plan des régions et des groupes d'intérêt. Les jeunes sont un important groupe d'intérêt.

À titre de rappel — je suis sûre que tout le monde le sait — entre 1847 et 1969, environ 130 pensionnats, écoles industrielles et résidences scolaires pour Indiens étaient exploitées au Canada. Ces établissements étaient dirigés en partenariat entre le gouvernement du Canada et l'Église catholique, l'Église anglicane, l'Église méthodique, aussi appelée l'Église unie, et l'Église presbytérienne. Bien que le gouvernement ait mis fin à ces partenariats en avril 1969, plusieurs de ces écoles ont poursuivi leurs activités pendant les années 70 et 80. Les écoles avaient été créées pour assimiler, acculturer et christianiser les enfants autochtones. Après 1920, la fréquentation de ces écoles est devenue obligatoire pour les enfants de cinq à 15 ans.

D'après le recensement des peuples autochtones qu'a fait Statistique Canada en 1991, environ 105 000 à 107 000 personnes qui avaient fréquenté les pensionnats étaient encore vivantes à ce moment-là. Le recensement effectué en 2001 concluait que 93 000 anciens pensionnaires vivaient encore. Dans le premier recensement, 80 p. 100 des sujets étaient membres des Premières nations, 9 p. 100 étaient Métis — les Métis n'étaient pas censés être dans ces pensionnats, mais ils l'étaient — 6 p. 100 étaient des Indiens non-inscrits et 5 p. 100 étaient Inuits.

Près de 70 p. 100 des personnes qui font état d'origines autochtones habitent aujourd'hui dans des villes ou hors des réserves. Bon nombre ont subi les répercussions intergénérationnelles des écoles résidentielles. Selon les données recueillies lors du tout dernier recensement, les Autochtones de moins de 25 ans constituent 56,2 p. 100 de l'ensemble de la population autochtone. Les enfants qui ont fréquenté ces pensionnats ont subi des répercussions par le biais de la perte de leur famille, de leur collectivité, de leur langue et de leur culture. De nombreux jeunes Autochtones en ont aussi subi des effets indirects. Un bon nombre des pensionnaires de ces écoles ont été témoins d'abus physiques et sexuels ou en ont été eux-mêmes victimes. Ce sont ces répercussions intergénérationnelles qui font l'objet des travaux du comité et des activités de la Fondation pour la guérison des Autochtones.

Selon le recensement de 1996, les jeunes Autochtones composent aujourd'hui 60 p. 100 de la population inuite, 50 p. 100 de la population métisse et 54 p. 100 de la population des Premières nations. Ce chiffre atteint 50 p. 100 dans le recensement des régions métropolitaines. D'autres personnes ont témoigné devant votre comité et vous ont donné beaucoup plus de détails démographiques, mais je tenais à les signaler encore une fois à votre intention.

Les jeunes d'aujourd'hui ne sont pas les survivant directs des pensionnats mais l'impact des abus perpétrés dans le système des pensionnats se transmet de génération en génération. C'est l'héritage des pensionnats. C'est cet héritage auquel s'intéresse la Fondation pour la guérison des Autochtones. L'expression répercussions intergénérationnelles désigne les effets des abus physiques et sexuels qui sont transmis aux enfants, aux petits-enfants et aux arrières-petits- enfants des Autochtones qui ont fréquenté les pensionnats.

Il y a une vaste gamme de répercussions intergénérationnelles. J'ai annexé à mon mémoire deux listes de répercussions intergénérationnelles. L'une est tirée d'un texte de doctorat de Rosalind Ing, qui conclut à 46 répercussions intergénérationnelles. Elle a fait une étude intéressante des effets des pensionnats sur trois générations, soit la seconde, la troisième et la quatrième génération d'Autochtones. C'est la première annexe du document. La deuxième vient de la Nuxalk Nation Community Healing et du Plan de développement du bien-être qui a été dressé en 2000. L'on y trouve une liste de 32 répercussions intergénérationnelles des pensionnats. C'est à la deuxième annexe. Il y en a d'autres, mais ce sont ces deux listes que je voulais porter à votre attention.

L'une des questions qu'a soulevé le comité vise la définition de «jeune». Je suis sûre que vous le savez, mais je voulais expliquer que différentes organisations autochtones ont des définitions différentes. L'Association nationale des centres d'amitié, le Congrès des peuples autochtones et le Conseil national des Métis désignent, par «jeunes», les gens âgés de 15 à 24 ans. L'Inuit Tapirisat, ou Tapiriit Kanatami, a une définition plus vaste. Pour eux, les jeunes sont âgés de 13 à 29 ans. Enfin, l'Assemblée des premières nations, l'Association des femmes autochtones du Canada et la Fondation autochtone de guérison définissent les jeunes comme étant âgés de 18 à 24 ans. Il y a des raisons de définir les «jeunes» de différentes façons, et peut-être le comité s'intéressera-t-il à la question.

La Fondation de guérison des Autochtones a déposé un rapport intérimaire d'évaluation, que j'ai annexé à mon document. Je serais heureuse de vous faire parvenir toute autre information que vous souhaiterez avoir. Cette évaluation est fondée sur 36 dossiers et un examen des 344 projets financés qui étaient en cours en janvier 2001. D'après le taux de réponse de 74 p. 100 à ce sondage, un taux relativement élevé, nous savons que 1 686 communautés étaient desservies à ce moment-là et que 29 p. 100 de ces communautés étaient en région urbaine. Nous savons qu'environ 59 000 participants aux activités de guérison ont répondu à ce sondage. C'était beaucoup plus que nous ne nous y étions attendus.

La plus étonnante découverte, d'après les réponses obtenues au sondage, est que seulement 1 p. 100 de ces gens avaient un jour participé à des activités de guérison avant la création de la Fondation pour la guérison des Autochtones. Nous atteignons un groupe cible qui n'a pas participé à des activités de guérison avant cela, quelle que soit leur raison.

Au sujet des participants aux activités de guérison, 44 p. 100 étaient des hommes. C'est aussi assez remarquable, parce que beaucoup d'hommes autochtones n'avaient jamais participé à ce type d'activité. Cinquante-trois pour cent étaient des femmes.

Près de 11 000 personnes participaient à des programmes de formation — les Premières nations sur réserve 60 p. 100, hors réserve 26 p. 100, les Métis 9 p. 100 et les Inuits 5 p. 100. On voit encore qu'il y a moins de participation dans les régions urbaines que sur les réserves, mais elle est tout de même importante.

Un autre fait remarquable est que plus de 7 500 répondants ont affirmé avoir des besoins spéciaux en matière de guérison, lesquels découlaient des traumatismes graves subis dont ils ressentaient encore les séquelles; ils ont aussi dit être incapables de participer à des activités de groupe, avoir fait des tentatives de suicide ou avoir des toxicomanies qui menaçaient leur vie — facteurs révélateurs de la nécessité de mesures de guérison précises et à long terme.

Il est intéressant de constater que 24 p. 100 de nos fonds ont été investis dans les régions urbaines. Nous avons dépensé 2 000 547 millions de dollars et quelques sous sur les projets axés sur les jeunes. Si nous regardons les projets où les jeunes sont cités — ils sont englobés, autrement dit, avec d'autres personnes, mais ils sont cités comme l'un des groupes cibles — alors, notre budget monte à 3 397,637 millions de dollars. Les jeunes, bien que pas nécessairement seulement ceux des régions urbaines, ont bénéficié d'un quart de l'argent qu'a investi la Fondation pour la guérison des Autochtones jusqu'à maintenant.

À ce jour, nous avons engagé 208 765 867,37 $ sur 922 projets. Cependant, les 24,5 p. 100 dont je viens de parler s'appliqueraient à l'argent qui avait été dépensé au moment où nous avons fait l'évaluation, en janvier 2001. Je ne suis pas sûre que nous dépensions encore le quart des fonds sur les jeunes, bien que je soupçonne que ce soit le cas.

Je voulais porter à votre attention que notre conseil d'administration se préoccupe des questions relatives aux jeunes. Pour cette raison, et parce que les jeunes sont une priorité, nous avons tenu une petite conférence, à laquelle nous avons convoqué 21 personnes représentant soit des projets que nous finançons, soit des organisations nationales. Nous les avons rassemblés pendant trois jours pour leur poser les questions suivantes: Quel genre de projets, à votre avis, sont importants? Comment les jeunes pourraient-ils participer de façon plus concrète? D'après vous, sur quoi devrions-nous nous concentrer, en matière de pratiques exemplaires relativement aux projets axés sur les jeunes?

Actuellement, 79 de nos 908 projets qui ont reçu l'approbation du conseil desservent les jeunes et d'autres membres de la population et 48 ne desservent que les jeunes, dont 14 ciblent les jeunes des milieux urbains. Les sommaires de ces projets ont été annexés aux documents que vous avez reçus.

Nous voulons pouvoir reproduire les pratiques exemplaires des projets axés sur les jeunes. Il faut quelque chose d'adaptable, une technique ou une intervention qui puisse répondre aux besoins de guérison des jeunes Autochtones, et de ceux des milieux urbains en particulier, dans de nombreux contextes différents.

D'après un examen des documents de plus en plus nombreux sur les pratiques exemplaires, celles-ci sont fortement axées sur la régie, l'administration, les aspects systémiques des organisations et la reddition des comptes. Nous sommes très intéressés, et nous venons seulement d'entamer des recherches sur la question, à nous concentrer sur les pratiques exemplaires en matière de guérison. Quel genre de pratiques ressortent de ce que nous ont appris nos évaluations, et aussi quelles évaluations effectuées dans le cadre des projets pouvons-nous partager avec nos communautés? Autrement dit, quelles leçons pouvons-nous tirer en matière de prévention, d'interventions et de rétablissement des séquelles intergénérationnelles des pensionnats?

Certaines de ces pratiques exemplaires — et d'autres sont systémiques, elles sont du genre dont j'ai parlé — ont déjà commencé à faire surface, et elles ressortent des caractéristiques des projets que nous finançons, mais aussi des réponses que nous avons reçues des jeunes et à la conférence que nous avons tenue.

J'aimerais porter six de ces réponses à votre attention. L'une est que les projets sont plus efficaces — et c'est le principal élément qu'ont fait ressortir les jeunes — lorsqu'ils sont générés et administrés par des jeunes. C'est maintenant la plus grande priorité de la stratégie de notre conseil d'administration axée sur les jeunes: nous devons avoir des projets qui sont générés et administrés par les jeunes.

Ils sont probablement plus efficaces lorsqu'ils sont réalisés en partenariat avec d'autres services communautaires ou intégrés à eux. Devraient y participer les aînés, les parents et les mentors.

Il est très intéressant que la principale recommandation des 30 personnes est de parler aux jeunes des pensionnats. Nos parents et nos grands-parents les ont fréquentés, et ils n'en parlent toujours pas. Nous ne savons pas ce qu'ils ont vécu. Laissez-nous rencontrer nos parents et nos grands-parents; créer des situations propices au dialogue et où nous pouvons être avec eux. Laissez-nous rencontrer les aînés; c'est ce que nous voulons.

Ceci nous amène au troisième élément, soit qu'il faut vraiment faire participer les parents, les aînés et les mentors à diverses situations. Les projets devraient renforcer l'identité, le sentiment de communauté et d'appartenance. Je parlerai dans un moment de ce sentiment d'appartenance et de son importance en ce qui concerne le suicide.

Les projets favorisent la langue et la culture autochtones. La langue, bien sûr, est le véhicule de la culture, et la culture est l'assise du sentiment d'appartenance, de communauté, du sens de la famille. Pour cette raison, il est très important d'en faire notre point de mire.

Nous reconnaissons que la guérison est un processus à long terme; ça n'arrive pas du jour au lendemain. Elle comporte des dimensions physiques, spirituelles, émotionnelles et sociales. Nous devons nous intéresser à ces aspects plus vastes.

J'aimerais parler d'un problème critique que connaissent les jeunes Autochtones, y compris les jeunes des milieux urbains, celui du suicide chez les jeunes. Nous le savons, les jeunes Autochtones des villes sont vulnérables à la pauvreté, à l'aliénation culturelle et sociale. Cela favorise des comportements profondément antisociaux et parfois autodestructeurs. Il est important de réaliser que nous n'avons fait que très peu de recherche sur ce type de problèmes.

Je m'entretiens régulièrement avec Laurence Kirmayer, et nous sommes coprésidents du réseau de recherche sur la santé mentale des Autochtones. Il est bien connu pour ses travaux sur le suicide et il a fait une étude formidable et fondamentale sur le suicide chez les jeunes, pour la Commission royale sur les peuples autochtones. Il siège actuellement au groupe consultatif de Santé Canada sur la prévention du suicide. Je lui ai demandé s'il existe des données sur le suicide chez les jeunes Autochtones des milieux urbains. Il m'a répondu qu'il n'en connaît pas.

Les sénateurs sont certainement mieux informés, mais il n'existe rien à sa connaissance, et par conséquent, à la mienne, qui cible le problème du suicide chez les jeunes Autochtones des milieux urbains.

Si nous regardons les données en général, il y a de nombreux sujets sur lesquels il n'existe rien qui concerne précisément les jeunes Autochtones des régions urbaines. Par conséquent, ce comité pourrait jouer un rôle très important relativement à la recherche dans ces domaines.

Cependant, nous pouvons examiner l'information dont nous nous disposons sur d'autres sujets. Des recherches sont effectuées sur les groupes qui vivent en territoire, y compris sur les taux de suicide. Il est cinq à six fois plus élevé chez les jeunes Autochtones que chez les jeunes de la population générale, et c'est encore pire si l'on tient compte des tentatives de suicide, des blessures auto-infligées et des accidents, qui sont aussi très nombreux, qui doublent ou triplent les chiffres. C'est un domaine extrêmement important. Parce que les facteurs de risque sont présentés différemment dans les régions urbaines, et que les moyens que l'on prendrait pour stimuler le sentiment d'appartenance sont différents, il est absolument essentiel d'effectuer ce type de recherche.

Cependant, j'aimerais porter vous signaler une étude qui a attiré beaucoup d'attention récemment. Elle a été effectuée en 1998 par Chandler et Lalonde. Ils ont sondé 196 communautés de la Colombie-Britannique sur une période de cinq ans. Ils ont établi un lien entre la continuité culturelle et le suicide chez les jeunes. La recherche est véritablement renversante, parce qu'ils ont défini six facteurs, qu'ils ont analysés en rapport avec les communautés et un continuum de taux de suicide.

Ils ont découvert que la formation de l'identité personnelle, qui est critique pendant la croissance, est liée non seulement à un sentiment d'appartenance mais aussi à la prise de conscience de notre lien avec notre propre passé et que l'on prépare son avenir. Il est absolument vital d'avoir un sentiment de continuité culturelle et d'habilitation.

Ils ont aussi découvert que la continuité culturelle se révèle et s'exprime dans diverses activités et pratiques de la communauté avec ses membres. Ces activités et ces pratiques sont l'expression de l'exercice d'un certain contrôle sur leur vie. Ils ont examiné l'aspect de la gouvernance. Comme ils étudiaient les communautés en territoire, ils se sont intéressés aux revendications territoriales. Ils ont observé les aspects de l'éducation, de la santé et des installations culturelles, ainsi que du contrôle sur les activités policières et sur celles de la lutte contre les incendies. Ils ont trouvé que les pratiques qui contribuent à la continuité culturelle sont interreliées et que leur efficacité est interdépendante.

Lorsque l'on observe ces six activités dans le cadre d'un continuum, et ce continuum en rapport avec les taux de suicide, l'on découvre un saut de zéro à 500 ou 800 fois la moyenne nationale, et qu'il y avait une corrélation directe entre les communautés qui n'avaient ni activités, ni pratiques liées à ces six facteurs et les communautés qui en avaient. Ce sont des conclusions absolument frappantes.

D'aucuns soutiennent qu'il peut y avoir d'autres raisons. Les auteurs ont eux-mêmes admis qu'il en existe peut-être, mais les résultats de leur recherche sont très convaincants et inciteront d'autres personnes à suivre leur exemple.

Ce que révèle véritablement cette recherche, c'est l'importance du sentiment d'appartenance culturelle, de communauté. Nous savons que les villes et les régions urbaines ne sont pas nécessairement des endroits où la culture des peuples autochtones est renforcée ou soutenue. De nombreux Autochtones vivent dans un monde dont tous les éléments se confondent maintenant, dans les régions urbaines, mais ils sont en réalité des Métis, des membres des Premières nations ou des Inuits, et ils ressentent profondément cette appartenance.

Le colonialisme a laissé des marques profondes, dont les abus sexuels et physiques, par le système de pensionnat, et cela a beaucoup compliqué la tâche de la préservation de la cohésion et de la santé des familles autochtones. Les Autochtones des milieux urbains tombent dans un vide culturel et de service, entre les fentes des domaines de compétence des gouvernements fédéral et provinciaux, et cela ne fait rien pour améliorer la situation.

L'amélioration des perspectives personnelles, sociales et économiques concerne de nombreux domaines. L'un d'eux est la recherche, comme je l'ai dit. Elle a un rôle très important, celui de nous aider à mieux connaître les jeunes Autochtones des milieux urbains. Le deuxième domaine est le soutien fédéral, provincial, territorial et municipal des initiatives autochtones communautaires et de pertinence culturelle.

J'en proposerais trois genres. D'abord, les projets générés et administrés par les jeunes, semblables, en quelque sorte, à ceux dont nous avons fourni un aperçu, parce que c'est ce qui intéresse les jeunes.

Deuxièmement, il y a les maisons de la jeunesse autochtone à vocation multiple en milieu urbain, qui sont un merveilleux exemple de l'intégration des six pratiques exemplaires, dont j'ai parlé, en un format adaptable et réalisable en milieu urbain.

Enfin, les centres d'amitié, les refuges pour femmes, les maisons de transition et autres organismes communautaires devraient fournir des services aux jeunes Autochtones des milieux urbains.

La présidente: Merci beaucoup de cet exposé très intéressant et instructif.

J'ai plusieurs commentaires à faire. Mon père était un produit du système des pensionnats. Mon oncle a quitté ce monde encore un homme simple à cause des séquelles qu'avait laissé ce système sur lieu. Mes enfants ont dû fréquenter l'un d'eux pendant un certain temps, et mon fils aîné a connu diverses terreurs physiques, mais j'ai pu les ajuster.

Je pense à la résistance dont ont fait preuve les Premières nations, les Métis et les Inuits, étant donné le système des pensionnats, les réserves, les concessions de terres aux Métis et le déplacement forcé des Inuits. Nos peuples sont tellement forts qu'ils ont survécu à tout cela. C'est un facteur important dont peu de gens ont réellement conscience.

Je m'interroge cependant sur vos pourcentages, parce que les Métis n'ont pas été recensés. Il y a eu de nombreux Métis dans les pensionnats, mais le gouvernement ne payait pas pour eux. Je me rappelle l'un de mes collègues, il y a de nombreuses années, qui a dit avoir fréquenté un de ces pensionnats pendant 12 ans et avoir appris deux choses. Il a appris comment signer son nom et comment planter des pommes de terre, parce qu'il était Métis et qu'il n'y avait pas d'argent pour les Métis. Vos pourcentages pourraient être un peu trompeurs, parce que les Métis n'étaient pas recensés. Beaucoup de Métis et d'Inuits ont été forcés de fréquenter ces écoles.

Est-ce que vous mettez l'accent sur les Premières nations des réserves, ou est-ce que vous tenez compte de tous les groupes autochtones?

Mme Valaskakis: Nous tenons compte de tous les groupes autochtones. Une de nos grandes priorités est le Nord, parce que nous n'y avons pas réalisé autant de projets que nous l'aurions voulu.

Comme vous le savez, la majorité des gens qui ont fréquenté les pensionnats étaient dans l'Ouest ou dans le Nord, et d'après le recensement des peuples autochtones réalisé en 1991, la majorité des survivants vivent encore dans les Territoires du Nord-Ouest, mais bon nombre des anciens élèves des pensionnats vivaient en Saskatchewan et ailleurs.

Nous mettons l'accent sur les peuples autochtones et ils sont tous représentés à notre conseil d'administration. C'est un conseil de 17 personnes, composé de représentants des Premières nations, des Indiens inscrits et non inscrits, des Métis, des Inuits et des cinq organisations nationales. Par conséquent, l'organisation féminine, l'APN, et cetera, ont tous des représentants au conseil, et des membres à titre individuel. C'est une expérience des plus intéressante.

La présidente: J'aimerais parler du suicide chez les jeunes. J'ai eu la chance de siéger au tout premier comité de prévention du suicide de la province de l'Alberta. Deux psychiatres de l'Université de Calgary qui siégeaient à ce comité ont fait beaucoup de recherches. Je ne peux pas me rappeler leur nom. C'était il y a longtemps.

Je remarque que le suicide est à la hausse plutôt qu'à la baisse, tant dans les réserves qu'en dehors d'elles. Avez-vous l'impression que ce que vous faites contribue à quelque chose?

Mme Valaskakis: C'est difficile à dire. Il y a un facteur de modélisation en ce qui concerne la documentation, alors elle forme bloc. C'est très difficile à contrer, mais je pense que le fait de parler et les cercles de guérison, le fait que les gens ont accès aux aînés et communiquent mieux entre eux, le travail avec les pairs et les mentors sont effectivement utiles. C'est un processus à long terme, et nous avons certainement beaucoup de travail à faire au sujet du suicide.

La présidente: Je peux le voir. Maintenant, savez-vous quel pourcentage de votre budget va aux Métis, aux Inuits ou aux Premières nations?

Mme Valaskakis: Nous faisons effectivement une ventilation, mais je ne sais pas si c'est par nation ou par projet.

En ce qui concerne les Métis, la question qui a été posée lors du recensement, en 1991, des peuples autochtones était indirecte. La question était: avez-vous fréquenté l'école? Il y avait une question connexe: était-ce un pensionnat? C'est de là qu'est venue toute l'information. C'est de là que viennent les statistiques des 5 p. 100 d'Inuits et 9 p. 100 de Métis, et cetera.

Le tout dernier recensement des peuples autochtones pose une question très directe: Êtes-vous allé à une école définie comme un pensionnat, une résidence scolaire ou une école industrielle? Est-ce que l'un des membres suivants de votre famille a fréquenté une telle école? Suit une liste, qui comprend la grand-mère et le grand-père. Nous aimerions savoir combien de gens ont eu des séquelles intergénérationnelles. Nous aurons bientôt une réponse à votre question. Lorsque les résultats de ce recensement auront été analysés, nous aurons des renseignements plus précis.

La présidente: Lorsque je siégeais au comité de prévention du suicide de l'Alberta, nous avons conçu un module de formation qu'utilise encore la GRC. Nous sommes allés à Dallas, au Texas, pour en parler, et les Américains ont adopté ce module de formation. J'ai trouvé qu'il n'avait pas de rapport avec les communautés autochtones. Nous avons essayé de concevoir un module de formation qui se rattache aux peuples autochtones, mais nous avons trouvé — et c'était en 1981-1982 — qu'il n'était pas satisfaisant parce qu'à l'époque, personne ne voulait nous écouter. Tout le monde voulait se penser le sauveur des peuples autochtones. J'espère qu'un module de formation est en voie de développement, pour travailler avec les communautés, et particulièrement avec les jeunes parce que la situation est tellement critique. Lorsque je vois que des enfants de 8 et de 9 ans se suicident, des jeunes de 11 et 12 ans, je me demande ce que nous, en tant qu'Autochtones, faisons pour l'empêcher. Que faisons-nous de concert avec la société dominante du Canada?

Avez-vous de l'information sur les modules de formation qui se rapportent aux peuples autochtones?

Mme Valaskakis: Des modules de formation sont effectivement en voie de développement, ainsi que des unités de curriculum et d'autres documents, et nous verrons que le rapport du groupe consultatif sur la prévention du suicide de Santé Canada et de l'Assemblée des premières nations, qui doit bientôt être diffusé, comportera des renseignements très utiles aussi.

La présidente: Y a-t-il des Métis, des Inuits et des membres des Premières nations à ces comités?

Mme Valaskakis: Pas à celui-ci, pas à ma connaissance.

La présidente: Voilà l'erreur. À moins qu'il y ait consultation — et nous avons des gens très instruits dans nos communautés maintenant, qui comprennent la culture et l'histoire — quelle que soit la bonne volonté des membres de la communauté non autochtone, ils ne peuvent pas comprendre. Il faut, à mon avis, une participation autochtone à la préparation de modules de formation et du curriculum.

Mme Valaskakis: Nous ne finançons que les organisations autochtones, alors les modules de formation et les unités de curriculum que nous produisons par l'entremise de la Fondation pour la guérison des Autochtones ont effectivement un contenu autochtone.

La présidente: Qui les fait?

Mme Valaskakis: Ce comité sur la prévention du suicide est à Santé Canada et collabore avec l'APN, mais à ma connaissance, il ne s'y trouve pas de membres inuits ou métis.

La présidente: Est-ce qu'il collabore avec le Conseil national des Métis ou le Conseil des peuples autochtones?

Mme Valaskakis: J'en doute pour celui-là.

La présidente: Il est important que nos dirigeants participent parce qu'ainsi, cela se rend jusqu'à nos communautés.

Mme Valaskakis: En ce qui concerne la part du budget consacrée aux Métis, il faudra que je vérifie l'évaluation. Je vous ferai parvenir la réponse.

Le sénateur Christensen: Les statistiques sont extrêmement utiles. Comment vos projets sont-ils conçus? Comment les gens y ont-ils accès? Comment pouvons-nous faire quelque chose de concret et faire que les choses bougent vraiment dans les communautés, ou encore là où il y en a besoin? Où est-ce? Je ne l'ai pas vu dans ces documents.

Mme Valaskakis: Les communautés elles-mêmes présentent les demandes de fonds pour leurs projets. Comme nous sommes une nouvelle organisation, il y en a beaucoup qui n'ont rien demandé au début. Nous avons procédé en deux volets. Nous avons des travailleurs communautaires régionaux dans tout le pays. Ils étaient 10 au début. Ils sont maintenant six parce que nous sommes sur le point de passer à un autre stade de développement. Ces travailleurs allaient dans les communautés parler de la Fondation et de la nature des projets, et ils aident les gens à comprendre les formules de demande de financement. Ils tenaient des ateliers dans les communautés pour parler des problèmes, des ressources et du sens des divers termes utilisés.

Ce programme a eu beaucoup de succès parce que ces travailleurs sont les yeux et les oreilles de la Fondation dans les communautés.

Nous avons versé des petites subventions de 5 000 $ au début pour que les gens puissent embaucher, s'ils voulaient, quelqu'un pour les aider à remplir ces formules de demande de subvention.

Nous faisons cela parce que nous oeuvrons dans le domaine de la guérison, ce qui n'est pas facile. Nous voulions faire quelque chose de concret. Nous voulions aussi financer des projets selon leurs mérites et non pas répartir l'argent au prorata. En même temps, nous ne voulions pas décourager les gens. Nous les encourageons à présenter à nouveau leur demande.

Pendant la première ronde, nous avons en effectivement rejeté. Par la suite, nous avons pris conscience de la façon dont nous pouvions mieux aider les communautés. Nous avons renvoyé une série de documents en disant «Il manque ceci. Veuillez fournir un plan détaillé de traitement pour cela». On nous répondait. Personne n'était automatiquement rejeté.

Le taux d'acceptation a changé du tout au tout. C'était en partie parce que nous avons pris beaucoup de temps pour analyser ce qui vient des communautés, en considérant cette démarche comme un apprentissage.

Le renforcement des capacités est l'un de nos objectifs. Il le faut le faire parce que nous devons créer des partenariats entre les organisations que nous finançons et d'autres groupes, sinon il ne peut y avoir de financement durable. Nous connaîtrions alors le même sort que bien d'autres avant nous.

Notre taux d'approbation, la première année, était de 62,5 p. 100. La deuxième année, c'était 78,3 p. 100. Pour l'exercice actuel, c'est 86,5 p. 100. Cette augmentation est en grande partie attribuable à beaucoup de travail de notre part, mais aussi de celle de la communauté.

Le sénateur Christensen: Je comprends ce que vous dites, mais une fois qu'ils ont passé ce processus bureaucratique de demande, qu'arrive-t-il aux gens qui sont censés être guéris? Qui fait un suivi du taux de succès, non pas en ce qui concerne le fait de remplir des demandes, mais plutôt les bénéficiaires de ces projets?

Mme Valaskakis: Il y a un suivi des projets. Nous avons toute une équipe de suivi au département des finances. Les groupes des projets remettent des rapports trimestriels qui sont minutieusement analysés. Jusqu'à maintenant, le financement n'a été versé que sur une base annuelle. Les demandes doivent être présentées à nouveau.

Nous allons maintenant offrir des subventions pluriannuelles. C'est encore une leçon que nous avons apprise, et les communautés aussi. Tout est vérifié aux trois mois.

Le sénateur Christensen: Vous avez dit «tout», mais est-ce qu'il y a un suivi des résultats du processus de guérison?

Mme Valaskakis: Oui, mais n'oubliez pas que nous sommes une organisation de financement. Nous laissons les gens définir ce qu'est pour eux la «guérison». La Fondation pour la guérison des Autochtones ne veut pas dicter la guérison.

En plus de l'évaluation dont vous avez eu copie, que nous referons à la fin de 2003 et dont les résultats seront disponibles en 2004, nous avons fait plusieurs études de cas. Nous avons financé 13 types différents de projets. Il y a eu, par exemple, une unité de curriculum. Un autre vise un centre de guérison multidimensionelle.

Nous avons achevé huit études de cas. Je serais heureuse d'envoyer leurs conclusions au comité, s'il le veut.

Le problème, c'est que l'unité d'analyse de ces études de cas est la communauté. Nous avons analysé la communauté selon cinq indicateurs sociaux, dont les taux d'incarcération, de suicide et de violence familiale. Nous avions espéré pouvoir réexaminer ces communautés dans 10 ans. Nous prenons maintenant conscience que nous ne serons pas là dans 10 ans. Il n'y aurait pas de raison pour que nous le soyons.

Le Dr Kirmayer et moi-même dirigeons ensemble des projets de recherche financés par le biais de l'Institut canadien de recherche sur la santé, notamment le projet de recherche sur la santé des peuples autochtones. Nous ferons des études de cas approfondies. Nous prendrons six de ces études de cas pour les approfondir encore.

L'un des problèmes, c'est que le conseil d'administration tient fermement à ce que nous ne donnions pas de noms, ni ne portions atteinte à la vie privée de quiconque, d'aucune façon. Pour un chercheur, c'est très difficile, parce que si on ne peut pas suivre le cheminement de la guérison d'une personne, on ne peut pas tirer de conclusions sur ce qui nous intéresse, c'est-à-dire: «Est-ce que quelqu'un a guéri? Comment? En combien de temps, et quels facteurs y ont participé?».

Nous avons eu de longues discussions et débats pour déterminer s'il convenait de citer des noms. Une raison à cela est que l'un des projets captivants que nous menons, et vous y êtes tous invités, est une exposition sur les pensionnats, en collaboration avec les archives nationales du Canada. La Gouverneure générale inaugurera cette exposition le 17 juin 2002.

De longues discussions ont eu lieu pour décider si les photographies exposées devaient indiquer les noms des sujets. L'un des membres du conseil d'administration a dit: «J'ai fréquenté un pensionnat pendant des années, et j'ai une photographie de moi à côté de mon agresseur. Cela m'a pris de nombreuses années, mais j'ai finalement pu laisser cette part de mon passé derrière moi. Je veux bien que vous indiquiez mon nom, mais je sais que la personne qui se tient de l'autre côté de mon agresseur en a aussi été une victime. Je ne sais pas si cette personne-là a réussi à laisser son passé derrière elle».

Ils disent maintenant que nous pouvons donner des noms, du moment que nous avons le consentement des sujets des photos. Cependant, nous faisons très attention, et c'est un problème que pose la recherche.

Le sénateur Johnson: C'est de toute évidence un sujet très vaste. Mon collègue allait donner un exemple concret. Je sais que vous êtes un organisme de financement, mais pouvez-vous me donner un exemple, dans ma province, au Manitoba, de ce que vous financez et des résultats obtenus?

Mme Valaskakis: C'est ce que nous avons essayé de faire dans notre mémoire.

Le sénateur Johnson: J'aimerais avoir des détails. Vous donnez l'argent. Ils déterminent le genre de processus de guérison qu'ils appliqueront dans une situation donnée. Il y a actuellement 93 000 anciens élèves de ces pensionnats qui vivent encore. Quel est l'âge moyen? Je suppose que c'est environ 50 ans?

Mme Valaskakis: En fait, je ne sais pas quel est l'âge moyen.

Le sénateur Johnson: Ils auraient entre 50 et 80 ans maintenant?

Mme Valaskakis: Je ne sais pas s'ils pourraient vraiment avoir 80 ans.

Mme Giselle Robelin, Service des communications, Fondation pour la guérison des Autochtones: La dernière école a fermé en 1996, alors il peut y avoir des gens qui sont encore relativement jeunes.

Mme Valaskakis: La participation varie. Nous avons une bonne participation concrète au Manitoba. Dans le Nord, c'est beaucoup plus difficile, parce que l'un des moyens de déterminer notre succès est la mesure dans laquelle les gens parlent plus du programme.

Cela ne fait que commencer dans le Nord.

Le sénateur Johnson: Est-ce que vous financez Thunderbird Lodge, par exemple?

Mme Valaskakis: Je ne sais rien de précis sur Thunderbird Lodge, parce que nous avons 999 projets, mais je peux le vérifier si vous voulez. Je pense, en fait, que nous le finançons; le nom me semble familier, mais je n'en suis pas absolument sûre. Il y a une liste de tous les projets sur le site Web, avec le montant attribué à chacun et un sommaire du projet.

Le sénateur Johnson: Est-ce que vous recourez à du personnel expérientiel à votre fondation, quelqu'un qui a vécu cette expérience?

Mme Valaskakis: Oui, absolument. On interroge les gens sur les survivants. C'est l'un des aspects qui est aussi couvert dans l'évaluation.

Le sénateur Johnson: Nous n'avons pas eu la possibilité de lire tous vos documents.

Mme Valaskakis: Environ 50 p. 100 des gens qui travaillent à la Fondation sont des survivants du système de pensionnat et 88 p. 100 des gens qui travaillent au projet sont des Autochtones.

Le sénateur Johnson: Les plus importants, parmi les gens touchés sont les membres de la plus jeune génération — c'est-à-dire, ceux dont les parents et les grands-parents étaient dans le système. C'est là que vous mettez l'accent. Est-ce que l'éducation n'est pas aussi importante que la recherche? Vous avez parlé de recherche, de problèmes de santé mentale et de la continuité culturelle nécessaire, relativement à l'appartenance et à la vie dans un monde dont tous les éléments se confondent. Je pense quand même que l'éducation est importante aussi.

Mme Valaskakis: Je ne pense pas que l'aspect intergénérationnel soit le plus important, mais plutôt les survivants eux-mêmes. Les séquelles intergénérationnelles sont très importantes, comme l'est l'éducation.

Nous avons plusieurs projets de préparation de programmes sur les pensionnats, et nous faisons de même, parce que le sujet a suscité tellement d'intérêt. Là encore, c'est parce que les jeunes ressentent tellement le besoin de parler de problèmes que leurs parents et grands-parents sont très réticents à aborder.

Le sénateur Johnson: Est-ce qu'ils sont encore réticents?

Mme Valaskakis: Oui, particulièrement dans le Nord.

Le sénateur Johnson: Je n'ai pas l'impression que ce soit le cas à Winnipeg et dans d'autres centres. Que peut-on faire à ce sujet? Je suppose que nous pouvons simplement travailler sur d'autres projets avec les gens qui ont été touchés, et faire bon usage de l'expertise disponible.

Mme Valaskakis: Oui. Les compétences parentales sont aussi nécessaires.

Le sénateur Johnson: Bien entendu, il y a un lien avec tous les autres travaux que nous essayons de faire dans le cadre de notre examen sur les jeunes Autochtones des milieux urbains. Je me rappelle un pensionnat, sur Academy Road à Winnipeg, que personne n'était autorisé à approcher lorsque nous étions enfants. Il était là, au milieu de la ville, sur l'une des principales artères d'un secteur huppé, mais c'était interdit à tout le monde. Des gens sont sortis de ce genre de système et vivent maintenant en ville, où ils ont élevé leurs familles. Cela fait déjà trois générations, et nous essayons encore de composer avec ces problèmes. Est-ce que c'est ce que vous découvrez?

Mme Valaskakis: Oui, il est certain que nous essayons encore de composer avec eux.

Le sénateur Johnson: Dans quelle mesure, pensez-vous, réussirons-nous?

Mme Valaskakis: Il y aura une gamme de degrés de succès.

Le sénateur Johnson: Je parle des gens qui ressentent une certaine paix et un certain confort avec leur passé. Combien de générations de plus faudra-t-il?

Mme Valaskakis: Je ne pense pas qu'il y ait de raccourci vers la guérison. Cependant, ce sentiment d'appartenance et la récupération de l'identité perdue des peuples autochtones en un élément de la cure.

Je ne sais pas si je devrais parler d'après ma propre expérience, mais j'ai été la directrice fondatrice du Centre d'amitié autochtone de Montréal et j'ai siégé à son conseil d'administration pendant huit ans; j'en ai aussi été la présidente. J'ai beaucoup travaillé dans les prisons, à l'époque. J'étais toujours frappée par le fait que les fraternités, dans les prisons, étaient réellement le champ d'entraînement du leadership. Tandis que les gens s'y greffaient, on pouvait observer la mutation d'une espèce d'identité criminelle, qui n'est probablement pas le bon terme, à une identité autochtone. Tandis que survenait cette mutation survenait aussi un changement, de «pauvre moi, malheur à moi, regardez ce qui m'est arrivé dans la vie» à «regardez ce qui est arrivé au peuple» — point à la ligne. Il y avait une plus grande prise de conscience du fait que ce n'était qu'un système et que les rescapés de ce système pouvaient y faire quelque chose. Ce changement incroyable est survenu et les gens se sont vraiment mis à l'oeuvre, pour la communauté autochtone. J'ai toujours été frappée par le fait que cette identité et cette appartenance, et le fait de voir le passé et l'avenir, tels que le reflète l'étude qu'ont fait Chandler et Lalonde, est un élément très persuasif qui amène à réfléchir à un moyen de guérison à long terme. Nous voyons tellement autour de nous une espèce de monde autochtone dysfonctionnel — les bandes d'Autochtones, par exemple, sont, en un certain sens, un autre mode d'appartenance. C'est la formation d'une communauté.

La guérison coûte tellement moins que l'incarcération. Nous avons fait une étude de deux programmes réussis de guérison et je serais heureuse de vous en envoyer les documents. Nous avons collaboré avec les services correctionnels offerts aux Autochtones à une analyse coût/avantages de la guérison.

Le sénateur Johnson: Ce serait excellent.

Mme Valaskakis: On y voit que la guérison coûte beaucoup moins que l'incarcération ou la prestation d'aide sociale. L'éducation est beaucoup moins chère que l'aide sociale.

Le sénateur Johnson: Oui, c'est ce que je dis. Je trouve qu'il y a eu des changements dans ma propre communauté, au Manitoba, où j'ai grandi avec des Autochtones à Gimli, et où je suis allé à l'école avec eux. Il y a des jeunes qui ne portent plus ce fardeau avec eux, au contraire d'autres de mon âge qui ont pu faire partie du système. Ce sont de bons programmes, je l'ai constaté et je vous en félicite. Je suis impatient de lire le reste de ces documents. Vous êtes quelqu'un de dynamique et le travail que vous faites sera utile à notre comité. Bien que vous représentiez un organisme de financement, vous pouvez comprendre ce que cela représente pour tous les participants ici, autour de cette table, qui sont venus du Nord ou de l'Ouest, ont grandi avec les peuples autochtones et ont été extraordinairement angoissés par l'absence de progrès au fil des ans. Je vois maintenant que beaucoup de choses se passent, de bonnes choses. Le suicide reste une préoccupation, mais je pense que nous progressons.

Mme Valaskakis: Je crois que nous faisons des progrès. Il y a des Autochtones très forts dans le monde urbain, et nous pouvons compter sur eux.

Le sénateur Johnson: C'est vrai. Il existe plus de modèles et de mentors, maintenant.

Mme Valaskakis: Je serais heureuse de vous transmettre toute information qui peut être utile au comité.

Le sénateur Hubley: Je vous remercie aussi de votre présentation ce soir.

Votre organisation a été créée, je crois, en 1998, pour soutenir les initiatives de guérison des peuples autochtones marqués par les agressions physiques et sexuelles survenues dans le système des pensionnats du Canada. Vous vous intéressez à un domaine particulier. Est-ce que vos projets, peut-être, sont différents de ceux qui seraient présentés à d'autres organismes autochtones?

Mme Valaskakis: Je le pense. La principale différence est notre insistance pour que, d'abord, ils soient communautaires et, deuxièmement, que ce soit des projets de guérison holistique. En même temps, il y a une marge de manoeuvre, parce que le curriculum ne donne évidemment pas l'impression d'être un projet de guérison holistique. D'une façon ou d'une autre, quel que soit leur objectif, ils doivent avoir un lien, d'abord, avec les survivants des pensionnats et, deuxièmement, avec les agressions physiques et sexuelles.

Le sénateur Hubley: Avez-vous l'impression que les peuples autochtones ont pris en charge la recherche d'un processus de guérison, puisque l'occasion leur en est donnée?

Mme Valaskakis: Absolument. La réaction a été vive.

Le sénateur Hubley: C'est très encourageant.

Mme Valaskakis: Le terme «guérison» est très répandu, maintenant, dans la communauté autochtone. Il est pris dans un sens général, mais les peuples sont aussi engagés dans le processus de guérison. C'est merveilleux. Les gens se parlent et coopèrent. Les groupes de pairs travaillent avec les aînés. Beaucoup plus d'attention est portée là-dessus maintenant que dans le passé.

Le sénateur Léger: En 1981, vous avez dit que «personne n'avait écouté» et, en 1998, nous avons pris conscience du besoin. Vos recherches doivent se poursuivre jusqu'en 2008?

Mme Valaskakis: La Fondation pour la guérison des Autochtones, elle-même, financera le projet. La recherche est un aspect minime, parce que la Fondation pour la guérison des Autochtones était une réponse, en partie, à la CRPA, la Commission royale. Notre accord de financement, met l'accent sur la recherche en vue de la mise en oeuvre, de l'évaluation, de la conception ou de la refonte des projets de guérison. C'est la guérison qui est le point de mire.

Le sénateur Léger: Ça, c'est jusqu'en 2008. Est-ce que j'ai bien compris ce qu'on a dit tout à l'heure, c'est-à-dire qu'il n'y a pas d'Autochtones qui participent actuellement au leadership? Autrement dit, si vous continuez jusqu'en 2008, pouvez-vous changer les leaders actuels? Au fur et à mesure que vous en trouvez, pouvez-vous les ajouter, ou devez- vous attendre 2008?

Mme Valaskakis: Vous voulez dire au sein de notre organisme?

Le sénateur Léger: Oui.

Mme Valaskakis: Notre organisme est constitué exclusivement d'Autochtones. Ce sont tous des chefs autochtones.

Le sénateur Léger: J'ai mal compris quelque chose alors.

La présidente: Je crois que nous parlions de Santé Canada.

Mme Valaskakis: Le groupe de Santé Canada, peut-être.

Le sénateur Léger: Il s'agit de quelque chose que nous avons mentionné ici.

La présidente: Oui, il s'agissait du comité consultatif de Santé Canada.

Mme Valaskakis: Ce groupe consultatif regroupe des Autochtones et des non-Autochtones, mais je crois que les Autochtones sont désignés par l'Assemblée des premières nations.

Le sénateur Léger: Par conséquent, cela ne peut être changé. Cela ne relève pas de vous. Est-ce la conclusion à tirer?

Mme Valaskakis: La Fondation pour la guérison des Autochtones est un organisme entièrement autochtone. Les 17 membres du conseil sont tous autochtones.

Le sénateur Léger: J'ai crû comprendre que lorsque des projets vous sont soumis, vous ne vous contentez pas de répondre que cela ne convient pas et que la demande doit être présentée de nouveau. Pouvez-vous aussi envoyer quelqu'un pour les aider à remplir ces formulaires qui sont parfois difficiles à comprendre? Est-ce une bonne idée?

Mme Valaskakis: Oui, nous le faisons par l'entremise de nos travailleurs en soutien communautaire. Nous en avions 10; nous en avons maintenant 6, je crois. Ils se rendent dans les collectivités sur demande et c'est exactement ce qu'ils font. Il s'agit là d'une de nos réussites.

Le sénateur Léger: Mon expérience avec les questionnaires, c'est qu'il arrive très souvent que les questions soient formulées de telle façon que nous ne comprenons pas vraiment — lorsque je dis «nous», j'imagine qu'il en va de même pour les Autochtones. Nous avons les mêmes bonnes intentions, mais le processus est long. C'est la raison pour laquelle je me demandais si une personne est envoyée sur place dans la mesure où nous pouvons le faire.

Le sénateur Johnson parlait des évaluations positives. Diffusez-les. Répandez la bonne parole, s'il vous plaît. Lorsque j'ai entendu parler de suicide et de toutes ces terribles choses qui se sont passées, ce qui constitue le fondement de votre étude, j'ai pleuré parce que je n'avais jamais été touchée par cela. Lorsque j'en ai entendu parler, j'ai été très émue. Nous devons faire baisser les taux de suicide. S'il vous plaît, répandez la bonne nouvelle au sujet des succès et des accomplissements des Autochtones.

Le sénateur Johnson: J'ai trouvé ma liste de projets et je voulais vous demander quelque chose. La Winnipeg Metis Association a reçu 345 800 $ pour déterminer les besoins des survivants des pensionnats et de leurs familles de même que pour mettre au point un programme de guérison globale. Les survivants de ces pensionnats auraient dans la cinquantaine. Je suppose qu'on se concentrerait alors sur les familles. Est-ce la raison pour laquelle l'association a reçu autant d'argent?

Mme Valaskakis: Oui.

Le sénateur Johnson: Je vais me renseigner sur ce programme chez moi. J'étais curieuse de savoir si vous aviez de l'information.

Mme Valaskakis: Ce programme s'adresserait aux jeunes et à leurs familles.

Le sénateur Johnson: Il faudrait leur demander combien de survivants des pensionnats participent en fait à ce programme particulier. C'est une association de Métis. Cependant, je suppose que si je m'adressais à eux, ils pourraient me donner des précisions.

Mme Valaskakis: Oui. Nous aurions les chiffres exacts sur le formulaire de demande parce qu'ils doivent nous dire combien de personnes qui participent au projet ou donnent leur avis sont des survivants des pensionnats.

Le sénateur Johnson: Avant d'entreprendre notre tournée à l'automne, nous devons décider des endroits où nous rendrons et à qui nous parlerons. Je n'ai pas eu la chance de lire tous les documents, mais j'ai remarqué qu'il y a deux ou trois projets ici de Winnipeg ou d'ailleurs au Manitoba. Je ne connaissais rien au sujet d'un d'entre eux et je suis habituellement au courant à tout le moins des projets qui touchent Winnipeg.

Mme Valaskakis: Je peux vous fournir des précisions sur ceux du Manitoba, si vous voulez.

Le sénateur Johnson: Nous allons probablement communiquer avec vous pour obtenir davantage d'information lorsque nous mettrons la dernière main à notre programme de voyage. Nous voulons nous renseigner davantage sur place afin d'intégrer cette information au reste de nos travaux.

La présidente: Je viens tout juste de trouver cette information dans vos documents également. Je ne vois qu'un seul projet en Alberta et c'est à Lethbridge. Qu'en est-il de nos projets destinés aux jeunes en Alberta?

Mme Valaskakis: À mon avis, il n'y a pas autant de projets pour les jeunes qu'on le penserait. Cela est dû en partie au fait qu'il est difficile pour les jeunes de présenter une demande à l'égard de projets de ce genre. C'est la raison pour laquelle nous avons tenu la conférence. Nous avions espéré tenir une deuxième conférence des jeunes, mais nous tiendrons plutôt en 2002 une conférence d'envergure sur les pensionnats. Les jeunes se réuniront en marge de cette conférence, mais nous n'organiserons pas une conférence distincte pour eux. Je suis d'accord avec vous. Il est surprenant de voir combien de jeunes Autochtones dans les régions urbaines sont en mesure de présenter une demande pour des projets.

La présidente: Je constate qu'ils sont en train de s'organiser, mais sont-ils au courant des projets? Je sais qu'ils ont entendu parler de la fondation pour la guérison mais ont-ils l'impression qu'ils pourraient présenter une demande? Je crois qu'il pourrait s'agir d'un manque de communication.

Mme Valaskakis: Vous avez peut-être raison. Il est difficile d'entrer en communication avec les jeunes. Nous avons essayé de le faire par l'entremise des jeunes délégués à la conférence que nous avons tenue.

La présidente: Je puis vous assurer qu'ils seront mis au courant de la situation dès que je rentre à la maison.

Mme Valaskakis: C'est bien. J'ai dit que le conseil d'administration dispose d'une stratégie en ce qui a trait aux jeunes parce que leur situation les préoccupe énormément. Un numéro spécial de notre bulletin a été consacré aux jeunes. Nous avons oublié de l'apporter, mais nous pourrions vous le faire parvenir.

La présidente: Nous vous en saurions gré.

Mme Valaskakis: Une partie de notre site Web est consacrée aux jeunes. Ils peuvent ainsi se parler de leurs problèmes. Nous avons essayé de mettre davantage l'accent sur les jeunes. Un jeune Autochtone siège au conseil. C'est le groupe initial qui s'est rassemblé à ce que nous appelons la réunion Squamish qui avait fait cette suggestion. Ce membre du conseil communique également avec les jeunes, mais je sais que nous n'obtenons pas les résultats escomptés.

La présidente: Je vous saurais gré de me faire parvenir l'information pour que je puisse la transmettre à nos jeunes étant donné que j'ai affaire à eux presque tout le temps partout en Alberta.

Mme Valaskakis: Je le ferai.

La présidente: Si personne d'autre n'a de questions à poser ou d'observations à faire je vais alors remercier nos deux témoins de cet exposé. Cela nous donne de l'espoir. Je sais qu'il se passe beaucoup de choses dans les collectivités en dépit du manque de financement et de communication. Je suis convaincue que nous communiquerons de nouveau avec vous.

Mme Valaskakis: Nous vous remercions de nous avoir invités. Je viens tout juste de me rappeler que nous avons un programme de subvention pour les projets de moins de 50 000 $. Je vais vous faire parvenir le formulaire de demande vu qu'il s'agit d'un très bon programme à l'intention des jeunes. Un grand nombre des jeunes qui ont présenté une demande ont reçu une réponse favorable parce que le formulaire n'est pas aussi compliqué que l'autre à remplir.

Je vous remercie une fois de plus. Le travail que vous accomplissez est important et nous vous sommes très reconnaissants.

La présidente: Merci.

La séance est levée.


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