Délibérations du Comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts
Fascicule 19 - Témoignages
OTTAWA, le mardi 6 novembre 2001
Le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts se réunit aujourd'hui à 18 h 02 pour examiner le commerce international des produits agricoles et agroalimentaires et les mesures à court et à long termes pour la santé du secteur agricole et agroalimentaire dans toutes les régions du Canada.
Le sénateur Leonard J. Gustafson (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président: Honorables sénateurs, ce soir nous examinons le commerce international des produits agricoles et agroalimentaires et les mesures à court et à long termes pour la santé du secteur agricole et agroalimentaire dans toutes les régions du Canada.
Nous accueillons avec plaisir l'honorable Ralph Goodale, ministre responsable de la Commission canadienne du blé et ministre des Ressources naturelles. Soyez le bienvenu. Nous entendrons votre déclaration, après quoi nous passerons à la période des questions.
L'honorable Ralph Goodale, ministre des Ressources natu relles et ministre responsable de la Commission canadienne du blé: Monsieur le président, j'ai le plaisir d'être accompagné par des fonctionnaires que, j'en suis sûr, au moins certains membres du comité connaissent. M. Howard Migie et Mme Suzanne Vinet sont d'Agriculture et Agroalimentaire Canada. Mme Vinet se spécialise dans les questions touchant le commerce international et M. Migie s'intéresse aux nombreux volets du secteur céréalier au Canada, surtout dans l'Ouest. Nous avons également la présence de M. Brian Oleson de la Commission canadienne du blé.
Je suis heureux d'avoir à nouveau l'occasion de rencontrer les membres du Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts. Je dois préciser, monsieur le président, que je n'ai pas beaucoup de temps ce soir parce que je préside une réunion du comité du Cabinet à 19 heures. Mais nous disposons d'une heure. J'espère que nous pourrons en tirer le meilleur parti possible. Je vais essayer d'être bref dans mes remarques d'ouverture, d'aborder simplement certains des points saillants des différents événements survenus depuis la dernière fois que j'ai eu la chance de comparaître devant le comité.
L'un des sujets que j'aimerais aborder, c'est toute la question de la manutention des grains et de la réforme du transport. Nous en avons discuté en détail lors de ma dernière comparution. À ce moment-là, vous vous souviendrez, il régnait une grande incertitude quant à l'orientation qu'allait prendre le processus de réforme.
En mai et juin derniers, le gouvernement a annoncé sa position stratégique. La Chambre des communes et le Sénat ont adopté des lois dont l'objectif était de faire du système de transport et de manutention des grains un système moins réglementé et axé davantage sur l'aspect commercial, contractuel et concurrentiel. Pour l'industrie céréalière de l'ouest du Canada, cette réforme s'est avérée un événement majeur, créant un contexte bien différent de celui qui avait prévalu dans l'Ouest du Canada pendant de nombreuses décennies.
La transition constitue un défi considérable. Elle a nécessité des négociations longues et ardues entre les divers intervenants du système, plus particulièrement entre la Commission canadienne du blé et les sociétés de manutention des grains, de même que les sociétés ferroviaires. Alors que les difficiles négociations avan çaient lentement au cours de l'an dernier ou à peu près, certains ont à l'occasion proposé que le gouvernement devrait peut-être intervenir dans le processus de négociation. Nous étions réticents à le faire parce que nous estimions qu'en vertu du nouveau cadre stratégique, il appartenait aux parties de négocier dans un esprit plus commercial, contractuel et concurrentiel.
Tout compte fait, je suis heureux de vous signaler que les négociations ont été un succès. Il n'a pas été nécessaire d'intervenir et un processus d'appel d'offres est maintenant en place et efficace. Cependant, nous en sommes seulement à la première partie de la première campagne agricole pour laquelle ce nouveau processus d'appel d'offres est en place. Il reste que jusqu'à maintenant, l'expérience s'avère positive.
Il existe aussi un processus officiel de production de rapports qui sera soumis aux parlementaires en temps opportun. Je serais malvenu de devancer les choses pour l'instant, mais je suis heureux de dire que l'expérience des appels d'offres semble avoir permis la réalisation d'économies considérables dans les coûts de transport et de manutention des grains que doivent assumer les agriculteurs, dans certains cas de l'ordre de 5, 6 ou 7 dollars, voire plus. Ces économies profitent directement aux agriculteurs. Comme je l'ai dit cependant, il est encore tôt pour se prononcer.
Les négociations ont été longues, l'expérience du système d'appel d'offres est encore préliminaire, mais jusqu'à maintenant, tout va bien et les économies semblent se réaliser, comme nous l'avions prévu.
J'aimerais également vous faire part d'un autre élément touchant spécifiquement la Commission canadienne du blé. Nous nous dirigeons actuellement vers la fin de l'année civile après la clôture de la campagne agricole précédente, de sorte que les agriculteurs attendront leurs paiements provisoires et finaux pour la campagne agricole 2000-2001. Ces paiements sont actuelle ment traités par les voies normales et nous prévoyons effectuer les paiements provisoires en novembre. La Commission espère pouvoir envoyer le paiement final en décembre.
La Commission étudie également avec beaucoup d'attention les paiements d'ajustement pour la nouvelle campagne agricole 2001-2002. Il semble que les paiements de rajustement devraient être versés relativement tôt dans la nouvelle campagne agricole, surtout en ce qui concerne certains types d'orge.
Bien sûr, les conditions du marché sont toujours difficiles et les prix fluctuent, comme nous le savons tous, mais selon les approvisionnements mondiaux, les premiers signes indiquent qu'il devrait y avoir un modeste redressement des prix au fur et à mesure que la campagne agricole avance.
J'aimerais aborder certains éléments touchant le commerce. Je suis content que Mme Vinet soit ici ce soir. Elle pourra vous entretenir plus en détail de ces questions si les membres du comité le souhaitent. J'aimerais préciser deux éléments. Vous savez que la ronde de négociations de l'OMC à Doha, au Qatar, est commencée.
En ce qui concerne l'agriculture dans le cadre de ces discussions sur le commerce international, le Canada vise plusieurs objectifs. Premièrement, nous visons l'élimination complète des subventions à l'exportation. Deuxièmement, nous souhaitons obtenir de nouvelles règles de discipline quant aux programmes de soutien interne qui ont un effet de distorsion sur les échanges commerciaux. C'est ce que nous soutenons particulièrement à l'égard de certaines politiques internes tant de l'Europe que des États-Unis. La source de nos difficultés actuelles n'est pas tant les subventions directes à l'exportation, mais les systèmes indirects de soutien interne qui ont un effet de distorsion sur les échanges. Nous nous efforcerons d'obtenir de nouvelles mesures disciplinaires majeures concernant ces systèmes de soutien interne. Troisièmement, nous voulons obtenir partout au monde des conditions d'accès au marché sensiblement amélio rées.
Enfin, en ce qui concerne les entreprises commerciales d'État - ce que l'on appelle les ECE - parmi lesquelles des organisations comme la Commission canadienne du blé sont en général incluses, nous sommes disposés, dans ces discussions internationales, à avoir des pourparlers factuels avec nos partenaires commerciaux internationaux. Cependant, nous ne sommes pas disposés à engager un dialogue théorique ou philosophique ou à débattre d'un quelconque argument fondé sur la plus récente rumeur entendue dans un café de Minot.
Nous avons clairement indiqué aux Américains, aux Européens et aux autres que s'ils ont des plaintes factuelles spécifiques à mettre sur la table, nous sommes disposés à en discuter. Monsieur le président, comme vous le savez, c'est ce que je demande aux États-Unis depuis 1993. On ne m'a pas encore présenté d'argument factuel solide. Il y a beaucoup de rumeurs qui proviennent du café à Minot, mais pas un seul élément de preuve factuelle pour appuyer leurs plaintes à l'égard de la Commission canadienne du blé.
Nous avons l'intention de défendre notre position lors des discussions sur le commerce international concernant les ECE. Notre point de vue est simplement le suivant: de toute évidence, nous souhaitons obtenir l'équité commerciale et des règles du jeu qui sont les mêmes pour tous. L'enjeu n'est pas la nature structurelle d'une entreprise commerciale - il appartient à chaque pays de déterminer la structure de ses activités commer ciales. Le problème, c'est la conduite des entreprises commercia les sur le marché. Nous ne voulons pas que les ECE ou - pour traduire cela en langage canadien - la Commission canadienne du blé, soient désavantagées sur le plan de la concurrence ou du marché, comparativement aux autres acteurs, qui peuvent être mieux en mesure, en raison de leur taille, d'exercer une influence indue sur le marché.
Les discussions de Doha commencent à peine, et le Canada a certainement l'intention de défendre ses positions avec beaucoup de vigueur.
Un deuxième élément touchant le commerce, bien sûr, est l'enquête en cours en vertu de la loi américaine - ce que l'on appelle la «mesure en vertu de l'article 301» - lancée par la North Dakota Wheat Commission concernant la Commission canadienne du blé. En ce qui a trait à cette plainte, le processus d'enquête est en cours. Nous avions prévu que des rapports pourraient être publiés vers la fin de l'année, mais il semble que les événements touchant la sécurité et d'autres préoccupations aux États-Unis aient modifié le calendrier et le cours des choses. Nous n'attendons aucune évolution significative dans ce dossier avant l'an prochain.
Cependant, je répète que cette plainte de la part des États-Unis n'a rien de nouveau. Il n'y a rien de nouveau dans les allégations de la North Dakota Wheat Commission. Ces questions ont fait l'objet d'enquêtes de la part de divers organismes américains non moins de huit fois au cours de la dernière décennie.
Pour être certain que l'information est bien consignée au compte rendu, je vais la résumer brièvement: la U.S. International Trade Commission a mené des enquêtes en 1990 et 1994; le U.S. General Accounting Office, en 1992, 1996 et 1998; un groupe spécial binational puis un cabinet international de vérification indépendant, aux termes de l'Accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis, au début de 1993, enquête qui s'est poursuivie pendant des mois; et, plus récemment, par le département du Commerce des États-Unis en 1999. Au total, il y a eu huit enquêtes distinctes menées par huit organismes américains différents en l'espace d'une décennie. Résultat de tout cela: huit à zéro en faveur du Canada. Autrement dit, aucune de ces enquêtes n'a trouvé de preuves sur lesquelles baser une allégation de pratiques commerciales déloyales contre la Commis sion canadienne du blé.
Nous prévoyons que le résultat de cette nouvelle enquête - la neuvième - sera de même nature. Nous avons certainement l'intention de défendre notre position avec vigueur. Le Canada n'acceptera pas - et permettez-moi d'insister là-dessus - de restreindre ses exportations de blé. En ce qui concerne les mesures futures que les États-Unis pourraient envisager à la suite de cette plainte, nous allons certainement exiger qu'ils respectent les engagements qu'ils ont pris sous l'égide tant de l'OMC que de l'ALENA.
Il y a plusieurs autres questions dont je souhaiterais discuter au début de cette réunion, mais comme nous n'avons pas beaucoup de temps, je vais m'arrêter ici et répondre à vos questions.
Le président: Merci, monsieur le ministre. Je suis certain que nos sénateurs ont des questions.
J'aimerais en poser une au sujet des expéditions de grains, à laquelle les fonctionnaires de la Commission canadienne du blé peuvent répondre. Des agriculteurs me disent que c'est tranquille, surtout pour certains grades de blé dur. Autrement dit, on accepte le blé dur hybride numéro un, mais il n'y en a pas beaucoup dans le sud. J'en ai parlé avec des agriculteurs du Nord qui me disent la même chose. Est-ce à cause des événements du 11 septembre, compte tenu du blé dur qui est acheminé à cette région du pays?
M. Goodale: Il n'y a pas d'impact direct que nous puissions mesurer ou quantifier. Cependant, il est vrai que les économies du monde entier ont été frappées depuis le 11 septembre. De toute évidence, on observe dans bien des régions du monde un ralentissement généralisé de l'activité économique. Chaque pays s'en ressentira, que ce soit sur ses échanges commerciaux, ses comptes nationaux et ainsi de suite. Cependant, à ce que je sache, il n'y a pas d'interférence mesurable directe ou d'impact sur le commerce des grains.
Le président: Comment les pourcentages d'exportation se comparent-ils à ceux des autres années, par exemple, pour cette période-ci?
M. Goodale: Je vais demander à M. Oleson de répondre à cette question.
M. Brian T. Oleson, économiste principal, Commission canadienne du blé: Cette année est relativement courte, simplement parce que la récolte est moins abondante. Le commerce mondial lui-même a légèrement diminué par rapport à l'an dernier. Pour l'année, nous nous attendons à ce que notre inventaire final de blé dur et d'orge se situe dans la normale à la fin de l'année.
Le président: Nous entendons de la part de sociétés céréalières qui achètent nos produits des rumeurs et des suggestions voulant que les expéditions de blé dur soient peut-être réduites cette année. Entendez-vous la même chose de nos acheteurs ou des personnes à qui nous vendons?
M. Oleson: Le marché du blé dur est un peu plus lent. Cependant, si vous prenez l'important inventaire de fin d'année dont nous avons hérité au début de cette année, en tenant compte également de la plus petite récolte que nous avons eue, alors les inventaires de fin d'année, si ma mémoire est bonne, vont ressembler passablement à ceux que nous avons connus au cours des quelques dernières années.
Le président: Compte tenu de la sécheresse au Manitoba, en Saskatchewan et dans certaines régions de l'Alberta, quel pourcentage des grains obtiendrons-nous comparativement à ce que l'on avait l'habitude d'obtenir, en moyenne? Est-ce que la Commission canadienne du blé a fait des études là-dessus, ou est-il trop tôt?
M. Oleson: La Commission canadienne du blé a fait beaucoup d'études à ce sujet. Je ne connais pas aussi bien que je le souhaiterais pour répondre à votre question les chiffres précis sur les expéditions, mais notre programme général pour l'année sera relativement sain, compte tenu de la production que nous avons. Cependant, la production du blé a beaucoup baissé, ce qui fait que notre programme général diminuera considérablement pour cette raison.
Le président: Est-ce que l'on a établi un pourcentage à cet égard?
M. Oleson: Je vais parcourir les chiffres et vous les donner dans quelques minutes, si cela vous convient.
Le sénateur Wiebe: L'un des problèmes qu'il y a à faire la navette entre Regina et Ottawa, c'est que ça prend six heures - bien que cela comporte certains avantages en corollaire. Diman che, le ministre était dans le même avion que moi. J'ai pu le bombarder de questions pendant six heures. Je me dois de le remercier de son accueil et de ses réponses franches à mes questions.
J'aimerais continuer dans la lignée des questions du président. Depuis la récolte, nous avons constaté une augmentation lente mais constante du prix du blé dur. Je crois que cela reflète le fait que nous produisons un blé dur de si bonne qualité et que la récolte a été d'environ 20 p. 100 inférieure à la normale à cause de la sécheresse.
Cependant, en ce qui concerne le blé, bien que le prix soit plus élevé maintenant qu'il ne l'était au départ, il a énormément fluctué sur les marchés. Il a augmenté considérablement, puis baissé, puis augmenté à nouveau beaucoup. Y a-t-il de l'incertitu de dans certains de nos marchés de l'Asie par suite des événements du 11 septembre, quant à savoir s'ils devaient engager des fonds pour acheter ce produit? Est-ce peut-être à cause de cela qu'il est difficile de voir les prix se stabiliser?
M. Oleson: Vous avez probablement raison en ce qui concerne l'incertitude.
Il y a longtemps eu des pressions plutôt haussières sur le marché et sur les facteurs économiques sous-jacents. Cependant, pour diverses raisons, cela ne s'est pas concrétisé sur le marché même.
Si vous prenez les facteurs sous-jacents du marché du blé, la plupart des économistes diront que les prix auraient dû se raffermir plus tôt. L'une des conséquences des événements du 11 septembre est que les acheteurs commencent à se demander à quel point ils peuvent se permettre de vivre au jour le jour en ce qui a trait aux inventaires. Les acheteurs étaient convaincus de pouvoir se contenter d'un inventaire au jour le jour, sachant que les exportateurs seraient toujours là pour leurs approvisionne ments.
Tout le monde a été bouleversé par les événements du 11 septembre et les gens réévaluent probablement la façon dont ils considèrent les affaires et les inventaires, entre autres choses. À notre avis, le marché du blé a un potentiel haussier, mais il ne s'est pas encore concrétisé.
Si vous prenez les facteurs sous-jacents, des pays comme la Chine semblent commencer à prendre un tournant: ils étaient de grands exportateurs, puis ont pratiquement disparu du marché, et tout à coup semblent prendre beaucoup de force pour les prochaines années. Tous ces facteurs ont exactement l'effet que vous décrivez. Le marché est un peu nerveux. Une fois qu'on occupe une position où on se nourrit dans le fond du marché, et c'est notre cas avec le blé - et soyons réalistes, c'est effectivement le cas - toute nervosité réelle peut faire grimper le marché avant qu'il s'écroule de nouveau. C'est exactement ce dont nous avons été témoins.
Le sénateur Tkachuk: Lors de la réunion du 9 octobre du Comité des voies et moyens de la Chambre des représentants des États-Unis, leur secrétaire au Commerce a dit qu'il croyait que la Commission canadienne du blé pratique des prix déloyaux. Il a indiqué que les États-Unis devraient essayer d'éliminer ces pratiques ou de réduire le monopole de la Commission.
Avez-vous donné suite à sa déclaration? Quel est leur argument le plus fort pour soutenir que la Commission pratique des prix inéquitables?
M. Goodale: L'argument que j'entends de divers représentants américains - pour résumer - c'est que le système canadien est différent du système américain et que, par conséquent, les Canadiens doivent tricher. Ce n'est pas plus sophistiqué ou éloquent que cela. Je leur demande de donner des précisions et je leur demande exactement où, quand et comment. Ils ne sont jamais capables de fournir de détails factuels. C'est un instinct, une intuition, une suspicion de leur part.
Lorsqu'on leur demande des détails, ils ne nous en donnent pas. J'ai dit que s'il y a une plainte ou un problème, ils devraient me donner les faits. Nous sommes disposés à discuter en nous basant sur les faits, pas sur des anecdotes, des récits, des rumeurs ou des insinuations.
C'est ce que je dis à mes homologues américains depuis huit ans maintenant. Ils ne sont pas capables d'être plus précis. On me dit: «Eh bien, c'est une ECE, donc il doit s'agir d'une subvention.» Je réponds: «Très bien, dites-moi exactement où.» Ils ne sont jamais capables de le faire.
Il ne s'agit pas d'avoir un dialogue à bâtons rompus ou une discussion informelle entre des ministres canadiens de notre côté, et des secrétaires et d'autres fonctionnaires du côté américain. Les Américains ont examiné - officiellement, formellement et de façon exhaustive - le système canadien au moins huit fois au cours de la dernière décennie en utilisant tous les moyens sophistiqués comme la International Trade Commission des États-Unis, le General Accounting Office au Congrès, le département du Commerce, les instances dont ils peuvent se prévaloir en vertu de l'Accord de libre-échange, les groupes binationaux, et ainsi de suite. Il y a eu huit enquêtes différentes. Chaque fois, la conclusion a été qu'ils ne possèdent aucune base à partir de laquelle ils peuvent faire une allégation contre le Canada et plus spécifiquement contre la Commission canadienne du blé en ce qui concerne des pratiques commerciales déloyales. Mais ils ne lâchent pas prise.
Bien honnêtement, il semble que les divers gouvernements américains répondent aux impératifs de la politique locale aux États-Unis, chaque fois que quelqu'un appuie sur un bouton rouge ou commence à grincher.
Le sénateur Tkachuk: Qu'est-ce qu'un agriculteur du Dakota du Nord ou du Montana obtient pour du blé à forte teneur en protéines comparativement à l'agriculteur du sud de la Saskatche wan, par exemple? Je ne suis pas les marchés au jour le jour, mais qu'est-ce que cet agriculteur du Dakota du Nord ou du Montana obtient en dollars américains si on voulait faire la comparaison? Sur les marchés intérieurs, qu'est-ce que les Canadiens et les Américains obtiennent pour leur blé?
M. Goodale: Sénateur, il serait difficile pour nous de donner cette information ce soir. Cependant, nous pourrions fournir au comité des échantillons représentatifs de ce que génère le marché. Il nous est possible de recueillir l'information.
Le sénateur Tkachuk: Pourriez-vous nous donner des chiffres approximatifs? Vous êtes ministre responsable de la Commission canadienne du blé. Quelle est la situation sur le plan international?
M. Howard Migie, directeur général, Direction de la politique du marketing, Direction générale de la politique stratégique, Agriculture et Agroalimentaire Canada: Chaque fois que nous comparons les prix, on nous écrit pour nous dire qu'on a vu un prix à un élévateur en particulier qui était bien plus élevé. Nous faisons enquête pour nous rendre compte qu'il s'agit d'un produit de qualité différente ou que le prix était plus élevé pour une raison ou à un moment en particulier.
M. Goodale: Les taux de change et les différences dans les coûts de transport n'ont peut-être pas été pris en compte. En faisant ces enquêtes, nous avons constaté que d'un côté ou de l'autre de la frontière, on se plaint d'un grand écart dans les prix. Nous prenons en compte tous ces éléments pour constater que lorsqu'on compare le même grade et la même qualité d'un côté de la frontière au même grade et à la même qualité de l'autre côté, après avoir tenu compte de facteurs comme les taux de change et les coûts de transport, on se retrouve avec des prix semblables.
Le sénateur Tkachuk: En tenant compte des différences entre le dollar canadien et le dollar américain, les prix sont semblables. Quelles répercussions cela a-t-il sur nos marchés à l'exportation? Quand nous vendons notre blé à la Chine, à quel prix les Américains vendent-ils le leur et à quel prix vendons-nous le nôtre?
M. Oleson: Le marché nord-américain est un marché spécial par rapport aux marchés mondiaux. Le rendement que nous tirons de la vente de notre blé aux meuneries canadiennes et américaines sera légèrement plus élevé que celui que l'on obtient sur le reste des marchés mondiaux. Cela est vrai de toutes les céréales vendues en Amérique du Nord parce que, en général, le marché est plus favorable.
Le c9ur de la question concerne le rendement total qu'obtient l'agriculteur américain de la vente de ses céréales comparative ment à l'agriculteur canadien. L'un des aspects frustrants du système américain, c'est qu'une trop grande partie du revenu net de l'agriculteur américain provient de programmes de subventions directes et indirectes qui existent aux États-Unis.
C'est là un des problèmes que l'agriculteur américain éprouve à l'égard du système canadien, c'est-à-dire qu'il reçoit beaucoup d'argent qui provient indirectement de l'extérieur du marché agricole. Nous obtenons tous des prix semblables. Nous pensons que parce qu'il s'agit de blé canadien et en raison de la façon dont nous commercialisons le produit, les Canadiens retirent peut-être un avantage. C'est un petit avantage, mais ce n'est rien comparativement à l'argent qui est versé par l'entremise du système de subventions aux États-Unis.
Cela crée un certain blocage mental aux États-Unis en ce qui a trait à leur système. Ce qu'ils perçoivent, c'est un système purement commercial qui régit la vente et l'achat du blé. Entre-temps, il y a énormément d'ingérence de la part du gouvernement dans le système par l'entremise des subventions - directes et indirectes - qu'obtiennent les agriculteurs américains. L'agriculteur américain a beaucoup plus d'argent dans ses poches lorsque l'on fait le total du prix net plus la subvention.
Le sénateur Tkachuk: Je comprends cela. Je sais que les États-Unis n'ont rien à envier à personne pour ce qui est d'aider les agriculteurs. Les sommes versées aux États-Unis sont considérablement plus élevées qu'au Canada. Cependant, est-ce qu'on parle ici d'un prix qui est à peu près le même des deux côtés de la frontière - disons 3 dollars le boisseau des deux côtés - nous en dollars canadiens, eux en dollars américains? Si les sommes qu'obtient l'agriculteur des deux côtés de la frontière sont exactement les mêmes - c'est-à-dire en dollars équivalents - pourquoi les Américains pensent-ils qu'ils sont désavantagés?
M. Goodale: Cela revient en partie à ce que M. Oleson a dit en ce qui a trait à notre système qui est différent du leur et qui, par conséquent, soulève des doutes aux États-Unis dû au fait que c'est un système qu'ils ne connaissent pas. Par conséquent, ils supposent qu'il y a quelque chose de louche, ce qui est faux.
La plainte ou la préoccupation des États-Unis découle en partie de la situation mondiale dans laquelle nous nous trouvons depuis longtemps, où les prix des céréales ont été faibles. Les agriculteurs des États-Unis, s'ils ne prennent que leur rendement et laissent de côté les subventions qu'ils reçoivent, constatent comme les agriculteurs canadiens un niveau de rendement du marché qui leur semble tout à fait inadéquat.
Ils cherchent à s'expliquer la situation et disent que cela doit être imputable à l'avalanche de céréales qui viennent de l'autre côté de la frontière, du Canada, et qui vient faire baisser leurs prix. Premièrement, il n'y a pas d'avalanche. Les volumes sont très normaux par rapport aux flux et reflux de l'offre et de la demande.
Comme nous l'avons signalé, les céréales sont acheminées sur le marché américain à des prix tout à fait concurrentiels. L'un des objectifs commerciaux de la Commission canadienne du blé est d'obtenir le meilleur prix possible, pas le prix le plus bas; c'est le marché haut de gamme qu'elle recherche, pas les ventes à bas prix.
Lorsqu'on parle aux entreprises américaines qui achètent des grains canadiens, que ce soit la North American Millers Association, le U.S. Feed Grains Council, les producteurs de pâtes ou autres, ils disent deux choses. Premièrement, la qualité du blé canadien est supérieure; ils veulent cette qualité et ils en ont besoin. Ils en ont besoin pour leurs procédés de transformation aux États-Unis. Ils veulent avoir accès aux céréales de qualité supérieure qui viennent du Canada. S'ils ont une plainte à faire contre le Canada, c'est que notre prix est trop élevé. Si vous parlez à des acheteurs aux États-Unis, ils contredisent complète ment l'argument que nous venons casser le prix américain sur le marché. Nous ne le faisons pas.
Le président: Nos prix sont le prix initial, il y a ensuite un paiement provisoire et un paiement final. Il y a ici une différence en ce qui concerne l'argent qui va directement dans les poches de l'agriculteur.
Je suis allé au Dakota du Nord, et leur blé dur se vend 4 dollars le boisseau à l'élévateur, c'est-à-dire le prix qui est accordé à l'agriculteur. Il n'y a pas de coûts de transport à déduire. Notre blé dur numéro deux se vendra à environ 3,17 dollars, paiement canadien initial. Je serais très surpris d'obtenir 6 dollars canadiens pour mon blé dur. J'en serais heureux, tout comme le sénateur Wiebe.
Le sénateur Tkachuk: Monsieur le ministre, je croyais au départ que vous parliez dollar pour dollar, dollar canadien par opposition au dollar américain. Ensuite je vous ai entendu dire que vous parliez de sommes équivalentes.
Même si le gouvernement fédéral défend ardemment la Commission canadienne du blé, je ne crois pas que quiconque soutienne qu'une proportion importante des agriculteurs qui vendent leurs produits du blé et de l'avoine à la Commission canadienne du blé ne veulent pas de la Commission ou veulent un système leur permettant de choisir. Je suis certain que la majorité des agriculteurs albertains croient cela; en Saskatchewan, ce n'est probablement pas le cas. Cependant, cela fait quand même un nombre important.
Une entreprise est jugée à l'aune des services qu'elle offre à ses clients. Presque la moitié des clients sont insatisfaits de la façon dont la Commission canadienne du blé fonctionne. Pourquoi? Ce sont eux qui utilisent ses services. Pourquoi sont-ils mécontents?
M. Goodale: Je vais inviter M. Oleson à faire quelques observations au sujet de cette question, mais je vais d'abord faire ces commentaires.
Une grande partie des inquiétudes vient du fait que, comme je l'ai dit tout à l'heure, les marchés mondiaux des grains sont déprimés depuis longtemps. Naturellement, cela crée de la frustration chez les agriculteurs au sujet des niveaux de rendement qu'ils tirent de leur production. Ils se demandent si une approche commerciale différente ne serait pas meilleure pour eux.
En partie, c'est à cause de cette situation qui règne dans le monde depuis longtemps - depuis trop longtemps. Nous espérons tous être à la veille d'un revirement du marché qui apportera de meilleurs rendements aux agriculteurs et donc, créera une meilleure atmosphère.
Lorsque les temps sont aussi difficiles qu'ils le sont, il est naturel que les gens, dans n'importe quel système de marché, se posent des questions au sujet du système. Fait-il partie du problème, ou de la solution?
La réponse pratique et complète à votre question - même si elle ne sera peut-être pas bien comprise dans toute la région desservie par la Commission canadienne du blé - c'est que le système de régie de la Commission canadienne du blé a, ces dernières années, changé de façon radicale. Avant, la Commission canadienne du blé était dirigée par cinq commissaires nommés par le gouvernement fédéral qui s'occupaient de tout et qui étaient redevables au gouvernement fédéral qui les avait nommés. Comme vous le savez, cet ancien système de commissaires n'existe plus.
Le sénateur Tkachuk: Mais maintenant, la Commission a aussi un bon président.
M. Goodale: La Commission canadienne du blé est maintenant dirigée par un conseil d'administration moderne. Dix de ses membres sont directement élus par les agriculteurs, cinq sont nommés pour faire valoir les intérêts du public en général.
La loi prévoit que si le mandat de la Commission canadienne du blé doit être changé à l'avenir, il faudra essentiellement deux choses. Premièrement, le ministre du jour devrait consulter les producteurs dûment élus de la Commission canadienne du blé - les personnes qui sont élues par les agriculteurs pour occuper ces postes. Deuxièmement, il faudrait un vote chez les producteurs quant à savoir s'ils veulent ou non le changement. Le mandat de la Commission peut, à l'avenir, être modifié, mais à ces deux conditions.
La grande différence entre la situation actuelle et la situation antérieure, c'est que ce sont les agriculteurs qui sont aux commandes. Ils contrôlent ce que la Commission canadienne du blé fera et ne fera pas à l'avenir. Il s'agit d'un processus très démocratique articulé principalement autour du fait que ces administrateurs agissent dans un système démocratique où les producteurs sont élus.
Le sénateur Wiebe: J'ai dit à ma femme l'autre jour que plus je vieillis, plus je perds la mémoire. Elle m'a répondu que le cerveau d'une personne est comme un ordinateur, plus l'ordina teur est vieux, plus le disque dur est rempli. Et plus le disque dur est rempli, plus cela prend de temps pour récupérer l'information qu'on cherche.
C'est un peu mon problème ce soir. Peut-être M. Oleson peut-il me répondre. Le débat au sujet de la double commerciali sation, de la Commission et de la libre commercialisation se poursuit depuis un bon moment et ce n'est pas fini. C'est un débat intéressant. Peu importe que le débat soit réglé ou non, la crise actuelle des agriculteurs, elle, ne le serait pas.
J'ai pris connaissance d'une étude indépendante commandée soit par la Commission canadienne du blé, soit par le ministère de l'Agriculture du Canada. L'auteur comparait, sur une période de cinq ans, ce que chaque agriculteur canadien a vendu au Canada dans le système de la Commission canadienne du blé à ce que chaque Américain a vendu aux États-Unis sur le marché libre. Les agriculteurs du Canada encaissaient un rendement net considéra ble. Je ne connais pas le chiffre exact, mais c'était très important. Est-ce que vous avez ces chiffres?
M. Oleson: Cette étude a été réalisée par Darryl Kraft, de l'Université du Manitoba, Hartley Furtan, de l'Université de la Saskatchewan, et Ed Tyrchniewicz, qui était doyen de l'Université de l'Alberta à l'époque.
Votre description de la méthodologie est plus ou moins exacte. La subtilité est que les auteurs ont comparé ce que l'agriculteur canadien a perçu en vertu du système de la Commission canadienne du blé comparativement ce qu'il aurait perçu si la Commission canadienne n'avait pas existé ou s'il y avait eu un système de prix de vente multiples. Selon les années, ces chiffres variaient beaucoup, passant d'environ 12 dollars à 35 dollars la tonne. Ce que l'agriculteur canadien a reçu était imposant. Peut-être est-il préférable d'examiner la question en fonction du prix à la tonne. Si l'on prend le chiffre sur toute la période du programme d'exportation, vous avez raison, c'est 200 ou 300 millions de dollars.
Il ne faut pas oublier - et cela nous ramène à une question qui a été posée antérieurement - que durant cette période, il faut inclure la période de subvention des exportations des États-Unis, qui a perturbé les marchés mondiaux de façon incroyable. Dans cette situation, la Commission canadienne du blé a utilisé le système pour obtenir un prix beaucoup plus important que cela n'aurait été le cas dans un marché à vendeurs multiples. Selon le système de subvention des exportations des États-Unis, certains marchés étaient admissibles aux subventions à l'exportation, d'autres non. Le système de la Commission canadienne du blé pouvait faire concurrence directement dans les deux cas, alors que dans un système à vendeurs multiples, vous vous retrouveriez avec le plus faible dénominateur commun.
Je reviens ici à une question antérieure d'un sénateur sur certaines des frustrations à l'égard de la Commission canadienne du blé. Jusqu'en 1995-1996, pour toute cette période, c'est-à-dire essentiellement la période au cours de laquelle se sont déroulées les négociations de l'Uruguay Round, les États-Unis ont accordé des subventions à l'exportation qui variaient entre 20 dollars et 50 dollars la tonne. Cela voulait dire que le prix de l'autre côté de la frontière, parfois, pouvait être de 40 dollars la tonne plus élevé à cause de ces subventions.
Les États-Unis ont cessé d'accorder des subventions à l'exportation en 1995-1996. Une partie de ces pressions s'est atténuée, mais il y a un grand décalage dans les perceptions. Comme vous vous en souviendrez, durant cette période, il y a eu des poursuites en ce qui a trait à la traversée de la frontière, et ainsi de suite. Certes, c'était une période difficile pour la Commission canadienne du blé dans ses rapports avec ses clients, comme vous l'avez bien fait remarquer.
Le sénateur Chalifoux: Messieurs, votre exposé est intéressant et pertinent, surtout compte tenu des discussions de l'OMC qui viennent de commencer, portant particulièrement sur l'agriculture.
Depuis les années que je siège au comité, dans nos déplacements, j'ai constaté que tant à l'Union européenne que chez les Américains, personne ne connaît le Canada. Lorsque nous parlons d'agriculture, les gens nous regardent l'air absent et disent: «Eh bien, nous n'en connaissons rien» ou «Nous connaissons certaines choses, mais ce ne sont que des rumeurs et des insinuations», comme vous dites.
J'aimerais savoir - mis à part le bureaucrate qui viendra voir ce qui se passe dans vos bureaux à Winnipeg - ce que vous faites, le cas échéant, pour informer les principaux intervenants de ces pays. C'est important, compte tenu des pourparlers de l'OMC, parce que nous perdons du terrain, non pas parce que nous ne faisons pas d'efforts, mais parce que ces gens-là doivent être informés.
M. Goodale: L'une des institutions les plus utiles concernant l'éducation et l'information au sujet du système de commerciali sation du grain au Canada est un organisme de Winnipeg que l'on appelle l'Institut international du Canada pour le grain (IICG) et qui est appuyé en partie par la Commission canadienne du blé et par la Commission canadienne des grains, notamment. Il s'agit d'une institution remarquable qui transmet d'excellents renseigne ments sur le fonctionnement du système canadien du grain - tant dans notre propre pays que sur les marchés internationaux. J'aimerais bien que l'on trouve les moyens d'élargir et d'accélérer le travail de l'IICG, comme on l'appelle, l'Institut international du Canada pour le grain, parce que c'est un bon outil international tant pour les Canadiens que pour les autres.
Outre l'IICG, il y a des échanges informationnels qui se font à l'occasion entre les fonctionnaires du gouvernement fédéral et des États américains qui viennent au Canada, et il y a en retour des visites qu'effectuent les fonctionnaires fédéraux et provinciaux du Canada aux États-Unis. Il y a des échanges réguliers. Mme Vinet me corrigera peut-être, mais au moins deux fois par année - peut-être plus souvent - le gouvernement du Canada, dans ce cas-ci Agriculture et Agroalimentaire Canada, et le département de l'Agriculture des États-Unis se rencontrent et comparent les activités dans leurs secteurs agricoles respectifs et essaient de prévoir les problèmes et de les régler avant qu'ils ne deviennent de graves irritants commerciaux.
Toute une gamme de mécanismes sont en place, mais je prends bonne note du point que vous soulevez. Nous devrions faire plus d'efforts dans ce domaine pour nous assurer que le reste du monde comprend bien ce que nous faisons, pourquoi nous le faisons et comment nous le faisons. Nous devrions démystifier certains des processus afin qu'il n'y ait pas cette supposition d'instinct, comme je l'ai dit tout à l'heure au sénateur Tkachuk, que si nous faisons les choses différemment, cela veut dire que nous devons avoir tort.
Il nous faut améliorer le niveau d'information et de compréhen sion. J'ai participé à un certain nombre de rencontres aux États-Unis avec la National Association of Wheat Growers, avec le Feed Trade Council, la North American Millers Association - diverses organisations aux États-Unis - pour essayer d'amélio rer le niveau d'information, de sensibilisation et de compréhen sion afin de démystifier la façon dont nous procédons au Canada. Cependant, nous pourrions faire davantage et, bien honnêtement, c'est là un domaine où les membres du Sénat et de la Chambre des communes pourraient vouloir s'impliquer et entreprendre le dialogue avec nos homologues des États-Unis pour tenter d'améliorer la façon dont on se comprend mutuellement.
Peut-être pourrais-je demander à Mme Vinet et à M. Oleson de donner des détails sur certains moyens qui servent actuelle ment à acheminer l'information. Peut-être, monsieur le président, votre comité et vos homologues de l'autre endroit pourraient-ils essayer de voir s'ils ont un rôle à jouer pour traiter avec vos homologues des États-Unis afin de favoriser la compréhension mutuelle. Nous devons reconnaître que les échanges commerciaux transfrontaliers entre le Canada et les États-Unis approchent les 2 milliards de dollars par jour. Tout compte fait, ce sont là des échanges trop importants pour que l'une ou l'autre des parties ne perde son temps.
Le président: À ce sujet, monsieur le ministre, le comité du Sénat s'est rendu à Washington. Nous avons passé près d'une semaine là-bas à assister à d'excellentes réunions avec des représentants du Congrès, des sénateurs et des agriculteurs. Nous avons découvert que leur discours est bien au point lorsqu'il s'agit des subventions, mais qu'ils ne donnent pas suite à leurs paroles. Si vous leur demandez s'ils vont se débarrasser des subventions, ils nous répondent qu'on rêve, que cela ne se produira jamais. On nous a dit que l'American Agriculture Bureau est le lobby le plus puissant à Washington. Tout représentant du Congrès ou tout sénateur qui n'a pas l'appui de ce lobby ne se fait pas élire. C'est ainsi qu'on nous a en toute candeur expliqué la situation.
M. Goodale: Je comprends que c'est certainement direct de la part des Américains, monsieur le président, mais je pense qu'il est encore utile pour nous de travailler constamment à améliorer nos communications et à être, comme je dirais, toujours derrière eux, mais gentiment.
Mme Suzanne Vinet, négociatrice en chef pour l'agricultu re, Direction de la politique commerciale internationale, Direction générale des services à l'industrie et des marchés, ministère de l'Agriculture: Nous avons des rencontres régulières entre les ministres. Le ministre Goodale a lancé ces rencontres avec son homologue en signant un protocole dans lequel nous avons établi un certain nombre d'enjeux qui doivent être résolus entre les deux pays. Certains ministres se sont engagés à se rencontrer de façon régulière. Les fonctionnaires appuient le travail des ministres en se rencontrant au minimum deux fois par année et plus souvent si nécessaire, parfois en marge d'autres rencontres.
Nous avons également créé un programme de réunions trimestrielles régulières pour examiner la question des grains - plus particulièrement les problèmes dans le commerce du blé. Nous estimons que cela a réussi dans une certaine mesure à éviter des actions et à s'assurer que l'information circule à certains niveaux de l'administration pour éviter d'autres difficultés.
Certaines provinces ont également travaillé activement avec leurs homologues des États du Nord-Ouest. Elles ont tenu plusieurs réunions, une entre autres à Fargo en 1999. Il y a eu une rencontre de suivi au printemps dernier au cours de laquelle on a discuté de plusieurs problèmes - non seulement du commerce des grains, mais de tous les types de production pour lesquels nous avons beaucoup d'échanges commerciaux en Amérique du Nord.
L'ambassade du Canada à Washington est aussi active, comme vous avez vous-même pu le constater, et nous essayons de tenir les représentants du Congrès et les principaux fonctionnaires à Washington bien au courant. Nous avons entrepris une série d'initiatives du genre. Le nouveau gouvernement en place a confirmé son engagement à continuer d'assurer l'information entre les deux pays et à essayer d'éviter les conflits à l'avenir.
M. Oleson: J'aimerais compléter les commentaires de Mme Vinet. Agriculture Canada travaille en étroite collaboration avec l'ambassade et nous sommes impressionnés par une bonne partie du travail qui s'est fait là-bas. Un membre de la galerie a passé trois ans à faire des recherches sur tous les moyens que nous pourrions avoir pour progresser sur cette question. Si vous prenez l'exemple de l'Institut international du Canada pour les grains, le cabinet du ministre, la Commission canadienne du blé, les gouvernements fédéral et provinciaux, vous allez constater qu'il se fait énormément de travail.
La frustration est imputable en partie au c9ur de la question, à savoir si nous sommes prêts à nous engager à persévérer dans cette voie. On fait affaire avec un pays qui est dix fois la taille du nôtre, donc il y a dix fois plus d'acteurs et invariablement, tous ces processus, y compris les organisations agricoles en particulier, ont une rotation dans leurs structures de régie. Les gens avec qui vous traitez aujourd'hui ne sont plus là cinq ans plus tard. Cela veut dire que l'engagement n'y est pas. Par exemple, dans un cas, nous avons fait des efforts, nous avons réalisé des progrès et tout à coup, tous les acteurs ont changé. C'est là le c9ur de votre question: sommes-nous prêts à maintenir cet engagement parce qu'il est important?
Le sénateur Chalifoux: Oui, c'est important.
Le sénateur Tunney: J'ai une bonne nouvelle qui est parue dans l'hebdomadaire Ontario Farmer de la semaine dernière. Deux chercheurs de l'Ontario, un de l'Université de Guelph, l'autre de W.G. Thompson & Sons Limited, ont trouvé un gène qui éliminera le fusarium dans le blé. Le fusarium est une plaie dans ma région depuis plusieurs années et fait en sorte que certaines catégories de blé soient inutilisables. Une grande quantité - même un tout petit peu - rend le blé impropre à la consommation humaine. S'il y en a encore plus, on ne peut pas le donner aux porcs. Le bétail y survivra, mais à la condition que ce ne soit pas des vaches de traite ou enceintes.
C'est une bonne nouvelle. Ces deux phytogénéticiens et scientifiques ont trouvé plusieurs variétés qui sont maintenant résistantes au fusarium.
M. Goodale: C'est une bonne nouvelle. Je me souviens il y a quelques années lorsque le fusarium a fait des ravages pour la première fois. C'était vraiment un choc pour les producteurs de grain, non seulement de l'Ontario, mais du Manitoba, qui ont été gravement infestés. Le problème s'était répandu vers l'ouest en Saskatchewan, et ainsi de suite. Il faut accorder tout le crédit à nos chercheurs à Agriculture et Agroalimentaire Canada, à l'Université de Guelph, dans d'autres universités de tout le Canada et dans le secteur privé, pour avoir si bien fait avancer la science et combattu une maladie comme le fusarium compte tenu de l'état de la recherche qui se faisait il y a à peine cinq ans.
Le président: Je vous remercie, monsieur le ministre, d'avoir comparu devant nous ce soir. Je suis sûr qu'il y a de nombreuses questions que nous aimerions poser, mais nous apprécions le temps que vous nous avez accordé.
Je crois que M. Oleson et M. Migie resteront pour répondre à d'autres questions.
M. Goodale: Je vous remercie tous de votre habituelle courtoisie. Je suis content d'avoir eu la chance de revenir ici aujourd'hui. Je sais que M. Migie, Mme Vinet et M. Oleson seront capables de répondre à vos autres questions.
Le président: Je tiens à remercier les fonctionnaires de rester ce soir pour continuer de répondre à nos questions.
Les agriculteurs estiment que certaines sociétés céréalières sont en train de devenir trop puissantes. Je parle de sociétés américaines comme ADM, Con-Agri, la United Grain Growers - dont 48 p. 100 appartiennent à la Archer Daniels Midland Company.
Ce qui les inquiète, c'est que si l'on vend des grains à l'automne en fonction du système de quotas, ces entreprises semblent être assez rigides en ce qui a trait à l'établissement du grade. Beaucoup de ces grands terminaux ont des aires d'entreposage pour l'agriculteur. Si votre grain est classé numéro trois, le mois de juillet suivant, il peut devenir numéro deux ou numéro un. Vous n'avez aucun recours. Par contre, si vous ne vendez pas votre quota, vous perdez votre vente. Je ne sais pas si le sénateur Wiebe reçoit cette plainte à Swift Current, mais moi je la reçois constamment.
M. Migie: Peut-être puis-je répondre du point de vue suivant. De nombreuses sociétés céréalières ont vu le jour. Par exemple, vous n'avez pas mentionné Louis Dreyfus. Depuis un an ou à peu près, on ne peut pas dire que les profits des sociétés céréalières sont élevés, parce qu'ils sont très bas. Toutes les sociétés céréalières se sont fait concurrence cette année sur un petit marché.
Avec le nouveau système d'appel d'offres, nous avons vu la Commission canadienne du blé recevoir des soumissions d'à peine 10 dollars la tonne selon le paiement initial, comme l'a signalé le ministre. Cette année, il y a beaucoup de concurrence pour le transport du grain, parce que toutes les sociétés ferroviaires souffrent du manque de volume.
Il est difficile de dire qu'il n'y a pas de concurrence adéquate parmi les sociétés céréalières. Elles sont arrivées et il y a eu une consolidation du secteur. Comme vous le savez, une fusion vient tout juste d'être approuvée et qui peut prédire l'avenir? Il y en aura peut-être d'autres.
Le président: Vous parlez d'Agri-corps.
M. Migie: Oui, et des United Grain Growers. Il est certain que cette dernière année, les sociétés céréalières se sont fait concurrence, et elles n'ont vraiment pas fait de profits excessifs. En réalité, leurs profits sont assez bas.
Le président: Il semble que le Saskatchewan Wheat Pool - qui était jadis considéré comme l'élévateur des agriculteurs - est pratiquement en position désespérée. Elle a vendu ses opérations de bétail, et ainsi de suite. Cependant, les sociétés américaines semblent mettre la main sur les opérations, à tout le moins dans les secteurs du sud où nous vivons. Elles ont construit de gros élévateurs et de gros terminaux. Que voient-elles au Canada que nous ne voyons pas?
M. Migie: Je ne devrais probablement pas parler de rumeurs dans le commerce céréalier, parce que les rumeurs qui circulent sont que certaines des entreprises sont là dans l'espoir qu'à un moment donné, la Commission canadienne du blé n'aura pas de monopole et elles voudront alors avoir une base au Canada. C'est ce que les gens disent.
Plusieurs compagnies sont arrivées et elles sont solides. Elles se tirent apparemment assez bien d'affaire. Elles pourraient être dans le domaine parce qu'il est rentable pour elles de le faire maintenant. Elles estiment qu'elles peuvent se tirer d'affaire alors que les entreprises traditionnelles abandonnent des élévateurs et perdent des parts de marché, si bien que les parts de marché sont à prendre par les autres.
Nous ne connaissons pas leur plan à long terme, mais au cours des dernières années, nous avons vu plusieurs grandes sociétés multinationales venir mettre le pied au Canada. La concurrence existe. C'est l'aspect positif. Il y a plus de concurrence au Canada et les sociétés céréalières y ont fait des investissements au cours des dernières années.
Le président: Si vous regardez leurs terminaux, ils sont bien mieux au Canada qu'aux États-Unis. Les entreprises utilisent des élévateurs vieux et désuets qui ont été construits entre-temps, mais des sociétés comme Cargill et Archer Daniels Midland sont de grands acteurs sur le marché mondial. Elles dominent le marché. Que voient-elles? Je suis conscient qu'elles sont opposées au monopole de la Commission canadienne du blé; nous le savons tous.
M. Migie: Les entreprises ont investi plus de 1 milliard de dollars dans les élévateurs au Canada. C'est assez extraordinaire. Vous avez raison, cela ne s'est pas produit aux États-Unis. Cela s'explique en partie parce que notre système d'élévateurs devait être modernisé un peu. C'était inévitable.
Ces entreprises viennent s'installer au Canada. Peut-être considèrent-elles cette décision à court terme comme un projet rentable, ou peut-être est-ce un investissement à long terme.
Le sénateur Wiebe: Lorsque notre comité s'est rendu à Washington, nous avons rencontré un groupe de 14 représentants du Congrès pour le déjeuner. Le représentant Peterson du Minnesota a dit que les représentants du Congrès et les sénateurs aux États-Unis, de même que les agriculteurs, devraient être reconnaissants à la Commission canadienne du blé et qu'ils devraient cesser d'exercer des pressions pour qu'elle soit démantelée. Il a poursuivi en expliquant que les sociétés d'élévateurs - ce que j'ai trouvé difficile à croire - sont en train de construire d'énormes silos en ciment le long de la frontière Canada-États-Unis. Dès que la Commission canadienne du blé n'existera plus, ces entreprises vont inonder le marché américain avec des céréales canadiennes bon marché parce qu'il n'y aura pas de commission pour contrôler le tout. Je ne sais pas si vous avez entendu déjà ce commentaire, mais cela venait du membre du Congrès, M. Peterson.
M. Oleson: Il a tout à fait raison. L'une des choses que la Commission canadienne du blé est capable de faire, pour essayer d'obtenir un meilleur rendement pour les agriculteurs, c'est de toujours voir comment mettre ces céréales sur le marché pour obtenir le meilleur rendement. Nous ne vendrons jamais nos céréales aux États-Unis, par exemple, quand il y a un meilleur marché ailleurs. C'est vrai de tous les marchés que nous examinons.
Il s'agit d'un grand contraste, par exemple, avec le système de l'Argentine où on a un marché ouvert, sans les grandes subventions américaines, et lorsque la récolte est acheminée sur le marché mondial, elle inonde le marché, et il faut quelquefois céder la place et la laisser aller là où les Argentins tentent de la placer.
Le membre du Congrès, M. Peterson, reconnaît que la Commission canadienne du blé assure une certaine discipline sur le marché et, donc, soutient les prix au lieu de les réduire. Toutes les études en viennent à cette conclusion. Un dénommé Dan Sumner, de Davis, en Californie, a fait une étude démontrant que le système canadien de commercialisation des céréales aide probablement les Américains à obtenir un meilleur prix parce qu'il assure cette discipline.
Votre question est également liée à celle du président concernant la concentration. Il y a une question sous-jacente qui est au c9ur même de cela. C'est ce que le ministre Goodale et le gouvernement ont essayé de faire en donnant aux agriculteurs une voix plus forte dans la gestion de la Commission canadienne du blé et pour faire en sorte qu'ils considèrent qu'elle leur appartient.
Le monde est plus concentré, sénateur, vous avez absolument raison. Si vous regardez la concentration qui existe dans le secteur privé, historiquement, elle a été parfois élevée, mais c'était grâce aux coopératives appartenant aux agriculteurs et ces coopératives travaillaient au nom de l'agriculteur et remettaient les profits de l'industrie à l'agriculteur. Dans l'ensemble, ces coopératives ont disparu et nous avons maintenant une structure différente. En même temps, le gouvernement demande aux agriculteurs s'ils veulent que la Commission canadienne du blé leur appartienne et participe à la chaîne d'approvisionnement de la ferme au consommateur?
Voilà le véritable défi que doit affronter l'agriculteur d'au jourd'hui. Cela concerne des questions antérieures qui touchent l'engagement de l'agriculteur. C'est pourquoi la communication est si importante. C'est pourquoi il faut comprendre cette question de concentration. Ainsi, l'agriculteur peut participer à la chaîne d'approvisionnement et cela peut avoir un impact marqué sur le système.
Quelqu'un a parlé de M. Ritter, notre président. Combien y a-t-il de systèmes où un particulier intéressé par le système peut décider: «Je veux exercer une influence sur ce système, je vais poser ma candidature»? C'est ce qu'a fait M. Ritter. Il est maintenant président du conseil d'administration d'une organisa tion qui vaut 5 milliards de dollars et la plus grande organisation de commercialisation du blé au monde. Voilà qui est très impressionnant. Cependant, il faut aussi se poser la question suivante: «Est-ce que les agriculteurs souhaitent prendre cette organisation, en faire ce qu'ils veulent pour préserver leurs intérêts dans la chaîne d'approvisionnement dans un monde de plus en plus concentré?» Comme vous le disiez, monsieur le président, comment préserver la concurrence face à la concentra tion?
Le président: Vous avez tout à fait raison. Je crois que les syndicats du blé en Alberta, en Saskatchewan et au Manitoba, les United Grain Growers et la Commission canadienne du blé ont probablement raté une occasion de renforcer leur position pour faire concurrence à ADM. Je sais que des tentatives ont été faites, mais elles n'ont pas abouti.
Vous avez raison de dire que les agriculteurs ont perdu une voix lorsqu'ils ont perdu certaines de ces sociétés céréalières. Les agriculteurs en étaient membres, ils assistaient aux réunions et votaient. La seule province qui a été capable de préserver sa voix dans le domaine de l'agriculture, c'est le Québec. Elle a encore une voix agricole très forte.
Le sénateur Hubley: Pouvez-vous m'expliquer ce que sont le blé et l'orge transgéniques et en quoi ils diffèrent des organismes génétiquement modifiés et de la biotechnologie? Si ce processus continue d'être utilisé, en quoi cela aura-t-il des répercussions sur le marché international ou sur le marché canadien?
M. Migie: Je vais demander à M. Oxley de s'approcher, c'est lui qui s'occupe des organismes génétiquement modifiés.
Nous parlons ici d'une nouvelle technologie et de techniques qui vont permettre à des différentes cultures d'apparaître dans des produits comme le blé. Nous n'en sommes pas encore là pour le blé, mais la technique est différente et c'est quelque chose que nous pouvons utiliser de façon fort avantageuse en ce sens qu'il existe toutes sortes de possibilités d'avoir de nouveaux produits. Sur un certain plan, ce n'est pas tellement différent du type de biotechnologie que l'on a toujours eu dans le passé.
Je vais demander à M. Oxley de répondre à la question sur les organismes génétiquement modifiés.
M. Jamie Oxley, chef, Direction de l'élaboration des politiques intersectorielles, Direction générale de la politique stratégique, Agriculture et Agroalimentaire Canada: Je ne suis pas généticien, mais économiste. S'il y a des généticiens ici, je m'excuse si je dis quelque chose d'un peu bizarre.
Quand on dit «génétiquement modifié», on peut voir la chose de trois façons. D'abord, il y a les organismes génétiquement modifiés de façon traditionnelle lorsqu'on fait le croisement normal. Deuxièmement, on pourrait parler de mutagénèse, lorsqu'on fait subir une mutation aux gènes, qu'on les croise et qu'on les choisit. Troisièmement, il y a les organismes transgéni ques, qui existent depuis le milieu des années 90 - époque où ils sont réellement apparus sur le marché. Ce processus permet de prendre un gène d'une espèce et de le transférer dans une autre, ou de le prendre de la même espèce. Ce sont là les trois techniques. Les organismes transgéniques correspondent à une forme de modification génétique.
Le sénateur Hubley: Quelle est la position de la Commission canadienne du blé au sujet des produits transgéniques?
M. Oleson: Nous avons des personnes hautement spécialisées dans ce domaine. Je travaille en général dans plusieurs autres secteurs.
Dans l'ensemble, nous ne souhaitons pas voir de blé génétiquement modifié sur le marché tant que le consommateur ne sera pas prêt. La question de l'acceptation par le consomma teur est très importante pour nous.
Cela nous amène sur un terrain assez délicat car nous, les pays, avons essayé de nous en remettre essentiellement à des critères scientifiques pour justifier les nombreuses mesures que nous prenons dans le domaine du commerce. La Commission canadienne du blé n'est pas nécessairement contre la mise en marché du blé génétiquement modifié, mais nous croyons que cela doit être fait et programmé de façon à ce que ce soit acceptable pour le marché. Cela veut dire que si nous avons à la fois du blé génétiquement modifié et des variétés de blé non génétiquement modifié, il nous faut un système qui soit capable, premièrement, de les distinguer et, deuxièmement, de les garder complètement séparés dans tout le processus. Nous sommes alors capables de préserver la confiance du client.
Nous en sommes à ce point de transition parce qu'il y a certains aspects où la valeur scientifique de cette nouvelle technique pourrait être renversante en ce qui a trait aux avantages. Nous espérons que les agriculteurs profiteront des avantages, que les avantages ne seront pas conférés seulement aux personnes qui commercialisent les produits ou qui vendent les intrants. Dans une grande mesure, tant au Canada qu'aux États-Unis, nous avons constaté qu'une bonne part des avantages revient aux particuliers qui contrôlent la graine ou qui vendent le produit chimique. Nous espérons que ce sera surtout l'agriculteur qui en profitera.
Le président: Madame la sénatrice Hubley, vous serez peut-être contente de savoir que jeudi matin, nous entendrons neuf groupes d'agriculteurs, y compris des représentants de la Commission canadienne du blé, au sujet des grains génétiquement modifiés. La séance va être intéressante.
Le sénateur Wiebe: En ce qui concerne votre réponse, monsieur Oleson, je ne suis toujours pas convaincu que l'industrie agricole au Canada va profiter des OGM. Vous avez mentionné qu'il y a peut-être certains avantages pour les agriculteurs. Quels sont-ils?
M. Oleson: Je parle ici de toutes les innovations scientifiques et technologiques. Compte tenu de l'état actuel des revenus agricoles, compte tenu de la faible participation des agriculteurs et de l'argent que devra débourser le consommateur en bout de ligne, j'espère - et je crois qu'espèrent également les autres qui travaillent également dans le système - que l'agriculteur obtiendra une plus grande part de l'argent provenant du consommateur.
Le sénateur Wiebe: J'ai une très bonne réponse à cela. Si on parle d'OGM, ce genre de développement devrait être fait par le gouvernement du Canada et non par des sociétés individuelles. Si c'est fait par le gouvernement du Canada, tous les brevets concernant cette question reviendront alors à l'agriculteur. Par exemple, un agriculteur n'aurait pas à payer une société quelconque pour les céréales; il pourrait utiliser celles qui proviennent de ses propres récoltes.
Ce sont là des questions pour lesquelles d'importants ajuste ments doivent être effectués si nous voulons assurer la viabilité à long terme de l'agriculture au Canada.
J'interviens ici en tant que sénateur qui siège du côté du gouvernement au Sénat, mais également en tant qu'agriculteur de la Saskatchewan.
Le sénateur Phalen: Je ne suis pas certain que vous puissiez répondre à ma question en l'absence du ministre, mais le vérificateur général du Canada effectue actuellement une vérifica tion des comptes et des opérations financières de la Commission canadienne du blé. Quand la vérification sera-t-elle terminée et quand l'information qui en découlera sera-t-elle mise à la disposition du public?
M. Oleson: Je ne sais pas si le bureau du vérificateur général a dit quand la vérification serait terminée. Je pense qu'il doit en être aux derniers éléments de cette vérification. Quant à l'approche à adopter pour faire rapport au conseil d'administration et pour les autres rapports qui seront faits, je ne sais pas si le vérificateur général a fait de déclaration à ce sujet.
M. Migie: La vérification a été prolongée, et pendant que les vérificateurs sont là, ils veulent tout le temps dont ils ont besoin pour terminer leur travail. La présentation du rapport à la Commission n'est plus prévue pour le mois de septembre, mais pour le mois de janvier maintenant. Je ne sais pas si cela tiendra. Lorsque le vérificateur aura fini, il présentera son rapport au conseil d'administration de la Commission canadienne du blé.
M. Oleson: Votre question comporte deux points. Première ment, comme c'est souvent le cas lorsque des gens s'intéressent à l'agriculture, et cela est certainement vrai de la Commission canadienne du blé - la vérification s'avère toujours beaucoup plus complexe que ce qu'il n'y paraît. C'est ainsi que fonctionnent l'agriculture et le système agricole, et l'industrie céréalière est une industrie complexe. L'autre observation que je ferais, c'est que tout le processus semble être incroyablement rigoureux et, à cause de cela, le vérificateur prend plus de temps qu'il ne l'avait prévu au départ.
Le sénateur Phalen: On peut penser que les résultats de la vérification seront équitables. Pourrions-nous utiliser ces résultats pour convaincre les Américains que la Commission adopte des pratiques commerciales équitables et n'a rien à cacher?
M Oleson: Ce qu'il ne faut pas oublier, cependant, c'est qu'il s'agit d'une vérification exhaustive. Ce qui s'est produit, c'est que le bureau du vérificateur général examine en général l'efficacité et l'efficience des processus internes. Ce n'est pas un genre de vérification des prix, peut-être, à laquelle vous songez. On cherche davantage à savoir s'il s'agit d'une organisation qui utilise des processus efficaces et efficients pour exécuter le mandat qui lui a été confié par le gouvernement du Canada.
Le président: Quel pourcentage des agriculteurs utilisent le système des avances en espèces offert par la Commission canadienne du blé?
M. Migie: Je ne le sais pas. Je n'ai pas ces données.
M. Oleson: Je n'ai pas les chiffres pour cette année. Cela varie beaucoup d'une année à l'autre.
Le président: C'est la raison pour laquelle j'ai posé la question. Avec la sécheresse, je me suis dit que les chiffres pourraient être plus élevés que la normale, ou peut-être pas s'il ne pleut pas.
M. Oleson: La récolte est beaucoup moins importante. Je vais vous renvoyer à votre première question sur les chiffres, lesquels viennent étayer votre opinion.
L'an dernier, la production se situait aux environs de 26 millions de tonnes par opposition à 20 ou 21 millions de tonnes cette année. Avec ce report, nous avons eu un approvision nement total de 35 millions de tonnes l'an dernier comparative ment à quelque 30 millions cette année.
Le programme d'exportations de blé l'an dernier était de 17 millions de tonnes. Cette année, il sera d'environ 15,5 mil lions de tonnes. Le programme d'exportations ne diminuera pas autant que la production. La différence est dans le report de l'an dernier d'environ 9 millions de tonnes. Cette année, nous aurons un report total estimatif au Canada de 6,5 millions de tonnes, ce qui est près du fond du baril, pour ainsi dire.
En ce sens, les agriculteurs seront en mesure de livrer la majeure partie de ce qu'ils veulent livrer avant la fin de l'année. Le transport va bien, les wagons sont là.
Le président: Cela devrait faire augmenter le prix également.
M. Oleson: Oui, si nous avions un peu de collaboration des Américains et des Européens.
Le sénateur Day: Je n'ai pas très bien compris l'explication de la «modification génétique» par opposition à la «modification transgénique». Est-ce que les responsables de la commercialisa tion utilisent le terme «transgénique» pour éviter le terme général d'OGM et la mauvaise publicité qui s'en est suivie il y a quelque temps? Pourquoi commençons-nous à parler d'organismes trans géniques maintenant?
M. Oxley: Votre question est intéressante. Je ne suis pas un spécialiste de la commercialisation, il est difficile pour moi de faire un commentaire à ce sujet. Cependant, à mon avis, ce qui inquiète, c'est la perception que l'on a de la transposition d'une matière génétique d'une espèce à une autre. Cela a commencé à se faire commercialement autour du milieu des années 90. Certes, au début, il n'y avait pas de problèmes liés à cela, mais la question a été mise de l'avant surtout à cause de l'Union européenne et d'autres grands pays. Leur définition de «généti quement modifié» est synonyme de «transgénique». Les organis mes génétiquement modifiés sont définis comme ceux qui ont subi le processus de la transgénie, autrement dit, la transposition des matières génétiques d'une entité ou d'une espèce à une autre.
Le sénateur Day: Si un gène de blé était modifié afin de devenir résistant à des maladies ou à un type particulier d'insecte, est-ce que c'est cela de la modification transgénique, ou si c'est quelque chose d'autre?
M. Oxley: Les gènes peuvent changer de plusieurs façons. Il peut se produire un changement naturel, par exemple, après exposition à des rayons ultraviolets ou une mutation. L'un des moteurs de l'évolution, c'est la mutation. La modification génétique doit se produire si on veut qu'il y ait mutation.
La modification transgénique peut se faire dans la nature, apparemment. Un virus ou une bactérie peut transférer des particules d'ADN d'une entité à une autre. Ce dont on parle ici, c'est de l'être humain qui effectue ces modifications volontaire ment grâce à la science.
Le sénateur Day: Est-ce que le science ne fait pas qu'accélérer l'évolution un peu? À l'échelle internationale, est-ce qu'on ne s'inquiète pas du risque d'en arriver à une «plante de Franken stein» ou à des «aliments-Frankenstein»?
M. Oxley: C'est exact.
Le sénateur Day: Est-ce qu'on n'est pas en train d'élaborer une position commerciale où l'on dit que nous ne faisons pas cela, que nous ne faisons qu'aider l'évolution? Est-ce cela que je devrais lire entre les lignes dans tout cela?
M. Oxley: Je n'ai rien voulu mettre entre les lignes.
Le sénateur Day: Vous avez utilisé ces termes. Je ne vous critique pas.
M. Oxley: Non, je n'essaie pas non plus de me défendre. Les gens ont pris l'information et l'ont définie comme des «aliments Frankenstein», avec un sens péjoratif.
Le sénateur Day: L'élevage sélectif ou les plantations sélectives n'ont rien de répréhensible ni d'inacceptable, n'est-ce pas?
M. Oxley: Non.
Le sénateur Day: Avec l'évolution normale, les céréales d'une bonne récolte donnant un bon rendement seront conservées pour la prochaine plantation. Il n'y a rien de mal là-dedans, n'est-ce pas?
M. Oxley: Je ne crois pas.
Le sénateur Chalifoux: Ce qu'ils font, cependant, c'est de transplanter, par exemple, des gènes d'une souris dans une tomate. Je croyais que «transgénique» voulait dire transférer des gènes d'une espèce à une autre.
M. Oxley: En ce qui a trait à ce qu'on a vu dans le système alimentaire, non, ce n'est pas ce que je crois comprendre.
Le sénateur Chalifoux: J'ai lu des choses là-dessus.
M. Oxley: Il est possible que cela se produise. La biotechnolo gie offre également d'autres possibilités au sein de la biotechnolo gie, de désactiver ou d'activer des gènes sans utiliser la modification transgénique, sans amener de nouveaux éléments. La biotechnologie offre d'autres méthodes également.
Le président: J'aimerais poser une question au nom des agriculteurs. Il semble que la commercialisation des grains à l'automne génère un rendement beaucoup plus faible qu'en juillet. Est-ce que la Commission canadienne des grains fait alors son travail? J'ai entendu des agriculteurs dire que la Commission semble travailler pour les sociétés céréalières.
Je suppose que la réponse serait que les sociétés céréalières obtiennent un certain prix pour ce grain au moment où elles l'achètent et elles le vendent à ce moment-là. Selon le système de quotas, si vous avez prévu un certain nombre de boisseaux de blé dur de catégorie trois, c'est ce que vous obtiendrez. En arrivant au mois de juillet suivant, ce blé dur pourrait être beaucoup plus bas.
Les agriculteurs se plaignent de cela depuis longtemps. Si vous n'obtenez pas le quota, si vous ne mettez pas le nombre exact de boisseaux, vous ne vous débarrassez pas de vos grains. Bien sûr, ce changement s'est produit lorsque nous avons changé le système de quotas.
M. Migie: La Commission canadienne des grains essaie de bien équilibrer les choses entre l'agriculteur et les sociétés céréalières. Elle essaie d'aborder les problèmes de façon équitable et scientifique. D'après tout ce que je vois, c'est le cas durant toute l'année. Il y a des services auxquels on peut recourir lorsqu'il y a un différend ou une contestation, mais je ne vois aucun parti pris systématique de la part de la Commission canadienne des grains en faveur des sociétés céréalières.
De tout temps, si l'on remonte au tournant du siècle, les agriculteurs ont été préoccupés par le fait que les sociétés céréalières vont en quelque sorte avoir la main haute et que le système n'assurera pas un arbitrage équitable.
M. Oleson: Le système d'aujourd'hui est assez différent de ce qu'il était il y a 20 ou 30 ans. Selon l'ancien système de quotas et lorsqu'il y avait production excédentaire, les agriculteurs étaient coincés beaucoup plus qu'ils ne le sont maintenant lorsque toute la récolte est commercialisée de façon régulière, d'une année à l'autre. Voilà pour le premier point. Le deuxième point est que si un agriculteur estime ne pas obtenir un bon grade, c'est à lui de dire qu'il va envoyer un échantillon à la Commission canadienne des grains.
La Commission canadienne des grains compte des spécialistes et des scientifiques qui examinent ces échantillons et rendent des décisions tout à fait équitables et compétentes.
Le président: Je sais très bien que le grain n'est pas classé seulement en fonction de celui que vous amenez le jour même. La possibilité qu'une entreprise mélange des grains peut aussi lui permettre d'avoir un meilleur grade. S'il y a beaucoup de grains de grade un dans la région, les gros terminaux peuvent le faire. Pas le petit élévateur. En ce cas, la Commission canadienne des grains n'a rien à dire là-dedans, parce qu'elle ne connaît pas les quantités en cause.
Aujourd'hui, deux agriculteurs ont conçu un programme selon lequel ils remplissent une enveloppe de grains. Au moment de la livraison, l'enveloppe est scellée. S'il y a écart, ils prennent alors ce grain qu'ils transmettent à la Commission canadienne des grains plus tard. Le grain est alors classé.
C'est là un des problèmes que des agriculteurs m'ont demandé de soulever.
M. Oleson: Cela nous ramène à votre question antérieure, à savoir que certains de ces éléments de la dynamique sont en train de changer. Nous devons continuellement poser ces questions. La nature des gros élévateurs terminaux fait en sorte que cette dynamique est différente de celle qui existait lorsque nous avions un grand nombre de petits élévateurs
Tant la Commission canadienne des grains que la Commission canadienne du blé sont en train d'examiner tous leurs systèmes individuels et collectifs pour essayer de faire en sorte qu'elles suivront cette nouvelle dynamique et répondront aux besoins de l'agriculteur.
Le président: Sur cette note, je tiens à vous remercier de votre témoignage. Nous apprécions le temps que vous nous avez donné et nous vous inviterons à nouveau.
La séance est levée.