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AGFO - Comité permanent

Agriculture et forêts


Délibérations du Comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts

Fascicule 23 - Témoignages


OTTAWA, le mardi 27 novembre 2001

Le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts se réunit aujourd'hui à 17 h 32 pour examiner le commerce international des produits agricoles et agroalimentaires et les mesures à court et à long termes pour la santé du secteur agricole et agroalimentaire dans toutes les régions du Canada.

Le sénateur Leonard J. Gustafson (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Nous accueillons aujourd'hui les représentants du Conseil canadien de la gestion d'entreprises agricoles, Anne Forbes, présidente, et Jim Laws, directeur général.

Je vous invite à présenter votre exposé.

Mme Anne Forbes, présidente, Conseil canadien de la gestion d'entreprises agricoles: Je vous remercie de nous avoir invités à prendre la parole devant vous. Nous nous ferons un plaisir de répondre à vos questions et de vous fournir plus de renseignements, par la poste ou au moyen d'une nouvelle comparution, s'il y a des domaines que vous souhaitez exploiter plus en profondeur.

Le Conseil canadien de la gestion d'entreprises agricoles (CCGEA) a été créé en 1992. Il s'agit du seul organisme national qui voue entièrement ses efforts, son énergie et ses ressources aux compétences en gestion des régisseurs d'exploitations agricoles.

En 1992, l'organisme comptait des représentants de chacune des provinces. Au cours des dernières années, les territoires ont commencé à s'intéresser à nos activités. Nous constituons un conseil d'administration de 23 représentants des ministères provinciaux et des producteurs des quatre coins du pays.

Au premier chef, mon mari et moi sommes des producteurs primaires. Nous avons trait des vaches pendant 17 ans et pris beaucoup de plaisir au sein de l'industrie laitière. Cependant, nous avons décidé de faire une incursion dans un domaine nouveau et exploitons actuellement une ferme aquacole. Je me ferai un grand plaisir de répondre à des questions à ce sujet à titre personnel.

Le premier enjeu dont j'aimerais vous entretenir est la planification de la relève. Au cours des 15 prochaines années, des actifs dont la valeur se chiffre en milliards de dollars changeront de main. L'une de nos priorités consiste à assurer la réussite de ce processus.

L'enjeu suivant est la rapidité du changement. Le changement est inévitable. Nous allons revenir plus en détails sur le changement et ce qu'il signifie pour la population agricole, mais c'est le rythme du changement qui nous préoccupe. Dans notre secteur, nous vivons ce problème quotidiennement. Nous aidons des agriculteurs à comprendre comment faire le point de manière à établir l'information dont ils ont besoin et ce qu'il convient d'en faire.

Le troisième enjeu a trait au niveau des compétences en administration. Si les agriculteurs possédaient toutes les compétences dont ils ont besoin dans le monde d'aujourd'hui, notre organisme n'existerait pas, mais la réalité, c'est que l'exploitation agricole est une activité qui se raffine de jour en jour. En fait, les entreprises agricoles ressemblent de plus en plus aux autres.

La gestion de l'information est un phénomène d'une ampleur colossale. Je m'inquiète de ce que les gens font de l'information qu'ils reçoivent. Et nous avons réalisé des progrès importants dans la gestion des informations données et reçues, mais c'est ce que nous faisons des informations pour raffiner nos entreprises qui importe.

Il n'est guère étonnant que la sécurité alimentaire soit devenue un enjeu qui, depuis le 11 septembre, a gagné en importance. Nous devons en tenir compte.

Dans le domaine de la production alimentaire, l'agriculture est devenue une entreprise raffinée. Il s'agit également d'une entreprise à risque. Je ne connais pas d'entreprises qui soient plus risquées. L'agriculteur court des risques, de l'exploitation jusqu'à l'assiette du consommateur, et il en résulte souvent un certain malaise. Nous devons comprendre les risques, les atténuer et les gérer.

Le prochain enjeu a trait au changement - dans notre exposé, il sera beaucoup question du changement. Qu'est-ce que le changement? Nous sommes passés d'un marché de l'offre à un marché de la demande. Quand je m'adresse à des producteurs à titre personnel, j'utilise les mots «prompt» et «résistant». Face aux exigences des consommateurs qui changent toujours plus rapidement, nous devons nous montrer prompts et résistants.

En ce qui concerne la volatilité des marchés, les hauts sont de plus en plus hauts et les bas, de plus en plus bas. Jamais encore n'avons nous été témoins d'une telle disparité. Nous devons en tenir compte.

On ne doit pas oublier non plus la restructuration de l'industrie agroalimentaire: notre tâche ne consiste plus qu'à produire des aliments. Tout a débuté lorsque nous avons constaté, il y a des centaines d'années, que nous pouvions produire plus que pour les seuls besoins de notre famille. Nous devons comprendre que nous devons ajouter de la valeur à nos produits. Nous devons faire en sorte que nos produits agroalimentaires remontent le long de la chaîne de valeur.

Les fournisseurs d'intrants et les détaillants sont moins nombreux. On assiste à un phénomène de concentration au profit de quelques-uns. L'intégration verticale s'accentue: nous avons moins de débouchés à notre disposition, et le contrôle se resserre.

La révolution biotechnologique est un autre enjeu dont nous devons tenir compte. Nombreux sont ceux qui n'aiment pas le mot «biotechnologie», mais c'est pourtant une réalité. Nous devons l'admettre et établir ce que souhaitent les consommateurs du pays. Inutile d'orienter la production agricole vers ce secteur si les consommateurs n'acceptent pas.

Pour sa part, le commerce électronique n'a pas été à la hauteur de nos attentes. On nous a dit qu'il allait entraîner la suppression de certaines contraintes liées au marché, mais la solution est pour le moment bien loin d'être parfaite.

Dans le dossier de la politique commerciale internationale, nous avons entamé la ronde de négociations suivante, dont nous ne connaissons pas l'issue. Cependant, nous devrons faire face aux résultats, quels qu'ils soient.

Les politiques nationales sont un domaine dans lequel certaines avenues nous sont ouvertes. Nous sommes financés pour une large part par Agriculture Canada; à ce titre, nous travaillons en étroite collaboration avec le groupe stratégique du ministère. Je veux maintenant vous faire part des résultats de certains travaux que nous avons menés à bien. En fait, nous allons vous communiquer les résultats avant de les transmettre à Agriculture Canada demain. J'espère que vous étudierez le document que nous allons bientôt vous fournir. Il est rempli d'informations qui vous aideront à comprendre la situation.

Ce que nous croyons comprendre, c'est que le comité est d'avis que la viabilité du secteur agricole est fonction de collectivités fortes et dynamiques capables de soutenir les agriculteurs et leur famille. Nous allons peut-être remettre cette idée en question. Si on tient compte de nos convictions - et je vais virer la situation de bord et vous demander de cibler vos efforts sur un secteur primaire sain -, nous bénéficierons d'une économie rurale saine grâce à la valeur ajoutée et aux retombées dans l'économie.

C'est ce que nous allons mettre en doute tout au long de l'exposé, jusqu'à la période de questions. En fait, je suis disposée à répondre à vos questions en cours de route. L'idée ne me déplaît pas.

Comment soutenir une industrie agricole viable? La politique intérieure est extrêmement importante. Auparavant, je n'avais jamais eu l'occasion de travailler avec Agriculture Canada à ses politiques comme je l'ai fait récemment. Nous comptons sur un sous-ministre avide qui insiste pour mettre la charrue avant les boeufs. Nous allons nous intéresser à certaines des questions qui se posent dans le domaine des politiques, corriger les lacunes et établir ce qui doit être fait à cet égard.

En ce qui concerne la politique extérieure, nous sommes un pays exportateur de produits agricoles. Nous devons équilibrer les intrants. Nous sommes témoins de l'effritement de l'industrie forestière comme, l'année dernière, nous avons été témoins de l'effondrement presque complet de l'industrie de la pomme de terre à l'Île-du-Prince-Édouard. Nous devons être rigoureux, habiles sur le plan politique et capables de tenir la barre.

En ce qui concerne l'élaboration d'un programme qui répond aux besoins des différents agriculteurs, je pense que, par le passé, notre politique a eu tendance à être universelle. Nous traitions de la même façon les agriculteurs des quatre coins du pays, et nous avons tenté de leur assurer un filet de sécurité équitable, quel que soit leur revenu net. En fait, on comprend aujourd'hui qu'il faut procéder autrement. C'est en partie pour cette raison que nous avons mené une étude au nom d'Agriculture Canada: pour comprendre un volet du secteur auquel on ne s'était jamais intéressé.

Quelles sont les possibilités? Je ne voudrais pas que tout l'exercice soit négatif puisque l'agriculture me passionne et que je partage ses hauts et ses bas: il s'agit d'une industrie difficile, et on se leurre soi-même en ne l'admettant pas.

Voici les possibilités qui s'offrent à nous. Sur le plan politique, permettre à des agriculteurs de diriger des agriculteurs constitue une solution gagnante. Il y a ici d'excellents modèles qui ont monté leurs industries le long de la chaîne de valeur - ils ont fait progresser l'industrie et feront partie des 20 p. 100 des producteurs qui seront responsables de 80 p. 100 de la production. Nous n'allons pas pour autant négliger les autres, et c'est ce dont j'entends vous faire part.

En ce qui concerne la production de biodiésel au Canada à l'aide de gras végétaux et animaux, le produit final peut être reconnu et exonéré de taxes sur le carburant comme le sont l'éthanol et le gaz naturel.

Il suffit de capitaliser sur l'image déjà irréprochable des produits canadiens, qui est une réalité. Nous n'avons plus qu'à l'exploiter. Chacun est convaincu que le Canada est propre et dépourvu d'un environnement pollué. Nous n'allons pas répondre à la question de savoir si cela est vrai ou non puisque nous travaillons avec acharnement pour faire en sorte qu'il en demeure ainsi. Servons-nous de notre image pour aller plus loin.

En ce qui concerne notre positionnement en amont de la chaîne de valeur, on vous a déjà tenu le même discours à deux ou trois reprises, y compris à propos d'usages non alimentaires. La même logique s'appliquera à tous. En gros, il existe trois façons de transformer nos pratiques agricoles. Nous pouvons viser une efficience plus grande, principalement au moyen de l'expansion des exploitations et d'une politique se traduisant par une marge bénéficiaire faible sur les produits. Deuxièmement, nous pouvons nous tailler un créneau de marché et concentrer notre énergie et nos ressources sur l'établissement de produits très spécialisés. Ce qu'il faut savoir, à propos d'un créneau de marché, c'est qu'il y aura toujours à côté de vous quelqu'un qui différenciera ses activités, son mode de production et, partant, ses produits finis. La troisième solution consiste à diversifier complètement ses activités. Une fois de plus, il n'y a pas de réponse exclusive pour quiconque. En fait, on trouve de bons exemples d'exploitations agricoles qui ont retenu des éléments de chacune des trois stratégies.

Je ne vais passer sous silence la question du perfectionnement des compétences en gestion des agriculteurs parce que c'est là notre principal champ d'intérêt. Loin de moi, l'idée de dénigrer le niveau de compétence qui existe aujourd'hui. Autrefois, les personnes qui débutaient dans le domaine de l'agriculture n'avaient pratiquement pas de critères à respecter. Nous avons donc affaire à des administrateurs d'exploitations agricoles qui vieillissent et qui, de façon générale, n'ont pas fait d'études postsecondaires bien poussées. Parmi nos producteurs, on retrouve de strates distinctes de personnes prêtes à apprendre sans cesse par rapport à d'autres que nous qualifions de «déconnectées».

En ce qui concerne le travail auprès des jeunes, je sais que, faute d'attirer des jeunes dans l'industrie, nous sommes condamnés. Cependant, je pense que nous pouvons faire plus et intéresser à l'agriculture des jeunes qui ne font même pas partie de l'industrie, à condition d'utiliser les bons programmes au bon moment. Nous pouvons faire appel à des jeunes à titre volontaire et les amener sur le terrain pour leur donner une idée de l'origine de l'économie primaire. Pour notre part, nous la connaissons.

Quels sont nos points forts? Nous disposons de ressources en terres et en eau considérables. Nous vous demandons donc de bien vouloir éviter de vendre notre eau. Ce sont probablement nos ressources en eau qui nous distingueront d'autres grands producteurs de l'Amérique du Nord. Ne vendez pas notre eau, s'il vous plaît, parce que nous en avons besoin.

Nous avons fait allusion à la réputation de nos producteurs agricoles à l'extérieur du pays. Nous bénéficions d'un accès à de bons marchés et d'une industrie diversifiée. En ce qui concerne la taille des entreprises considérées comme exploitables, je vais revenir au mot «prompt» parce que, premièrement, nous sommes diversifiés et que, deuxièmement, nos exploitations ne sont pas si grandes. Il y a à peine quelques semaines, j'ai entendu un exposé au sujet du Brésil. Prenez garde: les Brésiliens représentent une force avec laquelle il faut compter. La taille de leurs exploitations a augmenté pour s'établir à 25 000 hectares en moyenne. Ils ont préservé leurs collectivités rurales. On a sorti les travailleurs des exploitations agricoles pour les installer dans des collectivités où ils vivaient et recevaient des services. On vient tout juste de les ramener vers les exploitations agricoles. Il n'y a pas encore d'immeubles d'habitation, mais, une fois qu'ils auront mis en place l'infrastructure nécessaire, qu'ils utiliseront l'Amazone et auront accès au secteur oriental du pays, les Brésiliens sont une force avec laquelle on devra compter, plus encore que les États-Unis.

Ce qui nous fait défaut, c'est un système de sécurité alimentaire pour les agriculteurs de la ferme à l'assiette. Que cela signifie-t-il? Je pense que nous avons eu de la chance au pays de ne pas connaître plus de problèmes liés à la sécurité alimentaire. Pour s'en convaincre, il suffit de consulter des scientifiques. Je peux vous assurer que nous avons eu de la chance. Les Canadiens sont convaincus de l'existence d'un système, mais la vérité, c'est que nous n'en avons pas et qu'il nous en faut un. C'est ce que je veux dire par «mettre la charrue avant les boeufs».

Nous avons besoin à la fois de plans environnementaux individuels pour protéger et de la séparation des marchés pour bonifier. À nous, agriculteurs, on pose des questions comme: «Respectez-vous l'environnement»? Nous savions que l'établissement de notre système agricole avait d'abord pour effet de nous distinguer d'autres entrepreneurs à l'origine des mêmes produits. Nous avons besoin de ces plans en raison de l'empiétement de l'innovation rurale-urbaine, qui est une réalité. Nous avons fait l'acquisition de terres à titre de police d'assurance à bon marché, afin d'empêcher des personnes de s'établir à proximité de nos exploitations agricoles, forts de la certitude que, dans le cas contraire, ce serait un cauchemar incroyable. Nous n'avons pas eu le choix.

Au conseil, nous nous sommes beaucoup intéressés à la question de l'approche stratégique des affaires. Il s'agit d'une réflexion stratégique. J'ignore à combien de reprises on m'a demandé: «Comment cela s'enseigne-t-il»? On doit définir le modèle. Il doit être à la fois direct et constant. On doit mettre au point un processus au complet. Les entreprises préparent des plans stratégiques. Les gouvernements préparent des plans stratégiques. À la sortie de telles séances, je me demande pourquoi nous ne concentrons pas de tels efforts à nos entreprises.

Je me propose donc - l'expression que j'utilise est «l'objectivité d'un tiers» - que nous invitions des personnes de l'extérieur, d'autres secteurs et d'autres entreprises, pour leur demander une opinion objective. On leur demandera: À leur avis, que négligeons-nous de faire dans nos entreprises? Quels sont, par exemple, les aspects que nous pourrions optimiser? La réflexion stratégique joue un rôle des plus critique, et elle ne sera pas pour tous. Cependant, elle caractérisera à coup sûr les producteurs qui réussissent.

L'apprentissage continu ne vient pas naturellement aux producteurs. Ils ont appris sur le tas, grâce à des transferts intergénérationnels. Cependant, nous parlons ici de compétences en gestion beaucoup plus poussées, les mêmes que celles dont ont besoin les Nortel de ce monde, où on doit prendre du recul et se dire: «Je sais que je ne suis pas en mesure de réunir ce genre de capitaux. Je sais que je dois conclure une alliance avec quelqu'un d'autre pour y parvenir. Je dois conclure une autre forme d'entente pour que d'autres acceptent de courir des risques en mon nom». Nous sommes, à certains égards, très capitalisés dans notre gestion de l'offre. Les agriculteurs nous demanderont: «Pourquoi affecter des fonds à des choses qu'on ne voit même pas»? Nous allons en rester là sur ce plan.

Les capitaux patients - l'expression est de moi - représentent une catégorie de capitaux différents des capitaux d'amorce initiaux. Cinq banques s'intéressent toujours à l'agriculture. La merveilleuse Société du crédit agricole fait preuve de beaucoup de dynamisme partout au pays, pas seulement dans le domaine de l'agriculture. Ce qui manque, cependant, c'est une sorte de moyen terme entre les capitaux d'amorce et les capitaux de risque. Traditionnellement, nos entreprises ne nous procurent pas le genre de rendements susceptibles d'intéresser les entreprises de capital de risque. Cela n'arrivera pas. Il nous faut quelque chose qui se situe au milieu, et c'est ce que j'appelle les «capitaux patients», en raison de la diversification dont nous avons parlé auparavant. La conclusion d'alliances exige du temps, parce qu'on doit se positionner. On fait un pas en avant, puis deux pas en arrière. On avance, puis on va de côté. C'est la patience à laquelle je fais allusion. Nous nous intéressons maintenant à cette question.

Je crains depuis longtemps que les banques ne se retirent du secteur de l'agriculture si nous ne nous attaquons pas au problème des plans environnementaux. C'est là qu'elles courent des risques. Tôt ou tard, elles décideront d'accepter des clients ou non, selon la qualité de leurs plans environnementaux.

Nous sommes au courant de ce qui est arrivé au cours des dernières semaines. Nous savons qu'une nouvelle ronde de négociations s'est amorcée. Nous savons comment les choses se passent. Ces négociations sont dures et ardues. Nous avons encouragé nos politiciens à se montrer fermes. Nous ignorons l'issue de ces négociations, et c'est ce que j'appelle la nouvelle réalité. À titre de producteur, que faites-vous face à un nouveau règlement qui institue de nouvelles contraintes au marché ou à une nouvelle entreprise qui vous accule à la faillite le lendemain parce qu'il s'agit d'une grande chaîne nationale forte d'une étiquette privée? Que faites-vous?

Voici ce que vous devez faire: prendre un peu de recul et mobiliser des ressources. Vous devez repenser vos activités. Vous ne pouvez plus agir seul. Voilà le degré de raffinement auquel ils sont parvenus.

Nous pensons que la meilleure solution consiste à améliorer le capital humain et ses capacités. Nous avons parlé du mentorat, et je sais que nous allons beaucoup insister sur cette question. Nous pouvons travailler sans relâche à tous les niveaux, auprès de toutes les strates de l'administrateur d'exploitations agricoles, pour continuer de contribuer au perfectionnement de leurs compétences.

De telles mesures ne donneront de bons résultats qu'auprès des personnes qui s'y prêtent volontiers. Nous avons affaire à une population vieillissante. Je crois savoir que l'âge moyen des agriculteurs canadiens est d'environ 57 ans. Cette moyenne a augmenté. C'est à ce groupe de personnes que j'ai fait allusion. Soixante p. 100 des agriculteurs devront avoir la volonté de changer. Ce sont les personnes avec qui nous savons être en relation. Nous sommes partie à un réseau avec les personnes de ce groupe. Celles qui comptent pour la tranche supérieure de 20 p. 100 évolueront à leur propre rythme et chercheront l'aide dont elles ont besoin.

J'utilise ici l'expression «Excellence en agriculture». À propos du groupe supérieur, il s'agit d'un aspect auquel nous ne consacrons pas beaucoup d'attention. C'est malheureux, mais nous ne disposons pas des ressources nécessaires. La deuxième conférence sur l'excellence en agriculture se tiendra le week-end prochain. La première a été passionnante, et celle-ci le sera aussi. Ce week-end, à Montréal, les principaux chefs de file du secteur de l'agriculture participeront à la conférence. Il s'agit d'un travail que nous faisons, mais nous ne pouvons cibler nos efforts sur ces personnes.

En fait, nous concentrons nos efforts sur le groupe suivant, les 40 p. 100 du milieu. Ce sont les personnes qui utilisent tout le temps nos produits et nos services. Quant aux 40 p. 100 qui constituent la dernière tranche, nous les appelons les «déconnectés» parce qu'il est difficile de trouver un mot qui n'a ni pour effet de dénigrer ni de démoraliser. En réalité, nous devons nous employer à même préserver la dignité des membres de ce groupe. Que veut dire «déconnectés»? L'expression parle d'elle-même. Ce sont des personnes sans liens avec le monde extérieur. Elles n'évoluent pas; dans certains cas, elles restent collées sur place. Dans d'autres, cela n'a aucune importance. Il peut s'agir de personnes bien établies, par exemple des avocats et des médecins de la ville qui souhaitent simplement vivre à la campagne, et nous n'allons certes pas nous inquiéter d'elles.

Agriculture Canada nous a demandé de réaliser une étude, et nous allons présenter les résultats demain. Au terme de l'étude fondée sur un sondage Ipsos-Reid, on a déterminé que 41 p. 100 des agriculteurs résistent au changement. Je précise d'entrée de jeu que les résultats portent sur les agriculteurs de la Colombie-Britannique au Québec. On n'a pas évalué la situation dans l'est du Canada, probablement faute de ressources suffisantes, mais c'est la population qui a été étudiée. Les agriculteurs sont plus susceptibles d'innover ou d'adopter de nouvelles idées de façon précoce. Ils vouent principalement leurs ressources limitées et leurs intérêts à leurs exploitations ou à leurs revenus à l'extérieur de la ferme. Ils ne cherchent pas activement de l'aide, pas plus qu'on ne sollicite activement leur aide. Ils font passivement appel à des spécialistes, et la plupart d'entre eux ne s'en donnent même pas la peine.

Voilà donc le portrait de la situation. On n'a pas affaire à une population homogène. Il y a des personnes dont les liquidités sont considérables. Je ne suis pas en mesure de dire où elles s'inscrivent dans ce groupe. Leur banquier ne serait pas non plus en mesure de le faire parce que leur situation, sur papier, paraît relativement favorable. Leur situation varie du point de vue du revenu, de l'éducation et de la région, mais ils représentent un pourcentage élevé. C'est le point que je tiens à soulever. Chez ces personnes, le nombre de ventes d'exploitation est légèrement moins élevé. La moitié des membres du groupe, de la Colombie-Britannique au Québec, étaient des producteurs de boeufs; dans l'Ouest canadien, la proportion était de 62 p. 100. La moitié de ces producteurs sont peu susceptibles d'investir ou d'agrandir leurs établissements, et ils sont légèrement plus âgés que la moyenne.

Darwin a dit: «Ce sont non les espèces les plus fortes ni les plus intelligentes qui survivent, mais celles qui savent le mieux s'adapter au changement». C'est la psychologie du changement qui, je l'espère, vous intéressera. David Irvine est un homme qui a beaucoup travaillé auprès d'agriculteurs de l'Ouest canadien. Il a préparé un graphique simple que vous avez sous les yeux, qui illustre les étapes par où passent les personnes en transition.

Au premier stade, elles sont heureuses et à l'aise. Tout semble bien aller. Elles se sentent bien. Puis, elles sont confrontées à une force extérieure ou intérieure - beaucoup plus souvent extérieure. C'est peut-être le banquier, le marché ou le 11 septembre, et la force intérieure - la seule qui puisse intervenir de l'intérieur - a trait à la vision que ces personnes ont de leur forme de situation tandis qu'elles préféreraient se voir ailleurs.

Vient ensuite l'étape du chaos. À propos de programmes, je dis: «Restez ici, mesdames et messieurs. La route sur laquelle vous souhaitez vous engager est impraticable et semée d'embûches». On voit des personnes au comportement erratique. On nage en plein chaos. À ce stade, on est souvent témoin d'épisodes de dépression et de traumatisme aigu. Aucune forme d'intervention n'est justifiée. Au fond du baril, elles commencent à réfléchir et, pour peu qu'on les aide, elles mobilisent l'énergie nécessaire pour commencer à examiner des décisions et des options. Elles en sont au stade du «SI».

Le processus de reconstruction se met alors en branle, et elles commencent à se sentir de nouveau à l'aise, puis elles sont de retour dans la culture de la confiance. Elles espèrent s'être attachées à quelque chose de nouveau qui va de l'avant. Il est à souhaiter que le réveil n'interviendra pas trop rapidement et qu'elles n'auront pas à repasser une fois de plus par l'ensemble du processus.

Il s'agit d'une question de résistance. Tout le monde ne change pas rapidement. En fait, l'étude vous montrera que les caractéristiques associés aux membres de ce groupe sont telles qu'ils n'apprécient pas le changement. Connaissez-vous la méthode d'établissement des types de personnalité de Myers-Briggs? Vous êtes-vous déjà prêté au jeu? En vertu de cette méthode, on établit un profil de votre personnalité ou de vos caractéristiques personnelles. Il est vraiment utile de savoir comment on est fait, en particulier lorsqu'on travaille au sein d'un organisme, parce qu'on comprend alors pourquoi tel ou tel homme parle comme il le fait.

Voici à quoi s'apparente la typologie. On voit ici l'extrême. Ce groupe de 41 p. 100 d'agriculteurs se compose d'introvertis, de sensoriels, de réfléchis et de perceptifs. Leurs contraires figurent de l'autre côté. Le rapport exposera admirablement les faits pour vous. On a affaire au contraire des concepteurs de programmes. Par exemple, j'appartiens moi-même à la catégorie des introvertis, intuitifs, réfléchis et critiques. Je vis avec un homme qui appartient à la catégorie des introvertis, sensoriels, réfléchis et perceptifs. La mise en commun de ces deux caractères est intéressante parce que je préconise la planification à long terme, tout en étant très factuelle et en ayant besoin d'échéanciers ou de dates limites. Ici, je puis vous dire que c'est l' «ici» et le «maintenant» qui comptent, et tout doit être senti, réfléchi et touché - on a affaire à de très sérieux réfléchis et perceptifs. Là, c'est exactement le contraire.

Le sénateur Day: Vous comptez donc parmi les introvertis? C'est ce que vous dites?

Mme Forbes: Bonne question. Je compte parmi les légèrement introvertis. À l'époque, je me suis demandé comment cela était possible. Je me suis posé des questions. Cependant, je comprends. Quand vous recevrez l'étude, prenez le temps d'étudier la catégorie des introvertis. Si j'appartiens à la catégorie, c'est parce que j'ai pour habitude de vouloir prendre du recul pour examiner les choses de façon méthodique.

Quelles sont les hypothèses que nous formulons et que tentions-nous d'examiner? Par le passé, les interventions ou les programmes gouvernementaux ont réussi à provoquer des changements, dans le domaine de l'agriculture et dans d'autres secteurs. C'était l'une des hypothèses que nous nous sommes donné pour tâche de prouver ou de réfuter.

Le coût des interventions gouvernementales nécessaires risque d'être supérieur à ce que les gouvernements sont disposés à investir ou en mesure d'investir. Par conséquent, nous devons connaître les sommes nécessaires et ne pas songer aux programmes traditionnels parce que ce n'est pas dans cette direction que nous nous engageons. Si le gouvernement ne vient pas en aide à ce groupe de 41 p. 100, il y aura des conséquences.

C'est intéressant. La semaine dernière, nous nous sommes réunis pour entendre les résultats, et nous avons fait subir le test à des membres appartenant à un groupe d'agriculteurs et d'organismes agricoles de l'Alberta. Ce qui est ressorti du premier test administré aux membres de ce groupe, c'est que le risque se résume à ceci: il suffit d'un seul mauvais élément qui ne respecte pas les critères du régime de sécurité alimentaire pour faire disparaître une industrie tout entière. C'est ce qui est arrivé à l'industrie des tomates de serre dans le sud de l'Ontario. Le deuxième élément de risque est que les membres de ce groupe compteront un jour pour plus de 41 p. 100 du total. Nous ne pouvons donc pas faire fi du problème.

Il ne fait aucun doute que les caractéristiques ou les principes d'un programme économique et social diffèrent. Les points saillants sur lesquels j'invite les honorables sénateurs à se concentrer sont les principes de l'élaboration de programmes - ceux que les concepteurs de programmes doivent observer: les caractéristiques du groupe et les caractéristiques requises par les programmes. Je vais vous donner quelques exemples.

On retrouve un volet relativement important sur les enjeux ruraux. Ce sont des experts-conseils qui ont présenté les faits saillants. Ce sont de petits bijoux - particulièrement du point de vue rural. Je vous prie d'en prendre note.

Si nous oublions les membres de ce groupe, les risques s'accroîtront. Les plaintes et les manifestations d'impatience dont vous êtes témoins sur la Colline font partie d'un processus naturel. Je pourrais m'asseoir à côté de M. Vanclief et lui dire que je comprends maintenant pourquoi cela est inévitable. Ces personnes en sont au stade du chaos; elles vivent dans la peur. C'est pourquoi elles viennent jusque sur la Colline au volant de leur tracteur. Si le ministre est en mesure de dire: «Je vous entends et je comprends ce que vous voulez dire» - c'est ce qu'il importe d'entendre.

Le gouvernement n'a pas à intervenir; cependant, il doit créer le contexte et le soutenir. Vous allez vous demander ce que cela veut dire. Ce que je dis, c'est que, traditionnellement, nous sommes intervenus en affirmant: «Voici un chèque. J'espère que ce sera suffisant.» On n'arrivera cependant pas aux résultats escomptés parce que la mesure ne répondra pas aux besoins différents d'agriculteurs différents à des stades d'évolution différents. Par conséquent, il s'agira d'une solution exhaustive. L'une des questions que vous vous poserez sans doute est: «Est-ce réalisable?» Nous allons y venir. J'espère que vous allez poser la question parce que j'ai certaines idées à vous présenter à ce sujet.

Ces personnes ne se réunissent pas à l'intérieur de groupes. Elles ne quittent pas la cuisine de leur exploitation. Elles ne sortent pas volontiers de leur bulle. Elles n'iront pas à un séminaire - nos méthodes traditionnelles ne fonctionneront donc pas. Les membres de ce groupe, qui comptent pour 41 p. 100 du total, ne se mettront pas activement à la recherche d'informations. Peu importe le nombre de bulletins que M. Laws passe des heures à préparer - cela n'aura aucun incidence sur les membres de ce groupe.

Nous devons faire les choses différemment. Il est difficile de mesurer l'impact ou les résultats du travail de missionnaire. Depuis que l'étude a été réalisée, je me sens toutefois plus certaine de l'approche du problème que nous allons adopter. On doit rompre avec les programmes traditionnels sans oublier l'autre groupe de 59 p. 100, c'est-à-dire celui avec lequel nous travaillons puisque ces membres sont ceux qui feront avancer l'autre groupe. Ils ont aussi besoin de notre soutien.

En conclusion, nous devons tous travailler de concert. Les ministères doivent collaborer entre eux. En terminant ici, j'irai assister à une réception d'aquaculteurs. Si on me demande ce que je fais, je réponds que j'investis dans l'industrie agroalimentaire parce que c'est là que nous en sommes aujourd'hui. Quand il s'agit de denrées, qu'il s'agisse de la biotechnologie ou du biodiésel, c'est notre domaine, et nous devons nous poster à sa hauteur. Il faudra faire preuve de beaucoup d'ingéniosité et bénéficier d'appuis solides pour rester à l'avant.

Je vais conclure sur ces mots. Je me ferai un plaisir de répondre à vos questions. Je me montrerai aussi franche et honnête que possible.

Le président: Merci, madame Forbes. Dans votre exposé, je n'ai rien entendu au sujet du prix des produits. Vous me dites que vous êtes productrice laitière.

Mme Forbes: Je l'ai été.

Le président: Si on supprimait la protection offerte par les offices de commercialisation et qu'on vous mettait au défi de soutenir la concurrence mondiale, combien de temps dureriez-vous?

Mme Forbes: Pas très longtemps.

Le président: Le prix des produits est donc important, et c'est un problème. Dans l'économie mondiale, les agriculteurs n'ont tout simplement pas de revenu. Tant et aussi longtemps qu'on n'aura pas réglé le problème, vous aurez beau jongler avec toutes sortes d'idées à la mode, à mon avis, cela ne vous mènera pas bien loin. Je connais bien nos agriculteurs, et ils sont innovateurs. Ils travaillent plus fort que les membres de toute autre industrie.

Mme Forbes: Oui.

Le président: À moins de remédier à ce volet du problème, les idées fantaisistes à la pelle ne feront rien pour régler le problème. Je dois dire que j'ai été déçu que vous n'ayez rien eu à dire au sujet du prix des produits. C'est là le problème.

Mme Forbes: J'ai parlé du prix des produits. J'ai dit qu'il y a trois façons de modifier notre activité, et l'une d'entre elles consiste à vendre des produits à bas prix, auquel cas il faut s'agrandir, mais il y a à cela une limite.

Le président: Nous en avons fait l'essai.

Mme Forbes: Exactement. Et nous avons parlé de la diversification, et c'est la deuxième façon. Quant à la troisième, elle consiste à dénicher un créneau de marché. C'est l'autre question qu'on doit se poser au bout du compte. Il s'agit d'une décision délibérée. C'est à vous qu'il incombe de déterminer ce que vous allez faire. Personne ne devrait vous dicter votre ligne de conduite. Si, en fin de compte, vous n'êtes pas en mesure d'exploiter une ferme, c'est ce qui va arriver. Ce n'est pas pour tout le monde.

Il y a quelques semaines, j'étais en Saskatchewan, et mon séjour là-bas a fait sur moi une forte impression. J'avais des inquiétudes parce que j'ai longuement et fortement réfléchi à ce que j'allais faire si je me trouvais en Saskatchewan. La seule réponse que j'ai pu me faire, c'est que je ne pourrais pas continuer de faire la même chose de la même façon et obtenir le même résultat. C'est tout ce que je puis vous dire. Il y a avait un groupe de personnes bien préparées et passablement enthousiastes. Au nombre d'environ 351, elles se trouvaient à Saskatoon et étaient prêtes à faire progresser l'industrie, ce qui était passionnant à voir.

Le président: Il importe de noter que, en Saskatchewan, on met aujourd'hui l'accent sur les récoltes de légumineuses à grains. Je ne parle pas du canola. Je parle des pois, des haricots, de ce genre de récoltes. En même temps, les Américains introduisent des projets de loi visant à subventionner ces récoltes au Dakota du Nord et au Dakota du Sud.

La semaine dernière, un article est passé dans le New York Times. Bon nombre de nos agriculteurs s'intéressent à ces récoltes spécialisées. La semaine dernière, le président de l'Association des producteurs de légumineuses à grains a déclaré qu'on allait maintenant faire pousser des haricots dans le sud. Fort bien. Nous nous sommes tournés vers le canola, et nous nous sommes diversifiés. Si les Américains continuent de verser des subventions - et ils le feront -, les agriculteurs en question se tourneront vers les pois, les haricots et les récoltes de ce genre. Quelques-uns réussiront peut-être, mais ils ne pourront pas résister aux effets de ces subventions. À l'heure actuelle, l'agriculteur américain moyen touche plus de 6 $Can pour son blé dur, tandis que nous obtenons 3,17 $. Si l'industrie laitière devait composer avec les mêmes contraintes, auriez-vous du mal à réaliser des profits?

Mme Forbes: Sans plaisanter, je pense que l'industrie laitière sera probablement obligée cette fois à répondre à des questions.

Le président: Je suis d'accord.

Mme Forbes: On mettra en doute les biens bénéficiant d'un régime de gestion de l'offre. Je ne suis pas certaine que le régime résistera à l'analyse.

Le président: Le sénateur Tunney, qui est spécialiste de cette question, me dit que c'est ce qu'il craint.

Mme Forbes: La capitalisation de cette industrie me préoccupe. Il y a cinq ans, nous avons vendu nos vaches et nos quotas. Je puis vous dire que leur valeur a doublé en cinq ans, et cela me fait peur.

Le sénateur Wiebe: Vous avez présenté l'agriculture de demain. Je pense que vous avez mis droit dans le mille, mais je suis personnellement d'avis qu'on fait fausse route. Cependant, c'est dans cette direction que l'agriculture s'engagera, peu importe ce que nous ferons.

Nous nous plaisons à parler des subventions. Nous savons que l'Europe et les États-Unis continueront de verser des subventions pendant au moins dix ans. Nous serons témoins de formidables changements.

Des établissements plus gros ne sont pas nécessairement la solution à tous les maux. La semaine dernière, à titre d'exemple, je me suis rendu dans une entreprise du comté d'Essex qui produit des fleurs - des fleurs pour les foyers, et cetera. En Ontario, cette industrie a connu une croissance phénoménale en raison de la technologie et des techniques modernes. Aujourd'hui, l'industrie emploie 38 000 personnes. Ses représentants nous ont dit que, en raison de leurs activités, bon nombre de pépinières aujourd'hui florissantes seront malheureusement acculées à la faillite.

Avec quatre heures de préavis, le groupe peut aujourd'hui livrer des fleurs partout dans le monde. On met au point une technologie automatisée qui accélérera la production et assurera une efficience plus grande.

Dans cinq ans, l'industrie n'aura peut-être plus à son service que la moitié des 38 000 personnes qu'elle emploie aujourd'hui. C'est hélas la situation qu'on observe dans l'industrie agricole partout dans le monde. Il suffit de prendre l'exemple des porcheries en Saskatchewan. En 1970, j'ai bâti une exploitation de naissage-engraissage de 80 truies. À l'époque, c'était l'une des plus grandes de la Saskatchewan. Aujourd'hui, toute personne qui aménagerait une exploitation de cette taille ferait faillite avant même d'avoir vendu son premier cochon.

Il y a environ un mois, j'ai visité certaines des nouvelles porcheries de la Saskatchewan. À première vue, elles sont superbes. Les agriculteurs se sont regroupés et ont investi 100 000 $ chacun pour aménager ces porcheries et les louer à un exploitant. Qu'arrivera-t-il à l'investissement de ces agriculteurs si la maladie frappe une de ces gigantesques exploitations? Par ailleurs, les agriculteurs sont-ils en train de devenir des métayers?

Voilà le genre d'enjeux sur lesquels nous devons nous pencher. Je pense que la réalité à laquelle vous faites allusion se matérialisera. Malheureusement nous ne serons pas en mesure de freiner le mouvement en raison du commerce international et de l'évolution de la situation mondiale.

Vous avez fait allusion au potentiel du Brésil. Regardez ce qui arrive lorsque certains pays européens sont admis au sein du Marché commun européen. Avec son territoire et sa nouvelle technologie, la Pologne, par exemple, pourrait surclasser la production de tout le Canada.

Cela me fait peur parce que les gros établissements ne sont nécessairement les meilleurs. Nous allons dépendre de plus en plus des sociétés étrangères pour notre approvisionnement en aliments. Regardez ce qui arrive à l'industrie de la transformation du pays. Si, à l'heure actuelle, les frontières étaient fermées, nous serions toujours en mesure de nous nourrir nous-mêmes, sauf en ce qui a trait aux fruits. Cependant, ce ne sera plus vrai pendant encore bien longtemps. Au pays, nous sommes en voie de perdre nos usines de transformation.

Vous présentez un exposé au ministre de l'Agriculture. Vous a-t-il fourni des données au sujet du nombre d'agriculteurs qui peuvent sortir du secteur de l'agriculture au lieu d'effectuer un changement à l'intérieur? Vous nous dites que nous allons assister au cours des 15 prochaines années à un énorme transfert d'actifs, et le phénomène est déjà en cours. Que conseillez-vous aux agriculteurs qui souhaitent renoncer à l'agriculture sans sacrifier leur dignité?

Mme Forbes: À la suite de notre étude, nous allons faire des recommandations au ministre par l'entremise des membres de son personnel affecté aux politiques. Pour ma part, je suis fermement convaincue qu'une solution consiste à quitter l'agriculture. À l'heure actuelle, les agriculteurs ne sont pas encouragés à le faire parce qu'ils ne savent pas quoi faire d'autre. Les agriculteurs n'ont pas l'habitude de demander de l'aide. Ils devront donc apprendre à faire confiance à des gens. Nous devons faire appel aux médecins et aux pasteurs des collectivités, qui ont la confiance des agriculteurs. Ainsi, ces derniers comprendront peut-être les options qui s'offrent à eux.

Ils pourraient par exemple retourner aux études. Dans le cadre du programme d'assurance-emploi, on pourrait financer le recyclage. De nombreux agriculteurs n'ont pas les moyens de retourner à l'école tout en subvenant aux besoins de leur famille. Nous avons besoin de mesures de soutien de cette nature. Parce que nous devons obtenir le meilleur rendement possible, nous ne renverrons pas une personne de 55 ans sur les bancs d'école. Il est certain que l'éducation secondaire serait réservée aux jeunes. Je sais qu'Agriculture Canada s'intéresse à cette possibilité, mais les intéressés ne bougeront que lorsqu'ils auront surmonté leurs craintes. L'argent représente une crainte particulièrement importante.

Les programmes d'aide doivent venir de la collectivité. On ne peut parachuter les aidants et les conseillers. L'aide doit être concentrée, ciblée et liée.

Les agriculteurs doivent comprendre qu'ils n'auront plus accès au programme de filet de sécurité s'ils quittent l'agriculture. On le réservera pour ceux qui restent dans l'industrie. Je ne dis pas qu'on devrait supprimer les filets de sécurité. Nous en avons besoin en temps de crise, mais vous ne devriez pas les utiliser continuellement à titre de solutions de rechange aux modifications qu'il convient d'apporter.

Nous devons nous doter d'une stratégie comprenant de multiples approches. C'est faisable. Comme je l'ai dit au ministre, tout dépend de notre volonté.

Le sénateur Wiebe: Que la proposition soit faisable ne fait aucun doute. C'est plutôt évident. Cependant, vous avez aussi indiqué que ce genre de programme est conçu pour inciter des jeunes à faire leur entrée dans le domaine de l'agriculture. De quel genre d'agriculture s'agit-il?

Lorsque j'ai fait mes débuts dans l'agriculture, il suffisait d'un avoir propre de 10 p. 100 pour débuter et réussir. Aujourd'hui, on a besoin d'avoirs propres de 75 p. 100. À propos du capital de risque ou de la participation communautaire, nous disons en réalité: «Nous voulons que vous nous fournissiez les capitaux dont nous avons besoin pour débuter.» Cela ne s'applique pas à un grand nombre de jeunes. Les jeunes qui s'intéressent à l'industrie agricole seront des employés, et non des propriétaires. Ce n'est pas la direction dans laquelle, à mon avis, l'agriculture s'est engagée.

Mme Forbes: Nous ne serons peut-être pas en mesure de rectifier le tir, et c'est là le problème.

Je vis dans l'espoir que l'agriculture pourra rester entre les mains d'agriculteurs qui se transmettent les exploitations de génération en génération. Cependant, j'ignore ce que l'avenir nous réserve. Je ne sais pas qui sera l'agriculteur ou le détenteur des actifs. Ce que j'ai appris récemment, c'est que nous avons vendu notre entreprise laitière au bon moment. Nous avons décidé que nous n'allions pas tout réinvestir dans l'agriculture. Ce n'est pas pour tout le monde. Nous avons constaté alors que nous devrions peut-être conserver un certain actif et en réinvestir une partie dans d'autres secteurs. On a alors affaire à une stratégie complète. Lorsque nous avons fait nos débuts dans le domaine de l'aquaculture, on nous a demandé: «Utilisez-vous des capitaux de l'extérieur?» Nous avons répondu: «Oui, il n'y a que les nôtres que nous n'investissons pas.»

Le problème, c'est d'assurer le rendement aux investisseurs, et c'est là le hic - particulièrement depuis le 11 septembre et même depuis la semaine dernière. Je dirais que les jeux changent de semaine en semaine. J'ai l'habitude de dire que les règles seront différentes lorsque je rentrerai chez moi. J'attends donc de voir ce qui m'attend. Les choses se passent de façon si dynamique et rapide.

Le sénateur Wiebe: J'ai trois autres questions, mais je vais attendre la deuxième ronde.

Le président: À l'heure actuelle, le Canada ne compte que 250 000 agriculteurs. L'industrie agricole s'est tournée vers les gouvernements pour qu'ils mettent davantage l'accent sur les centres urbains. Les capitaux sont limités. Je l'ai compris en entendant hier un économiste de l'Université de Saskatoon qui a étudié ces questions. Il nous a dit que les capitaux ne sont pas illimités.

Les gouvernements décident qu'ils doivent mettre la main sur les fonds du Canada rural. C'est le Canada rural qui est le producteur. Il y a le bois, le pétrole, le gaz, les produits agricoles, les produits miniers, l'eau - tout cela vient du Canada rural. Qui en bénéficie? Les centres urbains.

Au fur et à mesure que cette population se raréfie, nous attirons de plus en plus de gens. À Toronto, nous avons presque été témoins d'une révolution. Des démunis apparemment incapables de joindre les deux bouts ont commencé à casser des vitres et ainsi de suite. Je ne veux pas leur donner raison, mais ces personnes souffrent.

Il s'agit d'une décision gouvernementale.

Le sénateur Stratton: J'ai une brève question à poser. Avez-vous défini des sources de capitaux patients? La question m'intéresse parce que de nombreuses entreprises éprouvent des problèmes à cet égard. Avez-vous défini de telles sources?

Mme Forbes: De façon générale, j'évite de mentionner le nom d'une société, mais, dans ce cas-ci, je ne risque rien puisqu'il s'agit d'une société de la Couronne. C'est la Société du crédit agricole. En juin, elle a obtenu l'approbation législative qui lui permet de combler les besoins au milieu. Du point de vue du fonctionnement, il s'en faudrait de peu qu'on ait affaire à une banque à part entière. Je sais que la demande est là et que les pressions existent. Je pense que la société partage ce point de vue, mais le mouvement n'est pas amorcé.

Elle n'a pas arrêté tous les détails des programmes, mais elle proposera des capitaux. Je pense qu'il y aura une limite de 700 000 $ aux prêts qu'elle pourra consentir pour une période raisonnable, ce qui change de l'approche à laquelle on nous a habitués: «Voici l'argent, je veux le récupérer.» Ce n'est pas l'attitude actuelle des cinq grandes banques. Si on regarde la situation en profondeur, je pense que la grande question est la suivante: «Pendant combien de temps vont-ils demeurer dans l'agriculture?» Je sais que la Société du crédit agricole est très progressive. Je suis donc honnêtement en mesure de vous donner cette réponse. J'ignore quand les produits seront offerts, mais je sais qu'elle y travaille d'arrache-pied. Les dispositions législatives ont été adoptées en juin. John Ryan, qui est le PDG, inaugurera la conférence du week-end avec moi. Je serai la première à lui demander quand les produits seront offerts, et je vous transmettrai la réponse.

Le sénateur Hubley: Merci beaucoup de votre exposé. Votre énergie et votre attitude positive nous permettent d'espérer qu'on fait quelque chose pour nos agriculteurs.

En ce qui concerne le groupe de 41 p. 100, s'agit-il d'agriculteurs qui se contentent de durer jusqu'au jour où ils n'auront plus nulle part où aller? Cherchent-ils, par ailleurs, une voie de sortie? Si on leur proposait une solution de rechange, croyez-vous qu'ils s'en prévaudraient? Serait-ce là le tournant? Ils ont pris la décision de poursuivre et amorcent l'ascension qui les ramènera au statut d'agriculteur viable? Sinon, ces agriculteurs sont-ils heureux de laisser les choses comme elles sont?

Mme Forbes: Je dois d'abord préciser que l'étude n'est que le commencement. Nous allons aller plus loin dans l'analyse de ce groupe de 41 p. 100 incluant la ventilation des résultats. Cependant, il ne s'agit pas dans la majorité des cas de jeunes cadres actifs qui possèdent la terre. Ce sont des personnes véritablement coincées. Certaines d'entre elles se croient dans une situation acceptable parce qu'elles l'ont toujours été. Le gouvernement leur a donné assez d'argent pour leur permettre de tenir le coup jusqu'à leur prochain prêt de fonctionnement. Cependant, ils empiètent sur leurs avoirs propres. Cela ne fait aucun doute. Leur matériel se déprécie. Leurs marges bénéficiaires se réduisent comme une peau de chagrin. Ils ont une mauvaise année. L'impact d'une force négative les fait reculer encore du point de vue de l'avoir. Je ne crois pas que la majeure partie des personnes qui font partie de ce groupe de 41 p. 100 savent qu'une option s'offre à elles. Elles sont coincées. Elles sont, comme je l'ai dit, en état de paralysie.

C'est pourquoi les interventions - c'est un mot vraiment très fort - doivent être douces. Pouvez-vous m'imaginer entrant dans la cuisine d'un agriculteur pour lui dire: «Nous allons nous asseoir pour parler de votre situation»? C'est impensable.

Cependant, il faut faire appel à des personnes que les agriculteurs connaissent: d'abord, on doit les sensibiliser au fait qu'ils sont en difficulté. Ils ne sont même pas au courant. Leur banquier le saurait, alors ils viendront. Cependant, la situation de bon nombre d'entre eux demeure, sur le papier, plutôt reluisante. Tout dépend des circonstances et du parcours de chacun. Chaque cas est différent. C'est probablement cette situation qui effarouche les politiciens du Cabinet. Au Cabinet, il n'y a pas grand monde qui comprenne la nécessité de soutenir l'agriculture primaire. J'en suis consciente.

Cela dit, je pense que nous devons adopter une approche différente. La présente étude vise en fait à soutenir M. Vanclief, de façon qu'il puisse affirmer: «Nous n'allons pas continuer de la même manière». S'il se contente de revenir à la charge pour demander des crédits, il n'obtiendra aucun appui. Nous sommes très confiants à ce sujet, mais nous savons qu'il ne s'agit que d'un début d'explication.

Le sénateur Hubley: Avez-vous une idée de la proportion des membres de ce groupe de 41 p. 100 qui appartiennent à des organismes agricoles ou à des groupes de produits - ce genre de choses?

Mme Forbes: Pratiquement aucun d'entre eux.

Le sénateur Hubley: C'est donc que le problème prend racine. Ils ne participent pas vraiment à la communauté agricole, n'est-ce pas?

Mme Forbes: Il n'y a pas de groupement collectif. Ils ne sortent pas, et le groupe ne les rejoint pas. Dans l'Ouest, une bonne part de l'apprentissage s'effectuait au café, mais je crois comprendre que la situation n'est plus ce qu'elle était. «Comment ça va, Joe»? «J'ai essayé ceci, cela et encore cela.» Même ce genre d'échange n'a plus cours parce que les agriculteurs ne se sentent pas bien. Ils ne sont pas heureux. Ils se savent dans une situation négative, mais ils ne sont pas prêts à y faire face parce qu'ils vivent dans la crainte. Il s'agit d'une situation très délicate. Je suis moi-même passée par là.

Le sénateur Tunney: Soyez la bienvenue et merci d'être venue. Je suis perplexe parce que je n'arrive pas à comprendre comment vous avez pu quitter le meilleur secteur agricole qui soit pour faire autre chose. À mon avis, la seule raison de quitter l'industrie laitière est l'âge, et vous êtes loin d'en être là.

Mme Forbes: La réponse est simple. Mon mari en avait assez d'être l'esclave de l'appareil reproducteur. C'était sa réponse, et j'ai dû lui donner raison. La question qu'il me posait était la suivante: «Sommes-nous assez brillants pour faire autre chose?» Je lui répondais: «Ça ne fait aucun doute. Ne demande pas quoi, mais je serais disposée à prendre le temps et le recul voulus pour faire le point.»

Le sénateur Tunney: Il s'agit d'une industrie fascinante, à laquelle j'ai consacré toute ma vie.

Mme Forbes: J'adore l'industrie, et elle me manque. C'est mon commentaire personnel.

Le sénateur Tunney: Les critiques qu'on adresse au programme et au mode de fonctionnement de la gestion de l'offre me préoccupent. La situation est mal comprise et critiquée de façon injuste et impropre. J'aimerais que d'autres secteurs de l'agriculture puissent bénéficier de la même justification, sinon des progrès financiers ou statistiques qui guident la démarche.

Dans d'autres secteurs, il y a des personnes pour qui la gestion du temps ne signifie rien. On dirait qu'elles cèdent à quelque chose et qu'elles renoncent à leur rêve d'entreprise privée. Je suis au courant de la gravité de la situation de bon nombre d'agriculteurs. J'ai travaillé au Bureau d'examen de l'endettement agricole à l'époque où l'organisme portait ce nom. Aujourd'hui, il s'appelle autrement. L'un des problèmes, c'est que peu d'agriculteurs et d'autres personnes sont au courant de l'existence de l'organisme.

Mme Forbes: Il s'agit du Programme de consultation agricole.

Le sénateur Tunney: Oui. De façon générale, les banques ne sont pas au courant de son existence. Les bureaux agricoles - et il n'y en a plus beaucoup - ne sont pas non plus au courant. Par conséquent, on n'utilise pas l'organisme comme on le devrait, et on devrait faire appel au programme de consultation pour autre chose que des services de médiation, de façon à ce que les agriculteurs viennent cogner à la porte de l'organisme avant de se retrouver dans de véritables difficultés financières.

La Société du crédit agricole est peut-être la planche de salut des agriculteurs qui savent s'administrer. En juin, j'ai piloté le projet de loi au cours des trois lectures; au moment du vote, nous avons obtenu un appui de 100 p. 100. Les résultats n'ont pas été aussi probants à la Chambre des communes, mais la nouvelle loi offre des avantages à ceux qui savent s'en servir.

Cependant, voici le hic: bon nombre d'agriculteurs croient pouvoir accéder à la prospérité en faisant des acquisitions et en investissant plus de capitaux dans de la machinerie ce qui est au-dessus de leurs moyens et dont ils pourraient très bien se passer. Ils s'engagent sur la voie de la faillite en engageant des fonds dans de la machinerie qu'ils pourraient retenir à court terme, ce qui leur permettrait d'économiser des milliers de dollars. Vous ne nous avez rien appris au sujet de l'état de l'agriculture et des difficultés financières de bon nombre d'agriculteurs.

Mme Forbes: J'aimerais dire un mot au sujet de l'industrie financière. Souvent, on me fait dire que je suis étonnée de ce que les banquiers ne demandent pas à voir. J'ai eu affaire à un banquier pendant un certain nombre d'années, et la liste des renseignements que je n'ai pas eu à lui fournir m'a stupéfiée. Je sais que nous avons un bon dossier et que cela compte pour beaucoup, mais nous devons travailler avec tous les professionnels. C'est ce que nous appelons un réseau. Nous mettons un incroyable réseau au service des agriculteurs du pays.

Je vais dire un mot du Programme de consultation en milieu agricole. Parce que personne n'était au courant de l'existence du service, le conseil s'est associé à lui. Ensemble, nous nous sommes interrogés sur le message qui devait être diffusé. De façon générale, nous ne sommes pas organisés pour faire face à ce que j'appelle des «problèmes aigus». Nous nous intéressons plutôt aux fondements à long terme des mesures qu'il convient de prendre. Ensemble, nous avons mis au point trois dépliants. Des membres de notre conseil ont réuni des personnes des quatre coins du pays et se sont entendus sur la nécessité de faire le point sur la situation. Les dépliants ont été postés dans toutes les exploitations. Ils renferment une liste de contrôle qui permet d'établir le bilan de santé d'une entreprise agricole. Je sais que bon nombre de ces documents finissent dans les poubelles parce que les intéressés eux-mêmes ne sont pas au courant de l'état de santé de leur entreprise.

Vous avez raison au sujet de la Société du crédit agricole. Elle n'a que faire du groupe de 41 p. 100 dont il est ici question. Je sais d'où viennent ses clients. Nous devons nous attaquer à ce problème. Les difficultés auxquelles ces personnes sont confrontées sont beaucoup plus fondamentales parce qu'elles sont plus susceptibles de raffiner leurs activités.

Beaucoup reste à faire, mais je soutiens qu'on peut en dire autant de tous les secteurs. On ne peut cibler un seul groupe. Le seul groupe dont on n'a pas à se préoccuper, c'est celui de la tranche supérieure de 20 p. 100. C'est eux qui feront évoluer l'industrie. Si nous pouvions faire physiquement appel à ces personnes - ça fait partie de notre réflexion -, je suggérerais à M. Vanclief de les rémunérer pour qu'ils nous viennent en aide. La plupart des agriculteurs feront confiance à d'autres agriculteurs. Les agriculteurs respectent les agriculteurs, même s'ils ne sont pas leurs voisins immédiats. Nous devons faire appel à ces personnes, qui constituent une ressource extraordinaire.

Le sénateur Tunney: Vous avez absolument raison.

Le sénateur Oliver: J'ai une question au sujet de la diapositive intitulée «Les lacunes». Vous avez dit que le Canada était dépourvu d'un système qui garantisse la salubrité des aliments de la production à la consommation, et cela m'effraie au plus haut point. Je me demandais si vous pourriez nous en dire un peu plus à ce sujet. Que manque-t-il? Que devrait-on faire pour assurer la sécurité alimentaire? Combien de temps cela prendra-t-il? Allons-nous tous être empoisonnés avant que des mesures correctives ne soient apportées?

Mme Forbes: Je vais d'abord répondre à la dernière question. Nous n'avons pas encore été empoisonnés, et nous ne le serons probablement pas. Cependant, je ferai référence à un système de reddition de comptes grâce auquel on pourrait établir l'origine des aliments, de façon à atténuer les risques d'événements graves. Je fais ici référence à un programme obligatoire. L'industrie bovine a commencé à mettre en place un système d'étiquetage, qui fait figure de classique. La semaine dernière, nous avons discuté avec des gens des réactions à l'introduction d'une étiquette qui permettrait d'identifier le boeuf, jusqu'à ce qu'il finisse en viande hachée.

Le sénateur Oliver: On pourrait même le faire à l'aide de puces informatiques.

Mme Forbes: Absolument. C'est ce qu'il faut faire. La réponse à l'autre volet de votre question, c'est que nous devons nous doter d'un système de ce genre. Dans ce dossier, l'Europe a des années-lumières d'avance sur nous. On peut maintenant se rendre dans une épicerie et, au moyen d'un ordinateur, obtenir des renseignements sur l'agriculteur qui a élevé le boeuf qui a abouti dans l'établissement en question. Je ne sais pas si nous devons aller jusque-là, mais il ne fait aucun doute que, dans l'esprit des consommateurs, la sécurité alimentaire représente un enjeu de taille. Cette préoccupation vient à l'avant-plan, et je le sais parce que je produis moi-même des aliments. Les consommateurs tiennent à savoir ce qu'il y a dans les produits qu'ils achètent. Nous devons aller jusqu'aux pigments utilisés dans les aliments pour animaux. Les consommateurs tiennent à savoir s'ils sont digestibles. Nous devons aller jusque-là dans le domaine de la reddition de comptes.

Je ne voulais pas vous faire peur. Je voulais simplement vous faire prendre conscience de la chance que nous avons eue.

Le sénateur Oliver: Quelles études réalisez-vous pour accélérer l'établissement d'un système qui assure une meilleure sécurité alimentaire de la ferme à l'assiette?

Mme Forbes: C'est Agriculture Canada qui s'en charge par l'entremise de sa politique. Le ministère n'a pas encore donné un grand coup, mais cela fait partie de ses projets. On liera les plans environnementaux à la sécurité alimentaire. En d'autres termes, vous ne pourrez obtenir ceci si vous ne faites pas cela.

Le sénateur Oliver: Un agriculteur aura-t-il besoin d'un permis pour pouvoir retourner un champ et faire un peu d'agriculture? La délivrance d'un tel permis sera-t-elle assujettie au Hazard Assessment Safety Action Plan (HASAP) et à d'autres exigences?

Mme Forbes: Exactement. Nous avons aujourd'hui des opérateurs antiparasitaires accrédités. Nous allons devoir obtenir une certification dans tous les domaines.

Le sénateur Oliver: Ces mesures auront-elles pour effet d'acculer les membres du groupe de 41 p. 100 à la faillite?

Mme Forbes: Cela ne fait aucun doute. Si aucun programme de soutien n'est mis en place, les personnes qui composent la tranche supérieure de 60 p. 100 accuseront un recul. Ce sont les coûts qui empêchent aujourd'hui l'adoption de ces mesures. Établir un plan environnemental coûte une fortune, non seulement parce qu'on doit mettre le plan en branle, mais aussi parce qu'on met au jour les lacunes.

Le sénateur Oliver: Maintenant, vous me faites peur. Qu'arrivera-t-il à l'agriculture si on chasse ces agriculteurs aux ressources limitées?

Mme Forbes: D'abord, permettez-moi de tirer les choses au clair. Nous en viendrons là, peut importe ce qui arrive. Pour produire des aliments dans l'industrie mondiale, nous allons devoir en passer par là parce que l'Europe l'a déjà fait et qu'elle se démarque déjà de nous. Les États-Unis sont en voie de le faire. Nous devons leur emboîter le pas, et je crois que l'initiative doit venir du gouvernement. Nous allons devoir consentir un prêt pour l'achat d'une réduction d'intérêt ou d'autres programmes du même genre. Je ne suis pas mesure de participer à la conception. J'aimerais bien le faire parce que je sais ce qui peut aider les agriculteurs appelés à prendre la décision. Ce qui empêche les gens de prendre cette décision, ce sont les coûts.

Le sénateur Chalifoux: J'aimerais revenir à la question de la sécurité et, en particulier, du HASAP. Si je ne m'abuse, les petits transformateurs à valeur ajoutée devront se soumettre au programme HASAP d'ici 2003. On envisage maintenant de prolonger le délai. Je vis dans le nord de l'Alberta, et il y a de petits transformateurs qui étaient supervisés par les services de santé, qui examinent leurs techniques sanitaires, et tout fonctionne très bien. Soudainement, on oblige ces transformateurs à répondre aux normes HASAP. Ils devront dépenser 1,5 million de dollars. Ces petits transformateurs sont, dans leur collectivité, le principal facteur de viabilité économique. S'ils font faillite, c'est tout le village qui s'éteint. Dans votre étude, avez-vous envisagé ce qui va se passer ou ce qui est train de se passer?

Quand nous étions à Washington, j'ai posé des questions à un certain nombre de sénateurs et de membres du Congrès. Ils ont dit: «C'est ce qu'on a fait ici, et les petits transformateurs ont fait faillite.» On a agit sans égard aux petites collectivités, aux collectivités rurales si essentielles à notre survie. Avez-vous étudié les questions de ce genre?

En Alberta, un organisme a mis au point un nouveau procédé qui permet de faire de la production porcine en circuit fermé. On pourrait ici suivre le cochon jusqu'au rôti de porc et l'identifier. C'est déjà fait. Il y a un projet pilote. Vendredi, on a signé une entente avec la réserve de Poundmaker en Saskatchewan, et la société est en relation avec les Japonais. C'est un autre aspect de ce dont vous avez parlé au sujet de l'identification. Au Canada, le processus est déjà amorcé.

Ce qui m'inquiète, c'est qu'il y a une énorme usine de transformation qui a les moyens d'adopter les normes HASAP. Savez-vous si vous pourrez rencontrer M. Vanclief ou quelqu'un d'autre pour aider ces petits transformateurs de nos collectivités rurales à rester en vie?

Mme Forbes: Je ne suis pas en mesure de répondre à cette question. Nous exerçons toute l'influence dont nous sommes capables. Je comprends les rouages du fonctionnement de votre comité. Lorsque nous avons l'occasion de discuter avec des concepteurs de programmes, ce que nous avons fait - et je sais que cela n'a pas fonctionné - est universel. Je pense que c'est ce que le Cabinet a rejeté: «Le voilà de retour. Il veut obtenir tant de millions de dollars.» Cependant, je pense que la justification passe par l'établissement des personnes qui ont besoin d'une aide, de la période au cours de laquelle elles en auront besoin et des motifs de leurs besoins. Nous devons à tout le moins compter sur des amis au Cabinet. Nous devons organiser des séances comme celle-ci avec d'autres ministres du Cabinet parce que tout ce que nous faisons dans le domaine de l'agriculture a des répercussions sur d'autres secteurs. C'est incongru.

Il y a trois semaines, on m'a filmée à notre ferme. Je parlais de notre cadre stratégique. La baie Cobequid sous les yeux, j'ai dit que, au moment où nous travaillons à des problèmes relatifs à la terre, je pourrais faire face à une contrainte, simplement parce que je suis établie sur la baie de Fundy intérieure, laquelle m'empêchera de faire des choses que je serai en mesure de faire simplement parce qu'il n'y a pas d'uniformité d'un ministère à l'autre. Nous pouvons faire beaucoup mieux ce que nous faisons, ce qui représente un défi considérable.

C'est pourquoi, je le comprends, un programme déterminé d'avance ne fonctionnera pas. Il faudra établir le programme en fonction des personnes qui en ont besoin. Les grands transformateurs n'en ont pas besoin. C'est comme quand nous vendons nos produits en direct. Ce qui me motive, c'est de trouver le moyen de mettre la main sur la majoration de 30 p. 100 que quelqu'un appliquera à mes produits si je les vends à un grossiste. Cela me fera beaucoup réfléchir. Je suis différente. Je ne suis pas une agricultrice typique.

Le président: Devrions-nous nous intéresser aux transformateurs plutôt qu'aux agriculteurs? Ce sont des milliardaires qui touchent 93 p. 100 de l'argent dévolu à l'alimentation. En Saskatchewan, il y a eu un débat à ce sujet jusqu'à hier après-midi. On a cité des chiffres, et les transformateurs réalisent de petites fortunes.

Le gouvernement devrait s'intéresser aux agriculteurs et affirmer que les agriculteurs ont droit à une part équitable de la vente des aliments qui se retrouvent sur nos tables. En attendant, nous ne ferons que rester à flot.

Mme Forbes: Vous soulevez un point intéressant parce qu'on en revient à la question du rendement équitable. Aucun agriculteur ne s'attend à être riche, mais il est raisonnable de compter sur un rendement juste.

Le président: C'était possible, mais plus aujourd'hui.

Mme Forbes: Le genre d'éléments dont nous avons parlé ici ce soir se révéleront à coup sûr coûteux, et nous devrons insister sur les enjeux politiques. C'est à cause d'eux que nous allons mettre la charrue avant les boeufs et nous distinguer des autres.

Le président: Allez-vous transmettre au ministre et au gouvernement le message suivant lequel nous devrions nous intéresser de plus près aux transformateurs? Dans leurs recherches, ils citent le nom de sociétés dont je n'ai jamais entendu parler. Elles gagnent des milliards de dollars. En fait, certaines des familles les plus riches du pays oeuvrent dans le domaine de la transformation des aliments.

Mme Forbes: Les Weston.

Le sénateur Tunney: L'année dernière, ils ont obtenu un rendement d'un peu plus de 9 p. 100. J'ai vu leurs résultats financiers la semaine dernière. Ils en sont à plus de 19 p. 100.

Le sénateur Oliver: De qui parlez-vous, sénateur Tunney?

Le sénateur Tunney: Des détaillants du groupe Weston. Vous ne les connaissez peut-être pas. Ils ne sont pas présents dans les Maritimes.

Le sénateur Oliver: Je les connais très bien. J'étais là hier - le Superstore.

Le sénateur Wiebe: À titre d'information, ne constituez-vous pas une société de la Couronne?

Mme Forbes: Non.

Le sénateur Wiebe: Vous obtenez quatre-vingt-quinze p. 100 de votre financement d'Agriculture et Agroalimentaire Canada et environ 70 000 $ de vos commanditaires. Qui sont-ils? Parrainent-ils vos manifestations ou vos activités?

Mme Forbes: Ils nous parrainent de multiples façons. Je vais laisser à M. Laws le soin de répondre à la question.

M. Jim Laws, directeur exécutif, Conseil canadien de la gestion d'entreprises agricoles: Les commanditaires de l'année dernière étaient, pour l'essentiel, la Société du crédit agricole du Canada, la Banque Royale et divers autres. L'année dernière, nous avons publié un ouvrage sur la planification en cas de catastrophe. Les commanditaires ont assumé une partie du coût de l'impression du document et nous en avons distribué 66 000 exemplaires. Dans le cas de ce document en particulier, on a eu affaire pour une bonne part, à un grand nombre de personnes des quatre coins du pays.

Cette année, la Société du crédit agricole du Canada est le principal commanditaire de la conférence qui tiendra ce week-end, mais Myers Norris Penny, Sunoco et diverses autres entreprises nous donnent également un coup de main.

Le sénateur Wiebe: Comment les membres de votre conseil d'administration sont-ils désignés?

Mme Forbes: La province choisit des candidats dans les ministères à vocation agricole, parmi les ministères qui restent. C'est ce que quelqu'un a dit. Je cite le Nouveau-Brunswick à titre d'exemple. La province continue de nous envoyer quelqu'un, mais cette personne n'a pas nécessairement des antécédents dans le domaine de la gestion agricole. Les provinces choisissent leurs candidats de façon différente. Dans notre cas, le représentant est choisi. Dans certaines provinces, il est nommé. Au fil des ans, tout a toujours bien fonctionné. Nous avons des gens brillants autour de la table. Nous sommes maintenant au nombre de 23, ce qui ne facilite guère la prise de décisions budgétaires. Notre financement a diminué.

Le sénateur Wiebe: L'entente actuelle que vous avez conclue avec le gouvernement expire en 2003?

Mme Forbes: Exactement. Nous avons un certain nombre de projets en vue du point du financement à long terme, de façon qu'Agriculture Canada ne soit pas le bailleur de fonds principal. Nous avons travaillé avec acharnement à l'établissement de partenariats, car il s'agit d'un secteur d'activités dans lequel il est difficile de parvenir à l'autosuffisance. Nous ne sommes tout simplement pas en mesure de le faire.

Le sénateur Wiebe: Vous avez dit que les provinces interviennent dans la composition du conseil d'administration de 23 personnes. Désignent-elles deux ou trois administrateurs? Qu'en est-il du gouvernement fédéral?

Mme Forbes: Il y a deux administrateurs issus de chacune des provinces, et un de chacun des territoires. Nous allons passer à un conseil d'administration composé de dix personnes, qui seront élues en bonne et due forme à l'occasion d'une assemblée générale annuelle. Nous demandons toujours aux provinces de nous envoyer deux personnes parce que quatre des membres du conseil seront des producteurs et quatre seront une fois de plus des fonctionnaires. Il y aura aussi un membre d'office issu d'Agriculture Canada et un représentant du secteur privé.

Le sénateur Wiebe: Qui est habilité à voter?

Mme Forbes: Il faut être membre. Au moment où nous rationalisons la taille de notre conseil, nous avons augmenté le nombre de nos membres. Jusqu'à maintenant, nos membres se ressemblaient plus ou moins, conformément au mandat qu'on nous avait confié. Nous élargissons maintenant nos cadres, en passant d'abord par nos partenaires.

Nous venons tout juste d'adopter le modèle. À l'occasion de notre réunion d'octobre, nous avons adopté le règlement qui nous autorise à mener une campagne, à pressentir toutes sortes de personnes. Cependant, il s'agit dans la plupart des cas de personnes qui pensent comme nous, qui effectuent le même genre de travail que nous et qui sont disposées à devenir membres.

Le sénateur Oliver: Le sénateur Wiebe a posé des questions au sujet de votre conseil d'administration. À la lecture de vos états financiers, j'ai vu un chiffre qui m'a sauté aux yeux: une somme d'environ 300 000 $ par année est dévolue aux activités du conseil. De quoi s'agit-il?

Mme Forbes: Nous organisons trois réunions par année. Chacune de ces réunions coûte 45 000 $. Voilà pourquoi nous rationalisons la taille du conseil. C'est le mandat qu'on nous avait confié. Jusqu'à tout récemment, on ne nous a pas donné la possibilité de faire les choses différemment. Nous sommes devenus un conseil de régie, un conseil de politiques, et j'ignore comment un conseil composé de 23 personnes peut se mêler de politique.

Le sénateur Wiebe: Qui a accouché de cette idée? Comment a-t-on procédé? S'agit-il d'un projet issu du ministère de l'Agriculture?

Mme Forbes: Nous sommes issus d'un groupe de travail d'Agriculture Canada. Nous avons été créés en 1992. Le groupe de travail a pour sa part amorcé ses travaux en 1990. Il a constaté que les compétences des administrateurs d'exploitations agricoles devaient être perfectionnées.

Le sénateur Wiebe: Je suis surpris de constater que, en vertu de l'ancien système, les provinces pouvaient désigner des membres du conseil, sans être tenus d'injecter des fonds. C'est un système remarquable.

Mme Forbes: Oui, pour les provinces.

Le sénateur Oliver: Elles n'avaient rien à payer.

Le sénateur Wiebe: C'est possible.

Mme Forbes: En fait, il y avait de l'argent. Jusqu'à l'année dernière, on avait affaire à une entente fédérale-provinciale. À l'origine, si je comprends bien, les provinces détenaient tous les capitaux. En vertu des ententes fédérales-provinciales, les provinces payaient proportionnellement plus; avec le temps, la situation s'est renversée. Le système s'est centralisé. En vertu des compétences fédérales, on n'était jamais autorisé à se mêler de la formation. La situation s'est maintenue jusqu'à à peu près aujourd'hui. On voulait éviter la présence de bois mort au conseil. C'est pourquoi on a versé des fonds aux provinces, de façon qu'elles puissent offrir des cours de formation. Quels que soient les programmes que nous mettions au point, les provinces pouvaient les offrir.

Tout a très bien fonctionné. Dans chacune des provinces, il y avait un petit groupe qui déterminait les besoins à satisfaire, et un programme fédéral se chargeait de la mise en train de projets nationaux, de façon qu'ils soient génériques. Rien n'est axé sur des produits précis. Il n'y a pas de projet pour l'industrie laitière, par exemple. On s'adresse à l'industrie tout entière. Tous les produits sont touchés.

Le sénateur Wiebe: Ai-je raison de penser que vous êtes moins un groupe de gestion d'entreprise agricole qu'une sorte de groupe de réflexion, un groupe de réflexion sur les entreprises agricoles?

Mme Forbes: Jusqu'à un certain point, nous en sommes venus là, c'est vrai. Nous constituons maintenant un incroyable réseau. Nous pouvons mobiliser les troupes. C'est ce que nous entendons proposer à M. Vanclief. S'il veut bien de cette approche exhaustive, nous y parviendrons.

La dimension «groupe de réflexion» est nouvelle. La participation avec les responsables du cadre stratégique est également toute nouvelle. Nous en sommes arrivés à une culture de la confiance. C'est vraiment utile. Ils visent la même finalité. Nous faisons ce que nous faisons ici, ce qui nous permet de nous rapprocher un peu plus.

Demain, je vais être avec des représentants d'Agriculture Canada de 13 h à 20 h. La première partie de la rencontre portera sur l'étude. Les trois heures suivantes seront consacrées au financement.

Le président: Vingt pour cent des 250 000 agriculteurs existants sont responsables de 80 p. 100 de la production. Si les 80 p. 100 qui restent sont éliminés, ce qui semble en voie de se produire, nous allons nous retrouver avec 50 000 agriculteurs au Canada.

Je m'y connais un peu dans ce domaine, en particulier en ce qui a trait aux céréales et aux graines oléagineuses. Si certains de ces gros exploitants finissent avec une récolte sèche, ils vont devenir clochards.

Mme Forbes: Ils iront grossir les rangs du groupe des 80 p. 100.

Le président: Ils feront faillite en raison de la taille de leurs activités. Bon nombre de ces agriculteurs exploitent désormais cent quarts de section. Ils ne se financent plus auprès des banques ni de la Société du crédit agricole. Ils ne l'ont jamais fait. En fait, l'argent est avancé par le fabricant des machines utilisées. Ces derniers financent leurs propres machines. Ce qu'ils font, en réalité, c'est céder des machines à contrat.

Le phénomène fait boule de neige, si vite que j'ignore si quelqu'un est au gouvernail. Dans notre district, on a été témoins d'un grand nombre de manifestations du phénomène au cours des deux dernières années.

En fait, j'ai discuté avec Grant Devine hier soir. Il a été agriculteur. Il m'a dit: «J'ai fait la meilleure chose. J'ai loué mes terres au comptant. Nous étions lessivés. Vous avez intérêt à envoyer un chèque à l'agriculteur pauvre parce que, sinon, il va faire faillite.»

Voilà la vérité à laquelle nous sommes confrontés. Nous sommes passés par là dans le secteur de l'industrie porcine. Une bonne part de l'industrie porcine est passée d'Edmonton à Brandon. Il y a là 13 grosses porcheries. Combien y a-t-il d'éleveurs porcins? Je ne sais pas.

En Saskatchewan, combien de producteurs de volaille reste-t-il? Peut-être 70.

Mme Forbes: Vous pouvez prendre n'importe quel secteur de n'importe quelle région, et la situation sera la même.

Le président: C'était ma question. Le phénomène se manifeste-t-il avec la même ampleur en Ontario et au Québec?

Mme Forbes: Il n'a pas la même intensité au Québec. Il ne fait aucun doute que le Québec possède toujours des exploitations plus petites, de taille moyenne. Les règles du jeu ne sont pas les mêmes que dans d'autres provinces. Les agriculteurs québécois bénéficient de nombreux programmes de soutien. Ce qu'on offre au Québec dans le domaine de la gestion des entreprises agricoles est phénoménal. Nous tentons d'en tirer parti.

Le président: Cela se manifeste lorsque les représentants de l'industrie viennent ici témoigner devant les comités.

Le sénateur Wiebe: Bon nombre d'agriculteurs sont visés par des offices de commercialisation. Il y a, à titre d'exemple, des producteurs céréaliers qui ne le sont pas. Ils ne sont pas très nombreux. Compte tenu de sa population, le Québec a été en mesure de fournir des subventions qui permettent à de petits producteurs d'orge et de blé dur de poursuivent leurs activités. Voilà comment les choses se passent.

Je me permets de vous servir une mise en garde dans un domaine. Dans la dernière partie de votre exposé, vous avez dit que la nouvelle orientation de l'agriculture viendra en aide au Canada rural. Je suis d'avis qu'il n'en sera rien.

Mme Forbes: J'espère ne pas avoir parlé de «nouvelle orientation». J'ai tenu des propos plus détaillés.

Le sénateur Wiebe: Vous avez, je crois, parlé de «[...] collectivités rurales solides et dynamiques».

L'agriculture ne rebâtira pas le Canada rural. L'industrie de la transformation pourrait peut-être le faire, mais elle sera centrée sur les grandes agglomérations. Vous verrez que les agriculteurs, qu'ils exploitent des terres de 10 000, 15 000 ou 20 000 acres, auront tendance à s'établir près des grands centres. Comme vous l'avez indiqué, on ramène les travailleurs du Brésil dans les fermes.

Nous avons tendance à rejeter ce qui paraît inacceptable aux yeux du grand public. Chacun se préoccupe du sort du Canada rural, mais je pense que nous devons nous montrer honnêtes face aux personnes qui y vivent. Parlant d'honnêteté, il n'y a rien qui fasse naître en moi - je parle à titre de membre du gouvernement - une frustration plus grande que d'entendre des gens invoquer les subventions maléfiques versées par le marché commun européen et les États-Unis pour justifier la faiblesse du prix des céréales.

Nous avons maintenant entamé notre cinquième année. Il suffit de prendre l'exemple de la Saskatchewan. Les prix des céréales sont bas depuis cinq ans. Pourtant, le nombre d'acres de terre à blé qui ont été ensemencées n'a pas diminué de façon radicale.

On aura beau éliminer demain le problème des subventions, on se retrouvera toujours face à un problème d'offre et de demande. Les agriculteurs de l'Europe, des États-Unis et du Canada qui ont fait pousser du blé et du blé dur continueront à le faire parce qu'ils n'ont rien d'autre à faire pousser. Ils ne peuvent pas se trouver vers la production des pois chiches. Dès qu'un agriculteur réussit dans le domaine des pois chiches, son voisin saute sur l'occasion. Ainsi, le marché s'affaisse parce qu'il s'agit d'un phénomène d'offre et de demande.

Les Européens, les Américains et nous offrons une politique d'aliments à faible coût aux pays du monde - comme le Japon et quelques autres - qui ont les moyens d'acheter nos produits. En même temps, nous bénéficions nous-mêmes ici d'une politique des aliments à faible coût.

Mme Forbes: C'est là le problème.

Le sénateur Wiebe: En réalité, nous appliquons une politique d'aliments à faible prix pour un très grand nombre d'habitants de la planète. Seuls ceux qui en ont les moyens pourront s'en prévaloir. Nous ne produisons toujours pas assez d'aliments pour nourrir la planète. Si nous avons ce problème, c'est parce que nous produisons uniquement pour les pays dont les moyens sont suffisants. Nous pourrions en parler pendant des heures.

Mme Forbes: Je tiens à vous laisser l'impression que nous avions convenu de vous laisser. Je ne pense pas que quiconque soit en mesure de consulter une boule de cristal pour voir ce que l'avenir nous réserve. Il y a des forces que nous ne parviendrons pas à infléchir et encore moins à arrêter. Une chose que nous savons, parce qu'on nous l'a répétée à l'envi, c'est qu'un secteur agricole sain - et la production alimentaire est primordiale - génère de bonnes retombées. On peut ne pas tenir compte de qui produit parce que j'ignore qui sera le principal propriétaire de ces actifs. Il serait insensé ne serait-ce que d'avancer une hypothèse. Nous aurons besoin d'intrants et d'extrants.

Le sénateur Wiebe: Examinons la situation dans les années 70, 80 et 90. Nous disions la même chose, mais nous avons perdu chaque fois tout un pan de nos agriculteurs. Plus tard, nous en viendrons au point auquel j'ai fait allusion plut tôt dans mes remarques. Il n'y aura plus qu'un petit nombre d'intervenants dans le domaine de la production alimentaire. Qu'allons-nous faire de toutes nos terres? Nous n'allons ni repeupler les régions rurales ni soutenir les régions rurales au moyen de l'agriculture, particulièrement si on tient compte de l'orientation que nous avons prise.

J'ai certaines solutions à proposer - et vous n'êtes probablement pas les personnes indiquées à qui en parler. À titre d'exemple, il n'y a rien dans un baril de pétrole que l'agriculteur ne puisse produire. À l'heure actuelle, nous mettons au point des techniques qui nous permettront de créer du caoutchouc à l'aide de graines de tournesol. Au lieu de faire concurrence à d'autres agriculteurs, nous devrions peut-être faire concurrence aux producteurs pétroliers de l'Arabie saoudite et de l'Égypte. Haussez le prix des pneus et du pétrole, et les citoyens vont gémir. Cela ne les empêchera pas d'en acheter. Ensuite, vous donnez à l'agriculteur la position de fixer les prix plutôt que de se contenter des prix établis par ailleurs.

Le sénateur Oliver: Pouvez-vous produire à moins de 21 $ le baril?

Le sénateur Wiebe: Oui, ce sera possible dès que la technologie sera en place. Des exemptions seront nécessaires. Il faudra imposer des choses. On a demandé aux premiers ministres des provinces s'ils aimeraient imposer que seulement 5 p. 100 du carburant utilisé sur leur territoire contienne de l'éthanol. Aucun d'entre eux n'est prêt à le faire, et pourtant chacun dira: «Nous allons faire des pieds et des mains pour encourager l'industrie de l'éthanol.» Je pense que nous devons commencer par nous intéresser à ce type d'utilisation du territoire.

Le sénateur Oliver: Le témoin y a fait allusion dans son discours. Elle a parlé d'utilisation autre qu'alimentaire.

Le sénateur Wiebe: Si nous le faisons maintenant, nous allons donner à de nombreux agriculteurs la possibilité de rester en affaires.

Dans le monde et en particulier au Canada, nous nous trouvons dans une situation précaire. En voulant réduire la ponction exercée sur les contribuables en raison du déficit, nous avons réduit le financement de nos universités et de nos centres de recherche. Ce qui, au cours des 15 dernières années, a permis aux agriculteurs de maintenir à flot, ce sont des recherches effectuées il y a 30 ans. Nous avons par la suite perdu de nombreux chercheurs animés d'une vision. Les seuls chercheurs qu'il nous reste aujourd'hui sont ceux qui tentent de mettre au point un produit dans un délai de cinq ou sept ans. Les sociétés financent ces projets, et elles tiennent à obtenir un bon rendement sur les investissements au cours de cette période.

Le président: Ne pensez-vous pas que les sociétés pétrolières constituent une sorte de cartel international? C'est ce qu'elles font maintenant. Elles disent: «Abaissons les prix ici et cessons de produire, puis nous contrôlerons la situation.» Je pense qu'on assiste au même phénomène dans l'agriculture mondiale. Nous faisons partie de la nouvelle économie mondiale. Les Américains ont décidé qu'il leur revenait de nourrir la planète. Aux États-Unis, il est plus acceptable, sur le plan politique, de subventionner les agriculteurs que de verser des sommes en espèces.

Le sénateur Oliver: L'OMC ne vous autorisera pas à le faire.

Le président: C'est vrai, mais les Américains et les Européens le font. Ici, nous nous creusons la tête à la recherche d'un moyen de permettre au pauvre vieil agriculteur de se prendre en main au sein de l'économie mondiale. Cela ne donnera aucun résultat. À moins que nous n'effectuions des recherches et que nous ne nous montrions honnêtes face aux Canadiens et aux agriculteurs, nous n'arriverons à rien. C'est aussi simple que cela.

Bon nombre d'entre nous sommes allés en Europe. Nous avons parcouru des pays de l'Union européenne. Nous avons assisté à 25 réunions. Nous nous sommes aussi rendus aux États-Unis. Je crois que ce sont les membres du comité du Sénat que nous formons qui ont la meilleure idée de ce que les Européens et Américains pensent de toutes les facettes du gouvernement. Cependant, nous n'abordons pas la question de façon honnête. Nous admettons la vieille rengaine: «Cessons de leur verser des subventions.» Comme le sénateur Wiebe vient tout juste de le dire, ce sera dans dix ans. Qu'allons-nous faire au cours des dix prochaines années? Dans dix ans, les subventions n'auront pas pris fin.

Mme Forbes: Sénateur Wiebe, je pense qu'il y a un moyen. À mon avis, beaucoup d'espoir s'offre encore à nous. Nous ne sommes pas obligés de qualifier l'aide versée de subventions.

Le sénateur Wiebe: C'est vrai. Mes critiques se résument essentiellement à ceci: comme je l'ai indiqué plus tôt, la direction que vous invoquez est probablement celle dans laquelle l'agriculture s'engagera. Je pense que vous avez parfaitement interprété la situation mondiale. Je n'en démords pas. Si le gouvernement est d'avis qu'il en sera ainsi, faisons preuve d'honnêteté et disons: «Oui, c'est la direction dans laquelle nous nous engageons et celle que nous encouragerons.» Les entrepreneurs et ceux que la chose intéresse prendront ensuite le train en marche et se donneront à fond au projet. Cependant, l'essentiel - et c'est probablement ma philosophie libérale qui ressort - c'est que, si nous prenons cette décision, nous devrons prévoir les fonds nécessaires pour que ceux qui font aujourd'hui partie de l'industrie et qui ne pourront tenir le coup puissent se retirer dans la dignité.

Nous ne l'avons pas fait en tant que gouvernement. Nous allons devoir nous faire une idée - dans un sens ou dans l'autre - le temps presse. Si nous continuons de faire ce que nous faisons aujourd'hui, nous allons devoir verser des subventions. Si nous nous engageons sur la voie que vous avez décrite, nous allons devoir dépenser des sommes équivalentes.

Le président: Honorables sénateurs, nous avons eu une bonne discussion. Merci à tous d'être venus. On s'interroge parfois que la quantité de travail que nous abattons, mais nous discutons encore. Merci d'être venus et merci de votre patience.

Mme Forbes: Merci, sénateurs. Vous avez conclu sur une note heureuse parce que c'est précisément l'impression que nous voulions vous laisser en partant. On ne pourra établir un programme universel pour tous. Ce que vous dites, c'est que le programme devra être exhaustif. Je crois que c'est possible. Dans quelle mesure le gouvernement du Canada y tient-il?

Avant de vous quitter, voici un livre intitulé Qui a piqué mon fromage? Je vais vous laisser un exemplaire de la version originale en anglais, et je vous encourage à le faire circuler. Il s'agit d'une petite parabole, d'un message simple qui aide à comprendre le changement. Nous allons vous laisser un exemplaire. Je vous remercie beaucoup.

La séance est levée.


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