Délibérations du Comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts
Fascicule 35 - Témoignages
OTTAWA, le jeudi 30 mai 2002
Le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts se réunit aujourd'hui à 8 h 35 pour examiner le commerce international des produits agricoles et agroalimentaires et les mesures à court et à long terme pour la santé du secteur agricole et agroalimentaire dans toutes les régions du Canada.
Le sénateur Leonard J. Gustafson (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président: Ce matin, nous examinons le commerce international des produits agricoles et agroalimentaires et les mesures à court et à long termes pour la santé du secteur agricole et agroalimentaire dans toutes les régions du Canada. Nous accueillons Alex Dudelzak, de l'université York, et Nicolas Tremblay, un chercheur.
[Français]
M. Nicolas Tremblay, Ph.D, chercheur, Régie et nutrition des cultures, Agriculture et agroalimentaire Canada: Je vous remercie, monsieur le président, de nous avoir invités à vous présenter ce que l'on peut faire de mieux en termes de recherche au Canada pour répondre aux besoins des agriculteurs. Nous allons vous présenter une technologie prometteuse, qui peut résoudre plusieurs problématiques sur le plan de l'environnement et de la productivité des cultures.
[Traduction]
M. Alex Dudelzak, Ph.D., professeur adjoint, Université York: Merci de nous donner l'occasion de vous dire ce qui se passe dans ce domaine.
[Français]
M. Tremblay: L'agriculture de précision est une approche — que vous connaissez probablement tous — assez nouvelle mais pleine de promesse. C'est un ensemble de technologies qui permet de faire un équilibre entre les besoins des cultures et les impacts environnementaux. Ces technologies constituent un ensemble assez complet. C'est dans ce contexte que nous voulons vous présenter le résultat des technologies et nos approches de recherches.
Ces nouvelles technologies agiront en interaction pour produire une information importante à l'agriculteur dans la régie de ces cultures. Au moyen d'un système GPS, il est possible de se positionner n'importe où sur la ferme et à l'intérieur des champs de cultures pour faire une meilleure régie des besoins des plantes là où elles se trouvent et des quantités d'intrants requis aux endroits où ces cultures se trouvent.
C'est donc par le biais du GPS que toute l'agriculture de précision est possible et que l'on peut ajuster les besoins de la culture aux endroits précis où ces besoins se manifestent.
Nos recherches visent à détecter les besoins liés aux cultures et obtenir les informations agronomiques. Ceci permettra d'interpréter le signal de la culture à des fins de régie. L'exemple le plus intéressant est celui de l'azote. L'azote est probablement l'élément fertilisant le plus bénéfique et qui a le plus d'impact sur le rendement de la culture. Il est donc essentiel pour la croissance des plantes.
L'azote est aussi l'élément le plus important au rendement et à la rentabilité des entreprises. C'est l'un des seuls éléments sur lequel l'agriculteur a un certain contrôle pour influencer les résultats de sa production.
L'azote est toujours requis comme fertilisant. Il a toutefois des effets négatifs sur l'environnement. Il peut contaminer l'eau des rivières et des puits d'eau potable. L'azote a aussi la particularité de pouvoir créer un gaz à effet de serre. On doit donc le manipuler avec soin. Le problème réside dans le dosage: une quantité trop faible peut réduire le rendement, une quantité trop forte risque d'affecter la qualité de l'environnement.
Une des caractéristiques importantes de l'azote est que sa présence est très variable dans le champ, caractéristique que nous connaissons depuis l'existence de l'agriculture de précision. Selon les caractéristiques du sel prélevé des cultures de l'année précédente, nous avons découvert un ensemble d'autres facteurs. Il y a dans le champ une très grande variabilité de la disponibilité en azote. Par conséquent, on doit appliquer l'azote aux endroits requis et ne pas en appliquer aux endroits où on en retrouve suffisamment, dans les champs commerciaux. C'est au moyen d'un appareil sophistiqué que l'on peut réaliser cette application d'azote à taux variable.
La question qui se pose est la suivante: comment peut-on obtenir de l'information immédiate, donc en temps réel, fiable et quantitative, c'est-à-dire qui peut donner lieu à une recommandation d'ajout de fertilisant en temps opportun? La solution est d'installer des capteurs sur la machinerie agricole. Cette technologie se développe beaucoup à l'heure actuelle et est déjà passée à l'étape commerciale.
Certaines compagnies commercialisent avec succès des capteurs disposés sur les tracteurs. Ceux-ci permettent de détecter la qualité, l'état de la culture et d'en dériver une information importante sur le plan de la régie. Un senseur idéal devrait pouvoir démontrer ce que nous avons besoin d'ajouter comme élément à l'endroit où on se trouve dans le champ. Il doit offrir un élément de spécificité pour détecter le besoin précis que la plante manifeste, l'endroit où l'application doit être faite et la quantité à appliquer pour bien répondre aux besoins des cultures.
[Traduction]
M. Dudelzak: Il existe une technologie qui permet de détecter l'endroit où il faut appliquer ces engrais, mais ce n'est pas facile. Elle ne fait que s'implanter au Canada. De nombreux chercheurs partout dans le monde ont essayé de le faire. Certaines difficultés y sont associées car une plante vivante comporte de nombreuses substances, et il n'est pas facile de déceler à distance en temps réel ce qu'il y a à cet endroit. Nous parlons ici d'une technologie d'analyse qui peut déceler des substances dans une plante ou dans l'eau afin de vérifier la qualité de l'eau ou les lessivages des terres cultivées, et cetera.
En général, plusieurs méthodes permettent de le faire. Vous pouvez prélever un échantillon chimiquement, mais c'est dispendieux. Vous devez envoyer un technicien sur place et le traitement est long. Il y a aussi la détection par satellite. Les gens espèrent que les satellites pourront nous permettre de connaître les changements chimiques qui se produisent dans des plantes, le sol et l'eau. Ils peuvent déceler la présence de stress — selon que c'est jaune ou vert —, mais c'est habituellement trop tard et il n'y a spécificité à la cause du stress. L'azote est une substance spécifique qui nécessite des méthodes plus précises.
Un autre outil est la «télédétection active», plus particulièrement, la fluorescence induite par laser, la FIL. Elle porte précisément sur des substances individuelles dans des composés tels que les plantes, l'eau, le sol, etc. Cette diapo vous indique pourquoi on a choisi la fluorescence. Seule la spectroscopie fluorescente peut déceler des substances en temps réel et à distance, sans prélever d'échantillon. Par exemple, un échantillon dans le cas qui nous occupe pourrait se trouver directement dans la pellicule. Il est excité — c'est la terminologie — par le rayon laser et la lumière diffusée par l'échantillon est analysée spectralement pour en déterminer la composition élémentaire.
Un groupe de scientifiques et d'ingénieurs au Canada a mis au point une méthode que l'on appelle les «signatures spectrales» et dont le fonctionnement est à toutes fins pratiques celui des empreintes digitales. Au bas, vous voyez une empreinte digitale précise dans certaines coordonnées. Ce sont les empreintes digitales spectrales. Chaque substance moléculaire d'un composé a sa propre signature qui permet de la reconnaître entre une multitude d'autres. Cette photo illustre les différents agents polluants que l'on retrouve dans les rivières et les lacs, plus particulièrement ceux venant des centrales électriques, qui sont particulièrement nocifs, et ils sont tous reconnaissables.
Une signature fluorescente spectrale est mesurée après le senseur, puis un système spécialisé informatique la compare à votre propre base de données, de la même façon que les corps policiers vérifient les empreintes digitales d'une personne dans leur base de données. Le fonctionnement est le même, et vous pouvez identifier et quantifier les substances en procédant à cette analyse en temps réel.
Le centre de recherches sur l'agriculture de St-Jean-sur-le Richelieu et l'Agence spéciale canadienne à Saint-Hubert collaborent à ce projet depuis 1998. Une entreprise canadienne fabrique ce matériel pour nous. À l'origine, c'était un partenariat avec le plus grand fabricant d'engrais au monde, Norsk Hydro, avec sa division agricole en Allemagne.
La photo indique, par exemple, deux niveaux d'azote dans le maïs. C'est reconnaissable même à l'oeil nu. Ces photos sont différentes et vous pouvez appliquer une échelle à ces couleurs. On peut le faire de la façon indiquée par M. Tremblay, c'est-à-dire le mettre sur un tracteur, vérifier chaque plante individuellement, puis contrôler la buse afin de dispenser de l'engrais ou non à ce point.
On a fabriqué cette technologie à l'origine pour vérifier la qualité de l'eau dans les tuyaux. C'est ce qu'on appelle «un tuyau intelligent», et il vous dit s'il y a dans l'eau quelque chose de non désiré. Une alarme peut retentir, ou le débit est interrompu si quelque chose ne va pas. Il y avait aussi une version que vous pouviez mettre à bord d'un avion. Vous survoliez la zone côtière ou une rivière ou un lac, et ce graphique indique la concentration de la matière organique, ce qui indique s'il y a eutrophisation.
Il y a un appareil en ce moment à l'étape de prototype. Cela ne relève pas de vous, mais je crois que le groupe de M. Tremblay a besoin d'une injection de fonds pour terminer ce travail et le remettre aux agriculteurs.
En général, cette technologie de base pourrait être installée dans un système aéroporté, embarqué, en conduite — comme un tuyau intelligent — ou portable pour surveiller, en temps réel, les dangers pour la santé, notamment les engrais, les pesticides et le fumier, ce qui constitue maintenant un problème important. Si cette technologie avait été mise en oeuvre il y a quelques années, la situation à Walkerton ne serait peut-être pas survenue. Cette technologie permet de détecter, en temps réel, sans qu'il y ait prélèvement d'un grand nombre d'échantillons. Même les colonies bactériennes dans l'eau pourraient être détectées. On pourrait l'appliquer aux réseaux d'approvisionnement en eau municipaux et industriels, réservoirs naturels et industriels, bassins hydrologiques, aux eaux intérieures et du littoral maritime, aux zones de lessivage des terres cultivées et à la détection de la répartition de l'engrais dans les champs cultivés.
Nous espérons qu'il s'agit là de quelques applications futures pour cette technologie. On pourrait l'utiliser de façon intelligente dans l'application d'engrais de façon à guider la pulvérisation d'herbicides à l'aide de robots, un potentiel de détection des maladies et une évaluation de la qualité de l'eau en temps réel. En ce moment, le Canada est de toute évidence devant tout le monde, mais cette technologie commence à être étudiée aux États-Unis. Comme nous le savons, leur département de l'agriculture a commencé à examiner cette technologie. Compte tenu de leurs capacités financières et dans le domaine des études, ils pourraient bientôt se retrouver devant nous.
Encore une fois, dans ce domaine particulier, le Canada est le chef de file dans la qualité de l'eau et l'agriculture. Plus particulièrement dans le cas des technologies nécessaires à cette fin, plusieurs entreprises au Canada pourraient fabriquer ce matériel. Le Canada a besoin de réponses d'ordre technologique pour régler les questions de productivité et de pollution.
Des centres de site pourraient réduire la pollution et augmenter la productivité des récoltes canadiennes en détectant les besoins réels en matière d'engrais et de pesticides. En ce qui concerne cette agriculture de précision, vous appliquez la quantité nécessaire grâce aux fonctions de détection en temps réel de cette technologie, qui sont quantitatives, propres à des substances et qui peuvent être effectuées en temps réel.
Le président: En ce moment, les agriculteurs mettent tout l'azote qu'ils peuvent se permettre. C'est ce qui décide de la quantité d'azote à mettre dans le sol. En Europe, ils utilisent jusqu'à 400 tonnes d'azote. Ils le mettent dans le sol pour commencer, et ensuite ils en pulvérisent à répétition. Vous dites que le Canada est un chef de file mondial. Fait-on quelque chose de ce genre en Europe? C'est là que j'entrevois les plus importants problèmes pour ce qui est de l'utilisation excessive d'azote.
M. Dudelzak: Le Canada est le chef de file mondial dans la technologie qui permet la gestion intelligente de l'application d'engrais. En Allemagne, ils ont commencé à utiliser cette méthode car ils s'inquiètent de la pollution des rivières et de l'eau et de la destruction du sol.
[Français]
M. Tremblay: Je suis d'accord. Les Européens, les Français et les Allemands, mettent beaucoup plus d'azote sur leurs cultures que nous en mettons. Toutefois, ils ont des problèmes sérieux de pollution au nitrate. C'est la raison pour laquelle ils ont entamé des recherches visant à installer des capteurs disposés sur les tracteurs. Ils commercialisent actuellement un type de capteur à bord du tracteur qui n'est pas basé sur la même technologie que celle dont nous venons de vous décrire. Ce capteur a des limites quant aux aspects quantitatifs et de discrimination des stress.
La compagnie allemande nous a approchés afin que nous mettions au point la prochaine génération de capteurs. Il s'agit de capteurs que nous avons conçus sur un principe de fluorescence induite par laser. Cette compagnie nous a approché afin que nous puissions combler leurs besoins. Nous avons, par la même occasion, réalisé que cette technologie pourrait également bénéficier l'agriculture canadienne.
[Traduction]
Le sénateur Wiebe: Cette technologie que vous avez mise au point vous indique la force d'engrais qu'il y a soit dans la plante, soit à la surface. Vous dit-elle la force de l'engrais sous la surface?
M. Dudelzak: Non. Indirectement. Vous détectez la présence et la concentration de l'engrais dans la plante même. Avant la semence, vous appliquez de l'engrais. Cependant, comme l'a souligné M. Tremblay, la répartition initiale de l'engrais dans le sol est inégale. Ainsi, même en appliquant uniformément après cela, vous pouvez en mettre plus qu'il n'en faut en un endroit et pas suffisamment à l'autre. Une fois que la culture a poussé un peu, vous pouvez passer un cultivateur qui peut détecter les endroits où il n'y en a pas suffisamment et ceux ou il y en a trop. Ainsi, vous pouvez en ajouter uniquement aux endroits où il n'y en a pas suffisamment.
Le sénateur Wiebe: Vous obtenez cette détection de la plante et non du sol, n'est-ce pas?
M. Dudelzak: C'est exact.
Le sénateur Wiebe: Est-ce qu'il est possible de mettre au point une technologie qui permettrait d'éviter les analyses du sol? Un grand nombre d'entre nous établissent une carte des champs en effectuant des analyses du sol. C'est énormément de travail pour couvrir un champ de 160 acres car les divers niveaux d'éléments nutritifs dans le sol sur cette superficie varient. Cela exige beaucoup de temps. Est-ce que cette technologie peut être mise au point pour nous aider dans ce domaine?
M. Dudelzak: Vous avez parfaitement raison. C'est une question importante. Aujourd'hui, il n'existe aucune technologie pour le faire dans les plantes. C'est la première qui vous permet de le faire. Vous ne pouvez pas aller au hasard dans la nature. Elle se fonde sur la lumière, et la lumière ne peut pénétrer le sol, comme nous le savons tous. Il pourrait y avoir quelque chose, mais c'est une technologie plus évoluée, qui permet l'analyse élémentaire directement sur le sol. Nous avons mis au point quelque chose du genre pour les missions sur Mars. Lors des carottages, ils prélèvent des carottes après avoir percé des trous sur la surface de Mars. Ensuite, directement sur place, la composition élémentaire de la roche est analysée. Pour l'instant, les agriculteurs ne peuvent se permettre cette technologie. Mais celle-ci est vraiment abordable.
Le sénateur Wiebe: Vous avez mentionné plus tôt dans vos commentaires qu'une partie de la recherche était à frais partagés avec l'industrie, comme Norsk Hydra en Allemagne. Est-ce que la majorité de votre recherche est à frais partagés avec l'industrie ou est-ce essentiellement le ministère qui la finance? S'il s'agit d'une recherche à frais partagés et si quelque chose de nouveau est mis au point, qui en détiendra le brevet?
M. Dudelzak: On s'est peut-être mal compris. L'industrie allemande a lancé tout ce processus. Elle nous a pressentis. Nous avons fabriqué un appareil pour eux en nous servant des capacités des industries canadiennes. C'est l'industrie qui a payé pour cela, pas complètement, mais une grande partie. Elle a fait uniquement ce prototype pour la compagnie allemande. Ensuite, elle a cessé en raison d'une situation très malencontreuse. Le chef de projet en Allemagne est décédé. Nous avons poursuivi. En ce moment, nous prévoyons mettre au point une nouvelle version portable de cette technologie.
Jusqu'à maintenant, deux organismes ont vu au financement: l'Agence spatiale canadienne a fait une petite contribution et Agriculture Canada une contribution un peu plus importante. L'entreprise a également contribué un peu au projet, mais de toute évidence elle aimerait être payée pour fabriquer ces appareils pour nous. En laboratoire, nous effectuons la recherche de base qui permet de créer cette technologie.
Le sénateur Wiebe: Ils seraient alors les titulaires du brevet, n'est-ce pas?
M. Dudelzak: Agriculture Canada le serait.
Le sénateur Wiebe: Voilà la meilleure nouvelle que j'ai entendue de la journée.
Le président: Comme question complémentaire, j'aimerais savoir ce que vous pensez du sentiment du grand public canadien vis-à-vis de l'agriculture. Il me semble qu'il n'y a pas un grand appui pour l'agriculture, en particulier dans les collectivités urbaines. Estimez-vous que nous faisons suffisamment pour éduquer les Canadiens et les Canadiennes quant aux problèmes auxquels nous sommes confrontés dans le développement rural et ces domaines pour que cette recherche se fasse, et cetera?
[Français]
M. Tremblay: Comme chercheurs, on a le sentiment de pouvoir faire beaucoup de choses pour l'agriculture canadienne et pour l'environnement. On aimerait recevoir un appui financier plus important afin de pouvoir mettre sur le marché de telles technologies au bénéfice des agriculteurs canadiens. On devrait faire plus pour supporter de telles initiatives.
En parlant davantage des succès obtenus, on pourrait sensibiliser les citoyens aux problèmes de l'agriculture et aux solutions qu'on est en mesure de trouver. Il y a beaucoup d'éducation à faire auprès des citoyens qui ne comprennent pas les enjeux, qui pensent que les agriculteurs ne se préoccupent pas de l'environnement et ne pensent qu'à leurs marges de profits.
Les agriculteurs font un travail que je qualifierais de très complexe et de difficile. Ils ont à composer avec des prix très bas pour leurs produits et doivent faire face à une compétition féroce. En plus, ils doivent respecter l'environnement dans l'exercice de leur travail. Il faut absolument que la recherche supporte davantage leurs efforts.
[Traduction]
Le sénateur Fairbairn: Est-ce que cette technologie emballante est utilisée au Canada en ce moment, dans nos collectivités agricoles?
[Français]
M. Tremblay: Non, la technologie précise dont on parle n'est pas utilisée, parce qu'elle n'a pas atteint le niveau commercial. Nous disposons présentement d'un prototype de recherche qui est trop gros et trop compliqué pour l'usage que l'on pourrait en faire sur les fermes. Pour faire notre recherche, il nous faut un prototype qui nous permet de faire une panoplie de tests. On vise à simplifier l'appareil pour le rendre plus proche de l'application commerciale. C'est à cette étape que l'on se trouve actuellement.
Les capteurs disposés sur les tracteurs commencent à être utilisés par les agriculteurs. Pour le moment, ces capteurs ne font pas appel à la technologie de la fluorescence, c'est une technologie moins précise.
[Traduction]
Le sénateur Fairbairn: En êtes-vous alors au point d'un projet pilote réel?
M. Dudelzak: Non. C'est ça le problème. En ce moment, c'est trop gros et il en coûte environ 30 000 $. Cet appareil peut tout faire. C'est un appareil universel. Nous devons étudier comment le mettre en application. En ce moment, nous pouvons concevoir qu'il pourrait être plus petit et coûter de 4 000 $ à 5 000 $ et qu'il pourrait être disposé sur un tracteur. Alors, on pourrait le vendre à l'agriculteur. On a besoin d'un projet pilote pour le faire.
Le sénateur Fairbairn: Je m'intéressais particulièrement à la partie au sujet de la pièce d'équipement qui pouvait aller dans les pipelines. Vous avez mentionné le nom de Walkerton. Je viens du sud-ouest de l'Alberta, près de la ville Lethbridge. On nous appelait «l'allée des parcs d'engraissement» en raison du nombre de parcs d'engraissement de bovins que nous avons. Est-ce que cette technologie pourrait s'appliquer à ce genre d'opération? Walkerton a soulevé bien des inquiétudes et des collectivités craignent — à tort ou à raison — qu'une contamination de l'eau pourrait atteindre leurs sources personnelles d'eau.
M. Dudelzak: Je suis content que vous mentionniez ces inquiétudes. Le présent exposé portait sur l'agriculture et la détection des engrais car il s'agit de la partie la plus difficile de ce que vous pourriez faire. La qualité de l'eau pourrait être faite aujourd'hui. Les appareils que je vous ai montrés pendant mon exposé existent déjà. Ce sont de vrais instruments. L'eau est la partie la plus facile. La qualité de l'eau, la présence de cultures bactériennes, le purin qui s'échappe et toute autre substance biologique qu'il pourrait y avoir, tout cela pourrait être vérifié immédiatement. Ce qu'il nous faut, c'est un projet pilote. On pourrait le faire dans un mode pipeline, un capteur intelligent, ou on pourrait faire un survol et voir s'il y a des ruissellements, ou s'il y a déjà quelque chose dans un réservoir d'eau naturel avant que cela rejoigne l'approvisionnement municipal en eau. Ainsi, vous pourriez identifier la source de la fuite, comme les exploitations porcines ou d'autres installations. Tout cela pourrait être fait aujourd'hui.
Le sénateur Fairbairn: Ça ne se fait pas encore, n'est-ce pas?
M. Dudelzak: La compagnie dont nous avons parlé essaie d'aller de l'avant. Ses représentants ont parlé au ministère des Ressources naturelles de l'Ontario, avant l'affaire Walkerton, qui leur a dit, «Oh, c'est en plein ce dont nous avons besoin», et personne ne leur a répondu. Après l'incident de Walkerton, ils sont revenus voir le ministre, et il n'a jamais répondu. L'application est vraiment entre les mains du gouvernement. C'est le gouvernement qui s'occupe de la qualité de l'eau car les véritables consommateurs ne se réveillent que lorsque l'alarme sonne, pas avant.
Le sénateur Fairbairn: Vous avez dit qu'il y avait un lien avec le gouvernement de l'Ontario. À votre connaissance, une autre province a-t-elle manifesté un intérêt semblable, ou effectué des expériences réelles ou encore un examen du processus?
M. Dudelzak: Il existe des programmes nationaux de gestion des catastrophes, etc. Jusqu'à maintenant, ils se fient à l'information transmise par satellite, mais ces images satellites sont habituellement rétrospectives — lorsque tout est fait. Cette technologie vous permet de déceler des changements chimiques au début, avant que quoi que ce soit n'apparaisse.
Il y a une nouvelle entité, le «Centre d'accélération de l'innovation», au Centre canadien de télédétection. On a commencé à y songer, mais que je sache, on n'a pas fait grand-chose.
Le sénateur Fairbairn: Au ministère de l'Agriculture du Canada, est-on bien au courant de cela?
M. Dudelzak: La technologie?
Le sénateur Fairbairn: Oui.
[Français]
M. Tremblay: Nous avons manifesté l'intérêt de faire de la recherche sur les applications pour l'agriculteur. Le ministère de l'Agriculture en connaît davantage sur la technologie. Cependant, la qualité de l'eau n'est pas l'objet de ma recherche.
Je suis d'accord avec ce que vient dire le Dr. Dudelzak. Il s'agit d'une technologie qui fut développée d'abord pour évaluer la qualité de l'eau, et nous essayons de l'adapter à la détection des maladies des plantes. Il s'agit là d'un processus plus élaboré. Le processus évaluant la qualité de l'eau est plus simple et déjà disponible. Les instruments sont au point et commercialisés à quelques endroits à travers monde.
Les premières initiatives de commercialisation ont déjà été entamées au Canada. Le Dr. Dudelzak mentionnait que l'on a approché l'Ontario. Il y a deux ou trois ans, lorsqu'on a démarré le projet, la question de la qualité de l'eau et des possibilités de la technologie avaient également été soumises au ministère de l'Environnement du Québec. À notre surprise, ces questions n'avaient pas soulevé un grand intérêt. J'explique difficilement aujourd'hui que le sujet soit tombé dans l'oubli.
Nous avons malgré tout fait une démarche de sensibilisation, de ma part, dans le domaine de l'agriculture; et de la part du Dr. Dudelzak, dans le domaine de la qualité de l'eau. Dans la mesure de nos capacités, nous avons informé les gens susceptibles d'être intéressés par la question.
[Traduction]
M. Dudelzak: La situation est la suivante: Nous pressentons un utilisateur éventuel, qui dans le présent cas serait l'administration municipale, provinciale ou fédérale chargée de la qualité de l'eau, la réaction est extraordinaire: «Wow. C'est en plein ce dont nous avons besoin. N'allez plus ailleurs. Nous vous en reparlerons dans deux semaines». Puis, rien ne se passe.
L'Agence spatiale canadienne peut seulement aider les utilisateurs avec la mise au point de la technologie. Nous avons investi de l'argent dans ce projet. Cependant, le véritable fardeau devrait incomber aux utilisateurs — les villes, la province, les ministères provinciaux ou fédéral de l'Environnement, et cetera. Jusqu'à maintenant, rien ne s'est passé.
Le président: À ce sujet, vous savez peut-être que notre comité s'est déplacé en Europe et aux États-Unis. De façon générale, nous avons constaté qu'on se préoccupe beaucoup plus de développement rural, d'environnement et d'agriculture en Europe et aux États-Unis. Nous ne semblons pas avoir cette initiative avec la même vigueur au Canada. Alors que vous avez de très bonnes idées, allez-vous laisser les Américains nous battre au fil d'arrivée sur ces questions?
M. Dudelzak: Monsieur le président, vous avez frappé juste. Nous avons été pressentis à la fois par le Département de l'agriculture des États-Unis et, chose étrange, par le Département de l'énergie des États-Unis. Ils voulaient vérifier la propreté de l'eau autour de leurs sites d'essai d'armes nucléaires. À cette fin, ils ont choisi notre technologie comme technologie standard. Ils nous ont demandé d'y aller, de leur faire un exposé et ont accordé un contrat de 4,5 millions de dollars à une entreprise américaine pour qu'elle construise l'appareil. Parce que nous ne leur avons pas tout dit, ils ont échoué. Les entreprises canadiennes étaient irritées parce que les Américains n'ont pas accordé le contrat à une entreprise canadienne.
Le Département de l'énergie collabore avec Agriculture Canada. M. Tremblay et moi-même avons visité un centre de recherche à Disney World. C'est un drôle d'endroit pour vérifier du matériel. Ils sont actuellement très en retard; cependant, viendra le temps où ils nous rattraperont. Pour l'instant, en ce qui concerne la qualité de l'eau, il y a des instruments qui sont déjà prêts à être montés dans le cadre d'un projet pilote.
Le sénateur Wiebe: Peut-on également utiliser ce type de technologie pour détecter des signes précoces de maladies dans les plantes?
M. Dudelzak: Pour détecter des signes précoces de maladies dans les plantes, on a besoin de faire plus de recherches. M. Tremblay pourrait vous donner plus de précisions à ce sujet.
[Français]
M. Tremblay: Voilà un autre aspect que nous aurions aimé développer d'avantage. À Saint-Jean nous avons à notre disposition les pathologistes, les entomologistes et les spécialistes pour faire le travail de vérification à l'aide de cette technologie. Les efforts se sont vus limités essentiellement par un manque de fonds.
La technologie peut, en théorie, détecter les stress causés par les maladies ou les insectes, des tests préliminaires le démontrent déjà. Les recherches n'ont toutefois pas été poussées outre mesure en ce qui a trait à l'identification des multiples maladies qui affectent les plantes. Il fait nul doute que la technologie offre cette possibilité de détecter un problème pathologique chez une plante. Nous avons été étonnés de constater le degré de sensibilité de cette technologie, plus que toute autre, en termes de précocité du diagnostic. La fluorescence détecte les problèmes très tôt, avant même qu'ils ne soient visibles à l'œil ou décelables par le biais d'autres méthodes.
À titre d'expérience, nous avons créé artificiellement, en serres, des carences d'azote chez des plantes. Après deux jours durant lesquels on a limité la fertilisation en azote, la fluorescence a révélé un problème. Avec d'autres méthodes, entre sept et dix jours ont dû s'écouler avant que l'on ne découvre les premiers signes. Il reste encore beaucoup à faire dans le domaine de la maladie avec cette nouvelle technologie.
[Traduction]
Le sénateur Wiebe: Quels sont les budgets dont vous disposez en ce moment?
[Français]
M. Tremblay: À ce jour, très peu. Les fonds dont je disposais avec la compagnie allemande sont aujourd'hui périmés. Il ne nous reste qu'à produire le rapport final et le remettre à la compagnie qui nous a financés. Cette compagnie nous a versé 398 000 $ sur une période de trois ans.
Pour le moment, je puise dans mon budget personnel de recherche qui est de l'ordre de 10 000 $ par année. Près de la moitié est déjà dépensé et l'année n'est pas terminée.
[Traduction]
M. Dudelzak: Cet appareil de détection de l'azote mis au point à des fins agricoles est ce que nous appelons le prototype 2. C'est un appareil de recherche. Nous avons conclu un contrat avec une entreprise pour qu'elle mette au point une version plus petite, puis il y a eu une situation malencontreuse. Le type en Allemagne est décédé, il y a eu des compressions budgétaires à Agriculture Canada et l'Agence spatiale a dit,«Nous avons investi. C'est maintenant au tour de l'utilisateur».
Ne vous méprenez pas. Nous ne demandons pas au comité de donner des fonds à nos laboratoires. Nous ne faisons que répondre à vos questions.
Le sénateur Wiebe: Les sénateurs ne peuvent pas dépenser d'argent. Cependant, nous pouvons formuler des recommandations.
Monsieur Tremblay, vous êtes à l'emploi du ministère de l'Agriculture, et vous, monsieur Dudelzak, êtes à l'université York?
M. Dudelzak: J'enseigne à l'université York. Lorsque j'ai reçu l'invitation, j'ai fait savoir au greffier qu'étant donné que je n'avais pas suffisamment de temps pour obtenir l'approbation du département, je parlerais en ma qualité de professeur, au titre de ma liberté universitaire. Finalement j'ai eu le temps d'obtenir l'approbation de l'Agence spatiale canadienne. Je travaille à plein temps à l'Agence spatiale canadienne à Saint-Hubert, au Québec.
Le sénateur Wiebe: Monsieur Tremblay, votre salaire est assumé par le ministère de l'Agriculture. Cependant, le ministère ne vous accorde pas de fonds de recherche complémentaires à votre salaire? Est-ce bien la situation?
[Français]
M. Tremblay: Mon salaire peut être utilisé à toutes sortes de fins, en termes de recherche, mais le budget d'opération dont je dispose actuellement est de l'ordre de 10 000 $ par année. Bien que je puisse affecter ce montant où je l'entends, je le consacre à la recherche sur la fluorescence car il est essentiel de faire avancer le progrès. Les fonds ne sont toutefois pas suffisants. Cette recherche technologique requiert des investissements plus considérables, et j'y consacre donc une partie de mon salaire.
[Traduction]
Le sénateur Tunney: Ma question portait sur le financement et les témoins viennent d'y répondre. Je pourrais tout simplement vous suggérer que s'il y a disparition du financement, vous serez tous deux volontaires, je suppose.
M. Dudelzak: En effet.
Le sénateur Tunney: C'est ce qui se passe dans bien des cas. Quand les gens sont aussi dévoués à leur travail, ils travaillent même si nous ne finançons pas la recherche autant que nous devrions. Je dis toujours que la recherche ne coûte rien; la recherche paie. C'est vrai.
M. Dudelzak: Mon travail à l'Agence spatiale canadienne est de mettre au point une technologie spatiale, et l'Agence a été très aimable de permettre cette recherche dans ses propres laboratoires. C'est une contribution de mon temps rémunéré par l'Agence spatiale. En outre, l'Agence a également investi dans l'achat de certains matériaux nécessaires à la recherche, et au matériel nécessaire à la recherche en laboratoire. J'en déduis que la même chose s'est passée à Agriculture Canada. Cependant, la situation est la suivante: pour fabriquer l'appareil, vous ne pouvez pas le faire en tant que bénévole. Vous devez acheter les composantes, vous devez avoir recours à l'industrie pour l'assembler, et vous devez respecter certaines normes de sécurité en matière d'électricité et d'autres normes, et tout cela, malheureusement, coûte de l'argent.
Le sénateur Tunney: J'aime ce que vous faites et je vous souhaite tout le succès.
Le sénateur Day: J'ai lu les documents d'information que M. Charbonneau a préparés à notre intention et, après avoir entendu votre exposé, j'aimerais clarifier un point afin d'être certain de bien comprendre votre exposé.
Votre technologie se fonde sur une application radar n'est-ce pas?
M. Dudelzak: Presque. Radar est l'acronyme pour«radio detection and ranging», c'est-à-dire radiodétection; c'est dans le domaine des micro-ondes. Notre technologie c'est «lidar», soit light detection and ranging. Au lieu d'utiliser les micro-ondes, on utilise une source de lumière: un laser. Sinon, c'est plus ou moins la même chose.
Le sénateur Day: Votre appareil de détection ne fait pas intervenir de spectromètre de masse?
M. Dudelzak: Il n'y a aucun spectromètre de masse. C'est vraiment de la télédétection. On ne touche pas du tout à l'échantillon.
Le sénateur Day: Si vous avez une zone pauvre dans le champ où ça ne pousse pas bien, vous pouvez le détecter à distance. À part cela, en quoi est-ce que votre technologie peut aider l'agriculteur à rajuster automatiquement le taux d'application des semences?
M. Dudelzak: Elle ne le peut pas.
Le sénateur Day: Pour l'application d'engrais?
M. Dudelzak: Seulement si vous survolez des cultures sorties de terre, même juste un peu. On m'a dit que la façon normale en agriculture est d'appliquer la première couche d'engrais avec la semence. La deuxième application a lieu au deuxième passage d'un tracteur de travail du sol. La procédure dont il est question ici s'appliquerait exactement à ce deuxième passage. Si vous faites cela pendant plusieurs années, ça s'accumule. Je ne suis pas un agronome, mais je crois comprendre que différentes plantes prennent leur engrais dans le sol en quantités différentes. Même si vous l'épandez uniformément, l'année suivante une plante prend beaucoup d'engrais tandis qu'une autre n'en prend pas du tout.
Le point le plus important de l'application, c'est l'eau. Dans le cas de l'eau, il n'y aucun problème. Nous pouvons le faire aujourd'hui pour déterminer s'il y a des écarts par rapport à un forum environnemental quelconque.
Le sénateur Tunney: Ma question complémentaire fait suite à votre intervention. Je vous ai entendu parler d'une grande quantité d'azote. Je ne vous ai pas entendu parler de phosphore ou de carbonate de potassium, les deux autres macro-éléments, et je ne vous ai pas entendu parler non plus de micro-borax de cuivre, de bore, ces éléments nutritifs qui sont tout aussi importants que les macros-éléments nutritifs.
[Français]
M. Tremblay: En effet, il y a d'autres éléments essentiels à la croissance des plantes. Nous avons d'abord choisi l'azote car il nous est apparu comme l'élément ayant le plus de potentiel du point de vue application à taux variable. Avec le phosphore, la potasse ou la chaux, les analyses de sols font un travail acceptable, mais la plante réagit moins aux applications à taux variables de ces intrants.
Pour ce qui est de l'azote, il n'existe aucune technologie apte à faire le travail de détection. Les analyses de sols ne conviennent pas à l'application à taux variables de l'azote. Pour ce faire, un trop grand nombre d'analyses seraient nécessaires. Il faut donc une technologie en temps réel pour faire un bon travail de gestion de l'azote. Le phosphore, pour sa part, ne varie pas tellement à travers la saison. L'azote représente donc un potentiel commercial réel.
Les résultats à partir d'analyses de sols suffisent pour le moment en ce qui concerne les autres éléments. Il n'est pas exclu d'envisager éventuellement la même technologie de fluorescence pour détecter les besoins de ces autres éléments, mais il nous semblait prioritaire de commencer avec l'azote.
En réponse à une question posée plus tôt, j'aimerais ajouter que, pour un certain nombre de cultures, une seule application de fertilisant suffit au moment de semer. Ce sont des cultures qui ne sont pas très exigeantes en azote.
Nous avons choisi ici les cultures qui exigent beaucoup d'azote. Le maïs, par exemple, requiert souvent une application en cours de saison. D'autres cultures nécessitent également beaucoup d'azote et sont donc potentiellement plus polluantes. C'est la raison pour laquelle nous nous sommes tout d'abord concentrés sur ces cultures.
[Traduction]
Le sénateur Day: Votre technologie est-elle suffisamment sensible du point de vue de la télédétection pour faire la différence entre diverses variétés de la même culture?
M. Tremblay: Différents cultivars?
Le sénateur Day: Oui.
[Français]
M. Tremblay: Je dirais qu'il n'est pas nécessaire d'utiliser cette technologie pour faire une distinction entre les cultivars. Des technologies moins sophistiquées peuvent le faire. Lorsqu'on survole une région pour obtenir de l'information cartographique, la détection est rapide mais le traitement de l'image est long. L'information n'est pas disponible avant deux ou trois semaines. Ce laps de temps est trop long pour l'agriculteur. Les capteurs disposés sur tracteurs réagissent spontanément à l'information, et on n'a pas recours à une image souvent longue à obtenir.
[Traduction]
M. Dudelzak: Je suis agréablement surpris de la façon dont vous posez les questions. On dirait que vous avez travaillé dans ce domaine auparavant.
Ce qu'il faut comprendre, c'est que rien de tout cela pourrait se faire à partir d'un satellite; par exemple, on ne pourrait pas faire de détection analytique. Il est très difficile d'identifier des substances ou des types de substances à partir d'un satellite. Vous avez besoin d'un dispositif actif. Le radar ne suffirait pas car il ne donne pas le contenu chimique; par contre, les lasers le font. Il y a eu des applications à différentes espèces dans le champ, la marijuana, par exemple. On a effectué beaucoup de travaux dans l'eau. À l'aide de cette technologie, vous pourriez identifier différents types de chlorophylle dans la végétation marine comme la chlorophylle A et d'autres pigments. C'est possible et on le fait.
Pour répondre à votre question, c'est«oui», mais comme l'a dit M. Tremblay, il y a une façon plus facile de le faire autrement qu'à l'aide d'un avion de façon approximative. Cette technologie vous permet de le faire immédiatement.
Le sénateur Day: Si un agriculteur avait un champ de canola qui avait été modifié par une compagnie comme Monsanto et que le cultivateur voisin n'en voulait pas, cette technologie permet-elle d'identifier si le canola modifié est passé d'un champ à un autre?
M. Dudelzak: En théorie, c'est possible. Cependant, avant de répondre par l'affirmative, j'aimerais analyser un échantillon pour déterminer la différence.
Le sénateur Day: Ils ne sont pas trop visiblement différents.
M. Dudelzak: Non, pas du point de vue de cette technologie.
Le sénateur Wiebe: Peut-on utiliser cette technologie pour détecter les plantes modifiées génétiquement? J'inviterais certainement votre ministère à aller dans ce sens de façon agressive car c'est la question de l'heure et il y aura beaucoup de discussions pour savoir si nous devrions permettre des aliments modifiés génétiquement. Si c'est ce que nous sommes pour faire, alors comment pouvons-nous détecter lequel l'est et lequel ne l'est pas? Je suis heureux que nous puissions faire cela. S'il faut survoler le champ dans un avion, il se peut que nous ayons à survoler un grand nombre de champs pour faire cette détermination.
M. Dudelzak: Il faut faire de la recherche avant de commencer à survoler quoi que ce soit.
Le sénateur Wiebe: À votre avis, cette technologie peut-elle être mise au point?
M. Dudelzak: Je pense que oui. Cependant, j'ai entendu de nombreuses promesses, même au point où certaines choses qui ne peuvent pas fonctionner ont été promises. Pour cette technologie-ci, sur le contexte physique de l'interaction de la lumière avec la lumière et le type de molécules dont il est question, oui, c'est possible. Cependant, de là à dire comment, ce qu'il faudrait et combien il en coûterait pour le faire, je ne peux répondre aujourd'hui.
Le sénateur Wiebe: Combien vous faudrait-il d'argent pour mettre au point cette technologie?
M. Dudelzak: Pour faire la distinction entre des aliments génétiquement modifiés et non modifiés?
Le sénateur Wiebe: Oui.
[Français]
M. Tremblay: Je dirais qu'il serait possible de déterminer la faisabilité dans un laps de temps assez court. Des mesures pourraient être prises sur une période d'un an en comparant différentes variétés qui ont ou n'ont pas le gêne modifié. Supposons que cela fonctionne en laboratoire, la mise au point d'un appareil capable de faire cela à grande échelle nécessiterait des d'investissements plus importants. On peut rapidement savoir si cette technique fonctionne ou pas en laboratoire avec un budget de recherche raisonnable, de l'ordre d'une centaine de milliers de dollars.
[Traduction]
M. Dudelzak: Vous vouliez probablement entendre dire non pas «raisonnable», mais combien. Un scientifique prudent dirait, «Laissez-moi le temps de préparer mon budget». En général, il faudrait en tout entre 100 $ et un million de dollars, canadiens.
Le sénateur Wiebe: C'est tout un écart.
M. Dudelzak: Il y a différentes étapes. Tout d'abord, vous effectuez la recherche en laboratoire et vous payez un technicien et achetez différentes choses. Je pense que nos organismes verseraient nos salaires, ce qui est probablement la partie la plus dispendieuse. Cependant, fabriquer un appareil, c'est une autre histoire.
[Français]
M. Tremblay: C'est une excellente suggestion que vous faites et à laquelle je n'avais pas pensé. Il y a effectivement un grand potenciel d'application du côté des organismes génétiquement modifiés. Je vous remercie d'en avoir fait la proposition.
J'aimerais également ajouter que nous avons obtenu des résultats très intéressants dans la détection des mauvaises herbes. Nous avons effectué des tests à notre laboratoire de Saint-Jean. À l'aide d'un appareil simple nous croyons qu'il est possible de détecter les endroits où se trouvent les mauvaises herbes et ainsi réduire l'utilisation d'herbicides. Là où l'on détecte une mauvaise herbe, l'application d'herbicide se fait. La technologie convient tout à fait à cet usage, avec un grand potentiel de discrimination, et fonctionne bien. Nous voulons également développer ce créneau dans l'application de la technologie.
Je vous ai parlé de l'azote à titre d'exemple, mais la détection des mauvaises herbes est un bon exemple de l'application de cette technologie.
[Traduction]
Le président: Étant donné que vous n'avez pas de fonds de recherche et que les choses sont au point mort, est-ce que cela ne donne pas à des entreprises comme Monsanto le temps de capitaliser sur ce genre de choses? C'est une véritable question politique dans le milieu agricole. Nous n'avons aucune idée de l'incidence de ce qui se passe là-bas. Je parlais à un représentant d'une des entreprises d'engrais hier soir et il me disait que son entreprise perdait de l'argent. Pour moi, c'est difficile à croire, compte tenu de la quantité d'engrais que nous devons acheter pour nos fermes.
Il y a donc ici un vide qui m'inquiète. Quand nous avons implanté la protection des obtentions végétales — et j'ai tout vécu cela à la Chambre des communes —, nous avons en réalité mis en place une chose pour laquelle nous avons travaillé et qui nous pénalise parce que le petit producteur de graines n'a aucune chance. Nous avons créé un monopole pour certaines grandes entreprises, ce qui risque de vous lier les mains sur la recherche dans une certaine mesure.
M. Dudelzak: Je ne pense pas qu'ils fassent quoi que ce soit du genre, mais il faudrait se poser la question suivante: pourquoi est-ce que c'est le plus grand fabricant d'engrais d'Allemagne qui a démarré toute la recherche comme celle-ci au sujet de l'azote et de tout le reste? Nous le faisions pour l'eau, pour la contamination nucléaire, l'organique, le biologique, et cetera, mais c'est un fabricant d'engrais qui a pris l'initiative et a dit: «Nous ne voulons pas surcharger car notre gouvernement n'aime pas cela. En même temps, nous ne voulons pas nous nuire et vendre moins que nécessaire». Ensuite ils sont venus au Canada, car c'est ici que se trouve la technologie.
J'ai eu une manifestation d'intérêt une fois, mais le représentant de la compagnie a dit, «nous allons acheter cet appareil lorsque vous l'aurez terminé. Nous n'allons pas financer la recherche».
Le sénateur Mahovlich: Merci de votre excellent exposé. J'ai une question par rapport à l'argent. Y aurait-il eu un grand afflux de fonds de recherche après l'incident de Walkerton?
M. Dudelzak: Si vous avez lu les journaux, oui. Le gouvernement de l'Ontario avait 800 millions de dollars à affecter à l'amélioration des contrôles de la qualité de l'eau et à l'approvisionnement.
Je ne voudrais pas sembler cynique, mais j'ai suivi de près la création de deux réseaux indépendants d'eau propre au Canada, les centres d'excellence des universités. Les fonds étaient importants, de l'ordre de 4 millions de dollars. Ils se faisaient la concurrence pour les obtenir. J'ai été invité aux deux conférences de création de ces réseaux. À ma surprise, seulement des économistes, des avocats et d'autres personnes y étaient de différentes facultés. Il n'y avait personne du secteur de la technologie. Maintenant, l'argent a été affecté à quelque chose. M. Tremblay n'a rien vu de cette source de financement.
Le sénateur Mahovlich: Vous n'avez pas participé à la recherche de Walkerton?
M. Dudelzak: Il n'y avait aucune recherche à Walkerton.
Le sénateur Mahovlich: Il n'y avait aucune recherche après l'incident? J'aurais pensé que les gouvernements seraient allés consulter des gens comme vous.
M. Dudelzak: J'ai fait un exposé au sujet de l'eau — pas dans ce cas-ci, par contre — à l'un de ces centres d'excellence. Cet exposé a été fait à la demande de Crest Tech, un centre d'excellence du réseau universitaire ontarien. Il y avait des représentants du ministère des Ressources naturelles de l'Ontario qui est chargé de la qualité de l'eau. Ils ont dit,«Seriez-vous en mesure de venir à Peterborough et de faire un exposé plus complet?». C'était en janvier 2000, quelques mois avant l'incident de Walkerton. Ils ont dit que si un organisme comme l'Agence spatiale était prêt à mettre quelque chose sur la table, ils feraient beaucoup plus. J'ai répondu, «Avec plaisir. Mes supérieurs vont certainement m'appuyer si nous en ressentons le besoin. L'Agence spatiale est la source de la technologie. Notre mandat est de voler dans l'espace. Il s'agit ici d'une retombée de ce que nous faisons. J'ai été heureux d'entendre cela, mais je n'ai plus jamais entendu parler d'eux.
Lorsqu'est survenu l'incident de Walkerton, j'ai envoyé un courriel à ces messieurs et j'attends toujours la réponse.
Le sénateur Day: J'ai une question complémentaire à une question posée plus tôt par le sénateur Wiebe.
[Français]
Je crois que peut-être M. Tremblay peut répondre à ma question. Vous avez indiqué plus tôt que s'il y a un brevet, c'est le gouvernement qui en sera le détenteur. S'agit-il d'un principe général, ou si dans chaque projet une convention déterminera qui est le détenteur selon les contributions de chaque partenaire? Si le gouvernement est détenteur du brevet, la compagnie privée a-t-elle le droit de détenir une licence exclusive? Car si elle détient une licence exclusive, la compagnie est la seule à pouvoir exploiter l'invention.
M. Tremblay: Parlons du cas spécifique qui nous intéresse aujourd'hui. La compagnie a un droit exclusif de commercialisation, mais ce droit n'est pas éternel. Si la compagnie demeure inactive pendant une période de deux ans, si je ne m'abuse, nous avons le droit de reprendre contrôle de la commercialisation de cette technologie. Il y a donc une clause qui prévoit le risque que la compagnie soit inactive.
Le sénateur Day: Et si la compagnie réalise des bénéfices fructueux grâce à cette licence, elle conserve son droit exclusif?
M. Tremblay: En effet, et il y a des royautés qui nous reviennent.
[Traduction]
Le président: Je vous remercie pour un avant-midi intéressant. Nous examinons le rapport «Farmers at Risk». D'après ce que vous avez dit ce matin, j'en conclus que nous laissons peut-être le Canada prendre un peu de retard. Je ne blâme pas trop les Américains ou les Européens de défendre le coeur de leurs pays et de reconnaître l'importance de l'agriculture. Dans le monde, nous avons une politique d'aliments à bas prix et les agriculteurs ne peuvent pas en supporter tout le fardeau.
M. Dudelzak: Cela n'arrive pas qu'en agriculture. Nous en avons plusieurs exemples ailleurs. Les gens disent que c'est une situation typiquement canadienne alors que le Canada est souvent à l'avant-garde pour proposer de nouvelles idées, puis il se range sur le côté parce qu'il manque de fonds ou d'appui pour passer à l'étape suivante.
Toute la science pour ce qui est de vérifier ou d'étudier l'eau à distance a pris son origine au Canada. M. O'Neil, qui a lancé tout le processus à la fin des années 70, avait un excellent groupe de recherche. Toutes ces personnes sont maintenant aux États-Unis, à des niveaux très élevés de la NASA, du Département de l'agriculture, de l'Agence pour la protection de l'environnement, et ailleurs. M. O'Neil est un directeur d'une division qui n'a plus depuis longtemps rien à voir avec la mise au point de la technologie parce qu'il n'avait pas les fonds pour passer à la deuxième étape, après qu'on l'eut félicité d'avoir amorcé tout ce domaine d'étude. C'est un peu différent.
Je tiens à vous remercier beaucoup en notre nom à tous deux et j'aimerais souligner une fois de plus que peu importe les critiques qui ont été faites, elles l'ont été dans le but de répondre à vos questions directes. Nous n'avions pas prévu de le faire de façon intentionnelle.
Le président: Merci de votre exposé ce matin.
Le comité a poursuivi ses travaux à huis clos.