Aller au contenu

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce

Fascicule 2 - Témoignages


OTTAWA, le mercredi 14 mars 2001

Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce, auquel a été renvoyé le projet de loi S-11, Loi modifiant la Loi canadienne sur les sociétés par actions et la Loi canadienne sur les coopératives ainsi que d'autres lois en conséquence, se réunit aujourd'hui à 15 h 45 pour étudier le projet de loi.

Le sénateur E. Leo Kolber (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Nous entendrons aujourd'hui des témoignages sur le projet de loi S-11, Loi modifiant la Loi canadienne sur les sociétés par actions et la Loi canadienne sur les coopératives ainsi que d'autres lois en conséquence. Nous recevons trois groupes de témoins qui ont bien voulu accepter de témoigner ensemble. Le révérend Richard Soo et M. Bill Davis représentent le Comité inter-Églises sur les responsabilités des corporations. De la Shareholders Association for Research and Education, nous recevons M. Peter Chapman, directeur exécutif. Mme Tessa Hebb, membre du conseil d'administration, représente quant à elle la Social Investment Organization.

Le révérend Richard S. Soo, membre, Comité inter-Églises sur les responsabilités des corporations: Honorables sénateurs, mon collègue M. Bill Davis et moi-même représentons le Comité inter-Églises sur les responsabilités des corporations. Le bureau des églises canadiennes coordonne les transactions des actionnaires avec des sociétés. Nous vous savons gré de nous donner cette occasion de comparaître devant votre comité.

Les Églises encouragent les actionnaires à se montrer responsables depuis les 25 dernières années. Au Canada, nous sommes les pionniers du mouvement des actionnaires responsables. Depuis notre première présentation sur le sujet il y a 14 ans à Industrie Canada, nous sommes heureux de constater que le mouvement a rallié un vaste appui dans tout le Canada.

En règle générale, nous sommes très favorables à la dernière mouture du projet de loi S-11. Nous tenons tout particulièrement à féliciter Industrie Canada d'avoir éliminé du projet de loi les clauses d'exclusion confuses qui empêchaient les actionnaires d'exercer leurs droits et responsabilités. Nous félicitons également Industrie Canada de tenir compte de la propriété effective des actions. Nous avions soulevé la question au cours de notre précédent témoignage, et nous vous remercions de votre réponse en la matière.

Aujourd'hui, nous ne voulons aborder que deux points: le règlement concernant les seuils à respecter pour soumettre une proposition et la question de l'arbitrage. Ils sont exposés aux alinéas 137(1.1)a) et b). Pour soumettre une proposition qui sera incluse dans la circulaire, un actionnaire doit avoir détenu un pourcentage minimum d'actions pendant un minimum de temps ou avoir investi un minimum d'argent. Les niveaux et pourcentages précis figurent dans le règlement, notamment à la Partie 6, au numéro 40.

Les Églises n'ont rien à redire aux seuils qu'elles estiment raisonnables. Cependant, le fait qu'ils soient intégrés dans un règlement plutôt que dans la loi leur pose un problème. Nous sommes d'avis que les niveaux devraient être fixés par la loi, plutôt que par règlement. Nous nous rendons compte que les règlements ont l'avantage d'être souples, et qu'ils peuvent être facilement modifiés et appliqués. Nous estimons cependant que le compromis n'est pas justifié.

Le président: Je vous signale que nous nous heurtons à ce problème avec la plupart des lois. Nous avons adopté une procédure qui nous permet de laisser les choses telles quelles ou de les modifier. Le ministère est cependant responsable de la loi et doit nous fournir une copie des changements qui sont apportés au règlement chaque année. Nous pouvons ou non tenir des séances sur ce règlement, mais si quelque chose d'imprévu y figure, alors nous procéderons à des audiences. Cela vous rassure-t-il un peu? Nous sommes au fait du problème.

M. Soo: Merci, c'est utile. Cependant, cela n'apaise pas notre crainte. Il existe une intégrité entre les règlements et les lois. Autrement dit, le seuil à respecter est ce qui permet aux actionnaires d'exercer leurs droits et responsabilités. Il serait trop facile de les compromettre en élevant simplement ce seuil. Nous estimons qu'en faisant figurer les seuils dans la loi, on s'assurerait qu'une vigilance est exercée par le public et le Parlement; que dès qu'un changement se produirait, il y aurait des séances publiques et un débat au Parlement.

Le meilleur moyen d'obtenir de la souplesse consisterait peut-être à procéder plus fréquemment à des mises à jour plutôt que d'attendre si longtemps que la loi existante finit par devenir tout à fait obsolète. Le gouvernement a fait cela. Par exemple, en 1995, le gouvernement a pu apporter les petits amendements nécessaires à la loi pour régler diverses questions d'ordre courant. Nous préférerions que cela se fasse dès 2001, et que toute la loi soit l'objet d'un examen régulier.

Toujours à ce sujet, une loi est plus facilement accessible sur Internet, et donc disponible pour un examen public, que les règlements qui sont plus difficiles à obtenir. Cela exige également des actionnaires qu'ils consultent le texte de loi et le règlement pour arriver à comprendre tout le schéma. Il devient donc encore plus difficile aux gens de comprendre le processus et d'apporter leur contribution.

En résumé, nous soumettons que les seuils proposés dans le projet de loi sont raisonnables et qu'ils devraient figurer dans la loi.

Le président: Monsieur Davis, la parole est à vous.

M. Bill Davis, membre, Comité inter-Églises sur les responsabilités des corporations: Je vais parler de l'aspect arbitrage soulevé dans l'exposé des Églises. Après avoir parlé avec le greffier du comité, nous avions compris que nous ferions tous nos exposés, qui seraient suivis de questions, étant donné que les exposés se recoupent.

L'alinéa 137(5)b.1) du projet de loi S-11 représente, comme l'a mentionné M. Soo, un pas en avant pour les églises. Cependant, la question que nous avions soulevée la dernière fois que nous sommes venus ici est toujours sans réponse. Quand un actionnaire et une société ne peuvent s'entendre pour déterminer qu'une résolution proposée est liée de façon importante aux activités commerciales de la société, pour reprendre les termes du projet de loi, comment cette question doit-elle être résolue? Quand on en arrive à l'article 137, aux paragraphes (7) et (8), on constate que le fardeau de la preuve est en fin de compte déplacé vers l'actionnaire pour entamer des poursuites judiciaires.

S'adresser aux tribunaux, comme nous l'avons indiqué dans nos mémoires précédents, coûte cher. Cela peut décourager tous les actionnaires sauf ceux qui disposent de bonnes ressources. Nous espérons qu'on réfléchira davantage à l'idée de créer un tribunal indépendant, ou éventuellement de nommer un ombudsman. Il devrait exister un autre moyen pour en arriver à un règlement, réduisant ainsi le coût et les délais des procédures judiciaires. C'est un argument que nous avons fait valoir précédemment, et nous voulons le souligner.

Je n'ai que quelques choses à dire en conclusion. À notre dernière comparution, nous avons déposé une lettre adressée à Industrie Canada de la part d'un important investisseur institutionnel aux États-Unis, soulignant la nécessité que les investisseurs internationaux aient l'impression que leurs droits comme actionnaires seront respectés au Canada. Je suis persuadé que les membres de ce comité suivront ces questions avec intérêt. J'espère que vous avez remarqué l'important changement de politique apporté par le California Public Employees Retirement System dans sa procédure de vote par procuration. Le New York Times et le Global Proxy Watch ont publié le 11 février et le 8 février 2001, respectivement, des articles pour décrire le changement. Essentiellement, ce régime de 165 milliards de dollars, le plus important régime du secteur public aux États-Unis, a fait savoir que sa nouvelle politique de vote par procuration consistera à appuyer les propositions de dissidents dans le monde à moins que les responsables du régime estiment qu'elles nuiraient à long terme à une société. C'est toute une mesure. En outre, CalPERS rejette la distinction qu'il a déjà faite entre les aspects sociaux et administratifs comme deux catégories de résolutions.

Voici une citation tirée de Global Proxy Watch qui vous permettra de comprendre l'argument que je tiens à faire valoir:

Les efforts de CalPERS en vue d'insérer les interventions des actionnaires dans le courant principal de l'activisme des investisseurs s'apparentent à ce qu'ont fait récemment des institutions au Royaume-Uni. Et cela crée un terrain commun avec des fonds en Europe, en Asie et ailleurs qui accordent depuis toujours beaucoup de valeur à l'image sociale d'une entreprise.

Nous façonnons, à l'heure actuelle, une loi qui doit résister à un examen des investisseurs internationaux qui désirent être plus actifs. Laisser dans ce pays un obstacle comme l'absence d'un processus simple et rapide de règlement des divergences d'opinion sur l'acceptabilité d'une proposition est un irritant inutile pour les investisseurs éventuels. Les investisseurs vont là où ils se sentent bienvenus.

Merci de nous avoir permis de comparaître; nous espérons que nous pourrons répondre à certaines questions et certains commentaires en temps voulu.

M. Peter Chapman, directeur exécutif, Shareholders Association for Research and Education: Je suis le directeur exécutif de la Shareholders Association for Research and Education, ou SHARE, dont le siège est à Vancouver. La British Columbia Federation of Labour et neuf syndicats de la Colombie-Britannique parrainent SHARE.

Nous exerçons nos activités dans quatre domaines: le premier est la sensibilisation des fiduciaires de fonds de pension; le deuxième est l'analyse stratégique, y compris les questions juridiques et réglementaires; et les deux autres concernent le vote par procuration et le «militantisme» des actionnaires.

Nous sommes une nouvelle organisation. Nous avons officiellement vu le jour en novembre de l'année dernière, au congrès annuel de la BC Federation of Labour. La création de SHARE est un reflet de la détermination du mouvement syndical à appuyer les centaines de fiduciaires nommés aux conseils d'administration des régimes de pension pour représenter les intérêts des travailleurs et des membres du régime.

SHARE considère que le projet de loi S-11 est un important texte de loi. Nous tenons à vous exprimer notre appui aux amendements que vous étudiez, notamment les dispositions visant à accroître la communication avec les actionnaires et à étendre le droit de soumettre des propositions d'actionnaires aux véritables actionnaires. Les deux sont extrêmement importants et nous tenons à exprimer notre appui.

Nous aimerons également vous dire que nous sommes d'accord avec le plus récent amendement lié à un changement apporté entre le projet de loi S-19 précédent et le projet de loi S-11, à savoir le retrait de la vaste clause d'exclusion. Comme vous le savez, c'est une demande que formulaient nos collègues du Comité inter-Églises sur les responsabilités des corporations depuis 15 ans. Nous sommes très heureux de ce changement.

Les honorables sénateurs doivent avoir en main des exemplaires du mémoire que nous avons soumis à cet égard. Nous avons passé en revue les amendements et avons tenté de recenser certains des principaux problèmes pour ensuite traiter des plus détaillés. J'aimerais consacrer la plupart de mon temps à une question particulièrement importante.

Tout comme le révérend Soo, nous aimerions que les limites quantitatives et temporelles figurent dans la loi. J'ai été heureux d'entendre le sénateur Kolber dire que le comité a mis en place un mécanisme pour recevoir de l'information d'Industrie Canada. C'est certainement le genre de mesure qui nous assure qu'il existe un examen public des règlements. Au moment de la rédaction de notre mémoire, nous n'étions pas préoccupés par cet aspect. Nous avons adopté comme position que ces importantes limites devraient figurer dans la loi de façon à être revues par le Parlement avant que des changements soient apportés.

La deuxième question concerne le mécanisme d'arbitrage. Comme vous le savez, dans le système actuel, un actionnaire doit se pourvoir en justice si la société refuse de joindre sa proposition dans la circulaire. Nous avons abondamment consulté des collègues aux États-Unis qui connaissent bien un processus en vertu duquel la SEC, la Commission des valeurs mobilières des États-Unis, peut déterminer de façon administrative si une proposition d'actionnaire est conforme ou non à ses règlements, ce qui serait semblable à ce que nous avons dans la Loi canadienne sur les sociétés par actions. Ils sont fortement en faveur de disposer d'un genre de mécanisme à mi-chemin entre un différend actionnaire/société et des poursuites judiciaires.

Nous avons examiné certaines des différences entre le Canada et les États-Unis, y compris l'absence d'un organisme national de réglementation du commerce des valeurs mobilières et le fait que cela figure dans la Loi sur les sociétés plutôt que dans la Loi sur les valeurs mobilières. Vous constaterez que dans notre mémoire nous avons formulé certaines suggestions sur les formes que pourrait prendre un système de règlement des différends qui, nous l'espérons, serait efficace et peu coûteux. Il ne s'agirait pas d'un organisme permanent mais plutôt d'une entité qui serait constituée quand un différend surgit. Je ne vais pas entrer dans les détails. Vous disposez de l'information. À notre avis, c'est quelque chose de très important, et nous avons certes invité instamment nos collègues américains à approfondir la question.

La question suivante concerne la charge, ou fardeau de la preuve. À la lecture du projet de loi, nous avons trouvé préoccupant que bien que la société doive fournir les raisons pour lesquelles elle refuse de joindre une proposition dans la circulaire, si l'actionnaire décide de se pourvoir en justice pour essayer de faire valoir ses droits, il devient alors le requérant, et la common law place généralement le fardeau de la preuve sur le requérant. Donc, une fois devant les tribunaux, la charge passerait alors de la société à l'actionnaire. Juste avant de commencer à vous parler aujourd'hui, j'ai eu l'occasion de discuter de cela avec un représentant d'Industrie Canada. À cet égard, il semble que le comité, et les rédacteurs législatifs, aient eu l'intention de placer le fardeau sur la société. C'est peut-être tout simplement que nous avons mal compris la façon dont le projet de loi est rédigé.

Nous ne nous préoccupions pas de l'exigence voulant que la société doive donner ses raisons à l'actionnaire mais, plutôt, de ce qui arrive une fois que l'actionnaire décide de s'adresser aux tribunaux car, en common law, c'est le requérant qui porte la charge. Nous avions compris que pour inverser le fardeau de la preuve, il fallait quelque chose d'explicite dans la loi. Je suis désolé que nous ayons mal compris cela, mais c'est un point important. Nous allons probablement continuer à préciser la chose avec Industrie Canada.

Le président: Quelle est la conclusion?

Le sénateur Oliver: Vous abandonnez ce point? N'allez-vous pas persister?

M. Chapman: D'après la transcription des délibérations de votre réunion précédente et d'après mes discussions avec M. Wayne Lennon d'Industrie Canada, j'ai cru comprendre que la loi, de la façon dont elle est libellée, place le fardeau sur la société.

Le président: Mon expert me dit que ce n'est pas le cas.

M. Chapman: Je devrais peut-être revenir à l'argument selon lequel nous croyons que le fardeau devrait incomber à la société.

Le président: Avez-vous de la documentation écrite là-dessus?

M. Geoffrey P. Kieley, Division du droit et du gouvernement, Direction de la recherche parlementaire, Bibliothèque du Parlement: L'article 137, au paragraphe (8), de la façon dont je le comprends, stipule que sur demande de l'auteur de la proposition qui prétend avoir subi un préjudice suite au refus de la société, le tribunal peut empêcher la tenue de l'assemblée. Je crois comprendre qu'ils essaient d'équilibrer les stimulants. Si le fardeau incombe à la société, alors l'individu n'a qu'à dire qu'il est un actionnaire et présenter la proposition. Cette action force la société à aller en cour dans tous les cas. Cela est destiné à amener l'actionnaire, ou l'auteur de la proposition, à bien peser le bien-fondé de l'affaire, sachant qu'ils devront aller en cour pour le prouver.

M. Chapman: D'une certaine façon, cela souligne l'intérêt de disposer d'un mécanisme d'arbitrage. Nous aimerions éviter la situation où l'une ou l'autre partie doit se pourvoir en justice. C'est très rare aux États-Unis -- la SEC semble avoir réussi à éviter cela. Nous serions en faveur de dispositions qui découragent les propositions d'actionnaires futiles. Toutefois, en même temps, c'est difficile, si le fardeau incombe à l'actionnaire une fois qu'ils arrivent en cour. Nous en avons exposé certaines des raisons dans notre mémoire.

Le sénateur Carstairs: Avez-vous fini votre exposé?

M. Chapman: J'aimerais signaler que, dans l'autre partie du mémoire, nous avons formulé certains commentaires sur les limites temporelles. Nous avons soulevé un point au sujet du délai de remise des propositions d'actionnaires, qui a changé dans la nouvelle loi par rapport à ce qu'il était dans l'ancienne. Le délai est maintenant lié à la date de l'avis de convocation de la dernière assemblée annuelle envoyé aux actionnaires. Nous sommes d'avis que la situation précédente était plus facile pour les actionnaires car le délai était lié à la date de la tenue de l'assemblée annuelle des actionnaires. La date de l'avis est une date plus technique, et c'est aussi une date qui change. Si l'on avait par là l'intention d'étendre la durée entre le délai de remise des propositions à l'assemblée annuelle, nous convenons que ce délai pourrait être prolongé, mais nous estimons que ce serait plus facile pour les actionnaires si le délai était lié à la date de l'assemblée annuelle plutôt qu'à la date de l'avis.

Le président: À votre avis, les délais prescrits pour les propositions d'actionnaires sont-ils vraiment clairs?

M. Chapman: Nous n'avons pas remarqué le changement la première fois que nous avons lu la disposition. Puis nous avons vu que c'était un délai d'un an à compter de la date de l'avis de convocation plutôt que de la date de la dernière assemblée annuelle.

Le président: Nous avons un tableau ici, mais ce n'est pas clair.

Le sénateur Meighen: J'allais justement en parler.

Le président: Nous y reviendrons tout à l'heure.

M. Chapman: Nous disons que le délai d'un an à compter de la date de la dernière assemblée annuelle a toujours été le délai utilisé, et il s'agit d'une date fixe. Par contre, dans le cas de l'avis de convocation, la date varie parce que l'entreprise peut envoyer cet avis à n'importe quelle date à l'intérieur d'un délai donné. C'est ainsi que la période du préavis peut varier d'une entreprise à l'autre. Nous préférerions que l'on revienne à l'ancienne formule d'un an à compter de la date de la dernière assemblée annuelle. C'est plus simple.

Mme Tess Hebb, membre du conseil d'administration, Social Investment Organization: Je vous remercie, sénateur Kolber et mesdames et messieurs du comité, de l'occasion de prendre la parole devant vous aujourd'hui.

La Social Investment Organization est un organisme national à but non lucratif établi en 1989 pour encourager les placements éthiques. La SIO est financée au moyen des cotisations de ses 450 membres de toutes les régions du pays. Ces membres représentent des fonds communs de placement choisis selon des critères sociaux et environnementaux, des institutions financières qui offrent des produits d'investissement socialement responsable, des conseillers financiers qui proposent des placements socialement responsables, des directeurs d'investissement et des investisseurs institutionnels qui se fondent sur les principes de l'investissement socialement responsable pour effectuer leurs placements, des épargnants et des organisations non gouvernementales ainsi que d'autres groupes qui s'intéressent à l'investissement responsable.

Le président: Pourriez-vous définir «socialement responsable»?

Mme Hebb: L'investissement socialement responsable repose sur trois formes d'action adoptées à partir de critères positifs ou négatifs pour effectuer un placement. Ces critères existent depuis plusieurs centaines d'années et tiennent compte de toute une foule de facteurs. Au nombre des critères négatifs, mentionnons les activités telles que la production de tabac et de matériel militaire. Une conviction religieuse est un exemple de critère positif. La deuxième forme d'action de l'investissement socialement responsable est l'investissement direct dans la collectivité, souvent appelé «le développement économique des collectivités». La troisième forme d'action est l'intervention de l'actionnaire. C'est de celle-là dont j'aimerais vous parler aujourd'hui.

La SIO incarne un mouvement qui prend de l'ampleur tant au Canada qu'aux États-Unis. Au Canada, la SIO est en mesure d'affirmer aujourd'hui qu'environ 50 milliards de dollars sont gérés à partir d'une forme quelconque de critères d'investissement socialement responsable. Aux États-Unis, ce montant s'élève à presque 2 billions de dollars US. Dans ce pays, on calcule que ce mouvement vers l'investissement socialement responsable touche environ 1 $ sur chaque 8 $ investis aux États-Unis. C'est un mouvement qui prend de l'ampleur; en d'autres mots, la population est de plus en plus consciente de l'influence des placements. L'intervention des actionnaires est l'une des formes d'action de l'investissement socialement responsable qui se répand le plus rapidement. D'où le grand intérêt que la SIO et d'autres groupes portent aux modifications que l'on examine ici.

Le président: Quelle est la valeur capitalisée totale de toutes les Bourses aux États-Unis?

Le sénateur Tkachuk: La réponse dépend du jour du calcul: la semaine dernière ou aujourd'hui.

Mme Hebb: En effet. Voulez-vous parler du capital financier direct investi?

Le président: Je veux parler de la capitalisation du marché boursier.

Mme Hebb: Le sénateur vient de le dire, cela dépend de la valuation.

Le président: Je comprends. Avez-vous un chiffre approximatif? Je ne sais pas comment vous êtes arrivée à ces chiffres et cela m'embête. Ils sont peut-être justes.

Mme Hebb: Le chiffre n'est pas calculé à partir de la capitalisation du marché boursier mais plutôt à partir de la valeur comptable réelle du placement. Au Canada, la valeur des actifs que représentent les certificats de placement garantis, les fonds communs de placement, les REER et ainsi de suite s'élève à environ 800 milliards de dollars, et cela vous donne un ordre de grandeur pour le chiffre de 50 milliards de dollars.

Nous voulons vous parler aujourd'hui des propositions d'actionnaires. Étant donné la cause que nous défendons, nous avons une position bien ferme sur les règles du jeu régissant l'intervention des actionnaires. À notre avis, les règles défavorisent les actionnaires qui veulent porter à l'attention de l'entreprise des questions d'importance sociale et environnementale, et les règles prévues jusqu'ici dans la LCSA pour régir la participation des actionnaires ont nui au dialogue nécessaire et sain qui doit avoir lieu entre les actionnaires et la direction.

L'alinéa 137(5)b) de la présente Loi canadienne sur les sociétés par action permet aux sociétés de refuser une proposition ayant «pour objet principal [...] de servir des fins générales d'ordre économique, politique, racial, religieux, social ou analogue», et de ne pas joindre cette proposition à la circulaire de la direction sollicitant des procurations. Ce droit de refus a nui à l'intervention des actionnaires au Canada. Nous félicitons le gouvernement d'avoir éliminé cette disposition dans le projet de loi S-11. Elle a été invoquée à plusieurs reprises dans le passé pour refuser de distribuer des propositions d'actionnaires, surtout depuis 1987 lorsque la Cour d'appel de l'Ontario a confirmé la décision de Varity Corp. de ne pas joindre à sa circulaire une proposition d'actionnaire visant le retrait d'investissements en Afrique du Sud.

En éliminant cet article, le gouvernement reconnaît l'importance d'accorder aux actionnaires le droit de formuler des propositions concernant des questions d'intérêt considérable pour la société, et visant notamment des aspects légitimes et invitant à la prudence dans des dossiers sociaux et environnementaux. Grâce à cette modification, la Loi canadienne sur les sociétés par action ressemble davantage à la loi correspondante aux États-Unis, qui ne permet pas de rejeter une proposition d'actionnaire pour des motifs d'ordre économique, politique, racial, religieux, social ou autres. Nous félicitons le gouvernement d'apporter cette modification à la LCSA.

La loi actuellement en vigueur aux États-Unis donne lieu bon an, mal an à environ 200 ou 300 propositions. Comme notre économie représente un dixième de celle des États-Unis, nous nous attendrions à ce qu'il y ait entre 20 et 30 propositions de cette nature chaque année. Ce n'est pas une quantité de nature à accabler nos sociétés canadiennes.

Nous nous réjouissons de ce changement qui vient d'être apporté, mais nous aimerions attirer l'attention du comité sur quelques autres points. Nous convenons que pour être autorisé à déposer une proposition, l'actionnaire doit avoir été détenteur de ses actions pendant au moins la durée réglementaire fixée. Nous reconnaissons également qu'il convient de fixer un pourcentage réglementaire d'appui des actionnaires à la dernière assemblée annuelle pour avoir le droit de soumettre une proposition à nouveau. Nous ne nous opposons pas non plus aux dispositions visant le nombre minimum d'actions qu'il faut détenir, d'abord que ces dispositions ne constituent pas une entrave économique à la capacité de déposer une proposition d'actionnaire.

Cela étant dit, nous exhortons le gouvernement d'envisager des amendements visant à fixer ces limites quantitatives et temporelles dans la loi plutôt que par règlement. Nous préconisons de tels amendements pour que le processus soit complètement ouvert et transparent dans l'éventualité de modifications proposées à l'avenir.

La Social Investment Organization s'allie à notre collègue du groupe SHARE pour recommander que le projet de loi S-11 contienne une disposition énonçant explicitement le nombre maximum d'années qui doivent s'écouler avant qu'un actionnaire puisse soumettre une proposition d'actionnaire essentiellement analogue sans craindre son refus, c'est-à-dire si elle n'a pas obtenu le pourcentage minimum d'appui des autres actionnaires. Vous remarquerez que dans le libellé actuel, il est question de seuils de 3, 6 et 9 p. 100, mais non de la période de temps qui doit s'écouler avant qu'une proposition puisse être présentée à nouveau si elle n'est pas parvenue à recueillir la première fois le pourcentage minimum d'appui de 3 p. 100.

Nous sommes heureux également que l'actionnaire dispose désormais de 500 mots plutôt que de 200 mots au maximum pour formuler sa proposition. Nous sommes d'avis cependant que cette disposition devrait figurer dans la loi plutôt que dans le règlement. Nous sommes d'avis également que la loi devrait fixer le même nombre maximum de mots pour la réponse de la société dans la circulaire de la direction sollicitant des procurations.

Il y a d'autres points proposés par le groupe SHARE que nous approuvons. Nous recommandons notamment que le gouvernement établisse un mécanisme d'arbitrage rapide et à faible coût qui permettra de régler les différends entre les actionnaires et la direction concernant la diffusion des propositions d'actionnaires. À l'instar du groupe SHARE, nous vous recommandons d'examiner plus en détail le processus d'arbitrage.

Nous félicitons le gouvernement pour sa modification établissant que les véritables actionnaires ont le droit de déposer une proposition d'actionnaire. Nous avons toujours pensé que la restriction qui existait auparavant, selon laquelle seuls les actionnaires inscrits avaient le droit de déposer une proposition, était un anachronisme et une mesure technique invitant aux abus.

Nous sommes donc heureux de constater que le gouvernement a décidé d'agir sur plusieurs plans. Nous avons comparu devant le comité du Sénat en mai 2000, et des mesures ont été prises à l'égard de nombreux points que nous avons soulevés à ce moment-là. Nous vous en remercions infiniment. Nous croyons toujours par ailleurs qu'il importe que les règles concernant ce processus soient explicites afin qu'il n'y ait pas érosion du processus par le biais de changements apportés plus tard au règlement.

Le président: Avant de passer aux questions des sénateurs, je tiens à rappeler aux témoins qu'à l'avenir, lorsqu'ils se présenteront devant notre comité, ils doivent nous présenter leurs mémoires en anglais et en français ou nous les envoyer une semaine à l'avance pour que nous puissions les faire traduire.

Le sénateur Tkachuk: Bon nombre des questions soulevées par vous tous ici ont porté sur les mêmes sujets. Pourriez-vous nous donner quelques exemples concrets? Manifestement, vous avez beaucoup réfléchi à ces questions au cours des dernières années et vous connaissez sans doute des cas concrets où les choses que vous décrivez se sont produites. Ce serait utile que vous nous en fassiez part. Chaque groupe peut-il me donner deux ou trois exemples des types de questions que vous voudriez voir aborder à une assemblée annuelle par le biais d'une proposition de cette nature.

M. Davis: Volontiers. Les banques à charte du Canada ont eu affaire à un nombre assez considérable de propositions d'actionnaires au cours des dernières années. L'une de ces propositions, inscrite à l'ordre du jour cette année, visait à établir un lien plus étroit entre les options d'achat d'actions offertes aux cadres supérieurs et le rendement de l'action. On visait la rémunération des cadres supérieurs mais aussi l'établissement d'une corrélation plus étroite entre les récompenses des cadres supérieurs et ce que touchent les actionnaires. Je n'ai pas participé à toutes les réunions de la banque, mais cette proposition a recueilli un appui de l'ordre de 30 p. 100. Le Régime de pension des enseignants de l'Ontario, qui est un investisseur fort important, a appuyé cette résolution. On commence donc à examiner de plus près les options d'achat d'actions en tant que formule de rémunération, ainsi que les niveaux de rémunération et les liens entre ce type de récompenses et ce que l'actionnaire touche véritablement. Voilà un exemple.

Aux États-Unis, les églises et un groupe de régimes du secteur public ont déposé l'an dernier une proposition à l'assemblée générale de Talisman pour demander que soit préparé un rapport à l'intention des actionnaires faisant état des conséquences des investissements de l'entreprise pour les droits de la personne au Soudan. L'appui des actionnaires pour cette proposition a été de 27 p. 100. On peut en déduire que de nombreux régimes de pension l'ont appuyée. Les églises qui ont déposé la proposition détenaient beaucoup moins que 1 p. 100 des actions totales. Manifestement, des investisseurs institutionnels aux États-Unis ont dû donner leur appui, tout comme plusieurs Canadiens.

Les actionnaires sont nombreux à se demander si les profits qu'ils touchent venant du Soudan, qui ne représentent qu'une partie de l'activité de Talisman, ont en fait été obtenus au prix de vies humaines et de violations des droits de la personne au Soudan. Les actionnaires veulent savoir quelle influence Talisman peut avoir ou ne pas avoir sur ces droits. Ce genre de proposition porte ce problème à l'attention du public et a en fait incité Talisman à formuler sa propre proposition et à produire un rapport, même si celui-ci ne visait qu'à redorer exagérément son blason. Ils ont été incités au moins à parler publiquement d'un rapport portant sur le Soudan à l'intention de leurs actionnaires. Voilà deux exemples qui me viennent à l'esprit. D'autres membres du groupe en ont peut-être aussi.

M. Chapman: En effet, il y a une proposition qui a été présentée l'année dernière à Placer Dome. Elle demandait que les gens soient informés des risques pour l'environnement. Elle demandait que la société prépare un rapport. Le problème particulier était un accident à un barrage aux Philippines, qui a permis aux actionnaires de constater qu'il y avait des risques financiers que les renseignements que leur fournissait la société ne leur permettaient pas d'évaluer. Cette proposition a été retirée après des négociations avec la société. Elle n'a jamais été soumise à un vote parce que dans la période qui a précédé l'assemblée annuelle, les actionnaires et l'entreprise ont pu s'entendre.

Ce fut là une proposition comme bien d'autres. Qu'une proposition soit retirée n'est pas une chose exceptionnelle. Il a résulté de cette proposition particulière une promesse de Placer Dome d'étudier pendant un an toute la question des comptes à rendre à l'égard d'obligations de cette nature.

Il y a eu cette année deux autres excellentes propositions. L'une concerne les conflits d'intérêts entourant l'établissement de la rémunération des cadres supérieurs. Certaines sociétés ne respectent pas les directives de la Bourse de Toronto selon lesquelles le comité chargé de la rémunération devrait être composé entièrement d'administrateurs indépendants. Une proposition d'actionnaire sera entendue à l'assemblée générale d'une entreprise canadienne dont le comité chargé d'examiner la rémunération du chef de la direction comprend des membres de sa famille. Les actionnaires y voient quelque chose de louche.

Les normes visent les fournisseurs dans le secteur du détail sont un autre exemple. Il y a des propositions d'actionnaires dont des sociétés seront saisies cette année proposant que l'entreprise fasse état des normes visant les fournisseurs pour s'assurer qu'il n'y a pas de risque de ternissement de la réputation d'une entreprise à cause de la présence d'ateliers de misère dans la chaîne d'approvisionnement.

Il y a de nombreux autres exemples, j'en suis convaincu. Dites-moi-le si vous songez à des domaines particuliers.

Mme Hebb: L'un des importants membres institutionnels de la SIO, plus précisément l'aile des fonds communs de placement du réseau de coopératives de crédit, veut faire multiplier les interventions d'actionnaires en complément de ses propres activités. Auparavant, il ne comptait que sur les critères négatifs et positifs pour choisir ses investissements. Il compte désormais s'en remettre davantage aux interventions d'actionnaires. L'une d'elles concerne l'utilisation d'ateliers de misère du côté du détail.

Le sénateur Tkachuk: À ce sujet, je suis pour une plus grande démocratisation de la législation pour que les sociétés aient davantage de comptes à rendre aux actionnaires. Par exemple, dans vos organisations, dans les églises et dans les syndicats, estimez-vous que vos organisations sont aussi démocratiques que ce que vous aimeriez voir dans les sociétés elles-mêmes?

Par exemple, quels obstacles doit surmonter un syndiqué qui refuse de payer des cotisations syndicales? Il est obligé de verser ces cotisations lorsqu'il va travailler chez une entreprise qui est syndiquée, par exemple. Que doit faire un syndiqué ou un paroissien pour que sa proposition figure à l'ordre du jour national de l'une de vos organisations? Pensez-vous que ces institutions sont aussi démocratiques que ce qui est proposé ici aujourd'hui? Vos organisations sont-elles plus démocratiques?

Une autre question que vous pourriez aborder est les contributions politiques de la part des syndicats: comment arrive-t-on aux décisions et qui prend ces décisions.

M. Davis: On peut difficilement se prononcer au nom de tout le groupe des églises. Il se trouve que je suis membre de l'Église unie. La démocratie y est appliquée tellement scrupuleusement que presque rien ne se fait.

Le sénateur Poulin: Seriez-vous catholique, dans le fond?

M. Davis: Je ne dirais pas qu'il faut attendre que tout soit en ordre dans sa propre maison avant d'agir dans ces autres dossiers. Toutes les organisations dans ce secteur ont leurs propres chats à fouetter et ont leurs propres modalités. Ce que vous soulevez là est valable, mais nous n'attendrons pas d'arriver à la perfection dans nos propres organisations avant de nous occuper des choses dont nous avons parlé.

Le sénateur Tkachuk: C'est bien ce que je pensais et je voulais simplement vous l'entendre dire.

M. Soo: À titre de catholique en résidence...

Le sénateur Tkachuk: J'en suis un moi aussi.

Le sénateur Poulin: Et moi aussi. Vous n'êtes pas seul.

M. Soo: Je dirais que mon ordre, les Jésuites, est connu pour sa discipline militaire. Pourtant, et c'est moins bien connu, l'organe de décision suprême des Jésuites est la congrégation générale, qui est un groupe parlementaire élu par l'ensemble des Jésuites dans le monde.

Par ailleurs, je ne suis pas un catholique romain, je suis un catholique oriental. Le sénateur Tkachuk comprend peut-être la différence. Au sein de l'Église catholique orientale, l'Église catholique ukrainienne, le patriarche ne prend en principe aucune décision sans le consentement du Sénat des évêques, et le Sénat lui non plus ne prend de décision sans le patriarche.

Il existe des principes démocratiques. Même en ce qui concerne les questions de doctrine, même si le pape parle, il y a une question de réceptivité de la doctrine enseignée par le croyant, qui doit être acceptée partout et être objet de foi depuis toujours.

Cela nous ramène à toute la question des corporations, qui, comme vous le savez, étaient des créatures médiévales des Églises dont la propriété et les biens pouvaient passer d'une génération à l'autre, notamment celle des évêques célibataires. Depuis lors, nous avons assisté à la création de sociétés qui ont des droits, des responsabilités et des pouvoirs, mais pas nécessairement de structure morale. Tout le mouvement de responsabilisation des actionnaires est une tentative pour accroître le pouvoir et la capacité des actionnaires -- propriétaires de la société -- pour accroître la capacité de la société qui a des pouvoirs et des droits d'avoir aussi des obligations morales et spirituelles. Il s'agit d'amener les sociétés à remplir les obligations morales qui sont bonnes pour les affaires, de même que pour les participants. C'est bon pour la nation.

Le président: Est-ce trop cynique de penser que la plus grande influence que vous pouvez exercer sur les sociétés, c'est tout simplement de ne pas acheter leurs actions?

M. Soo: Vous avez posé cette question la dernière fois. Nous aimons cette idée. Toutefois, ce n'est qu'une façon de voir les choses. De toute évidence, si nous voulons que notre argent soit immaculé, nous ne pourrions peut-être pas l'investir nulle part. Le péché social imprègne toute la société.

La question n'est pas de savoir quel billet de banque est sans péché; la question est de savoir comment nous pouvons améliorer la vie, améliorer le monde des affaires, améliorer notre investissement et améliorer notre économie de façon à ce que non seulement elle crée davantage de profits, mais améliore aussi la vie humaine et réduise les violations des droits de la personne. Tout cela fait partie de la responsabilité accrue de l'actionnaire que nous prônons.

Le président: Je vous demanderais de ne pas tous répondre aux questions, parce que nous allons assister à un cours de philosophie 101.

Avez-vous terminé, sénateur Tkachuk?

Le sénateur Tkachuk: Oui, quoique j'aurais bien aimé entendre les syndicats.

Le sénateur Meighen: Je veux ajouter un mot à ce que le président a dit plus tôt au sujet de l'à-propos des mémoires. Il nous est très utile de les avoir d'avance. SHARE a vraiment visé juste là-dessus. Merci beaucoup. Vous nous avez présenté votre mémoire au bon moment. Il est bien rédigé, comme les autres de fait, mais je l'ai reçu plus tôt, et par conséquent j'ai pu en prendre connaissance.

J'aimerais examiner votre idée d'intégrer vos propositions dans la loi plutôt que dans les règlements. Je ne suis pas sûr qu'il soit aussi mauvais que vous le prétendez de les laisser dans les règlements. Il est vrai que ceux-ci pourraient être modifiés d'une façon que vous n'aimeriez pas. Toutefois, l'inverse est aussi vrai. Les règlements sont plus faciles à modifier, je crois, que la loi. Ils pourraient aussi être modifiés d'une façon que vous aimeriez. Si un certain nombre de propositions et de délais sont intégrés dans la loi, il n'est pas aussi facile de modifier celle-ci que les règlements. Je ne sais pas au juste quel côté de la clôture je choisirais si j'étais à votre place. Je vous demanderais de réfléchir peut-être au fait que les règlements pourraient mieux répondre à votre objectif.

Je demanderais à SHARE, et je confesse mon ignorance du mandat de ces groupes spéciaux de l'ALENA, si les dispositions qui figurent dans son mémoire s'inspirent du mécanisme de règlement des différends commerciaux de l'ALENA.

M. Chapman: C'est le modèle que nous avons utilisé, en effet.

Le sénateur Meighen: Deux choses me sont venues à l'esprit pendant que vous exposiez vos deux derniers points: premièrement, toute décision est exécutoire, mais n'importe quelle partie peut en appeler. Je ne veux pas lancer un débat sur le droit administratif ou l'accès aux tribunaux, mais nous avons ici un processus en deux étapes, en effet, indépendamment du fait que la décision, selon votre mémoire, serait exécutoire. Nous pouvons toujours nous adresser aux tribunaux. Qu'y a-t-il de mal à tout simplement laisser cela aux tribunaux?

Il peut y avoir 30 propositions par an. En cas d'urgence, les tribunaux peuvent entendre ces choses assez rapidement. N'importe quel plaideur pourrait vous dire qu'introduire une affaire urgente ne coûte pas très cher et que tout se déroule rapidement. Craignez-vous que les tribunaux ne soient trop engorgés, ou croyez-vous qu'un groupe d'arbitrage serait plus compétent pour évaluer la proposition des actionnaires qui a été rejetée? Autrement dit, pourquoi préférez-vous le groupe d'arbitrage?

M. Chapman: Notre avocat a rédigé les mémoires, et je lui ai posé la même question. Je lui ai demandé: si la décision est exécutoire, comment pourrait-on alors en saisir le tribunal? Il m'a expliqué que s'il était simplement consultatif, le groupe ne pourrait pas alors forcer les parties à s'adresser au tribunal si telle n'était pas leur intention. Je crois qu'il est évident que le pouvoir est exécutoire, de sorte que les conclusions du mécanisme de règlement lieraient les parties, à moins qu'elles ne décident de s'adresser au tribunal.

Cela s'inspire aussi des règlements de la Commission des valeurs mobilières des États-Unis, où on peut toujours, si on n'est pas satisfait des résultats d'une décision administrative, s'adresser au tribunal. Nous croyons qu'il est logique d'étendre ce droit.

Le sénateur Meighen: Je déteste le dire, mais cela équivaut pour moi à «exécutoire si nécessaire, mais pas nécessairement exécutoire».

M. Chapman: L'expérience prouve qu'aux États-Unis presque personne ne s'adresse au tribunal et qu'au niveau administratif, avec le temps, on en arrive à une interprétation qui permet aux actionnaires et aux sociétés de comprendre ce que signifie la loi en vigueur.

Nous croyons que c'est là un processus plus simple, moins coûteux et moins lourd, qui sert de plus en plus à éviter le tribunal, ou à se préparer à y comparaître.

Le sénateur Meighen: Je ne suis pas sûr que les arbitres siègent pour les raisons pour lesquelles vous payez un juge, mais c'est là une autre question. Je prends note de votre argument.

Cette question est peut-être un peu injuste, mais à la lumière du proverbe qui dit que faute de grives on mange des merles, si chacun d'entre vous devait choisir, quelle est selon vous, parmi les propositions importantes que vous formulez aujourd'hui, celle que vous voudriez voir modifiée dans la loi?

M. Soo: Pour moi, c'est la question de l'arbitrage, parce que, selon notre expérience, chaque fois qu'il y a un différend, on en saisit un niveau plus élevé.

M. Davis: Je suis d'accord; ce serait aussi mon choix.

M. Chapman: Parmi ces propositions, l'arbitrage est la plus importante.

Le sénateur Meighen: Je suis conscient que les autres sont importantes.

M. Chapman: Les modifications déjà apportées à la loi sont véritablement les plus importantes, et nous devons tous le reconnaître.

Le sénateur Meighen: Vous avez été justes à ce sujet.

Mme Hebb: Je dirais pour ma part que le processus d'arbitrage est probablement la plus importante des nouvelles propositions, tout en reconnaissant le fait qu'il y a déjà eu des améliorations considérables.

Le sénateur Wiebe: Ma question s'adresse à M. Davis, et concerne l'arbitrage. Vous proposez qu'on examine davantage la possibilité de créer un tribunal indépendant, peut-être un ombudsman. D'où proviendrait selon vous le financement? Qui paierait pour ce tribunal: l'actionnaire, l'entreprise, ou le gouvernement?

M. Davis: Je ne crois pas avoir beaucoup réfléchi à cela, mais selon moi ce genre de tribunal ou d'arbitre existerait pour le bien commun et pour rendre le processus viable; par conséquent, il serait financé à même les fonds publics. Toutefois, ce n'est pas là une chose pour laquelle ceux que je représente se sont battus. C'est mon opinion personnelle. Cela complique les choses si vous procédez à un genre d'évaluation de la société et de l'actionnaire. Ce n'est pas impossible.

Il me semble qu'il s'agit là de quelque chose dont votre comité et Industrie Canada sont saisis depuis bien des années. Des gens ont examiné cette question et y ont réfléchi. J'ai le sentiment que ceux qui l'examinent sont tout à fait capables de présenter quelque chose de «faisable».

Le président: Pourquoi la population devrait-elle payer pour ce genre de processus? C'est ouvrir la porte.

Le sénateur Meighen: La population paie déjà pour les tribunaux.

Le sénateur Wiebe: J'ai une autre question à poser sur le même sujet. Compte tenu du fait que tous les quatre vous considérez l'arbitrage comme étant la question la plus importante, qui selon vous devrait payer pour cela?

M. Chapman: Le système que nous avons proposé n'était pas un ombudsman permanent ou une commission permanente, mais plutôt une liste de personnes à qui on ferait appel en cas d'arbitrage. Nous présumons que les coûts seraient minimes. Nous n'avons pas examiné la question de leur répartition.

Mme Hebb: Encore une fois, la Social Investment Organization n'a pas vraiment réfléchi à ce que serait le mécanisme. Toutefois, il existe une période appelée la «saison» des propositions -- qui précède la réunion annuelle. Une liste où on peut puiser n'est pas un groupe d'arbitrage permanent pour l'année.

M. Soo: J'ai pensé d'abord que les coûts du tribunal devraient être attribués au perdant.

Le sénateur Poulin: Ou au gagnant?

M. Soo: Ce qui me préoccupe avant tout, c'est que les chances soient égales pour tout le monde. Les Églises savent par expérience que lorsque la grande entreprise est le plaideur professionnel, le simple fait de soumettre une affaire à un tribunal est un seuil suffisant pour les actionnaires sincères, intéressés.

Le sénateur Wilson: Tous vous avez demandé, ou recommandé, que les modifications soient apportées à la loi, et non pas aux règlements. Je me demande pourquoi, notamment à la lumière de la déclaration du président selon laquelle notre comité serait saisi chaque année des modifications apportées aux règlements. Croyez-vous ne pas pouvoir y avoir accès? Le diable se trouve dans les détails. Très fréquemment, ce sont les règlements qui causent le problème. Pourquoi avez-vous pris cette position? Vous sentez-vous exclus?

M. Soo: Nous croyons que les modifications peuvent être faites pour le meilleur, comme le sénateur l'a déjà dit. C'est une chose sur laquelle nous sommes d'accord, de même qu'une chose sur laquelle nous n'étions pas d'accord. L'accord n'est pas en question; il s'agit plutôt de la question du gardien. Qui garde les gardiens? Le seuil pour atteindre un règlement est essentiel à tout ce processus. Si vous haussez ce seuil tellement que personne ne peut arriver à un règlement, alors la question est de savoir si toutes les autres exclusions deviennent des points controversés. S'il y a une modification, nous croyons qu'elle devrait faire l'objet d'un examen du public, plutôt que de dépendre du pouvoir discrétionnaire de quelqu'un qui peut décider si elle va faire l'objet d'un examen du public ou non.

Le sénateur Wilson: Par conséquent, si notre comité était saisi des modifications, croyez-vous qu'il n'y aurait pas d'audiences publiques et que vous n'auriez pas accès aux règlements?

M. Soo: Nous craindrions que des groupes d'intérêts spéciaux, qui auraient davantage de pouvoir et de ressources pour exercer leur influence, ne soient avantagés.

Le président: Permettez-moi de préciser qu'un comité parlementaire examine constamment tous les règlements qui émanent des lois. Peut-être devriez-vous en tenir compte.

M. Soo: Nous le savons.

Le sénateur Wilson: Ma question concernait les préoccupations des groupes au sujet de leur accès aux modifications apportées aux règlements. Croyez-vous que vous n'y auriez pas accès?

M. Davis: Étant donné que c'est là quelque chose de nouveau pour nous, et peut-être que c'est en partie notre faute, on croit en général que la loi est examinée par des personnes élues et fait davantage l'objet d'une procédure établie à laquelle des groupes comme les nôtres peuvent participer. Si vous nous dites que les règlements seront aussi accessibles, alors notre problème diminue. En lisant ceci, nous n'avons pas eu le sentiment que les règlements, dans des circonstances normales, seraient aussi accessibles que la loi.

Le président: Je crois comprendre que non seulement tous les règlements sont publiés, mais que vous avez aussi 90 jours pour les commenter. C'est un fait connu de tous. Aucun règlement n'emprunte une voie détournée au Parlement.

M. Davis: Les organisations que nous représentons n'ont pas de personnel qui passe régulièrement en revue la Gazette du Canada et d'autres publications pour y relever ce genre de chose.

Le président: Peut-être que quelques membres de vos organisations pourraient se réunir pour examiner la Gazette du Canada.

M. Davis: Qui paierait pour cela?

Le président: Il semble que cette information est cruciale et que vous paieriez pour cela. Je vous remercie; nous avons eu une discussion très intéressante.

La séance est levée.


Haut de page